Citations

« Le goût de la vérité n’empêche pas la prise de parti. » (Albert Camus)
« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du Soleil. » (René Char).
« Il faut commencer par le commencement, et le commencement de tout est le courage. » (Vladimir Jankélévitch)
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » (Albert Londres)
« Le plus difficile n'est pas de dire ce que l'on voit, mais d'accepter de voir ce que l'on voit. » (Charles Péguy)

lundi 29 juillet 2019

« Le procès » par Sergei Loznitsa


Arte diffusera le 30 juillet 2019 « Le procès » (Der Prozess ; The Trial ; Process) par Sergei Loznitsa. « En 1930, un procès stalinien filmé au plus près des accusés. Grâce aux extraordinaires images d'archives récupérées par le réalisateur ukrainien Sergei Loznitsa ("Une femme douce"), une immersion dans la machine à propagande du régime soviétique. »

« Le procès » par Sergei Loznitsa 
Sergueï Eisenstein (1898-1948) 
« Ivan le Terrible » par Sergej M. Eisenstein


Né en 1964 en Biélorussie, Sergei Loznitsa a grandi à Kiev, en Ukraine. Diplômé en mathématiques, cet ingénieur est employé comme scientifique à l'Institut de Cybernétique de 1987 à 1991. Il traduit aussi des oeuvres du japonais au russe.

« À l'âge de 24 ans, j'ai ressenti soudain le besoin de faire, dans ma vie, quelque chose de sérieux et d'important. J'avais fait des études de mathématiques, j'avais un métier, mais je ne me sentais pas concerné, ça me passait au-dessus de la tête, si je puis dire. J'ai lu beaucoup pendant ma jeunesse, et peut-être que ces multitudes de textes se sont accumulés en moi et ont déclenché une réaction en chaîne... Je me suis senti poussé vers l'éducation des lettres et des arts. J'avais le choix entre la littérature, l'histoire ou le cinéma. La première faculté que j'ai visitée à Moscou était l'Institut d’État pour le cinéma. J'y suis resté. Et il m'a fallu sept ans pour découvrir que j'avais fait le bon choix », a-t-il expliqué.

Diplômé, il réalise, en 2000, des films documentaires à Saint-Pétersbourg dont le court-métrage La Station, remarqué par la critique. Il reçoit, la même année, une bourse du programme Nipkow à Berlin. En 2001, il se fixe, avec sa famille, en Allemagne.

« Je pense qu’il est nécessaire pour un cinéaste, ou tout artiste, d’établir une distance avec le sujet dont il traite. C’est ce que Victor Chklovski appelle "otstranenie" qui inspira à Brecht le concept de "distanciation". C’est une étape nécessaire pour contrôler sa matière, sinon l’émotion prend le dessus et les puissances de la raison et de la création sont mises en péril. Il faut toujours faire un pas de côté, ce qui suppose une certaine duplicité ou une fracture de la personnalité. En physique quantique, c’est que l’on appelle le principe de superposition », a-t-il précisé.

En 2006, ce réalisateur est distingué par un Nika du meilleur film documentaire pour Blokada sur le siège de Léningrad au cours de la Seconde Guerre mondiale.

Ses trois longs-métrages ont tous été sélectionnés en compétition officielle au Festival de Cannes : My Joy pour le Festival de Cannes 2010, Dans la brume pour le Festival de Cannes 2012 (Prix FIPRESCI de la critique internationale) et Une femme douce pour le Festival de Cannes 2017.

Sergei Loznitsa enseigne à l'École du nouveau cinéma de Moscou créée en 2012.

Dans sa filmographie : des documentaires et des films dramatiques. Citons Den’ Pobedy (2018), Une femme douce (2017), Austerlitz (2016), The Old Jewish Cemetery (2015) sur le premier cimetière juif de Riga "ouvert en 1725 et lieu d'enterrements jusque dans les années 1930. Après l'invasion de Riga en 1941 par des troupes allemandes nazies, ce cimetière a été transformé en site de fosses communes pour les plus de mille Juifs tués dans les rues et immeubles du ghetto de Riga. Après la Deuxième Guerre mondiale, de nombreuses pierres tombales du cimetière ont été enlevées et utilisées comme matériau de construction. Dans les années 1960, le site a été rasé et renommé "Le Parc des Brigades communistes". En 1992, le parc a été appelé "Le Vieux cimetière juif". Actuellement, le parc, situé dans un des quartiers les plus pauvres de la ville, surnommé Maskachka (Maskava est le nom de Moscou en letton), est un endroit populaire pour les ivrognes, les enfants et les touristes américains. The Old Jewish Cemetery est dédié à la mémoire des Juifs de Riga".

Le Procès a été présenté à la 75e Mostra de Venise, hors compétition.

 « Moscou 1930. Ils sont ingénieurs, scientifiques ou économistes, sur le banc des accusés d'un procès public retentissant. Huit cadres haut placés dans l’administration soviétique, soupçonnés d'avoir participé à une "organisation contre-révolutionnaire". 

« Le Parti industriel aurait tenté de saboter l'économie en freinant l'essor industriel ou l'approvisionnement dans certaines villes. Son but : démontrer la faillite du pouvoir, et tenter de le renverser, par le soulèvement des masses et avec l'aide de soutiens étrangers, dont Raymond Poincaré ». 

« Un à un, les prévenus prennent la parole, reconnaissent leurs responsabilités. Leurs actes de contrition se doublent d'un appel à la clémence. Une session sans mauvaise surprise pour le juge Vychinski, sauf que… »

« … Si le procès est vrai, l'histoire est fausse. Le Parti industriel n'a jamais existé et les accusés n'ont rien saboté. Ils sont pour leur malheur les jouets d'une purge stalinienne, orchestrée par la Guépéou, la police politique soviétique ». 

« Grâce aux extraordinaires images d'archives récupérées par le réalisateur ukrainien Sergei Loznitsa (Dans la brume), c'est le cœur d'une terrifiante machine de simulacre et de propagande qui est ici révélé ». 

« Le procès, qui a duré plus d'une semaine, a été filmé de bout en bout ». 

« Sans commentaire, sans intervenant extérieur, le film nous le restitue au plus près, en condensé, faisant de chaque spectateur un témoin privilégié ». 

« Visages blêmes des accusés, voix chancelantes, moues marmoréennes du juge et longs plans sur le public (qui applaudit le jugement) procèdent d'une dramatisation glaçante ». 

« La justice comme un spectacle édifiant au service d'un pouvoir totalitaire ».


« Le procès » par Sergei Loznitsa 
Pays-Bas, Atoms & Void, Wild at Art, 2018, 124 min
Sur Arte le 30 juillet 2019 à 0 h 55
Visuels : Images d'archives montrant les procès des " dissidents" et " traîtres" à la révolution bolchévique durant les années 20 et 30 dans " Le procès" (2018) de Sergei Loznitsa
© Sergei Loznitsa/ Atoms & Void

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dimanche 28 juillet 2019

« Les films interdits du IIIe Reich » de Felix Moeller


 « Les films interdits du IIIe Reich » (Verbotene Filme, Das Erbe des Nazi-Kinos) est un documentaire de Felix Moeller (2013). Un quart des films réalisés de 1933 à 1945, sous le IIIe Reich, ont été interdits par les Alliés en 1945. Environ quarante demeurent soustraits à toute projection publique. Un débat concerne la levée de ces prohibitions. Le 29 juillet 2019, Arte diffusera "La Paloma" (Große Freiheit Nr.7) de Helmut Käutner. Un film interdit en Allemagne par Goebbels. 
Le cinéma est « l’un des moyens de manipulation des masses les plus modernes », a déclaré  en 1934 Joseph Goebbels, ministre du Reich à l’Éducation du peuple et à la Propagande (1933-1945), et amateur comme Hitler de films.

Sous le joug nazi (1933-1945), de nombreux artistes – Fritz Lang, Eugen Schüfftan, Peter Lorre, Conrad Veidt, Robert Siodmak, Max Ophüls, etc. - fuient l’Allemagne, et le cinéma allemand fait l’objet d’un contrôle particulièrement étroit : aryanisation, étatisation des structures productives, placement sous l’autorité de Joseph Goebbels qui intervient dans l’écriture de scénarios, soumis à diverses étapes de censures, et le choix des artistes, etc. 

Conscients de la faible adhésion du public à des films  véhiculant grossièrement la propagande nazie, les dirigeants allemands tolèrent la diversification des genres, tout en favorisant les films à grand spectacle ou historiques - Kolberg (1944) insuffle le patriotisme combatif en évoquant les batailles napoléoniennes - ou de divertissement (comédies sentimentales), et en veillant à distiller leur idéologie antisémite, anglophobe.


Par le nombre de films produits annuellement, le cinéma allemand figure parmi les premiers au monde. Au fil des conquêtes du IIIe Reich, leur diffusion croit dans l’Europe sous férule nazie. S’ajoutent des atouts techniques - studios berlinois de la UFA à Babelsberg, profusion de moyens techniques offerts à Leni Riefenstahl, pellicules en couleurs (Agfacolor), etc. – et artistiques : stars - Zarah Leander, actrice et chanteuse suédoise, starisée dans les rôles de femmes fatales (Paramatta, bagne de femmes, Zu Neuen Ufern, de Detlef Sierck (futur Douglas Sirk), 1937) - de nombreux artistes demeurent dans le IIIe Reich : Carl Froelich, Fritz Arno Wagner, Phil Jutzi, Magda Schneider et Wolf Albach-Retty, parents de la future Romy Schneider, etc.

En 1943, plus d'un milliard d'entrées sont comptabilisées dans les salles de cinéma.

Parmi les plus célèbres films allemands produits sous le IIIe Reich : Les Dieux du stade (Olympia), documentaire en deux parties de Leni Riefenstahl (1938) sur les Jeux olympiques d'été de 1936, Le Juif Süss, succès populaire et antisémite de Veit Harlan (1940) avec Heinrich George, ancien comédien communiste qui a joué aussi dans Kolberg (1945), Les Aventures fantastiques du baron Münchhausen (Münchhausen) de Josef von Báky (1943), Theresienstadt. Ein Dokumentarfilm aus dem jüdischen Siedlungsgebiet (Theresienstadt. Un documentaire sur la zone de peuplement juif), célèbre sous le titre apocryphe Der Führer schenkt den Juden eine Stadt (Le Führer offre une ville aux Juifs), film tourné en 1944 par Kurt Gerron sur ordre des autorités nazies et terminé en 1945 par Karel Pečený.


« Violemment antisémites (Le Juif Süss, Jud Süß) ou anglophobes (Le président Krüger, Ohm Krüger, de Hans Steinhoff, Karl Anton et Herbert Maisch, 1941) - "La plus belle réussite de toute la guerre" (Goebbels) -, "légitimant l'élimination des handicapés (Suis-je un assassin ?, Ich klage an, réalisé par Wolfgang Liebeneiner) ou justifiant a posteriori l'invasion de la Pologne (Heimkehr), certains des films produits  par le IIIe Reich sous l’égide de Goebbels étaient d'abord des moyens de propagande nazis ». 

« Relevant des grands genres du cinéma populaire, du mélo à la fresque historique, et ayant bénéficié parfois de budgets colossaux, 300 des 1 200 longs métrages tournés entre 1933 et 1945 ont été interdits de diffusion par les Alliés »  après la Deuxième Guerre mondiale, dont deux films d'Emil Jannings. Souvent en nitrate,  ces films sont archivés dans des bunkers près de Berlin. Ils sont donc doublement "explosifs". Régulièrement, des commissions d'experts visionnent ces films, débattent sur leur éventuelle projection publique, etc.

Difficile pour un gouvernement allemand de paraître vouloir remettre dans les circuits officiels ce "cinéma brun" incitant notamment à la haine des Juifs.

Pour une Israélienne, ce serait la "politique de l'armée israélienne", et non Le Juif Süss, qui constituerait un carburant à la haine des Juifs. Pour un autre spectateur israélien, c'est un "symbole nazi"... Certaines des personnes interviewées proposent des règles de présentation pour certains films.

« Aujourd'hui, une quarantaine d'entre eux sont toujours concernés par l'interdiction. Strictement encadrée, la projection des plus problématiques se fait en séances publiques précédées d'une présentation et suivies d'un débat. Évaluer leur pouvoir de nuisance, notamment auprès des jeunes, demeure une épineuse question. Mais certains plaident pour que ces précautions soient désormais levées. Felix Moeller  analyse les tenants et les aboutissants d'un débat encore loin d'être tranché ».

"La Paloma"
Le 29 juillet 2019, Arte diffusera "La Paloma" (Große Freiheit Nr.7) de Helmut Käutner. Avec Hans Albers, les amours d'un matelot dans un film tourné en Allemagne en 1944. Tenant du réalisme poétique, Helmut Käutner a toujours refusé les thèmes chers aux nazis pour réaliser des films intimistes, axés sur des gens simples qui se moquent de la morale dominante. Cette histoire de matelots dans une ville presque anéantie par les bombes alliées, déplut fort à Goebbels qui interdit le film" en Allemagne. Le film est distribué en Suède. Les Alliés autorisent la diffusion du film.

"Ancien marin, Hannes Kröger chante à L’hippodrome, un cabaret à matelots de Hambourg. Avant de mourir, son frère lui demande de retrouver Gisa, une jeune fille qu’il avait séduite et abandonnée. Hannes en tombe désespérément amoureux..."

"Tenant du réalisme poétique, Helmut Käutner a toujours refusé les thèmes chers aux nazis pour produire des films intimistes, axés sur des gens simples qui se moquent de la morale dominante. Le tournage de La Paloma débute à Hambourg, mais doit être interrompu suite aux attaques aériennes des Alliés. Transférée dans les studios de Berlin, l’équipe doit fuir une nouvelle fois et terminer le film à Prague".

"Cette histoire d’un marginal à l’heure de la guerre totale, ces amourettes de matelots dans une ville presque anéantie par les bombes alliées, déplaisent fort à Goebbels qui interdit le film. Helmut Käutner, qui travaillait pour la première fois en couleur, utilise avec beaucoup de subtilité la pellicule Agfa, et ses teintes pastel reflètent à merveille l’ambiance du port de Hambourg et la mélancolie des personnages.

"Hans Albers, star du muet puis du parlant avec L'ange bleu, de Josef von Sternberg, trouve ici l'un de ses plus grands rôles et finit d'asseoir sa réputation. Il sera, durant quatre décennies, l'un des acteurs les plus populaires d'Allemagne." Comédien et chanteur, Hans Albers (1891-1960) a maintenu aussi longtemps qu'il l'a pu sa relation amoureuse avec l'actrice juive née en Autriche, Hansi Burg (1898-1975), fille du célèbre comédien allemand Eugen Burg (1871-1944), mort au camp de Theresienstadt ou Terezín. Le couple vivait en Bavière. Mais en 1939, Hansi Burg s'est réfugiée en Suisse, puis en Grande-Bretagne. Hans Albers est parvenu à lui envoyer une aide financière. Après la Deuxième Guerre mondiale, Hansi Burg revient en Allemagne en portant l'uniforme britannique. Et le couple s'est reformé.


"La Paloma" de Helmut Käutner
Scénario : Helmut Käutner, Richard Nicolas
Production : Terra-Filmkunst
Producteur/-trice : Hans Tost
Image : Werner Krien
Montage : Anneliese Schönnenbeck
Musique : Werner Eisbrenner
Avec Hans Albers, Ilse Werner, Hans Söhnker, Hilde Hildebrand, Gustav Knuth
Allemagne, 1944
Sur Arte le 29 juillet 2019 à 20 h 50
Visuels : © FWMS

« Les films interdits du IIIe Reich » de Felix Moeller
2013, 53 min
Sur Arte les 17 juin à 22 h 55 et 27 juin 2015 à 5 h 40, 17 juin 2016 à 22 h 45, le 4 décembre 2017 à 23 h 10.
Visuels : © RBB/Blueprint Film

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Les citations proviennent d'Arte. Cet article a été publié le 16 juin 2015, puis les 18 août 2016 et 4 décembre 2017.

« Les sirènes de l’Hakoah » de Yaron Zilberman



« Les sirènes de l’Hakoah » (« WatermarksY ») est le premier film (2004), un  documentaire passionnant primé du réalisateur franco-israélien Yaron Zilberman. Celui-ci retrace l’histoire méconnue de l’Hakoah, club sportif Juif et sioniste de Vienne fondé en 1909 en réaction à l’antisémitisme en Autriche. Il y mêle des archives et les témoignages de sept anciennes championnes de ce club légendaire qui, ayant fui l’Autriche en 1938 lors de l’Anschluss (Ndlr : annexion de l’Autriche par l'Allemagne nazie), y reviennent en 2004. Les championnats du monde de natation se déroulent à Gwangju, en Corée du sud, du 21 au 28 juillet 2019.



« Hakoah » ! Tel un cri de ralliement ou d’encouragement, ce mot signifie « force » en hébreu.


Et il en a fallu à ces sportifs Juifs pour participer à des compétitions dans l’atmosphère antijuive qui prévalait en Autriche et dans nombre de pays européens de l’entre-deux guerres.


L’âge d’or de l’équipe de football
Comme de nombreux clubs autrichiens ont adopté le « paragraphe aryen » interdisant leur accès aux Juifs, Fritz « Beda » Löhner, célèbre librettiste d’opérette, et Ignaz Herman Körner, dentiste éminent, fondent en 1909 un club sportif Juif sioniste, l’Hakoah, pour « populariser le sport dans une communauté célèbre pour ses éminents intellectuels et artistes - Freud, Mahler, Zweig... » et modifier ainsi l’image des Juifs. Ils sont influencés par l’idée de Max Nordau sur « le judaïsme des muscles » (Muskeljudentum).


Ils commencent par une équipe de football qui participe à des matches régionaux. En dix ans, cette équipe se hisse au niveau national, puis gagne en 1923 sur le tenant du titre, West Ham United, sur le sol britannique, par un mémorable 5-0.


Parmi les sportifs de l’Hakoah : Jozsef Eisenhoffer, Sandor Fabian, Richard Fried, Max Gold, Max Grunwald, Jozsef Grunfeld, Bela Guttmann, Alois Hess, Moritz Hausler, “ Fuss” Heinrich, Norbert Katz, Alexander Nemes-Neufeld, Egon Pollak, Max Scheuer, Alfred Schoenfeld, Erno Schwarz, Joseph Stross, Jacob Wagner et Max Wortmann.


Avec 6 000 membres actifs, l’Hakoah dispose d'un stade de football qui attire 25 000 supporters.


En 1925, les footballeurs de l’Hakoah remportent le titre de champion d’Autriche.


Suscitant la fierté des Juifs d’Europe, l’équipe de football de l'Hakoah fait une tournée aux Etats-Unis en 1927. Elle impressionne tant les clubs américains que ceux-ci adressent aux footballeurs de l’Hakoah des propositions intéressantes. Sur les 11 joueurs, 9 acceptent et demeurent dans le Nouveau monde. Des joueurs autrichiens créent le New York Hakoah, puis l’Hakoah Tel-Aviv.


Ce qui marque la fin de l’âge d’or de l’équipe de football, et le début d’une nouvelle ère : l’essor de l’équipe de natation féminine « devenue le porte-drapeau de l’Hakoah. Dans les années 30, la natation était l’un des sports phares en Autriche. Les bons nageurs étaient élevés au rang de stars ».


Dans ce club de Vienne, ville où vit une communauté Juive d'environ 200 000 âmes – approximativement 10% des Viennois -, on peut pratiquer le football, le water-polo, la lutte…


Le niveau de ce club sportif ? Dans certaines compétitions, plus de 90% des sportifs de l’équipe autrichienne proviennent de l’Hakoah.


« The Jewish Swim Team »
Dans les années 1920, les foules se rassemblent pour assister aux matches de football, baseball, tennis et à toutes sortes de courses.


A Vienne, plus d’un demi million de spectateurs se réunissent sur les rives du Danube pour voir le vainqueur des 7 km de natation.


Durant douze années consécutives, deux nageuses de l’Hakoah dominent cette compétition : Hedi Bienenfeld, en brasse, et Fritzi Löwy, bohémienne, lesbienne, nageuse au mental d’acier, en nage libre.


Célèbre mannequin admirée pour sa beauté et sa personnalité flamboyante, Hedi Bienenfeld est l’une des premières stars féminines de l’histoire sportive moderne. Elle incite nombre de jeunes filles Juives à rejoindre l’Hakoah. En 1930, elle épouse Zsigo Wertheimer, talentueux entraîneur et artisan du succès légendaire de l’équipe des sirènes de l’Hakoah.


Celles-ci veulent prouver qu’elles peuvent faire mieux que leurs rivales et collectionnent les médailles. Pour en témoigner, des treize nageuses encore en vie, le réalisateur en retient huit : Greta Wertheimer-Stanton, du New Jersey, Anni Lampl de Los Angeles, Nanne Winter-Selinger de New York, Ann Marie Pick-Pisker de Londres, les deux sœurs Hanni Deutsch-Lux et Judith Deutsch-Haspel, Elisheva Schmidt-Zusz et Trude Platzek-Hirschler d’Israël, co-présidente des vétérans de l’Hakoa.


En 1935, les équipes – water-polo, natation - de l’Hakoah embarquent à Trieste pour rejoindre Haïfa et participer aux IIes Maccabiades. A ces « Jeux olympiques » Juifs qui se tiennent à Tel Aviv, participent 1 400 athlètes de 28 pays. « L’intention des organisateurs est de construire l’image de Juifs faisant preuve de vitalité et force physiques. Une image d’autant plus importante que la menace nazie et la propagande antisémite sont particulièrement virulentes ». Elisheva Schmidt-Zusz, qui apprécie le travail social et éducatif de l’Hakoah auprès des enfants, éprouve un coup de foudre pour Eretz Israël. Et c’est là qu’elle amène, de manière illégale, ses parents en 1938. Ce qui sauve leurs vies.


Selon Ann-Marie Pick-Pisker, « 98% des Autrichiens étaient nazis. Certains de mes meilleurs amis étaient nazis ». A sa petite-fille israélienne, Hanni Lux raconte la foule rassemblée à Vienne pour le passage de la flamme olympique juste avant les Jeux Olympiques de Berlin : acclamations – « Heil Hitler » - quand défile l’EWASK, club pro-nazi ; silence terrifiant lors du défilé de l’Hakoah. Elue meilleure athlète de l’année en 1936, Judith Haspel refuse de participer aux Jeux Olympiques à Berlin en 1936, à Berlin : « Je refuse de participer à une compétition sur une terre qui persécute si honteusement mon people ». Riposte de la Fédération sportive autrichienne : elle lui interdit de participer à toutes les compétitions, lui retire ses titres et ôte son nom des livres de records.


Fort de ses 5 000 membres, l’Hakoah affronte le club pro-nazi EWASK. Une rivalité qui dépasse le cadre sportif pour revêtir une dimension politique.


En 1938, quelques jours après l’Anschluss, l’Hakoah est interdit. Ses dirigeants – Dr Valentin Rosenfeld et Zsigo Wertheimer - pourchassés parviennent à fuir en Angleterre, à faire quitter l’Autriche à tous les nageurs et à leurs familles et à obtenir une bourse à Cambridge pour Greta Stanton.


Environ 120 000 Juifs viennois s’enfuient, en s’acquittant d’une taxe et en subissant la confiscations de leurs biens, et 60 000 meurent en déportation.


De « l’Hakoah en émigration » à « l’Hakoah en liberté »
Les membres de la section natation s’installent en France, au Portugal, dans la Palestine mandataire, en Amérique du Nord et du Sud…


« Quand on est exilé, soit on coule, soit on nage. Quand vous êtes jeune, vous nagez », résume Ann-Marie, arrivée à Londres « avec deux valises et cinq livres » et qui a du s’adapter à la mentalité anglosaxonne.


Sur cette expérience intransmissible de l’exil, sur ces moments difficiles, les souffrances, le film passe pudiquement.


L’univers concentrationnaire nazi est évoqué par la Buchenwald Song, composée par Fritz Beda-Löhner and Hermann Leopoldi à la demande des nazis qui voulaient une marche pour les déportés, et chantée dans un cabaret viennois.


Les sportifs de l’Hakoah maintiennent le lien grâce à une lettre « L’Hakoah en émigration ». Ayant fait illégalement son aliyah avec sa sœur après lAnschluss, Trude Hirschler (Platzek) est contactée par le Dr Ignaz Hermann Körner afin d’être la secrétaire du « Brith Hakoah 1909 », organisation des vétérans de l’Hakoah, car elle sait dactylographier en anglais, français et allemand. Elle aide à constituer le réseau de ces vétérans. Elle est l’épouse de Jeno, ancien champion hongrois de water polo. Tous deux ont travaillé dans une agence de voyages.


Les sœurs Deutsch ont grandi dans une famille cultivée : leur père, ingénieur et commerçant en machines lourdes, travaillant à l’Hakoah et sioniste, a refusé d’aller en Allemagne après l’arrivée au pouvoir d’Hitler en 1933 ; leur mère est l’une des premières femmes à avoir étudié à l’université de Vienne, et devint conférencière en histoire de l’art. Après l’émigration en Palestine mandataire de Judith Deutsch-Haspel, les autorités autrichiennes sportives lui retirent ses titres et ôtent son nom des livres de records. En Israël, Judith Haspel devient championne nationale de natation. En 1995, le parlement autrichien lui présente des excuses pour l’attitude scandaleuse de l’Autriche à son égard et annule les sanctions qui l’avaient frappée. Sa sœur, Hanni Lux (Deutsch), entre dans les WAAF (Women’s Auxiliary Air Force) de la British Army où elle rencontre son premier mari, Jimmy, officier dans l’Air Force. Le couple s’installe en Israël. Après le décès accidentel de son époux, elle épouse Otto Lux.


Formée à Vienne auprès d’Anna Freud, Elisheva Schmidt-Zusz est devenue une célèbre pédopsycothérapeute à Tel-Aviv, et Greta (Wertheimer) Stanton, professeur de sociologie dans le New-Jersey. Greta immigre en 1939 aux Etats-Unis et parvient à obtenir un visa pour Cuba à ses parents.


Après l’Anschluss, le père d’Anni Lampl a été trahi par son associé. La famille embarque pour l’Amérique. Elle épouse Sep, sportif du club, et malgré ses problèmes visuels, devient psychothérapeute.


Ayant rejoint New York, Nanne (Winter) Selinger, est la seule nageuse à revenir vivre à Vienne. Une ville qu’elle quitte quand Kurt Waldheim est élu président et retourne aux Etats-Unis. Elle épouse le propriétaire du célèbre Café Eclair, rendez-vous des expatriés viennois à New York.


Ann Marie Pisker (Pick), qui a participé aux Maccabi de 1935 et a gagné de nombreux championnats, s’est installée en Grande-Bretagne où elle épouse un camarade de la Hakoah. Le couple a un fils qui a représenté la Grande-Bretagne aux Maccabiades, dans la section Tennis.


Après la Seconde Guerre mondiale, le club Hakoah renait, sans son infrastructure dont il avait été spolié par les nazis. Il remporte des titres dans des compétitions sportives nationales et internationales.

« Une expérience douce-amère »
Octogénaires, Anne-Marie (d’Angleterre), Elisheva, Hanni et Trude (d’Israël), Nanne, Greta et Anni (des Etats-Unis) reviennent dans leur pays natal. Un chauffeur de taxi allègue que les Juifs viennois dans les années 1930 ne sont pas allemands ! Furieuse, Greta réplique en rappelant que sa famille a vécu à Vienne pendant des centaines d’années.


Elisheva n’oublie pas et ne pardonne pas. Quant à Greta, elle regarde Vienne comme un être familier qu’elle aurait cessé d’aimer.


Dans l’Amalienbad, piscine viennoise, ces octogénaires nagent calmement, vêtues du maillot de bain de l’Hakoah : noir avec, incrusté à l’emplacement de la poitrine, l’écusson bleu et blanc frappé de l’Etoile de David.


Ecrit, réalisé et coproduit par Yaron Silberman, cet émouvant documentaire a été récompensé notamment par le Prix du Festival du film de Jérusalem (2004), le Grand Prix au Festival international du film de Kiev et le Grand Prix du public aux Festivals du film juif de Boston et Washington, au Festival international de Palm Spring (catégorie : meilleur documentaire) ainsi qu’aux Rencontres internationales de cinéma à Paris (2005). 

Ce film remarquable révèle des êtres vivant pleinement quatre des éléments structurant leur identité : natation/judéité/citoyenneté autrichienne/féminité.


Ce documentaire souligne aussi leur apogée sportive, leur fierté d’être Juifs, leur vitalité, leur joie de vivre, leur courage dans leur lutte contre l’antisémitisme, leur passion pour la natation, leur endurance lors des entraînements, leur insouciance dans une époque lourde de tensions et menaces, leur solidarité, leur volonté de survivre dans l’exil et leur courage de se confronter à l’Autriche actuelle.


On peut regretter le silence sur le destin des autres membres de l’Hakoah.


Le 12 mars 2008 – 70 ans après l’Anschluss -, l’Hakoah renait dans un nouveau complexe sportif lové au cœur du Prater, parc viennois où se trouvait le club avant-guerre. Manque alors l’argent pour la piscine… Après des décennies de différends, l’Autriche a finalement rendu à la communauté Juive viennoise (IKG) cet espace confisqué au profit du ministère des Finances en 1941.
  
Les championnats européens aquatiques se déroulèrent à Londres (16 -22 mai 2016).

Le 14 mars 2017, Patrick Kanner, alors ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, a lancé l’événement « Les Égéries du sport féminin » avec "une quinzaine de personnalités, pour promouvoir la féminisation du sport".



Le 4 novembre 2018, dans le  cadre de la Saison France Israël 2018, le cinéma Majestic Passy a projeté Watermarks (1 h 17 min, Hébreu sous titrée français) de Yaron Zilberman. Y témoignent Ann Marie Pisker, Anni Lampi, Elisheva Susz, Greta Stanton, Hanni Lux, Judith Haspel, Nanne Selinger, Trude Hirschler. "Dans les années 30, les nageuses du club juif de l’Hakoah de Vienne règnent sans partage sur les compétitions nationales autrichiennes. L’annexion du pays par l’Allemagne hitlérienne marque un coup d’arrêt aux performances de ces championnes. Les nazis ordonnent la dissolution du club. Toutes les jeunes femmes prennent alors la voie de l’exil.65 ans après, Yaron Zilberman part à la rencontre de sept de ces nageuses. Dispersées par les aléas de l’histoire, elles n’ont cessé, chacune de leur côté, de cultiver leur passion de la natation". Séance suivie d’un débat avec le producteur Paul Rozenberg et le distributeur Michel Zana.



« Les sirènes de l’Hakoah », réalisé par Yaron Zilberman
Coproduction : ARTE G.E.I.E, Zadig Productions, ORF, Girls Club Film Project, Cinephil, Yofi Films, Jetlag Productions, HBO Cinemax
France, Israël, Etats-Unis
2004, 1 h 35 mn
Sur Arte le 1er novembre 2011, à 2 h 05

Site du film « Watermarks » :
http://www.kino.com/watermarks

Photos :
Equipe de football de l’Hakoah sur le terrain de Krieau
Les nageuses de l'Hakoah avec leur entraineur Zsigo Wertheimer
Hedi Bienenfeld, nageuse de l'Hakoah et première super star sportive dans l'Autriche des années 1920
Lettre de l’Hakoah du 1er août 2004
Equipe de natation de l’Hakoah arborant leur drapeau
La « Swim Team » dans les années 1930 et 2000
L'ancienne nageuse de l'Hakoah Elisheva Susz
© Zadig Productions

L’équipe du film au cinéma L’Escurial le 27 juin 2006
© Véronique Chemla

Articles sur ce blog concernant :
- Affaire al-Dura/Israël
France
Shoah (Holocaust)
Cet article a été publié les 27 octobre 2011, puis 23 février 2012  à l'occasion de l'exposition Des JO de Berlin aux JO de Londres (1936-1948) au Mémorial de la Shoah (Paris) ;
- 15 mars 2015. France 5 diffusa les 15 et 22 mars 2015 J.O. de Berlin 36, la grande illusion, documentaire de Frank Cassenti. "En août 1936, les Jeux olympiques, orchestrés par Joseph Goebbels, le ministre de la propagande du IIIe Reich, se sont déroulés à Berlin, vaste opération de séduction destinée à présenter l'Allemagne comme une nation respectant les principes d'égalité et de fraternité de l'olympisme. Ce documentaire met à jour les stratégies politiques du troisième Reich qui ont bénéficié de la complicité du Comité olympique international pour déjouer les appels au boycott de plusieurs pays. Une fois les jeux terminés, la politique nazie s'intensifia. Comment le monde civilisé a-t-il-pu à ce point fermer les yeux sur cette « grande illusion » ? Gretel Bergmann, l'athlète Juive allemande au cœur d'un marchandage entre les autorités allemandes et le gouvernement américain, et Noël Vandernotte, qui fut médaillé de bronze en quatre-barré d'aviron, témoignent" ;
- 15 mars 2015 et 20 mai 2016, 17 mars 2017, 2 novembre 2018.