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lundi 9 décembre 2019

« ENS : L'école de l’engagement à Paris » par Antoine de Gaudemar et Mathilde Damoisel


Arte rediffusera le 8 décembre 2019 « ENS : L'école de l’engagement à Paris » (Die Pariser ENS), documentaire réalisé par Antoine de Gaudemar et Mathilde Damoisel. « Création de la Révolution française », l'École Normale Supérieure ou « Normale Sup » a favorisé l'éclosion de mouvements » politiques, comme le socialisme, et « intellectuels majeurs comme l'existentialisme ou le structuralisme »


  Arte diffuse la série documentaire Le génie des lieux (Elite-Hochschulen Europas). Un « tour d'horizon en trois épisodes des plus prestigieuses écoles de formation des élites d'Europe ». 

Louis Pasteur, Henri Bergson, Léon Blum, Georges Pompidou, Raymond Aron, Jean-Paul Sartre, Pierre Bourdieu, Michel Foucault, Laurent Fabius, Benny Lévy, Bernard-Henry Lévy, Alain Finkielkraut, Raphaël Enthoven… « Tous ont arpenté les couloirs de l'École normale supérieure ». Citons aussi Lucien Herr (1864-1926), agrégé de philosophie en 1886, bibliothécaire (1888-1926) influent et socialiste de cette grande école.

« Création de la Révolution française, l'Ecole normale supérieure (ENS) a eu pour mission de former les élites, aussi bien littéraires que scientifiques, de la République ». 

Cette « pluridisciplinarité unique en France a favorisé l'éclosion de mouvements intellectuels majeurs, comme l'existentialisme, le structuralisme, mais aussi les mathématiques modernes ». 

« Autre particularité : « Normale sup' » a engendré des générations de savants engagés qui ont pesé dans les débats philosophiques et politiques du XXe siècle, à l'image de Louis Althusser, qui, dans les années 1960 et 1970, a mis son savoir et son autorité morale au service du marxisme. Aujourd'hui, cette tradition d'engagement perdure ».

C’est une des grandes écoles françaises, qui a essaimé ses campus. Le prélude pour certains d’une carrière dans la haute fonction publique, via cursus passant par Sciences Po et l’ENA (Ecole nationale d’administration), et politique.

« En 2015, l'ENS a été la première grande école française à organiser officiellement un programme d'accueil d'étudiants réfugiés ».

« Filmés dans les locaux de l'École normale supérieure, rue d'Ulm à Paris, d'anciens élèves, comme le mathématicien Cédric Villani, témoignent de l'émulation singulière qui règne dans la prestigieuse école ». 

« Au moyen de nombreuses archives, ce premier épisode du « Génie des lieux » dévoile le visage contestataire d'illustres pensionnaires de la rue d'Ulm, mais aussi leur curiosité et leur ouverture d'esprit, montrant comment les nouvelles promotions de normaliens renouvellent cet héritage ».

"Palestinisme"
En 2010, Raphaël Drai, politologue français, avait été invité à une table-ronde à Normale Sup. Il relate les perturbations causées par des "palestinistes" :
"Ce 12 mai 2010 c’était la première fois que je franchissais le portail de l’Ecole Normale Supérieure, 45 rue d’Ulm à Paris.
Même s’il me fallait presser le pas j’étais gagné par une forte émotion me souvenant de la photo fameuse prise en ce lieu prestigieux d’une certaine promotion où s’étaient retrouvés, sauf erreur de ma part, Bergson, Durkheim et Jaurès.
Ce 12 mai, j’avais été convié là, en compagnie de deux collègues, les professeurs Yves-Charles Zarka de Paris V et Elhanan Yakira de l’Université hébraïque de Jérusalem, à une table ronde portant sur le sionisme, organisée avec le complet accord de la Direction de l’établissement. Un groupe d’élèves de la rue d’Ulm l’avaient souhaitée parce que jusqu’à présent, seules les thèses unilatérale de Shlomo Sand sur "l’invention du peuple juif" y avaient eu cours. Pour ma part il s’agissait de participer à une table ronde de philosophie, de science politique et peut être aussi de droit international.
Cependant l’étudiante qui voulut bien m’accueillir à l’entrée de l’Ecole me fit comprendre que dans l’amphi Dussanne où cette table ronde était organisée un tout autre comité d’accueil se tenait prêt. Le temps de m’installer, et apercevant au fond deux rangées d’étudiants et d’étudiantes dont quelques uns, si j’ai bien vu, étaient en survêtement, je compris que la discussion à venir n’allait pas suivre les règles de l’éthique communicationnelle chère à Habermas. Comme, à mon corps défendant, j’étais arrivé un peu en retard, je ne pris pas la parole le premier.
Je devais traiter de la dimension religieuse dans la pensée sioniste et dans l’Etat d’Israël, thème que j’ai analysé par ailleurs dans de nombreux colloques de politologues et de juristes et auquel j’ai consacré des articles de caractère strictement universitaire.
A peine avais-je sorti mes notes et les avais disposées devant moi qu’aussitôt se déchaîna ce que je ne puis qualifier autrement qu’une sauvagerie verbale. Du fond de l’amphi et alors que je n’avais pas encore prononcé une seule phrase sur le sujet dont je devais traiter dans ce lieu dévolu à l’enseignement, les invectives, les injures, les insultes se mirent à pleuvoir : "Sionistes ! Nazis ! Fascistes ! Assassins d’enfants !". Je scrutai le rang d’où provenaient ces salves d’injures.
A l’évidence les étudiants et les étudiantes qui les proféraient ne semblaient pas originaires du Moyen Orient exclusivement mais également de notre belle France. On tenta de rétablir ou plutôt d’établir le calme. Peine perdue. Ces étudiantes et ces étudiantes n’étaient pas venus pour débattre, pour argumenter, mais pour en découdre. Plus d’une fois, nous mêmes, ou les organisateurs de la table ronde, en appelèrent à la raison, aux lois et us de l’Université, expliquant que chacun et chacune aurait l’occasion et le temps de s’exprimer. Les injures et les insultes redoublaient. Violer ces lois et ces usages faisait partie de la démonstration d’emprise sur le site. Le but de l’exercice était manifeste : nous faire quitter l’amphi.
Mes collègues en appelèrent une fois de plus à la raison, au devoir commun, en un tel lieu, d’argumenter, quoi que l’on pense. Les vociférations reprenaient, plus fortes, à la limite extrême du passage à l’acte. Devant un tel déchaînement de haine, pour ce qui me concerne j’avais intérieurement pris deux résolutions : expliquer aux vociférateurs que je n’étais pas venu participer à un meeting mais à une activité d’enseignement et à un débat de nature universitaire, que j’avais accepté volontiers de participer es qualités de professeur d’université à cette table ronde et que c’était à ce titre que je demandais instamment que la nature et la vocation du lieu où nous nous trouvions fussent respectés ; et en même temps j’étais résolu, quoi qu’il arrive, à ne pas quitter physiquement l’amphi avant l’heure prévue. C’est alors qu’il me fut donné d’entendre ceci que je soumets à mes éventuels lecteurs et lectrices : "Vous n’êtes pas professeurs ! Vous êtes sionistes ! Vous êtes racistes ! Assassins d’enfants !" Et le chœur de reprendre : "Gaza ! Check points ! Le mur ! Apartheid ! Goldstone ! Assassins ! Assassins !" D’autres étudiants - du moins ceux qui n’étaient pas sidérés par cette violence plus violente qu’une tentative de lapidation - tentèrent une fois encore de rétablir les droits de la  parole et ceux de la pensée. Les vociférations couvraient leur voix, avec les mêmes slogans granitiques.
Durant une improbable et brève intermittence des cris et insultes je m’approchais du micro et fit observer à l’assistance, par endroits tétanisée : "S’il y des fascistes, des racistes et des nazis ici, c’est sans doute au fond de l’amphi qu’ils se trouvent. Ils me rappellent le sort réservé dans l’entre-deux  guerres au juriste Georges Scelle que des étudiants d’extrême-droite avaient littéralement interdit de cours. Mais nous ne sommes plus dans cette période. Ma consternation ne provient pas de votre attitude qui me paraît plutôt relever du secteur psychiatrique. Elle provient du lieu où nous sommes, auquel sont liés les noms de Bergson, de Durkheim, de Jaurès, d’Aron, de Sartre, pour ne citer qu’eux. Ce que vous faites ne me paraît pas dangereux pour les Juifs de France ni pour l’Etat d’Israël -  ils en ont vu d’autres - mais pour la démocratie française. Car, n’est-ce pas , nous sommes bien à l’Ecole Normale supérieure, rue d’Ulm, à Paris ?". C’est alors que le groupe de vociférateurs et des vocifératrices déployant des drapeaux palestiniens se résolurent à quitter l’amphi Dussane où nous étions demeurés malgré leurs invectives ou même à cause d’elles, aux cris, décidément exutoires et exécutoires, d’ "Israël assassin ! Palestine vaincra". Je n’avais  toujours pas prononcé le premier mot de ma communication. Nous étions arrivés à la moitié de l’horaire prévu. Dans le silence tordu qui suit les orages de grêle, nous essayâmes de nous exprimer et la parole universitaire, non sans mal, retrouva ses droits.
Depuis des décennies à présent, et particulièrement en Europe, le mot "sionisme" a été tellement stigmatisé qu’on éprouve d’immenses difficultés à vouloir en rétablir la signification précise, comme on le ferait dans n’importe quel séminaire d’histoires des idées politiques pour tout autre mouvement idéologique et politique : le communisme ou le gaullisme par exemple. Au delà de ses contenus objectifs ou de ses connotations subjectives, ce mot, véritable "shifter" mental, provoque des arcs de haine inouïs, quasiment électriques. Certainement ceux qui se proclament "antisionistes" militants se défendent d’être antisémites. Cependant, dans un univers où les repères, disloqués, ont eux-mêmes besoin d’être identifiés et reconstitués ce sont les conduites effectives qui valident ou non nos pétitions de principe. Il suffit de constater comme ce fut le cas rue d’Ulm ce qu’est le "comportement antisioniste" pour constater que par ses excès, par ses outrances, par l’impossibilité que la moindre parole y trouve la plus petite prise, il est bien homologue au comportement antijuif. Dans l’amphi de la rue d’Ulm, face à ce déchaînement de violence, tandis que la parole se dénaturait en éructations, devant la haine pure que suscitait le prononcé du simple mot "Israël", m’est revenu également à l’esprit le reportage que fit Joseph Kessel en 1932 d’un meeting du Parti hitlérien : "Le mot Jude était entendu par la foule avant même qu’il ne fût sorti de la bouche de l’orateur".
La tentation est grande de convoquer la psychanalyse, de diagnostiquer des mécanismes pathologiques de projection, de transfert d’une haine intime, sans doute héréditaire, non pas même sur un groupe humain censé l’incarner réellement, puisque ce groupe est parcouru de courants divers, souvent durement opposés, mais sur le simple nom qui désigne un tel groupe, pour le coaguler dans une haine incandescente et l’atomiser. Car ce dont nous avons été les témoins rue d’Ulm, ce harcèlement destiné à vous faire rentrer les mots dans la gorge, se produit actuellement en France dans bien d’autres endroits : réunions publiques, supermarchés, inaugurations de sites ou de rues dès lors qu’y est mentionné d’une manière ou d’une autre l’Etat d’Israël. Dans l’amphi de l’ENS, les trois professeurs d’université qui devaient y intervenir furent amalgamés dans la même détestation horrifique et - verbalement - exterminatrice. Nous fumes accusés de nous être donné le mot pour déverser notre propagande au profit d’un Etat assassin et au détriment d’un peuple martyr. Pour ce qui me concerne, je voyais pour la première fois mon collègue Yakira, de surcroît homme de gauche, et ne savais strictement rien de ce qu’il allait dire au cas où il pourrait parler.
Tout cela est possible en France, dans notre régime républicain. Aux dires d’étudiants juifs, il est des universités où, sous l’emprise des groupes qui y propagent un pro-palestinisme virulent, les identifier d’une manière ou une autre comme attachés à l’existence de l’Etat d’Israël les y rendrait interdits de séjour. De pareilles actions de choc, sollicitant cette réactivité pavlovienne dont Tchakotine a donné une analyse désormais classique, visent toutes le même objectif : miner la légitimité de l’Etat d’Israël, lui ôter sa raison d’être, de sorte à justifier les entreprises de destruction qui le visent. A ce titre, même la solution dite "des deux Etats" reprise et promue par l’administration Obama, pétrie de bonnes intentions, paraît difficilement réalisable. Si cette coexistence implique a minima des conduites de bon voisinage, qui donc accepterait dans la vie courante d’avoir sur son pallier des voisins se comportant comme les vociférateurs haineux de la rue d’Ulm ?
De cette situation plus que préoccupante, je ne tiendrais pas cette génération idéologique pour directement responsable. Sans doute a t-elle besoin d’idéal et se raccroche t-elle à celui mis à sa portée. Les véritables responsables sont plutôt les philosophes, les libellistes, qui vouent à l’Etat d’Israël une haine non moins virulente mais qui, eux, sont en mesure de la couler en idées articulées, en mots savants, en pensée "clefs en main", et cela d’Alain Badiou à Régis Debray. Le premier, virtuose du sophisme, semble tout à fait fâché  avec la relation de cause à effet, ou avec le principe de contradiction. A ses yeux, si l’Etat d’Israël agit comme il croit devoir le faire c’est par pure malfaisance, par perversion congénitale. La raison d’être de cet Etat se trouverait dans la persécution de ses voisins et par là, pour l’exprimer dans ce style inimitable qu’affectionnent les penseurs ivres de leur propre phraséologie, elle se trouve, circulairement, dans la destruction … de sa propre raison d’être. Formulation up to date de l’antique malédiction : "Que son sang retombe sur nos têtes". Mais Alain Badiou, qui a longtemps labouré rue d’Ulm, est officiellement agnostique. Sur ce terrain là il vient hélas d’être rejoint par Régis Debray qui,  lui non plus, se proclamant philosémite, ne fait symétriquement grâce de rien à l’Etat d’Israël, à son  gouvernement et partant à sa population, selon un identique schéma de pensée qui se rapporte sans doute aux mêmes années et sources de formation. Son nouveau pamphlet n’appellerait que la compassion envers un intellectuel qui ayant commencé comme Guevara finit comme Garaudy si justement elle n’ensemençait à son tour le champ de haine que nous avons vu rue d’Ulm agité par un vent qui la propagera au dessus des murs de Normale Sup'.
Une rue d’Ulm où je me suis retrouvé  enfin à l’air libre, en me demandant si j’avais été présent, durant deux heures et demi, à l’ENS, haut lieu de formation des élites de la République, ou salle Wagram après une exhibition de mauvais catch. En retournant vers le métro Luxembourg, me revenait, lancinante, une des phrases que j’avais pu dire à l’intention de cet auditoire, en pensant à Theodor Herzl, à la commotion psychique et politique qui le mit en mouvement après avoir assisté à la dégradation du capitaine Dreyfus dans la cour de l’Ecole militaire assortie déjà  des cris haineux qu’il entendit alors : "En entrant dans cet amphi je ne savais pas très bien comment l’on devient sioniste. Maintenant, je le comprends mieux".

Médine
En 2017, trois ans après avoir été accueilli par l'ESSEC, l'ENS a reçu Médine, rappeur controversé, comme maître de conférences, "à l’occasion de la sortie de son nouvel album « Prose Élite » où le rappeur apparaît aux côtés d’un portrait de Victor Hugo sur la pochette de couverture. Dans l’enceinte du noble édifice de la rue d’Ulm, le rappeur a disserté sur ses lyrics, ses inspirations, son style face à une salle comble de 200 personnes, archétype de l’élite intellectuelle française. Médine n’a pas hésité à se comparer à Victor Hugo et qualifier les "Françaises de souche" de "crasseuses de souche". Médine est proche de Tariq Ramadan, a soutenu Kémi Séba condamné pour antisémitisme... Il a exhorté : "Crucifions les laïcards comme à Golgotha". Il projetait un concert au Bataclan, cible d'un attentat terroriste islamiste en novembre 2015. Ce rappeur a choisi comme pseudonyme le nom de la ville où s'est rendu le prophète de l'islam, Mahomet, en quittant La Mecque. Les sourates médinoises sont violentes, anti-juives.


« ENS : L'école de l’engagement à Paris » par Antoine de Gaudemar et Mathilde Damoisel
2016, 55 min
Sur Arte les 13 juillet 2017 à 00 h 00 et 8 décembre 2019 à 05 h 55

Visuels 
Jean-Paul Sartre, étudiant à l'École normale supérieure de Paris en 1924 avec ses camarades Paul Niza, Raymond Aron et Georges Canguilhem
Pierre Bourdieu est reçu à l’École normale supérieure en 1951
Michel Foucault est reçu en 1948 à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm
Entrée de l'Ecole Normale Supérieure
Elèves sur le toit de l'Ecole Normale Supérieure
Cours à l'Ecole Normale Supérieure. C'est l'une des institutions universitaires et de recherche les plus prestigieuses et les plus sélectives de France10, spécialisée en lettres comme en science
Le mathématicien Cédric Villani
Louis Althusser est reçu en 1939 à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm
© Folamour

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Les citations proviennent d'Arte. Cet article a été publié le 11 juillet 2017, puis le 11 novembre 2018.

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