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mercredi 8 avril 2020

« Criminaliser les Juifs » par Pierre-André Taguieff


Les éditions Hermann ont publié « Criminaliser les Juifs. Le mythe du "meurtre rituel" et ses avatars (antijudaïsme, antisémitisme, antisionisme) » par Pierre-André Taguieff. L'analyse de « huit grands mythes antijuifs » au fil des siècles et de leurs effets.


« Personne d’entre vous ne consommera du sang » Lévitique, XVII, 12.

Et pourtant, malgré cette prohibition biblique, l’accusation de « meurtre rituel » à l’encontre des Juifs, sous ses formes directes ou dérivées a perduré à ce jour. Avec sa résurgence ou mutation contemporaine dans le « soldat de Tsahal tueur d’enfants palestiniens ».

Le « principal motif de l’accusation de « crime rituel », forgée par l’antijudaïsme chrétien médiéval à partir de la seconde moitie du XIIe siècle, est bien connu : l’affirmation qu’existe une coutume juive consistant à sacrifier chaque année, à la veille de la Pâque juive (Pessah), un chrétien, le plus souvent un enfant, soit en le crucifiant, soit en l’égorgeant pour en recueillir le sang, censé servir à fabriquer la matza, le pain azyme consommé pendant la fête de Pâque par les Juifs, commémorant l’exode d’Egypte 74. Le « crime rituel » par excellence, c’est l’infanticide rituel ».

L’historien distingue « huit grands mythes antijuifs ». Premier mythe : la « haine du genre humain » dont « dérive le stéréotype de la « cruauté juive ». Deuxième : « le meurtre et le cannibalisme rituels, impliquant une cruauté de groupe ou une disposition au meurtre des non-Juifs comme trait culturel invariant, censée être inculquée et légitimée, pour les accusateurs chrétiens à partir du XIIIe siècle, par l’étude du Talmud, thèse que reprendront, aux XVIe et XVIIe siècles, des auteurs comme Luther et Eisenmenger ». Troisième : le déicide, accusation centrale de l’antijudaïsme chrétien qui consiste à accuser les Juifs d’être à la fois les « meurtriers du Christ » et les enfants du diable, ce qui ouvre la voie à leur diabolisation – « Meurtriers du Seigneur, assassins des prophètes » -. Quatrième : la malédiction de l’errance perpétuelle, dans la crainte et le tremblement, pour avoir repoussé le Christ, la vieille légende du « Juif errant » nourrissant les accusations modernes de nomadisme, d’internationalisme ou de cosmopolitisme visant un peuple « sans patrie », voué à la trahison et intrinsèquement coupable, la perfidie, l’usure et la trahison (« Judas ») et intrinsèquement coupable. Cinquième : la perfidie, l’usure et la spéculation financière impliquant l’attribution aux Juifs d’une pulsion d’exploitation et de domination traduite par une puissance financière, ainsi que l’usage du stéréotype négatif majeur des antijuifs modernes : celui du « parasite ». Sixième : la tendance à conspirer, à fomenter des complots motivés par la volonté de dominer, d’exploiter et de nuire, jusqu’à organiser un mégacomplot en vue de la domination du monde, thème qui, élaboré au cours du XIXe siècle, sera véhiculé par deux faux célèbres : le « Discours du Rabbin », qui commence à circuler en 1872, et les Protocoles des Sages de Sion, publiés pour la première fois en 1903 en Russie, pour devenir un best-seller international dans les années 1920 et 1930. Septième : La propension au mensonge et la pratique systématique du mensonge, du mensonge en tant qu’instrument de conquête du monde ou d’exploitation des non-Juifs… d’où les deux traductions idéologiques de cette accusation, figures du « négationnisme » au sens large : d’abord la thèse négationniste désormais classique : l’extermination des Juifs d’Europe n’a pas eu lieu, la Shoah est un « bobard » intimant, ensuite la négation de la réalité de l’antisémitisme, simple fiction inventée par les Juifs pour justifier et couvrir leurs comportements d’exploiteurs, et exercer un « chantage » permanent. Huitième : le racisme, soit l’idée d’une supériorité raciale censée dériver de l’élection divine ethniquement interprétée, liée aux accusations de colonialisme, de nationalisme « tribal » expansionniste ou d’impérialisme, accusation radicalisée aujourd’hui dans la propagande palestinienne contre « les sionistes » qui seraient coupables d’apartheid, de nettoyage ethnique, d’ethnocide et de génocide. L’accusation de racisme lancée contre les Juifs est un cas particulier de l’inversion victimaire ».

Pierre-André Taguieff étudie les prémisses païennes de l’accusation de meurtre rituel, puis la "réinvention chrétienne de la légende" et "l'impulsion donnée aux mobilisations anti-juives par les Croisades. Le "premier infanticide rituel imputé aux Juifs remonte à 1144 en Angleterre". 

L'historien en analyse ses reprises par de célèbres écrivains, dont Voltaire, par des Nazis et sa prégnance dans le monde Arabe ou/et musulman où il se nourrit aussi d'hadiths sur le prophète Mahomet.

Le politologue consacre un chapitre à l'affaire al-Dura, et conclut par des pistes sur la manière de combattre ce mythe et la difficulté de cette lutte.

On regrette que l’auteur n’ait pas évoqué l'affaire Leo Max Frank (1884-1915), directeur d'usine américain juif accusé du meurtre en 1913 d'une employée chrétienne âgée de 14 ans. 


Pierre-André Taguieff, Criminaliser les Juifs. Le mythe du "meurtre rituel" et ses avatars (antijudaïsme, antisémitisme, antisionisme). Les éditions Hermann, Paris, 2020. 400 pages. ISBN : 9791037002280

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Cet article a été publié le 8 avril 2020.

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