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vendredi 6 janvier 2023

« Toulouse 1300 - 1400. L'éclat d'un gothique méridional »

Le Musée de Cluny - musée National du Moyen Age propose l'exposition « Toulouse 1300 - 1400. L'éclat d'un gothique méridional ». En cette fin du Moyen-âge, la ville languedocienne s'avère importante dans le royaume de France et elle brille notamment dans les arts favorisés par des commandes de prélats ou d'élites laïques. Un art spécifique naît et qui séduit dans la région.


« Synthétisant des recherches récentes, l’exposition « Toulouse, 1300-1400 : l’éclat d’un gothique méridional » au musée de Cluny – musée national du Moyen Âge dresse un état des lieux inédit de la création à Toulouse au XIVe siècle. »

« À la fin du XIIIe siècle, la ville de Toulouse entame une brillante page de son histoire, dans un contexte de relative stabilité politique. Le dynamisme démographique et économique est fort ; la vie intellectuelle se développe, grâce à la présence des collèges et de l’université ; de nombreuses communautés religieuses impriment profondément leur marque dans l’espace urbain. Au XIVe siècle, Toulouse est une des villes qui comptent dans le royaume de France, mis à l’épreuve par la Peste Noire et la guerre de Cent Ans. »

« À partir de l’installation de la papauté à Avignon en 1305, un grand nombre de prélats sont originaires du Languedoc. Soucieux de laisser un souvenir d’eux-mêmes tout autant que de favoriser leur région natale, ils font édifier et décorer chapelles ou collégiales. Les ordres mendiants – Cordeliers, Jacobins, Augustins et Carmes – et l’université, en plein essor, sont des acteurs importants de la commande architecturale ou de la production de manuscrits, dont beaucoup sont luxueusement enluminés. Les commandes des élites locales laïques permettent le développement d’un habitat raffiné. »

« Objets précieux ou sculptures funéraires et découvertes archéologiques récentes contribuent à lever le voile sur la vie des Toulousains à cette époque. »

« Toulouse s’affirme comme capitale régionale et artistique, lieu de rencontre privilégié entre l’art gothique venu du nord, la culture méridionale et de multiples apports extérieurs. Riches de ces confrontations, peintres, sculpteurs, orfèvres, enlumineurs produisent alors un art original qui rayonne rapidement sur de vastes territoires. »

« Grâce aux récentes recherches menées parallèlement dans différentes disciplines, cet ouvrage, abondamment illustré et commenté, permet de dresser un état des lieux tout à fait inédit sur la création à Toulouse au XIVe siècle et de réévaluer enfin la place de cette belle cité comme l’un des grands foyers artistiques de la période. »

« À cette période, Toulouse fait partie des plus grandes villes de France avec Paris, Lyon, Orléans, Rouen… La cité languedocienne connaît une forme d’apogée durant la première moitié du XIVe siècle. Rattachée au royaume de France depuis 1271, la ville a gardé sa personnalité, tout en se développant économiquement. Elle profite de l’installation à Avignon de papes français, souvent très liés à l’université de Toulouse ou aux couvents des ordres mendiants implantés dans la ville, en particulier les Franciscains ou Cordeliers et les Dominicains ou Jacobins. »

« L’organisation de la ville et le mode de vie à Toulouse sont évoqués dans une première partie de l’exposition, donnant un aperçu de la céramique de la table toulousaine, ou, à travers des épitaphes, de la diversité des Toulousains du XIVe siècle. »

« La deuxième partie présente une sélection de chefs-d'œuvre autour de quatre statues provenant d’un édifice disparu, la chapelle de Rieux à Toulouse. Introduites par la figure du commanditaire de cet ensemble, le franciscain Jean Tissendier, ces œuvres sont parmi les plus belles sculptures polychromées du XIVe siècle, à l’échelle de la France et même de l’Europe. La miniature toulousaine sera tout aussi à l’honneur grâce à une quinzaine de manuscrits ou feuillets enluminés. Ces pages colorées témoignent de l’originalité des « imaginaires » (enlumineurs) toulousains, influencés par les modèles parisiens, mais aussi par l’art des peintres catalans ou de leurs confrères italiens. »

« C’est d’ailleurs ce va-et-vient d’influences, entre Toulouse, Avignon et les vallées pyrénéennes qui est évoqué dans la troisième section, où prennent également place de l’orfèvrerie, pièces en argent au poinçon de la ville de Toulouse. »

 « L’exposition est organisée par le musée de Cluny – musée national du Moyen Âge et la Réunion des Musées Nationaux – Grand Palais. Elle bénéficie d’un prêt exceptionnel du musée des Augustins de Toulouse. Le musée des beaux-arts de Toulouse est installé dans le couvent des Augustins, en plein cœur du centre historique de la ville. Après avoir été occupé par les moines de saint Augustin jusqu’à la Révolution française, le lieu est transformé en musée dès 1793. Les collections qu’il abrite comptent aujourd’hui plus de 4 000 œuvres du Moyen Âge au milieu du XXe siècle, également réparties entre sculptures et peintures. Le musée des Augustins est actuellement fermé au public pour d’importants travaux de rénovation et de mise en accessibilité. »

« En plus des 15 œuvres provenant du musée des Augustins, l’exposition est enrichie par des prêts prestigieux des autres institutions toulousaines, des musées de Pampelune, de la bibliothèque Vaticane, du musée du Louvre ou de grandes bibliothèques parisiennes. »

« Le commissariat en est assuré par Béatrice de Chancel-Bardelot, conservatrice générale au musée de Cluny, et Charlotte Riou, conservatrice au musée des Augustins à Toulouse. »

« Musée national du Moyen Âge, le musée de Cluny a vocation à faire rayonner la création artistique de cette époque, en tissant des collaborations avec des institutions conservant des ensembles artistiques médiévaux de référence, qu’il s’agisse de musées localisées en région ou à l’international. »

« Rouvert depuis le 12 mai 2022, le musée de Cluny est le seul musée national en France consacré au Moyen Âge. C’est un Moyen Âge Nouvelle Génération que les publics peuvent désormais découvrir grâce à la mise en accessibilité physique, la reprise du parcours de visite et de la muséographie, le renouvellement des médiations à destination de tous les publics… »

« Au 28 rue du Sommerard, en plein cœur du quartier latin, le musée invite à remonter le temps, du Ier au XXIe siècle, dans un cadre unique. L’hôtel particulier du XVe siècle des abbés de Cluny, adossé à des thermes gallo-romains, s’organise aujourd’hui autour d’une extension contemporaine inaugurée en 2018 et signée par l’architecte Bernard Desmoulin. »

« Dans ce site patrimonial se déploient des collections prestigieuses qui illustrent l’extraordinaire diversité des productions artistiques médiévales. La nouvelle muséographie suit un fil chronologique qui a pour vocation de rendre lisible l’évolution des formes, les moments de ruptures, les innovations et les différences esthétiques du nord au sud de l’Europe. En multipliant les approches et les supports, la programmation culturelle apporte des éclairages à l’intention de tous les publics. »

"Les Juifs ont été nombreux dans le Midi de la France jusqu'à l'expulsion de 1306. Avant cette catastrophe, les communautés étaient florissantes malgré le poids d'une fiscalité d'exception. L'une des plus prospères était certainement celle de Toulouse", a écrit Yves Dossat (Les Juifs à Toulouse : un demi-siècle d’histoire communautaire. In: Juifs et Judaïsme en Languedoc. Toulouse : Éditions Privat, 1977. pp. 117-139. (Cahiers de Fanjeaux, 12)

Et Yves Dossat a poursuivi : "Jusqu'à leur expulsion, les Juifs toulousains étaient groupés à proximité du Château-Narbonnais. Au centre de leur quartier, se trouvait la rue Jusaigas devenue rue Joutx-Aigues. Ils y étaient d'autant plus solidement implantés que Raimond VII leur avait garanti la possession de leurs bien immobiliers, qu'ils pouvaient librement vendre, hypothéquer ou accenser. Si les Juifs habitaient non loin du siège de l'administration comtale, puis royale, ce n'était certainement pas l'effet du hasard. Les Juifs recherchaient la protection de l'autorité, même lorsque les relations étaient bonnes avec le reste de la population. On constate le fait dans une ville aussi éloignée que Bruxelles où les Juifs étaient groupés au pied du castrum. De même, à Toulouse, les Juifs tenaient à remettre le règlement des litiges aux autorités et à éviter la juridiction consulaire.. Il serait tout à fait contraire à la réalité de présenter le quartier juif comme un ghetto, excluant tout autre peuplement. Il existait une zone avec une forte densité d'israélites, ce qui n’excluait pas la présence de chrétiens. Cette interprétation se vérifie sur le terrain. Avec ses dépendances, la maison des Juifs Assanel et Samuel donnait sur les rues Jusaigas, la Grand'rue et la rue Sainte-Marie des Carmes. Elle jouxtait les maisons de Pierre Forgue et de Guillaume Roger. Une autre maison appartenait à côté aux deux frères, elle avait vraisemblablement sa façade sur la rue de l'église Sainte-Marie".

"On peut arriver jusqu'à un nombre de 500 Juifs si on modifie quelque peu le coefficient initial. Une telle donnée est tout à fait en accord avec l'estimation de la population juive de Narbonne à 825 personnes, 575 dans la grande juiverie et 250 dans celle de Belvèze... Par rapport au reste de la sénéchaussée, nous n'avons qu'un élément de comparaison. Les agents alfonsins réussirent à extorquer, à l'occasion de la Croisade, aux Juifs demeurant à Toulouse ou y possédant des biens, la somme de 3 500 livres de tournois. Pour la contribution du reste de la sénéchaussée, le versement s'éleva à 2 300 livres, le procureur des Juifs n’ayant pu obtenir une réduction de 300", a précisé Yves Dossat.

Et cet historien d'évoquer la synagogue : "Le lieu de réunion, l'école des Juifs, ou si l'on préfère la synagogue, suffisait certainement aux besoins de la communauté. La synagogue se trouvait sur le côté nord de la rue Joutx-Aigues, elle s'étendait sur une maison et cinq ouvroirs, elle s'ouvrait sur un jardin. Jean de Crépy, le 9 décembre 1310, procéda à la vente de la synagogue et d'un petit ouvroir donnant sur la Grand'rue. Après une première offre de 500 livres, l'adjudication se fit à 700 livres au profit de Guillaume Adémar, un des Toulousains qui avaient participé à la liquidation des biens juifs. Il s'agit donc d'une vente importante. Une dépendance avait été vendue dès le 2 décembre 1306, c'était une maison tenant au jardin de la synagogue et appartenant aux Juifs. En revanche, le jardin ou cour a été seulement vendu le 5 décembre 1324 par Guillaume de la Neuville, viguier de Toulouse . De la synagogue dépendait encore une censive assez étendue, allant au moins des Carmes à Rouaix".

Quels métiers exerçaient les Juifs ? "Il est bien certain que l’usure a été largement pratiquée. Une partie des « trésors » des Juifs devaient être constitués par des gages. Vraisemblablement, il en était ainsi des objets précieux retrouvés dans la maison de Mavi de la Rochelle, rue des Sesquières Neuves, où ils avaient été dissimulés70. La recherche des créances sur les chrétiens a été le souci constant des autorités ; les dissimulations sont énergiquement condamnées. Obligation était faite aux acquéreurs d'immeubles de signaler toute découverte de trésor. Des abus en résultaient, au grand mécontentement des populations. Le mal a été assez général puisque les consulats ont jugé nécessaire de protester. A Toulouse, les capitouls, en 1324, saisirent le roi de leurs griefs. Selon la coutume et l'usage, lorsque le débiteur avait rempli ses obligations, l'instrument public qui constatait le montant de sa dette lui était remis et il était conservé comme preuve du remboursement. Or les commissaires aux affaires juives qui découvraient de telles lettres exigeaient des anciens débiteurs, habitants de la Cité et du Bourg, un nouveau paiement de la dette. Plusieurs, nonnulli, avaient subi un lourd préjudice. Cet excès de zèle se justifiait sans doute, aux yeux des mandataires du roi, par le fait que, dans le Nord du pays, les créances étaient tailladées avant d'être remises en contrepartie du paiement. Charles IV mit un terme à ces pratiques. Par un mandement du roi au sénéchal (1323, 9 mars), il défendit que les Toulousains soient molestés à l'avenir, interdisant toute poursuite irrégulière et toute pratique injuste... Les activités de certains Juifs dépassaient le cadre étroit du prêt à intérêt ou du petit commerce local. Le nom de Mavi de la Rochelle évoque l'Océan et le commerce atlantique. Le seul fait que Mavi soit venu de la Rochelle pour s'installer à Toulouse est déjà significatif... Le cas de Durand fils de Mossé de Lacour est intéressant. Un Juif se trouve associé étroitement à un groupe de chrétiens dans l'exploitation d'un péage... Des Toulousains n'hésitaient pas à recourir, pour des transactions immobilières, à des intermédiaires non-chrétiens. Un immeuble était acheté par un Juif, qui revendait immédiatement ce même bien à son véritable acquéreur".

PARCOURS DE VISITE

Introduction
« Capitale régionale dans le royaume de France, Toulouse a brillé, tout au long du XIVe siècle, comme centre intellectuel, religieux et artistique. Rattachée au royaume de France, siège d’une université, la ville a bénéficié d’un certain dynamisme économique, malgré la guerre de Cent Ans et les épidémies de peste. Ses liens avec Avignon et avec d’autres centres de création, Paris, les villes italiennes ou la péninsule ibérique, ont stimulé les artistes de la ville. Grâce aux travaux menés par des chercheurs et des conservateurs d’horizons variés, les œuvres réunies dans cette exposition restituent l’éclat, la beauté, les couleurs de cette période de floraison qui va des années 1280 au début du XVe siècle. »

Le temps des crises ?
« L’entrée de Toulouse dans le domaine royal en 1271 ouvre une période de dynamisme économique qui dure jusqu’aux années 1340. La peste apparue en 1348 revient de façon cyclique à partir de 1360 et porte un coup rude à la ville. La guerre de Cent Ans touche particulièrement la région pendant la deuxième moitié du XIVe siècle, et s’accompagne dès 1337 d’une dévaluation de la monnaie qui alimente la crise économique. »
« La monnaie la plus courante est en argent (denier), émise depuis le début du XIVe siècle presque exclusivement par le pouvoir royal. Le monnayage royal s’impose face aux pièces féodales. »
« Le commerce à Toulouse bénéficie des foires de Pézenas et de Montagnac (Hérault) : les marchands toulousains y vendent des produits alimentaires, des étoffes de laine et du pastel, une plante utilisée pour la teinture et une ressource économique dont l’importance s’est accrue dans les siècles suivants. Au-delà, Toulouse échange avec les ports de l’Atlantique, Bordeaux et Bayonne, ou avec ceux de la Méditerranée, comme Barcelone. »
« Les métiers artistiques sont encouragés par les commanditaires laïcs ou ecclésiastiques, ce dont témoignent les œuvres réunies dans cette exposition. »

Toulousaines et Toulousains
« Dans les années 1330, Toulouse compte une population d’environ 35 000 habitants, ce qui en fait l’une des cinq cités les plus importantes du royaume. Au début du siècle suivant, les épidémies de peste ont réduit la population à 22 000 habitants. »
« Dans la ville cohabitent la population laïque et celle des clercs, comptant les universitaires, enseignants ou étudiants, et les religieux, chanoines ou membres des ordres mendiants. »
« Du côté laïc, l’élite urbaine réunit l’aristocratie et des marchands et artisans prospères, qui peuvent contribuer à l’administration municipale en devenant « capitouls ». Viennent ensuite les petits artisans, les manœuvres etc. Les archives indiquent que la moitié de la population est trop pauvre pour payer l’impôt. »
« La division du travail entre hommes et femmes n’est pas stricte : de nombreuses femmes travaillent, dans les boutiques et maisons comme employées, servantes, ou bien aux côtés de leurs époux ; d’autres sont aux commandes, telles les veuves de maîtres qui continuent l’activité de leur mari. »
« Les archives et l’archéologie illustrent de façon complémentaire le quotidien des Toulousaines et Toulousains d’autrefois. »

Habiter à Toulouse / La maison et son décor
« À Toulouse, la première moitié du XIVe siècle est une période d’accroissement de la ville : rive droite, en dehors des murailles, et rive gauche par l’extension du faubourg Saint-Cyprien. Les quartiers anciens se développent aussi. Pour autant, l’habitat n’est pas très dense : des jardins et vergers séparent très souvent les habitations. »
« À l’échelle urbaine la plus réduite, le cadre de la vie quotidienne est la maison, ou l’ostal. »
« À partir du XIVe siècle, un goût pour le confort et l’esthétique se diffuse dans tous les niveaux de la société. Les intérieurs sont décorés dans les grandes demeures des élites, comme dans celles des plus humbles : les murs, ou les poutres sont ornés de motifs ou de scènes figurées. Les objets de la vie quotidienne témoignent aussi des modes et des influences qui traversent la société toulousaine. »
« La salle à vivre abrite la vaisselle, en métal précieux, en verre, terre cuite ou bois. Les matériaux utilisés ont une forte dimension sociale : plus on s’élève, plus on dispose d’une vaisselle coûteuse et raffinée. La cuisine s’équipe à cette époque d’une cheminée qui permet d’entretenir un foyer permanent, et favorise l’apparition de nouveaux récipients. »

Transferts artistiques
« La production artistique toulousaine s’affirme au XIVe siècle ; elle s’inscrit dans le panorama du temps et dans des échanges artistiques complexes et multiples. »
« Les nouveautés gothiques d’Île-de-France circulent grâce aux artistes, à leurs carnets de dessin ou encore aux multiples petits objets précieux : manuscrits, ivoires… »
« Le rattachement du comté au royaume de France en 1271 contribue à la diffusion de l’art gothique rayonnant dans la région toulousaine. »
« Toulouse bénéficie des échanges avec Avignon, centre de la chrétienté depuis que la papauté s’y est installée en 1309. De nombreux artistes originaires du royaume de France et de toute l’Europe occidentale y sont attirés par les commandes du pape, des cardinaux et de leurs proches. »
« Les modèles italiens, qu’il s’agisse d’iconographie ou de style, inspirent les peintres, les sculpteurs et les enlumineurs… »
« Très naturellement, les relations ont également été fructueuses avec les royaumes pyrénéens, dans tous les domaines artistiques. »

Les fastes d’un évêque franciscain : Jean Tissendier
« Jean Tissendier naît et étudie à Cahors. Franciscain, il fait une brillante carrière ecclésiastique sous la protection du pape Jean XXII, cahorsin comme lui, qui le nomme évêque de Lodève, puis en 1324 évêque de Rieux et bibliothécaire. Jusqu’à la mort du pape en 1334, il réside principalement à Avignon. Il meurt en 1347. »
« Son inventaire après décès témoigne du faste dont il s’entoure : vaisselle d’argent, orfèvrerie religieuse (calices, croix, crosses), bijoux et vêtements sacerdotaux ornés de perles et de pierreries. »
« Bâtisseur, Tissendier reprend à Rieux les travaux de sa cathédrale. Il y ajoute un portail orné de sculptures (disparues) et un vaste palais épiscopal, aujourd’hui détruit. À Toulouse, il fonde une chapelle funéraire à l’extrémité sud-est de l’église des Cordeliers (franciscains) et la dote d’un somptueux décor auquel appartient un imposant ensemble sculpté. Il conçoit alors un programme ambitieux et complexe où se mêle désir de perpétuer sa mémoire et d’assurer son salut, tout en assurant la promotion de son ordre dans un contexte de lutte contre les hérésies. »

Les sculptures de la chapelle de Rieux
« L’église du couvent des Cordeliers (ou franciscains) s’enrichit à partir des années 1330 d’une chapelle connue comme la « chapelle de Rieux », commandée par Jean Tissendier, évêque de Rieux. La chapelle a été détruite en 1804, mais les statues en pierre polychrome qui l’ornaient ont été sauvées et conservées pour la plupart au musée des Augustins de Toulouse. »
« Le cycle se composait du Christ et de la Vierge, du collège apostolique des douze apôtres, augmenté de saint Paul et de saint Jean-Baptiste, et de trois saints franciscains : François d’Assise, Antoine de Padoue et Louis d’Anjou. Le fondateur Jean Tissendier était représenté deux fois : en gisant, le seul élément en marbre, et en donateur de sa chapelle. »
« Œuvres d’un atelier de grand talent dont le sculpteur principal est nommé par convention « Maître de Rieux », les sculptures de la chapelle de Rieux se caractérisent par une grande attention portée au rendu des détails et des expressions des saints personnages. »
« Elles constituent l’un des plus beaux témoignages de l’art et de la piété franciscaine au XIVe siècle. »

Les sculptures toulousaines : des styles variés
« Au XIVe siècle, les sculpteurs ont créé de nombreuses Vierges à l’Enfant, déclinées suivant le type des vierges gothiques du Nord de la France : généralement debout, parfois hanchées, elles portent l’Enfant sur un bras ; ce dernier, vêtu ou demi-nu, tient souvent un oiseau dans ses mains. »
« Les artistes de la région toulousaine combinent cet héritage d’Île-de-France avec des traits développés par le maître de Rieux à partir de 1330-1340 environ : les sculptures ont une abondante chevelure bouclée, les drapés associent des plis incurvés sur les corps et d’abondantes chutes en tuyaux évasés. La Vierge porte un manteau-voile. »
« La représentation de la Vierge assise, de tradition romane, persiste aux XIIIe et XIVe siècles, comme en témoignent la Vierge d’argent de la collégiale de Roncevaux, fabriquée à Toulouse, ou plusieurs statues de bois conservées dans des églises de Haute-Garonne. »
« Aujourd’hui, beaucoup de ces sculptures présentent leur matériau constitutif, pierre ou bois, à nu, mais elles étaient à l’origine polychromes : les vêtements étaient ponctués de motifs imitant des décors textiles sur un fond blanc (statue dite de Notre-Dame de Bonnes-Nouvelles) ou de couleur vive. Les carnations étaient peintes au naturel et l’or rehaussait les chevelures et certains détails ornementaux. »

L’architecture religieuse à Toulouse au XIVe siècle
« Au XIIIe siècle naissent les ordres mendiants : François d’Assise crée les Franciscains, ou Cordeliers ; Dominique de Guzman fonde les Dominicains, aussi appelés Jacobins. En 1215, il installe une petite communauté à Toulouse pour convertir les cathares (courant dissident de l’Église). Suivent d’autres ordres, comme les Carmes ou les Augustins. Toulouse devient, dans un contexte de lutte contre les hérésies, un centre important pour les ordres mendiants. Favorisés par la papauté, ils doivent se faire une place dans la ville face aux chanoines de la cathédrale et de Saint-Sernin. »
« Au XIVe siècle, l’emprise de ces ordres se reflète par celle de leurs bâtiments : le couvent des Jacobins, qui se dote de la chapelle Saint-Antonin (construite de 1335 à 1341), et celui des Augustins, commencé vers 1310, témoignent encore de leur importance. Les Carmes, édifiés à partir de 1264, et l’église des Cordeliers, construite à partir de 1235 en périphérie du bourg, sont maintenant détruits. La documentation ancienne ou les opérations archéologiques permettent de connaître ces édifices. Des églises paroissiales de la ville sont bâties ou agrandies, comme Saint-Nicolas ou Notre-Dame-du-Taur, tandis que le chantier de la cathédrale se poursuit par la construction de chapelles rayonnantes. »

L’orfèvrerie toulousaine
« À Toulouse au XIVe siècle, les orfèvres ou argentiers forment une communauté prospère, sans doute de dix à douze ateliers. Étroitement contrôlé en raison du matériau utilisé, l’artisan doit, depuis l’ordonnance du roi en 1275, marquer les œuvres du poinçon (marque gravée) de la ville : pour Toulouse, les trois lettres « TOL » surmontées d’une fleur de lys. En 1355, le poinçon de maître devient réglementaire, mais n’entre que peu à peu en usage.
« L’orfèvre répond à des commandes d’objets usuels, comme de la vaisselle métallique, mais fabrique aussi des objets de culte, des reliquaires, ou de petites figures. » 
« Après avoir façonné l’objet, il peut le décorer par gravure, ciselure, estampage ou dorure. »
« Il peut rapporter des ornements en métal (filigranes, granulations), ou encore ajouter des émaux ou des pierres précieuses. »
« Seules quelques œuvres toulousaines du XIVe siècle sont encore conservées aujourd’hui : statuettes, croix et vaisselle en argent. Mais les inventaires anciens témoignent d’une abondante production : celui de Louis Ier d’Anjou, gouverneur du Languedoc de 1364 à 1379, cite plus de 300 pièces, principalement de la vaisselle, parfois décorée d’émail. »

Quels livres à Toulouse au XIVe siècle ?
« Plus de 150 manuscrits enluminés témoignent de la production de beaux livres à Toulouse au XIVe siècle. Certains sont encore à la bibliothèque municipale de Toulouse, mais la plupart sont éparpillés dans les bibliothèques du monde entier : parfois des étudiants toulousains les ont ramenés dans leur région d’origine après leurs études, d’autres ouvrages ont été échangés au fil des siècles. »
« Les manuscrits religieux sont les plus nombreux : Bibles, vies de saints, et surtout livres liturgiques. Ce sont les plus ornés : imposants, comme le missel utilisé pour célébrer la messe, ou plus petits mais très décorés, comme les bréviaires (pour dire l’office) ou les livre d’Heures, destinés à la dévotion privée des clercs ou des laïcs. »
« Ville universitaire, Toulouse attire de nombreux étudiants. Les étudiants en droit canon (droit de l’Église) se procurent par exemple le Décret de Gratien, compilation de textes juridiques élaborée au XIIe siècle, et complétée au fil des évolutions juridiques. Les plus aisés d’entre eux possèdent des exemplaires enluminés. »
« Une littérature plus profane, née dès le XIIe siècle, se développe en langue vernaculaire. Au XIVe siècle, Toulouse se rêve comme centre de création poétique, avec l’instauration d’un concours de poésie occitane, les Jeux floraux. Parmi les manuscrits en occitan conservés figurent les nombreux exemplaires du Bréviaire d’Amour. »

L’art des enlumineurs toulousains
« L’enluminure toulousaine connaît un véritable âge d’or au XIVe siècle, grâce à l’essor des couvents mendiants et au mécénat des grands prélats. Les enlumineurs sont installés à Toulouse principalement dans le bourg (partie nord de la ville médiévale). Leurs noms sont connus par les comptes des capitouls, mais rares sont ceux auxquels on peut associer des œuvres, comme c’est le cas pour Jean de Toulouse, actif à Avignon dans le quatrième quart du XIVe siècle. »
« D’abord influencée par l’art parisien, l’enluminure toulousaine s’affirme dès 1300 et pendant toute la période : les marges sont peuplées de figures hybrides ou d’échassiers au cou immense et sinueux. Ces caractéristiques se rencontrent dans des manuscrits produits à Toulouse, mais aussi à Albi, ou Avignon, ce qui atteste de la mobilité des artistes. Dans les miniatures, l’usage de fonds juxtaposant des feuilles d’or avec des aplats de couleur, animés de motifs de quadrillages ou de ponctuations est aussi typique. Le traitement des personnages varie selon les époques et les ateliers : bien souvent, les visages sont peu modelés. Les artistes toulousains s’enrichissent particulièrement grâce aux échanges avec leurs collègues catalans et avignonnais. »

De part et d’autre des Pyrénées
« Au sud de la barrière pyrénéenne, la Catalogne, l’Aragon et la Navarre entretiennent des rapports ponctuels avec l’art toulousain. La Navarre, en raison de ses liens dynastiques avec la France est particulièrement réceptive aux influences gothiques françaises. C’est ainsi que le réfectoire des chanoines de la cathédrale de Pampelune est décoré en 1330 par un peintre, Juan Oliver, dont l’œuvre s’inscrit dans la continuité des réalisations toulousaines des premières années du XIVe siècle. »
« Les statues produites dans le Val d’Aran, haute vallée de la Garonne, de langue occitane, et celles du Comminges (sud du département de la Haute-Garonne, partie des Hautes-Pyrénées, du Gers et de l’Ariège) relèvent de la même aire de production. »
« La Catalogne est plus tournée vers la Méditerranée, mais certaines églises catalanes, comme celle de Cardona, peuvent abriter des œuvres toulousaines, à l’exemple de la Vierge « del Patrocinio », dont le visage, la chevelure bouclée et le drapé révèlent le ciseau du sculpteur actif à la chapelle de Rieux. »

La messe de Toulouse
« Des passages d’une messe polyphonique, dite « messe de Toulouse », ont été ajoutés dans les marges et intervalles du manuscrit 94 conservé à la bibliothèque municipale de Toulouse : Kyrie (Seigneur prends pitié), chanté avant le Gloria et les lectures, Sanctus (Saint le Seigneur), chanté avant le canon de la messe, Agnus Dei (Agneau de Dieu), chanté avant la communion et Ite missa est (Vous pouvez aller, la messe est finie). »
« Avec quatre autres exemples également datés du XIVe siècle, la « messe de Toulouse » est l’une des plus anciennes messes polyphoniques notées. Elle était destinée à trois voix d’hommes : le chantre, le ténor et le contre-ténor. Elle témoigne de la liturgie à la cour des papes d’Avignon et, par sa présence dans un manuscrit toulousain, des liens entre les deux villes d’Avignon et de Toulouse. »

Toulouse, du XIIIe au XVe siècles

« 1229 : Traité de Meaux-Paris : Raymond VII, comte de Toulouse, prête allégeance au roi de France, Louis IX ; sa fille Jeanne de Toulouse doit épouser le frère du roi, Alphonse de Poitiers.
1270-1380 : Construction du choeur de la cathédrale Saint-Étienne de Toulouse.
1271 : Rattachement du comté au royaume de France à la mort de Jeanne de Toulouse et d’Alphonse de Poitiers ; début de chantiers religieux et civils.
1309-1376 : La papauté réside à Avignon.
1317 : L’évêché de Toulouse est élevé au rang d’archevêché.
1324 : Premier concours de poésie à Toulouse, les Jeux floraux.
1337-1453 : Guerre de Cent Ans entre la France et l’Angleterre.
Vers 1333-1343 : Construction de la chapelle Notre-Dame de Rieux (détruite en 1804) dans le couvent des Cordeliers, commandée par l’évêque Jean Tissendier.
1348-1350 : La Peste Noire touche Toulouse.
1364-1379 : Louis Ier d’Anjou lieutenant général du roi de France en Languedoc.
1369 : Translation des reliques de saint Thomas d’Aquin (dominicain) au couvent des Jacobins de Toulouse.
1378-1417 : Grand Schisme d’Occident (division de la papauté en factions rivales).
1385 : Consécration de l’église des Jacobins.
1389 : Voyage de Charles VI dans le sud de la France : il séjourne à Toulouse pendant 2 mois. »

5 ANECDOTES SUR L’EXPOSITION

Tendance patchwork
« À quoi reconnaît-on l’enluminure toulousaine du XIVe siècle ? Aux fonds juxtaposés en patchwork qui présentent des motifs variés : damiers, rinceaux, quadrillages colorés et dorés. Quant aux personnages, leurs visages sont très graphiques et peu modelés. Sans oublier les fantaisies dans les marges, qui sont animées de figures hybrides ou d’échassiers au long cou. »

Des pièces d’origine contrôlée
« Au XIVe siècle, les orfèvres sont étroitement contrôlés en raison du matériau utilisé : l’argent. Ils doivent, depuis l’ordonnance royale de 1275, marquer leurs œuvres du poinçon de la ville. Pour Toulouse, il s’agit des trois lettres « TOL » surmontées d’une fleur de lys. Le poinçon du maître devient règlementaire en 1355. »
« Et pour les pièces de monnaies, c’est la même chose ! À partir de 1389, sous Charles VI, la production des vingt-deux ateliers monétaires royaux devient identifiable grâce à un point « secret » placé sous une des lettres de la légende. À Toulouse, ce point est « 5e », c’est-à-dire sous la cinquième lettre. »

Le sens du détail
« Les statues de la chapelle de Rieux sont sans aucun doute le chef-d'œuvre du maître de Rieux, un sculpteur anonyme du XIVe siècle au style caractéristique. Observez les chevelures et les barbes aux boucles volumineuses, mais aussi la grande précision anatomique et matérielle : le drapé des vêtements, les veines sur la main de saint Paul, le cuir enroulé autour de son glaive, les rides de saint François d’Assise, etc. »

Histoire de rues
« En se regroupant dans certaines rues, les artisans toulousains du XIVe siècle ont laissé des traces jusque dans la topographie de la ville ! Dans la rue des Imaginaires (rue de la Pomme), on retrouve peintres et sculpteurs, appelés imaginaires. Les enlumineurs privilégient quant à eux la proximité de l’université (rue du Taur). Et les orfèvres ? Ils donnent leur nom à la rue des Argentiers (rue Gambetta). »

Au-delà des frontières
« Au Moyen Âge, les hommes et les idées voyagent ! Et les artistes toulousains du XIVe siècle n’échappent pas à la règle. Leur art influence jusqu’aux royaumes de Catalogne, d’Aragon et de Navarre. Un exemple ? Le réfectoire des chanoines de la cathédrale de Pampelune, décoré en 1330 par Juan Oliver. L’oeuvre de ce peintre s’inscrit dans la continuité des réalisations toulousaines des premières années du XIVe siècle. »

EXTRAITS DU CATALOGUE TOULOUSE 1300 – 1400 : L’ÉCLAT D’UN GOTHIQUE MÉRIDIONAL

Introduction
Charlotte Riou
Béatrice de Chancel-Bardelot
« […] La capitale du Languedoc a connu une forme d’apogée, à tous points de vue, pendant la première moitié du XIVe siècle, avant d’affronter les difficultés qui affectent la France et l’Europe à partir du milieu du siècle : guerre de Cent Ans, épidémie de peste, crise économique et religieuse. Si les constructions civiles ont laissé peu de traces, en dehors d’un petit nombre de demeures, comme la maison de la rue Croix-Baragnon ou des découvertes abondantes procurées par les chantiers archéologiques, les établissements religieux, en particulier les quatre principaux ordres mendiants, Jacobins, Franciscains, Carmes et Augustins se distinguent par leurs initiatives, les premiers au sud du bourg Saint-Sernin, les autres dans la cité, près de la cathédrale. Les églises des Jacobins et des Augustins, de même que les cloîtres de ces deux couvents sont encore des lieux très évocateurs, par leur ampleur, de l’emprise spirituelle, intellectuelle, mais également matérielle, que représentaient ces communautés au XIVe siècle.
Les hommes et les femmes qui ont vécu à Toulouse à cette époque sont pour beaucoup restés anonymes, mais des objets ou des oeuvres d’art témoignent encore de leur existence. La prospérité économique de Toulouse est en effet relativement préservée tout au long du siècle, et le gouvernement de l’époque ne s’y est pas trompé, en envoyant successivement les princes Louis d’Anjou et Jean de Berry pour représenter le roi de France… et lever des impôts… En l’absence de cour princière durablement établie, la commande artistique a émané de différents membres des élites urbaines : officiers royaux, ecclésiastiques, aristocrates, marchands, artisans ou capitouls, ce qui a sans doute contribué à une plus grande diversité dans la production artistique. […] »

Introduction historique
Michelle Fournié
« Métropole régionale, Toulouse ne profite à la fin du Moyen Âge ni d’une cour royale, ni d’un mécénat princier, contrairement à Paris, Bourges ou Dijon. La sinistre réputation du XIVe siècle n’étant plus à faire, on peut s’étonner de la vitalité culturelle et artistique qui se manifeste cependant dans la ville et dont témoigne l’exposition en cours. […]
Toulouse est une grande capitale régionale. Bien que depuis l’annexion du Languedoc, elle soit devenue ville royale, siège d’une sénéchaussée installée au château Narbonnais, les capitouls y détiennent encore des pouvoirs certains (police, justice, voirie…) au sein de la maison commune qui est installée à la jonction de la cité (autour de la cathédrale) et du bourg (autour de l’abbatiale Saint-Sernin). Le XIVe siècle voit également se développer le faubourg Saint-Cyprien sur la rive gauche de la Garonne.
La ville est divisée en sept paroisses. À la cathédrale et aux établissements religieux anciens, l’abbatiale Saint-Sernin et le monastère Sainte-Marie la Daurade, se sont ajoutés au XIIIe siècle les quatre grands couvents mendiants et leurs branches féminines.
L’établissement des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem est devenu le siège d’un grand prieuré et plusieurs hôpitaux, dont ceux de Saint-Jacques-du- Bourg et de Saint-Jacques-du-bout-du-Pont, accueillent malades et pèlerins. La société urbaine est dominée par une oligarchie de riches marchands, qui sont aussi des seigneurs fonciers (tels les Ysalguier), et de juristes formés à l’université. Ces notables urbains qui accaparent les charges municipales et noyautent les grandes confréries constituent pour les artistes toulousains un milieu de mécènes actifs. Préoccupés par leur salut personnel (n’oublions pas que la dévotion au purgatoire se répand à Toulouse dans la seconde moitié du siècle), ils font édifier des chapelles funéraires, notamment dans les couvents mendiants. Mais ils sont de surcroît à l’origine de commandes « civiques » et c’est ainsi que les capitouls font enluminer le Livre des histoires, que l’on appelait autrefois les Annales manuscrites, par des peintres de renom dès 1352. Le mécénat laïque fait toutefois pâle figure comparé à celui des ecclésiastiques. […] »

La société toulousaine au XIVe siècle, un aperçu
Les métiers artistiques
Sophie Brouquet
« […] Les maîtres travaillent pour la plupart avec leurs enfants et un petit groupe de valets et d’apprentis. Ils créent, vendent et enseignent leur métier. Les contrats d’apprentissage conclus entre les parents du jeune élève et le maître comportent tous les mêmes formules selon lesquelles le maître s’engage à instruire l’apprenti dans le métier, sans rien lui en cacher, lui fournir le logement et les vivres, tandis que l’apprenti promet de travailler sans rechigner, d’obéir, et de ne pas fuir avant le terme du contrat, sous peine de pénalités financières. Cependant, la taille des ateliers reste modeste et se réduit en général à un seul apprenti, deux ou trois au maximum, et parfois un valet. Les valets, appelés aussi garçons, ou massips, ont terminé leur apprentissage et s’embauchent auprès d’un maître.
Les contrats d’embauche font état le plus souvent d’une durée d’un an. Ils sont conclus le jour de la Saint-Michel, ce qui est chose courante au Moyen Âge. Leur apprentissage terminé, les apprentis ou les valets doivent réaliser un chef-d’oeuvre pour devenir maîtres.
Une fois maîtres, ils font partie de l’élite du métier. Leur carrière se déroule dans le cadre de leur atelier-boutique, où ils attendent les commandes de la clientèle. Les artisans d’art oeuvrent habituellement dans le cadre de leur maison. Certains travaillent au rez-de-chaussée
ou bien dans un atelier loué dans une autre demeure. Si la maison, l’ostal, est avant tout conçue comme l’espace privé par excellence, où se noue le réseau des relations familiales, c’est également un espace public, un lieu ouvert sur la rue, qui engendre une sociabilité allant bien au-delà des seuls liens du sang, laissant entrer dans l’espace de la boutique et de l’atelier les rumeurs, les émotions, les haines et les solidarités de l’instant.
Le terme d’ostal évoque souvent trois réalités : la demeure, l’atelier, obrador, et la boutique, botica ou botiga, qui cohabitent sous le même toit. Lieu de création, la demeure de l’artiste conserve les matières premières utilisées, les outils, les carnets de modèles, ainsi que les produits finis, exposés à la clientèle. Groupés dans les mêmes rues, quelquefois mitoyens, les ateliers révèlent, par leur concentration dans l’espace urbain, les liens de sociabilité qui s’établissent au sein des métiers artistiques. »

Définition du style toulousain
Un cycle sculpté exceptionnel : la chapelle de Jean Tissendier évêque de Rieux
Charlotte Riou
« Jean Tissendier, frère mineur nommé évêque de Rieux par le pape Jean XXII en 1324, a été le bibliothécaire de ce dernier à Avignon jusqu’en 1333. Il n’a peut-être pas attendu cette date pour lancer la construction de la chapelle qui porte son nom, à l’extrémité sud-est du chevet de l’église des Cordeliers de Toulouse. Consacrée par Tissendier lui-même en 1343, la chapelle dédiée à la Vierge était vaste (environ 30 m de long par 16 m de large), dotée d’une abside pentagonale et de quatre travées. Elle a été détruite en 1804, mais les sculptures ont été sauvées, grâce à la diligence du conservateur du musée des Augustins, Jean-Paul Lucas. […]
Chez une grande partie des apôtres, le Maître de Rieux développe une prédilection pour des plis verticaux tubulaires qui animent la surface des tuniques, souvent interrompues par de larges plis transversaux associés à des chutes de plis latérales en tuyaux d’orgue, d’une grande force plastique. Ces éléments verticaux contrastent fréquemment avec des plis plats qui modèlent les bustes en les épousant au plus près, avec une attention soutenue au volume accentuée par la taille monumentale des oeuvres. Les visages sont larges et expressifs, les coiffures et les barbes traitées en gros rouleaux épais, tandis que les mains retiennent l’attention par leurs longs doigts irréels aux articulations marquées.
Un deuxième sculpteur est aisément discernable, dans la facture de saint Pierre et de Jean Baptiste qui partagent des traits semblables, quoique moins maîtrisés chez Jean Baptiste, et des mains aux doigts plus courts et aux extrémités carrées. Un troisième, auteur de l’apôtre O très endommagé, pourrait renvoyer aux figures masculines des voussures du portail sud du transept de Bordeaux. Les drapés bordelais interpellent par leur complexité, leur variété et leur communauté d’esprit avec ceux de la chapelle de Rieux, alors que ni les visages ni les coiffures ne rappellent le style si particulier du maître toulousain. De fait, les visages massifs et expressifs des quatre anges qui jouxtent le Christ du tympan de la porte du bras nord du transept de Bordeaux paraissent plus proches de l’art de Rieux.
Daté par Markus Schlicht (2016) vers 1325, ce tympan d’une grande qualité formelle pose la question des relations avec le chantier bordelais, de peu antérieur à la chapelle toulousaine.
À Bordeaux (Schlicht 2011 et 2013) comme à Toulouse, les artistes puisent aux mêmes sources franciliennes, bien qu’un peu plus tôt à Bordeaux et de manière volontairement appuyée, sans que des échanges aient nécessairement eu lieu entre les deux cités, ou bien pourquoi pas un peu plus tard, dans les années 1330. […] »

L’architecture et son décor
La peinture à Toulouse au XIVe siècle
Virginie Czerniak
« […] La lecture des formes devrait dans l’idéal pouvoir être complétée par des données historiques relatives à la commande – identité, personnalité et parcours du maître d’ouvrage – et à l’artiste, les origines et la formation de celui-ci restant d’inestimables précisions pour mettre en lumière les mécanismes de créativité artistique. Ces informations font le plus souvent défaut s’agissant des oeuvres médiévales, mais qu’en est-il pour les créations picturales réalisées à Toulouse au XIVe siècle ? Existe-t-il alors un style toulousain que l’on puisse retrouver en dehors de la grande cité méridionale ? Ces interrogations sont difficiles à satisfaire car en matière de peinture monumentale les pertes sont considérables et nous n’avons aujourd’hui connaissance que d’un tout petit nombre de décors en regard de ce qui a pu être créé originellement. La circonspection est donc de mise, mais elle n’interdit pas l’examen des compositions peintes préservées à Toulouse et alentours et l’élaboration d’une esquisse de leurs caractéristiques stylistiques.
Le premier constat, le plus prégnant, est que les peintures conservées témoignent d’une double filiation : les références formelles aux créations picturales de la France septentrionale et de l’Italie ont été convoquées conjointement. Ce syncrétisme est perceptible à des degrés divers dans les différents ensembles peints. Les visages ronds et moelleux des figures de la chapelle Notre-Dame du Puy dans l’église des Augustins rappellent, par l’onctuosité de leur modelé, certains très beaux visages transalpins, on pense notamment à Simone Martini, tandis que les fonds de nuées bleues ourlées de blanc font écho à de multiples exemples similaires rencontrés dans les enluminures parisiennes entre 1320 et 1340. Quant aux peintures de la chapelle Saint-Antonin de l’ensemble conventuel des Jacobins, la maîtrise de la perspective dans l’agencement des architectures des scènes du cycle dédié à Saint-Antonin expose une perfection dans le traitement de l’espace dont l’origine est à chercher en Italie, alors même que la composition générale de l’évocation hagiographique présente une organisation narrative sous arcature pleinement française. Dans le chevet du même édifice, on ne peut qu’être frappé par les superpositions d’architecture irréelles échafaudées au-dessus des gâbles couronnant les fenêtres feintes : imaginaires et fantasmées, elles n’en sont pas moins traitées dans le plus grand respect du procédé graphique des effets visuels tridimensionnels, à l’instar de ce que proposent Giotto e compagni dès 1300 dans la basilique supérieure d’Assise. […] »

Un art du livre au plus haut niveau
L’enluminure toulousaine : une moisson de manuscrits
Émilie Nadal
« […] La production de livres des années 1290 et 1320 rassemble à elle seule une centaine des pièces du corpus et beaucoup de livres de très grand luxe. Si l’on remarque l’originale sobriété de la collection de textes enluminés sans or et presque sans figures pour Bernard de Castanet, les autres ouvrages possèdent au contraire un décor abondant, doré, riche en initiales historiées et en marginalia. Les commanditaires de ces imposants manuscrits liturgiques appartiennent à l’élite religieuse de la région : ce sont le pape français méridional Clément V et son entourage ; l’abbé de Lagrasse, Auger de Gogenx, ou encore les dominicains de Toulouse. Le corpus du début du siècle compte aussi de nombreux manuscrits juridiques, commandes destinées aux étudiants, professeurs et ecclésiastiques les plus fortunés liés à l’université de droit de Toulouse. Ce type de commande, livres liturgiques ou juridiques, pour des ecclésiastiques ou des universitaires, reste dominante dans le corpus même après 1330, date à partir de laquelle on observe davantage de commandes laïques, avec les exemplaires du très illustré Breviari d’Amor, la traduction en occitan du Livre des propriétés des choses ou encore Le Pèlerinage de vie humaine, exceptionnel manuscrit en français commandé à Toulouse pour Louis Ier d’Anjou et Marie de Blois.
Les artistes qui évoluent dans la région au début du XIVe siècle sont d’abord imprégnés des productions parisiennes de la même époque ; ils développent en outre plusieurs marqueurs stylistiques et iconographiques personnels. Le décor marginal est ainsi peuplé, dès les premiers manuscrits des années 1290 et pour tout le siècle suivant, de créatures typiques : têtes d’échassier au long bec ou grosses têtes humaines, distinguées par un cou allongé dessinant des ondes ou des entrelacs, dont l’origine orléanaise vient d’être montrée par François Avril. Les fonds en patchwork, grand quadrillage coloré et doré, bandes horizontales, verticales ou diagonales qui attirent l’œil vers l’arrière-plan des miniatures, sont également un indicateur marquant du style toulousain pendant tout le siècle. Ils sont une interprétation expressive et colorée des fonds à damiers qui caractérisent l’enluminure parisienne du XIVe siècle, et semblent être la manifestation en peinture d’un goût méridional général pour les surfaces pleines et colorées, patent dans le cas de l’architecture gothique locale, où persistent la muralité et le décor peint. Ce goût pour les surfaces n’incite pas les enlumineurs à travailler la profondeur de leurs espaces en dehors de quelques structures architecturées sous lesquelles les personnages prennent place, comme les boîtes tridimensionnelles empruntées à Jean Pucelle dans le Décret de Canilhac.
Les fonds en patchwork et les fantaisistes prolongements marginaux ne s’arrêtent pas aux frontières du Languedoc et se diffusent dans les productions enluminées d’Avignon à partir des années 1330, où divers ateliers attestent les liens étroits avec Toulouse, quand ils n’en sont pas eux-mêmes originaires. […] »



Du 18 octobre 2022 au 22 janvier 2023
6, place Paul Painlevé. 75005 Paris
Entrée du musée : 28 rue du Sommerard - 75005 Paris
Tél. : 01 53 73 78 00
Tous les jours sauf le lundi de 9 h 30 à 18 h 15
Visuels :
Affiche
Vierge à l’Enfant dite Notre-Dame de Bonnes-Nouvelles (détail)
Musée des Augustins, Toulouse.
© Mairie de Toulouse / Photo Daniel Martin / Oficina

Poids de Toulouse
Bronze
Cl. 13007
Paris, musée de Cluny - musée national du Moyen Âge
©RMN-Grand Palais (musée de Cluny - musée national du Moyen Âge) / Michel Urtado

Les capitouls de 1367-1368
Parchemin
BB273/2
Archives municipales de Toulouse
© Mairie de Toulouse, Archives municipales

Missel de Jean Tissendier
Vers 1319
Ms 90 - f. 21 : cycle de la Nativité
Toulouse, Bibliothèque d’Étude et du Patrimoine - Périgord
© Bibliothèque municipale de Toulouse / IRHT-CNRS

François d’Assise
Calcaire polychromé
Ra 555 A
Toulouse, Musée des Augustins
© Mairie de Toulouse, Musée des Augustins / Daniel Martin

Décret de Gratien avec glose de Barthélemy de Brescia
Parchemin
Ms 659 - f. 217 recto
Conservé par Avignon Bibliothèques (Ville d’Avignon) – dépôt de l’État
© Avignon, Médiathèque Meccano

Masque du gisant de Jeanne de Toulouse, provenant de l’abbatiale de Gercy à Varennes-Jarcy (Essonne)
Vers 1285
Sculpture
Cl. 22863
Paris, musée de Cluny - musée national du Moyen Âge
© RMN-Grand Palais (musée de Cluny - musée national du Moyen Âge) / Gérard Blot

Livre des propriétés des choses
Barthélemy l’Anglais
Ms 1029 - fol. 1 : Palais de la Sagesse dit l’Elucidari
Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève
© IRHT-CNRS

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