Ancien moine, Didier Meïr Long (1965) a renoué vers la quarantaine avec ses racines juives. Il dirige le cabinet de conseil en stratégie Internet Euclyd. La Galerie Saphir propose l’exposition « Radioscopie des Juifs en France » de Didier Meïr Long. Vernissage le 12 janvier 2023 de 19 h à 22 h avec cocktail. Exposition au profit du FSJU et en mémoire de Babeth Ariane Zweibaum, présidente de la loge Anne Franck du B’nai B’rith.
Juifs de Corse
Il entrelace les fils de sa double quête, spirituelle et familiale, et ceux de la trame de l’histoire de l’île de Beauté pour composer un récit passionnant.
Tel un archéologue, il révèle la part « marrane » de l’identité, du « tempérament, de l’âme corse ».
Patronymes génois ou livournais/corses - Pace (shalom, paix en hébreu)/Paceri ("hommes de paix institués par la Constitution de Paoli en 1755), Casanova, Colonna, Costa, Moscato, Rossi, Ventura -, paysages, recettes gastronomiques - ügha sécaïa (gâteau bonifacien de la Toussaint) /boulou (gâteau juif tunisien rompant le jeûne de Kippour) -, trait de caractère - "culte du secret des pourchassés" -, sentiment d'appartenir à un peuple, date du 31 juillet - rite du Ludarreddu à Porto-Vecchio/décret de l’Alhambra, décret d'expulsion des Juifs, signé le 31 mars 1492 par les rois catholiques à Grenade, et fixant au 31 juillet 1492 le jour où les Juifs "ne devaient plus rentrer" -... Didier Long multiplie les indicateurs de ces vestiges juifs en Corse, de ces points communs troublants entre judaïsme et Corse, une île hospitalière, marquée par les influences génoise, pisane, française, anglaise...
Une "terre d'exil" dont l'auteur souligne le philosémitisme. Dès l'an 800, des Juifs venant d'Egypte s'installent en Corse.
Ainsi Pascal Paoli (1725-1807), politicien ayant œuvré à l'indépendance de la Corse, philosophe du siècle des Lumières, et amiral corse, écrit en 1760, à Rivarola, consul de Piémont à Livourne : "Si les Juifs voulaient s'établir parmi nous, nous leur accorderions la naturalisation et les privilèges pour se gouverner avec leurs propres lois". En 1767, Paoli "autorise les Juifs de Livourne à pêcher le corail sur les côtes corses". François Pomponi "a montré que Paoli identifie la nation corse avec la nation hébraïque".
Quant à Bonaparte, il supprime lors de la Révolution française, en 1797, l'obligation pour les Juifs de porter un chapeau jaune et un brassard frappé de l'étoile de David et de demeurer la nuit dans le ghetto. Il met un terme aux mesures discriminatoires et infamantes visant les Juifs à Venise, Rome, Vérone et Padoue. Lors du siège de Saint-Jean d'Acre, dans une proclamation de 1799, Bonaparte songe à fonder un "Etat juif indépendant autour de Jérusalem" - Didier Longe cite Le Moniteur universel de Paris (22 mai 1799). Quant aux Juifs en France, l'empereur Napoléon Ier organise (1806-1808) le culte israélite - Assemblée des notables juifs, Grand Sanhédrin - dans le cadre du Concordat. Didier Long oublie le "décret infâme" pris en 1808 par l'empereur Napoléon Ier.
Une île menacée par les raids turcs, infestée dans certains endroits par la malaria et tragique pour les participants en 1578 à l'aventure de Ventimiglia la Nuova qui échouent, sans aide, à Porto-Vecchio.
En 1492, "c'est alors l'empire ottoman musulman qui est tolérant et la chrétienté hostile aux Juifs". A nuancer : la première destination des Juifs et conversos (marranes) espagnols est alors le royaume chrétien du Portugal. Puis, le sud de la France, Gênes, Anvers, Hambourg, Amsterdam, Londres... Certains de ces Juifs s'illustreront en pirates, poursuivant l'"invincible Armada" en Méditerranée et jusque dans les Caraïbes. De plus, l'empire ottoman, qui imposait le statut de la dhimmitude aux non-musulmans, était motivé par le bénéfice attendu de l'arrivée de Juifs habiles commerçants et médecins réputés.
Juifs réfugiés en Corse pendant la Première Guerre mondiale
L’exposition « Juifs réfugiés en Corse pendant la Première Guerre mondiale » est élaborée par le Centre culturel juif Fleg de Marseille dirigé par Martine Yana. Elle retrace le périple en 1915 de 740 Juifs « syriens » chassés par les Turcs de Tibériade (Eretz Israël), alors dans l'empire ottoman, puis expulsés par les Grecs de la Canée (Crête).
De décembre 1915 à août 1920, donc pendant et après la Première Guerre mondiale, 800 réfugiés, Israélites français - originaires de départements français d'Algérie - ou Juifs sous protection de la France - Juifs originaires du Maroc -, ont été expulsés du vilayet de Syrie - le vilayet était une circonscription administrative de l'Empire ottoman et se subdivisait en sanjuks - et de la Palestine sous mandat britannique.
Pendant la Première Guerre mondiale, en 1915, des Juifs « syriens » sont « chassés par les » Ottomans de Tibériade en Eretz Israël (Terre d’Israël) et d'Alep, alors dans l'empire Ottoman. "Ils ont tout perdu en quittant Tibériade et Alep où la plupart habitaient : leur maison, leurs meubles, leurs marchandises et leurs créances. Ils n’ont été autorisés à prendre que trois livres turques chacun et leurs objets rituels. Ils sont artisans (cordonniers, menuisiers, tailleurs, orfèvres, boulangers, bouchers, pâtissiers), petits commerçants (épiciers, muletiers, colporteurs), rabbins, agriculteurs. Ils sont en majorité illettrés et au bord de l’indigence. Fin juillet 1915, les autorités turques ont ordonné leur rassemblement dans les ports de Beyrouth et de Jaffa à fin d’expulsion. Là, deux navires de guerre de la marine américaine les ont pris à bord sans trop savoir où les débarquer. Chypre et l’Égypte les ayant refusés... Ils sont recueillis fin août dans le port crétois de La Canée", écrit Florence Berceot (Une escale dans la tempête. Des Juifs palestiniens en Corse (1915-1920), Archives juives, 2005/1, vol. 38).
Six mois plus tard, en décembre 1915, les Grecs les expulsent de La Canée, port situé dans la partie occidentale de l’île.
C’est vers une autre île méditerranéenne qu’ils fuient, embarqués sur des navires français : la Corse. Une île "pauvre, en voie de dépeuplement" (Florence Berceot, Une escale dans la tempête. Des Juifs palestiniens en Corse (1915-1920), Archives juives, 2005/1, vol. 38).
"Dans les années 1890 quelque 150 Juifs sujets ottomans, originaires principalement de Constantinople, ont profité de l’ouverture des frontières turques pour s’installer en Corse. Plus nombreux à Bastia, port marchand de l’île, ces Turchinos ont officieusement organisé leur vie communautaire autour d’un petit lieu de culte installé dans un appartement loué. Ils vivent dans une certaine aisance de la pratique du commerce ; certains d’entre eux n’en quittent pas moins la Corse pour Marseille, suivant en cela le mouvement insulaire d’émigration massif. En 1915, lorsque arrivent les réfugiés israélites du Levant, une vingtaine de familles juives résident encore à Bastia, et une à Ajaccio". (ibid)
Ces "Israélites" sont accueillis avec sollicitude par les Corses à Ajaccio. L'intégration de ces réfugiés est assurée par les services administratifs corses avec l'aide de l'Alliance israélite universelle (AIU).
Les Corses accueillent ces réfugiés, souvent « vêtus à l’orientale », avec empathie et avec générosité. D’émouvants documents attestent « de la solidarité et de l’hospitalité corse » qui « n’a rien de légendaire ». Ainsi, ces « fiches de paie des instituteurs d’Ajaccio qui ont pris sur leurs salaires pour vêtir des enfants, des femmes et des hommes ».
Cependant, « beaucoup restèrent ou revinrent".
En 1939, 80 familles juives vivent en Corse.
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, la Corse est occupée par l'Italie fasciste du Duce Benito Mussolini. "l’île devient même une terre d’asile à partir de 1942 pour un petit nombre de Juifs fuyant Paris et la déportation. Cependant, à partir de novembre 1942, la situation se dégrade. Alors que sur le continent les troupes allemandes occupent la zone libre, 85 000 soldats italiens et 15 000 allemands viennent renforcer les troupes d’occupation en Corse. De son côté Vichy nomme un nouveau préfet, le précédent étant jugé trop « mou ». Il s’ensuit une recrudescence de l’activité de la résistance corse regroupée au sein du Font national, laquelle déclenche en représailles arrestations, prises d’otages et exécutions et la population juive, jusque-là préservée, pâtit de la tension croissante. En mai 1943 les troupes italiennes arrêtent 60 chefs de familles juives en Corse du Nord et les internent à Asco, village au pied du Monte Cinto ; en Corse du Sud, les familles juives sont, elles, assignées à résidence. Mais Rome capitule en septembre et, après d’ultimes combats à Bastia, la Corse est libérée en octobre 1943". (ibid)
La Corse "est le seul département français à avoir agi ainsi, de concert avec le peuple, le préfet de l’époque, Balley, et les autorités de l’île ont désobéi aux ordres venus de Vichy (sauf un)… et n’ont pas « donné » les Juifs promis aux camps, aux Nazis. Les Juifs « syriens » en vadrouille en Méditerranée… étaient alors devenus des « touristes » munis de vrais faux-papiers ! »
"Les années d’après-guerre voient le départ vers le nouvel État d’Israël de jeunes Juifs arrivés sur l’île dans l’entre-deux-guerres. À nouveau la guerre d’Algérie amène des réfugiés, mais pour la majorité de ces « rapatriés » l’installation en Corse n’est que provisoire ; certains immigrent vers Israël, d’autres partent chercher du travail sur le continent. Actuellement, 200 Juifs vivent en Corse dont 35 familles à Bastia et 15 à Ajaccio. L’Association cultuelle israélite de Bastia, affiliée à partir de 1964 à l’Union des communautés juives de France, a été rattachée au consistoire régional Côte d’Azur-Corse établi à Nice. L’association possède une synagogue rue Castagno et un carré réservé au cimetière municipal. Les offices ont lieu le samedi matin et les jours de fête mais il n’y a plus de ministre du culte depuis la mort de Mayer Tolédano, rabbin de Bastia pendant près d’un demi siècle", de 1920 à 1950 (ibid)
Un des ces réfugiés juifs, le rabbin Jacob-Moïse Tolédano qui « assura l’enseignement hébraïque devint ministre des affaires religieuses dans le gouvernement Ben Gourion en 1958 ».
Didier Long raconte l'histoire émouvante de Guy et Benny Sabbagh ("teinturier" en arabe). Leur grand-père était un Berbère juif vivant à Tinghir, dans l'Atlas au sud du Maroc, au début du XXe siècle. Il a été vraisemblablement été tué par des concurrents musulmans dont il été créancier. Pour la sécurité de sa famille, sa veuve Bouda, née Pérès, fuit clandestinement ce village pour s'installer à Tibériade. Et de là, la famille en sera chassée par les Ottomans, fera partie de ces réfugiés errant de Crête en Corse. Elle s'installera définitivement à Bastia.
Le Théâtre de Bastia a accueilli l’exposition Juifs réfugiés en Corse pendant la Première Guerre Mondiale.
Le 15 octobre 2017, de 18 h à 22 h, a été inaugurée à la Maison de la culture juive de Nogent-sur-Marne l'exposition Juifs réfugiés en Corse pendant la Première Guerre mondiale. Au programme : visite guidée, puis à 20 h L'aventure des juifs de Corse du Maroc à l'Ile de Beauté en passant par la Palestine, une histoire familiale, témoignage par Guy et Benny Sabbagh. "Le 14 décembre 1915, en pleine Première Guerre mondiale, 739 réfugiés israélites dont presque 300 enfants, débarquent d'un bateau de transport militaire français dans le port d'Ajaccio en Corse. Ils vont vivre 57 mois dans l’île de Beauté avant de pouvoir retourner chez eux. On les dit syriens ou palestiniens. Ce sont des juifs, expulsés par le gouvernement ottoman de leurs villes de naissance parce qu'ils sont "protégés français". La plupart vient de Tibériade, les autres de Safed, Jaffa et même d'Alep. Dans un dénuement total, ils ont été exfiltrés de la Terre Sainte par des navires de guerre de la marine américaine des ports de Jaffa et de Beyrouth. Débarqués en Crète, à la Canée, la Marine Française les a récupérés pour les conduire en Corse. Pourquoi des juifs natifs de la terre Sainte ont-ils du fuir leur pays lors de la Première Guerre mondiale ? Que se passe-t-il en Galilée (Tibériade et Safed) au début de la Grande guerre ? Que signifie "protégés français" ? Qui sont ces Juifs et pourquoi n'ont-ils plus rien et pourquoi ont-ils été pris en charge par des bateaux américains ? "
Le 22 septembre 2019 à 17 h 30 a eu lieu la conférence exceptionnelle de Didier Long, auteur de « Mémoires juives de Corse » à l'Hôtel de ville de Nancy (Meurthe-et-Moselle). Entrée libre (PAF). "Prêtre, Didier Long retrouve grâce aux confitures de cédrat de sa grand-mère l’histoire de ses ancêtres, marranes, juifs et corses. Un parcours spirituel et humain qui s’inscrit dans le patrimoine européen. Nourri d'archives et de documents, son ouvrage «Mémoires juives de Corse» évoque l'aventure des juifs et des corses, les "insulaires de l'Histoire" ainsi que celle des corsaires marranes fuyant l'Inquisition italienne. Il retrace le rêve inachevé de Terre promise à Porto-Vecchio ainsi que celui de Christophe Colomb et la nouvelle Jérusalem de Corse. Il évoque la mémoire d’un évêque kabbaliste puis les mesures de Napoléon envers les juifs. Il se rappelle avec délice le goût des cédrats confits et évoque avec émotion la distinction accordée à la Corse déclarée "l’île des Justes" pour n’avoir livré aucun juif pendant la guerre".
"Having fed by archives and by documents, its work «Jewish Memoirs of Corsica» evokes the adventure of the Jews and the Corsican, the "islanders of History(Story)" as well as that of marranes corsairs avoiding(fleeing) Italian Inquisition. He(It) redraws the incomplete dream of Promised Land in Porto-Vecchio as well as that of Christopher Columbus and new Jerusalem of Corsica. He(It) evokes the memory of a Kabbalist bishop then Napoleon's measures towards the Jews. It remembers with delight the taste of crystallised citrons and evokes with emotion the differentiation granted(tuned) in declared Corsica "the island of the Just men" to have delivered no Jew during war."
A lire sur ce blog :
L'histoire des Juifs et du judaïsme en Corse, « terre d’exil » et d’accueil de Juifs séfarades, conversos ou non, est méconnue ou minorée.
Pourtant, elle s’avère déterminante.
Essayiste, Didier Long est l'auteur de nombreux ouvrages dont Des noces éternelles. Un moine à la synagogue (Lemieux Éditeur, 2015). Dans Mémoires juives de Corse, il « explore la mémoire cachée, refoulée mais bien vivace des Juifs de Corse. Grande île de la Méditerranée, elle fut terre d'accueil pour ceux qui échappèrent à la répression catholique espagnole de 1492 ».
Il entrelace les fils de sa double quête, spirituelle et familiale, et ceux de la trame de l’histoire de l’île de Beauté pour composer un récit passionnant.
Tel un archéologue, il révèle la part « marrane » de l’identité, du « tempérament, de l’âme corse ».
Patronymes génois ou livournais/corses - Pace (shalom, paix en hébreu)/Paceri ("hommes de paix institués par la Constitution de Paoli en 1755), Casanova, Colonna, Costa, Moscato, Rossi, Ventura -, paysages, recettes gastronomiques - ügha sécaïa (gâteau bonifacien de la Toussaint) /boulou (gâteau juif tunisien rompant le jeûne de Kippour) -, trait de caractère - "culte du secret des pourchassés" -, sentiment d'appartenir à un peuple, date du 31 juillet - rite du Ludarreddu à Porto-Vecchio/décret de l’Alhambra, décret d'expulsion des Juifs, signé le 31 mars 1492 par les rois catholiques à Grenade, et fixant au 31 juillet 1492 le jour où les Juifs "ne devaient plus rentrer" -... Didier Long multiplie les indicateurs de ces vestiges juifs en Corse, de ces points communs troublants entre judaïsme et Corse, une île hospitalière, marquée par les influences génoise, pisane, française, anglaise...
Une "terre d'exil" dont l'auteur souligne le philosémitisme. Dès l'an 800, des Juifs venant d'Egypte s'installent en Corse.
Ainsi Pascal Paoli (1725-1807), politicien ayant œuvré à l'indépendance de la Corse, philosophe du siècle des Lumières, et amiral corse, écrit en 1760, à Rivarola, consul de Piémont à Livourne : "Si les Juifs voulaient s'établir parmi nous, nous leur accorderions la naturalisation et les privilèges pour se gouverner avec leurs propres lois". En 1767, Paoli "autorise les Juifs de Livourne à pêcher le corail sur les côtes corses". François Pomponi "a montré que Paoli identifie la nation corse avec la nation hébraïque".
Quant à Bonaparte, il supprime lors de la Révolution française, en 1797, l'obligation pour les Juifs de porter un chapeau jaune et un brassard frappé de l'étoile de David et de demeurer la nuit dans le ghetto. Il met un terme aux mesures discriminatoires et infamantes visant les Juifs à Venise, Rome, Vérone et Padoue. Lors du siège de Saint-Jean d'Acre, dans une proclamation de 1799, Bonaparte songe à fonder un "Etat juif indépendant autour de Jérusalem" - Didier Longe cite Le Moniteur universel de Paris (22 mai 1799). Quant aux Juifs en France, l'empereur Napoléon Ier organise (1806-1808) le culte israélite - Assemblée des notables juifs, Grand Sanhédrin - dans le cadre du Concordat. Didier Long oublie le "décret infâme" pris en 1808 par l'empereur Napoléon Ier.
Une île menacée par les raids turcs, infestée dans certains endroits par la malaria et tragique pour les participants en 1578 à l'aventure de Ventimiglia la Nuova qui échouent, sans aide, à Porto-Vecchio.
En 1492, "c'est alors l'empire ottoman musulman qui est tolérant et la chrétienté hostile aux Juifs". A nuancer : la première destination des Juifs et conversos (marranes) espagnols est alors le royaume chrétien du Portugal. Puis, le sud de la France, Gênes, Anvers, Hambourg, Amsterdam, Londres... Certains de ces Juifs s'illustreront en pirates, poursuivant l'"invincible Armada" en Méditerranée et jusque dans les Caraïbes. De plus, l'empire ottoman, qui imposait le statut de la dhimmitude aux non-musulmans, était motivé par le bénéfice attendu de l'arrivée de Juifs habiles commerçants et médecins réputés.
L’exposition « Juifs réfugiés en Corse pendant la Première Guerre mondiale » est élaborée par le Centre culturel juif Fleg de Marseille dirigé par Martine Yana. Elle retrace le périple en 1915 de 740 Juifs « syriens » chassés par les Turcs de Tibériade (Eretz Israël), alors dans l'empire ottoman, puis expulsés par les Grecs de la Canée (Crête).
De décembre 1915 à août 1920, donc pendant et après la Première Guerre mondiale, 800 réfugiés, Israélites français - originaires de départements français d'Algérie - ou Juifs sous protection de la France - Juifs originaires du Maroc -, ont été expulsés du vilayet de Syrie - le vilayet était une circonscription administrative de l'Empire ottoman et se subdivisait en sanjuks - et de la Palestine sous mandat britannique.
Pendant la Première Guerre mondiale, en 1915, des Juifs « syriens » sont « chassés par les » Ottomans de Tibériade en Eretz Israël (Terre d’Israël) et d'Alep, alors dans l'empire Ottoman. "Ils ont tout perdu en quittant Tibériade et Alep où la plupart habitaient : leur maison, leurs meubles, leurs marchandises et leurs créances. Ils n’ont été autorisés à prendre que trois livres turques chacun et leurs objets rituels. Ils sont artisans (cordonniers, menuisiers, tailleurs, orfèvres, boulangers, bouchers, pâtissiers), petits commerçants (épiciers, muletiers, colporteurs), rabbins, agriculteurs. Ils sont en majorité illettrés et au bord de l’indigence. Fin juillet 1915, les autorités turques ont ordonné leur rassemblement dans les ports de Beyrouth et de Jaffa à fin d’expulsion. Là, deux navires de guerre de la marine américaine les ont pris à bord sans trop savoir où les débarquer. Chypre et l’Égypte les ayant refusés... Ils sont recueillis fin août dans le port crétois de La Canée", écrit Florence Berceot (Une escale dans la tempête. Des Juifs palestiniens en Corse (1915-1920), Archives juives, 2005/1, vol. 38).
Six mois plus tard, en décembre 1915, les Grecs les expulsent de La Canée, port situé dans la partie occidentale de l’île.
C’est vers une autre île méditerranéenne qu’ils fuient, embarqués sur des navires français : la Corse. Une île "pauvre, en voie de dépeuplement" (Florence Berceot, Une escale dans la tempête. Des Juifs palestiniens en Corse (1915-1920), Archives juives, 2005/1, vol. 38).
"Dans les années 1890 quelque 150 Juifs sujets ottomans, originaires principalement de Constantinople, ont profité de l’ouverture des frontières turques pour s’installer en Corse. Plus nombreux à Bastia, port marchand de l’île, ces Turchinos ont officieusement organisé leur vie communautaire autour d’un petit lieu de culte installé dans un appartement loué. Ils vivent dans une certaine aisance de la pratique du commerce ; certains d’entre eux n’en quittent pas moins la Corse pour Marseille, suivant en cela le mouvement insulaire d’émigration massif. En 1915, lorsque arrivent les réfugiés israélites du Levant, une vingtaine de familles juives résident encore à Bastia, et une à Ajaccio". (ibid)
Les Corses accueillent ces réfugiés, souvent « vêtus à l’orientale », avec empathie et avec générosité. D’émouvants documents attestent « de la solidarité et de l’hospitalité corse » qui « n’a rien de légendaire ». Ainsi, ces « fiches de paie des instituteurs d’Ajaccio qui ont pris sur leurs salaires pour vêtir des enfants, des femmes et des hommes ».
Ces réfugiés juifs "ont rapidement fondé une école, "appris la langue corse en plus du judéo-arabe et de l’hébreu, et se sont fondus dans la population. Juifs et Corses à la fois ». En un an, les adultes gagnaient leur vie par leur travail. "Parmi les jeunes protégés du comité, quatre anciens élèves de Mikveh Israël, l’école agricole de Jaffa, fondation de l’AIU, qui ont rapidement obtenu du travail chez des maraîchers des environs". (ibid)
A la suite de tensions parmi ces réfugiés, les Juifs "marocains" s'installent à Bastia.
A la suite de tensions parmi ces réfugiés, les Juifs "marocains" s'installent à Bastia.
En août 1920, la majorité de ces réfugiés juifs « repartirent vers Eretz Israël alors sous mandat britannique. A leur départ, ils écrivirent au Bastia Journal pour remercier la population corse. Les liens entre la Corse et ces Juifs israéliens ont perduré.
En 1939, 80 familles juives vivent en Corse.
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, la Corse est occupée par l'Italie fasciste du Duce Benito Mussolini. "l’île devient même une terre d’asile à partir de 1942 pour un petit nombre de Juifs fuyant Paris et la déportation. Cependant, à partir de novembre 1942, la situation se dégrade. Alors que sur le continent les troupes allemandes occupent la zone libre, 85 000 soldats italiens et 15 000 allemands viennent renforcer les troupes d’occupation en Corse. De son côté Vichy nomme un nouveau préfet, le précédent étant jugé trop « mou ». Il s’ensuit une recrudescence de l’activité de la résistance corse regroupée au sein du Font national, laquelle déclenche en représailles arrestations, prises d’otages et exécutions et la population juive, jusque-là préservée, pâtit de la tension croissante. En mai 1943 les troupes italiennes arrêtent 60 chefs de familles juives en Corse du Nord et les internent à Asco, village au pied du Monte Cinto ; en Corse du Sud, les familles juives sont, elles, assignées à résidence. Mais Rome capitule en septembre et, après d’ultimes combats à Bastia, la Corse est libérée en octobre 1943". (ibid)
La Corse "est le seul département français à avoir agi ainsi, de concert avec le peuple, le préfet de l’époque, Balley, et les autorités de l’île ont désobéi aux ordres venus de Vichy (sauf un)… et n’ont pas « donné » les Juifs promis aux camps, aux Nazis. Les Juifs « syriens » en vadrouille en Méditerranée… étaient alors devenus des « touristes » munis de vrais faux-papiers ! »
"Les années d’après-guerre voient le départ vers le nouvel État d’Israël de jeunes Juifs arrivés sur l’île dans l’entre-deux-guerres. À nouveau la guerre d’Algérie amène des réfugiés, mais pour la majorité de ces « rapatriés » l’installation en Corse n’est que provisoire ; certains immigrent vers Israël, d’autres partent chercher du travail sur le continent. Actuellement, 200 Juifs vivent en Corse dont 35 familles à Bastia et 15 à Ajaccio. L’Association cultuelle israélite de Bastia, affiliée à partir de 1964 à l’Union des communautés juives de France, a été rattachée au consistoire régional Côte d’Azur-Corse établi à Nice. L’association possède une synagogue rue Castagno et un carré réservé au cimetière municipal. Les offices ont lieu le samedi matin et les jours de fête mais il n’y a plus de ministre du culte depuis la mort de Mayer Tolédano, rabbin de Bastia pendant près d’un demi siècle", de 1920 à 1950 (ibid)
Un des ces réfugiés juifs, le rabbin Jacob-Moïse Tolédano qui « assura l’enseignement hébraïque devint ministre des affaires religieuses dans le gouvernement Ben Gourion en 1958 ».
Didier Long raconte l'histoire émouvante de Guy et Benny Sabbagh ("teinturier" en arabe). Leur grand-père était un Berbère juif vivant à Tinghir, dans l'Atlas au sud du Maroc, au début du XXe siècle. Il a été vraisemblablement été tué par des concurrents musulmans dont il été créancier. Pour la sécurité de sa famille, sa veuve Bouda, née Pérès, fuit clandestinement ce village pour s'installer à Tibériade. Et de là, la famille en sera chassée par les Ottomans, fera partie de ces réfugiés errant de Crête en Corse. Elle s'installera définitivement à Bastia.
Le Théâtre de Bastia a accueilli l’exposition Juifs réfugiés en Corse pendant la Première Guerre Mondiale.
Le 29 janvier 2017, l'Opéra de Nice a accueilli la cérémonie des 7 Ménoras d'Or qui "rendit un hommage exceptionnel à la population corse pour l'accueil et la protection des juifs tout au long de l'histoire depuis Pascal Paoli jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, mais aussi pendant la lutte d’indépendance d’Israël".
Le 22 septembre 2019 à 17 h 30 a eu lieu la conférence exceptionnelle de Didier Long, auteur de « Mémoires juives de Corse » à l'Hôtel de ville de Nancy (Meurthe-et-Moselle). Entrée libre (PAF). "Prêtre, Didier Long retrouve grâce aux confitures de cédrat de sa grand-mère l’histoire de ses ancêtres, marranes, juifs et corses. Un parcours spirituel et humain qui s’inscrit dans le patrimoine européen. Nourri d'archives et de documents, son ouvrage «Mémoires juives de Corse» évoque l'aventure des juifs et des corses, les "insulaires de l'Histoire" ainsi que celle des corsaires marranes fuyant l'Inquisition italienne. Il retrace le rêve inachevé de Terre promise à Porto-Vecchio ainsi que celui de Christophe Colomb et la nouvelle Jérusalem de Corse. Il évoque la mémoire d’un évêque kabbaliste puis les mesures de Napoléon envers les juifs. Il se rappelle avec délice le goût des cédrats confits et évoque avec émotion la distinction accordée à la Corse déclarée "l’île des Justes" pour n’avoir livré aucun juif pendant la guerre".
"Having fed by archives and by documents, its work «Jewish Memoirs of Corsica» evokes the adventure of the Jews and the Corsican, the "islanders of History(Story)" as well as that of marranes corsairs avoiding(fleeing) Italian Inquisition. He(It) redraws the incomplete dream of Promised Land in Porto-Vecchio as well as that of Christopher Columbus and new Jerusalem of Corsica. He(It) evokes the memory of a Kabbalist bishop then Napoleon's measures towards the Jews. It remembers with delight the taste of crystallised citrons and evokes with emotion the differentiation granted(tuned) in declared Corsica "the island of the Just men" to have delivered no Jew during war."
« Radioscopie des Juifs en France »
La Galerie Saphir propose l’exposition « Radioscopie des Juifs en France » de Didier Long. Vernissage le 12 janvier 2023 de 19 h à 22 h avec cocktail.
Exposition au profit du FSJU et en mémoire de Babeth Ariane Zweibaum, présidente de la loge Anne Franck du B’nai B’rith.
« Cette exposition est le fruit de la rencontre entre Francine Szapiro qui défend une conception moderne et ouverte de la tradition artistique juive à la Galerie SAPHIR depuis plus de 40 ans et l’artiste et écrivain Didier Meïr Long. »
« Alors que Didier Meïr Long est arrêté pour 3 mois en plein confinement il va retrouver le chemin de ses sensations grâce à la peinture que lui a enseigné sa mère enfant, lors de sa vie monastique passée (éditeur de Zodiaque), dans une tradition familiale corse où son frère jumeau, le peintre Olivier Long, l’accompagne. »
« Alors que sa vie bascule (une nouvelle fois !), en 2020, poussé par son ami le psychiatre et psychanalyste Gérard Haddad, Didier Meïr peint les visages des amis qui l’entourent, influencé par la couleur de Sonia Delaunay et l’expressionisme de Zygmunt Schreter qu’expose la Galerie Saphir. 40 portraits naissent de cette recherche, et ses ami.e.s juifs (ou sympathisants!) lui rendent le parfum de l’existence. »
« Comme le dit la peintre américaine Georgia O'Keeffe : « La couleur est l'une des grandes choses de ce monde qui fait que la vie vaut pour moi la peine d'être vécue ».
« En hébreu le « visage » se dit panim, la même racine que p’nim : « l’intérieur ». Le visage est le reflet de l’intérieur de l’âme, un chemin vers l’infini. »
« Le parcours de Didier Meïr Long est celui d’un aventurier de l’esprit. Didier Meïr a été moine bénédictin à l’Abbaye de la Pierre Qui Vire entre 1985 et 1995 sous le nom de frère marc. Il a alors travaillé avec l’architecte belge Jean Cosse et dans ce cadre, en 1992, son Tympan de la création et le projet architectural de l’Abbaye ont été exposés à la biennale de Venise : Architettura e spazio sacro nella modernita. »
« A partir de 1994, Didier Meïr a été artiste de la galerie Froment & Putman avec Fabrice Hyber, Huan Yon Ping, James Turell… sous le nom de Frère Marc ».
« Devenu écrivain, il a reçu le Prix Maisons de la Presse pour Défense à Dieu d’entrer publié chez Denoël en 2005. Il a depuis publié 14 livres, des essais sur le judéo-christianisme puis l’histoire des Séfarades dont il rejoint la branche traditionnelle après un long chemin marrane, guidé par le Grand Rabbin Haïm Harboun et le Grand Rabbin de France Haim Korsia. »
« Depuis 1995, Didier Meïr est expert digital, il a conçu Fnac.com et 01 Net en 1999. Ancien consultant Mckinsey, père de quatre enfants, il a fondé en 2001 le cabinet de conseil en stratégie Euclyd, devenu Kea-Euclyd en 2019 : Digital for humans. »
Du 5 au 23 septembre 2016. Vernissage le 5 septembre 2016 à 18 h
Rue Favalelli, 20200 Bastia
Tél. :04 95 34 98 00
Entrée libre
Didier Long, Mémoires juives de Corse. Lemieux éditeur, 2016. 212 pages. ISBN : 978-2373440607. 16 €
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Les citations non sourcées proviennent du blog de Didier Long. Cet article a été publié le 5 septembre 2016, puis les 28 janvier et 15 octobre 2017, 23 septembre 2019.
Les citations non sourcées proviennent du blog de Didier Long. Cet article a été publié le 5 septembre 2016, puis les 28 janvier et 15 octobre 2017, 23 septembre 2019.
Beaucoup de Corses s'intéressent à ces questions dans un groupe Facebook (et ailleurs sans doute) dédié à l'histoire corse.Je pense que des familles juives existent également en dehors de Bastia et d'Ajaccio. J'ai lu que le nom du village "Casalabriva" aurait pour origine : Maison des Hébreux.
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