Citations

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« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du Soleil. » (René Char).
« Il faut commencer par le commencement, et le commencement de tout est le courage. » (Vladimir Jankélévitch)
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » (Albert Londres)
« Le plus difficile n'est pas de dire ce que l'on voit, mais d'accepter de voir ce que l'on voit. » (Charles Péguy)

dimanche 3 décembre 2023

Ida Laura Pfeiffer (1797-1858)

Ida Laura Pfeiffer (1797-1858) était une exploratrice, ethnographe, femme de lettres auteure de best sellers et naturaliste née et morte à Vienne. Entre 1846 et 1855, elle a effectué deux tours du monde. Arte diffuse sur son site Internet, dans le cadre de la série d'animation « Cherchez la femme ! », « Ida Pfeiffer – Les grands récits d'aventure du XIXe siècle ».

Ruth Beckermann, documentariste

Ida Laura Pfeiffer (1797-1858) est née dans la  famille nombreuse bourgeoise aisée Reyer à Vienne, alors capitale du Saint-Empire romain germanique.

Son précepteur, le poète et écrivain Emil Trimmel (1786-1867) donne le goût de la géographie à ce garçon manqué intrépide, et l'invite à lire des récits de voyages. Agée de cinq ans, elle visite la Terre Sainte. Son père décède en 1806.

En 1820, Ida Reyer épouse le Dr. Mark Anton Pfeiffer, son aîné de vingt-quatre ans et juriste à Lemberg (Lviv, maintenant en Ukraine). Le couple vit dans cette ville et a deux garçons. Anton Pfeiffer est appauvri par sa lutte contre la corruption.  Ida Pfeiffer se sépare de son époux en 1833, et s'installe à Vienne avec ses enfants où elle survient aux besoins de sa famille.

En 1836, elle se rend chez un oncle, à Trieste, et prend goût aux voyages.

Six ans plus tard, en décembre 1842, âgée de 47 ans, Ida Pfeiffer visite seule Constantinople (Istanbul), la Terre sainte (27 mai-18 juin 1842) - Césarée, Jaffa, mer Morte, rives du Jourdain, Nazareth, Tibériade où elle séjourne chez un médecin juif, Saint-Jean-D'acre - et l'Égypte. A Jérusalem, elle visite l'église du Saint-Sépulcre et fait la connaissance du médecin botaniste Friedrich von Berchtold (1781-1876). 

Ida Pfeiffer "remarqua les grands troupeaux de moutons et de chèvres et la vallée fertile et bien peuplée du Sharon. Autour de Jérusalem, elle pensait que la terre était désolée et aride, critiquant ainsi les habitants de ne pas améliorer la culture de leurs produits naturels, faisant ainsi écho aux stéréotypes européens de l'Oriental indolent et arriéré : « S'ils voulaient seulement faire des efforts, de nombreuses plantes sans aucun doute s’épanouir de manière luxuriante. Elle a également fait remarquer que si les gens savaient cultiver la vigne et préparer le vin, celui-ci pourrait être excellent. Du sommet du mont Thabor, elle observa la vallée en contrebas, remarquant que malgré la richesse du sol, la population était clairsemée. Durant tout son séjour, elle n'a jamais vu de produits agricoles transportés par chariots. Les routes étant mauvaises, on utilisait des chevaux, des ânes et parfois des chameaux. Cependant , plus tard, elle a imputé la pauvreté qu’elle a constatée et le manque de développement agricole non pas aux habitants, mais à la politique ottomane. Selon elle, les habitants de la Syrie étaient écrasés et les impôts étaient trop élevés. Elle a appris que les vergers, par exemple, n’étaient pas taxés comme des vergers, mais que chaque arbre était taxé individuellement, un système qui décourageait le développement agricole. Comme les paysans n’étaient pas propriétaires de la terre, ils n’étaient guère incités à l’améliorer. Au gré des pachas locaux, ils pouvaient être déplacés vers un autre terrain ou même dépossédés. Même si elle était globalement bien disposée envers les Turcs, elle fait écho aux notions orientalistes du Turc despotique lorsqu'elle critique la tyrannie arbitraire des pachas locaux dont le pouvoir dans la région qu'ils dirigeaient était aussi grand, à son avis, que celui du sultan de Constantinople. (...)
Elle trouva Jaffa sale et bondée.  Au moment de sa visite à Jérusalem, Jérusalem était, avec ses 25 000 habitants, la plus grande ville de Terre Sainte. Elle rapporte que les maisons, dont beaucoup avaient des coupoles rondes, étaient construites en pierre et que les remparts de la ville étaient élevés et bien conservés. Parmi les mosquées, elle pensait que la mosquée d'Omar, avec son toit couvert de plomb, était la plus belle. Selon elle, Jérusalem était animée , mais possédait un bazar de mauvaise qualité et le quartier juif densément peuplé, où la peste éclatait généralement en premier, dégageait une odeur nauséabonde. Lorsqu'elle visita Tibériade, la ville était encore à moitié en ruines suite au tremblement de terre dévastateur de 1837 (elle écrit par erreur 1839) au cours duquel, selon elle, de nombreuses personnes avaient péri. (...) 
Dans l’ensemble, elle considère les habitants de Terre Sainte de manière plutôt positive. (...)
Une autre personne qu'elle rapporte avoir rencontré était un gentil médecin juif à Tibériade chez qui Pfeiffer et son groupe séjournaient parce qu'il n'y avait pas d'auberges. Elle rapporte que de nombreux Juifs vivaient dans la ville. Ils ne portaient pas de vêtements grecs ou turcs, mais s'habillaient comme leurs compatriotes juifs de Galice et de Pologne et la plupart parlaient allemand. Elle apprit que toutes les familles juives de la ville étaient originaires de Pologne ou de Russie et s'étaient installées là-bas parce qu'elles voulaient mourir en Terre promise. Le médecin lui a raconté les souffrances causées par le tremblement de terre au cours duquel il avait perdu sa femme et ses enfants et il n'avait pu s'en sortir que parce qu'il se trouvait au chevet d'un patient. Dans sa discussion sur les Juifs de Tibériade, ses commentaires sont factuels et descriptifs et ne portent pas de jugement."
En 1843, les souvenirs de voyage d'Ida Pfeiffer sont publiés par un éditeur viennois sous le titre Reise einer Wienerin in das Heilige Land ("Voyage d'une Viennoise en Terre sainte"). Elle présente son séjour comme celui d'une personnage effectuant un pèlerinage.

Ses voyages suivants la mènent en 1845 en Islande, en Scandinavie. L'année suivante, paraît Reise nach den skandinavischen Norden und der Insel Island ("Voyage vers le nord scandinave et l'île d'Islande"), assorti d'un sous-titre de l'éditeur : « par l'auteur d'une Viennoise en Terre Sainte ».

Ida Pfeiffer débute alors son premier tour du monde via le cap Horn par bateaux et chameaux. Elle retrouve Vienne en pleine Révolution, le 4 novembre 1848. En 1850, son récit Eine Frau fährt um die Welt (Voyage d'une femme autour du monde), est publié.

En 1851, Ida Pfeiffer effectue un second tour du monde par le cap de Bonne-Espérance. Quatre ans plus tard, après avoir revu son fils cadet aux Açores, elle arrive en Autriche. En 1856, est publié à Vienne son récit Meine zweite Weltreise et en 1885 Hachette l'édite sous le titre Mon second voyage autour du monde.

Son dernier voyage la mène à Madagascar dans une période troublée politiquement.

Après son décès à Vienne en 1858 est publié en 1861 son récit de voyage à Madagascar sous le titre de Reise nach Madagascar.

De ses périples, elle a ramené des spécimens de plantes, d'insectes, de reptiles et de papillons qui enrichissent les collections de musées viennois, et des récits best-sellers publiés et traduits en sept langues - Voyage d'une femme autour du monde (1859), Mon second voyage autour du monde (1859), Voyage à Madagascar (1881). Le succès de ces livres tient à la spécificité de la voyageuse, une femme seule, sans fortune.

Estimée de ses pair, elle était membre des Sociétés de géographie de Berlin et de Paris.

« Ida Pfeiffer – Les grands récits d'aventure du XIXe siècle »
« Saviez-vous qu’Adam a eu une compagne avant Ève ? Qu’il existait des femmes vikings ou samouraïs et même des exploratrices ? Que ce sont des femmes qui ont inventé la bière ? Connaissez-vous le nom de celle qui a écrit le tout premier algorithme de l’histoire ? De celle qui a inventé l’aquarium ? De celle qui a créé le Monopoly ? Ou encore de celle qui, la première, a découvert que la terre et le soleil ne sont pas fait des mêmes éléments comme le pensait le monde scientifique ? » 

« Artistes, scientifiques, femmes politiques, penseuses, sportives, guerrières... De nombreuses femmes ont changé le cours de l'Histoire et n'apparaissent pourtant pas dans les livres qui la retracent. »

« Cherchez la femme ! » est « une série d'animation aux dialogues teintés d’humour grinçant de Julie Gavras (Les bonnes conditions) pour mettre en lumière les mécanismes d'invisibilisation des femmes dans l'Histoire ». 

« En trente épisodes de trois minutes, cette série en stop motion, aussi drôle que percutante, présente un nouveau livre d'Histoire pour exhumer leurs destins, remet en lumière leurs parcours, en exposant les raisons de cette occultation. Elle explore surtout les mécanismes à l'oeuvre, ceux qui les ont reléguées dans l’ombre, invisibilisées, effacées des livres d’histoire ou spoliées. »

« Ouvrant un à un les grands chapitres de l’Histoire de l’Homme, un narrateur pontifiant, auquel Denis Podalydès prête ses géniales intonations, voit se détacher les silhouettes en papier de toutes ces femmes oubliées. » Il n'y a pas d'« Histoire de l’Homme », mais l'Histoire.

« Régulièrement interrompues par les soupirs exaspérés et les piques misogynes de leur interlocuteur, ces artistes, penseuses, sportives et scientifiques racontent leurs parcours et les raisons de leurs disparitions sans se laisser impressionner. Certaines étaient reconnues en leur temps, mais oubliées par la suite, d’autres ont vu leurs réalisations minimisées, occultées voire spoliées par des hommes. »

« Des comédiennes, musiciennes et journalistes prêtent leur voix à ces femmes remarquables Emmenée par un impressionnant casting de voix (Agnès Jaoui, Clémence Poésy, Laetitia Casta, Aïssa Maïga, Isabelle Carré, Florence Loiret-Caille, Camille Cottin…), cette série expose les mécanismes d’invisibilisation auxquels se sont heurtées les femmes à travers les siècles. »

Arte diffuse sur son site Internet, dans le cadre de « Cherchez la femme ! », « Ida Pfeiffer – Les grands récits d'aventure du XIXe siècle ».

« Jules Verne s’est inspiré des grands scientifiques et explorateurs du XIXe siècle pour écrire ses épopées extraordinaires. »

« Mais celles-ci ne présenteraient-elles pas de troublantes similitudes avec les récits d’Ida Pfeiffer (1797-1858) ? »

« À 45 ans, cette aventurière autrichienne a réalisé deux tours du monde, descendant même dans des volcans en rappel… »


France / Belgique, 2021, 30x3’)
Coproduction : ARTE France, Zadig Productions, Les Films du Bilboquet, Iota Production, Pictanovo, RTBF
Série en animation de Julie Gavras
Réalisation : Julie Gavras, Mathieu Decarli
Création graphique : Mathieu Decarli, Olivier Marquézy
Avec les voix de Raphaëline Goupilleau et Denis Podalydès, de la Comédie-Française - 

France / Belgique, 2021, 3 minutes
Sur arte.tv du 05/12/2022 au 03/12/2027
Visuels : © DR

« Dévoilées » de Jacob Berger

Arte rediffusera le 10 décembre 2023 à 02 h 10 « Dévoilées » (Pour ma conviction ; Für meinen Glauben), téléfilm de Jacob Berger. « Du terrorisme des années 1970 au djihadisme, le destin de trois générations de femmes scellé par un indicible secret de famille. Jacob Berger signe un portrait pluriel, incarné par de grandes comédiennes : Marthe Keller à son meilleur, la délicate Julie Gayet et la très juste Lola Créton. »


« Je n'ai pas voulu voir la révolte djihadiste comme le mal absolu : aussi dangereuse, vaine et malsaine soit-elle, une révolte part souvent d'un idéalisme », disait Jacob Berger au micro de la RTS , lors du tournage de ce téléfilm Dévoilées.

Ce réalisateur partial, comme le montre certaines de ses interviews citées en fin d'article, a expliqué : « On est souvent aveuglé par notre indignation. Ce qui m'intéressait était de montrer le point commun entre ces deux formes de violence: la révolte, le sacrifice, l'idéalisme ».

« Anaïs, étudiante en médecine, vit en Suisse avec sa grand-mère, Isabelle, alors que sa mère, Léa, habite Montréal ». 

« Mais lors d’un banal trajet en train, Isabelle surprend sa petite-fille intégralement voilée ». 

« Sans oser en parler à Anaïs, elle prévient aussitôt Léa. Laquelle saute dans un avion pour tenter de comprendre la conversion de sa fille, en pleine radicalisation ».

« Si Isabelle refuse de confronter Anaïs à sa découverte par crainte de la faire fuir, cette conversion fait resurgir les fantômes de son passé ». 

« Dans un chaos émotionnel, mères et filles se cherchent, entre mensonges, silences et incompréhensions. »

« Au travers du destin de trois générations de femmes scellé par un indicible secret de famille, Jacob Berger met en parallèle les choix d’une grand-mère, autrefois plongée par amour dans le terrorisme propalestinien des années 1970, et ceux de sa petite-fille, basculant dans l’islam radical ». 

« Quels points communs entre la militante amoureuse d’hier et la jeune étudiante extrémiste d’aujourd’hui, encline à s’engager à la vie à la mort ? » Le djihad. « L’histoire est-elle condamnée à se répéter ? » 

« En arpentant les chemins sinueux de la filiation et en explorant les zones d’ombre de ses trois belles protagonistes, le réalisateur signe un vibrant portrait pluriel ».

Ce téléfilm a obtenu "la troisième meilleure audience pour un téléfilm de fiction sur Arte en 2019".

Note de Jacob Berger

« Nous avons tous nos zones d’ombre.
Qu’arriverait-il si, de nos jours, une femme suisse, apparemment sans histoire, sans préjugés particuliers, croisait, par hasard, sa petite-fille, entièrement voilée, en stricte tenue islamique ? Que penserait-elle ? Comment réagirait-elle ? Qu’en déduirait-elle ?
En 1982, j’avais 17 ans. L’un de mes meilleurs amis était le fils du représentant de l’OLP à Genève. Cet été-là, cet ami m’avait proposé de passer les vacances avec lui, à Beyrouth, auprès de sa famille et d’autres Palestiniens. J’ai longuement hésité. Finalement, je ne suis pas parti. 
Si j’avais accompagné mon ami à Beyrouth, j’aurais, comme lui et des milliers d’autres, été confronté à l’intervention militaire israélienne au Liban, “Paix en Galilée”. 20'000 personnes sont mortes durant cette opération. L’OLP et tous ses membres survivants ont dû s’exiler à Tunis. Mon destin aurait basculé. [Ndlr : La guerre "Paix en Galilée" a été "déclenchée par Israël contre les terroristes palestiniens basés au Sud-Liban le 6 juin 1982, suite à la tentative d’assassinat de l’Ambassadeur d’Israël en Grande-Bretagne, Shlomo Argov, par une cellule terroriste. L’objectif affiché de l’opération était de mettre les communautés du nord d’Israël hors de portée des terroristes du Sud-Liban en repoussant ces derniers à 40 km plus au nord. La guerre qui dura près de 3 mois vit les forces israéliennes atteindre Beyrouth"]
L’histoire aussi a ses zones d’ombre.
Qu’arriverait-il si une jeune femme suisse, dans les années ’70, amoureuse d’un Palestinien, s’impliquait tant et si bien dans le combat de son amant qu’elle en deviendrait sa complice ? Qu’arriverait-il si, sans même le vouloir, elle devenait elle-même une “terroriste” ?
Dans nos sociétés, on estime à environ 5% la proportion d’individus dont le père n’est pas le père.
Toutes les familles ont leurs zones d’ombre.
Qu’arriverait-il si une femme, mariée à un honorable médecin suisse, tombait secrètement amoureuse d’un autre homme, d’un militant, d’un exilé, d’un aventurier et se retrouvait enceinte, sans savoir lequel des deux est le père de son enfant ?
Le 21 février 1970, neuf minutes après son décollage, une bombe explosait à bord d’un Convair CV-990 Coronado reliant Zurich à Tel-Aviv, et endommageait irrémédiablement l’appareil. Quelques instants plus tard, le vol Swissair 330 s’écrasait dans une forêt à proximité de Würenlingen, faisant 47 victimes. Personne n’a su ce qui était réellement advenu et pourquoi cet attentat avait eu lieu.
Même le destin a ses zones d’ombre.
Des années plus tard, une enquête a révélé que la bombe avait été déposée par des militants du Front de Libération Populaire de la Palestine (FPLP) mais qu’elle était destinée à un avion de la compagnie israélienne El Al.
Lorsqu’elle avait 19 ans, une de mes nièces a envisagé de se convertir à l’islam. Ses deux meilleures amies, au Collège, étaient musulmanes.
Ma nièce était révoltée par les guerres menées par l’Occident en Irak, en Afghanistan, au Pakistan, etc. et par notre complaisance vis-à-vis du colonialisme israélien. Pour ma nièce et ses amies, l’islam incarnait une forme de résistance à notre société de consommation, au cynisme des puissants et à la marchandisation des individus. Je n’étais pas d’accord avec elle, mais mes arguments n’avaient pas grand poids.
Elle était idéaliste. J’étais résigné. Elle voulait faire quelque chose.
Je ne faisais rien. Plus j’essayais de la convaincre, moins elle me trouvait crédible.
Nous avons tous nos zones d’ombre.
Ma nièce ne s’est jamais convertie. D’autres, si. 
En novembre 2017, je lisais dans Le Parisien : « Dix personnes, qui tenaient des propos islamistes « inquiétants » sur les réseaux sociaux, ont été arrêtées hier en France et en Suisse. Une opération d’envergure coordonnée par la sous-direction antiterroriste de la Direction centrale de la police judiciaire, en lien avec l’arrestation à Vitry-sur-Seine, le 20 juin dernier d’un mineur de 13 ans soupçonné par les services du renseignement intérieur d’avoir projeté une attaque imminente au couteau en France. Ce qui en fait aujourd’hui le plus jeune mis en examen en France dans un dossier de terrorisme. Les suspects, neuf hommes et une femme, âgés de 18 à 65 ans, sont pour certains des convertis. Parmi eux figurent notamment deux frères de 27 et 28 ans interpellés dans les Alpes-Maritimes et suivis pour radicalisation, ainsi qu’une Colombienne de 23 ans, arrêtée en Suisse. Le ministère public de la Confédération helvétique a déclaré dans un communiqué qu’il allait « demander le placement en détention préventive » de celle que l’on présente comme la compagne du personnage central du dossier, un imam suisse de 28 ans, interpellé hier à la frontière avec la France. »
En 1913, dans Totem et Tabou, Freud écrivait : « Nous postulons l’existence d’une âme collective et la possibilité qu’un sentiment se transmettrait de génération en génération se rattachant à une faute dont les hommes n’ont plus conscience ni le moindre souvenir. »
Nous avons tous nos secrets.
Et si une jeune femme revivait, en 2018, la même situation que sa grand-mère avait vécue, 48 ans plus tôt, bien qu’elle n’en ait jamais entendu parler ?
Dévoilées raconte toutes ces histoires, entremêlées : l’identité cachée, la lutte politique, les secrets de famille, le terrorisme, l’islam, la transmission
inconsciente. Et c’est aussi un thriller autour de la question de la radicalisation.
En tant que réalisateur, je me suis fixé deux objectifs, très simples : que mes images soient crédibles et réalistes et que mes acteurs soient aussi authentiques que complexes.
Avec chaque actrice, nous avons travaillé “sa” façon d’être “ juste” : Marthe Keller en “déconstruisant” son jeu, en y introduisant accidents, glissements, répétitions, sauts en avant, fulgurances, comme une musicienne de jazz ; Julie Gayet en privilégiant les premières prises, toutes en spontanéité et en intensité émotionnelle ; Lola Créton en érigeant autour de son personnage un mur de certitudes, de convictions, de foi absolue, de fanatisme, puis en perçant ce mur de larmes, de vulnérabilité et de révolte.
Ma grande peur était de travestir l’islam, même radical. Noémie Kocher, la scénariste, a mené d’importantes recherches auprès d’anciens djihadistes, d’anciens infiltrés et d’enquêteurs, pour éviter les pièges de la caricature. Mais nous avons aussi découvert que de nombreux djihadistes ou apprentis djihadistes ne connaissent eux-mêmes pas grand-chose à l’islam et se satisfont de stéréotypes, découverts sur internet !
Mon autre crainte était de juger mes personnages. Pour moi, chaque personnage a raison, en tout cas à ses propres yeux. Même le pire des criminels a une justification, à laquelle il s’agrippe, avec toute la ferveur du monde.
Nous avons tous des zones d’ombre. »

Entretien avec le réalisateur Jacob Berger

« Cinéaste, documentariste et journaliste depuis les années 1990, Jacob Berger a notamment réalisé Aime ton père, 1 journée et plus récemment Un Juif pour l’exemple. Il revient ici sur Dévoilées, sa dernière fiction mettant en scène trois générations de femmes aux prises avec le terrorisme ».

« Pour quelles raisons le personnage d’Anaïs se radicalise-t-elle ?
Ce sont souvent les circonstances de la vie, des rencontres, des amitiés, qui provoquent un basculement. Anaïs est dans une situation un peu particulière : c’est une jeune fille très sensible, en conflit avec sa mère qui réside loin d’elle, au Canada, avec son second mari et leur jeune fils. Elle vit seule chez sa grand-mère. Son père médecin est, quant à lui, totalement absorbé par son travail. Sa plus proche amie est musulmane, mais cette dernière va prendre ses distances avec Anaïs lorsqu’elle la voit adopter des positions extrémistes. Elle est plutôt isolée… En fait, tout peut aller très vite dans le coeur et l’esprit d’un jeune, qui ne veut pas se contenter de s’indigner devant l’hypocrisie du monde, mais brûle d’agir. 

Vous avez réalisé Aime ton père avec Gérard et Guillaume Depardieu en 2002 ; ce thème de la filiation, que l’on retrouve dans Dévoilées, vous intéresse-t-il plus particulièrement ?
Disons plutôt que j’ai toujours voulu explorer ce territoire troublant où les êtres sont en contradiction avec eux-mêmes, avec ce qu’ils professent. J’ai grandi dans une famille très politisée, mon père était un écrivain marxiste renommé (John Berger, ndlr), ma mère était une intellectuelle marxiste également, et je les ai vus se débattre dans leurs contradictions et leurs postures. J’ai été séduit par le scénario de Noémie Kocher, car je suis intéressé par les paradoxes de personnages comme Isabelle, jouée par Marthe Keller. C’est une femme incroyablement déterminée, forte, généreuse et aimante, mais elle choisit d’être dans le mensonge le plus total par rapport à son passé. Je voulais parler de la transmission inconsciente des secrets d’une génération à une autre, de ces choses tues qui influencent le destin des descendants.

Parlez-nous de vos trois comédiennes.
J’ai été marqué par Marthe Keller dans Black Sunday (en 1977, ndlr) de John Frankenheimer, où elle joue une terroriste. Surtout, Marthe envisage les projets de films comme des expériences. Elle aime tenter des choses sur un tournage et a fait sienne ma proposition concernant sa parole : je ne voulais pas qu’elle coule, qu’elle soit lisse, mais heurtée, contradictoire, qu’elle se cherche, qu’elle trébuche. J’ai travaillé différemment avec Julie Gayet, en étant davantage dans la spontanéité et l’émotion. Quant à Lola Créton, elle est arrivée dès le casting avec quelque chose de très puissant, de déjà construit, en somme tout l’inverse de ce que je voulais faire avec Marthe. Lola est allée puiser dans une forme de rébellion adolescente, dans son jusqu’au-boutisme ainsi que dans sa sensualité, puis a mis tout cela au service de son personnage, sans jugement ».


« Dans le téléfilm Dévoilées, Jacob Berger explore, au travers d’un drame de société, la complexité des relations mère-fille. Trois générations de femmes incarnées par un formidable trio de comédiennes. Par Marie Gérard.

Marthe Keller (Isabelle)
Elle interprète Isabelle, femme indépendante et déterminée, qui vit avec sa petite-fille étudiante, Anaïs, dont elle découvre la conversion à l’islam le plus radical. L’actrice suisse, repérée en France grâce à la série La demoiselle d’Avignon en 1972, prête à son personnage sa beauté altière et son regard aussi direct qu’insondable. Car Isabelle cache un lourd secret, s’inscrivant dans la part de mystère de la comédienne, qui n’a cessé de se réinventer, de sa carrière hollywoodienne (Marathon Man, Bobby Deerfield, ou encore Fedora de Billy Wilder) à ses rôles récents (Amnesia de Barbet Schroeder en 2015). Acclamée pour ses mises en scène d’opéras, cette star populaire et sans frontières n’a pas craint de brouiller son image pour incarner une vieille bourgeoise acariâtre dans The Romanoffs, la nouvelle série de Matthew Weiner (Mad Men). Aux côtés de Jérémie Renier dans L’ordre des médecins de David Roux, la grande Marthe revient à l’affiche le 6 mars dans On ment toujours à ceux qu’on aime de Sandrine Dumas.

Julie Gayet (Léa)
Divorcée du père d’Anaïs, médecin comme l’était le sien, décédé avant sa naissance, Léa a refait sa vie au Canada. À cette femme dynamique et parfois impulsive, Julie Gayet confère une émotivité contenue dans les moments de crise : face à sa fille radicalisée, qui la rejette, ou face à sa mère, dont le passé lui est brutalement révélé. Après un joli rôle chez Agnès Varda en 1995 (Les cent et une nuits de Simon Cinéma), l’actrice s’impose l’année suivante avec la comédie Delphine : 1, Yvan : 0 de Dominique Farrugia, et obtient le prix Romy Schneider pour Sélect Hotel de Laurent Bouhnik. Épatante dans 8 fois debout de Xabi Molia, qu’elle a également produit avec sa société Rouge International, ou dans Quai d’Orsay de Bertrand Tavernier, Julie Gayet se montre aussi hilarante dans la série Dix pour cent que bouleversante dans la fiction Marion, 13 ans pour toujours. Elle est actuellement au Théâtre des Bouffes-Parisiens avec Rabbit Hole jusqu’au 31 mars.

Lola Créton (Anaïs)
À 25 ans, la brune Lola Créton interprète Anaïs avec une intensité fiévreuse, récompensée au Festival de la fiction TV de La Rochelle. En étudiante secrète et sensible, dont la révolte exaltée trouve son expression dans une pratique dévoyée de l’islam, la jeune actrice tient la dragée haute à ses deux aînées. Choisie par Catherine Breillat pour son téléfilm Barbe bleue (2009), elle irradie en adolescente amoureuse dans En ville de Valérie Mréjen et Un amour de jeunesse de Mia Hansen-Løve (2011). Très remarquée aussi dans Après mai d’Olivier Assayas l’année suivante, la lumineuse Suzanne de Corniche Kennedy de Dominique Cabrera s’est récemment aventurée dans l’univers fantasmé de Bertrand Mandico avec le film court Ultra pulpe (2018). Une incandescente présence à suivre. »
L'actrice a été distinguée par le Prix du jeune espoir féminin de L'ADAMI au Festival de la fiction TV de La Rochelle 2018 pour son rôle dans Dévoilées.


« Dévoilées » de Jacob Berger
Suisse, Vega Production, RTS Radio Television Suisse, 2018, 96 min
Scénario : Noémie Kocher, Jacob Berger
Production : Vega Production SA, RTS, SRG SSR, ARTE
Producteurs : Ruth Waldburger, Jean-Marie Gindraux
Image : Felix von Muralt
Montage : Véronique Rotelli
Musique : Julien Painot
Avec Marthe Keller (Isabelle), Julie Gayet (Léa), Lola Créton (Anaïs), Cléa Eden (Isabelle jeune), Bruno Todeschini (le père de Léa), Yann Philipona (Glassey jeune), Pierre Banderet (Glassey), Lyes Salem (Djibril)
Décors de film : Rekha Musale
Chargés de programme : Eric Morfaux, Sven Wälti
Son : Jürg Lempen, Maxence Ciekawy, François Musy, Renaud Musy
Sur Arte les 19 février 2021 à 20 h 55, 25 février 2021 à 0 h 55 et 1er avril 2021 à 1 h 40, 10 décembre 2023 à 02 h 10 
Disponible du 12/02/2021 au 20/03/2021, du 02/12/2023 au 14/12/2023
Visuels :
Anaïs (Lola Créton)
Anaïs (Lola Créton, li.), Großmutter Isabelle (Marthe Keller, Mi.) und Mutter Léa (Julie Gayet, re.)
Anaïs (Lola Créton, li.), Großmutter Isabelle (Marthe Keller, Mi.) 
© Vegafilm

Les citations sur le film sont extraites d'Arte et du dossier de presse suisse. Cet article a été publié le 17 février 2021.

vendredi 1 décembre 2023

Lewis Milestone (1895-1980)

Lewis Milestone (1895-1980) 
était un réalisateur - Two Arabian Knights (1927) et All Quiet on the Western Front (1930) lui valent l’Oscar du Meilleur réalisateur, The Front Page (1931), The General Died at Dawn (1936), Of Mice and Men (1939), Ocean's 11 (1960), Mutiny on the Bounty (1962) -, scénariste et producteur juif américain. Arte diffusera le 4 décembre 2023 à 13 h 35 « À l'Ouest, rien de nouveau » de Lewis Milestone avec Lewis Ayres, Louis Wolheim et John Wray.


« Durant tout la durée de ma carrière je n'ai jamais essayé d'exprimer une philosophie particulière, mais d'adapter au cinéma les œuvres d'auteurs qui me plaisaient...», a dit Lewis Milestone.

Lewis Milestone (1895-1980) est né Leib ou Lev Milstein dans une famille juive aisée et cultivée à Chișinău (alors dans l’empire russe, maintenant en Moldavie qui lui a consacré un timbre postal). Il est scolarisé dans des écoles juives. 

Bien qu'il se sente attiré par le théâtre, il étudie, à la demande de ses parents, en Allemagne afin de devenir ingénieur. Mais sa passion s'avère si grande qu'il fréquente les milieux théâtraux et échoue à ses examens.

En 1913, il émigre aux Etats-Unis où il exerce divers métiers, dont celui de photographe portraitiste en 1915.

Durant la Première Guerre mondiale, ce citoyen russe s'engage dans le Service des Transmissions de l'armée américaine, où il est assistant-réalisateur pour des films sur l'entraînement des soldats ; dans ce Signal Corps sont affectés les réalisateurs Josef von Sternberg et Victor Fleming. En 1919, il obtient la nationalité américaine.

Dès 1918, à Hollywood, Lewis Milestone travaille comme assistant monteur et réalise The Toothbrush. 

En 1920, il est assistant du réalisateur Henry King.

En 1922, il poursuit en parallèle une carrière de scénariste : Up and at 'Em de William A. Seiter (1922), Amour, quand tu nous tiens... (The Yankee Consul, 1924) de James W. Horne... Et écrit des gags pour Harold Lloyd. Il acquiert la réputation d'un "film doctor".

Two Arabian Knights (1927) et À l'Ouest, rien de nouveau (1930) lui valent l'Oscar du Meilleur réalisateur.

Lewis Milestone contribue à créer un syndicat pour défendre les réalisateurs face aux studios hollywoodiens.

En 1935, il épouse l'actrice Kendall Lee, née Kendall Lee Glaezner, qu'il avait rencontrée en 1932 lors du tournage de son film Rain.

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, il travaille dans des unités de propagande de l'industrie du film.

Lors de la Guerre Froide, cet auteur liberal, de gauche, revendique ses droits constitutionnels devant le House Un-American Activities Committee (HUAC). Bien que suspecté d'avoir des sympathies pour le communisme, il poursuit sa carrière cinématographique.

Dans sa filmographie de réalisateur, citons 
The Front Page (1931), Pluie (Rain, 1932), Le capitaine déteste la mer (The Captain Hates the Sea, 1934), Paris in Spring (1935), Transatlantic Follies (Anything Goes,1936), Le général est mort à l'aube (The General Died at Dawn, 1936), The Night of Nights (1939), Des souris et des hommes (Of Mice and Men, 1939), Our Russian Front (1942), L'Ange des ténèbres (Edge of Darkness, 1943), L'Étoile du Nord (The North Star, 1943), L'Emprise du crime (The Strange Love of Martha Ivers, 1946), La Vérité nue (No Minor Vices, 1948), Okinawa (1950)Les Misérables (1952),  L'Inconnu de Las Vegas et Les Révoltés du Bounty.

Lewis Milestone a aussi réalisé des films pour la télévision américaine, notamment en 1957 des épisodes de la série Alfred Hitchcock Presents.

En 1960, Lewis Milestone inaugure son étoile sur le Walk of Fame.

« Lewis Milestone, Rien de nouveau ? » 
« On ne parle plus beaucoup de Lewis Milestone. Peut-être n’a-t-on jamais parlé de lui vraiment. Pourtant c’est un bon cinéaste, honnête, persévérant. Il peut se vanter d’une certaine constance dans sa filmographie, pourtant très variée et éclectique. En effet, on lui doit quelques-uns des meilleurs films de guerre américains, l’une de ses spécialités depuis le coup d’éclat de son plus célèbre titre, À l’ouest rien de nouveau (All Quiet on the Western Front, 1930) », a constaté Olivier Père pour Arte.

Et Olivier Père de rappeler : « La vie de Lewis Milestone se fond avec celle d’Hollywood. Juif russe né dans l’empire tsariste à Kishinev en 1895, de son vrai nom Lev Milstein, Milestone grandit à Odessa puis part étudier en Belgique et à Berlin. D’une grande culture littéraire, il se passionne très jeune pour le théâtre avant de s’embarquer pour les Etats-Unis avec six dollars en poche. Petits boulots, armée et courts métrages réalisés avec des soldats. Après la guerre il arrive à Hollywood où il apprend tous les métiers du cinéma et gravit un à un les échelons des studios avant de devenir metteur en scène, avec un premier film Seven Sinners (1925) produit par Howard Hughes. Cinq ans plus tard, À l’ouest rien de nouveau gagne l’Oscar du meilleur film et l’installe comme l’un des cinéastes les plus respectés d’Hollywood. »

« Pendant la Première Guerre mondiale, du côté allemand, de très jeunes engagés volontaires, galvanisés par leur professeur patriote, font la dure expérience du front et perdent leurs illusions, et la vie pour la plupart », a poursuivi Olivier Père.

Olivier Père a analysé : « Adapté d’un roman à succès d’Erich Maria Remarque, À l’ouest rien de nouveau est l’un des premiers grands films parlants du cinéma américain et surtout un pamphlet antimilitariste dont la force et le courage ne furent que rarement égalés. Il faudra attendre Les Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick pour retrouver la violence et l’intensité des scènes de combats et d’assaut des tranchées, ainsi qu’un discours anti belliciste d’une telle virulence. Le film est encore impressionnant aujourd’hui grâce aux moyens mis en œuvre et la virtuosité des mouvements de caméra lors des scènes d’action. À l’ouest rien de nouveau demeure une date dans l’histoire du cinéma, un exemple de l’audace des grands producteurs hollywoodiens des années 30 (en l’occurrence Carl Laemme) prêts à défier les modes et les préjugés pour mener à bien des projets ambitieux, voire démesurés, par leur budget mais aussi leur propos politique ou social. »

« Avec une carrière riche d’une quarantaine de titres, Milestone s’illustre dans presque tous les genres, de la comédie au mélodrame en passant par les adaptations littéraires à prestige. On lui doit notamment la première version cinématographique de The Front Page en 1931, d’après la pièce de Ben Hecht qui sera ensuite adaptée par Hawks, Wilder et Ted Kotcheff. Nous n’avons pas encore vu en DVD Le général est mort à l’aube (The General Died at Dawn, 1936) avec Gary Cooper et L’Emprise du crime (The Strange Love of Martha Ivers, 1946) film noir avec Kirk Douglas et la grande Barbara Stanwyck », a précisé Olivier Père.

Et Olivier Père de comparer : « Mais c’est pour ses films de guerre (trois conflits différents : Première et Seconde guerres mondiales – incluant les fronts européen et Pacifique, Guerre de Corée) qu’il attire encore aujourd’hui l’attention, comme en témoigne la réédition récente de deux films en Blu-ray en France : Okinawa (Halls of Montezuma, 1950) avec Richard Widmark et La Gloire et la Peur (Pork Chop Hill, 1959) avec Gregory Peck. Des films honnêtes et bien interprétés mais dont le mélange de patriotisme et de souci vériste, de conventions hollywoodiennes et de valeur documentaires les placent en dessous d’œuvres beaucoup plus percutantes signées Robert Aldrich, Samuel Fuller, William Wellman ou Stanley Kubrick. Sans parler de Raoul Walsh. 
Ces deux films ont la particularité de voir leur star (Widmark pour l’un, Peck pour l’autre) entourée d’une pléiade d’acteurs dans des petits rôles, « gueules » ou jeunes premiers souvent venus de la télévision et de la série B et qui allaient presque tous accéder au vedettariat les années suivantes : Jack Palance, Robert Wagner, Richard Boone, Neville Brand, Karl Malden, Rip Torn, George Peppard, Robert Blake… sans oublier le magnifique Woody Strode qui joue dans La Gloire et la Peur un soldat lâche et mort de peur au combat, ce qui peut sembler une hérésie si l’on se souvient des figures héroïques et nobles qu’il incarna dans les films de son mentor John Ford, davantage en symbiose avec son impressionnante stature physique. »

« La fin de carrière de Milestone est problématique, à l’image du cinéma hollywoodien des années 60 qui cherche dans le monumentalisme la solution de la concurrence avec la télévision, et oblige des cinéastes vétérans à signer souvent leurs plus mauvais films. L’Inconnu de Las Vegas (Ocean’s Eleven, 1960) réunit tous les ingrédients du film de hold-up, auparavant fixés par quelques classiques comme Quand la ville dort ou Du rififi chez les hommes : la réunion d’une équipe de spécialistes, l’élaboration d’un plan infaillible, la réalisation sans bavure et l’erreur fatale qui réduit tous les efforts à néant. Hélas, L’Inconnu de Las Vegas, malgré sa popularité, ne figure pas parmi les meilleures réussites du genre ni même les formidables divertissements des sixties comme Le Carnaval des truands. Milestone semble bien fatigué et son film se révèle d’une grande platitude. Le problème réside principalement dans le fait que le suspense et le rythme sont totalement absents, sacrifiés à l’extrême désinvolture de Sinatra livré à lui-même et de sa bande du rat pack au grand complet. Frankie et ses potes se sont sans doute beaucoup amusés sur le tournage, mais leurs blagues n’épatent plus personne. Certes, les chansons fredonnées par Dean Martin ou Sammy Davis Jr procurent toujours leur petit frisson. Mais Il faut subir cinquante minutes d’introduction poussives pour que l’intrigue veuille démarrer et la prétendue scène d’anthologie du casse simultané des cinq casinos de Las Vegas le soir du 31 décembre est filmée par-dessus la jambe. Seule la pirouette finale est toujours aussi amusante. On en vient à regretter la version 2001 d’Ocean’s Eleven de Steven Soderbergh, certes totalement vaine et vide, mais quand même moins laborieuse que son ancêtre », a relevé Olivier Père.

Et Olivier Père de conclure : « Son ultime film est un flop colossal, le remake en couleur des Révoltés du Bounty (Mutiny on the Bounty, 1962) avec Trevor Howard, Richard Harris et surtout Marlon Brando, longtemps considéré comme l’un des principaux responsables de ce coûteux désastre en raison de ses caprices et de son interprétation minaudée avec étrange accent anglais en prime, comme plus tard dans Queimada de Pontecorvo et Le Corrupteur de Michael Winner. Vu enfant à la télévision, le film conserve cependant toute notre sympathie. »

« À l'Ouest, rien de nouveau »
Arte diffusera le 4 décembre 2023 à 13 h 35 « À l'Ouest, rien de nouveau » (All Quiet on the Western Front) de Lewis Milestone avec Lewis Ayres, Louis Wolheim et John Wray.

« Allemagne 1914. La guerre vient d’être déclarée. Dans un collège, un professeur nationaliste harangue ses élèves pour les exhorter à s’engager... Adapté du best-seller d’Erich Maria Remarque, un récit froid et nu de l’horreur des tranchées et du non-sens de la guerre. Le premier grand film antimilitariste, réalisé par Lewis Milestone en 1930. »

« Allemagne 1914. La guerre vient d’être déclarée. Les civils acclament les troupes qui partent joyeusement pour le front. Dans un collège, un professeur nationaliste harangue ses élèves pour les exhorter à s’engager. Paul Baumer et six de ses amis répondent à l’appel avec l’enthousiasme de la jeunesse. »

« La désillusion sera rude. C’est d’abord l’encasernement, les brimades, l’entraînement impitoyable sous la direction du féroce Himmelstoss. Humiliés, les jeunes gens ne rêvent plus que de partir pour le front. Mais le premier contact avec le feu est atroce. Ils découvrent l’enfer des tranchées, les bombardements intensifs, la peur, la fatigue, la faim... »

« Adapté du célèbre roman d’Erich Maria Remarque publié en 1929, À l’ouest, rien de nouveau est un puissant réquisitoire contre la guerre, son horreur et son absurdité. Victime de nombreuses coupes, ce film, qui fut censuré dans plusieurs pays, a été reconstitué dans les années 1980 et complété en 1995. C’est la version "intégrale" qu’ARTE diffuse. »

« Par sa sobriété, cette fiction a presque des accents de vérité documentaire. Ici, nul didactisme ni académisme : avec une caméra très mobile, Lewis Milestone filme à hauteur d’homme une réalité atroce que les va-t-en-guerre avaient masquée : la peur qui tenaille sans répit, l’horreur des mutilations, l’impuissance face à l’agonie des compagnons d’armes, l’obligation de tuer un "ennemi" qui, en d’autres circonstances, aurait pu être un ami… »

« De tous les films sur la Première Guerre mondiale, celui-ci apparaît comme le plus authentique et le plus fidèle à ce que vécurent les soldats dans les tranchées. »

« À sa sortie, il suscite un immense intérêt… et des débats houleux dans plusieurs pays, notamment en Allemagne. »

« Lors de sa première projection à Berlin, Josef Goebbels et ses hommes de main interrompent la projection en dispersant des souris blanches dans la salle. Dès l’arrivée de Hitler au pouvoir, en 1933, le film disparaît des écrans… »

« Il constitue aujourd’hui un témoignage bouleversant sur la violence et la sauvagerie des combats. »

Meilleur film et meilleur réalisateur (Lewis Milestone), Oscars 1930

Diffusion en version restaurée et non censurée




« Comment le film
À l’ouest rien de nouveau, considéré comme le premier long métrage pacifiste américain, a été interdit ou remanié par des politiciens du monde entier, à des fins bellicistes. »

« En Allemagne, le film À l’ouest rien de nouveau est bien accueilli lors de la première, le 4 décembre 1930. Au grand dam des nazis qui lâcheront leurs hordes – et même des souris blanches – dans les cinémas et obtiendront son interdiction au bout d’une semaine. « 

« Le film ressortira brièvement en 1931 dans une version que la Deutsche Universal avait sciemment édulcorée, avant d’être banni des écrans de 1933 à 1945. »

« En France, la version projetée en 1930 est amputée de la séquence où des soldats allemands occupent brièvement un village français et fraternisent avec ses habitants. »

« En 1934, Universal coupe, pour sa distribution internationale, les scènes où l’on voit les officiers maltraiter leurs jeunes recrues. »

« Après le début de la Seconde Guerre mondiale, la major concocte en 1939 une copie "actualisée" intégrant des extraits de documentaires, pour le public d’outre-Atlantique. »

« Les Américains proposent enfin une nouvelle version du film au moment de la guerre de Corée où, en remontant images et son, ils réussissent l’exploit de rendre belliciste une œuvre antimilitariste. »

« Cette malédiction poursuivra longtemps le film, diffusé dans des versions tronquées jusque dans les années 1980. »


« À l'Ouest, rien de nouveau » de Lewis Milestone
Etats-Unis, 1930, 2 h 08
Auteur : Erich Maria Remarque
Scénario : George Abbott
Production : Universal Pictures
Producteur : Carl Laemmle Jr.
Image : Arthur Edeson
Montage : Edgar Adams
Musique : David Broekman
Avec Lewis Ayres (Paul Bäumer), Louis Wolheim (Kat), John Wray (Himmelstoss), Arnold Lucy (Kantorek), Ben Alexander (Kemmerich), William Bakewell (Albert Kropp), Scott Kolk (Leer), Harold Goodwin (Detering), Beryl Mercer (la mère de Paul), Raymond Griffith (Duval)
Sur Arte le 4 décembre 2023 à 13 h 35
Visuels © ZDF und Universal Pictures Corp. /MCA

Allemagne, 1984, 32 mn