Citations

« Le goût de la vérité n’empêche pas la prise de parti. » (Albert Camus)
« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du Soleil. » (René Char).
« Il faut commencer par le commencement, et le commencement de tout est le courage. » (Vladimir Jankélévitch)
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » (Albert Londres)
« Le plus difficile n'est pas de dire ce que l'on voit, mais d'accepter de voir ce que l'on voit. » (Charles Péguy)

mercredi 30 septembre 2020

« Mésopotamie, une civilisation oubliée » de Yann Coquart et Luis Miranda

Arte diffusera le 3 octobre 2020 « Mésopotamie, une civilisation oubliée » (Kurdistan, Schatzkammer Mesopotamiens) de Yann Coquart et Luis Miranda. « Dans le Kurdistan irakien, région encore peu explorée, une formidable aventure archéologique, où le savoir scientifique se fait réponse à l’oubli. Ce documentaire retrace les dernières découvertes effectuées et dévoile une part inestimable du patrimoine de la Mésopotamie, berceau de l’humanité. »  

L’aventure des écritures 

« Mésopotamie, une civilisation oubliée » de Yann Coquart et Luis Miranda

Le Seyfo, génocide des Assyriens 

Mésopotamie signifie en grec « le pays entre les fleuves », le Tigre et l'Euphrate. La Mésopotamie antique correspond grosso modo  à l'Irak actuel. 

La civilisation mésopotamienne (12 000-330 avant l'ère commune) a créé l'écriture cunéiforme, s'est distinguée par ses cités monumentales et ses cités-Etats, son économie fondée sur le commerce, et  ses perfectionnements de systèmes d’irrigation, du tissage, de la roue, de la voûte, etc..

Hébreux, Judaïsme, Bible hébraïque

Certains ont localisé le Jardin d'Eden de la Bible hébraïque en Mésopotamie. Dans ce Jardin, se trouvaient l'Arbre de la Vie, l'arbre de la connaissance du bien et du mal et une végétation permettant à Adam et Ève de subvenir à leurs besoins.

"C’est également [en Mésopotamie] que l’on trouve les plus anciens récits du Déluge auquel survit un certain Uta-Napishtim, ancêtre de Noé. De même, la tour de Babel est inspirée des ziggurats ou tours à étages qui caractérisaient les grandes villes mésopotamiennes, et plus particulièrement de celle de Babylone. Cette dernière devint elle-même mythique, avec ses palais, ses murailles ou ses jardins suspendus classés parmi les sept merveilles du monde antique. L’imaginaire collectif reste aussi frappé par les noms de la ville « divinement grande » de Ninive (Jonas III, 3) comme par les monstres qui en gardaient les passages et qui semblent avoir directement inspiré la vision d’Ezéchiel (Ezéchiel I, 6-11)", souligne Ariane Thomas, commissaire de l'exposition L'Historie commence en Mésopotamie.

Premier patriarche du peuple Juif, Abraham était originaire de Mésopotamie. Il a quitté Sumer pour la Terre de Canaan.

En 722 avant l'ère commune, le royaume Israël est détruit par les Assyriens. En 586 avant cette ère, le royaume de Juda est vaincu par les Babyloniens. 

Après avoir conquis Jérusalem en 587 (ou 586) avant cette ère, Nabuchodonosor II contraint ses habitants à l'exil à Babylone. 

"Sur les fleuves de Babèl, nous habitions là. Nous pleurions aussi, en mémorisant Siôn. (note : Zion)

Sur les saules, en son sein, nous suspendions nos lyres.

Oui, nos geôliers nous demandaient les paroles d’un poème ; nos pillards, de la joie : « Poétisez-nous un poème de Siôn ! »

Quoi, poétiser le poème de IHVH-Adonaï (note : = Jah, etc.) sur une glèbe étrangère ?" (Psaume 137, Livre des Psaumes, traduction de André Chouraqui).

Troisième opéra de VerdiNabucco relate l’esclavage des Hébreux à Babylone. 

Ces Judéens exilés constituent l'une des plus anciennes diasporas juives, et certains d'entre eux ont contribué de manière majeure à l'histoire du Judaïsme. 

Durant l'ère des Gueonim, les académies talmudiques de Babylonie détiennent une autorité spirituelle sur les Juifs de la diaspora, de la fin du VIe siècle à la première moitié du XIe siècle (589 à 1038). 

Après la prise de Babylone en 539, Cyrus, qui a fondé l'empire Perse, autorise les Judéens à retourner à Jérusalem et à y reconstruire le Temple. Fin érudit de la Torah, Ezra, ou Esdras, et Néhémie mènent une partie de ces Israélites à Jérusalem. 

Illustre représentant du judaïsme rabbinique, Hillel l’Ancien, Hillel le Sage (Hillel Hazaken) ou le Babylonien est le dernier président du Sanhédrin de l'ère des Zougot, binômes de Sages d'Israël.

Vers le VIe siècle de l'ère commune, des rabbins de Babylonie ont rédigé le Talmud de Babylone. Fondement de la Halakha (Loi juive), le Talmud est constitué de la Mishna et de la Guemara, 

La deuxième moitié du XXe siècle a vu l'exil contraint des Juifs irakiens.

"Epopée archéologique"

« Si l'État islamique a déclaré la guerre au patrimoine archéologique en Irak et en Syrie, au Kurdistan irakien, l'une des seules régions à avoir pu repousser les djihadistes, les archéologues des plus prestigieuses universités mondiales poursuivent inlassablement leurs recherches ». 

« Ici, ils prospectent et fouillent un paysage vierge de toute exploration, dont le sol dissimule encore les vestiges des civilisations anciennes ». 

« Il y a environ cinq mille ans, la zone appartenait à l’empire d’Assyrie qui contrôlait, au moyen de ses capitales de Ninive, Khorsabad et Nimrud, tout le Proche-Orient ». 

« Au sud d’Erbil, les chercheurs ont récemment fait une découverte surprenante : celle d’une cité antique dénommée Idu, ensevelie sous un village ».

« En restaurant ces monumentales ruines assyriennes et islamiques, les scientifiques français, italiens, polonais ou encore américains éclairent leur extraordinaire histoire et s’emploient à transmettre leur savoir aux équipes locales, kurdes et irakiennes ». 

« Également nourri d’images d’archives qui retracent les premières tentatives de fouilles au XIXe siècle, ce documentaire à l’allure d’épopée archéologique retrace les dernières découvertes effectuées ».  

les autorités juives halakhiques faisant suite aux Savoraïm (Sages qui avaient fixé le Talmud de Babylone), et rashei yeshiva (directeurs) des deux grandes académies talmudiques de Babylonie, Soura et Poumbedita.

CHRONOLOGIE DE LA MÉSOPOTAMIE

(Extraite du dossier de presse de l'exposition L'Histoire commence en Mésopotamie)

Période proto-urbaine dite « d’Uruk » (vers 3800 - 2900 avant J.-C.)

Apparition des premières villes au sud de la Mésopotamie. Uruk est la plus importante.

Apparition de l’écriture cunéiforme à Uruk vers 3200 avant J.-C.

Période sumérienne dite « des Dynasties archaïques » (vers 2900 - 2340 avant J.-C.)

Apparition des premiers rois et des premières dynasties historiques.

Le pays est divisé en une quinzaine de petits royaumes parmi lesquelles Eridu, Lagash, Larsa, Uruk, Ur ou encore Kish. Chacune domine un modeste territoire avec à sa tête son dieu tutélaire et son roi. Le dieu possède de vastes domaines administrés par le souverain qui est son représentant sur terre et qui doit lui bâtir des temples.

Particulièrement bien connu, le royaume de Lagash fondé par le roi Ur-Nanshe connait alors une grande prospérité.

Période d’Akkad (vers 2340 - 2180 avant J.-C.)

Premier essai impérial : Sargon, roi fondateur d’Akkad, unifie pour la première fois le pays vers 2340 avant J.-C. Il conquiert les principales villes sumériennes mais aussi Mari, Ebla (Syrie actuelle) et la région de l’Elam (Iran actuel).

Akkad devient la nouvelle capitale et donne son nom à toute sa région.

Période néo-sumérienne (vers 2150 - 2004 avant J.-C.) 

Les royaumes sumériens retrouvent leur indépendance. 

Lagash redevient prospère. Son souverain Gudea est un grand bâtisseur. Sa plus importante réalisation est le temple de Ningirsu à Girsu.

C’est surtout le royaume d’Ur qui domine très vite la Mésopotamie et ses voisins comme Suse, reprenant à son compte les ambitions impériales d’Akkad. Shulgi, le fils du fondateur, a lui aussi laissé plusieurs témoins de ses constructions pieuses.

Épanouissement de la production littéraire. L’Épopée de Gilgamesh, le plus célèbre texte de la littérature mésopotamienne, commence à être mis par écrit à cette époque (mais la première version complète sera rédigée dans le royaume de Babylone au cours du millénaire suivant).

Période amorrite (2004 - 1595 avant J.-C)

La chute d’Ur marque la disparition définitive des Sumériens sur le plan politique.

Peuple nomade venu de l’ouest, les Amorrites se sédentarisent et instaurent des royaumes.

Babylone devient une grande puissance sous le règne de Hammurabi (1792 - 1750 avant J.-C.), qui parvient à dominer l’ensemble de la Mésopotamie.

Le célèbre Code de Hammurabi est un recueil de décisions de justice prises par le souverain et destinées à être des modèles pour les princes à venir. C’est l’une des premières formes de jurisprudence.

Période du Bronze récent (1595 - 1100 avant J.-C)

En 1595, Babylone est prise par les Hittites, un peuple venu d’Anatolie.

Les Kassites, un peuple asiatique dont l’origine est encore incertaine, s’installent alors en Babylonie dans le sud de la Mésopotamie, assimilant les traditions mésopotamiennes.

Au nord, l’Assyrie devient une grande puissance autour de sa capitale religieuse Assur, notamment sous le règne glorieux de Tukulti-Ninurta I.

Période néo-assyrienne (934 - 610 avant J.-C) 

Expansion de l’Assyrie, notamment sous les règnes de Sargon II et d’Assurbanipal. 

L’Assyrie s’étend de l’Iran oriental à la mer Méditerranée, et de l’Anatolie au nord du désert d’Arabie. Après Nimrud et Khorsabad, sa dernière capitale, Ninive, est alors l’une des plus grandes villes du monde.

À la mort d’Assurbanipal en 627, commence un conflit de succession qui précipite la disparation de l’empire assyrien en 610, sous les coups des Babyloniens alliés aux Mèdes. 

Période néo-babylonienne (vers 1000 - 539 avant J.-C) 

Après une longue période plus ou moins en retrait de l’Assyrie, une nouvelle dynastie est fondée en 625 avant de reprendre à son compte le territoire dominé par les Assyriens.

Babylone se transforme profondément et connait son apogée sous le règne de Nabuchodonosor II (605 – 562 avant J.-C.). La cité devint la plus célèbre de tout le Proche-Orient. L’empire babylonien s’étend des frontières de l’Égypte à l’Asie mineure et jusqu’aux abords de la Perse.

Période perse (539 - 331 avant J.-C.)

En 539 avant J.-C., Babylone et la Mésopotamie tombent sous domination perse avec la conquête de Cyrus II le Grand. Babylone et sa région restent très admirées et continuent de prospérer dans l’espace de paix que constitue l’empire perse.

Avec la conquête de l’empire perse par Alexandre le Grand en 331 avant J.-C., la Mésopotamie s’hellénise et la culture mésopotamienne décline peu à peu.

Aux alentours de notre ère, la dernière tablette écrite en cunéiforme est attestée."

« Mésopotamie, une civilisation oubliée » de Yann Coquart et Luis Miranda

France, 2017

Sur Arte les 3 octobre 2020 à 20 h 50 et 22 octobre 2020 à 10 h 25


Articles sur ce blog concernant :

Les citations sur le documentaire sont d'Arte.

Eran Riklis


Eran Riklis est un 
réalisateur, producteur et scénariste israélien né en 1954 à Beer-Sheva (Israël). En 2010, il a reçu un Ophir pour son film Le Voyage du directeur des ressources humaines. Arte diffusera le 4 janvier 2021 « Le dossier Mona Lina » (Aus nächster Distanz) d’Eran Riklis.

Fils d'un père diplomate, Eran Riklis grandi aux Etats-Unis et au Brésil.

Adolescent de 16 ans, il retourne en Israël pour y étudier le cinéma à l’Université de Tel-Aviv. 

Il débute comme documentariste - Borders (1998) -, puis réalise des longs métrages de fiction souvent inspirés de la situation au Proche-Orient : La Fiancée syrienne (2004), Les Citronniers (2008), Le Voyage du directeur des ressources humaines (2010), Playoff (2011), Zaytoun (2013), Mon fils (Dancing Arabs) en 2014, Le Dossier Mona Lina (Shelter) en 2017...

En 2014, Eran Riklis particupe au moyen métrage Love Letter to Cinema (Michtav Ahava LaKolnoa).

« Mon fils » 
« Mon fils » (Mein Herz tanzt ; Dancing Arabs) s'avère un film gênant réalisé par Eran Riklis (2014). 

De la première guerre au Liban (1982) à celle du Golfe (1991), « le parcours initiatique d'un jeune Arabe israélien à Jérusalem... Eran Riklis (« Les citronniers ») dépeint les déchirements de son pays et signe une réflexion vertigineuse sur l'identité et l'ostracisme ». 

Un film sur les apprentissages, les passages.

1982. « Élève surdoué, Eyad a grandi dans un village palestinien », non arabe « en Israël, dont les habitants, citoyens de seconde zone de l'État juif » - Arte diffuse la propagande antisémite mensongère contre Israël -, « n'éprouvent à l'égard de ce dernier aucune loyauté ». Pourquoi généraliser ?

« Mais ses parents, conscients qu'il s'agit pour lui d'une chance rarissime, ne le poussent pas moins à partir lorsqu'il est accepté comme interne dans le plus prestigieux lycée de Jérusalem ». Son père lui a dit : « Mêle-toi à eux pour les vaincre » et manifeste, lors de la Première guerre d’Israël au Liban, au cri de « Que Dieu protège Arafat ! » La profession du père de Eyad ? « Terroriste », répond Eyad. Uniquement par bravade ? La scène "drôle" du déjeuner du condisciple juif d'Eyad dans la famille d'Eyad semble inspirée de celle de L'Incompris, film de Luigi Comencini.

Seul Arabe de l'établissement » - ou seul musulman ? -, « en butte à un racisme plus ou moins déguisé, Eyad survit grâce à l'amitié qu'il noue avec un autre réprouvé : atteint d'une maladie dégénérative incurable et privé de l'usage de ses jambes, Yonatan vit avec sa mère avocate, Edna, qui accueille à bras ouverts le premier ami invité par son fils… » Que de poncifs invraisemblables !

Une idylle avec Naomi, adolescente juive israélienne, se greffe sur cette histoire d'apprentissages.

Le réalisateur israélien de gauche Eran Riklis a adapté « Les Arabes dansent aussi » (2002) - proverbe juif ? Allusion aux réjouissances d’Arabes israéliens quand les missiles irakiens de Saddam Hussein s’abattaient en Israël lors de la Première guerre du Golfe ? - et « La deuxième personne » (2010), de Sayed Kashua, coscénariste du film.

« La plus grande difficulté a consisté à les mêler harmonieusement, ce qui nous a pris beaucoup de temps et a donné lieu à plusieurs versions avant qu’on soit tous les deux satisfaits du scénario. C’est une histoire personnelle qui est, à bien des égards, autobiographique pour Sayed, et je voulais conserver cette dimension. Mais un film est une oeuvre à part entière, qui a sa propre logique, et dont les personnages sont indépendants des livres. Sayed en était conscient, et une fois que le scénario a été finalisé, il ne s’est plus du tout mêlé du tournage », a déclaré Eran Riklis.

Né en 1975 dans un village de Galilée, élève au prestigieux Israel Arts and Science Academy, Sayed Kashua a étudié la philosophie et la sociologie à l’université hébraïque de Jérusalem. Il est éditorialiste humoristique à Haaretz et pour l’hebdomadaire HaIr. Cet écrivain arabe israélien musulman écrit en hébreu. Il est l’auteur de Avoda Aravi (Travail d’Arabe, en hébreu), sitcom satirique diffusée en partie en arabe sur Aroutz 2. En 2011, Sayed Kashua a été fait chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres à la résidence de France à Jaffa.

En juillet 2014, pendant l’opération défensive israélienne Bordure protectrice contre le Hamas, il « a décidé, l'année même de la production du film de quitter Israël » avec son épouse et leurs trois enfants, « pour émigrer aux États-Unis », car selon le dossier de presse il aurait ressenti « qu’il n’arrivera pas à faire changer les mentalités des Juifs israéliens envers les Arabes par ses écrits et qu'une « majorité désespérément déterminante dans le pays ne reconnaît pas à l’Arabe le droit de vivre, en tout cas pas dans ce pays ». Cet auteur s’était vu offrir un pont d’or pour enseigner à l’université de l’Illinois, qu’il a accepté en imputant son départ à Israël !? Comme de Français musulmans quittent la France pour des raisons professionnelles ? Pourquoi Sayed Kashua n’a-t-il pas émigré dans l’Autorité palestinienne, en Jordanie ou en Arabie saoudite ?

Dans une lettre intitulée Toutes les raisons pour lesquelles je quitte Israël et publiée dans divers journaux dans et hors d’Israël (The Guardian, Libération), Sayed Kashua écrivait :
« Vingt-cinq ans pendant lesquels je n’ai pas eu beaucoup de raisons d’être optimiste mais j’ai continué à croire que c’était encore possible que, un jour, ce lieu où vivent des juifs et des Arabes puisse connaître une histoire qui ne nie pas l’histoire de l’autre. Qu’un jour, les Israéliens cessent de nier la Nakba, l’occupation, et qu’ils cessent de fermer les yeux devant la souffrance du peuple palestinien. Qu’un jour, les Palestiniens se montrent disposés à pardonner, et qu’ensemble nous bâtissions un lieu où il soit agréable de vivre, exactement comme dans les romans à happy end.
Vingt-cinq ans que j’écris en hébreu, et rien n’a changé. Vingt-ans que j’écris et que j’essuie des critiques hostiles des deux camps mais, la semaine dernière, j’ai renoncé. La semaine dernière, quelque chose s’est brisé en moi.
Quand de jeunes juifs exaltés se sont répandus en hurlant «mort aux Arabes !» et ont attaqué des Arabes juste parce qu’ils étaient arabes, j’ai compris que j’avais perdu ma minuscule bataille personnelle.
J’ai écouté alors les politiciens et les gens des médias et j’ai su que ceux-là faisaient la différence entre un sang et un autre, entre un être humain et un autre être humain. Des individus, devenus la force dominante du pays, clamaient à voix haute ce que la plupart des Israéliens pensent : « Nous sommes meilleurs que les Arabes.»
Dans les tables rondes auxquelles j’ai participé, on affirmait que les juifs étaient un peuple plus éminent, plus digne de vivre. Une majorité désespérément déterminante dans le pays ne reconnaît pas à l’Arabe le droit de vivre, en tout cas pas dans ce pays.
Après lecture de mes derniers articles, certains lecteurs ont suggéré de m’expédier à Gaza, de me briser les os, de kidnapper mes enfants.
J’habite à Jérusalem et j’ai de merveilleux voisins juifs, et j’ai des amis écrivains et journalistes merveilleux, mais je ne peux pas envoyer mes enfants dans des colonies de vacances ou des centres aérés avec leurs copains juifs.
Mon aînée, furieuse, a protesté, affirmant que personne ne saurait qu’elle est arabe à cause de son hébreu impeccable mais je n’étais pas disposé à l’écouter. Elle s’est enfermée dans sa chambre, en pleurs ».
Sayed Kashua occultait les manifestations antisémites pro-Hamas dans le monde, les tirs de roquettes du Hamas contre les civils israéliens, etc.

I don't need Jewish historians to tell me about the NakbaJe n’ai pas besoin d’historiens juifs pour me parler de la Nakba »). Tel est le titre d’un éditorial de Sayed Kashua publié dans Haaretz (29 octobre 2016) dans lequel l’auteur a stigmatisé une prétendue malhonnêteté israélienne.

Ainsi que l’a démontré CAMERA (Committee for Accuracy in Middle East Reporting in America), Kashua a déformé les événements de 1948 pour occulter les attaques commises par les habitants de Tira, village de son père, contre le kibboutz Ramat Hakovesh, et de Miska, bourgade des parents de son épouse, contre le kibboutz Ramat Kavosh et d’autres communautés juives dans la région du Sharon. CAMERA a fustigé le révisionnisme de Kashua imputant aux Israéliens le meurtre de deux Arabes israéliennes dont l’une a été assassinée par son frère, et l’autre semble-t-il par son époux suspecté par la police. 

« Comme toujours, c'est par le prisme complexe de l'individu qu'Eran Riklis (« Les citronniers », « La fiancée syrienne ») dépeint les déchirements de son pays et l'interminable guerre qui le ronge ». 

« Partagé entre l'amertume et la tendresse, la noirceur et l'humanisme, le film parvient finement à faire ressentir les ambiguïtés, racisme ordinaire ou préjugés inconscients, d'une société dont 20 % des citoyens sont arabes, mais aussi les vacillements de l'identité auxquels sont confrontés ces derniers ». Les problèmes d’identité d’Arabes israéliens proviennent en partie de la faiblesse de l’Etat d’Israël à s’affirmer en Etat juif, à clamer son Histoire et à combattre la propagande haineuse visant à le délégitimer, à l’oscraciser et à le détruire. Ce qui fait naître des craintes chez certains Arabes israéliens et des espoirs chez d’autres. Un « racisme ordinaire », et pas d’« antisémitisme ordinaire » arabe ou/et islamique ? Un « racisme » qui n’a pas entravé des parcours à la Cour suprême, dans la diplomatie, etc.

« La qualité de l'interprétation, notamment celle de Tawfeek Barhom (vu plus récemment dans « Le chanteur de Gaza ») et de Yaël Abecassis (« Hatufim »), transmue ce que la démonstration pourrait avoir de pesant en une émotion de plus en plus puissante ».

L'un des points les plus choquants du film, outre sa partialité dénigrant les Israéliens juifs, est qu'il illustre le remplacement du juif par le musulman, de l'Israélien Juif par l'Israélien/Palestinien Arabe : affublé de toutes les qualités, Eyad usurpe l'identité de Yonatan - auprès de la banque, lors de l'examen -, et ce, avec l'approbation tacite d'Edna, mère de Yonatan. Pour exister, Eyad doit se faire passer pour Juif, et pour que son stratagème soit couronné de succès, il lui faut la mort physique de Yonatan et l'accord d'Edna, une "mère juive". Pas de meurtre risquant de ternir l'image d'Eyad "le-dévoué-qui-se-sacrifie-par-amour" : l'intrigue se noue autour de la maladie incurable de Yonatan. Et elle résulte de la collaboration scénaristique d'un Juif et d'un musulman, tous deux Israéliens !?

Le prénom de Yonatan est-il fortuit ? Personnage biblique, prince du royaume d'Israël dont son père Saül est roi, Jonathan se lie d'amitié avec David qui succédera à Saül. La propagande ant-israélienne présente souvent l'enfant palestinien lançant des pierres contre le soldat israélien comme David usant de sa fronde contre Goliath. Mais, nulle homosexualité présumée dans le film qui souligne la virilité, le charme de l'adolescent Eyad qui séduit Naomi, l'ambitieuse ingrate.

En remplaçant officiellement Yonatan auprès d'Edna et de l'Etat d'Israël, Eyad fait figure d'Ismaël, ancêtre des Arabes, et Edna est assimilée à une Sarah qui aurait accepté le fils d'Agar et du patriarche Abraham, "père de multiples nations". Exit Isaac. Notons la disparition du judaïsme dans la scène de l'enterrement qui islamise contre son gré le défunt juif.

La déclinaison cinématographique de la théologie chrétienne de la substitution selon laquelle le christianisme se serait substitué au judaïsme - celui-ci n'ayant pas reconnu Jésus comme le Messie - comme le "véritable Israël" ? Une variante de la "théologie chrétienne de la libération de la Palestine" par la mort programmée du Juif /Israël qui laisserait la place au "Palestinien/musulman" ?

Autant de symboles instrumentalisés de manière inquiétante dans ce film co-produit par la chaine publique franco-allemande Arte.

Oui, un film pour le moins gênant et choquant.
                 
« Le dossier Mona Lina »
Arte diffusa le 4 janvier 2021 « Le dossier Mona Lina » (Aus nächster Distanz) d’Eran Riklis. 

« Une "baby-sitter" du Mossad est envoyée à Hambourg pour protéger une agente double libanaise ciblée par le Hezbollah... Par Eran Riklis ("La fiancée syrienne", "Les citronniers"), un captivant thriller d’espionnage au féminin avec Golshifteh Farahani et Neta Riskin ».  

« Après avoir livré au Mossad des informations sur Naim Qassem, l'un des chefs du Hezbollah libanais, l’agente double Lina Haddad – nom de code "Mona" –, désormais "grillée", est exfiltrée de Beyrouth en urgence par les services secrets israéliens. Mise en sécurité dans une planque à Hambourg, elle subit une opération de chirurgie plastique afin d'endosser une nouvelle identité. Deux ans après avoir été contrainte d’arrêter ses missions, Naomi, une agente israélienne, est envoyée sur place pour assurer sa protection... et sa surveillance ». 

« Dans le cocon de l’appartement hambourgeois où elles sont recluses, Golshifteh Farahani (Paterson, Un divan à Tunis, coproduit par ARTE France Cinéma) et Neta Riskin (Une histoire d’amour et de ténèbres) se toisent et s’apprivoisent tandis qu’au dehors espions américains et israéliens ainsi qu'exécuteurs du Hezbollah s’apprêtent à rebattre les cartes… »

« Eran Riklis (La fiancée syrienne, Les citronniers) signe un captivant thriller d’espionnage au féminin, tiré d’une nouvelle de l’écrivaine Shulamith Hareven ». 

« Après Mon fils, sur l’amitié de deux étudiants, l’un arabe, l’autre juif, le réalisateur israélien aborde sous un angle nouveau la situation conflictuelle au Proche-Orient en superposant la complexité des relations humaines à celle de la géopolitique ». 

« Ménageant le suspense, il orchestre un mélancolique face-à-face entre deux femmes que tout sépare, pareillement dévastées par une guerre qui les dépasse ». 



« En 1982, la guerre du Liban a éclaté : c’était un conflit décisif et traumatisant pour Israël, et une époque marquante et douloureuse pour l’OLP et donc pour tous les Palestiniens vivant en Israël ou dans les territoires. En 1991, la guerre du Golfe est un conflit majeur et traumatisant pour toute la région, et pour le monde entier. Comme Iyad grandit pendant ces guerres, et dans la période qui les sépare, sa personnalité, ses choix – et ceux de ses parents –, son identité et son parcours sont marqués par ce contexte. Du coup, la fusion entre identité individuelle et identité nationale est parfaitement pertinente, et c’est ce que je recherche toujours chez mes personnages et dans mes décors. Par ailleurs, le fait de situer l’histoire dans le passé permet de prendre du recul et de porter un regard sur les événements sans ressentiment, mais plutôt avec compréhension et compassion ».

« Nous voulons tous faire partie de la société où nous vivons. Mais aujourd’hui, la plupart des Arabes ont le sentiment d’être exclus du corps social au sens large. Ce ressenti a fini par se banaliser, il y a un grand sentiment de malaise entre les deux peuples. C’est un élément fondamental de cette histoire ».

« Israël est surtout dépeint comme un pays complexe, qui réunit des points de vue, des idées et des comportements très différents. Certes, comme on le voit dans le film, on y trouve des autocollants anti Arabes sur des cabines téléphoniques qui sont le fait d’imbéciles extrémistes. Mais Israël est un pays à la fois généreux et hostile, ouvert et craintif, accueillant et indifférent à l’égard de sa minorité arabe. Comme le montre le film, on ne peut pas être manichéen, et la situation est très nuancée. Car pour chaque brute épaisse, on trouve un être bienveillant, pour chaque mère craintive – comme celle de Naomi –, on trouve une Edna (Yaël Abecassis), et pour chaque acte de violence, on trouve un acte de compassion. Israël, à cet égard, n’est pas si différent de la plupart des pays européens, et même de la plupart des pays du monde entier. Mais, bien évidemment, Israël est constamment observé à la loupe en raison du poids de l’histoire, de la politique et de l’importance géopolitique de la région ».

« Ce n’est pas facile d’être un Arabe en Israël, et que ce n’est pas facile d’appartenir à une minorité dans n’importe quelle société, et dans n’importe quel pays. L’Europe en offre d’innombrables exemples et on peut faire le même constat en France. Mais je crois profondément que PERSONNE ne devrait dissimuler son identité, mais que, parfois, les minorités y sont contraintes par la majorité, car elles éprouvent le besoin de se faire accepter et apprécier, et de survivre ».
  

« Le dossier Mona Lina » d’Eran Riklis
 
Israël, Allemagne, France, 2017, 86 min
Auteur : Shulamith Hareven
Scénario : Eran Riklis
Production : Eran Riklis Productions, Heimatfilm, MACT Productions, ZDF, ARTE
Producteurs : Bettina Brokemper, Antoine de Clermont-Tonnerre, Michael Eckelt, Eran Riklis
Image : Sebastian Edschmid
Montage : Richard Marizy
Musique : Yonatan Riklis
Avec Golshifteh Farahani (Mona), Neta Riskin (Naomi), Yehuda Almagor (Avner), Doraid Liddawi (Naim Quassem), Haluk Bilginer (Ahmet), Lior Ashkenazi (Gad), Mark Waschke (Bernhard), Dagmar von Kurmin (Madame Herrmann)
Sur Arte le 4 janvier 2021 à 22 h 35
Disponible du 04/01/2021 au 10/01/2021


« Mon fils » par Eran Riklis
United Channel Movies, Riva Filmproduktion, Heimatfilm, MACT Productions, Alma Film Produktion, ZDF/ARTE, Allemagne, France, Israël, 2014, 97 minutes
Auteur : Sayed Kashua
Image : Michael Wiesweg
Montage : Richard Marizy
Musique : Yonatan Riklis
Producteurs/-trices : Chilik Michaeli, Michael Eckelt, Antoine de Clermont-Tonnerre, Avraham Pirchi, Tami Leon, Bettina Brokemper
Scénario : Sayed Kashua
Avec Tawfeek Barhom, Razi Gabareen, Yaël Abecassis, Michael Moshonov, Ali Suliman, Danielle Kitzis, Marlene Bajali, Laëtitia Eïdo
Sur Arte le 2 août 2017 à 20 h 55
Sur le site d'Arte, disponible du 27/09/2020 au 03/10/2020
Visuels :
Tawfeek Barhom et Yaël Abecassis
Danielle Kitzis et Tawfeek Barhom 
Danielle Kitzis 
Tawfeek Barhom et Danielle Kitzis
© Riva Filmproduktion/Mact Productions/Heimatfilm/Alma Film Productions/New Lineo

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Les citations sont extraites du dossier de presse. Cet article a été publié le 1er août 2017, puis le 30 septembre 2020.

mardi 29 septembre 2020

« Sud » de Chantal Akerman

Arte diffusera le 29 septembre 2020 « Sud » (Süden), film documentaire réalisé par Chantal Akerman. « Le meurtre, en 1998, de James Byrd, un Noir lynché par trois jeunes Blancs à Jaspers, au Texas, constitue le point de départ du documentaire de Chantal Akerman. Sur fond de crimes haineux et de plaines sudistes, il s’attaque à la violence raciale qui infeste le quotidien américain. » Trop simpliste pour être vrai.

« Sud » de Chantal Akerman 

« 1963. la marche sur Washington » par Serge Viallet et Pierre Catalan

Stephen Shames - Une rétrospective 

Chantal Akerman (1950-2015) est née dans une famille juive à Bruxelles d'origine polonaise (Belgique). Sa mère est une rescapée de la Shoah.

« Godard m'a donné de l'énergie et les formalistes m'ont libérée », a expliqué Chantal Akerman

Elle étudie brièvement à l'Institut national supérieur des arts du spectacle (1967-1968) et réalise en 1968 Saute ma ville, son premier court métrage.

En 1971, elle tourne L'enfant aimé ou Je joue à être une femme mariée, qui ne la satisfait pas. Et s'installe avec Samy Szlingerbaum à New York. Là, elle voit souvent des films, notamment ceux du cinéma expérimental américain (Michael Snow, Andy Warhol, Jonas Mekas, etc.),. à l'Anthology Film Archives. 

Après un séjour à Paris, Chantal Akerman réalise dans la Big Apple News from Home (1976), Histoires d'Amérique (1988) et Un divan à New York (1996).

Dans sa filmographie : Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles (1975) avec Delphine Seyrig (« C'est un film sur l'espace et le temps et sur la façon d'organiser sa vie pour n'avoir aucun temps libre, pour ne pas se laisser submerger par l'angoisse et l'obsession de la mort »), Les Rendez-vous d'Anna (1978) avec Aurore Clément, road movie parcourant en train allant d'Allemagne à Paris, via Louvain et Bruxelles, Golden Eighties (1986), comédie musicale avec Lio, Un divan à New York (1996) avec William Hurt et Juliette Binoche), La Captive (2000), avec Sylvie Testud et Stanislas Merhar), d'après La Prisonnière de Marcel Proust, Là-bas (2006).

Créatrice d'installations artistiques, Chantal Akerman a aussi enseigné à l'European Graduate School de Saas-Fee (Suisse) et  à l'Université de la ville de New York19 (City University of New York : CUNY).

"Sud"

« Le meurtre, en 1998, de James Byrd, un Noir lynché par trois jeunes Blancs à Jaspers, au Texas, constitue le point de départ du film ». 

« La caméra pénètre dans l’église au moment de l’office à sa mémoire, et capte, entre les chants et les psaumes, l’émotion et la dignité des proches endeuillés ». 

« La réalisatrice recueille les réflexions des Noirs de Jaspers sur l’affaire, l’esclavage, leur condition ». 

« Elle interroge parallèlement des Blancs, notamment le shérif, qui donne sa propre interprétation des problèmes sociaux et raciaux de la ville ». 

« Mais le film ne se résume pas à une autopsie ou au terrible récit du lynchage. Il montre comment le meurtre s’inscrit dans un paysage autant mental que géographique ». 

« Guidée par une certaine sensibilité littéraire, proche de l’univers de Faulkner ou de Baldwin, la caméra de Chantal Akerman fixe les maisons, privilégie les longs travellings sur une route traversant une nature luxuriante ». 

« C’est le long de cette artère que le corps de James Byrd a été retrouvé accroché derrière la voiture de ses bourreaux ». 

« À travers ces plans silencieux, l’horreur résonne d’autant plus durement… »

PROPOS DE CHANTAL AKERMAN SUR "SUD"

"Cela faisait des mois qu’ils me parlaient de ce film, mes élèves de Harvard. De “Gummo”. Il les avaient terriblement impressionnés. Certains disaient même que ce film avait changé leur vie comme on le disait de Godard, entre nous, il y a trente ans. Certains en parlaient avec une telle ferveur que quand le film est repassé à la demande générale et plusieurs jours consécutifs à la Cinémathèque de Cambridge, j’ai été le voir. Je ne l’ai pas vu en une fois. J’ai été plusieurs jours de suite, en passant. Je passais tout le temps devant la cinémathèque, c’est presque là que je vivais, et c’était facile d’y rentrer, d’en sortir, etc. Et de ce film, j’avais toujours envie d’en sortir, et puis quand même – pas pour voir la suite, mais pour en voir encore un peu – j’y rentrais à nouveau.

Et au fond, j’étais fâchée. Bien sûr, je m’en défendais, et pourtant j’étais quand même fâchée. Et je me demandais, je voulais comprendre, ce qui avait pu changer la vie de mes élèves. Ce ne pouvait pas être que la forme du film qui elle m’intéressait beaucoup, une forme disloquée, jouant avec film et vidéo, images saturées, sons synchrones et voix off, etc, mais aussi sans doute et surtout son contenu, enfin son contenu dans cette forme-là et moi, c’est son contenu dans cette forme-là qui me faisait mal. On y croyait à ces histoires de petits blancs dans le fin fond de l’Ohio. Des histoires de gens sans Surmoi, sans culture, sans passé, avec des enfants qui tuent des chats ou leurs parents, sans rime ni raison, comme en passant. On y croyait à ce monde fait de monstres comme si de rien n’était, monstres que cette société a tout “tranquillement engendrés”. Oui, ça faisait mal et donnait envie de répondre par un autre film. C’est vrai, le monde, les gens ne sont pas comme ça. Non. Ces petits blancs ne peuvent pas être comme ça. Sans Surmoi, tuant tranquillement, sans haine même, juste comme ça. Sans culture, sans Histoire ni passé, peut-être, oui, sans doute, mais pas comme ça. Et puis cela ne devrait pas fasciner mes élèves, et qu’est-ce qui les fascine ces enfants?

Peut-être la représentation de ce “sans culture” justement et ce “sans Surmoi dans une Amérique puritaine” ou est-ce là pour eux une réponse à cette Amérique puritaine-là, qui n’a pu s’ériger que sur le sang des Indiens et l’esclavage des noirs. Je ne sais pas.

Certains ont trop d’Histoire, trop de passé, les Européens sans doute, et d’autres pas assez peut-être, les Américains, sans doute.

Certains organisent des meurtres ou même des génocides à cause ou au nom de ce trop d’Histoire, histoire de territoire et de terre, de race, de religion de ce trop de culture même et d’autres dont le manque d’Histoire, de passé, de culture, ou d’un vague souvenir d’une culture, d’un lieu qu’ils ont quitté pour aller ailleurs, là où c’était grand, nouveau, là où c’était ailleurs, les mènent aussi à supprimer ce qui les gêne ce qui est en trop, peut-être aussi ce qui leur semble impropre à réaliser pleinement l’utopie de ce nouveau monde.

Et j’ai compris en allant là dans le Sud, cet été, que pour certains, cette utopie de monde nouveau, ne peut pleinement se réaliser, que si ce monde est blanc et uniquement blanc et non pas régi par la loi des hommes mais par la loi de Dieu.

Donc tout est parti de là, de l’envie de répondre. Ce fut le détonateur. Et puis je me suis dit, il faudrait aller quelque part filmer cette réponse, mais l’Amérique est vaste, je devais choisir un chemin qui fasse sens même s’il resterait quand même un peu erratique et je n’avais pas envie de traverser l’Amérique d’une mer à l’autre, de New-York à Los Angeles, chemin mythique bien sûr, mais mille fois parcouru, et je me suis souvenue du livre de James Agee et Walker Evans, “Louons maintenant les grands hommes,” qui se passait aussi dans l’Amérique profonde, dans le Sud profond même, pas loin de Birmingham, et je me suis souvenu des beaux personnages – et ils étaient beaux dans leur complexité même- et des belles photos de Walker Evans qui les documentaient, eux et leur vie et puis, oui, c’étaient de beaux personnages mais n’était-ce pas James Agee qui les voulait ainsi et cette misère, cette misère des paysans, “pauvres mais dignes” comme on dit, n’échappait pas à la beauté, beauté aride peut-être mais beauté quand même ou plus forte encore parce que aride, même si dans les photos de ces paysans que la pauvreté avait tant marqués, on pouvait deviner parfois une sorte de folie dans le regard.

Mais rien dans les photos de Walker Evans, prises dans le Sud à la fin des années 30, ne suggérait un instant la brutalité qui avait pu être perpétrée dans le Sud par des êtres humains, des blancs sur d’autres êtres humains, des noirs. Ce qu’on voyait dans toute sa beauté, c’est ce que la pauvreté leur avait fait à eux, à ces blancs, et on se disait en toute perversité, c’est beau, ce sont de belles photos, et en tant que spectateur on ne se sentait pas touché ou visé dans sa propre intégrité d’être humain, parce que ce que l’on ressent d’abord, c’est que contre vents et marées, ces gens décrits et photographiés étaient quand même restés des êtres humains.

Oui, c’était sans doute cela une réponse possible à “Gummo”, une réponse humaniste, une réponse chrétienne aussi, sans doute. Non, c’est plutôt “Gummo” qui à sa manière était une réponse à “Louons maintenant les grands hommes” et à d’autres oeuvres, films ou livres etc., où la dignité humaine est malgré tout sauvée.

Et puis à cause du Sud, j’ai pensé à un autre livre et combien il m’avait hantée, à d’autres voyages dans le Sud aussi, ceux des protagonistes de “Harlem Quartet” de James Baldwin, le voyage de jeunes noirs, chanteurs de Gospels, ce devait être au début des années 60, quand on commençait à parler de déségrégation. Ils sont partis à leurs risques et périls, ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient. Combien de sentiments, combien de phrases de ce livre, m’étaient familiers, je les avais déjà entendues chez moi à la maison à Bruxelles, prononcées par mon père ou ma mère dont l’histoire, à bien des égards, différait de celle de Baldwin et de ses protagonistes.

Et pourtant ces phrases qui m’obsédaient depuis toujours leur étaient communes, toutes ces phrases liées à la peur, ces maigres phrases échappées et bien-sûr plus marquantes qu’un flot de paroles, ou plutôt ces maigres phrases se glissant parfois malgré elles au milieu des logorrhées racontant le bonheur d’une journée, et je cite Baldwin :

Le silence est total.

Le silence du Sud.

Un silence lourd, tendu.

Un silence de plomb

Un silence qui devrait être mais qui ne l’est pas.

On guette le cri qui va briser ce silence.

On redoute le jour qui vient.

James Baldwin

Chez moi, à la maison, ce n’est pas du silence du Sud qu’on parlait

quand on parlait enfin de quelque chose, mais du silence du camp et là c’était la même peur du jour qui vient, parce qu’avec le jour qui vient, il n’y avait que le pire qui pouvait arriver. On répétait aussi comme Baldwin la peur de marcher au milieu du trottoir et la tendance à raser les murs.

Et sans doute, c’est aussi pour ça que ce roman m’a hantée, à cause de la peur, de la tension qu’on sent dans ce livre et particulièrement dans la partie qui raconte les voyages dans le Sud.

Ils sont partis de New York en voiture à leurs risques et périls, les héros de “Harlem Quartett”. Ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient. Ils se sont arrêtés pour manger, pisser ou chanter, et je cite en vrac, à Richmond dans un trou de Virginie, là où le 18 août 1899, un noir inconnu a été lynché, puis à Charlotte et Monroe en Caroline du Nord, puis à Hopkinsville, Missouri, puis à 3 km de Nashville, Tennessee et puis Birmingham, Mobile, Montgomery, Alabama. Birmingham que Baldwin décrit comme “une ville plate, étalée, lascive. Ville incapable de susciter aucun espoir. La ville la plus inique, la plus détestable, les rues sont à angles droits, claires et désertes, elles conduisent à un avenir affreux. Les maisons basses conspirent. Les arbres abondent. Il n’a jamais vu autant d’arbres.“

Autant d’arbres qui évoquent pour Baldwin autant de pendus.

“Dans l’air lent, lourd, lugubre. Il sent la corde lui scier la pomme d’Adam. La chaleur palpable de l’été fait frissonner le paysage qui s’égoutte comme de l’eau“. “Je ne suis pas le seul nègre qui rêvant de Birmingham, se réveille avec des sueurs froides, en étouffant un cri” écrit-il encore et cela aussi m’est terriblement familier.

Birmingham où Rosa Parks refuse d’aller à l’arrière du bus.

Ils sont aussi allés, ces chanteurs de Gospels, à Atlanta, Géorgie, ses faubourgs et ses bois et puis dans une petite ville du Sud dont Baldwin dit seulement : “pas loin du cadavre de John Brown” et j’ajouterai, ou de ce qu’il en reste parce que ce qui m’a sans doute le plus atteint, en lisant 100 Years of Lynchings de Ralph Ginzburg, c’est quand il reprend la description d’un lynchage publiée par la Gazette de Kissimmee Valley (Floride) et je cite: “c’est que tout ce qui restait de Sam Holt après qu’il ait brûlé, c’était un petit tas de cendres noires, c’est tout ce qui restait pour raconter l’histoire.” Et le journaliste ajoute : “On n’avait même pas laissé les os en paix, mais ils ont été avidement saisis pas la foule qui s’est presque battue au dessus du corps fumant de l’homme, creusant avec leurs couteaux pour avoir un souvenir de ce qui s’était passé.”

Je me suis dit, il n’y a plus qu’à suivre cette route-là, leur chemin à eux et sans doute aussi comme eux aller jusqu’en Floride et filmer.

Et puis, il y a eu un nouvel incident raciste, c’est comme ça qu’on dit, enfin un lynchage, à Jasper, Texas. A notre époque et plus que jamais, il y a de la purification dans l’air.

Alors j’irai à Jasper, Texas, je verrai mieux peut-être, je comprendrai mieux ce qui m’obsède encore et toujours.

JASPER, Texas qui croit pouvoir guérir ou s’en sortir, en inscrivant en énormes lettres majuscules sur un panneau, sur une route de la ville :

JASPER, TEXAS, EST EN DEUIL, EST BLESSÉE ET PLEURE. AMÉRIQUE PRIE POUR NOUS.

JASPER, TEXAS, IS MOURNING HURTING CRYING. AMERICA PLEASE PRAY FOR US.

Un panneau presque aussi grand que ceux de l’artiste Bruce Nauman, où s’inscrivent VÉRITÉ LIBERTÉ.

Cet incident a été suivi par plusieurs autres qu’on dit être “moins graves” comme si cela ne faisait que réactiver quelque chose de toujours latent, non seulement là-bas mais ailleurs. A Jasper, Texas, là aussi, comme dans beaucoup d’autres endroits du Sud des États-Unis et du monde, l’homme a laissé de sa chair sur le sol. Comme à la chair de Sam Holt en 1899, c’est aussi à la chair de James Byrd Jr, que les trois hommes blancs en voulaient cette nuit-là.

Le journaliste du “Jasper News Boys” me dira plus sobrement quand je l’ai rencontré cet été en citant l’un des trois meurtriers que ce qu’ils voulaient c’était: “scare the hell out of this nigger“, foutre la trouille de sa vie à ce nègre”

Et on peut lire dans l’édition du Boston Globe du 12 juin 1998: “Dans le cauchemar qui a suivi, Byrd a été brutalement battu, enchaîné par les poignets à l’arrière d’une camionnette et déchiré en morceaux alors que son corps était traîné sur une petite route de campagne poussiéreuse. Un des plus vicieux crimes de haine dans le nouveau Sud.

Je ne voudrais pas faire un film comme “D’Est” qui serait comme une élégie, mais un film heurté, hétérogène, et pourtant bien que l’idée m’en soit venue à cause de “Gummo”, j’ai aussi senti que ce film pourrait être le vrai écho à “D’Est” sans forcément en être son contrepoint. Oui, j’ai envie d’aller voir là-bas à quel prix se passe le miracle américain, sur le dos de qui, se crée en ce moment même le plus grand amoncellement jamais vu de richesses et si ce paysage, ce paysage garde les traces où le souvenir même de quelque chose de ces lynchages et si ces arbres disent encore quelque chose d’autre que leur propre beauté.

Filmer la nature, nature qui cache sang et charnier. Ce reflet du ciel sur une mare boueuse.

Le souvenir peut-être imaginaire d’une partie de campagne.

Et forcément d’être couché le cul par-dessus tête.

Cette chaleur qui s’entend.

Les abeilles, les moustiques.

Tout est immobile et tout bouge.

Je voudrais faire des images qui évoquent presque trop de bonheur.

Presque de l’écoeurement.

Et puis ce paysage va se mettre à bourdonner.

Et par le ressassement, toujours le ressassement, j’espère vous faire valser du plaisir – que peut procurer la nature, le paysage, la partie de campagne – le plaisir et son frémissement, jusqu’au doute même de ce plaisir, jusqu’au sentiment de l’horreur et peut-être même du tragique dans un silence de plomb.

Cet été, j’ai donc été dans ce Sud, jusqu’à Jasper pour prendre quelques notes filmées ou écrites, ce qui m’a permis de me confronter à la fois à mon désir de faire et à la réalité de ce Sud que je connaissais seulement à travers ses grands écrivains, quelques films, et quelques souvenirs sur la lutte pour les droits civiques.

D’abord, je n’y ai presque rien vu. Le Sud ne se donne pas comme ça, il faut rouler beaucoup et marcher et se laisser faire parfois par des impressions fugitives, mais qui se répètent.

On cherche à la loupe bien sûr ce qui peut ressembler à ce que l’on a lu ou entendu. Puis on se laisse presque assoupir, l’on devient moins vigilant, une torpeur vous prend, une certaine douceur.

Et c’est seulement parce que ce qu’on voit se répète que tout d’un coup cela prend sens, comme ces noirs qui très paisiblement tondent la pelouse devant une église ou d’autres qui désherbent un cimetière des confédérés, ou d’autres encore qui marchent d’un pas lent en s’éloignant du Mississippi River et puis ces maisons qui ressemblent à des cases presque dévorées par la végétation, dans un quartier où l’on ne voit absolument personne et l’on se demande où l’on est, et sans très bien savoir pourquoi, se mêlant à une certain douceur, il y a soudain quelque chose qui vous étreint et puis, soudain, on comprend que si tout d’un coup le coeur vous serre, c’est parce que ces maisons pourtant colorées, presque gaies parfois, éveillent des réminiscences, qu’elles évoquent pour vous des cases d’esclaves et puis à force de tourner en rond dans le quartier, on aperçoit furtivement, dans des allées perpendiculaires et sablonneuses, un homme ou un autre, une femme, un enfant, tous noirs. C’est le quartier noir de Vicksburg, Mississippi…

Le quartier noir d’Atlanta, au bord de la ville, ne rappelle pas ces cases, mais plutôt par moments certains de nos quartiers “défavorisés”, avec briques rouges, graffitis, et désolation, mais il y règne par contre une sorte de tension sourde, comme dans le quartier noir de Selma, comme à Marion, comme à Jackson, comme partout ailleurs. Eux aussi sont au bord de la ville et eux aussi comme dans toutes ces villes du Sud, sont complètement ségrégués, pas un blanc, pas un seul.

Bien sûr je n’ai pas vu que ça à Atlanta, bien sûr, il a certains quartiers habités par les noirs qui sont moins désolés, mais les blancs leur ont laissé la ville, pour la plupart, ils habitent en dehors, loin d’eux, dans les bois verts et calmes et qui ont été le théâtre de tant d’atrocités.

D’ailleurs les blancs dans le Sud, on en voit presque pas. Ils sont dans leurs maisons, au travail sans doute, dans leur voitures, mais rarement dans les rues. On en rencontre seulement dans ces énormes villes supermarché du bord des autoroutes. Rarement dans les rues.

Le long de ces routes ou autoroutes, ou dans les buissons, j’ ai vu aussi des prisonniers, tous noirs qui travaillaient en vêtements blancs ou rayés, gardés par des hommes blancs et à cheval et on ne pouvait s’empêcher de penser aux esclaves, les mêmes gestes les mêmes costumes presque et les mêmes gardes comme si rien n’avait changé depuis le temps de l’esclavage, même si il n’y a plus personne dans les champs de coton, seulement le bruit du vent.

Il faut aussi pour mieux percevoir ce Sud, peu à peu rencontrer des gens, des gens qui parlent ou se taisent des gens qui parlent pour ne rien dire et disent parfois tant, des gens qui parlent pour dire et en disent parfois trop.

Il y a tant chez les blancs que chez les noirs, tant de dénégation et comment pourrait-il en être autrement alors que l’histoire qui les lie est aussi celle qui les sépare.

J’ai rencontré une femme, mère et grand-mère, qui elle m’a dit pourtant qu’elle se sentait mieux depuis la lutte pour les droits civiques, parce que sa maison, c’est sa maison, pas grande, pas belle, ni luxueuse, mais sa maison et que personne, qu’aucun blanc ne peut lui dire comme ça lui était arrivé avant, et elle se sent bien et a de l’espoir pour ses enfants et ces petits-enfants.

J’ai aussi rencontré Derek Mohammed, un homme encore assez jeune qui a changé de nom, parce qu’il ne voulait plus porter un nom d’esclave comme Malon, et lui, – contrairement aux autres, à presque tous les autres que j’ai rencontrés à Jasper, blancs comme noirs et tous chrétiens – trouvait que la mort de James Byrd Jr. était une tragédie inutile et que son martyre n’allait servir à rien et aussi que tous les noirs avaient peur et ne disaient pas la vérité quand ils disaient qu’il n’y a aucun problème entre noirs et blancs et que tout va bien tandis que les pasteur Lyons, un pasteur noir et bien d’autres gens de sa congrégation disaient tous le contraire. Le pasteur a même été jusqu’à dire que si les noirs avaient des difficultés, c’était surtout de leur faute et parce qu’ils ne croyaient plus assez au rêve américain.

Et puis quand on assiste à un office donné dans l’église du pasteur Lyons en mémoire de James Byrd Jr, quand on écoute tout ce qui se dit ou se chante, on se dit que tout est encore plus compliqué que ce qu’on croit…

Il y a là un mélange de gestes, de paroles qui montrent des gens qu’on pourrait croire être des oncles Tom mais qui finalement n’arrivent à survivre et à garder quelque chose d’eux-mêmes qu’en vivant dans une certaine ambiguïté, que derrière les discours apaisants sans doute, il y a le corps et sa douleur qui s’exprime, et quelque chose de profond et d’authentique.

J’ai rencontré aussi le shérif de Jasper, un brave homme blanc, avec un chapeau de shérif, un drapeau américain, un regard bleu à la Paul Newman, on l’aimerait presque comme on peut aimer certains films américains, il dit simplement que si il n’y avait pas de problèmes économiques, de chômage, il n’y aurait pas de cas Byrd et que quand un homme a suffisamment de nourriture dans son assiette, il ne pense pas à créer des problèmes aux hommes des autres races, il dit cela et semble complètement ignorer, comme nous l’a appris John Craig qui a passé deux ans de sa vie à infiltrer les groupes d’extrême droite et notamment le mouvement pour une nation aryenne, que ceux-ci ce sont considérablement développés depuis les années 60, mais c’est surtout depuis une quinzaine d’années qu’il y a une forte résurgence d’organisations comme le K.K.K. et d’autres groupes de suprémacistes blancs sous le chapiteau de ce que l’on appelle “l’identité chrétienne”.

“Ce sont des groupes entraînés à saisir toute opportunité qui se présente pour nuire ou blesser les gens d’autres races car ils croient que n’importe quel “homme de couleur.” qui vit ou arrive aux États-Unis doit être repoussé, que les États-Unis doivent être purgés d’eux pour que ceux-ci redeviennent une nation blanche sous le contrôle de Dieu et non des hommes. Pour ces extrémistes, race égale nation et nation égale race, c’est là leur croyance de base.

Alors tout va-t-il vraiment mieux comme certains, beaucoup, semblent le dire, comme ils disent que le lynchage de Byrd, n’est qu’un cas isolé et exceptionnel.

Tout va sans doute mieux et il n’y a pas de lynchage tous les jours bien qu’il y ait eu deux cas étouffés récemment rien que dans le comté de Jasper, mais tout est resté ségrégué de fait ou presque, les églises, les quartiers, les cimetières bien sûr et dans les écoles, les enfants noirs côtoient rarement les enfants blancs et vice versa, et pourquoi les problèmes économiques, puisque problèmes économiques il y a, devraient-ils justifier un lynchage. On a déjà entendu cela ailleurs, à d’autres époques, dans d’autres lieux, très près de nous juste à côté et cela ne peut que faire frissonner.

Tous ces gens que j’ai rencontré viendront hanter le film, la femme qui se sent bien chez elle et son mari qui, maintenant qu’il ne peut plus bouger son dos suite à un accident de travail, passe son temps à jouer d’une vieille guitare électrique. La vieille dame aussi qui dit que les branches poussent différemment là où les gens on été pendus et en effet, la nature, les arbres semblent parfois prendre des formes monstrueuses.

Le shérif, le pasteur Lyons, et toute sa congrégation, l’homme qui a entendu le camion tourner de gauche à droite la nuit sur la route devant sa maison alors qu’il regardait un western à la télévision et John Craig qui raconte une Amérique effrayante, avec ses groupes prêts à nuire, prêts à prendre le pouvoir si le pouvoir en place devient défaillant, si la situation s’y prête. Et puis Mohammed Derek, très soigné, avec son costume impeccable, son noeud papillon et sa dignité, et puis encore John qui se souvient du jour où un jeune noir a été châtré et qui s’en souvient encore.

Je commencerais par montrer cette douceur confirmée par les dires de la femme, mère et grand-mère que j’ai rencontré non loin de Tuscaloosa, Alabama, dans ce qui est communément appelé “the Black Belt”, la ceinture noire, puis lentement je montrerai ces quartiers où tout d’un coup l’on sent cette tension sourde qui règne pour enfin arriver à un presque témoin oculaire du meurtre de James Byrd Jr.

Je n’ai pas l’intention de faire l’autopsie d’un meurtre mais plutôt de l’inscrire à la fois dans la paysage mental et physique de ce Sud avec d’autres éléments, dans une sorte de va et vient entre ce qui évoque parfois fortuitement le passé inscrit dans le paysage des villes, des villages ou des espaces presque vides et toutes leurs églises, modestes en bois ou grandes et en briques qui viennent perpétuellement scander même les espaces les plus nus, inscrit aussi dans le quotidien, les gestes, les regards, aussi bien des noirs que des blancs.

Je finirai sans doute le film par une route, celle ou James Byrd Jr. a été traîné, une route toute simple de forêt, cela pourrait être n’importe où, mais cette route garde sur son asphalte, des cercles tracés un peu partout et de tout son long. Ces cercles ont entouré, tout ce que peu à peu James Byrd Jr. y a laissé, un peu de sa chair, de ses os, de ses membres, son sang avant qu’on détache devant un petit cimetière noir ce qui restait de lui…"


« Sud » de Chantal Akerman 
France, Belgique, 1999, 71 min 
Sur Arte le 29 septembre 2020 à 00 h 55 
Disponible du 21/09/2020 au 22/10/2020

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