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jeudi 15 décembre 2022

Esther Touitou, franco-israélienne emprisonnée au Maroc sur mandat d’arrêt de la France

Gladys Esther Touitou, épouse et mère de famille juive pieuse franco-israélienne âgée de 57 ans, a été arrêtée le 23 mai 2022 à son arrivée à l’aéroport de Marrakech (Maroc) où elle devait assister à un mariage. Après sa garde à vue, elle a été emprisonnée au Maroc dans l’attente de son extradition vers la France. A l’origine : un mandat d’arrêt initié par la France après la curieuse condamnation par contumace pour des délits dont blanchiment aggravé, par le Tribunal correctionnel de Paris, de cette quinquagénaire qui proclame son innocence. Dysfonctionnements semble-t-il dans la chaine judiciaire française ayant abouti à cette condamnation, silence de personnalités françaises – Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, porte-parolat du Quai d’Orsay, député Meyer Habib, etc. -, marocaine – ambassadeur à Paris S. E. Mohamed Benchaâboun - et israéliennes – Premier ministre Yaïr Lapid, ambassadrice d’Israël en France S. E. Yael German -… La détention de cette quasi-sexagénaire pratiquante croupissant dans une prison dans un silence généralisé, suscite des interrogations légitimes et inquiétantes. Le 16 décembre 2022, le Tribunal correctionnel de Paris a accueilli la demande d'Esther Touitou, représentée par Me David Cazeneuve, de mainlevée du mandat d'arrêt. 

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C’est une histoire qui commence classiquement. Une famille juive française pieuse, les Touitou, vivant à Créteil, fait son aliyah en 2003.

D’origine constantinoise, Gladys Esther et son époux Schmouel Touitou, agent immobilier, ainsi que leurs deux fils, âgés maintenant de 19 et 21 ans, vivent à Netanya (Israël).

« Esther Touitou a un casier judiciaire vierge. Elle n’a jamais eu de problèmes avec la justice française. Depuis son aliyah, elle n’est revenue qu’une fois en France, brièvement – huit jours -, en 2006, lors du décès de son père. Or, les faits que la justice français lui reproche ont été commis en 2009-2010 : quelqu’un avait créé le compte bancaire d’une société en utilisant l’identité d’Esther Touitou. Ce compte a servi dans une immense chaine d’actes, de virements…. C’est vraisemblablement une usurpation d’identité », a expliqué Me David Cazeneuve, avocat d’Esther Touitou, le 3 octobre 2022. Deux sociétés ont indument perçu 448 463,80 € au titre d'indemnités journalières versées par des assureurs.

Me David Cazeneuve a exprimé aussi sa surprise devant des dysfonctionnements émaillant ce dossier : « Curieusement, on n’a pas cherché Esther Touitou. La présence de son nom sur ce compte bancaire a suffi pour les enquêteurs et le juge d’instruction ! Et ma cliente a été condamnée à deux ans d’emprisonnement, en son absence, en décembre 2021 par le Tribunal correctionnel de Paris. Puis, la France a lancé un mandat d’arrêt à son encontre ».

Me David Cazeneuve a précisé avoir fait opposition à ce jugement afin que sa cliente soit rejugée : « L’audience aura lieu le 16 décembre 2022 devant le Tribunal judiciaire de Paris. La France est prête à recevoir Esther Touitou. Au Maroc, il faut du temps… »

« Le 23 mai 2022, nous sommes arrivés à l’aéroport de Marrakech (Maroc) pour assister à un mariage. Lors du contrôle des passeports israéliens dotés d’un visa marocain, ma femme a été immédiatement interpelée, placée en garde à vue pendant 48 heures, puis transférée à la prison de Rabat », m’a confié Schmouel Touitou le 29 septembre 2022 lors d’une conversation téléphonique. 

Dès l’arrestation, il avait sollicité les ambassades de France et d’Israël au Maroc. « L’ambassade de France m’avait répondu « Revenez dans quatre mois ! » Mais, quatre mois plus tard, rien n’avait avancé… Une personne de l’ambassade de France est allée voir en prison mon épouse une seule fois : voici deux mois. Ma femme a refusé de la voir », a précisé Schmuel Touitou.

Et cet homme éploré de regretter : « J’ai contacté le député Meyer Habib. Il m’a dit qu’il ne pouvait rien faire ».

Audience du 16 décembre 2022
Le 16 décembre 2022, devant la 11e Chambre correctionnelle au Tribunal judiciaire de Paris, Me David Cazeneuve a demandé la mainlevée du mandat d'arrêt visant Esther Touitou, et ce, afin que la détention en prison au Maroc de sa cliente prenne fin.

Il a argumenté en soulignant le casier vierge de sa cliente, les difficultés pour communiquer avec elle afin d'assurer sa défense, la présomption d'innocente dont elle bénéficie, son âge, et que le mandat d'arrêt n'est plus proportionné. Il a assuré de la volonté d'Esther Touitou de comparaître devant la justice française pour faire valoir ses arguments et qu'elle disposerait d'une habitation en banlieue parisienne dans l'attente de l'audience du 7 avril 2023.

Capucine Tapia, Procureur de la République, a émis un avis défavorable : elle demandait des éléments prouvant les difficultés rencontrées par Me David Cazeneuve pour communiquer avec sa cliente.

Présidé par Gérald Begrange, le Tribunal, a accueilli les demandes de Me David Cazeneuve : il a prononcé la mainlevée du mandat d'arrêt, agréé le domicile en banlieue parisienne devant accueillir Esther Touitou, et ordonné son interdiction de sortie du territoire français.

"Le délai d'appel est de dix jours. Mais la décision judiciaire est exécutoire. Je vais donc œuvrer afin qu'Esther Touitou soit enfin libre : elle est en prison depuis huit mois ! Le Maroc a entériné judiciairement la procédure d'extradition, mais l'administration marocaine bloque", m'a confié Me David Cazeneuve, heureux de ce jugement favorable. 

Une « belle prise » !
Ce qui surprend, c’est le silence qui occulte ce « non-évènement ».

Ces faits suscitent des questions fondées. Des procédures judiciaires, dont l’une devant la Cour de cassation du Maroc, semblent dissimuler des fautes patentes originelles ayant marqué la procédure judiciaire initiale.

France
Esther Touitou est inscrite sur les listes consulaires en Israël. Elle vote aux élections politiques françaises. Elle a fait renouveler son passeport. Les autorités françaises connaissent donc son adresse à Netanya. Dès lors, pourquoi ne l’ont-elles pas informée de la procédure judiciaire la visant ? Ce qui aurait respecté les droits de la défense.

La France a obtenu l’extradition par Israël de Franco-Israéliens juifs soupçonnées d’avoir commis des actes délictueux : fraude à la taxe carbone présentée par des médias français comme le « casse du siècle », arnaque au faux Président... Pourquoi n’a-t-elle pas usé de cette procédure concernant Esther Touitou dès l'origine ?

Pourquoi personne, au consulat ou à l’ambassade de France au Maroc, ne s’est rendu, au titre de la protection consulaire, et pendant environ deux mois, auprès d’Esther Touitou, emprisonnée ?

Le 22 décembre 2022, une source Quai d'Orsay m'a indiqué :
"Mme Touitou, comme tous les ressortissants français détenus à l’étranger, peut bénéficier de la protection consulaire de la France, si elle le souhaite. Comme dans tous les cas consulaires, il appartient aux autorités locales de prévenir les représentations consulaires concernées. Suite à cette notification des autorités marocaines, Mme Touitou a reçu une visite consulaire le 10 juin, mais n’a pas souhaité rencontrer l’agent consulaire lors des visites ultérieures qui lui ont été proposées. Mme Touitou a par ailleurs indiqué ne souhaiter bénéficier que de la protection consulaire des autorités israéliennes".
Le 14 décembre 2022 au soir, l'équipe de football de la France a vaincu par 2-0 celle du Maroc lors de la Coupe du monde de football au Qatar.

Comparons l’attitude du Quai d’Orsay envers Salah Hamouri. Membre de l’organisation terroriste FPLP (Front populaire de libération de la Palestine), ce Franco-palestinien a plaidé coupable, et a été condamné en 2008 à sept ans de prison pour avoir fomenté d’assassiner le chef spirituel du parti orthodoxe israélien Shass, le rabbin Ovadia Yossef. Ayant bénéficié de soutiens politiques en France aux plus hauts niveaux, il a été libéré de manière anticipée le 18 décembre 2011, dans le cadre de l’accord ayant permis la libération du jeune otage Franco-Israélien Guilad Shalit du 18 octobre 2011 en échange de 1027 détenus Arabes palestiniens. Il n’a exprimé ni regret ni remord, et a poursuivi son combat. 

En mars 2022, Salah Hamouri a été interpelé pour soutien au terrorisme. Ministre de la Justice, Ayelet Shaked, "a décidé de lui retirer sa résidence à Jérusalem et de l’expulser le 4 décembre vers la France. Il y retrouvera sa femme et ses enfants. Cette décision a été prise par la ministre sur recommandation des services de sécurité intérieures (Shin Bet) et avec le consentement du ministre de la Justice, Gideon Saar, et du premier ministre, Yaïr Lapid. Le gouvernement estime que les procédures judiciaires ont été totalement respectées et qu’il devait mettre fin à une procédure de détention administrative depuis environ neuf mois. Ayelet Shaked s’est justifiée : « Hamouri est un terroriste, membre du Front populaire de libération de la Palestine et un citoyen français actuellement détenu en détention administrative. Demain, il devrait être libéré. Sa détention terminée, il sera bientôt expulsé vers la France ».

« Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères est pleinement mobilisé à Paris, Tel Aviv et Jérusalem sur la situation de M. Salah Hamouri et veille à lui apporter toute l’assistance possible. Le consulat général de France à Jérusalem lui a rendu visite au titre de la protection consulaire, les 21 mars et 19 mai dernier, 15 juin 2022. Le consulat général de France à Jérusalem est en outre systématiquement présent au tribunal lors des audiences au cours desquelles M. Hamouri est amené à comparaître, notamment lors de la dernière audience du 9 mars. Nous avons conduit de multiples démarches auprès des autorités israéliennes au cours des derniers mois, notamment auprès du ministère israélien des affaires étrangères et de la présidence israélienne, pour demander que l’ensemble des droits de M. Hamouri soient respectés et qu’il puisse bénéficier de toutes les voies de recours », a indiqué le porte-parolat du Quai d’Orsay le 15 juin 2022.

"Le Président de la République avait abordé son cas lors d’en entretien téléphonique avec le Premier ministre israélien Y. Lapid."

"Des démarches ont été menées encore tout récemment auprès du gouvernement israélien pour rappeler notre opposition à l’expulsion de notre compatriote. Notre mobilisation se poursuit de même que notre assistance au titre de la protection consulaire", a déclaré le porte-parole du Quai d'Orsay le 5 décembre 2022.

Le 6 décembre 2022, le ministère français des Affaires étrangères a twitté en français, en arabe et en anglais : "Nous avons signifié de la manière la plus claire notre position aux autorités israéliennes : Salah Hamouri ne doit pas être expulsé. Il doit pouvoir exercer l’ensemble de ses droits et mener une vie normale à Jérusalem, sa ville de naissance et de résidence".

Le 6 décembre 2022, Meyer Habib, député réélu de la 8e circonscription des Français établis hors de France,  s'est indigné sur son compte Facebook :
"Jamais [Salah Hamouri] n’a exprimé le moindre regret et a même revendiqué dans un interview à l’agence de presse Reuters qu’il avait « tous les droits d’assassiner le grand rabbin »… 
3) Si Salah Hamouri a été détenu, c’est sur la base d’éléments très sérieux et sur décision de la Cour suprême d’Israël, haute juridiction internationalement reconnue pour sa jurisprudence protectrice des libertés fondamentales. 
4) L’expulsion de Salah Hamouri du territoire national israélien est une décision souveraine de l’Etat d’Israël dont la diplomatie française doit prendre acte. La France devrait d’ailleurs s’en inspirer dans la conduite de sa politique d’éloignement des étrangers incarcérés pour des faits de délinquance ou de criminalité. Notre groupe LR avait proposé une loi en ce sens dans le cadre de notre niche parlementaire, rejetée jeudi dernier en hémicycle.
Si je n’attends rien de l’extrême-gauche en matière de fermeté face au terrorisme, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’exprimer sa haine d’Israël, je regrette que la vivement la position de la France dans ce dossier".

Meyer Habib n’a pas aidé Esther Touitou. Pas de question au gouvernement. Pas de question à Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires Étrangères en Commission des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale lors de l’audition du 12 juillet 2022 ! Même pas un post sur les réseaux sociaux. Meyer Habib n’a pas aidé Esther Touitou, comme il n’a pas aidé le Dr Lionel Krief, victime de spoliations par le « gouvernement des juges ».

Maroc
« Je trouve invraisemblable que le Maroc mette autant de temps à procéder à l’extradition alors que tout est prêt depuis le 15 juillet : l’extradition a été validée côté marocain et les français se tiennent à disposition pour l’accueillir. Son maintien en détention au Maroc est inexplicable et inhumain », a indiqué Me David Cazeneuve.

En décembre 2020, le Maroc et l’Etat d’Israël ont normalisé leurs relations diplomatiques dans le cadre des accords d’Abraham. En échange, l’administration Trump avait reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. 

Des accords juridiques ont été conclus entre les deux pays.

Comment expliquer les longueurs procédurales marocaines ?

On peut craindre que de nombreux juifs, français ou israéliens, réfléchissent à deux fois avant de se rendre au Maroc.

Israël
Car le silence et l’inaction des autorités israéliennes surprend. 

Le 30 janvier 2020, Naama Issachar, "touriste israélo-américaine détenue dix mois en Russie car condamnée à plus de sept ans de prison pour « trafic de stupéfiants », graciée par le Président russe Vladimir Poutine", a été officiellement accueillie en Israël par le Premier ministre israélien, alors Benyamin Nétanyahou.

Le Premier ministre Yair Lapid a-t-il évoqué l'affaire Esther Touitou lors de sa rencontre avec le Président Emmanuel Macron ?

En tout cas, l’ambassade d’Israël en France demeure silencieuse sur cette affaire.

Le 4 décembre 2022, a twitté : "Honorée d’être intervenue aujourd’hui aux côtés du Président du @Le_CRIF, M. @YonathanArfi et des représentants du Maroc 🇲🇦 et des Émirats arabes unis 🇦🇪, lors de la Convention Nationale du CRIF, pour parler des #AccordsAbraham et de leur impact sur la région."


J'ai interrogé les autorités diplomatiques françaises, marocaines et israéliennes. Je publierai leurs réponses dès réception.

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Cet article avait été publié avant Kippour 5783.

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