Citations

« Le goût de la vérité n’empêche pas la prise de parti. » (Albert Camus)
« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du Soleil. » (René Char).
« Il faut commencer par le commencement, et le commencement de tout est le courage. » (Vladimir Jankélévitch)
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » (Albert Londres)
« Le plus difficile n'est pas de dire ce que l'on voit, mais d'accepter de voir ce que l'on voit. » (Charles Péguy)

vendredi 31 mars 2017

Avoir vingt ans à Jérusalem et à Tel Aviv


La Galerie Samuel (Paris) a présenté en 2005 l’exposition de trois photographes israéliens : Shaï Halevi, Dinu Mendrea et Ricki Rosen. Ces clichés offrent une image nouvelle, originale et variée de jeunes Israéliens, éprouvés par les attentats terroristes palestiniens, priant ou heureux de vivre, de s’amuser et de se détendre. Le 31 mars 2017 de 9 h 30 à 12 h 30, l'Institut français de Jérusalem Romain Gary à Jérusalem (Israël) proposera la conférence Beit Ham, une maison chaleureuse. "Les psychanalystes français Alain Didier-Weill et Paolo Lollo, invités par le Collège doctoral Paris-Jérusalem, se penchent, avec Alexandre Aiss, Henri Cohen Solal et Dominique Rividi, sur l’espace relationnel et les phénomènes transférentiels dans les lieux d’accueil pour les personnes en difficulté. Ce séminaire est consacré à la sortie du numéro 11 de la revue Insistance qui réunit des articles et des témoignages cliniques et humains liés à la pratique des lieux accueillant des jeunes : les maisons chaleureuses, Beit Ham. Celles-ci, influencées par la psychothérapie institutionnelle, témoignent de la confiance dans la capacité des humains à "devenir".


« Nous sommes las de voir qu’Israël est perçu sous un jour négatif dans de nombreux milieux. Pour nous, c’est une injustice, une faute due à l’ignorance et une entrave à la paix », déclare le 3 février 2005 Marc Lumbroso, alors membre du B’nai B’rith France, lors de l’inauguration de cette exposition.

« Faire découvrir différentes facettes d’Israël »
En 2005, le B’nai B’rith Paris-Ile-de-France et l’association CMJI (Connaissance du monde juif et d’Israël) organisent « Israël, un autre regard », « une série d’événements culturels et artistiques qui ont pour vocation de mettre en lumière des aspects méconnus de la société israélienne, d’en présenter la jeunesse, la gastronomie, la science ou encore l’histoire. Ce projet, qui s’inscrit au-delà des considérations politiques et religieuses, souhaite avant tout faire partager une émotion et des sentiments. Cette émotion, c’est celle d’hommes et de femmes qui voudraient faire découvrir Israël à ceux qui ne le connaissent pas ».

Les organisateurs veulent évoquer « la vie en Israël à travers les yeux de ceux qui la vivent au quotidien. C'est Israël à travers sa diversité, sa culture, ses modes de vie, son apport à la science ».

Voici donc la première manifestation, cette exposition de trois jeunes photographes israéliens - Shaï Halevi, Dinu Mendrea et Ricki Rosen – sur « deux villes que tout sépare, Jérusalem et Tel-Aviv, une description du quotidien de la jeunesse israélienne née dans la guerre, mais résolument tournée vers l'avenir ».

Shai Halevi est né en 1976 à Jérusalem. Cet adolescent se passionne pour la photographie. et intègre l’Ecole des hautes études en photographie de Jérusalem (Ecole Musrara). « L’Assocation des Amis de Beit Ham (« La maison chaleureuse »), qui assiste “les jeunes en difficulté sur la voie de leur vie d’adultes et de citoyens”, lui a donné les moyens de poursuivre sa démarche artistique ». Fondée par le psychanalyste Henri Cohen-Solal, l’association Beit Ham « met à disposition de ces jeunes des « lieux de vie », notamment un « centre de créativité » qui propose des activités » artistiques. En novembre 2003, Shai Halevi avait exposé au Passage de Retz (Paris) dix portraits de « citoyens anonymes de Jérusalem – Minyan (groupe de dix hommes adultes de la communauté d’Israël réunis pour la prière, Nda) – et cinq clichés de pierres et de béton”. En 2005, « ses clichés montrent le travail de ces jeunes en phase de réinsertion, dans les “maisons” de Beit Ham ». Dans ses dix clubs, éducateurs et moniteurs accueillent un millier d’enfants et d’adolescents en difficultés et de toutes religions. Là, ces jeunes dialoguent et travaillent (loisirs, métiers, arts). Un exemple intéressant pour les sociétés urbaines…

C’est Jérusalem que Dinu Mendrea a choisi de photographier. Né en 1970 en Roumanie, il a émigré en Israël à l’âge de seize ans. « Photographe pour l’armée pendant son service militaire, il a ensuite étudié la photographie pendant quatre ans à l’Académie d’Art Betzalel de Jérusalem. A 34 ans, ses clichés ont été présentés et publiés dans de nombreux titres de la presse française et internationale ». C’est dans la « ville d’or » qu’il a eu vingt ans. Il offre un « reportage photographique sur « l’ombre constante » que les attentats terroristes projettent au-dessus des Hiérosolymitains » et « une atmosphère partagée, une certaine lassitude de la situation ». Ces photos ont été présentées pour la première fois en France, après avoir été diffusés dans d’autres pays.

Ricki Rosen s’intéresse à Tel Aviv, l’occidentale, la ville réputée « ne jamais dormir ». Née aux Etats-Unis en 1956, Ricki Rosen vit en Israël depuis seize ans. Elle a couvert les principaux événements au Moyen-Orient ces dernières années. Ses clichés ont été publiés par les journaux français et internationaux et ont fait l’objet de nombreuses expositions. « Avoir vingt ans à Tel Aviv est un défi de tous les jours. Confrontée à la violence du terrorisme, la jeunesse libérale et laïque y poursuit envers et contre tout un idéal de vie hédoniste et cosmopolite ». Colorées, dynamiques et contrastées, ces photos ont illustré le reportage de Olivier Michel paru dans « Le Figaro Magazine » du 24 janvier 2004 et intitulé « Avoir 20 ans à Tel Aviv, La rage de vivre ».

Visuels : 
Copyright : Ricki Rosen/Corbis

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Cet article a été publié sur Guysen, et sur ce blog le :
- 25 juin 2014 et 2 janvier 2015. France 2 a diffusé Avoir 20 ans à Tel-Aviv de Michel Honorin les 26 juin 2014, à 4 h 05 et 2 janvier 2015, à 4 h 45 : "Pour plusieurs religieux israéliens, Tel Aviv fait figure de ville libertaire. Certains de ces "hommes en noir" n'hésitent pas à fustiger cette jeunesse qui déserte les synagogues les soirs de shabbat pour s'entasser dans les discothèques. Il est vrai que le service militaire obligatoire de trois ans pour les garçons, deux ans pour les filles, pousse certains jeunes à espérer la paix plutôt que l'avènement du Grand Israël. Certains d'entre eux témoignent de leur volonté de vivre libres, tout en craignant un conflit qui opposerait les laïcs et les religieux". 
- 14 juin 2015. Le 14 juin 2015, Les Nouveaux explorateurs sur Canal + ont évoqué notamment Tel Aviv.

jeudi 30 mars 2017

Le Marais en héritage(s) : 50 ans de sauvegarde, depuis la loi Malraux



Le Musée Carnavalet a présenté l’exposition éponyme. Plus de 330 œuvres – photographies, livres, dessins, plans et cartes, films, affiches, maquettes, gravures et médailles rappellent les problématiques soulevées par le « tracé du premier secteur sauvegardé parisien » à l’initiative des ministres André Malraux et Pierre Sudreau, des passionnés et des amateurs éclairés. Le 30 mars 2017, France 5 diffusera Le Marais, un trésor à Paris, documentaire de Laurent Lefebvre. "Quartier le plus visité de Paris, le Marais est à la fois aristocratique, populaire, bohème et bourgeois. Il abrite artisans et commerçants, une population qui se bat chaque jour pour préserver l'âme de cet espace. Il s'enracine dans une capitale capricieuse qui l'a tantôt choyé, tantôt délaissé. Aujourd'hui, de l'Hôtel de Ville à la Bastille, le Marais s'est constitué comme le poumon artistique et branché de la ville. Musée à ciel ouvert, ses jardins secrets et ses multiples hôtels particuliers de la Renaissance permettent de remonter le temps".


Le nom « Marais », pour désigner ce quartier, semble être apparu dans les années 1560.

Au XVIIe siècle, il « devient le quartier le plus élégant et le plus à la mode de la capitale ».

Pour évoquer cette période, le Musée Carnavalet présente une « matériauthèque » du Marais formée « de lambris, portes, solives, balustres de rampes, sculptures, céramiques, boucles, monnaies, enseignes, documents, photographies, films, plans, maquettes… »

Au fil des siècles, le Marais est demeuré pour partie bourgeois, et pour partie populaire avec ses artisans, petits commerçants et ouvriers, et juif principalement par son Pletzl.

« Sur la plupart de ces quais au-delà de Notre-Dame ne figure aucun monument illustre […]. Ils sont les décors privilégiés d'un rêve que Paris dispensa au monde, et nous voulons protéger ces décors à l'égal de nos monuments. » (André Malraux. Intervention à l’Assemblée Nationale, 23 juillet 1962).

Quarante ans après le décès d’André Malraux et pour le 50e anniversaire « du tracé du premier secteur sauvegardé parisien », le musée Carnavalet montre « une exposition dédiée au Marais, quartier qui occupe une place singulière dans le cœur des Parisiens » et dans l’histoire des Juifs de la capitale (Pletzl).

Plus de 300 œuvres mettent « en perspective 50 ans de l’évolution d’un quartier exceptionnel par l’abondance de ses hôtels particuliers érigés aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles qui côtoient des architectures contemporaines et au cœur duquel se trouve le musée Carnavalet ».

La loi du 4 août 1962 a instauré « les secteurs sauvegardés dont le caractère historique justifie » la « conservation, la restauration et la mise en valeur ». Elle confère au quartier du Marais « un dispositif de protection patrimoniale spécifique, à l’instar des centres historiques des villes comme Lyon, Chartres, Clermont-Ferrand ou Aix-en-Provence ».

La « sauvegarde du Marais a suscité d’exceptionnelles aventures humaines, individuelles et collectives associant des « décideurs, des aménageurs, des élus, des architectes, des urbanistes et des résidents, et induisant « de multiples visions et controverses ».

« Quels ont été les défis, les succès et les revers de la valorisation ? Que révèlent-ils ? Vers quel renouveau tendent-ils ? » L’exposition, dont la commissaire est Valérie Guillaume, Directrice du musée Carnavalet – Histoire de Paris, « évoque les questions patrimoniales et esthétiques » suscitées par ce plan de sauvegarde ainsi que « ses dimensions sociologiques, économiques et humaines ». 

Témoignages, photographies, films, cartes, maquettes, instruments, échantillons, affiches, dessins in situ, prélèvements, éléments d’architecture soulignent l’évolution permanente de ce quartier. Le visiteur est invité à une véritable « immersion sensorielle » à travers les couleurs et les matériaux du Marais.

De « nombreuses pièces inédites issues d’hôtels particuliers, de maisons de rapport ou de lieux de culte sauvés de la destruction », et découvertes aussi lors de fouilles archéologiques récentes, laissent apparaître « un Marais secret » au savoir-faire, à l’art de vivre, l’architecture urbaine, et l’esthétique si particuliers.

Un « dispositif numérique interactif propose ainsi aux visiteurs de se plonger dans deux rues familières du quartier, la rue des Rosiers dans le 4e arrondissement et la rue du Temple, dans le 3e arrondissement. A partir de témoignages, de photos et d’extraits de presse, un portrait vivant est esquissé ».

En 50 ans d’application de la loi Malraux, le secteur sauvegardé du Marais a subi des métamorphoses architecturales, démographiques, sociales.

Avant sa fermeture provisoire (2015-2019) pour assurer une rénovation visant à « repenser en profondeur la présentation de ses collections ainsi que sa médiation afin de devenir le musée incontournable pour comprendre Paris, son espace urbain, ses habitants, sa mémoire et son histoire, cette exposition propose de « nouvelles clés de compréhension d’un territoire » par une scénographie annonçant partiellement une « des salles d’introduction du futur musée après sa rénovation ».

La loi Malraux à l’origine des secteurs sauvegardés
La sauvegarde du Marais « inaugure un mouvement international de préservation et de mise en valeur des quartiers anciens qui émerge dans les années 1960 ». Parallèlement à un mouvement visant à moderniser les villes pour les adapter aux voitures.

Un secteur sauvegardé est « une zone urbaine soumise à des règles particulières en raison de son « caractère historique, esthétique ou de nature à justifier la conservation, la restauration et la mise en valeur de tout ou partie d'un ensemble d'immeubles, bâtis ou non » (loi du 4 août 1962 dite « loi Malraux ») ».

On en compte 105 secteurs sauvegardés en France. Alors ministre des Affaires culturelles, André Malraux souhaitait en créer 400.

« D’une extraordinaire richesse patrimoniale, le Marais est le premier quartier parisien déclaré « secteur sauvegardé » en décembre 1964. Son territoire de 126 hectares, environ 1,2% de la surface de Paris, recouvre partiellement les 3e et 4e arrondissements. Nous célébrons en 2015 le 50e anniversaire de sa délimitation ».

« L’autre secteur sauvegardé à Paris est la partie Est du 7e arrondissement, il est délimité par un Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV) établi en 1972 et approuvé en 1991 ».

La « sauvegarde du patrimoine n’exclut pas les projets architecturaux contemporains.

Bien au contraire, même dans un secteur sauvegardé, la ville se construit par strates temporelles successives. Trois propositions architecturales des années 2010, présentées en début d’exposition, témoignent de cet harmonieux dialogue entre le patrimoine et la création :
- les logements sociaux construits par les architectes Chartier-Corbasson à l’angle des rues de Turenne et Saint-Antoine (4e), avec leur audacieuse façade évolutive et mobile, en alignement de rue,
- la réhabilitation de l’ancienne Société des Cendres par l’architecte Pierre Audat au 39 rue des Francs-Bourgeois (4e),
- la future fondation des Galeries Lafayette conçue par Rem Koolhaas situé entre la rue du Plâtre et la rue Sainte-Croix de la Bretonnerie (4e), actuellement en cours d’aménagement ».

Les acteurs de la sauvegarde du Marais
« Depuis l’établissement de son périmètre le 16 avril 1965, le secteur sauvegardé du Marais fait l’objet d’une politique de mise en valeur active qui mobilise politiques, architectes, urbanistes, historiens, archéologues mais aussi les bénévoles et les amoureux du Marais ».

« Dès 1959, le ministre des affaires culturelles André Malraux partage avec son collègue Pierre Sudreau, ministre de la Construction, la volonté de sauvegarder le patrimoine historique et esthétique. Ensemble, ils engagent le ravalement des monuments parisiens ainsi décrits par Malraux : « Paris noir était une ville triste. C’est la saleté qui l’avait rendue triste. Le noir supprimait les ombres, donc le décor ». André Malraux « considère la sauvegarde comme une ressource imaginaire féconde » : « Dans notre civilisation, l’avenir ne s’oppose pas au passé, il le ressuscite ». Son « grand génie a été de réussir à personnifier la loi votée le 4 août 1962 et depuis communément appelée « loi Malraux ».

C’est « exceptionnellement au Sénat que cette loi est d’abord présentée, en décembre 1961, par Pierre Sudreau. La loi a un double but, dit-il, « de protéger et d'essayer de restaurer des quartiers anciens ou historiques qui font partie de l'âme de notre pays ».

Le 23 juillet 1962, André Malraux « prononce devant l’Assemblée nationale un discours dont cet extrait demeure particulièrement fameux » : « Les nations ne sont plus seulement sensibles aux chefs-d’œuvre, elles le sont devenues à la seule présence de leur passé. Ici est le point décisif : elles ont découvert que l'âme de ce passé n'est pas faite que de chefs-d’œuvre, qu'en architecture un chef-d’œuvre isolé risque d'être un chef-d’œuvre mort ».

En 1970, la FNAC « lance un concours à destination des photographes amateurs pour immortaliser Paris. Prêtées généreusement par la Bibliothèque historique de la Ville de Paris (BHVP), ces images témoignent de la vie populaire du Marais à cette époque : les amateurs entrent dans les cours et dans les ateliers, accèdent aux chantiers de construction et témoignent ainsi des transformations du quartier ».

 « Animés par la passion du quartier, des amateurs s’engagent bénévolement dans sa préservation et arpentent méthodiquement ses rues pour capturer ses singularités et ses trésors afin d’en dresser un plan exhaustif ».

De 1962 à 1968, « Michel Raude met en place le Festival du Marais. Inspiré par le Festival d’Avignon, il propose des spectacles vivants dans les hôtels particuliers du quartier afin de faire connaitre ce patrimoine ».

Roland Liot, » photographe professionnel, est aussi spectateur de cette époque : il explore le Marais pour figer sur la pellicule les modifications qui l’affectent ».

Le Marais « a été également un territoire d’intense mobilisation militante contre l’expulsion de ses habitants et la rénovation par le privé de son patrimoine historique. Créé en 1975, l’inter-comité du Marais alerte l’opinion et les médias et contribue activement à modifier la réflexion en matière d’architecture et d’urbanisme ».

L’exposition s'achève par deux promenades, à travers le musée et le quartier. Au sein du musée Carnavalet - Histoire de Paris « le visiteur découvre les nombreuses œuvres et décors intérieurs du Marais qui n’ont pas pu être déplacés dans les salles d’exposition temporaire : la maquette de l’ensemble décoratif provenant de l’hôtel Colbert de Villacerf, datant du XVIIe siècle évoque ces nombreux ensembles décoratifs des XVIIe et XVIIIe siècles remontés dans l’hôtel Carnavalet ».

Enfin, l’exposition « engage chacun à inventer sa promenade dans le quartier, sur les pas des artistes Kojiro Agaki, Françoise Schein, Michel Longuet ou encore de la communauté des Urban Sketchers Paris, réseau de dessinateurs qui a organisé spécialement pour l’exposition deux « marathons de dessins » (ou SketchCrawl) en février et mars 2015 ».

Le 6 octobre 2016, à 19 h 30, le Musée d'art et d'histoire du Judaïsme (MAHJ) proposa Habiter le Marais 1900-1980,conférence d’Isabelle Backouche à l’occasion de la parution de son ouvrage Paris transformé. Le Marais 1900-1980 : de l’îlot insalubre au secteur sauvegardé (Créaphis éditions, 2016). "Le Marais a suscité de nombreux projets, débats et combats avant et après la décision de sa sauvegarde par la loi Malraux en 1962. Sa partie sud, au bord de la Seine, est l’un des dix-sept îlots insalubres délimités en 1920. Dénommé « îlot 16 », il a la réputation d’être un ghetto et son aménagement est lancé à partir de 1941. L’historienne Isabelle Backouche, directrice d’études à l’EHESS au Centre de recherches historiques, aborde les liens entre urbanisme et antisémitisme, observant à la loupe cette transformation urbaine qui frappe l’inscription de la communauté juive dans ce quartier. Elle pratique l’histoire urbaine et a notamment publié La cathédrale Notre-Dame et l'Hôtel de Ville. Incarner Paris du Moyen Age à nos jours (Paris, Publications de la Sorbonne, 2015), Aménager la ville. Les centres urbains français entre conservation et rénovation (de 1943 à nos jours) (Paris, A. Colin, 2013), Maison de l’histoire de France : enquête critique (Paris, Fondation Jean Jaurès, 2012).

Le 30 mars 2017, France 5 diffusera Le Marais, un trésor à Paris, documentaire de Laurent Lefebvre (55 min). "Quartier le plus visité de Paris, le Marais est à la fois aristocratique, populaire, bohème et bourgeois. Il abrite artisans et commerçants, une population qui se bat chaque jour pour préserver l'âme de cet espace. Il s'enracine dans une capitale capricieuse qui l'a tantôt choyé, tantôt délaissé. Aujourd'hui, de l'Hôtel de Ville à la Bastille, le Marais s'est constitué comme le poumon artistique et branché de la ville. Musée à ciel ouvert, ses jardins secrets et ses multiples hôtels particuliers de la Renaissance permettent de remonter le temps".

"Maigret tend un piège"
Arte diffusa les 26 février, 3 et 9 mars 2016 Maigret tend un piègede Jean Delannoy '1958) d'après l'oeuvre de Simenon, avec Jean Gabin, Annie Girardot, Jean Desailly, Olivier Hussenot, Jeanne Boitel, Lucienne Bogaert, Lino Ventura, Jean Debucourt, Guy Decomble, Maurice Sarfati et Daniel Emilfork.

"Trois femmes sont retrouvées mortes, vêtements lacérés, dans le quartier du Marais à Paris. Au quatrième meurtre, le commissaire Maigret comprend qu'il a affaire à un tueur en série et décide de lui tendre un piège. Il organise une reconstitution du dernier meurtre, choisissant pour appât des femmes ressemblant à celles que le tueur prend pour cible, et dissimule des policiers en civil parmi la foule. Le leurre fonctionne. Dans le même temps, l'inspecteur Lagrume, tête de turc de Maigret, prend en filature une certaine Yvonne Maurin, dont le comportement étrange pendant la reconstitution a éveillé ses soupçons. Une série de coïncidences et le génie du commissaire Maigret conduiront vite au criminel..."

Un film noir éclairé par les dialogues de Michel Audiard, qui offre un costume sur mesure à Jean Gabin.  Maigret le débonnaire, Gabin le magnifique. C'est la première fois que Jean Delannoy réalise un Maigret. Associé pour les dialogues à Michel Audiard, il parvient à transposer d'une remarquable façon l'atmosphère créée par Georges Simenon. Jean Gabin est sans doute celui qui a le mieux incarné le commissaire à la pipe et à la force tranquille, se moquant des déductions savantes et préférant humer les lieux et les êtres, à la recherche du "pourquoi" plutôt que du "comment".

Premier des trois films avec Gabin dans le rôle du célèbre commissaire, Maigret tend un piège impose une atmosphère noire et lourde, digne des plus grands polars. Un film savoureux, porté par le jeu de ses acteurs, dont deux "débutants" qui feront leur chemin, Annie Girardot et Lino Ventura".
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Témoignage du sociologue Edgar Morin qui habitait au 35, rue des Blancs Manteaux au début des années 1960

« La population est merveilleusement cosmopolite. Il y a des Juifs que le trop plein de la rue des Rosiers a exilé vers l’est, des Arabes travaillant aux Halles et qui logent dans une même pièce ; il y a une colonie chinoise déportée pendant la guerre de 1914 de la concession française de Shanghai et dont les descendants se sont consacrés à la maroquinerie. »

« Le Marais […] a disparu depuis le début du XIXe siècle sous les appentis ; les excroissances en matériaux divers apportés là par une population des plus denses à Paris, sous la crasse et la lèpre d’un vieillissement accéléré. »


L’îlot 16, au croisement de l’histoire urbaine, architecturale, politique et sociale

« Pluridisciplinaire, l’exposition resitue les questions architecturales dans leur contexte politique, historique et sociétal. Le cas particulier de l’îlot 16 est emblématique de l’inscription de ces problématiques dans le territoire. C’est en 1921 que dix-sept îlots dits « insalubres », parce que la mortalité par tuberculose y est supérieure à la moyenne, sont délimités sur l’ensemble du territoire parisien. Ces quartiers sont destinés à être rasés et reconstruits. Le 16e îlot, d’une superficie de 14 hectares, est situé au sud du 4e arrondissement. Il est délimité à l’ouest par l’église Saint-Gervais, à l’est par la rue de Foucry, au nord par la rue François Miron et au sud par le quai de l’Hôtel de Ville Plusieurs visions d’aménagement de cet îlot se sont succédé dans les années 1930. L’urbanisme de mouvance moderniste voulait détruire le quartier et édifier un centre administratif et culturel doté d’un vaste espace vert. L’administration du régime de Vichy (1940-1944) préfère à ce plan un processus de conservation et de sauvegarde. Elle privilégie le curetage des cours intérieures, l’aménagement d’espaces verts, la destruction de bâtiments vétustes et la reconstruction d’édifices, de style historique. L’ancien tracé des rues est modifié. Ces différentes interventions préfigurent les méthodes en vigueur à partir de la loi Malraux ».

« L’expulsion des habitants, à majorité locataires, des 350 immeubles classés insalubres, dans cet îlot 16, a eu lieu pendant les persécutions des Juifs, notamment entre 1941 et 1944. 20% des foyers qui avaient fait l’objet de la procédure d’expulsion s’étaient déclarés juifs ».


Jusqu’au 28 février 2016
Au Musée Carnavalet 
Histoire de Paris
16, rue des Francs-Bourgeois. 75003 Paris
Tél. : +33 (0)1 44 59 58 58
Du mardi au dimanche de 10 h à 18 h

Visuels 
Cour d'honneur de l'hôtel Carnavalet - 2015 © Jean-Baptiste Woloch / Musée Carnavalet

Mascaron : tête masculine de Faune Vers 1648-1650 Calcaire de Saint-Leu 66 x 75 x 34, 5 cm, Paris, Association pour la sauvegarde et la mise en valeur du Paris historique © Paris Musées/Lyliane Degrâces-Khoshpanjeh

Place des Vosges, acardes SketchCrawl 14 Février/8 Mars 2015, Aquarelle. Marion Rivolier. Paris, Marion Rivolier/ Urban Sketcher Paris © Marion Rivolier

Anonyme. Panneau du grand hôtel d'Aumont. Chêne sculpté et peint en blanc, décor rapporté doré. 1774-1791. Paris, musée Carnavalet. © Musée Carnavalet / Roger-Viollet

 « Non aux expulsions en août, Solidarité avec l’intercomité du Marais, 25 rue Saint Paul exposition, film, permanence » Intercomité du Marais - © Atelier F.A.P. (Front des Artistes Plasticiens)

La Place des Vosges © Roland Liot

Saint François enlevé dans un char de feu, partie supérieure"".
Paris, musée Carnavalet. © Musée Carnavalet / Roger-Viollet

Delphine Priollaud-Stoclet,  Rue des Rosiers. Gouache . 29,7 x 42cm Paris, coll. Delphine Priollaud-Stoclet / Urban Sketchers Paris © Delphine Priollaud-Stoclet

Plan de Sauvegarde et de mise en valeur du Marais 2013

Vue aérienne de la place de l'Hôtel-de-Ville piétonne en 1983 - © Droit Réservé Ville de Paris, collection Direction de l’Urbanisme

Bâtiment existant et tour d'exposition de la Fondation d’entreprise Galeries Lafayette, Maquette 1-100e du projet de l’agence OMA © OMA

1977 La place de l'Hôtel-de-Ville - Esplanade de la Libération, ancienne place de Grève jusqu'en 1803 © Droit Réservé Ville de Paris, collection Direction de l’Urbanisme

Portrait d'André Malraux, ministre de la Culture, dans son bureau de la rue de Valois,  Paris (Ier arr.). 1967.
Photographie de Jean Mounicq.
Paris, musée Carnavalet. © Musée Carnavalet / Roger-Viollet

Roman Cieslewicz (1930-1996). Affiche pour le festival du marais du 6 juin au 14 juillet 1972, Sérigraphie, 1972. Paris, musée Carnavalet.© Musée Carnavalet / Roger-Viollet

Décor du cabinet provenant de l'Hôtel Colbert de Villacerf. Anonyme. Paris, musée Carnavalet.  © Daniel Lifermann / Musée Carnavalet / Roger-Viollet

Françoise Schein, Rue du Roi de Sicile, anciennement 48 rue des droits de l’homme, 2014. Installation lumineuse. Paris, collection particulière. Courtesy V Contemporary Art Gallery www.5contemporary.com/ © Françoise Schein, ADAGP 2015.

Paris transformé. Le Marais 1900-1980 : de l’îlot insalubre au secteur sauvegardé d'Isabelle-Backouche © DR

Articles sur ce blog concernant :
Les citations proviennent du dossier de presse. Cet article a été publié le 26 février 2016, puis le 5 octobre 2016.

mardi 28 mars 2017

« Grandeur et misère de l'antiracisme », par Philippe Truffault


Arte rediffusera le 29 mars 2017, dans la série Philosophie animée par Raphaël Enthoven, « Grandeur et misère de l'antiracisme » (Glanz und Elend des Antirassismus), réalisé par Philippe Truffault.  Une émission gênante, décevante, et occultant des problèmes graves.

« Comment lutter contre le racisme sans lui emprunter ses armes ? »

« Pour lutter contre les diverses formes de racisme, certains courants de l’antiracisme contemporain versent dans les mêmes travers que ce qu’ils dénoncent : la discrimination positive ne reste-t-elle pas une discrimination ? »

« L’interdiction faite aux « Blancs » d’accéder à un « camp d'été décolonial », ou aux hommes d'assister aux réunions « non mixtes », ne représente-t-elle pas un apartheid à l’envers ? »

Raphaël Enthoven dialogue avec Magali Bessone, philosophe, auteure notamment de Race, racisme, discriminations – Anthologie de textes fondamentaux (Hermann, 2015), et Nacira Guénif-Souilamas, sociologue et anthropologue, membre du Parti des indigènes de la République. On peut regretter que Magali Bessone s'explique d'une manière si compliquée, et convainc rarement de sa pertinence : elle trouve la loi de 2004 "sexiste" car elle "a contribué à la racialisation accrue du groupe arabe ou musulman".

"On n'est pas dans un Etat raciste, mais il y a un racisme d'Etat : il y a un présent colonial français. Il y a ce que l'Etat laisse faire - prolifération de discours racistes -, il y a ce que l'Etat prétend ignorer et ce que l'Etat fait. La loi de 2004 interdisant des signes religieux à l'école publique est une loi raciste et sexiste. Des trajectoires scolaires ont été ruinées. C'est une loi liberticide, prohibitionniste", allègue Nacira Guénif-Souilamas, professeur.

Des extraits de reportages émaillent ces dialogues.

Quid de la discrimination positive en faveur des "minorités visibles" ? Comment ont été choisies les deux invitées aux positions très proches : condamnation du café d'Identitaires et défense du « camp d'été décolonial » ? Pourquoi ce ressentiment, voire ce qui semble une haine de la France, chez Nacira Guénif-Souilamas dont la carrière professionnelle dément ses accusations ?  Comment peut-on traiter de sujets si graves en les engonçant dans une philosophie décontextualisée par exemple sur la loi de 2004 ?

« Poursuivi en justice pour avoir dénoncé l'antisémitisme arabo-musulman, l'historien Georges Bensoussan vient d'être relaxé. Une victoire, certes, mais cet épisode reflète l'évolution d'un antiracisme militant, de plus en plus identitaire, communautariste et liberticide » a écrit Alexandre Devecchio dans Le Figaro (20 mars 2017).

« Grandeur et misère de l'antiracisme », par Philippe Truffault
Arte F, Prime Group, 2016, 27 min
Sur Arte 29 mars 2017 à 1 h 40

Visuels : © A Prime Group/Gérard Figuérola

A lire sur ce blog :
Les citations proviennent d'Arte.

jeudi 23 mars 2017

« L’administrateur provisoire » par Alexandre Seurat


Le Rouergue a publié « L’administrateur provisoire » par Alexandre Seurat. Un roman sur un secret de famille lié à un membre d’une famille chrétienne française, devenu administrateur sous le régime de Vichy et ayant spolié des Juifs dont certains furent assassinés au camp nazi d’Auschwitz (Pologne). Une enquête familiale et historique émouvante nourrie de citations d'archives bouleversantes sur plusieurs victimes  juives de ces spoliations sous l'Occupation.

Spoliés ! L’« aryanisation » économique en France 1940-1944 
« Convoi 6 - Un train parmi tant d'autres »

Auteur d’un premier roman remarqué intitulé La Maladroite, Alexandre Seurat centre son nouveau livre sur le secret d’une famille française chrétienne.

« Découvrant au début du récit que la mort de son jeune frère résonne avec un secret de famille, le narrateur interroge ses proches, puis, devant leur silence, mène sa recherche dans les Archives nationales. Il découvre alors que son arrière-grand-père a participé à la confiscation des biens juifs durant l’Occupation ».

Professeur de lettre à Anger, l’auteur souligne la cupidité de cet administrateur, montre les réactions nuancées au sein de la famille, entre ceux qui savaient sans en être choqués et ceux qui sont choqués par le zèle spontané de cet administrateur judiciaire sans regret ni remord.

En un style sobre, Alexandre Seurat présente des extraits bouleversants de documents, souvent des lettres, émanant des Archives nationales et décrivant la spoliation économique de modestes pères de familles juives, artisans dans la confection ou la joaillerie, travaillant à leur domicile parisien dans la crainte de rafles. 

Une spoliation économique signifiant un crime socio-professionnel, prélude pour certains à leur déportation, et leur assassinat dans le camp nazi d’Auschwitz. Une persécution antisémite encadrée par la loi du régime de Vichy.

« Je voulais que les souvenirs de ce frère ne soient pas totalement explicites : on ne saura pas de quoi il est mort, on ne pourra pas reconstituer une histoire complète et c’est important pour moi. En effet, je pense que ce qu’il y a de plus fort ne peut être que suggéré. C’est très important pour moi que ce soit comme un iceberg : une histoire qui essaie de tourner autour d’un centre qui restera mystérieux. Ce frère est comme le réacteur de l’histoire et en même temps il reste très elliptique. On comprend simplement qu’il s’est autodétruit et qu’il était obsédé par la Shoah ; et donc que la grande Histoire résonne sans doute avec la sienne », a déclaré Alexandre Seurat à Pagedeslibraires, le 12 août 2016.

Et d’expliquer : « En me documentant sur cette période, j’ai lu des travaux d’historiens qui montrent que les administrateurs provisoires étaient environ 10 000 et qu’il y en avait de toutes sortes. Certains administraient de façon, si je puis dire, respectueuse des règlements vichystes, sans chercher à s’enrichir – et dire cela c’est considérer que la spoliation était un processus légal et là c’est vertigineux ! En tout cas, ce personnage, ce Raoul H., en plus d’être un administrateur provisoire respectant les consignes, met une hargne particulière à s’en prendre à ses victimes, à leur soutirer le plus d’argent possible. Dans mon texte, j’essaie d’aller le plus loin possible dans l’enquête, c’est-à-dire dans l’exploration du destin de ceux qui ont été spoliés, déportés et tués à la suite de ce processus. L’administrateur n’est pas le bourreau direct, mais la spoliation participe de ce qui va mener à la déportation. Cela est attesté dans les dossiers que j’ai consultés. Les victimes étaient souvent des immigrés de fraîche date arrivés en France dans les années d’entre-deux-guerres. Il y avait très peu de solidarité autour d’eux. C’est aussi à leur parcours que mon texte tente de rendre hommage, sans que je puisse en savoir plus que ce que j’ai trouvé dans les archives »

Un livre à lire aussi à la lumière des spoliations et des ruines impunies de Français juifs – Dr Lionel Krief, Eva Tanger, etc. - par un « gouvernement des juges ». Le rôle d'administrateurs judiciaires s'y est avéré majeur dans ce processus.


Alexandre Seurat, L’administrateur provisoire. Le Rouergue, 2016. 192 pages. 18,50 €. ISBN : 978-2-8126-1104-9

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mardi 21 mars 2017

« La trahison des clercs d’Israël » par Pierre Lurçat


Dans « La trahison des clercs d’Israël » (La Maison d’édition, 2016), Pierre Lurçat analyse les raisons pour lesquelles des clercs juifs, diasporiques ou/et israéliens, ont trahi les valeurs du judaïsme et du sionisme, se sont fourvoyés dans leur perception du conflit, et ont refusé toute spécificité juive de l’Etat d’Israël. Des débats fondamentaux remontant aux premiers Congrès sionistes mondiaux et agitant, voire minant, sous diverses formes, les institutions, la démocratie libérale et la société israéliennes, ainsi que la légitimité d’Israël. Le 21 mars 2017, de 20 h à 22 h 30, l’association France-Israël – Alliance Général Koenig organise la conférence de Pierre Lurçat sur son livre à la Maison des associations du 8e arrondissement de Paris.

A l’instar du philosophe Julien Benda en 1927, Pierre Lurçat fustige certains clercs, « intellectuels juifs d’Israël ou de la diaspora ».

Il stigmatise leur cécité à l’égard de la réalité, leur préférence pour des « principes abstraits et éternels au détriment des nécessités vitales de l’heure dont dépendaient l’existence concrète du peuple juif ». Un aveuglement persistant qui les incite à adopter un processus pervers d’inversion du réel : ces membres de l’intelligentsia juive reprochent aux Juifs les vices de leurs ennemis implacables : dirigeants nazis ou arabes.

L’auteur désigne Brith Chalom (Alliance pour la paix) réunissant des intellectuels allemands dont Martin Buber et Gershom Scholem. Prétendant « réconcilier politique et morale », ce groupe a privilégié, dans son analyse du conflit au Proche-Orient, la « question arabe » soluble, selon Brith Chalom, par la coexistence pacifique entre Juifs et Arabes dans un Etat binational. La négation du sionisme politique.

A cet égard, Pierre Lurçat démontre que cette « question arabe » a été dès la fin du XIXe siècle évoquée, et non négligée, par les défenseurs du sionisme politiques et les Congrès sionistes.

Il souligne le paradoxe de Brith Chalom, influencé par une morale chrétienne : une faiblesse numérique inversement proportionnelle à son influence durable, déterminante, depuis près d’un siècle, en politique par le « faux messianisme de la paix » via La Paix Maintenant (Shalom Akhshav), les accords d'Oslo ou Kadima, dans les universités, notamment l’université hébraïque de Jérusalem, dans les médias, via le quotidien Haaretz, dans l’émergence d’une Cour suprême niant la séparation des pouvoir à la suite de la « révolution constitutionnelle » du juge Aharon Barak glosant sur un « Etat juif et démocratique » , dans la société en raison d'ONG - Breaking the silence, B'Tselem - ou d'associations - New Israel Fund - stipendiées notamment par des Etats européens, l'Union européenne (UE) ou des fondations étrangères (Ford Foundation), dans les attaques frontales contre Israël par le boycott. Et ce, bien que cette idéologie hostile au judaïsme, à un Etat juif, soit rejetée par une majorité d’Israéliens.

Figures de proue de cette utopie à la « morale sacrificielle contemporaine et à l'identité du ressentiment » (Shmuel Trigano) : des écrivains - Avraham B. Yehoshua, Amos Oz, David Grossman - ou artistes - Amos Gitai - israéliens pacifistes naïfs, drapés dans une posture morale dédaigneuse.

Dans la mire de cette prétendue élite gauchiste post-sioniste : les Orientaux, puis les Juifs orthodoxes et les habitants des villes ou villages de Judée et de Samarie. 

Ce qui induit un désarmement moral, spirituel - interdiction de toute réflexion sur le droit de la guerre selon la loi juive -, politique et militaire faute pour les gouvernements israéliens d'avoir imposé le narratif israélien, un dévoiement ainsi qu'un délitement de la démocratie en Israël, et fragilise la défense de l’Etat juif par ses forces de défense. Auteur de « Pour Allah jusqu’à la mort. Enquête sur les convertis à l’islam radical », Pierre Lurçat illustre sa thèse en analysant les pressions excessives imposées à Tsahal, notamment lors des opérations Plomb durci ou Bordure protectrice, et réfutées par des experts occidentaux.

Un livre à méditer, précieux aussi en ce qu'il met à la disposition des lecteurs francophones les analyses pertinentes de chercheurs israéliens.

Pierre Lurçat évoque les événements dramatiques : la Shoah et la création de l'Etat d'Israël, en fait sa refondation. Curieusement, il omet un autre fait historique majeur qui invalide la thèse de Brith Chalom : l'exode forcé d’environ un million de Juifs du monde arabe, de Turquie, d’Iran, d’une partie de Jérusalem en quelques décennies, essentiellement des années 1940 aux années 1970. Or cet exil est le contre-argument indispensable à adresser à ces clercs.

Comment expliquer l'attrait chez des intellectuels français juifs pour cette idéologie ? Peut-être parce que la revendication de cette idéologie s'avère un marqueur politique et leur dernier ancrage dans une gauche dominant le monde intellectuo-médiatique malgré ses échecs économiques et ses faillites morales.

A noter que des dirigeants d'associations juives françaises agissent en émules particulièrement zélés de ces idéologues, tels Pierre Besnainou, proche de Shimon Peres et ancien président du FSJU (Fonds social juif unifié) ou Gil Taieb qui a toléré une conférence en 2014 sur les droits des Palestiniens au siège même du FSJU et promeut la "solution à deux Etats".

Une coquille dans une note en bas de page : il s'agit d'Anne Frank, et non d'Anne Franck.


Pierre Lurçat, La trahison des clercs d’Israël. La Maison d’édition, 2016. 180 pages. ISBN : 979-1095770046 

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dimanche 19 mars 2017

Interview de Bat Ye’or sur le califat et l’Etat islamique/ISIS


Dans son essai L’Europe et le spectre du califat (Editions Les Provinciales), l’essayiste Bat Ye’or avait évoqué dès 2010 l’émergence d’un califat au travers des réseaux de l’Organisation de la conférence islamique (OCI). Le 29 juin 2014, l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) ou en anglais Islamic State of Iraq and al-Sham (ISIS) - al-Sham désignait la province de Syrie dans les précédents califats - a annoncé le rétablissement du  califat aboli en 1924, et est désormais dénommé « Etat islamique » (EI). Ce  califat sunnite est dirigé par le chef de cet Etat islamique, Abou Bakr al-Baghdadi, devenu le nouveau calife, « successeur du prophète dans l’exercice du pouvoir politique ». Un califat qui s'étend « d'Alep, au nord de la Syrie, à Dyiala, dans l'est de l'Irak ». Le 19 mars 2017, Bat Ye'or introduira le colloque organisé par l'UPJF (Union des patrons et professionnels juifs de France) et dont le thème est La République face à l'islamisme.

En 2010, vous alertiez sur l’avènement à venir d’un califat à l’initiative de l’Organisation de la conférence islamique (OCI).
Or, c’est l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) qui a rétabli en juin 2014 le califat.
Cette proclamation du califat par l’Etat islamique (EI) amoindrit-elle votre analyse concernant l’OCI ? 
Comment analysez-vous ce fait nouveau ? 
Ce califat de l’EI occulte-t-il les actions déployées par l’OCI parallèlement ?

En effet, en 2010 j’évoquais l’aspiration latente à la restauration d’un califat qui manifesterait la puissance mondiale de l’islam et son unité. J’écrivais que l’OCI semblait reconstituer au XXIe siècle ce califat du fait qu’elle se proclamait le représentant et protecteur de l’ensemble des musulmans, l’oumma. Je citais aussi le livre d’Ali Mérad qui faisait la même analyse et constatait une possible reconstitution du califat sous forme de structure associative comme celle de l’OCI.

Ces observations se justifiaient en 2010, mais les « Printemps arabes », encouragés par le président Obama et des pays européens, ont semé le chaos. Nombre d’Etats membres de l’OCI se sont effondrés, leurs frontières ont disparu, l’anarchie, les guerres tribales, les rivalités d’influence dans la péninsule arabique et les massacres entre sunnites et chiites, ont affaibli l’OCI. Compte tenu du rejet des partis islamistes par l’Egypte et la Tunisie, on peut même douter de l’adhésion de ces populations à la restauration d’un califat qui entamerait leur souveraineté nationale.

Des événements semblables ne sont pas nouveaux dans les treize siècles d’histoire islamique. Dès la mort du prophète Mahomet, la désignation du calife suscita des guerres entre les tribus. Elle est à l’origine du conflit entre chiites et sunnites. Parfois des califes rivaux régnaient simultanément sur de vastes régions.

Aujourd’hui, il est clair que ni l’OCI ni les autres pays musulmans ne peuvent reconnaître ce califat auto-proclamé, car cela impliquerait de renoncer à leur souveraineté et à se reconnaître vassaux de l’Etat islamique.

En outre, les populations elles-mêmes refusent cette régression au VIIe siècle. Les nombreuses prérogatives du califat sont d’ordre politique et religieux. Aujourd’hui la reconnaissance unanime d’un califat exigerait un ensemble de conditions qui n’étaient pas nécessaires dans les siècles passés.

L’OCI, qui ne s’est pas proclamée un califat, mais dont les nombreux organes représentent sur les plans économique, politique, stratégique et culturel les préoccupations de l’oumma, continue à influencer la politique mondiale. 


L’Etat islamique/ISIS ébranle des Etats membres de l’OCI : il estompe les frontières, régit déjà une partie de l’Irak et de la Syrie, et menace par exemple la Jordanie. 
Comment l’Etat islamique perçoit-il l’OCI ? 
Comment l’OCI perçoit-elle l’Etat islamique ? 
Quelles sont leurs relations ?

L’Etat islamique se maintient grâce au soutien de pays membres de l’OCI, notamment le Qatar. L’EI est intégré à l’OCI du moment que certains pays membres de l’OCI approuvent  cette stricte application de la charîa et lui apportent financement et soutien. L’OCI compte 56 pays, certains s’opposent à l’EI dont l’Iran et la Syrie, et d’autres le soutiennent. Il est difficile, surtout pour un esprit occidental, de comprendre les manœuvres déroutantes des politiques arabes. Le Qatar accepte des dérogations à la charîa et néanmoins soutient une organisation guerrière, l’EI, appliquant rigoureusement les lois djihadistes.

L’OCI aujourd’hui est divisée, elle ne représente pas une unité, la plupart des leaders de 2010 furent balayés, et la guerre civile déchire les pays musulmans du Moyen-Orient et d’Afrique. Les situations sont fluides et instables du fait de l’imbrication de guerres inter-musulmanes dont les objectifs politiques et religieux furent réprimés par les pouvoirs que les Printemps arabes emportèrent. Les déplacements de populations à grande échelle ajoutent des problèmes humanitaires cruciaux à ceux liés au terrorisme et à l’insécurité et qui débordent sur les pays occidentaux.

Par ailleurs, les pays musulmans ne sont pas les seuls agents de cette stratégie du chaos qui fait tant de victimes. Il faut aussi y voir les interférences occultes de pays occidentaux. Ceux-ci, notamment l’administration Obama, ont joué la carte des Frères Musulmans qui, avec les Printemps arabes, apporteraient la démocratie et la liberté comme des cadeaux bien ficelés descendus du ciel.

Ce n’est pas la première fois que l’Occident manipule l’irrédentisme djihadiste musulman à ses propres fins. Pour combattre le communisme, la CIA créa les Talibans et encouragea le réseau des madrasas responsable de l’instauration d’un ordre islamique rigoureux et de tous les malheurs qui s’ensuivirent pour les populations concernées.

L’irrédentisme palestinien contre Israël, fondamentalement religieux parce que djihadiste, fut créé, soutenu et financé d’abord par la France, sous la présidence du général de Gaulle, sous l’égide de Maurice Couve de Murville, ancien haut fonctionnaire de Vichy, ministre des Affaires étrangères (1958-1968) puis Premier ministre (1968-1969), et Louis Terrenoire, ancien ministre de l’Information (1960-1961). Louis Massignon en fut le porte-parole passionné ainsi que l’Association de solidarité franco-arabe (ASFA) créée en 1967 et financée par le Quai d’Orsay.

A partir de 1973 la France réussit à associer la Communauté européenne à sa politique anti-israélienne représentée par l’Association Parlementaire pour la Coopération Euro-Arabe (APCEA) fondée à Paris le 23-24 mars 1974 sur l’initiative conjointe du député gaulliste Raymond Offroy (UDR), et du parlementaire travailliste Christopher Mayhew.

Intégrée dans chaque parlement national des Etats européens et au Parlement européen, cette association pilier du Dialogue euro-arabe était liée au Comité européen de Coordination des Associations d’Amitié avec le monde arabe appelé EURABIA.

C’est elle qui conçut et obtint – selon ses affirmations – l’adoption par la communauté européenne de la Déclaration de Venise en 1980. Déclaration qui détermine jusqu’à aujourd’hui la politique de l’Union européenne envers Israël et exige urbi et orbi son retrait sur les lignes du cessez-le-feu de 1949 après l’invasion de son territoire par cinq armées arabes soutenues de l’intérieur par la guérilla arabe. On ne parlait pas alors de Palestiniens. C’est cette Déclaration qui nourrit le djihadisme anti-israélien et le terrorisme contre Israël.

Or les circonstances qui la motivèrent, selon le ministre allemand de la République Fédérale Allemande en 1983, Hans Dietrich Genscher, relèvent de la volonté de la Communauté européenne de restaurer ses bonnes relations d’affaires avec un monde arabe ulcéré par la paix séparée égypto-israélienne (1).

Dans une lettre du 2 et 6 décembre 2010, des anciens ministres et commissaires de l’UE recommandent à l’Union européenne, de ne reconnaître aucun changement à ce qu’ils désignent comme « les frontières de 1967 », mais qui ne sont que les lignes du cessez-le-feu de 1949 entre Israël et les territoires de Judée et Samarie que la Jordanie occupa illégalement lors de l’agression militaire arabe en 1948 et d’où elle expulsa tous les habitants juifs. Ces personnalités recommandent la campagne BDS (Boycott Désinvestissement Sanctions) et affirment que l’enjeu de la création de la Palestine sur ces territoires, c’est-à-dire l’implantation d’un danger existentiel pour Israël, implique la crédibilité de l’Union européenne (§4 et 5) par la non soumission d’Israël à ses ordres ainsi que ses bonnes relations avec le monde arabe.

Il ne fait aucun doute que la politique de l’UE encourage les agressions terroristes palestiniennes contre Israël. Le conflit israélo-arabe illustre l’exploitation par l’Europe du djihadisme anti-israélien pour développer ses intérêts dans le monde musulman. Cette politique cynique lui confère une lourde responsabilité morale à l’égard des nombreuses victimes du terrorisme, l’incitation à la haine, le déni des droits des Israéliens et le développement de l’antisémitisme.

A ma connaissance, l’Occident n’a jamais soutenu les musulmans réformateurs porteurs d’un islam rénové qu’il faudrait construire, mais il a exploité les passions djihadistes dans ses propres intérêts. Aujourd'hui, c’est la passion djihadiste palestinienne ressuscitée dans le Palestinisme que l’Europe, héritière de l’antisémitisme des années 1940, joue contre Israël.


Le 5 juillet 2014, Abou Bakr Al-Baghdadi a réclamé, lors d'un prêche dans une mosquée importante de Mossoul (Iraq), l’allégeance de tous les musulmans
Quels éléments de son discours peuvent séduire ses coreligionnaires, dont les convertis, dans les pays musulmans, et en Occident ?

Tout d’abord, ce prêche est un vibrant appel à la guerre sacrée (djihad) dans le langage et le style du Coran qui communiquent une ferveur et une grande force persuasive aux jeunes et aux masses croyantes. Ces phrases et ces incitations, qui furent sans cesse répétées dans l’endoctrinement des prêches et des prières, ont conditionné l’adhésion des populations qui se rallient à l’EI.

A cela s’ajoute l’énumération des souffrances et des injustices accablant les peuples musulmans sur l’ensemble du globe et la responsabilité incombant aux moudjahidin d’assumer leurs obligations de justiciers d’Allah pour aller les sauver. S’ils meurent au combat, ils échangeront les misères d’une courte vie terrestre contre les délices éternels du paradis. Le combat pour Allah réclame le sacrifice de sa vie et de ses richesses dans la joie.

Les arguments donnés dans l’appel à la guerre et surtout à la revanche contre les ennemis de l’islam, ainsi que l’évocation de la solidarité religieuse de toute l’oumma, doivent certainement impressionner les jeunes musulmans.

Autre facteur : le rétablissement de l’ordre de la charîa exigé par les juristes musulmans à toutes les époques et supprimé par l’Occident. Al-Baghdadi en promet le retour : « Un jour viendra où le musulman pourra marcher partout comme un maître, honoré et révéré, la tête haute et avec sa dignité préservée. Celui qui osera l’offenser sera puni et la main qui voudra l’attaquer, sera coupée ». Cette exigence de suprématie peut nous sembler bizarre pour nous qui considérons que la dignité et les honneurs sont l’attribut de qualités morales individuelles, et non liés exclusivement à une seule religion. La suprématie constitue cependant un élément fondamental de la dhimmitude où elle régit toutes les relations musulmans/non-musulmans.

Ce mélange de récompenses d’Allah, d’appels répétés à la révolte contre les tyrans et les ennemis héréditaires de l’islam, de victimologie musulmane, d’incitation à la haine – le tout émaillé de citations coraniques et emballé dans la vision classique du djihad promettant la possession du monde – concourent à créer un puissant attrait sur les musulmans imbibés de cette culture islamique et familiarisés avec ses thèmes. 


Que pensez-vous de la Coalition contre l’Etat islamique : elle a peiné à se constituer, ses opérations militaires ne sont pas aussi médiatisées que l’opération israélienne Bordure protectrice, l’Etat d’Israël en est exclu… ?

Elle a peiné à se constituer du fait qu’elle rompt la solidarité musulmane contre le camp des kuffars (mécréants) et que des pays musulmans financent et aident l’EI.

En outre, on ne sait ce que représente le camp des rebelles supposés se battre contre l’EI. Il faut se féliciter que l’Etat d’Israël soit exclu de ce panier de crabes. De toute façon, il n’aurait pas collaboré avec des armées amies.

Quant à la surmédiatisation de l’opération Bordure Protectrice, faut-il s’en étonner ? Elle servit à l’UE et à l’administration Obama à vilipender le courage de l’armée israélienne, et les extraordinaires performances du Dôme de Fer (Iron Dome), tout en s’achetant une protection contre le terrorisme intérieur et extérieur. C’est le ricanement d’une UE ruinée et désavouée par ses propres populations et d’un Obama sur le déclin. 

Les gouvernements occidentaux se livrent à des contorsions sémantiques en évoquant Daesh, et non l’Etat islamique, et ce, afin d’éviter tout lien entre l’islam et les terroristes de l’EI. 
En dehors du vocable et de la religion des terroristes, quels sont les autres liens avec l’islam : la persécution des non musulmans (chrétiens, yazidis, etc.) - imposition de la jizya, mise en esclavage, statut inférieur des femmes, etc. -, la prise d’otages et leur égorgement... 

L’EI incarne par son gouvernement et son inspiration l’Etat islamique. Il est fondé sur la guerre et axé sur la conquête, c’est son assise principale comme l’était le premier gouvernement islamique.

Dès son origine et durant des siècles, l’Etat ottoman s’appela l’Etat ghazi, l’Etat de la guerre contre les non-musulmans.

L’appel aux musulmans pour participer au djihad est courant. Dans toutes les guerres anti-chrétiennes, les musulmans accourraient pour se joindre aux armées cantonnées dans des villes-garnisons à la lisière des frontières des pays chrétiens.

A part les faits évoqués plus haut témoignant du caractère islamique du gouvernement de l’EI, on peut y ajouter l’application des lois de la charîa, le rejet de tout emprunt à la civilisation occidentale et à ses pratiques « idolâtres » ainsi que le mépris pour ses lois faîtes par des hommes, sans même parler de toutes les déclarations des responsables se référant à la juridiction et à la théologie musulmane.

Les Etats occidentaux, faisant preuve de leur grande érudition en théologie islamique, se sont chargés de proclamer au niveau le plus élevé que l’EI n’avait rien à voir avec le vrai islam. L’EI représente donc une "autre religion", une "autre culture non-islamique". Ces déclarations s’inscrivent dans la politique de l’UE menée depuis plus d’une quarantaine d’années incriminant Israël de provoquer la guerre afin d’exonérer la civilisation du djihad et de la dhimmitude, corollaire du djihad. C’est la politique du déni de la réalité et de l’affirmation de son contraire.

Mais l’Europe et l’Amérique ne peuvent agir autrement. Depuis 1973 l’UE a fondé sa politique sur l’axiome « islam = tolérance, paix, amour ». C’est la base stratégique de cette nouvelle civilisation multiculturelle euro-méditerranéenne liée à l’immigration, représentée même par un parlement dont personne ne connaît les députés (2), et garante des réconciliations euro-arabe et islam-chrétienté. Cette société euro-méditerranéenne s’est construite sur la promesse de l’éradication d’Israël et son remplacement par la Palestine que l’UE couve jalousement, nourrit, finance et place au centre de son éthique. Elle a embrigadé sa culture, son enseignement, ses médias, ses universités dans cet endoctrinement, lançant ses cerbères contre les récalcitrants et décrétant urbi et orbi où Israël peut construire et où sont ses frontières.

Aujourd’hui, docile à la demande des djihadistes palestiniens, elle s’applique à effacer l’histoire d’Israël et modifie impunément le Mont du Temple en Esplanade des Mosquées. Jésus marchait-il sur l’Esplanade des Mosquées ? Etait-il entré à al-Aksa? Y avait-il prié ? Peu importe, l’Europe accepte « l’Histoire » selon Abou Abbas : « le Temple n’a jamais existé », « l’Arc de Titus à Rome se réfère à la mosquée » et « Jésus était un prophète musulman ». La chaîne France 24 a fait une exception pour Israël. C’est le seul pays dont le nom est omis du ruban passant les informations en continu ; il est remplacé par « Proche-Orient », surtout si les nouvelles proviennent de Jérusalem puisque cette ville n’est pas en Israël. Après la Shoah des corps, l’Europe des droits de l’homme se livre à la Shoah de l’Histoire.


Comment expliquez-vous l’absence de dénonciation massive de l’Etat islamique parmi les musulmans ?

Les musulmans ne peuvent dénoncer leur propre civilisation et leur propre foi. Les théories de l’EI sont prêchées par les plus grandes célébrités de l’islam comme le cheikh Youssef al Qaradaoui, mais elles demeuraient théoriques. Je pense qu’un très grand nombre de musulmans les approuvent, du fait que les critiques sont si faibles. Une dénonciation massive par ceux qui les rejettent, exigerait une organisation légale, un financement et beaucoup de courage vu que les dissidents risquent la mort. Certains peuples néanmoins l’on fait en rejetant les islamistes au cours de combats sanglants. Le monde musulman est très divisé, en proie au chaos, au terrorisme et à la destruction causée par ses conflits intérieurs. Je crois que la guerre contre l’EI, le combat des Kurdes, le refus d’instaurer des gouvernements islamistes, en Tunisie et notamment en Egypte où le général al-Sissi dut affronter Obama, constituent une forte protestation des gens sur le terrain. Ils en payent le prix par le terrorisme. Ceux qui devraient dénoncer la barbarie de l’EI sont les musulmans d’Occident. On a entendu des proclamations à ce sujet. Les intellectuels surtout n’ont pas craint de prendre des risques.

Ce déni du caractère islamique de l’EI par certains musulmans est le bienvenu. Il implique une reconnaissance implicite du caractère barbare de ces lois islamiques et devrait induire, par conséquent, une critique profonde conduisant à une réforme de la pensée politique et religieuse – les deux sont liées – de l’islam actuel. C’est maintenant  que les musulmans réformistes devraient se manifester par une ouverture aux autres, particulièrement à Israël, l’acceptation des différences et un rejet de l’idéologie djihadiste. Sans parler des réformes de la société musulmane. Mais on en est encore bien loin.    

Maintenant on attend du président Obama et des stratèges occidentaux, des explications sur leur politique visant à donner le pouvoir aux Frères Musulmans dans tout le Moyen Orient. Il serait intéressant de les entendre.


(1) Euro-Arab Dialogue. The relations between the two cultures. Acts of the Hamburg symposium, April 11th to 15th 1983. English version ed. Derek Hopwood (London : Croom Helm, 1983), p. 9.

(2) Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne (APEM), créée en décembre 2003 à Naples par le forum parlementaire euro-méditerranéen et confirmée à Dublin en mars 2004 par la Conférence ministérielle. 

A lire sur ce blog :
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Article publié le 9 décembre 2014, puis le :
- 9 mars 2015. Sur France 2, l'émission Mots croisés avait pour thème : La guerre des religions aura-t-elle lieu ?