Citations

« Le goût de la vérité n’empêche pas la prise de parti. » (Albert Camus)
« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du Soleil. » (René Char).
« Il faut commencer par le commencement, et le commencement de tout est le courage. » (Vladimir Jankélévitch)
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » (Albert Londres)
« Le plus difficile n'est pas de dire ce que l'on voit, mais d'accepter de voir ce que l'on voit. » (Charles Péguy)

lundi 16 janvier 2023

« Marcel Proust. La fabrique de l’œuvre »

La Bibliothèque nationale de France (BnF) présente l’exposition « Marcel Proust. La fabrique de l’œuvre ». « À l’occasion du centième anniversaire de la mort de Marcel Proust (1871-1922), la Bibliothèque nationale de France propose une exposition conçue comme une véritable traversée de l’œuvre À la recherche du temps perdu. Organisée tome par tome, elle donne à voir la fabrique du texte à travers une série d’épisodes emblématiques du roman, en s’appuyant sur l’exceptionnel fonds Proust de la BnF et les résultats de la recherche proustienne depuis vingt ans ».

Raymond Aron (1905-1983) 
« ENS : L'école de l’engagement à Paris » par Antoine de Gaudemar et Mathilde Damoisel
Archives de la vie littéraire sous l'Occupation 
« Marcel Proust. La fabrique de l’œuvre »

« Comment Marcel Proust a-t-il composé À la recherche du temps perdu ? Comment cette oeuvre a-t-elle été imaginée, fabriquée, diffusée, y compris après la mort de l’écrivain en 1922, jusqu’à devenir l’une des plus célèbres de la littérature mondiale ? » Pour le centième anniversaire du décès de l’écrivain, la Bibliothèque nationale de France propose une exposition propose, pour chaque tome, « la fabrique du texte à travers une série d’épisodes emblématiques du roman, en s’appuyant sur l’exceptionnel fonds Proust de la BnF et les résultats de la recherche proustienne depuis vingt ans. Près de 350 pièces — manuscrits, tableaux, photographies, objets, costumes —, parmi lesquelles des documents capitaux et inédits récemment entrés à la BnF, ou issus d’autres collections, sont rassemblées pour la première fois afin de raconter l’histoire de l’un des plus grands chefs-d'œuvre de la littérature universelle. »

Raconter un chef-d'œuvre
« L’exposition raconte l’histoire d’À la recherche du temps perdu. Elle mène le visiteur à travers les étapes de la composition du roman, jusqu’au cas particulier des derniers volumes dont l’établissement du texte, après la mort de Proust, est dû à son frère Robert et à l’équipe de la Nouvelle Revue française. Elle met en lumière l’histoire éditoriale, du refus de Du côté de chez Swann par les éditions de la NRF, alors que Gaston Gallimard deviendra dès le deuxième tome l’éditeur indissociable du nom de Proust, à la construction de la postérité de l’oeuvre, sans oublier la consécration par le prix Goncourt en 1919. »

« Comprendre la fabrique de l’oeuvre, tel est l’objectif de l’exposition, à la lumière de récents évènements tels que la publication d’inédits comme l’Agenda 1906 — carnet de notes préparatoires à la première partie de Du côté de chez Swann — , ou des Soixante-quinze feuillets de 1908 – état le plus ancien du roman –, et la numérisation de l’intégralité du fonds Proust, qui ont ouvert de nouvelles perspectives à la recherche. »

« Le parcours de l’exposition déroule l’ordre des volumes, de Du côté de chez Swann (1913) au Temps retrouvé publié à titre posthume en 1927, en respectant la tomaison originale choisie par Proust et sans masquer l’inachèvement du roman. À chaque volume correspond une salle de l’exposition, avec son choix d’épisodes, certains très attendus - comme la madeleine -, d’autres moins connus du public. » 

« C’est ainsi que le visiteur chemine dans l’oeuvre, depuis l’invention de la célèbre première phrase « Longtemps, je me suis couché de bonne heure… », jusqu’à la dernière partie conçue comme un recommencement propre à éclairer la dimension cyclique d’À la recherche du temps perdu. Nul besoin d’avoir lu la Recherche pour y plonger ici : l’exposition guide le visiteur au cœur de l’oeuvre. » 

L’exposition est organisée avec le soutien exceptionnel du musée d’Orsay, en partenariat avec L’Obs, Les Inrockuptibles, France.TV, Le Figaro littéraire et France Culture.

Le commissariat est assuré par Antoine Compagnon, de l’Académie française, professeur émérite au Collège de France, Guillaume Fau, conservateur en chef, chef du service des Manuscrits modernes et contemporains au département des Manuscrits, BnF, et Nathalie Mauriac Dyer, directrice de recherche à l’Institut des textes et manuscrits modernes (ITEM, CNRS-École normale supérieure).

Des pièces exceptionnelles
« Au fil de cette déambulation, le public découvrira des pièces présentées pour la première fois, telle la spectaculaire édition dédicacée de Du côté de chez Swann récemment acquise par la BnF grâce au mécénat, ou le manuscrit de grand format des Soixante-quinze feuillets, la plus précoce ébauche de l’oeuvre. Un ensemble unique de « planches » d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs permettra d’entrer dans le processus d’élaboration de ce volume. Ces documents, qui avaient servi à l’établissement de la première édition en 1918, se composent de fragments d’épreuves et de manuscrits, corrigés de la main de Proust et collés sur de grandes feuilles. En 1920, Proust choisit de faire publier une édition de luxe d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs, tirée à 51 exemplaires et contenant chacun deux de ces planches. Ces documents rares sont des témoins exceptionnels de la fabrique du texte. Une trentaine sont, pour la première fois, réunis à l’occasion de l’exposition, physiquement et virtuellement. »

« Les spectaculaires manuscrits de Marcel Proust sont au cœur du propos, riches des fameuses « paperoles ». Ces ajouts rédigés sur des papiers collés et repliés dans les cahiers, de la plus courte répertoriée à la plus longue -près de deux mètres, invitent à une plongée dans la fabrique. Des chefs-d'œuvre de la peinture permettent d’incarner les personnages ou les thèmes du récit : outre des œuvres d’Hubert Robert, Turner, Monet, Renoir, Vuillard, le portrait de Proust par Jacques-Émile Blanche, le portrait de Robert de Montesquiou par Boldini, Le Cercle de la rue Royale par James Tissot, des œuvres modernistes comme le tableau La Primitive de Kupka… Des objets emblématiques du rapport de Marcel Proust à l’imaginaire, à la mémoire et au temps viennent ponctuer ce parcours : un kinétoscope, une lanterne magique, un kaléidoscope, des robes de Fortuny, de nombreuses photographies… »

« Enfin, des extraits audiovisuels, parmi lesquels les entretiens avec Céleste Albaret, la célèbre gouvernante de l’écrivain, ou des extraits musicaux, scanderont certaines étapes du parcours. »

Un ensemble de pièces jamais réunies auparavant 
« Les quelque 350 pièces présentées sont issues en partie des collections de la BnF, notamment de l’exceptionnel fonds du département des Manuscrits. Marcel Proust avait conservé l’ensemble de ses manuscrits. À sa mort en 1922, son frère, Robert Proust, hérita de ce précieux dépôt, que Suzy Mante-Proust, la fille de Robert, décida de confier à la Bibliothèque Nationale en 1962. Le fonds Marcel Proust de la BnF comprend ainsi la quasi-totalité des manuscrits de l’écrivain, depuis ses papiers scolaires, ses œuvres de jeunesse, ses articles critiques et ses traductions des œuvres de Ruskin, jusqu’aux manuscrits d’À la recherche du temps perdu. Des acquisitions ont permis de compléter ce fonds prestigieux. Pour témoigner de l’écriture du roman, le fonds des manuscrits de la BnF comprend des carnets de notes, des cahiers de brouillons des parties successives du roman, des cahiers contenant la mise au net de Sodome et Gomorrhe, La Prisonnière, Albertine disparue et Le Temps retrouvé, des volumes de dactylographies en partie corrigés, des volumes de placards et d’épreuves comportant de nombreuses variantes et additions autographes. À cet ensemble manuscrit s’ajoute un certain nombre d’exemplaires imprimés particuliers, eux-mêmes remarquables par l’information qu’ils apportent sur l’élaboration du roman ou sur l’histoire de son processus éditorial. »

« L’exceptionnel fonds Marcel Proust de la BnF est enrichi dans l’exposition de prêts prestigieux d’institutions publiques et de nombreuses collections particulières qui permettent de montrer au public des œuvres qui n’avaient jamais été réunies auparavant. Des pièces du musée d’Orsay, du musée du Louvre, de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, de la Cinémathèque française, du musée Galliera, de la Fondation Bodmer à Genève, entre autres, contribuent à mener le visiteur au coeur de la fabrique de l’oeuvre, au fil d’un parcours intime et sensible. »

Marcel Proust à la BnF

Le fonds Proust de la BnF
« Les manuscrits
Marcel Proust avait conservé l’essentiel de ses manuscrits. À sa mort, en 1922, son frère, le docteur Robert Proust, hérita de ce précieux dépôt et assura la publication posthume des trois derniers volumes d’À la recherche du temps perdu. En 1962, la fille de Robert Proust, Suzy Mante-Proust, décida de confier à la Bibliothèque Nationale le fonds relatif à l’oeuvre de son oncle, afin d’assurer la conservation des documents et de leur donner une plus grande diffusion.

Le fonds Marcel Proust était alors constitué par la quasi-totalité des manuscrits de l’écrivain, depuis ses papiers scolaires, ses œuvres de jeunesse (Les Plaisirs et les Jours, Jean Santeuil), ses articles critiques et ses traductions des œuvres de Ruskin jusqu’aux manuscrits d’À la recherche du temps perdu

Quatre nouvelles acquisitions ont par la suite permis de compléter ce fonds prestigieux. En 1977, la BnF acquiert un reliquat de manuscrits de lettres. En 1983, le fonds Proust s’accroît des cahiers de Proust provenant de la collection de l’industriel et bibliophile Jacques Guérin (1902-2000). En 2013, année du centenaire de la parution de Du côté de chez Swann, la BnF acquiert un petit agenda de poche (Agenda 1906) ayant appartenu à Marcel Proust, qui contient des notes prises entre 1909 et 1913, à différentes époques de travail. En 2020, l’acquisition des Soixante-quinze feuillets constitue l’étape la plus remarquable de l’histoire récente du fonds Proust. 

Pour l’écriture d’À la recherche du temps perdu, le fonds des manuscrits se décompose de la manière suivante :
- 5 carnets de notes préparatoires, de 1906 à 1918, dont le premier consiste en l’agenda acquis en 2013, que Proust a utilisé comme carnet de notes préparatoires à la rédaction de « Combray », la première partie de Du côté de chez Swann
- 75 cahiers de brouillon des parties successives du roman, à leurs différents stades d’évolution
- 23 cahiers contenant la mise au net de Sodome et Gomorrhe, La Prisonnière, Albertine disparue et Le Temps retrouvé, enrichis des fameuses « paperoles », longues bandes d’ajouts collés bout-à-bout
- 18 volumes de dactylographies en partie corrigées
- 14 volumes de placards et d’épreuves comportant de nombreuses variantes et additions autographes
- le manuscrit des Soixante-quinze feuillets »
« Les imprimés
À cet ensemble s’ajoute un certain nombre d’exemplaires imprimés particuliers, eux-mêmes remarquables par l’information qu’ils apportent sur l’élaboration du roman ou sur l’histoire de son processus éditorial, tels les exemplaires de l’édition de luxe d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs enrichis de planches d’épreuves corrigées ou encore l’exemplaire du Côté de Guermantes dédicacé à la comtesse de Chevigné, l’un des modèles du personnage de la duchesse de Guermantes.
Témoins irremplaçables de la genèse d’À la recherche du temps perdu, ces documents sont exceptionnels par la richesse et par la qualité des informations qu’ils renferment sur le processus de la création littéraire. L’acquisition par souscription publique en 2021 de l’exemplaire de Du côté de chez Swann dédicacé à Marie Scheikévitch constitue également un apport exceptionnel à cet ensemble patrimonial majeur dans l’histoire de la littérature française. »

Les expositions Marcel Proust à la BnF depuis 1947
« Marcel Proust est l’un des rares auteurs de la littérature française à avoir été exposé aussi régulièrement à la BnF. Trois expositions, en1947, 1965 et 1999, soit une par génération, ont été consacrées à l’auteur d’À la recherche du temps perdu.
« En 1947, à l’occasion du 25e anniversaire de la mort de l’auteur, « la Bibliothèque Nationale consacre une première exposition à Marcel Proust. Ce projet commémoratif rassemble alors cent soixante-huit pièces qui proviennent pour leur majorité de la collection de Suzy Mante-Proust. Grâce à cette importante contribution, un choix de manuscrits originaux de Marcel Proust a pu être montré au côté d’oeuvres de nature iconographique, historique et documentaire. »
« À la suite de l’entrée de la quasi-totalité des manuscrits de Proust à la Bibliothèque en 1962, une première grande exposition est présentée dans la galerie Mansart du site Richelieu en 1965. L’exposition Marcel Proust (1871-1922) est alors considérée comme la plus grande jamais montrée au public et dévoile pour l’occasion la richesse des manuscrits de l’écrivain. Le parcours de visite prolonge celui de l’exposition de 1947, mais à une toute autre échelle grâce aux ressources du fonds Proust désormais conservé à la Bibliothèque et aux nombreux prêts d’institutions et de collectionneurs privés. L’exposition de 1965 a permis pour la première fois la mise en valeur de la matérialité hors norme des manuscrits de Proust, à travers la mise en espace des paperoles devenues si célèbres aujourd’hui. »
« En 1999, c’est dans la grande galerie du site François-Mitterrand qu’est dévoilée au public l’exposition Marcel Proust, l’écriture et les arts. Cette troisième exposition adopte une approche thématique. Riche de trois cent vingt-quatre pièces, dont de nombreuses oeuvres plastiques, elle intervient alors dans un contexte de réception de l’oeuvre de Marcel Proust différent des expositions de 1947 et 1965. Entre temps en effet, de nouvelles acquisitions sont venues enrichir les collections de la BnF, une nouvelle édition de la « Bibiothèque de la Pléiade » a été publiée sous la direction de Jean-Yves Tadié (1987-1989), ainsi que la correspondance complète par Philippe Kolb. » 
« Ces trois expositions offrent aujourd’hui un précieux panorama de la réception de l’oeuvre. L’exposition de 2022, Marcel Proust, la fabrique de l’oeuvre, s’inscrit dans cette longue histoire. Elle intervient dans le cadre de la commémoration du centenaire de la mort de l’auteur, mais cette exposition apporte surtout un nouvel éclairage sur les progrès de la connaissance et de la recherche autour de la genèse d’À la recherche du temps perdu à partir du fonds exceptionnel de manuscrits conservé à la BnF. »

Marcel Proust en ligne
« Dans la bibliothèque numérique de la BnF
L’oeuvre de Marcel Proust est à consulter en ligne ou à télécharger au format EPUB dans Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF : l’ensemble des cahiers manuscrits, les éditions imprimées d’À la recherche du temps perdu, son recueil de poèmes et nouvelles Les Plaisirs et les Jours, mais aussi ses articles de presse rassemblés dans Pastiches et mélanges ou accessibles dans leur version première dans La Revue blanche, la Gazette des beaux-arts, etc. Sont également accessibles le Bulletin de la Société des amis de Marcel Proust, des ouvrages qui lui sont consacrés, ou encore des conférences de la BnF sur son parcours et ses écrits.
https://gallica.bnf.fr/conseils/content/marcel-proust
Les Essentiels, site de ressources culturelles et pédagogiques de la BnF
À l’occasion de l’exposition, la BnF met en ligne un dossier complet consacré à Marcel Proust sur Les Essentiels, site de ressources culturelles et pédagogiques de la Bibliothèque.
De nombreux articles de spécialistes permettant d’aborder la vie et l’oeuvre de Marcel Proust, des podcasts, des vidéos et des entretiens sont ainsi mis à la disposition du public.
Mise en ligne à partir du 12 octobre 2022 
https://essentiels.bnf.fr/fr/ »

Introduction
« Il y a cent ans disparaissait Marcel Proust (1871-1922), auteur de l’une des oeuvres les plus admirées de la littérature universelle, À la recherche du temps perdu. Commencée en 1913 avec Du côté de chez Swann, la publication du roman ne fut achevée qu’en 1927 avec Le Temps retrouvé, sans que l’écrivain, mort le 18 novembre 1922, ait pu revoir les derniers volumes. »
« Un siècle plus tard, le lecteur de ce roman dispose de nombreuses clés d’entrée : éditions courantes et savantes, adaptations cinématographiques, enregistrements, documentaires et hommages, auxquels s’ajoute une bibliographie de taille surhumaine et en perpétuel accroissement. Si elle alimente la légende, une telle profusion peut aussi intimider. » 
« Cette exposition offre au visiteur l’occasion de saisir l’immensité et la richesse inépuisable de l’oeuvre de Marcel Proust. Elle invite à lire ou à relire le texte pas à pas en suivant la progression des tomes, en donnant à voir la fabrique des épisodes les plus emblématiques, en restituant le travail d’invention et de composition, de la première à la dernière phrase. Le processus de création de Marcel Proust n’est pas linéaire. Il repose sur des séquences isolées qu’il fait évoluer au fil du temps dans un vaste travail de placement du texte. Témoins des chemins qu’emprunte ce processus, les manuscrits constituent une oeuvre à part entière. Carnets de notes, cahiers de brouillons des parties successives du roman, cahiers de mise au net, volumes de dactylographies en partie corrigés, volumes de placards et d’épreuves comportant de nombreuses variantes et additions autographes : la matérialité même des manuscrits permet de restituer la démarche de l’auteur (voir focus oeuvres page 21). »
« Grâce à l’exceptionnel fonds Proust conservé au département des Manuscrits de la BnF depuis 1962 et à ses dernières acquisitions, grâce aux trésors provenant des collections publiques et particulières rassemblés et rapprochés ici pour la première fois, grâce aussi aux derniers résultats de la recherche et à l’expertise des trois commissaires de l’exposition, c’est une traversée inédite de ce chef-d’oeuvre qui est aujourd’hui rendue possible. » 
« L’exposition s’inscrit au coeur des missions de la BnF : Collecter, conserver, diffuser… L’enrichissement du fonds Proust de la BnF et sa mise à disposition des chercheurs tant dans les salles de lecture que dans Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF, ont contribué à l’avancée de la compréhension de la fabrique de l’oeuvre de Proust. Un processus de création qui fait aujourd’hui l’objet de cette exposition exceptionnelle, à destination d’un large public. »
« La genèse du roman est abordée en suivant l’ordre des volumes, de Du côté de chez Swann paru en 1913 au Temps retrouvé publié à titre posthume en 1927, mais en respectant la tomaison originale voulue par Proust, souvent méconnue. Cette tomaison, qui diffère des sept tomes de l’édition canonique mise au point dans les années 1930, avait été annoncée dans le numéro du 1er décembre 1922 de la NRF au lendemain de la mort de Proust. »

1 - La première phrase
« Longtemps, je me suis couché de bonne heure »
« La célèbre première phrase du roman est conçue entre 1909 et 1913, modifiée par Proust au fil des projets. Une première mise en scène du souvenir apparaît et se fixe dans les cahiers de brouillon du Contre Sainte-Beuve (1). Elle est remplacée sur la dactylographie par la version destinée au Temps perdu. C’est en la corrigeant que Proust trouve le fameux : « Longtemps, je me suis couché de bonne heure ». Pourtant, sur le premier placard d’imprimerie de Du côté de chez Swann, la phrase est barrée. Proust la récrira dans la marge. »
« Un dispositif vidéo permet au visiteur de suivre toutes les étapes de construction de cette première phrase, grâce à des projections sur les murs de la salle. » 

(1) À la fin de 1908, Proust entreprend un essai contre la méthode critique de Charles-Augustin Sainte-Beuve, dit le « Contre Sainte-Beuve ». L’essai prend très vite la forme inattendue du récit d’une matinée (« Maman viendrait près de mon lit et je lui raconterais un article que je veux faire sur Sainte-Beuve »). Mais bientôt Proust y ajoute des développements romanesques, tout à fait étrangers au projet initial.

2 - Du côté de chez Swann 
« Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu »
« Du côté de chez Swann, publié en 1913, est le récit par le narrateur de son enfance provinciale (« Combray ») puis parisienne (« Noms de pays : le nom »), où s’intercale celui de la passion jalouse éprouvée des années plus tôt par Charles Swann pour une demi-mondaine (« Un amour de Swann »). Certains des épisodes les plus fameux figuraient déjà dans le roman de jeunesse abandonné Jean Santeuil (2) : le baiser du soir, la lanterne magique, une « petite phrase » de musique. Mais pas encore la célébrissime « petite madeleine », qui ouvre les portes du souvenir. Trente cahiers manuscrits au moins, plusieurs séries de dactylographies et une soixantaine de placards corrigés auront été nécessaires à la genèse du livre. « Swann est une démonstration », écrit Proust. « Comme j’ai un grand nombre de thèmes à exposer ou de chevaux à faire partir, il y a un peu d’encombrement au départ. Mais croire que c’est écrit au hasard des souvenirs ! »
- Le drame du coucher 
« Proust a raconté dès Jean Santeuil le drame de ce petit enfant qui, pour obtenir le baiser de sa mère, est prêt à tous les stratagèmes. Dans les Soixante-quinze feuillets de 1908, le jeune narrateur se prénomme Marcel et sa mère Jeanne, comme Mme Proust. Cette scène capitale, réécrite dans plusieurs cahiers en 1909, est prolongée par la lecture que fait sa mère au petit garçon des romans champêtres de George Sand. Le spectacle de la lanterne magique qui la précède est lui-même chargé d’angoisse. Proust modifiera inlassablement son texte jusqu’aux placards de 1913. » 
- Un morceau de madeleine 
« La mémoire volontaire du narrateur ne restituait, du Combray de l’enfance, que la scène du drame du coucher. Mais la rencontre fortuite avec le goût d’une « petite madeleine » trempée dans le thé ressuscite pour le narrateur le souvenir de la tante Léonie qui en donnait à l’enfant qu’il était. Symbole à elle seule du roman de Proust, élément préparatoire de la démonstration du Temps retrouvé, la « petite madeleine » fut d’abord plus modestement, dans les brouillons de 1907-1909, du « pain grillé », de la « biscotte », et même, pour commencer, du « pain rassis ». On en connaît aujourd’hui sept versions manuscrites, rédigées entre 1907 et 1909. Proust modifiera encore la scène sur la dactylographie, puis sur les placards de 1913. »

(2) Jean Santeuil est une première tentative romanesque, débutée en 1895 et que Proust abandonne en 1899. Dans les brouillons apparaissent déjà certains épisodes emblématiques tels le coucher et la lanterne magique, ou la « petite phrase » de la sonate.

- Les côtés 
À Combray, on se promène tantôt « du côté de Méséglise », tantôt « du côté de Guermantes ». 
« À ces deux « côtés » tenus pour « irréconciliables » 
s’attachent des impressions poétiques et des expériences fondatrices : au côté de Méséglise, la rencontre du jeune héros avec Gilberte Swann et la découverte de l’homosexualité féminine ; au côté de Guermantes, son premier morceau littéraire, inspiré par la vue des clochers de Martinville. « Gisements profonds [d’un] sol mental », les « côtés » étaient déjà fermement esquissés dans les Soixante-quinze feuillets de 1908. »
- Un amour de Swann 
« La fin de « Combray » nous ramène à son début, avec le rappel des nuits passées à se souvenir, et bientôt l’évocation du « doigt levé du jour ». Le narrateur intercale alors une rallonge, le récit, dit-il, « d’un amour que Swann avait eu avant ma naissance ». C’est une des curiosités de Du côté de chez Swann que ce roman dans le roman, souvent publié à part. L’un de ses motifs est la « petite phrase » de la sonate de Vinteuil, devenue l’« air national » de l’amour de Swann et d’Odette, avant de rappeler à Swann la fin de son amour quand il l’entend à nouveau chez Mme de Saint-Euverte. Dès Jean Santeuil, une « petite phrase » musicale qui symbolise l’amour de Jean pour son amie est identifiée : c’est un extrait de la sonate pour violon et piano opus 75 n° 1 de Saint-Saëns. L’interprétation de la sonate de César Franck par Georges Enesco, entendue par Proust en avril 1913, joua également un rôle décisif dans l’invention du personnage de compositeur, Vinteuil. La sonate est composite. En 1918, Proust cite encore d’autres sources : l’Enchantement du Vendredi saint de Wagner, le prélude de Lohengrin, une « chose de Schubert », et un « ravissant morceau de piano de Fauré ».
- Noms de pays 
« Aux premières pages de « Combray », le souvenir des chambres occupées par le narrateur se concluait par le nom de Venise. Dans « Noms de pays : le nom », troisième partie du tome, il revient comme un leitmotiv et participe à la rêverie du jeune héros sur les Noms. Le tome s’achève sur l’évocation nostalgique de Mme Swann au Bois. Or c’est une fin en trompe-l’oeil : « cette parenthèse sur le bois de Boulogne que j’ai dressée là comme un simple paravent » est « une étape, d’apparence subjective et dilettante, vers la plus objective et croyante des conclusions », celle qu’on lira dans Le Temps retrouvé. »
- Histoire de la publication 
« La dactylographie de 712 pages du Temps perdu est sèchement refusée par Fasquelle, la Nouvelle Revue française et Ollendorff. Proust se tourne alors vers l’éditeur Bernard Grasset pour faire publier son livre à compte d’auteur. Du côté de chez Swann paraît en novembre 1913. La NRF se rend rapidement compte de son erreur, et publie quelques mois plus tard dans sa revue des extraits de la suite d’À la recherche du temps perdu, avant de donner, en 1919, une nouvelle édition de Swann. » 

3 - À l’ombre des jeunes filles en fleurs 
« Je vis s’avancer cinq ou six fillettes... »
« Tome le plus lumineux du roman, À l’ombre des jeunes filles en fleurs est aussi celui de tous les apprentissages. Du point de vue amoureux, c’est, à Paris, l’échec de la romance avec Gilberte Swann ; à Balbec, c’est l’apparition prometteuse d’une « petite bande » de jeunes filles où se détache une certaine Albertine. Sur la scène mondaine, de surprenantes rencontres se succèdent, dont celles du charmant Robert de Saint-Loup et de l’incompréhensible baron de Charlus, membres de l’illustre famille des Guermantes, ou encore celle du grand peintre Elstir. Mis en vente en 1919 et couronné par le prix Goncourt, À l’ombre des jeunes filles en fleurs a été révisé par Proust sur plusieurs séries de placards d’imprimerie, dont son nouvel éditeur, la Nouvelle Revue française, a tiré de spectaculaires « planches » qui nourriront en 1920 une édition de luxe. »
- Les robes de Mme Swann 
« Depuis sa première rencontre avec « la dame en rose » de Combray, le jeune héros est ébloui par l’élégance de Mme Swann. Il l’admire en promenade dans sa victoria, avenue du Bois, puis dans son intimité, « épanouissant autour d’elle une toilette toujours différente ». Somptueusement décrits par Proust, les merveilleux peignoirs, « déshabillés », robes et robes de chambre de Mme Swann sont aussi une allégorie du livre que l’on est en train de lire, par leur imbrication de modes d’époques différentes et le soin apporté au « détail exquis » de leur facture. »
- Le portail de l’église de Balbec-en-Terre 
« Le jeune héros est dans un premier temps déçu par sa découverte de l’église encrassée de Balbec-en-Terre, qu’il croyait « persane » et mouillée d’embruns. Il écoute ensuite, fasciné, la description exaltée que lui en fait le peintre Elstir, « homme de goût ». Elstir se fait ici le porte-parole d’Émile Mâle, auteur de L’Art religieux du XIIIe siècle en France (1898), ouvrage qui influença beaucoup Proust. La scène apparaît dans un cahier de 1913, après une visite de Proust aux statues de Notre-Dame de Paris décrites par Mâle. »
- La rencontre avec le baron de Charlus 
« Le héros, qui prend M. de Charlus pour un fou ou un espion, est bien le seul à ne pas avoir compris le coup de foudre qu’il a suscité. Le baron, pour masquer son embarras, feint de s’absorber ensuite dans la contemplation d’une affiche de Wagner ou de Liebig. « Dans À l’ombre des jeunes filles en fleurs je ne me rends pas compte de ce qu’il est, mais le lecteur je pense le devine », confie Proust en 1919. Cette scène de comédie, l’un des sommets de l’art de Proust, est conçue dès 1909 pour le séjour au bord de mer. D’abord nommé M. de Guercy, Gurcy, Fleurus, le personnage devient en 1913 seulement le baron de Charlus. Il fut inspiré à Proust par le comte Robert de Montesquiou (1855-1921). »
- L’apparition des jeunes filles sur la digue de Balbec 
« L’apparition de « fillettes » au bord de la mer et l’intérêt particulier que suscite l’une d’entre elles remonte aux Soixante-quinze feuillets de 1908 et se développe l’année suivante dans une importante série de cahiers. « Maria la Hollandaise », autour de laquelle gravite d’abord l’intrigue amoureuse, est supplantée à partir de 1913 par une brune aux grosses joues : Albertine. La féminité florale et marine de la « petite bande » se teinte aussi de traits virils, qui rappellent ceux que Proust appelait « les jeunes gens de Cabourg ».
- L’atelier d’Elstir 
« Alors qu’il a accepté à contrecœur et pour faire plaisir à sa grand-mère de rendre visite au peintre Elstir dans son atelier, le jeune héros y découvre « le laboratoire d’une sorte de nouvelle création du monde ». C’est un éblouissement, notamment devant les marines où s’interpénètrent la terre et la mer, et où les rochers des falaises, qui « font penser à une cathédrale », semblent « réduits en poussière, volatilisés par la chaleur ». Le style, découvre-t-il, c’est la métaphore – une « question non de technique, mais de vision ».
- Les planches 
« À partir de juin 1914, Proust corrige les placards du deuxième volume. En 1917 et 1918, Mlle Rallet, dactylographe de la NRF, son nouvel éditeur, veut faciliter le travail des imprimeurs : elle découpe et redispose, sur de grandes planches, les éléments des placards corrigés, puis des épreuves et même de pages manuscrites. Séduit par ces « gracieux chefs-d'œuvre », Proust obtient de Gallimard une édition de luxe d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs : cinquante et un exemplaires truffés de deux planches au moins. C’est la première fois, depuis leur dispersion en 1920, qu’autant de ces manuscrits exceptionnels sont à nouveau réunis. »
- Histoire de la publication 
« La guerre interrompt la publication d’À la recherche du temps perdu. Proust poursuit la correction des placards du deuxième volume qu’il avait reçus de Grasset, amplifie son roman, et rejoint les Éditions de la NRF. Pour certaines parties, il y aura eu quatre séries de placards, à quoi s’ajoutent deux séries d’épreuves mises en pages. Achevé d’imprimer en novembre 1918, le deuxième tome n’est mis en vente qu’en juin 1919, en même temps que Pastiches et Mélanges et la nouvelle édition de Du côté de chez Swann à la NRF. Grâce au soutien de Léon Daudet, À l’ombre des jeunes filles en fleurs obtient, le 10 décembre 1919, le prestigieux prix Goncourt. C’est un tournant dans la carrière de Proust, enfin reconnu, sollicité de toutes parts, et qui atteint dès lors un public plus large. »

4 - Le Côté de Guermantes I 
« Voilà comme vous m’attendez, Monsieur. » C’était M. de Charlus
« Le Côté de Guermantes, opposé au Côté de chez Swann dans « Combray », incarne la poésie des noms. À Paris, où la famille du narrateur a emménagé dans un appartement dépendant de l’hôtel de Guermantes, le héros cherche à connaître la duchesse, dont le nom l’émerveille. Le contraste entre la poésie des noms et la banalité des personnes qui les portent était exposé dès les Soixante-quinze feuillets. Il fonde la symétrie entre Le Côté de Guermantes I, où le narrateur aspire à être reçu dans le faubourg Saint-Germain, et Le Côté de Guermantes II, où, une fois introduit, il éprouve une profonde déception. Au printemps de 1914, Proust décida que le récit de la maladie et de la mort de la grand-mère séparerait ces deux versants de la mondanité. »
- Au théâtre 
« Rédigés en 1910, les épisodes consacrés au théâtre se répartiront entre À l’ombre des jeunes filles en fleurs, où le héros n’éprouve que déception, et Le Côté de Guermantes I, où le jeu de la tragédienne la Berma est cette fois une révélation. Proust suivit aussi avec attention la révolution esthétique apportée par les Ballets russes. Dans le roman, le héros admire un grand danseur en train de s’exercer, largement inspiré de Nijinski, alors qu’il accompagne son ami Saint-Loup dans les coulisses du théâtre où joue sa maîtresse. »
- Doncières 
« La localisation de la petite ville de garnison reste incertaine. À la fois normande, proche de Balbec, et évoquant la Hollande, elle fait songer à Orléans, où Proust fit son volontariat. Dès les cahiers de 1909, le héros y rend visite à son ami Montargis, futur Saint-Loup, afin d’obtenir de lui qu’il le présente à la duchesse de Guermantes. Souffrant d’anxiété seul dans sa chambre d’hôtel, il rejoint son ami à la caserne. Heureux dans ce milieu masculin, il se lie aux soldats comme aux officiers. »
- La matinée chez Mme de Villeparisis 
« C’est la première grande scène mondaine du roman. Le héros est reçu chez la marquise de Villeparisis, qui réside elle aussi dans l’hôtel de Guermantes. La déchéance mondaine de la marquise, dont le salon est fréquenté par une société mêlée, reste inexpliquée. Son vieil amant, le marquis de Norpois, discute de l’affaire Dreyfus avec le jeune écrivain Bloch, ami d’enfance du héros. Esquissée dès 1909, après la lecture des Récits d’une tante, les Mémoires de Mme de Boigne, cette matinée fut mise au point au printemps de 1910. »
- La maladie de la grand-mère (début) et sa « petite attaque » 
« L’épisode « Maladie et mort de ma grand-mère » fut d’abord composé comme un chapitre isolé, ayant son unité et introduisant le thème de la mort dans le roman. Proust eut par la suite l’idée de le scinder et, attentif aux amorces, de l’interrompre après la « petite attaque » de la grand-mère dans le pavillon des Champs-Élysées, laissant le lecteur en suspens à la fin du Côté de Guermantes I. En 1914, dans les placards Grasset, le volume se terminait après la matinée chez Mme de Villeparisis, par la conversation où Charlus proposait au héros de diriger sa vie. »
- Histoire de la publication 
« À la suite du prix Goncourt de décembre 1919, Proust aurait souhaité que la fin de son roman parût vite. La composition du Côté de Guermantes avait été lancée en avril 1919 à partir d’« une série de placards imprimés » (les placards Grasset de 1914, jusqu’à la conversation avec M. de Charlus après la matinée Villeparisis) et de « trois cahiers manuscrits numérotés II, III, IV » (correspondant au Côté de Guermantes II). Une publication en deux volumes ayant été décidée par Gallimard, Proust corrigea les épreuves du Côté de Guermantes I. Les fautes furent nombreuses dans le volume achevé d’imprimer en août : « Vous voyez un homme au désespoir », écrivit Proust à Gallimard. Un errata incomplet de quatre pages fut joint à chaque exemplaire. »

5 - Le Côté de Guermantes II - Sodome et Gomorrhe I 
M. de Charlus avait l’air d’une femme : c’en était une !
« Le Côté de Guermantes II — Sodome et Gomorrhe I est un volume curieusement équilibré, tournant de l’oeuvre. Le début est consacré à la maladie et à la mort de la grand-mère, comme un épilogue du Côté de Guermantes I. Puis le narrateur poursuit plusieurs femmes, Albertine, la duchesse de Guermantes, Mme de Stermaria. Invité à dîner par la duchesse de Guermantes, il atteint la pleine réussite mondaine. Ainsi se terminent les « années inutiles ». La fin du volume, péripétie capitale mise au net au printemps de 1916, relate la découverte de l’homosexualité du baron de Charlus par un narrateur voyeur. C’est cette fois un prologue. Proust, une fois son narrateur revenu du grand monde, bascule dans la longue épopée de Sodome et Gomorrhe, qui occupera plusieurs volumes. »
- La mort de la grand-mère 
« La grand-mère du héros meurt d’une crise d’urémie (maladie rénale), comme la mère de l’écrivain en 1905, après sa grand-mère en 1890. Elle est d’abord frappée d’une attaque dans le « petit pavillon » des Champs-Élysées, comme le docteur Proust le fut dans les toilettes de la faculté de médecine en 1903. Entre 1910 et 1921, Proust a retravaillé cet épisode qui le touche de près. Il a enrichi à la fois la description de la maladie et la peinture de la vie sociale qui s’organise autour de l’agonie. La mort rend enfin à la grand-mère « l’apparence d’une jeune fille ».
- Le cabinet des Elstir 
« Dans le « cabinet des Elstir », chez les Guermantes, le héros découvre les différentes « manières » du peintre : mythologique, impressionniste, ou « plus réaliste ». Cette scène, rédigée pendant la guerre, parfois à partir de brouillons de 1909, rappelle que Proust ne fréquenta pas seulement les musées et les expositions. C’est aussi chez ses amis collectionneurs, notamment Charles Ephrussi, la princesse de Polignac, Mme Straus, Mme Hayem, Camille Groult, qu’il découvrit des oeuvres de Manet, Monet, Moreau ou Turner. »
- Le salon de Guermantes et l’annonce de la mort de Swann 
« À la fin du tome, le héros se rend chez ses voisins, le duc et la duchesse, afin de s’assurer que l’invitation qu’il a reçue de la princesse de Guermantes n’est pas un faux. Swann, membre du Jockey, l’israélite le plus chic de Paris, leur rend visite en même temps. Changé par la maladie, il leur annonce sa mort prochaine. Mais la duchesse élude, et le duc se montre plus soucieux des souliers rouges que sa femme a oublié de chausser que du sort de leur ami. Il refuse de l’entendre : « Vous nous enterrerez tous ! » 
- « La race des Tantes » 
« La dissertation sur l’homosexualité, « race maudite », fut conçue dès 1909, à l’époque du Contre Sainte-Beuve. Proust y tenait beaucoup, et l’on y rencontre la phrase la plus longue de son roman, rédigée comme d’un seul souffle, à la manière d’un manifeste. Mais il a longtemps hésité sur la meilleure manière de l’introduire dans l’intrigue. D’abord, le héros apercevait M. de Guercy, futur Charlus, assoupi et s’écriait : « On dirait une femme. » Dans le texte définitif, c’est en surprenant la rencontre du baron et de Jupien qu’il découvre le monde de Sodome. »
- Histoire de la publication 
« Le Côté de Guermantes II – Sodome et Gomorrhe I parut en mai 1921, six mois après Le Côté de Guermantes I. À la suite de la dactylographie de la mort de la grand-mère, trois cahiers manuscrits servirent directement de copie d’impression pour le reste du Côté de Guermantes II, qui ne fut donc jamais dactylographié. La fin du chapitre sur la mort de la grand-mère avait été la première contribution de Proust à La NRF en juillet 1914. Deux autres extraits parurent dans la revue en janvier et février 1921. Sodome et Gomorrhe I, joint tardivement au Côté de Guermantes II, fut beaucoup retravaillé sur deux dactylographies successives, et le texte changea peu par la suite. »

6 - Sodome et Gomorrhe II 
Bouleversement de toute ma personne
« Deux grandes parties composent ce volume : la soirée chez la princesse de Guermantes, triomphe mondain du héros, et le second séjour à Balbec, au cours duquel naissent ses soupçons sur les moeurs d’Albertine. Ouvert dans le chagrin du deuil de la grand-mère, le séjour à Balbec se clôt sur l’idée terrifiante qu’Albertine a connu intimement Mlle Vinteuil. Proust avait eu le loisir de remanier tout le milieu de son roman durant la guerre. Il esquissa en 1915 le second séjour à Balbec dans ses cahiers de brouillon. En 1916, le manuscrit de Sodome et Gomorrhe II est mis au net. Amplifié ensuite sur les dactylographies, le texte ne connut pas de bouleversements. Les trois volumes de Sodome et Gomorrhe II, publiés en mai 1922, sont les derniers dont l’écrivain corrigea les épreuves et qui parurent de son vivant. »
- La soirée chez la princesse de Guermantes 
« Le héros est enfin reçu dans l’hôtel du prince et de la princesse de Guermantes. Dans le jardin de leur hôtel, Proust situe un « célèbre jet d’eau » et suggère qu’il aurait servi de modèle au peintre Hubert Robert. »
« Il apprend que le prince et la princesse, sans se l’avouer l’un à l’autre, se sont tous deux convertis à la cause de Dreyfus. Swann lui-même, transformé par la maladie et affecté par l’Affaire, renoue avec ses origines juives. Le héros, qui vient d’être initié au monde de Sodome en surprenant M. de Charlus et Jupien, repère que plusieurs invités, comme le duc de Châtellerault ou M. de Vaugoubert, « en sont ».
- Les intermittences du coeur I 
« Au premier soir de son arrivée à Balbec, le héros, fatigué par le voyage, se penche pour se déchausser. Il effleure le bouton de sa bottine que sa grand-mère l’avait autrefois aidé à retirer. Il n’a pas éprouvé de chagrin à la mort de sa grand-mère, mais la voici qui lui apparaît. La résurrection le bouleverse. Proust nomme cet épisode : La perte après coup de ma grand-mère. C’est l’un des plus anciens dans la genèse du roman, amorcé par des notations autobiographiques dès 1908. »
- Les fidèles dans le petit train de Balbec 
« Dans le petit train d’intérêt local menant à la Raspelière, villégiature des Verdurin proche de Balbec, le héros fait la connaissance du docteur et de madame Cottard, de Brichot, de la princesse Sherbatoff. Il y retrouve M. de Charlus, accompagné de Morel, le jeune violoniste, « petite tante déguisée en soldat », que le baron a « levé » à la gare de Doncières. En 1913, la description des « fidèles » était prévue pour le dernier volume. Pendant la guerre, Proust répartit ces portraits dans deux volumes et en deux lieux : ici, à Balbec, et à Paris, dans le volume suivant. »
- Les intermittences du coeur II 
« Albertine confie inopinément au héros son intimité avec Mlle Vinteuil. Ce choc ressuscite la scène surprise à Montjouvain entre Mlle Vinteuil et son amie, dans « Combray ». Alors qu’il se détachait de la jeune fille, le soupçon lui rend sa possession indispensable. Ainsi décide-t-il, après une nuit d’angoisse, d’en faire sa « prisonnière ». La péripétie est mise en place en 1913. Proust lui adjoint en 1915 l’épisode de la « Désolation au lever du soleil ». Il nomme l’ensemble « Les intermittences du coeur II » dans le plan donné dans À l’ombre des jeunes filles en fleurs à la fin de la guerre. »
- Histoire de la publication 
« La publication de Sodome et Gomorrhe II se conforma au plan donné dans À l’ombre des jeunes filles en fleurs, à un changement essentiel près : Proust détacha le premier chapitre « Révélation soudaine de ce qu’est M. de Charlus », pour faire suite au Côté de Guermantes II sous le titre Sodome et Gomorrhe I. Malgré les protestations de Gaston Gallimard, Proust, invoquant ses finances, donna les cent cinquante premières pages de Sodome et Gomorrhe II pour une prépublication dans Les Œuvres libres en novembre 1921, sous le titre Jalousie, la jalousie n’apparaissant que dans les vingt dernières pages, après l’arrivée à Balbec. Proust corrigea de sa main un exemplaire de Jalousie qui servit de copie d’impression pour le premier quart de Sodome et Gomorrhe II. Deux autres extraits parurent dans La NRF, « Les Intermittences du coeur » et « En tram jusqu’à La Raspelière », en octobre et décembre 1921. »

7 - Sodome et Gomorrhe III, La Prisonnière - Albertine disparue 
Mort à jamais ?
« La Prisonnière et Albertine disparue, publiés à titre posthume, formaient, dans l’esprit de Proust un tome unique : Sodome et Gomorrhe III. Proust le rédigea pendant la guerre dans une série de quatre, puis huit cahiers. Leur dactylographie de plus de mille pages fut profondément remaniée durant l’été et l’automne de 1922, sans être achevée. On suit dans Sodome et Gomorrhe III le début de la déchéance mondaine de M. de Charlus, banni de chez les Verdurin après l’exécution du septuor de Vinteuil, le jour même de la mort de Bergotte. Il oscille entre jalousie et indifférence envers sa prisonnière, Albertine, qui finit par lui échapper et meurt accidentellement. Le héros part enfin pour Venise avec sa mère, autre moment d’éblouissement esthétique après l’écoute du septuor. »
- Les réveils dans la chambre 
« Parmi les plus anciens motifs du livre figure l’évocation des sensations du réveil et des impressions matinales liées aux bruits de la rue, qui remonte au Contre Sainte-Beuve (1909). Proust l’insère pendant la guerre dans le récit de la captivité d’Albertine. Jusqu’au dernier matin, quand Françoise, la vieille domestique, annonce le départ de la jeune fille, les réveils du héros dans sa chambre scandent le récit de La Prisonnière, tel un leitmotiv. »
- Les « cris de Paris » 
« Proust avait dépêché un de ses anciens concierges, nommé Charmel, pour recueillir les « cris de Paris » déclamés par les vendeurs ambulants dans la capitale. Ce « reportage » pris sur le vif est ajouté tardivement à la matinée de la « troisième journée » de La Prisonnière. Les cris alimentent aussi une réflexion sur les rapports entre musique populaire et musique savante, tout en excitant la sensuelle Albertine et donc la jalousie du héros. On voit ici un exemple ce que Proust a appelé en 1922 son « espèce d’acharnement » au travail. »
- La mort de Bergotte 
« L’écrivain Bergotte meurt devant le tableau de Vermeer Vue de Delft, en visitant une exposition consacrée à la peinture hollandaise à laquelle il s’était rendu malgré une crise d’urémie. L’épisode, absent du manuscrit rédigé en 1916, apparaît dans un cahier d’ajoutages. Il fut rédigé en mai 1921 et inséré dans la troisième dactylographie de La Prisonnière. Proust venait de se rendre au musée du Jeu de Paume, accompagné par le critique Jean-Louis Vaudoyer pour admirer cette oeuvre qu’il qualifiait de « plus beau tableau du monde ».
- Le septuor de Vinteuil 
« Proust inventa le personnage de Vinteuil en corrigeant les épreuves de Du côté de chez Swann en mai 1913, après avoir entendu la sonate pour violon et piano de Franck. Jusque-là, le compositeur de la « petite phrase », nommé Berget, était très secondaire. Proust imagina dès la fin de 1913 une oeuvre posthume de Vinteuil qui dépasserait sa sonate, d’abord une « cantate sublime », puis un quatuor inspiré de Franck, Fauré, Beethoven, etc., enfin un septuor. Ce septuor, conçu dans le Carnet 3, est ensuite décrit plus amplement dans le Cahier 73. Le héros y reconnaît les cloches de Combray. »
« Alors que la sonate appartenait au XIXe siècle, le septuor est une oeuvre moderne ou même d’avant-garde. Celui-ci appartient pleinement au XXe siècle et représente la modernité esthétique de la dissonance1. »
- La fuite et la mort d’Albertine 
« La fin tragique de l’« épisode » d’Albertine transpose le drame que Proust traverse après la fuite et la mort accidentelle de son ex-chauffeur et secrétaire, Alfred Agostinelli. Ses cahiers de 1913 et 1914 prennent parfois l’accent d’un journal intime. En 1922, sur la dactylographie d’Albertine disparue, Proust fait mourir Albertine « au bord de la Vivonne », c’est-à-dire non loin de Montjouvain où réside Mlle Vinteuil. Ainsi semble se confirmer l’intimité entre les deux jeunes filles. »
- Le séjour à Venise 
« Attendu depuis le premier volume, le séjour à Venise du héros avec sa mère est retardé après la mort d’Albertine et marque l’oubli définitif de la jeune fille. Venise est le cadre de poursuites érotiques, mais aussi de promenades avec Maman, dont l’image est pieusement chérie. À la fois somptueuse et familière, la ville se révèle pourtant décevante. Elle reviendra, glorieuse, au moment de la première épiphanie du Temps retrouvé. Proust aura remis plusieurs fois sur le métier l’épisode vénitien, sans jamais parvenir à l’achever. »

7 BIS - Mort de Marcel Proust 
Monsieur est toujours plus que jamais résolu à ne pas se laisser soigner
« À l’automne de 1922, Marcel Proust, déjà très affaibli par un asthme chronique, contracte une pneumonie et refuse tous les soins. Vers la fin d’octobre, il dessine les contours d’une Albertine disparue ramassée en deux chapitres, et au début de novembre, fait parvenir à son éditeur Gaston Gallimard la dactylographie corrigée de La Prisonnière (1ère partie de Sodome et Gomorrhe III). Il s’éteint le 18 novembre. La nuit précédente, il dictait encore à Céleste Albaret des ajoutages pour la mort de Bergotte, évoquait l’« incroyable frivolité des mourants », et griffonnait sur une enveloppe des notes pour la suite d’Albertine disparue. Publiée dans La NRF du 1er décembre, quelques jours après sa mort, l’annonce du plan qu’il prévoyait pour la suite et la fin d’À la recherche du temps perdu montre qu’il aura tenu, jusqu’au bout, à la « construction » de son oeuvre. »
- Histoire de la publication
« Gaston Gallimard avait reçu de Proust la dactylographie corrigée de La Prisonnière le 7 novembre 1922. Les épreuves établies à titre posthume furent corrigées par son frère, le docteur Robert Proust, et par le fidèle Rivière, et le volume parut sous le titre La Prisonnière (Sodome et Gomorrhe III) en novembre 1923. Une édition secrètement restaurée d’Albertine disparue fut publiée deux ans plus tard. Ne retrouvant ce titre sur aucun des manuscrits de Proust alors connus, les éditeurs de la première « Pléiade » revinrent en 1954 au titre La Fugitive, que Proust avait mentionné dans sa correspondance. »

8 - Sodome et Gomorrhe, suite 
Je me vois d’ici calciné par ce feu du ciel, comme un habitant de Sodome
« Proust aura beaucoup changé d’avis sur la répartition de la matière de Sodome et Gomorrhe. Cependant il n’aura jamais varié sur son envergure, qui, dès le plan de 1918, occupe tout l’espace romanesque entre Le Côté de Guermantes et Le Temps retrouvé. Sodome et Gomorrhe III s’achevait au départ de Venise par la nouvelle du mariage de Gilberte Swann et Saint-Loup. La « suite » de Sodome et Gomorrhe « en plusieurs volumes », deux ou trois peut-être, culmine dans la découverte de l’homosexualité de ce dernier, et l’épisode des plaisirs masochistes de Charlus pendant la guerre, sous les bombardements de la nouvelle « ville maudite ». La dernière rencontre du héros avec le couple formé par le baron vieilli et Jupien fait écho à leur « conjonction » surprise des années plus tôt. Ainsi se referme le cercle de Sodome, juste avant Le Temps retrouvé. »
- Le chagrin et les enquêtes 
« Parmi les deux cent cinquante pages « ôtées » par Proust de la dactylographie d’Albertine disparue en 1922, plus de la moitié portaient sur le chagrin de la mort d’Albertine et les enquêtes posthumes conduites par le héros sur ses liaisons homosexuelles. Nul ne sait sous quelle forme Proust les aurait réintroduites dans Sodome et Gomorrhe IV. Moment d’introspection et de descente aux enfers, ces pages sont aujourd’hui reprises dans la plupart des éditions d’Albertine disparue, parfois intitulé La Fugitive. »
- Paris à l’arrière, pendant la guerre 
« La guerre, bien entendu, ne figurait ni dans le projet de 1909 ni dans le roman de 1912 et 1913. L’actualité conduisit l’écrivain à « introduire non pas la guerre même mais quelques-uns de ses épisodes » dans son oeuvre. C’est donc l’arrière qui est décrit. « M. de Charlus trouve d’ailleurs son compte dans ce Paris bigarré de militaires comme une ville de Carpaccio », un Paris qui rappelle le Bagdad des Mille et Une Nuits, mais aussi Pompéi et Sodome. Proust assista aux bombardements et aux combats aériens de 1917-1918, et les intégra aussitôt à son manuscrit. »
- L’hôtel de Jupien 
« C’est la troisième grande scène de voyeurisme dans le roman après celle de Montjouvain dans « Combray » et la rencontre de Charlus et Jupien dans Sodome et Gomorrhe I. Lors de son séjour parisien en 1916, le héros visite l’hôtel pour hommes où aristocrates et soldats se mêlent, où Saint-Loup perd sa croix de guerre, et où Charlus se fait enchaîner par un garçon boucher. L’épisode fut mis au point dans le manuscrit au net rédigé pendant la guerre. Ce « temple de l’Impudeur » rappelle l’hôtel Marigny de la rue de l’Arcade à Paris, tenu par Albert Le Cuziat et que Proust fréquentait. »

9 - Le Temps retrouvé 
Long à écrire
« C’est le dénouement esthétique et romanesque de l’oeuvre. Alors qu’il a renoncé à sa vocation, le héros a la révélation d’un art d’écrire, fondé sur la sensation, la mémoire et la métaphore, qui lui permettra de retrouver « un peu de temps à l’état pur ». En 1912 et 1913, dans ses lettres aux éditeurs, Proust faisait état d’un roman en deux volumes symétriques : Le Temps perdu et Le Temps retrouvé, sous le titre général Les Intermittences du coeur. Le premier volume a explosé durant la guerre et les titres intermédiaires se sont multipliés, mais Le Temps retrouvé a subsisté, avec ses deux parties « L’Adoration perpétuelle » et « Le Bal de têtes », qui ont été fixées dès 1910-1911. »
- « L’adoration perpétuelle » 
« Le héros, se rendant à une matinée chez la princesse de Guermantes, éprouve trois réminiscences (pavés inégaux, bruit d’une cuiller, serviette empesée) qui lui révèlent l’instrument de son art : c’est la sensation. Elle déclenche la mémoire involontaire, annule le temps et exprime l’essence des choses. Cette épiphanie a lieu dans la bibliothèque du prince de Guermantes. Proust confia à Paul Souday en décembre 1919 : « Le dernier chapitre du dernier volume a été écrit tout de suite après le premier chapitre du premier volume. Tout “l’entre-deux” a été écrit ensuite. »
- Le « bal de têtes »
« Introduit dans la réception chez la princesse de Guermantes, le narrateur découvre ce que Proust nomme le « bal de têtes ». Cette mascarade, où les personnages vieillis lui apparaissent comme grimés, avait été ébauchée en 1910-1911, mais elle sera considérablement amplifiée durant la mise au net, truffée d’additions venant des cahiers d’ajoutages et épaissie de paperoles. Le narrateur sait désormais comment réaliser sa vocation d’écrivain et se retire pour se consacrer à une oeuvre qui incorporera le Temps. »
« Dans la galerie, des projections de dessins de personnages, croqués par Proust dans la marge de ses manuscrits, permettent au visiteur de s’immerger dans l’univers créatif de l’écrivain. » 
- Écrire le livre 
« Moment d’effroi, le « bal de têtes » précipite chez le narrateur la prise de conscience qu’il est temps de se mettre à écrire. » 
« Il s’imagine avec la fidèle Françoise, confectionnant les fameuses paperoles : « épinglant ici un feuillet supplémentaire, je bâtirais mon livre, je n’ose pas dire ambitieusement comme une cathédrale, mais tout simplement comme une robe ». Rédigé dès 1917 et enrichi jusqu’à la fin, le Cahier XX entérine « l’ampleur du plan de l’architecte » : « Combien de grandes cathédrales restent inachevées ! »
- Histoire de la publication 
« Après La Prisonnière et Albertine disparue, Robert Proust se charge de la révision du Temps retrouvé dont il a fait établir la dactylographie à partir des six derniers cahiers manuscrits rédigés par son frère (Cahiers XV-XX). Son édition commence par les chapitres qui auraient dû faire partie de Sodome et Gomorrhe (suite) : « Nouvel aspect de Robert de Saint-Loup » et « M. de Charlus pendant la guerre ». La NRF en donne de longs extraits en prépublication. »
« C’est en 1927 que Gaston Gallimard obtient enfin l’accord de Robert Proust pour la tomaison « plus rationnelle » d’À la recherche du temps perdu qu’il appelait de ses vœux depuis mars 1923. Les deux volumes consacrés au Côté de Guermantes sont regroupés. Sodome et Gomorrhe réduit et rassemblé en un tome unique. Mais Robert Proust s’oppose à la demande de « placer en marge des volumes des notes de nature à faciliter la lecture de l’oeuvre ».

10 - La dernière phrase 
dans le Temps
« Dans une image finale saisissante, Proust juche les hommes, ces « géants plongés dans les années », sur les immenses échasses du Temps dont ils finissent par tomber. Les derniers mots du livre : « dans le Temps », rejoignent le premier « Longtemps », invitant au labyrinthe d’une relecture indéfinie. Ce n’est pas juste avant de mourir, en 1922, selon la légende posthume tenace, mais peut-être dès 1917, que Proust aurait lancé à Céleste Albaret la phrase fameuse : « J’ai mis le mot Fin ! » Employant les cinq dernières années de sa vie à conduire aussi loin que possible l’édition de son livre, il n’aura jamais le temps d’en relire la dernière phrase que les éditeurs successifs du Temps retrouvé devront en partie dégager de ses ratures. Lui-même, après l’avoir inscrite, la prolongera immédiatement, comme s’il était impossible d’arrêter d’écrire. »
« Comme pour la première phrase de la Recherche, toutes les étapes de construction de cette dernière phrase s’offrent au visiteur, grâce à des projections sur les murs de la salle permettant de voir ratures et ajouts. » 

Focus d’oeuvres

Marcel Proust. À l’ombre des jeunes filles en fleurs, planche n°17 sur les épreuves NRF, pliée et glissée dans l’exemplaire n°XIX de l’édition de luxe de 1920
Fragments d’épreuves corrigées et ajouts manuscrits
BnF, Réserve des livres rares
« La dactylographie des cahiers, elle-même corrigée et enrichie par Proust, est ensuite composée typographiquement par l’imprimeur sur de grands placards de huit pages, puis sur des jeux d’épreuves proprement dites, c’est à dire page à page. Proust révise à nouveau son texte. Il n’hésite pas à découper des fragments pour les déplacer, ni à coller des béquets pour ses ajouts. L’abondance des corrections complique le travail des typographes, et explique la multiplication des jeux d’épreuves (cinq par exemple pour Du côté de chez Swann). »
« Lors de l’édition d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs, en 1917 et 1918, Mlle Rallet, dactylographe de la NRF veut faciliter le travail des imprimeurs : elle découpe et redispose, sur de grandes planches, les éléments des placards corrigés, puis des épreuves et même de pages manuscrites. Proust obtient de Gallimard une édition de luxe d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs : cinquante-et-un exemplaires truffés de deux planches au moins. « J’ai alors eu l’idée suivante que je vous soumets. (Divers amateurs de livres l’ont fort approuvée.) On ferait, en dehors des exemplaires retenus par la Société des B[ibliophiles], un tirage d’une vingtaine d’exemplaires à chacun desquels j’adjoindrais une vingtaine de pages de mes épreuves corrigées (les gracieux chefs-d’oeuvre de Mlle Rallet). Je signerais ces exemplaires qui pourraient être vendus chacun 300 fr. » (extrait de correspondance avec Gaston Gallimard). » 
« Une trentaine de ces planches pour l’édition d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs sont pour la première fois physiquement et virtuellement réunies dans l’exposition. »

Marcel Proust. Les Soixante-quinze feuillets
1908
Manuscrit autographe
BnF, département des Manuscrits, legs Bernard de Fallois, 2020
« En 2020, l’entrée dans les collections de la BnF du manuscrit des Soixante-quinze feuillets constitue l’étape la plus remarquable de l’histoire récente du fonds Proust. Longtemps connu uniquement sous la forme d’une allusion qu’y faisait Bernard de Fallois, en 1954, dans la préface de son édition du Contre Sainte-Beuve, il était resté inédit depuis. Réapparu à la mort de ce dernier, en 2018, il est légué à la Bibliothèque nationale de France. Il a été publié en 2021 par Nathalie Mauriac Dyer. » 
« Rédigé sur des feuillets de grand format, ce manuscrit porte la version la plus précoce connue à ce jour de quelques épisodes d’À la recherche du temps perdu (« Une soirée à la campagne », « Le côté de Villebon et le côté de Meséglise », « Séjour au bord de la mer », « Jeunes filles », « Noms nobles » et « Venise »). » 

Marcel Proust. L’Agenda 1906
1909-1913
BnF, département des Manuscrits
« Acquis par la BnF grâce au mécénat en 2013, l’Agenda 1906 de Marcel Proust est un document exceptionnel. C’est d’abord un carnet de travail que l’écrivain a utilisé en 1909 puis en 1913 pour y noter des vérifications à faire en vue de son roman, mais aussi un surprenant carnet intime. La densité de ses annotations en fait une pièce unique car il recèle tout l’univers de « Combray » : promenade au Bois de Boulogne, jeu de billes, petite phrase de violon... autant d’éléments qui se retrouveront dans le roman. Le carnet contient des listes de termes - d’architecture, de cuisine, de botanique - et de noms, témoins des essais et recherches de l’écrivain. »
Son édition nativement numérique (2015) est librement accessible :
https://books.openedition.org/editionsbnf/1457

Marcel Proust. Du côté de chez Swann
Paris, Grasset, 1913
« BnF, Réserve des livres rares, acquis par souscription publique en 2021
En novembre 1915, Proust insère dans l’exemplaire de Du côté de chez Swann appartenant à son amie Marie Scheikévitch une lettre-dédicace de huit pages : « Prêtez-moi votre exemplaire et je vais vous résumer la suite », lui avait-il écrit. À l’aide de citations tirées de ses cahiers, il annonce le rôle que le nouveau personnage d’Albertine jouera dans les volumes suivants. Cet exemplaire a été acquis par la BnF en mars 2021 grâce à une souscription qui a réuni de nombreux dons de particuliers. Il est exposé ici pour la première fois. »

Marcel Proust. Cahier XX 
1917-1919
Manuscrit autographe
BnF, département des Manuscrits 
« Mes livres sont une construction, mais à ouverture de compas assez étendue pour que la composition, rigoureuse et à qui j’ai tout sacrifié, soit assez longue à discerner », disait Proust. « On ne pourra le nier quand la dernière page du Temps retrouvé se refermera exactement sur la première de Swann ». Les derniers mots du livre rejoignent le premier : « dans le Temps » nous ramène à « Longtemps ». Il n’aura jamais le temps de relire la dernière phrase de son oeuvre que les éditeurs successifs du Temps retrouvé devront en partie dégager des ratures de cette page du cahier XX : 
« ne manquerais-je pas d’abord… d’y décrire les hommes… »
« … cela dût-il les faire ressembler à des êtres monstrueux, comme occupant une place si considérable à côté [de] celle si restreinte qui leur est réservée dans l’espace, une place au contraire prolongée sans mesure, puisqu’ils touchent simultanément comme des géants plongés dans les années[,] des époques vécues par eux, si distantes, entre lesquelles tant de jours sont venus se placer — dans le Temps » « Fin. »

Les cahiers de Marcel Proust
Cahier 71 « Dux ». 1913-1914
Cahier 54 « Venusté ». 1914
BnF, département des Manuscrits
La BnF conserve dans ses collections 75 cahiers de brouillon et 23 cahiers de mise au net de la main de Proust, soit sept mille pages écrites environ. Proust en aurait pourtant fait brûler pas moins de trente-deux par Céleste Albaret. 
Il écrivait sur des cahiers d’écolier selon un processus non linéaire, non chronologique. Il pouvait travailler sur plusieurs cahiers en même temps. On distingue dans le corpus conservé à la BnF plusieurs usages à ces supports : les cahiers « de brouillon » se composent de morceaux indépendants, que Proust agence ensuite dans des cahiers « de montage » avant de réécrire les grands épisodes de son récit dans des cahiers de « mise au net ». Chaque étape fait cependant l’objet de réécriture, de réagencement et d’ajouts. Il prend soin de nommer certains cahiers : « Dux », « Vénusté », « Fridolin », « Babouches », le « cahier noir Serviette »...
Avec le nombre croissant de ses documents, Proust a affiné son système de renvois entre les différents morceaux de son oeuvre : certaines pages essentielles à ses yeux sont ainsi identifiées d’un mot emblématique, tel « Mors » inscrit en rouge dans le Cahier 54 marquant l’épisode de la mort d’Albertine. 
« MORS / (Ceci s’intercalera dans les pages qui commencent 31 pages plus haut et peut-être commandera comme une armature tout ce qui suit la nouvelle de sa mort) / La suppression de ma douleur ? […] Il faudrait pour cela que la mort, en supprimant l’être hors de nous, supprimât l’être qui est en nous. Or insensé que j’étais… »
« Ce corpus de cahiers est intégralement numérisé dans Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF. La complexité même de ces oeuvres à part entière en fait une ressource essentielle dans la compréhension de la fabrique du récit. »

Repères biographiques

« 1871 : le 10 juillet, naissance de Marcel Proust à Paris. Son père, Adrien Proust, est médecin ; sa mère, Jeanne Weil, est la fille d’un associé d’agent de change.
1873 : le 24 mai, naissance de son frère Robert.
1889 : reçu bachelier ès lettres. Service militaire à Orléans.
1890 : mort de sa grand-mère maternelle, Adèle Weil, née Berncastell. Inscription à la faculté de droit de Paris et à l’École libre des sciences politiques. Premiers articles, sous divers pseudonymes, dans la revue Le Mensuel.
1892 : avec ses amis du lycée Condorcet, Robert Dreyfus, Daniel Halévy, Jacques Bizet, Fernand Gregh et Louis de La Salle, fonde la revue Le Banquet.
1895 : Proust est reçu à la licence ès lettres (philosophie). Il fréquente les salons et le monde. Commence Jean Santeuil, première tentative romanesque qu’il abandonne en 1899.
1896 : mort de son grand-père, Nathé Weil. Parution de son premier livre, Les Plaisirs et les Jours, illustré par Madeleine Lemaire, avec une préface d’Anatole France et quatre pièces pour piano de Reynaldo Hahn.
1900 : publications d’articles sur John Ruskin, esthéticien anglais. Deux séjours à Venise.
1903 : début d’une série de salons mondains pour Le Figaro. Le professeur Adrien Proust meurt le 24 novembre.
1904 : traduction et préface de La Bible d’Amiens, par John Ruskin.
1905 : Jeanne Proust meurt le 26 septembre.
1906 : traduction de Sésame et les lys, par Ruskin 
1907 : Proust publie plusieurs articles dans Le Figaro, dont « Sentiments filiaux d’un parricide » (1er février), sur un fait divers, et « Impressions de route en automobile » (19 novembre), inspiré par ses excursions normandes avec le jeune chauffeur Alfred Agostinelli.
1908 -1909 : prenant prétexte d’une affaire de faux diamants, Proust rédige « L’Affaire Lemoine », série de pastiches qui paraissent dans le Supplément littéraire du Figaro. Il se lance dans un roman qui deviendra À la recherche du temps perdu et dans une étude sur Sainte-Beuve.
1910-1912 : Proust rédige la première version de Le Temps perdu et Le Temps retrouvé, sous le titre général Les Intermittences du coeur.
1913 : Le Temps perdu, refusé par Fasquelle, Ollendorff et la NRF, paraît à compte d’auteur chez Bernard Grasset sous le titre Du côté de chez Swann.
1914 : mort accidentelle d’Alfred Agostinelli, devenu le secrétaire de Proust. La guerre interrompt la publication d’À la recherche du temps perdu.
1916 : Marcel Proust reprend contact avec Gaston Gallimard, qui devient son éditeur pour la suite de La Recherche.
1919 : parution aux Éditions de la NRF d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs, qui obtient le prix Goncourt. Nouvelle édition de Du côté de chez Swann, où Combray est déplacé sur la ligne de front.
1920 -1922 : parution de Le Côté de Guermantes I, Le Côté de Guermantes II - Sodome et Gomorrhe I, Sodome et Gomorrhe II. Proust prépare le texte de Sodome et Gomorrhe III et IV, et de la « suite de Sodome et Gomorrhe ».
18 novembre 1922 : mort de Marcel Proust.
1923 -1927 : éditions posthumes de La Prisonnière (Sodome et Gomorrhe III), Albertine disparue, Le Temps retrouvé préparées par Robert Proust et l’équipe de la NRF.
1952 -1954 : éditions posthumes de Jean Santeuil et Contre Sainte-Beuve. Première édition d’À la recherche du temps perdu dans la Bibliothèque de la Pléiade.
1962 : la Bibliothèque Nationale acquiert le fonds Proust. »

Entretien avec les commissaires de l’exposition
Propos recueillis par Sylvie Lisiecki

« L’exposition Marcel Proust, la fabrique de l’oeuvre est la quatrième réalisée par la BnF sur l’auteur d’À la recherche du temps perdu : qu’est-ce qui la distingue des précédentes ? 
Guillaume Fau : C’est le seul cas d’un auteur de la littérature française qui ait été montré aussi régulièrement depuis sa mort : en 1947, en 1965, en 1999, une fois par génération ou presque. Outre le fait que nous commémorons le centenaire de sa mort, cette exposition se distingue car elle apporte un nouvel éclairage sur les progrès de la connaissance et de la recherche autour de la genèse d’À la recherche du temps perdu à partir du fonds exceptionnel de manuscrits conservé à la BnF ainsi que de documents inédits.

Le parcours de l’exposition suit l’ordre des tomes de la Recherche. Pourquoi ce choix ? 
Nathalie Mauriac : Suivre l’ordre de l’écriture aurait été très complexe, car Proust a écrit le premier et le dernier tome en même temps ou presque et a opéré de multiples changements dans l’organisation de l’oeuvre. Nous avons donc traité la genèse du roman en déroulant l’ordre des volumes, de Du côté de chez Swann paru en 1913 au Temps retrouvé publié à titre posthume en 1927, mais en respectant la tomaison originale voulue par Proust, souvent méconnue. Il y aura donc quelques surprises pour le visiteur. 
Antoine Compagnon : À chaque volume correspond une salle de l’exposition, avec son choix d’épisodes, certains très attendus – comme la madeleine ou la sonate de Vinteuil – et d’autres moins connus. Le visiteur peut parcourir l’exposition de deux façons : en suivant le fil du roman tel qu’il a été publié et, à l’intérieur de chaque salle, en se déplaçant dans la genèse du roman, ce qui donne le sentiment de l’épaisseur de cette écriture.

La première salle est consacrée à la célèbre première phrase de l’oeuvre: « Longtemps, je me suis couché de bonne heure. » Comment est née cette phrase ? 
G. F. : L’exposition présente une animation visuelle qui permet d’appréhender les différentes versions de ce début depuis la première dactylographie corrigée, datant de 1909-1912, sur laquelle la phrase apparaît jusqu’à la version définitive sur les placards corrigés où elle est biffée puis rétablie. Cela donne à voir le côté précaire et fragile de la genèse du texte. 
N. M. : On sait que la Recherche commence par « Longtemps » et se termine par « dans le Temps ». Nous avons voulu rendre sensible ce caractère cyclique en offrant dès l’entrée de l’exposition une percée vers la dernière salle. On y verra aussi s’écrire le fameux mot « Fin ».

La salle consacrée au Côté de Guermantes II – Sodome et Gomorrhe I est une salle pivot dans le parcours… 
G. F. : Ce tome est en effet le lieu d’un basculement. C’est le moment où le héros arrive au bout de son initiation mondaine, ne croit plus à la poésie des Guermantes. À travers un comportement voyeuriste, il découvre les goûts homosexuels de monsieur de Charlus et entrevoit alors l’envers du monde : c’est Sodome et Gomorrhe à partir duquel le roman bascule dans l’approfondissement de la réalité. 
N. M. : Proust tenait au plus haut point à la composition de son oeuvre. Le tome Le Côté de Guermantes II – Sodome et Gomorrhe I est le moment charnière où les choses s’inversent et c’est aussi le « centre » de l’oeuvre. Nous avons voulu faire sentir au visiteur cette construction en diptyque, d’autant qu’elle a été masquée par les réaménagements posthumes de l’édition.

Quelles sont les pièces majeures qui sont exposées ? 
G. F. : Le public découvrira des pièces présentées pour la première fois, comme le spectaculaire exemplaire de Du côté de chez Swann portant un très long envoi de 1915 à Marie Scheikévitch, récemment acquis par la BnF grâce au mécénat, qui dévoile le devenir des personnages du roman, ou le manuscrit de grand format des Soixante-quinze Feuillets, la plus précoce ébauche de l’oeuvre. On y trouvera aussi un ensemble de « planches » relatives à la genèse d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs, d’autant plus important que le manuscrit de ce tome n’existe plus puisqu’il a été dispersé par Proust dans les 51 exemplaires d’une édition de luxe en 1920. Les manuscrits, venus pour la plupart de l’exceptionnel fonds du département des Manuscrits de la BnF, forment bien sûr le cœur du propos. 
N. M. : Nous avons aussi bénéficié de prêts de manuscrits et de photographies inédits. Et grâce à la contribution de plusieurs musées parisiens, on pourra voir des chefs-d'œuvre de Monet et Turner (admirés par Proust), un tableau d’Hubert Robert, James Tissot… sans compter des robes de Fortuny, des ouvrages de la bibliothèque de l’écrivain…

L’exposition s’attache à montrer la réalité du travail de l’écrivain… 
A. C. : Marcel Proust n’a pas écrit son oeuvre de façon linéaire du début à la fin, mais par séquences isolées au départ qu’il a montées, démontées, remontées parfois des années plus tard dans un vaste travail de placement du texte et des épisodes. 
G. F. : Certains de ces fragments sont regroupés dans la dernière salle, dans une présentation de ce que nous avons appelé des « copeaux » de texte, à l’image de ceux qui tombent d’un morceau de bois qu’un artisan est en train de travailler. Ils regroupent quelques cahiers, mais surtout des chutes, des fragments de notes, des passages qui dans leur foisonnement figurent bien cet intense travail de la création et de l’écriture. 
N. M. : Il y a dans l’ampleur du travail de Proust quelque chose de démesuré dont témoigne la matérialité même de ses manuscrits, à commencer par les fameuses paperoles, ces accordéons de fragments raboutés et collés dans ses cahiers. Nous en montrons plusieurs dans les dernières salles.

Certains proches de Marcel Proust ont joué un rôle important dans la genèse de l’oeuvre… 
G. F. : Proust était en rapport avec de nombreuses personnes ! C’était l’être le plus sociable qui soit… Il avait des informateurs qu’il interrogeait sur des points techniques, et aussi plusieurs secrétaires. Il faut mentionner Mademoiselle Rallet, la secrétaire des éditions de la NRF qui a eu l’idée de découper les « placards » corrigés d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs, parce qu’ils étaient trop raturés et donc illisibles, et de les coller sur de grandes planches. Son travail a tellement ébloui Proust qu’il en a fait le point de départ d’une édition de luxe ! 

A. C. : La correspondance de Proust est une mine pour comprendre comment il travaillait ! L’image de l’écrivain solitaire, retiré du monde, qui lui est associée est un mythe. Elle est vraie entre 1909 et 1911, où il ne publie rien et écrit le noyau du roman. Mais le reste du temps, il est en lien avec toutes sortes d’informateurs, il cherche des renseignements auprès de ses proches, de domestiques, de serveurs de restaurants… Sa correspondance fait partie de la fabrique de son écriture. La vie et l’oeuvre se confondent, tout ce que fait Proust devient la matière de l’oeuvre.

L’exposition s’appuie sur les résultats de la recherche proustienne depuis vingt ans. Quelles ont été ses avancées les plus importantes ? 
G. F. : Ces vingt dernières années, et la récente acquisition des Soixante-quinze Feuillets le confirme, ont été très riches. Les manuscrits, correspondance comprise, sont aujourd’hui intégralement numérisés et disponibles gratuitement sur Gallica.
A. C. : La mise en ligne du fonds a représenté un progrès considérable pour les chercheurs. C’est paradoxal, mais on travaille mieux sur Gallica qu’au cabinet des Manuscrits, grâce aux facilités et au confort offerts par les outils de grossissement, de téléchargement, d’impression ou d’affichage instantané de plusieurs sources. Et la recherche proustienne va dans toutes les directions, biographique, historique, génétique… C’est un véritable renouveau. 
N. M. : Quand j’ai commencé à travailler sur Proust, pour se rendre au département des Manuscrits il fallait une autorisation et c’était tout un rituel. Ensuite, à l’ITEM, je lisais sur les machines à microfilms. Tout était gris et noir. Les choses ont commencé à changer en 2004 avec la numérisation du fonds, achevée en 2012, qui a rendu possible de nouvelles entreprises éditoriales. C’est ainsi que l’Agenda 1906, acquis par la BnF en 2013 – un carnet de notes préparatoires à la première partie de Du côté de chez Swann –, a pu être édité en format numérique. Il a fallu créer environ 250 hyperliens dans Gallica pour contextualiser ce petit document ! La numérisation est porteuse de défis pour les générations suivantes dans la mesure où elle offre de très larges possibilités de redéploiement intellectuel de la recherche sur la fabrique de l’oeuvre.

Extrait de l’entretien à paraître dans Chroniques, le magazine gratuit de la BnF, n°95 de septembre/décembre 2022 »


Du 11 octobre 2022 au 22 janvier 2023
Quai François-Mauriac, Paris XIIIe
Du mardi au samedi de 10 h à 19 h | Le dimanche de 13 h à 19 h 
Fermeture lundi et jours fériés

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