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jeudi 14 mars 2019

« Leone Ginzburg, un intellectuel contre le fascisme » par Florence Mauro


Leone Ginzburg (1909-1944), professeur de lettres, journaliste,  est une figure juive « de la Résistance italienne qui, à travers les activités de la maison d’édition Einaudi, a fait de la culture une arme politique contre l’idéologie fasciste ». L’époux de la romancière Natalia Ginzburg (1916-1991) et le père de l’historien Carlo Ginzburg. « Leone Ginzburg, un intellectuel contre le fascisme » (Leone Ginzburg - oder Die Macht des Wortes) est un documentaire réalisé par Florence Mauro et rediffusé par Arte le 14 mars 2019 à 2 h 40

« Une des choses qui me fait le plus souffrir, c’est la facilité avec laquelle les personnes autour de moi – y compris moi-même – perdent le goût des problèmes généraux face aux dangers personnels. J’essaierai donc de ne pas te parler de moi, mais de toi », a écrit Leone Ginzburg à son épouse Natalia, le 4 février 1944, dans la prison romaine où il devait décéder des suites des tortures subies.

Antifascisme
« Fruit des amours estivales de sa mère avec un Italien », Leone Ginzburg naît en 1909 à Odessa, alors dans la Russie tsariste et maintenant en Ukraine, « dans une famille juive aisée et cultivée qui s'installe » à Berlin, puis « à Turin en 1923, un an après l’accession au pouvoir de » Benito Mussolini.

« Dans la capitale de l’intellectualisme militant, sur les bancs du lycée d’Azeglio, Ginzburg se lie d’amitié avec Cesare Pavese, Guilio Einaudi, fils de l'économiste Luigi Einaudi, Massimo Mila, Norberto Bobbio » et Felice Balbo. Des adolescents promis à un brillant avenir intellectuel.

A l’aube des années 1930, Leone Ginzburg est chargé de cours sur les langues slaves et la littérature russe à l’Université de Turin.


« En 1933, le jeune homme, qui a obtenu la nationalité italienne » co-fonde avec Giulio Einaudi la maison d’éditions Einaudi, pour laquelle « il assure des traductions et dirige des collections et des revues avec une implacable exigence éditoriale ».


« À travers ce geste d’écriture, Leone Ginzburg inscrit la culture comme pouvant ressembler au front de l’antifascisme. Tout acte de langage devient acte politique. Comment la casa Einaudi est au cœur, dès sa création dans les années 30, des enjeux les plus essentiels de la démocratie, du renouvellement d’un patrimoine qui a fondé un pays et de sa possible résistance à venir ? »

« Parallèlement, Leone Ginzburg prend la tête, jusqu’à son arrestation en mars 1934, de la branche turinoise du mouvement antifasciste Giustizia e Libertà », créé à Paris en 1929 par Carlo Rosselli.

Le premier numéro du magazine de Giustizia e Libertà définit ce mouvement en ces termes : « Provenant de courants politiques divers, nous archivons pendant des heures les cartes (de membre) des partis et nous créons une unité d'action. Mouvement révolutionnaire et pas un parti, « Giustizia e libertà » est le nom et le symbole. Républicains, socialistes et démocrates, nous nous battons pour la liberté, pour la république, pour la justice sociale. Nous ne sommes plus trois expressions différentes mais un trinôme inséparable ».

En 1934, Leone Ginzburg est limogé de sa fonction d’enseignant pour son refus de prêter allégeance au régime fasciste.

A Ponte Tresa, le 31 mars 1934, sont arrêtés quinze membres du groupe Giustizia e Libertà, dont Leone Ginzburg, Carlo Levi (1902-1975), l’histologiste renommé Giuseppe Levi, Mario et Gino Levi, ainsi que Sion Segre Amar (1910-2003). Presque tous sont des Juifs turinois. Ils sont interpellés à la frontière italo-suisse alors qu’ils transportent de la littérature antifasciste. Journaliste fasciste antisémite, Roberto Farinacci « contribue à la diffusion de l’équation « antifasciste = antipatriote = sioniste ». En réalité, les membres de Giustizia e Libertà n’étaient pas du tout sionistes, mais il y avait le titre d’un article paru dans le journal Il Tevere, [dont le rédacteur en chef est] Telesio Interlandi [intellectuel fasciste antisémite, Nda] : « L’année prochaine à Jérusalem, cette année au tribunal spécial ».

Leone Ginzburg est condamné à une peine légère. Quant à Sion Segre Amar (1910-2003), il constituera dans la seconde moitié du XXe siècle les Comites Latentes, collection de manuscrits médiévaux sur lesquels il écrira des livres. Dans les années 1960 et 1970, notamment lors de la guerre des Six-jours et du Kippour, il présidera la communauté juive de Turin.

En 1935, Leone Ginzburg est arrêté pour son action à la direction de Giustizia e Libertà.

Il est libéré sous surveillance en 1936.


En 1938, il épouse la novelliste Natalia Levi (1916-1991), dont le père est Giuseppe Levi et la mère, catholique Lidia Tanzi. Natalia Levi, dont la sœur Paola épousera Adriano Olivetti, a pour cousine Margherita Sarfatti, ancienne égérie de Mussolini.

Le couple Ginzburg a trois enfants : Carlo, qui deviendra un célèbre historien promoteur de la micro-histoire et de l’histoire culturelle, Andrea, né en 1940, et Alessandra née en 1943 à Pizzoli.

En 1939, Leone Ginzburg est déchu de sa nationalité italienne en raison des lois raciales antisémites promulguées par le régime fasciste.


En 1940, « après l’entrée en guerre de l’Italie », il subit le confino (exil intérieur) à Pizzoli », village dans les Abruzzes. Sur son confino (résidence surveillée) en Basilicate, le médecin et peintre Carlo Levi écrira son livre Le Christ s'est arrêté à Eboli (Cristo si è fermato a Eboli) publié en 1945 par Einaudi.

La famille Ginzburg demeure à Pizzoli jusqu’en 1943. Leone Ginzburg y poursuit sa collaboration avec Einaudi.

En 1942, il participe à la fondation clandestine du Partito d’Azione, parti de résistance démocratique, qui perdurera jusqu’en 1947, et collabore à son journal L’Italia Libera. « Toute action politique, toute réflexion politique est aujourd’hui affirmation d’autonomie. Avec l’organisation clandestine, nous affirmons la liberté d’association », estime Leone Ginzburg.

Après le débarquement des Alliés en Sicile en 1943, et la chute du Duce Mussolini, Leone Ginzburg rejoint seul Rome. Son épouse et leurs trois enfants le rejoignent. La famille Ginzburg réunie se cache dans la capitale italienne.

En septembre 1943, les Allemands nazis envahissent le nord de l’Italie et occupent Rome. La Gestapo arrête Leone Ginzburg, qui vivait sous le nom de Leonida Gianturco, et l’incarcère à Regina Coeli. Leone Ginzburg est torturé et décède, à l’âge de 34 ans, le 5 février 1944.

Natalia Ginzburg exprimera sa douleur induite par cette mort, cette séparation définitive et le silence laissé par le disparu dans le poème déchirant Memoria (Mémoire).

« C’est par sa patrie volontairement acquise qu’il a été tué », écrira de lui son professeur Augusto Monti.

« En archives et témoignages – dont celui de son fils, l’historien Carlo Ginzburg –, Florence Mauro relate l’admirable et émouvante trajectoire d’un homme qui a mené le combat de l’antifascisme sur les fronts politique et culturel, sans souffrir aucune compromission ».

Le 21 décembre 2017 de 20 h 30 à 22 h 30, le Cercle Bernard Lazare organisa la projection-débat de "Le Christ s’est arrêté à Eboli", avec Alessandra Berghino. "Anti-fasciste notoire, Carlo Levi est assigne à résidence en 1935 dans un petit village du sud de l'Italie. Romancier et médecin, il se met peu a peu à soigner les paysans pauvres de la campagne. Ce que ne supportent pas les notables du village". La projection a été suivie de la conférence "La résistance juive en Italie en débat" avec Alessandra Berghino, historienne.

« Leone Ginzburg, un intellectuel contre le fascisme » par Florence Mauro
Zadig Productions, Graffiti Doc, 2016, 64 Min.
Sur Arte les 29 août 2017 à 23 h 15 et 14 mars 2019 à 2 h 40

Visuels
© Zadig Productions

A lire sur ce blog :
Les citations sur le documentaire proviennent du site d'Arte. Cet article a été publié le 29 août 2017, puis le 20 décembre 2017.

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