Citations

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« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du Soleil. » (René Char).
« Il faut commencer par le commencement, et le commencement de tout est le courage. » (Vladimir Jankélévitch)
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » (Albert Londres)
« Le plus difficile n'est pas de dire ce que l'on voit, mais d'accepter de voir ce que l'on voit. » (Charles Péguy)

lundi 26 février 2018

« Autobiographie politique. De la découverte du dhimmi à Eurabia » par Bat Ye’or


Dans son « Autobiographie politique. De la découverte du dhimmi à Eurabia » publiée par Les Provinciales (2017), Bat Ye’or, née dans une famille juive en Egypte, retrace son parcours de femme, la genèse de ses analyses sur les dhimmi et la dhimmitude - vocable qu’elle a forgé -, Eurabia et le califat, ainsi que l’accueil réservé à son œuvre mondialement connue et rééditée : admiration indéfectible ou/et marginalisation, voire ostracisme haineux. Prisant la vérité, soucieuse d’efficacité, brisant des tabous politiques et religieux, cette intellectuelle engagée, sioniste et courageuse, souligne combien sa judéité et sa fierté d’être juive, malgré les dénigrements affrontés avec courage et dignité, ont été renforcées par sa lecture de la Bible. Elle évoque son combat pour la mémoire des réfugiés juifs de « l’exil oublié » en cofondant en 1974-1975 WOJAC (World Organization of Jews from Arab Countries), et ses fonctions dans une association de parents d'enfants handicapés. Elle évoque aussi des tragédies personnelles.


« Pour me comprendre… », chantait le regretté Michel Berger.

Pour éclairer son parcours, Bat Ye’or retrace sa vie intimement liée à son œuvre incontournable, cohérente, d’envergure internationale, reposant sur trois piliers thématiques imbriqués, aux résonances interactives et avec l’actualité - les dhimmi, juifs et chrétiens vaincus par le djihad et sous domination islamique, et la dhimmitude, Eurabia ainsi que le califat -, constituant une grille d’analyse pertinente des enjeux contemporains, et en opposition à la doxa biaisée dominante.

Ou comment Gisèle Orebi, déracinée de son Egypte natale, est devenue la « Fille du Nil », « Fille d’Egypte » – un pseudonyme forgé par le poète israélien Aharon Amir.
  
Déracinement
Gisèle Orebi est née dans une famille cairote bourgeoise, polyglotte, cultivée et aimante. Les origines ? Italienne, française et anglaise.


Pendant la Deuxième Guerre mondiale, cette benjamine écoutait, en famille, à la radio « les nouvelles de Londres. On disait que les Allemands tuaient tous les juifs… Des hordes parcouraient les rues, appelant Hitler et Mussolini pour venir tuer les Juifs ».

La victoire des Alliés en mai 1945 suscite, chez leurs soutiens en Egypte, « une joie de courte durée : les 2 et 3 novembre 1945, fomentées par les Frères musulmans, des émeutes anti-juives éclatent au Caire, à Alexandrie, à Mansourah, Tantah et Port-Saïd ». S’ensuit une « campagne de terreur » visant les Juifs dont certains « quittèrent clandestinement le pays ».

1948. Guerre israélo-arabe ou d’indépendance d’Israël. L’Egypte adopte des mesures antijuives. Des émeutes « se déroulèrent dans tous les pays arabes ».

La violence antijuive récurrente est favorisée par l’instabilité politique. Puis la révolution des Officiers libres en 1952 suivie de « l’immigration croissante de criminels nazis nommés à des postes importants de l’Etat, notamment la police et l’Armée, préfiguraient l’avenir. L’année suivante, une police politique s’occupant des Affaires juive fut créée ».

L’affaire Lavon, « l’arabisation de la vie nationale », la politique coordonnée de surveillance des juifs, la prolifération d’ouvrages nazis et antisémites, les déclarations du président Nasser et de son ministre el-Sadate lancent le « conflit religieux, et l’étau économique, culturel et social se refermait sur la communauté » juive d’Egypte.

Des familles juives entières fuient, souvent vers l’Etat d’Israël. Celle de Gisèle hésite entre le Brésil et Londres. Le séquestre sur leur maison étant finalement levé, elle vend au quart de sa valeur son bien immobilier et prépare son départ.

1956. Nationalisation du canal de Suez par Nasser et guerre de Suez. Accablés de nouvelles mesures antijuives, dont la déchéance de nationalité et l’emprisonnement, visés par une « habile campagne d’intimidation », « plus de 14 000 juifs quittèrent l’Egypte dans les conditions les plus dures ».

Au début de 1957, 4 500 juifs avaient perdu leurs moyens de subsistance ; 50% des émigrants égyptiens ou apatrides n’avaient plus les moyens de payer leur voyage. Toutes les œuvres communautaires étaient paralysées et leurs fonds gelés… Ce seront les Israélites de l’étranger qui financeront l’exode massif du judaïsme égyptien avili, humilié, ruiné… Du 15 mai 1948 au 1er janvier 1959, 45 000 Juifs avaient quitté l’Egypte, sur ce total 37 787 allèrent en Israël ».

Avant son exil, la famille de Gisèle se recueille une ultime fois devant le caveau familial au cimetière juif de Bassatine. En retournant vers sa voiture, elle est caillassée par des gamins arabes.

Munie de passeports Nansen, elle quitte l’Egypte vers la liberté.

Après une brève étape à Copenhague (Danemark), elle arrive à Londres où vit Colette, sœur de Gisèle. Ils sont six, parfois sept, à s’entasser dans les trois pièces de cet appartement.

Gisèle trouve un logement à louer pour ses parents et elle dans une capitale pluvieuse où la famille subit le froid glacial et les privations. Puis, sur les conseils avisés de Gisèle, ses parents achètent une charmante maison à Ealing Broadway.

Dix-huit mois après son arrivée en Grande-Bretagne, Gisèle épouse David G. Littman  (1933-2012), jeune « Juif profondément croyant et fier de son antique patrimoine » que cette étudiante avait rencontré à l’Institut d’archéologie.

Gisèle verrouille ses aspirations de femme de lettres pour se consacrer à sa vie d’épouse et bientôt de mère de trois enfants : Ariane, devenue photographe en Israël, Diane et Daniel.

Opération Mural
En 1961, soucieux d’aider ses coreligionnaires persécutés, David Littman accomplit « une mission humanitaire pour des enfants juifs au Maroc » alors qu’il était périlleux pour les Juifs de quitter le royaume chérifien.

Se faisant passer pour un Britannique anglican, il parvient, avec son réseau et son épouse-secrétaire, « en quatre mois à envoyer, légalement et en toute sécurité, 500 enfants juifs en Israël » via la Suisse.

Sa mission achevée, le couple Littman apprend qu’il a œuvré avec… le Mossad.

Peu après, le roi du Maroc lève les restrictions à l’émigration des juifs marocains.

La participation du couple Littman à l’Opération Mural est révélée au public en 1981, et vaut à David Littman  la distinction émérite de "Héros du silence" décernée en 2009 par l'Etat Juif.

Premier livre sur les Juifs d’Egypte
Le couple Littman se fixe dans le canton de Vaud, en Suisse. Dans sa maison entourée de champs et de vergers, il accueille parentèle et amis. Il analyse dans un dialogue vif, argumenté l’abondante documentation réunie au fil de ses journées dans les bibliothèques et de ses achats dans des librairies, ou envoyée par leurs relations universitaires.

Dans le maelstrom de sa vie familiale et sociale, Gisèle a bien du mal à se concentrer sur son roman pour lequel elle puise dans ses souvenirs de « sujet et témoin d’un évènement majeur : l’agonie et la mort d’une communauté et d’un monde ». Par souci de véracité, elle recueille « les témoignages de réfugiés égyptiens rencontrés à Paris, à Londres ou en Suisse », car alors manquaient des œuvres sur ces exilés.

En 1971, parait son livre  Les Juifs en Egypte. Aperçu sur 3000 ans d’histoire. Rejetant son nom de jeune fille lié à un « univers de fantôme », ne s’identifiant pas à son nom d’épouse, Gisèle Littman signe sous le pseudonyme Yahudiya Masriya (une juive d’Egypte).

Cet essai historique est aussi distribué aux lecteurs du Centre d’information et de documentation sur le Moyen-Orient (CID), fondé notamment par le couple Littman en 1970 à Genève, afin de « corriger la désinformation anti-israélienne ».

Appréciée par le Congrès juif mondial (CJM) et des médias juifs, cette brochure suscite l’ire d’une « coterie d’anciens communistes juifs anti-israéliens, d’origine égyptienne, réfugiés en France » car ce livre « cassait pour la première fois l’image d’Epinal d’un judaïsme éternellement comblé par la tolérance islamique et énonçait pour la première fois aussi les servitudes de la dhimma » tout en évoquant l’antisémitisme musulman.

« Comble d’arrogance », son auteur y affirmait « que les juifs et les chrétiens avaient eu le même statut », osait « parler d’un sionisme en Egypte », « citait les noms allemands et arabes des nazis réfugiés dans ce pays dans l’après-guerre et leurs fonctions dans le gouvernement égyptien, les émeutes et les lois anti-juives décrétées en 1948 – autant de thèmes scandaleux à l’époque pour ceux qui baignaient dans les vapeurs d’un éternel âge d’or rompu par le sionisme diabolique ».

Cette première publication « contenait déjà l’ébauche de mes prochains livres et le terrain du combat où je fus clouée durant des décennies. Cette animosité ne se limita pas à la France » avec en particulier Clara et Marek Halter. Elle toucha aussi des universitaires israéliens, telle Have Lazarus.

Parallèlement à ses travaux, Bat Ye’or assume les fonctions de secrétaire, puis de présidente d'une association de parents d'enfants handicapés mentaux. En 1972, elle se résout, douloureusement, habitée d’un sentiment de culpabilité, mais pour le bien de sa fille Diana, à la placer dans une institution spécialisée. Diana y accomplit des progrès considérables, et retrouve sa famille lors de vacances.

En 1975, avec ses coreligionnaires ashkénazes et sépharades, Bat Ye’or cofonde WOJAC (World Organization of Jews from Arab Countries, Organisation mondiale des Juifs originaires des pays Arabes) pour « restituer à ces spoliés la dignité humaine », et afin de réclamer justice pour « ces victimes méconnues du djihad arabe, droits politiques, humains, économiques et droits sur leur patrimoine culturel abandonné sur place ». WOJAC représente « près de deux millions de Juifs vivant en Israël et dans la Diaspora ». Cette intellectuelle engagée initie la constitution d’une « base documentaire sur l’histoire juive et des autres minorités non musulmanes dans les pays arabes ». Elle participe notamment à la conférence de WOJAC en 1987 qui s’est tenue malgré l’opposition du parti travailliste israélien.

Le Dhimmi
Tandis que David Littman poursuit avec le professeur Haïm Zeev Hirschberg le projet d’une histoire des communautés juives maghrébines, Bat Ye’or s’attelle à son ouvrage sur le dhimmi.

« Le Dhimmi. Profil de l’opprimé en Orient et en Afrique du Nord depuis la conquête arabe », dont l’écriture est terminée en 1975, est publié en 1980 en français, en 1985 en anglais et en hébreu.

Bat Ye’or découvre « qu’écrire et se faire publier, surtout face à la réprobation, est un acte de courage, un dévoilement de soi. Il exige l’intégrité intellectuelle, la volonté de résister aux campagnes mensongères et la force d’affronter la diffamation, l’ostracisme et la solitude ».

Citant des sources juives, chrétiennes, européennes et consulaires, des « documents islamiques et historiques d’auteurs musulmans », ce livre « mettait au centre d’une histoire de treize siècles sur trois continents, le dhimmi juif, chrétien ou autre, colonisé par les Arabes, dans ses vêtements d’opprobre  ».

Bat Ye’or réhumanise cet indigène non musulman « vaincu par le djihad et décimé par l’esclavage et le génocide ». Cet « énigmatique personnage » du dar al-islam, elle le fait « surgir de ses linceuls d’histoire ».

Au fil de ses études d’archives, elle prend conscience que les termes et expressions définissant le dhimmi « fourvoyaient la réflexion » et déformaient la réalité historique.

« Citoyens de second rang » ? Combien de rangs existerait-il, s’enquiert, moqueuse, Bat Ye’or ? Foin d’ironie. « L’Oumma excluait la notion de citoyenneté ».

Bat Ye’or est agacée par l’argutie de l’équilibre : la vérité se situerait non aux extrêmes, mais dans un juste milieu. « Le génocide des Arméniens, des Grecs, des Assyriens se trouve au milieu de quoi ? »

Bat Ye’or récuse aussi le cliché de « minorités ethnico-religieuses ». Les « populations dhimmi représentaient les reliquats des peuples ethnoreligieux d’Orient antérieurs à l’islam et autrefois majoritaires dans leur région d’origine », vaincus par des conquérants minoritaires musulmans.

La « tolérance islamique » ? Elle « s’exerçait dans un contexte de guerre éternelle, le djihad [était] assorti d’une condamnation à mort en cas de refus de se convertir ou de se soumettre ».

L’expression « minorités protégées » était aussi « trompeuse du fait que cette protection émanait d’une menace inhérente à une guerre : la soumission, la mort ou l’esclavage... Leur vie dépendait de trois éléments corrélés : la guerre (djihad), la théologie et la juridiction ».

Avec modestie, l’auteur ne revendique « aucune prétention académique », mais la volonté de « cerner la personnalité juridique, historique et psychologique du dhimmi, indépendamment de sa religion. Cette condition me paraissait singulière par sa diffusion dans la géographie et sa pérennité dans le temps avec des variantes ».

Le « livre examinait les éléments politiques, religieux, juridiques et sociaux du statut commun aux juifs et aux chrétiens dans les terres conquises par le djihad et gouvernées par la charia. La protection consulaire fournie par certains Etats européens à une catégorie limitée d’individus en atténuait la rigueur… Une deuxième partie examinait la reconduction moderne de l’idéologie djihadiste par l’OLP » (Organisation de libération de la Palestine) « et le nationalisme arabe faisant d’Israël un Etat dhimmi ».

Une « grande fresque humaine » qui « éclaire les événements mondiaux actuels et les enjeux de l’avenir ».

L’étude de la condition du dhimmi « ouvrait une réflexion sur le choix délibéré et renouvelé de la liberté spirituelle contestant la tyrannie ». La lecture de la Bible introduisit Bat Ye’or « dans la dimension éthique de la souffrance et de l’oppression ».

En interviewant juifs et chrétiens du monde arabe, Bat Ye’or observait « les oublis ou les défauts d’appréciation causés par le refoulement de la peur et le déni, ce que j’appelais le « syndrome dhimmi », qui « dans son extrême limite devenait suicidaire : l’opprimé offrant à son oppresseur les justifications de son exécution. Ce comportement me paraissait spécifique des chrétiens arabisés antisionistes ».

Bat Ye’or déplore que « l’histoire fut travestie pour s’adapter à l’idéologie ». Elle « contestait que la vérité historique pouvait être préjudiciable à la paix ». Son « projet faisait d’Israël le prototype de la libération d’un peuple dhimmi et le fondement de la réconciliation de l’islam avec les nations du monde, celle-ci impliquant l’abolition du djihad ». L’auteur « appelait juifs, chrétiens et musulmans à s’unir pour lutter contre la dhimmitude ». « La condition dhimmi fondée sur des textes religieux et pétrifiée dans les mœurs ne pouvait être officiellement répudiée sans que fussent aussi ébranlées les bases mêmes de l’islam ». Bat Ye’or espérait contribuer à construire la paix entre les peuples.

Quant au djihad, il « dénie la légitimité de tout Etat non-islamique. Le djihad représente à la fois un système politique, théologique et juridique. Il n’est pas seulement une guerre sainte islamique mais une théologie systémique réglant l’ensemble des relations en temps de guerre comme de paix entre musulmans et non-musulmans ».

Un livre iconoclaste à « une époque de passion arabophile et palestinienne, de floraison de livres sur la tolérance et la grandeur de la civilisation islamique, et de diabolisation de la colonisation européenne », l’auteur « ose dire que l’Europe avait libéré le dhimmi de son asservissement, qu’elle avait introduit dans son univers sans issue un rayon de justice… Mais devenu à son insu le jouet des intérêts rivaux des puissances occidentales, [le dhimmi] fut abandonné quand la pitié ne s’avérait plus politiquement rentable ».

Bat Ye’or souligne la distinction entre son travail et celui de Bernard Lewis, « chantre de l’harmonieuse entente judéo-arabe qui devait faciliter la paix israélo-arabe ».

Elle fustige Edward Said, « membre chrétien de l’OLP » qui par son « Orientalisme » a nourri la culpabilité occidentale envers les peuples musulmans victimes d’un Occident prédateur et raciste ».

Autre statue déboulonnée : Fernand Braudel, auteur de La Méditerranée, « large fresque historique où les guerres islamo-chrétiennes autour de la Méditerranée n’y étaient que broutilles ».

La presse européenne, des universitaires et des politiciens israéliens réservent un excellent accueil à cet essai novateur.

Les rebuffades d’institutions juives se conjuguent à « l’hostilité d’intellectuels de droite et de gauche antisionistes et pro-palestiniens des années soixante-dix et à la gauche israélienne particulièrement hostile et méprisante envers les Juifs orientaux » dont les récits tragiques « contrecarraient leurs efforts de paix avec les Arabes » et contraient leur « bulle de certitudes irréalistes, conformes à leur désir de se faire accepter par la gauche européenne pro-palestinienne et pro-arabe ».

Bat Ye’or impute alors cette animosité à l’ignorance européenne de l’histoire des juifs d’Islam. Or, elle prend conscience, au fil des années, que ses ouvrages allaient à l’encontre du projet promu par la France : Eurabia.

Par ses conférences, elle effectue un travail pédagogique auprès des juifs et chrétiens.

La dhimmitude
Bat Ye’or est consciente de l’importante du vocabulaire pour définir et analyser les thèmes étudiés, a fortiori sur une longue période et dans un espace si vaste.

« C’est au cours de ce travail sur la destruction des États et des civilisations chrétiennes que je conçus le concept de dhimmitude pour exprimer un processus complexe et dynamique d’islamisation, qui n’apparaissait pas de prime abord dans le statut juridique du dhimmi, car il représentait l’ultime étape et la conclusion d’une stratégie guerrière initiée par le djihad… Mais je me refusais à l’utiliser compte tenu des quolibets de mes contestataires qui se moquaient déjà de mes efforts pour vulgariser le mot dhimmi ».

C’est Béchir Gemayel (1947-1982), politicien libanais chrétien, qui le premier énonça ce vocable peu avant d’être assassiné. Il « dénonçait la fallacieuse alliance palestino-chrétienne, source mortelle de compromis et de compromissions, les mensonges et les falsification et les forces qui voulaient faire des Libanais des cobayes sur lesquels l’Europe menait ses expériences de coexistence. Pour Gemayel, les Palestiniens avaient « installé [au Liban] la centrale internationale de la subversion et du terrorisme à partir de laquelle ils écument le monde entier ».

Le Liban « était devenu le centre du terrorisme international, et ce qu’on appela le premier État terroriste. Les nombreuses organisations militaires qui y résidaient reproduisaient les villes forteresses (ribât) construites sur les frontières des pays chrétiens où affluaient des volontaires djihadistes de diverses régions pour dépeupler les campagnes en terrorisant leurs habitants chrétiens », comme à Damour en 1976.

« A ma grande surprise, j’appris que la France s’était ralliée à leurs ennemis, au camp djihadiste palestinien qu’elle appelait « islamo-progressiste »… L’Europe désormais se ralliait à l’Islam pour des raisons énergétiques, économiques et stratégiques », contre les chrétiens maronites libanais « fautifs d’une erreur capitale : celle de ne pas haïr Israël et de se défendre contre les Palestiniens... J’avais comme un pressentiment que l’abandon des chrétiens libanais présageait la libanisation de l’Europe ».

« A l’époque, peu comprenaient la tragique ampleur du combat des chrétiens libanais, attaqués par les forces islamo-syro-palestiniennes, secondées au plan international par les communistes, les tiers-mondistes et les antisionistes européens… Ce combat se raccordait à une résistance chrétienne ancestrale portée par le flux des siècles. Il faisait revivre, au XXe siècle, les conflits interchrétiens historiques dans les Etats chrétiens souverains d’autrefois, entre forces chrétiennes islamophiles et résistance à la dhimmitude. C’est pourquoi il fut aussi une guerre interchrétienne, fratricide et désespérée, où la résurgence des corruptions, des vénalités et des trahisons dhimmi pavèrent la descente aux enfers d’une résistance chrétienne désavouée par l’Europe. Car pour son malheur, l’Europe avait fit du Liban l’emblème de la coexistence harmonieuse et pacifique islamo-chrétienne, le modèle qu’elle invoquait pour construire la future Eurabia… » Or, le Liban ne fut jamais « cette vitrine d’une parfaite coexistence pluriculturelle d’œcuménisme islamo-chrétien ».

Ce livre rencontre un succès, et suscite une polémique. « Pour la gauche, la science historique, l’archéologie et toute pensée humaine devaient se soumettre aux critères politiques de son idéologie. La description de faits objectifs et avérés mais politiquement incorrects et donc occultés, suffisait à disqualifier son auteur. »

Juifs et chrétiens face au djihad
Bat Ye’or et David Littman, au sein de son activité de représentant d’ONG auprès du Conseil onusien des droits de l’Homme à Genève, nouent des relations, teintées d’amitié, avec des chrétiens persécutés et des musulmans modérés.

Outre sa documentation sur Israël, le CID publie aussi des brochures, parfois traduites en anglais, sur les Maronites, les Kurdes, les Coptes, les Chrétiens soudanais…

Parmi les dhimmi, le chrétien s’avère « parfois ennemi des Juifs, parfois son sosie souffrant, parfois son rival, parfois les aidant et parfois aidé par eux ».

Edité en 1991, Les Chrétientés d’Orient entre jihad et dhimmitude « remontait à l’origine du processus de transformation des majorités en minorités et en examinait les modalités avec ses éléments endogènes et exogènes, détruisant sur le court ou le long terme les institutions étatiques, militaires et culturelles des peuples conquis ».

Une analyse approfondie dans Juifs et chrétiens face au djihad (1994).

« La progression des recherches révélait l’immense forfaiture du mythe de la religion de paix et d’amour, alors que toutes les relations avec les non-musulmans se fondaient sur le concept de dar al-harb, les pays de la guerre obligatoire, avec ses déclinaisons entre éradication des habitants, esclavage, trêve temporaire monnayée ou servitude ».

Selon Bernard Lewis, le « mythe al-Andalus » fut « inventé par des juifs d’Europe au XIXe siècle comme un reproche adressé aux chrétiens – et repris par les musulmans de notre temps comme un reproche adressé aux juifs » (Islam, Gallimard, 2005).

Quant à Bat Ye’or, elle démontre « la fonctionnalité stratégique du mythe d’un islam tolérant et pluraliste inventé par la Grande-Bretagne au XIXe siècle… Né précisément en Bosnie-Herzégovine, ce mythe créé par la diplomatie britannique visait à protéger l’intégrité de l’Empire ottoman contre les ambitions de l’Autriche et de la Russie, qui – instrumentalisant les révoltes des chrétiens slaves catholiques et orthodoxes ou grecs – se taillaient des zones d’influence dans les provinces ottomanes d’Europe. Pour calmer une opinion publique anglaise indignée par les massacres des insurgés chrétiens perpétrés par les Ottomans, le Foreign Office justifia son soutien à La [Sublime] Porte en alléguant la tolérance et la justice inhérentes à l’islam du gouvernement turc. Ce régime, décrétait-il, était le mieux adapté aux chrétiens des Balkans, présentés comme des masses sous-humaines ignares. Les Turcophiles européens partageaient ces opinions et vantaient l’Empire turc, modèle d’un gouvernement multi-ethnique et multireligieux, garantissant la paix et le bonheur et une justice égale pour tous ses citoyens sous la loi éclairée islamique – argument constamment martelé par le président bosniaque islamiste moderne Izetbegovic ». Or, « les rapports consulaires de l’époque indiquaient une oppression cruelle des chrétiens dhimmi par l’application des lois de la dhimmitude ».

Ce livre, Bat Ye’or le défend dans des conférences en Europe, dans les universités et médias. Elle est plongée « dans les conflits interreligieux et politiques du monde chrétien et dans le maelstrom des liens secrets unissant l’Europe et l’Islam. Le présent réécrivait le chapitre trois des Chrétientés. J’y avais étudié les processus d’islamisation dans les pays conquis après les victoires territoriales arabes, mais la progression islamique à Byzance et dans les Balkans présentait une autre typographie. La coopération économique et politique entre les princes byzantins et les Turcs, leurs alliances dans divers domaines, avaient précédé et facilité les victoires ottomanes. La marche turque vers les centres de la chrétienté, Byzance et Rome, s’échelonna sur quatre siècles. Les chroniqueurs byzantins dénoncent abondamment cette phase préparatoire et ses mécanismes soutenus et encouragés par un courant chrétien islamophile qui renforce et guide les envahisseurs turcs dans la conquête de leur pays. Dans ce cas, l’islamisation des esprits et de la politique par la corruption des élites, par les dissidences interchrétiennes et les divers intérêts personnels avaient déjà préparé le terrain avant les conquêtes ».

« Je voyais sous mes yeux l’actualisation du passé, la réalisation concrète de récits historiques... Soudainement aux États-Unis, la persécution des chrétiens et autres minorités religieuses dans les pays musulmans exposée au plus haut niveau politique, fut discutée dans les revues historiques, les conférences et l’espace médiatique ». C’est dans ce contexte que Bat Ye’or est auditionnée au Congrès américain sensible au sort des chrétiens persécutés.

« La gloire apportée par Les Chrétientés fut de courte durée, car les organisations pseudo-antiracistes et immigrationnistes de France établirent autour de moi et de mes livres un cordon sanitaire. Comme tant d’autres, je ne tardai pas à rejoindre le camp des réprouvés condamnés au silence ».

Au terme d’une « douloureuse histoire », juifs et chrétiens avaient mené une « réflexion spirituelle profonde vis-à-vis du peuple juif. Par la réhumanisation des victimes juives, l’Église se réhumanisait elle-même dans un processus interne d’humilité et d’approfondissement de sa réflexion théologique ».

« Rien de tel dans le monde musulman où la survie du christianisme et même la sécurité de l’Europe se joueraient sur leur haine d’Israël », un Etat représentant « la résistance au djihad et l’abolition de la dhimmitude ». Et ce, alors que « les chrétientés orientales semblaient sur le point de disparaître du berceau de leur religion ».

« Des théologiens et juristes musulmans tentèrent de moderniser certaines interprétations coraniques, mais uniquement dans le cadre des institutions politiques des États musulmans et non par une révision des concepts fondamentaux régissant les relations avec les non-musulmans. Il était impératif cependant que des théologiens musulmans utilisant les instruments de l’exégèse moderne abolissent les concepts de djihad, dar al-harb, harbi et dhimmi. De même, il importait que des textes justifiant ces concepts fussent soumis à une analyse critique par les spécialistes occidentaux, puisque ces notions d’essence intemporelle et universelle les ciblaient eux-mêmes ».

Eurabia
Publié en 2005 en anglais, Eurabia est édité en 2006 en français.

Eurabia est le titre d’une revue émise dès 1975 par le Comité européen de coordination des associations d’amitié avec le monde Arabe, et réalisé avec la collaboration de Middle East International (Londres), France-Pays Arabes (Paris) et le Groupe d’Études sur le Moyen-Orient (Genève). Et consultable à la Bibliothèque nationale de France (BNF).

Eurabia « prônait l’avènement d’une civilisation méditerranéenne qui réconcilierait l’islam et la chrétienté, remplacerait Israël par la Palestine, apporterait en Europe les bienfaits et les lumières de l’islam par la fusion démographique, politique, culturelle, économique et sociale des deux rives de la Méditerranée ». Une présomptueuse « superpuissance internationale ».

Un « projet grandiose : faire de la Méditerranée un lac euro-arabe et en chasser l’Amérique et l’Union soviétique. Il prévoyait le développement des échanges commerciaux et industriels avec les Arabes, celui de leurs infrastructures et un accès facile au pétrole, [l’essor d’]une coopération financière, scientifique, technologique, culturelle, universitaire, des médias, et surtout un rapprochement et une alliance euro-arabe ».

Il « comportait officiellement deux volets » corrélés : politique - éradication de l’Etat d’Israël, accusé à tort d’avoir détruit par sa recréation un « paradis multiculturel régi par la charia » - et économique : « étroite collaboration dans tous les domaines entre l’Europe des Neuf et les pays de la Ligue arabe. En fait un troisième se glissa subrepticement sans être nommément cité : l’islamisation de l’Europe ».

Un rapprochement renforcé par la « reddition aux exigences de l’OCI (Organisation de la Conférence – ou coopération - islamique) et de la Ligue Arabe » avec les chocs pétroliers et les attentats terroristes palestiniens.

Dans les années 1970, soumise aux menaces de l’OPEP, la France rallie les autres pays de la Communauté économique européenne (CEE) à sa position sur le conflit au Proche-Orient : « adoption de la vision islamique de l’Histoire », célébration de l’antienne « islam, religion d’amour, de paix et de tolérance envers les non-musulmans », allégation d’un « peuple palestinien », imposition des frontières d’Israël (Déclaration de Venise, 1980) et de sa capitale, Tel-Aviv, substitution d’une « Palestine laïque, démocratique et pluriconfessionnelle » à l’Etat juif, association justice/Palestiniens et politique/Israël, choix de l’OLP comme seul représentant du « peuple palestinien », etc. Ajoutons l’exaltation des arts et sciences de la civilisation islamique supposés avoir inspiré l’Europe et assénée par des « personnalités au plus haut niveau de l’État, des clergés, des intellectuels renommés et des universitaires ». Des positions européennes généralement inspirées par celles de la Ligue Arabe, renforçant le courant djihadiste contre des musulmans modérés soutenus par Bat Ye'or, et interdisant toute critique ou réforme de l’islam.

« Les années soixante-dix furent celles de la construction du Grand Déni géniteur de l’Europe actuelle, celles qui préparèrent la défaite de la pensée rationaliste vaincue par l’islamophilie idéologique érigée en totalitarisme politique. Durant ces années, un conditionnement mental épais comme les murs d’une prison prépara l’islamisation de l’histoire et de la culture européenne. Années de gloire palestinienne » et de pactes de dirigeants européens avec l’OLP pour « sanctuariser » leurs territoires, les préserver du terrorisme palestinien.

« Au cours de ces années quatre-vingt-dix, se mit en place un grand mensonge, corollaire de ce que l’on appellera plus tard le Grand Remplacement. Ce grand mensonge est une conception construite d’a priori culturels et politiques, axiomes réfractaires à la discussion et imposés tels quels par des cénacles universitaires et politiques intouchables et inconnus du grand public : les Comités Eurabia, entre autres ». Les incitateurs ? La Ligue arabe et l'OCI. Les modalités ? Des dialogues interconfessionnels en « un bavardage savant et révérenciel envers l’islam » qui lui confère « sur ce continent une prééminence respectueuse inégalée ». Ce Grand mensonge est décliné dans l’enseignement, les médias, la culture, etc. Ainsi, toute référence aux racines chrétiennes de l’Europe est refusée dans le texte de la Constitution européenne pour ne pas heurter « les millions de musulmans européens originaires d’Asie et d’Afrique » (Guy Braibant) ?

Le « XXIe siècle s’ouvrit par l’adhésion spectaculaire de la planète au principe d’inversion par le déni de la réalité. La rhétorique et le projet [de dialogue des civilisations] de Khatami [alors président iranien] s’inséraient dans le principe d’inversion qui définissait le djihad comme une guerre défensive… L’agresseur est le non-musulman qui refuse de se convertir et résiste à Allah en conservant ses biens, qui devraient légalement « revenir » à la communauté d’Allah. Toute la rhétorique islamique de culpabilisation de l’Occident et d’Israël se déroule et s’explique à l’intérieur de ce principe d’inversion qui attribue une culpabilité axiomatique au dar al-harb… La guerre des civilisations partout présente devenait le dialogue heureux d’États musulmans irréprochables et tolérants avec un Occident coupable, tout disposé à reconnaître ses torts et à faire amende honorable par sa soumission au principe d’inversion ».

De cynisme en cupidité, de lâcheté en trahison, ce processus visant à l’émergence du continent Eurabien est promu par des présidents et gouvernements de droite et de gauche, et emprisonne les peuples européens « dans un carcan suicidaire ».

Sous l’impulsion de la Ligue Arabe et de « ses églises vassales », un mouvement vise à « contrecarrer sinon éliminer le mouvement de rapprochement judéo-chrétien amorcé par Vatican II (1963), par l’introduction de l’islam dans toutes réflexions chrétiennes sur le judaïsme... Pour ne pas faire de jaloux et au mépris de toute vérité, les relations islamo-chrétiennes furent décalquées sur celles avec le judaïsme comme si l’islam était un miroir jumeau du judaïsme » L’enjeu ? Arabiser les chrétiens, déjudaïser le christianisme – à l’instar de la conception islamique et de Marcion -, substituer à l’alliance avec les juifs une union destructrice avec l’islam.

« Les Églises orientales de leur côté, vivant avec le couteau palestinien sur la gorge, savaient que leur existence tenait à leur utilité pour l’islam ».

Candide, Bat Ye’or rencontre un représentant du Vatican, et découvre avec effarement « la faiblesse du Vatican, sa politique d’union avec l’islam et sa dépendance des pouvoirs politiques occidentaux. En fait il n’y avait rien à faire. »

Ce projet euro-islamique s’arc-boute sur « l’Âge d’Or andalou », passé inventé, idéal mythique et but des dirigeants européens. « Ce mythe de la tolérance islamique survécut à la chute de l’Empire ottoman. Reconverti dans le nationalisme arabe après la Première Guerre mondiale, il fut brandi par les politiciens européens, les dhimmi chrétiens, les écrivains et les ecclésiastiques pour bloquer les souverainetés nationales des Kurdes, des Arméniens, des Assyriens, des Libanais chrétiens et des Juifs en invoquant une fraternité multireligieuse islamo-chrétienne dans un empire arabe qui couvrirait tout le Levant. Malgré les massacres des chrétiens en Arménie, en Assyrie, en Iraq et dans tout le Levant, le mythe réapparut avec Arafat dans la Palestine fraternelle, multiculturelle, multireligieuse, multi-etc. alors même qu’il écrasait le Liban chrétien. Dans les années quatre-vingt-dix, la guerre en Yougoslavie et le bombardement massif de la Serbie par l’OTAN se déroulaient sous le drapeau d’une Bosnie-Herzégovine musulmane multiethnique, multireligieuse, héritière de la tolérance islamique ottomane. Depuis 1973, ce mythe gangrène toutes les institutions politiques et culturelles de l’Union européenne et sert à combattre la souveraineté de l’État d’Israël pour le remplacer par la Palestine multi. Aujourd’hui il constitue l’arme suprême contre les mouvements nationalistes européens refusant la doctrine méditerranéenne de fusion euro-arabe construite sur la destruction des souverainetés nationales européennes et de leurs cultures. »

Islamologue professeur au Collège de France, Jacques Berque « souhaitait voir l’Europe parsemée d’Andalousies musulmanes ». En 1969, il propose un « projet dévastateur du remplacement de population et la destruction du droit et de l’histoire par le rejet de l’« ancestral », de la Bible et du christianisme (le maternel et le familier). Berque reprochait aux Libanais leurs « affrontements scandaleux », ils devaient se forcer à prouver la coexistence islamo-chrétienne quelles que fussent ses formes, car toute expérience de coexistence même truquée servait la cause arabe et palestinienne ». Fût-ce la dhimmitude.

Bat Ye’or observe se dérouler sous ses yeux les « mécanismes intégrés dans la juridiction du djihad ».

Le conflit dans l’ex-Yougoslavie illustre cette politique et actualise des récits anciens. « Après des décennies de combats et de massacres, les Serbes purent se libérer à la fin du XIXe siècle de la colonisation turque… L’irrédentisme oustachi antiserbe reparut en Croatie, tandis que les islamistes voyaient renaître en Bosnie les enclaves islamo-bosniaques, pépinières ottomanes des janissaires bosniaques, agents prépondérants du devshirme, ce mécanisme pluriséculaire d’enlèvement, d’esclavage et d’islamisation des enfants chrétiens d’Europe et des Balkans. Les haines religieuses renaissaient dans ce carrefour des impérialismes politiques qui avaient ensanglanté la péninsule aux XIXe et XXe siècles : Catholiques croates agents de l’occupation autrichienne, guerres de libération et d’indépendance des Serbes orthodoxes appuyées par la Russie, révoltes des Musulmans bosniaques contre la suppression de leurs privilèges sur les dhimmi chrétiens. Résolue à jouer la carte islamique et turque, l’administration américaine ne laissait aux Serbes aucune alternative qui respecterait certaines de leurs revendications légitimes. L’inflexibilité américaine provoqua la guerre, permettant d’écraser la résistance serbe. La presse déchaînée décalqua, une fois de plus, le génocide des Juifs durant la deuxième Guerre mondiale sur les victimes musulmanes. Celui des Serbes, des Juifs et des Tziganes, perpétré en Yougoslavie par le régime Oustachi croate et les régiments SS musulmans, bosniaques, arabes et asiatiques affiliés aux nazis et fanatisés par le mufti de Jérusalem, fut consciencieusement oublié… L’outrance et la violence de la presse, sa partialité antiserbe bloquaient toute évaluation honnête d’une situation dont le terreau historique se limitait à une affirmation du pluri-confessionnalisme harmonieux dans l’empire Ottoman, régi par la justice de la charia... De fait, les aspirations des Serbes, déjà discriminés par le favoritisme du Croate Tito, ne pouvaient qu’exaspérer une Europe déterminée à effacer l’histoire et les cultures des nations européennes par la mondialisation, la suppression des frontières, et sa réconciliation avec l’Islam ».

Bat Ye’or « décèle clairement le rôle de l’antisémitisme dans la déchéance de l’Europe contemporaine ». Elle souligne « l’influence des nazis et des fascistes dans la construction européenne... Maintenus dans l’après-guerre à des postes ministériels influents et dans les arcanes des organisations internationales, ils rafraîchirent le cadre juridique et économique agréé en 1938 par Hitler et le pouvoir fasciste italien pour construire la Nouvelle Europe. L’auteur de ce plan, Walter Hallstein (1901-1982), affilié aux organisations nazies dès la première heure, officier de la Wehrmacht, fut aussi un juriste célèbre... Sa conception d’une Europe unifiée sous la dictature du IIIe Reich incluait l’application des lois de Nuremberg afin d’éliminer toute présence juive. Devenu dans l’après-guerre Secrétaire d’État du Chancelier Konrad Adenauer, il y retrouva un ancien collègue qu’il admirait, Hans Josef Globke, auteur précisément des lois antisémites racistes de Nuremberg et promu Conseiller d’État du Chancelier. Hallstein fut élu premier président de la Communauté européenne (1958-67) par les gouvernements européens ».

Bat Ye’or rappelle la complicité d’Arabes avec les Nazis lors de la Deuxième Guerre mondiale. « Dans l’après-guerre la résille de liens et de solidarités tissés dès les années 1936 entre les régimes fasciste et nazi avec le monde arabo-musulman – dont al-Husseini, représentant la Palestine arabe en est l’emblème – continua à s’activer, mais dans l’ombre. Le mufti demeura en contact avec la France qui l’avait soustrait au Tribunal de Nuremberg et l’avait laissé filer. Il connaissait bien les hommes de Vichy puisque les unités SS musulmanes faisaient leur formation en France dans la région du Puy en été 1943. Des camps d’entrainement existaient en France pour des soldats arabes du Maroc, d’Algérie, de Tunisie, de Palestine, d’Irak et d’Iran confiés à la supervision des proches du mufti. Al-Husseini qui militait pour un rapprochement franco-arabe, réitéra à la France ses propositions d’alliance entre l’Europe et le monde musulman, comme il l’avait fait avec Hitler, contre Israël, l’Angleterre et les États-Unis durant la guerre, promettant à de Gaulle une position privilégiée pour la France si elle se retirait d’Algérie. Après la guerre israélo-arabe de 1967, la victoire d’Israël qui lui donnait le contrôle des Lieux saints chrétiens servit de prétexte à la volte-face française... En Égypte et en Syrie la diaspora des criminels de guerre nazis, convertis pour la plupart à l’islam, avait été accueillie avec tous les honneurs. Méconnaissables sous leurs noms arabes, ils travaillaient avec Amin al-Husseini au rapprochement euro-arabe ».

« Le conflit israélo-arabe n’est guère différent des conflits indo-pakistanais, de celui des Ouighours contre la Chine, de ceux en Birmanie, etc., des guerres chrétiennes de libération contre l’occupation ottomane de la Grèce, de Serbie, de la Bosnie-Herzégovine, de Croatie, de Hongrie, du Caucase, d’Arménie, de Roumanie, de Bulgarie, de Macédoine. L’élément qui différencie le conflit israélo-arabe de tous les autres est l’alliance euro-djihadiste d’éradication de l’État hébreu. Hitler et le mufti partageaient les souvenirs de la Première guerre mondiale, quand l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie alliées du calife ottoman avaient passivement laissé faire – parfois aidé – le génocide de peuples chrétiens : Arméniens, Grecs et Assyriens. Quelque quinze ans plus tard, en 1941, le pacte secret verbal Hitler-al-Husseini liait dans le sang juif l’alliance de Berlin et de cette nouvelle Europe du IIIe Reich, avec le représentant de la Palestine soutenu par les peuples arabes. Ce pacte semble avoir été reconduit en 1973 par Eurabia ». L’adoption des narratifs islamique et palestinien pervertit la terminologie par décalque des termes de la Deuxième Guerre mondiale et de la colonisation : résistance/terrorisme, « colons occupants des terres palestiniennes », etc. Alors que les dirigeants palestiniens collaboraient avec les Nazis, les admiraient.

Eurabia distille un antisémitisme virulent. « L’antisionisme qui se développa en Europe dès la fin des années soixante provenait de deux sources : les gouvernements et les Églises. Il fut un antisémitisme antisioniste élaboré, argumenté, répétitif, enseigné obsessionnel dans toutes les strates sociales, constituant un véritable endoctrinement de haine ». Un anti-israélisme, surtout parmi musulmans, attesté par divers sondages.

« L’affaire al-Dura lança en Israël et en Europe une vague de fureur antisémite ressentie même en Amérique. Depuis Israël, l’intifada avec les voitures béliers et les bombes humaines, essaima dans les pays occidentaux où les nombreuses communautés d’immigrants musulmans, aidées, voire encouragées par des supports locaux se livrèrent à un déferlement de fureur contre Israël et les Juifs avec un total sentiment d’impunité, comme si elles sentaient un accord tacite des autorités... Cette fièvre antisémite visait à intimider les communautés juives pour les forcer à soutenir les fatwas de l’OLP que l’Europe voulait imposer à Israël ».

« Ne rien connaître de la dhimmitude c’était se condamner à la cécité sur les grands enjeux politiques et culturels de notre époque et devenir un agent passif, sinon actif, du large mouvement djihadiste transhistorique et transcontinental, dont l’étape préliminaire est la dhimmitude pour atteindre le but ultime : l’islamisation. La dhimmitude devrait être enseignée dans les écoles et les universités au même titre que les structures ou les lois régissant l’esclavage, le régime colonial ou d’apartheid ».

« Eurabia c’est le visage sombre et dissimulé de cette Europe s’appliquant à éliminer la Bible, les valeurs judéo-chrétiennes, effaçant le Jésus juif priant au Mont du Temple. Cette Europe-là s’est engagée dans un processus d’auto-dissolution en voulant, une fois de plus, extirper Israël de son âme… L’adhésion de l’Europe à cette idéologie judéophobe islamiste impliquant le déni de l’histoire lui ôta les moyens de se défendre, et la perception des dangers qui la menaçaient elle-même ».

Bat Ye’or voyait « bien les dangers qui menaçaient l’Europe, sa civilisation fondée sur une culture humaniste et scientifique, sa juridiction égalitaire garantissant le respect des droits de l’homme. Le terrorisme, le chantage, le musellement de la presse et la manipulation des mass media supprimeraient les liberté et les droits essentiels ».

« Les victimes d’Eurabia furent nombreuses : politiciens, journalistes, intellectuels, théologiens écartés ou réduits au silence par les meurtres, les menaces, la peur ou la stigmatisation ». Des « cas célèbres illustrèrent l’accommodement des sociétés européennes avec les lois de la charia. Certains y laissèrent leur vie, victimes d’un terrorisme aveugle dès 1969 ». D’autres combattent solitairement, telle Oriana Fallaci. L’affaire des dessins sur Mahomet (septembre 2005) teste le Danemark. Pour les apostats, dont Magdi Allam, la vie se déroule sous protection policière.

« Craignant les risques de dérapages incontrôlables et désirant maintenir l’ordre public, les gouvernements européens décrétèrent des mesures pour censurer la parole et sévirent contre leurs propres compatriotes. Insensiblement l’existence des Européens se modifia par leur accoutumance passive au terrorisme intérieur et extérieur devenus la normalité de leur existence ». L’autocensure sur l’islam révèle l’intériorisation de l’esprit de la charia.

Dans les années 1970, des rumeurs d’entente entre des Etats européens et l’OLP couraient. Quelques années après la publication d’Eurabia, l’ancien président italien Francesco Cossiga avait révélé au Corriere della Sera (8 juillet 2008) l’accord secret signé, dans les années 1970, entre le Premier ministre Aldo Moro et l’OLP. Un accord qui réservait aux terroristes palestiniens une totale liberté d’action – transport d’armes et d’explosifs, bases, etc. - dans la péninsule en échange de l’immunité des personnes et biens italiens. Les Juifs en étaient exclus. Le massacre à la gare de Bologne (2 août 1980) ayant fait 85 morts et plus de 200 blessés ? « Un incident causé par les amis de ‘la résistance palestinienne’ », indiquait Francesco Cossiga.

L’Europe et le spectre du califat
Le califat ? Quand en 2010, Bat Ye’or évoque le spectre du califat auquel aspire l’OCI, beaucoup ignorent le sens du vocable, le pensent réserver à des temps lointains ou expriment une incrédulité dédaigneuse.

Mais pas le Quai d’Orsay qui, par la voix de François Descoueyte, interdit  la conférence de presse de Bat Ye’or au CAPE (Centre d’accueil de la presse française) à Paris. La preuve suprême de la pertinence des analyses de l’écrivain. « Je suis surprise qu’une petite femme comme moi inspire une telle crainte au ministère français des Affaires étrangères », a alors persiflé Bat Ye’or au représentant de ce ministère qui n’a jamais interdit les orateurs antisémites au CAPE. Il est dommage que Bat Ye’or ait omis cet épisode. Ce même ministère qui refuse de désigner l’ennemi comme « Etat islamique » car cela valide les analyses de Bat Ye’or.

En 2014, l’Etat islamique - l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) ou en anglais Islamic State of Iraq and al-Sham (ISIS) - al-Sham désignait la province de Syrie dans les précédents califats - annonçait le rétablissement du califat. Il imposait aux non-musulmans d’Irak et de Syrie « les procédés de guerre appliqués par Mahomet au VIIe siècle aux Juifs d’Arabie refusant la conversion à l’islam, sacralisés par la Sunna, la charia » : exil, abandon des biens, exterminations, paiement de la jizya, etc. Il confirmait ainsi les écrits de Bat Ye’or sur le dhimmi.

A peine la bien-pensance souffle-t-elle de soulagement face aux pertes de territoires de l’Etat islamique en Syrie et en Irak, que se profilent le retour dans leurs pays européens d’origine des djihadistes, avec les « bébés lionceaux » du califat, le procès du demandeur d’asile ouzbek qui avait commis un attentat terroriste islamiste à Stockholm pour "venger le califat"…

Après les attentats commis par Anders Breivik sur l’île d’Utoya et à Oslo le 22 juillet 2011, Bat Ye’or doit se défendre contre les accusations infondées la liant, sans aucune raison, au terroriste norvégien.

Auteur et femme
Résumé limpide de son œuvre, ce livre autobiographie est une leçon magistrale d’Histoire et de vie.

C’est un portrait du paysage intellectuel européen, américain et israélien où les soutiens - l’Ambassade chrétienne, certains intellectuels et universitaires, parfois devenus amis - Jacques Ellul, Paul Giniewski Albert Memmi, Annie Kriegel, Léon Poliakov, André et Renée Neher, etc. – sont parfois marginalisés ou disparaissent progressivement, alors que les contempteurs – combien ont lu ses livres ? – surfent sur la tendance « islamiquement correcte ». Anecdote navrante : l’historienne Esther Benbassa refuse de la revoir par crainte que le professeur Bruno Etienne, son directeur de thèse, les voient ensemble.

Le parcours de Bat Ye’or s’avère atypique dans un monde intellectuel où l’Université, des Centres de recherches et des Instituts, liés à des éditeurs prestigieux, fondent des légitimités et carrières académiques, lancent ou confortent les réputations, marginalisent ou excluent les chercheurs non « politiquement corrects ».

Bat Ye’or a défriché avec son époux David G. Littman des terrains déterminants pour comprendre le passé, notre présent et ses enjeux que certains, dont des chrétiens d’Orient, ignorent, craignent ou refusent d’appréhender. Tous deux ont donné leurs archives à New York Public Library.

L'œuvre prolifique de Bat Ye'or - articles, livres, lettres, rencontres avec des universitaires, interviews aux médias, etc. – révèle l’activité intense déployée, la profusion d’énergie requise, et son souci de paix entre juifs, chrétiens et musulmans.

Un œuvre en partie en poupées russes : de traductions en rééditions, au fil des recherches documentaires, les livres sur les dhimmi ou les chrétiens s’étoffent.

Bat Ye’or a manifesté son courage face aux attaques lors de conférences-traquenards, sa dignité devant les annulations d’invitations à la suite des vindictes. Cette pédagogue a rendu accessible ses recherches par des publications claires, des conférences dans de nombreux pays, et ouvertes à tous, quelles que soient leurs religions.

Traduite en plusieurs langues – anglais, hébreu, russe, italien -, son œuvre pionnière et érudite lui a valu admiration et ostracisme, voire haine, qu’elle a affrontés avec courage, tant Bat Ye’or demeure persuadée que l’Histoire, la vérité doivent être dites, écrites et défendues dans un but de paix, afin d’établir des relations d’égalité, de respect entre êtres humains.

Bat Ye’or a eu la joie de voir adopter la loi par la loi Knesset reconnaissant et commémorant l’exil des Juifs du monde arabe, mais qui en exclut la Turquie et la partie de Jérusalem conquise par la (Trans)Jordanie.

On retrouve dans cette autobiographie la « voix de celui qui crie dans le désert », l’acuité du regard de Bat Ye’or, la fluidité de son style, la franchise de l’expression, le trait acéré à l’égard des « copilleurs », plagiaires oublieux des guillemets pour la citer, son humour parfois cinglant, sa sagesse profonde, son humilité envers les professeurs d’universités spécialisés dans le judaïsme - tel George Vajda -, son caractère intransigeant, son souci d’actions efficaces. C’est « la Bat » !

En pages déchirantes, Bat Ye’or évoque son fils chéri Daniel, étudiant sensible, cultivé, sage, brillant en mathématiques et physique, qui, âgé de 23 ans, s’est suicidé au terme d’une déprime qui s’était aggravée, incrustée en dépression à la suite de l’échec à un examen universitaire.

Bat Ye’or a aussi écrit une ode à David G. Littman (1933-2012) , homme de sa vie, figure tutélaire, (dé)voué à l’œuvre de sa femme écrivain, homme altruiste, volubile, lecteur vigilant de ses écrits qui, conscient tant de la valeur de son épouse que de l’originalité de ses analyses, a noué avec Bat Ye’or une relation affectivement solide et durable, intellectuellement rigoureuse et émulative. Avec lucidité, elle dresse le constat des concessions, des sentiments affectifs, des efforts réciproques, de l’écoute de l’autre indispensables pour que perdure un mariage, parfois tumultueux, et qui a duré 53 ans. Tous deux ont formé un couple aimant, infatigable, épris de culture, intègre, moral. Faute d’arguments, le professeur George Steiner a fui une joute intellectuelle avec David Littman.

Comme ses précédents écrits, ce livre résonne dans l’actualité. En 2018, est publié L’islam, une religion française de Hakim El Karoui, essayiste et consultant, fondateur du Club XXIe siècle, senior fellow à l'Institut Montaigne, membre de l’équipe de la campagne électorale d’Emmanuel Macron. En 2017, Hakim El Karoui déclarait : « On a besoin de nouveaux Jacques Berque ». Celui-ci a influencé Jean-Pierre Chevènement, président de la Fondation pour l’islam de France, qui a lu le Coran dans la traduction en français de Berque.

La révélation par L’Espresso de la teneur des journaux intimes de Yasser Arafat rappelle l’accord entre l’OLP et l’Italie, et la corruption de Silvio Berlusconi et d'Arafat.

Il semble que le grand mufti al-Husseini ait fui en mai 1946 la France pour rejoindre le Caire (Egypte).

Désigner Eretz Israël (Terre d'Israël) par le mot "Palestine" risque d'induire dans l'esprit d'un lecteur béotien que la "Palestine" existait comme Etat indépendant, désigné comme telle au fil des siècles et concernait des Arabes.

On peut regretter l’absence d’index des noms cités. Les notes de bas de pages n’entravent pas la lecture, mais sourcent les affirmations et invitent à les approfondir.

On est stupéfait que, malgré les efforts initiés dès les années 1970 pour contrer la désinformation diffamant, diabolisant et délégitimant Israël, le même combat doive se poursuivre en cette aube du XXIe siècle.

Bat Ye’or conclut par un appel à la mobilisation. Rien n’est perdu.

Si la résistance à la dhimmitude gagne les esprits, elle ne trouve en France aucun mouvement politique pour s’affirmer sur la scène politique. Mais deux événements déterminants sont intervenus en 2016 : le référendum décidant du Brexit – Union européenne en voie d’implosion, divisée en une Europe dominée par une Allemagne ouverte à l’arrivée de « migrants » et une Europe orientale attachée à son identité et gardant le souvenir douloureux de la conquête islamique -, et l’élection de Donald Trump à la Présidence des Etats-Unis d’Amérique.

Pour Bat Ye’or, l’heure est peut-être venue de se consacrer à l’achèvement de son œuvre romanesque débutée voici soixante ans et dont les héros trépignent d’exister dans un livre enfin achevé et publié.

A lire l'interview de Bat Ye'or par Alexandre del Valle pour Atlantico.

Bat Ye’or, « Autobiographie politique. De la découverte du dhimmi à Eurabia ». Les Provinciales, 2018. 352 pages. 19,5 x 14,5 cm. Broché. ISBN 978-2-912833-42-6. 24 €


A lire sur ce blog :

« Ellis Island, une histoire du rêve américain”, de Michaël Prazan

 
« Porte d’entrée au Nouveau monde », Ellis Island a accueilli de 1892 à 1954, plus de 12 millions d’immigrants fuyant, pour des raisons diverses l’Ancien monde. Un lieu de transit et d’examens, notamment médicaux, dont l’histoire retrace celle du “melting pot” et du rêve américains. « Ellis Island, une histoire du rêve américain” (2013) est un documentaire écrit et réalisé par Michaël Prazan. Arte le diffusera les 26 février à 1 h 30, 4 mars à 0 h 55, 10 mars à 1 h 40 et 12 mars 2018 à 10 h 25. 

En 1979, sensibles aux thèmes de l’exil et de ses lieux, le romancier Georges Perec et le réalisateur et écrivain Robert Bober ont réalisé le documentaire  Récits d’Ellis Island, histoires d’errance et d’espoir. En 1980, le texte de Georges Perec sur Ellis Island est publié. Extrait  : « A partir de la première moitié du XIXe siècle, un formidable espoir secoue l'Europe : pour tous les peuples écrasés, opprimés, oppressés, asservis, massacrés, pour toutes les classes exploitées, affamées, ravagées par les épidémies, décimées par des années de disette et de famine, une terre promise se met à exister : l'Amérique, une terre vierge ouverte à tous, une terre libre et généreuse où les damnés du vieux continent pourront devenir les pionniers d'un nouveau monde, les bâtisseurs d'une société sans injustice et sans préjugés ».

Dans son documentaire nourri d’archives émouvantes et d’interviews d’historiens, Michaël Prazan offre sa vision d’Ellis Island pour évoquer le « rêve américain » au travers de la “mémoire complexe du melting-pot américain”.

« Porte d’entrée au Nouveau monde »
Longtemps, l’immigration aux Etats-Unis a pu se faire sans aucune restriction, sans la nécessité de présenter un passeport ou un visa d’entrée. Cependant, l’immigrant devait bénéficier d’une bonne santé.

De 1892 à 1954, plus de 12 millions d’immigrants sont arrivés aux Etats-Unis par Ellis Island, îlot du port de New York, à l’ombre de la Statue de la Liberté, face à Manhattan. Au fil des années, cette “porte d’entrée du Nouveau monde” a vu sa superficie passer de 3,3 acres à 27,5 acres (13 351,8 m² à 111 265 m²). De 1794 à 1890, cette minuscule ile a joué un rôle militaire dans l'histoire américaine, notamment lors de la guerre d'Indépendance (1775-1783).

De 1910 à 1940, la Angel Island Immigration Station dans la baie de San Francisco a traité environ un million d'immigrants asiatiques entrant aux Etats-Unis, ce qui l'a fait être désignée comme "l'Ellis Island de l'Ouest". En raison aux restrictions du Chinese Exclusion Act (1882), de nombreux immigrants ont passé plusieurs années sur cette ile, dans l'attente de l'autorisation d'entrée.

En 1892, Ellis Island  située dans la partie haute de la baie de New York, s’impose comme la principale porte d’entrée aux États-Unis pour les immigrants arrivant en nombre croissant et massivement d’Europe. Un immense centre d’accueil et d’examens des immigrés fuyant la misère, la faim et les persécutions antisémites ou politiques, est inauguré en 1900, après un incendie qui a ravagé les anciens bâtiments. Avant-poste des services américains de l’immigration newyorkais, c’est l’ultime étape avant de fouler le sol américain.

L’actrice Pola Negri et selon la légende le producteur de cinéma Sam Goldwyn - celui-ci a en fait traversé la frontière canado-américaine -, tous deux venus de Pologne, l’écrivain tchèque George Voskovec, l’enfant sicilien Salvatore Lucania, qui deviendra le chef de la mafia surnommé Lucky Luciano, l’Irlandais William O'Dwyer, futur maire de New York, le grand-père adolescent du chanteur Joe Dassin, Elia Kazan encore enfant et bien d’autres “ont traversé l'Atlantique pour fuir une existence misérable, persécutée ou incertaine en Europe, vers une nouvelle Terre promise qui ne les accueille pas toujours à bras ouverts”. Ils ont découvert “les larges avenues de New York, les lucratifs tripots de Brooklyn » ou fondent et deviennent des stars à Hollywood.

Ce documentairemontre combien, face aux drames européens de la première moitié du XXe siècle, l’Amérique fut ambivalente. Mais il explique aussi pourquoi ces parias irlandais, juifs et italiens brocardés par les xénophobes vont renouveler et incarner le “rêve américain”.

« Durant ces heures décisives, où le destin des immigrants ne leur appartient pas, où les inspecteurs des services de l’immigration déterminent qui peut entrer sur le territoire américain et qui doit être refoulé » pour des raisons médicales ou pour éviter de futurs assistés, « s’invente le melting pot américain, alimenté par les soubresauts du Vieux Continent ».

Ces vagues successives d’immigration vont renouveler, incarner et représenter dans la littérature ou le cinéma le « rêve américain ».

“Lieu de mémoire” pour tant d’Américains, Ellis Island est devenu sous la présidence de Ronald Reagan un musée d'histoire de l'immigration.

Georges Perec
Le 29 janvier 2017 , à 17 h 30, la Maison de la Culture Juive présenta "Ellis Island", mise en voix du texte de Georges Perec interprété par Yael Dyens, comédienne, dans une mise en scène de Margot Simonnet. "Ellis Island, surnommée L’île des larmes, devint à partir de 1892 le point de passage obligé pour rentrer en Amérique. Perec décrit l’histoire de ce lieu qui met progressivement en place une gestion rationalisée des flux migratoires de masse. Parti d’un lieu réel, et issu d’un documentaire, le texte se tourne vers un lieu intérieur, biographique, et c’est ce qui lui fait prendre une force extraordinaire. Perec, en s’imaginant le destin de tous ces immigrés, se retrouve sur celles de son propre exil. Cette confrontation de l’écrivain à Ellis Island, un lieu réel qui aurait pu faire partie de son histoire, mais aussi lieu de l’exil, fait écho avec force à son rapport à la judéité. Mais aussi au statut de tout immigré, arraché de gré ou de force à ses racines".

Mystères d'archives
Arte diffusa les 14 octobre à 16 h 30, 28 et 29 octobre 2017, dans le cadre de Mystères d'archives (Verschollene Filmschätze)1903. Ellis Island (1903. Ellis Island, N.Y.), réalisé par Serge Viallet (2017, 27 min.) 

"En 1903, plus de 600 000 personnes en provenance d’Europe franchissent les portes du centre d'immigration d’Ellis Island, situé dans la baie de New York, avant de commencer leur nouvelle vie aux États-Unis. Radiographie de l'île par laquelle sont passés les rêves d'ailleurs de millions de personnes". Ellis Island a alors la superficie de neuf terrains de football. Boston, Baltimore, Philadelphie, La Nouvelle Orléans sont aussi des lieux d'entrées pour le Nouveau Monde.

Le documentaire analyse des images filmées tournées le 9 juillet 1903 concernant les passagers d'un ferry arrivant à Ellis Island, puis New York. "Jusqu'à cinq mille personnes peuvent être contrôlées chaque jour". Deux Transatlantiques "sont arrivés à l'aube à New York, qui compte quatre millions d'habitants". Les malades sont isolés dans deux îlots artificiels. Seuls les passagers en 3e classe sont contrôlés à Ellis Island. Les listes des passagers permettent de contrôler les immigrés, car à l'époque les cartes d'identité sont rares. Les immigrés sont identifiés par des numéros. Des spectateurs-touristes assistent à l'arrivé des immigrants. Deux pour cent des immigrants sont renvoyés dans leur pays à l'issue de la visite médicale. Des lettres de l'alphabet hébreu sont utilisées, en diverses tailles, pour tester la vision des immigrants juifs fuyant les pogroms d'Europe. Autour de l'île, des réverbères sont allumés toute la nuit pour repérer d'éventuels fuyards.

Manhattan. Début des années 1910. Ligne du métro aérien. Le grand magasin Stern a été construit par des immigrants juifs. Au croisement de Broadway, se trouve le siège du New York Times. Un gratte-ciel a été édifié récemment. A côté, le siège du New York Herald. Sur dix habitants de New York, quatre sont nés à l'étranger en 1906.

Un film de propagande vise à dissuader les Suédois d'immigrer aux Etats-Unis. Il a tourné en Angleterre une scène supposée se passer à... New York.

Avec la Première Guerre mondiale, l'immigration ralentit fortement. Traverser l'Atlantique est trop dangereux. Des quotas sont mis en place.

Hôpital
Le 10 octobre 2017, le magazine Tablet a publié un article sur un hôpital en ruines à Ellis Island. Depuis 1954, cet hôpital est vide. Save Ellis Island collecte des fonds pour préserver ce patrimoine historique américain.


« Ellis Island, une histoire du rêve américain”, de Michaël Prazan
Films d’un jour, arte France, Histoire, RSI, CNC et Procirep-Angoa, 2013, 105 minutes
Diffusions :
- sur Arte les 11 mars à 20 h 50, 13 mars à 9 h et 29 mars 2014 à 10 h 40, 28 décembre 2015 à 0 h 35 et 13 janvier 2016 à 1 h 05 ;
- sur lchaîne Histoire les 27 et 29 octobre 2014les 21 et 23 février 201517 août à 20 h 40, 21 août à 17 h 15, 25 août à 22 h 55, 28 août à 0 h 40, 1er septembre à 8 h 20, septembre à 2 h et 12 septembre 2016 à 1 h 40 ;
- au Luminor Hôtel de Ville, dans le cadre du Festival des Cultures Juivesle 12 juin 2015, à 14 h.

Visuels
Ellis Island vue d’avion. Au loin, le sud de Manhattan.
Ellis Island entre 1905 et 1912. Intérieur du Grand Hall
© Library of Congress

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Les citations sont extraites du communiqué de presse.
Cet article a été publié les 11 mars et 26 octobre 2014, 20 février, 11 juin et 27 décembre 2015, 21 août 2016, 29 janvier et 11 octobre 2017.