Citations

« Le goût de la vérité n’empêche pas la prise de parti. » (Albert Camus)
« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du Soleil. » (René Char).
« Il faut commencer par le commencement, et le commencement de tout est le courage. » (Vladimir Jankélévitch)
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » (Albert Londres)
« Le plus difficile n'est pas de dire ce que l'on voit, mais d'accepter de voir ce que l'on voit. » (Charles Péguy)

jeudi 25 mai 2023

Le pont de Brooklyn

Inauguré le 24 mai 1883 au terme de quatorze ans de travaux, conçu par l'architecte d'origine allemande John Augustus Roebling, prouesse technique, le pont suspendu de Brooklyn surplombe l'East River pour relier Manhattan à ce quartier de New York (Etats-Unis). Le 1er mars 1994, Rashid Baz, d'origine libanaise, a commis un attentat terroriste contre un minibus transportant des adolescents juifs américains, dont l'un,  Ari Halberstam, est mort de ses blessures et un autre demeure handicapé à vie. Arte diffusera le 30 mai 2023 à 10 h 55 « Les bâtisseurs du pont de Brooklyn », documentaire d’André Schäfer.


A New York, le pont suspendu, en acier, de Brooklyn, ou Brooklyn Bridge, est un des plus anciens ponts suspendus des États-Unis. Surplombant l'East River, il relie Manhattan à Brooklyn.

Il a coûté plus de 15 millions de dollars de l'époque de son édification. Et représente une prouesse technique.

Ses dimensions : 1 825 mètres de longueur, 84 mètres de hauteurs.  Vingt-sept ouvriers ont perdu la vie durant les 14 années de travaux débutés en 1869 et émaillés d'accidents. Le droit de péage initial est progressivement supprimé.

Ce pont a été conçu par un brillant architecte, John Augustus Roebling, luthérien descendant de Juifs sépharades ayant quitté l'Espagne pour l'Allemagne. "Roebling a étudié au Pädagogium, établissement scolaire privé, d'Erfurt (Allemagne),  notamment les sciences, les mathématiques et la pensée critique auprès du célèbre érudit et mathématicien juif, le professeur Ephraim Salomon Unger. Unger a accepté Roebling comme élève après que ce dernier ait échoué dans certaines matières, dont le latin et la religion, au lycée. L'établissement scolaire d'Unger était unique en ce sens qu'il abordait aussi la mécanique, et Roebling étudiait la construction de poutres, la théorie des caténaires et la statique des arcs. La compétence de Roebling en a fait un favori du professeur et, des années plus tard, Roebling a fièrement décrit ses réalisations dans l'enseignement supérieur en indiquant dans son curriculum vitae : "Est allé à l'Institut mathématique du Dr Unger à Erfurt en juin 1820 à l'âge de 15 ans". Grâce aux efforts d'Unger qui croyait dans ses potentiels et a voulu lui donner sa chance, Roebling a pu poursuivre ses études d'ingénieur et d'architecte à Berlin et devenir immortel comme constructeur de la "huitième merveille du monde", a écrit Saul Jay Singer, juriste et collectionneur de documents Judaïca.

Saul Jay Singer a poursuivi : "Éphraïm Unger était né né à Coswig, en Saxe, où il a appris la Bible et les Prophètes en hébreu original par son père, Salomon David Unger, qui est devenu ensuite le premier Juif de Saxe à obtenir la citoyenneté (1810). Éphraïm Unger a été fasciné par les mathématiques durant ses études au cours desquelles il analysé les mathématiques rabbiniques dans le Talmud et, à 13 ans, il a fréquenté l'école juive libre de Berlin où il a subvenu à ses besoins en donnant des cours d'hébreu, de français et de latin. Après l'occupation de Berlin par les troupes napoléoniennes (1806), Unger a rejoint son père à Erfort et terminé son doctorat à la Faculté de philosophie (1810), rédigeant sa thèse sur l'origine des fonctions trigonométriques. Après avoir obtenu son doctorat, Unger a enseigné les mathématiques à l'Université d'Erfurt, puis en privé aux officiers de la garnison française et aux membres de l'Institut topographique avant de fonder son célèbre Institut privé d'enseignement des mathématiques. Lorsque l'école a été officiellement convertie en école secondaire publique, le conseil scolaire municipal lui a offert la direction à condition qu'il se convertisse au christianisme, ce qu'il a résolument refusé de faire. (Son frère cadet, David, lui aussi brillant mathématicien et architecte, s'est converti). Cependant, ce conseil lui a permis de conserver le poste d' oberlehrer ("chef enseignant") jusqu'en 1861, année de sa retraite avec honneur. Le remarquable Unger, véritable homme de la Renaissance mathématique, était un visionnaire dans le domaine de l'enseignement des mathématiques. Il est l'auteur de nombreux textes, dont beaucoup sont devenus des normes pédagogiques utilisées par les systèmes universitaires en Europe, en particulier en Russie. Ses œuvres prolifiques incluent Guide for Teaching Mental Math (1842), Arithmétique des marchands et des comptables (1829), Algèbre pour les affaires (1828), Exercices de Géométrie Pure et Appliquée du Solide (1830), Manuel de trigonométrie plane et sphérique (1821), et Histoire de la théorie des nombres de Pythagore à Diophante (1843). Il a également écrit Life and Fire Insurance, devenant l'un des premiers à appliquer des principes mathématiques à la tarification des assurances, et ses ouvrages comprennent des biographies de ses deux idoles, le philosophe Emmanuel Kant et le mathématicien Gottfried Wilhelm Leibniz. Éphraïm Unger a également été, pendant de nombreuses années, membre du conseil municipal d'Erfurt, qui l'avait fait citoyen d'honneur en 1860 (un honneur rare pour un juif à l'époque). Et le roi de Prusse lui a conféré le titre de professeur et l'a décoré de l'Ordre de l'Aigle rouge en reconnaissance de ses services". Il a joué aussi un rôle majeur au sein de la communauté juive d'Erfurt au sein de laquelle il a exercé de hautes fonctions.

Quelques jours après le début de la construction du pont, John Augustus Roebling est décédé à la suite d'un accident sur le chantier. Son fils, Washington Roebling, puis sa belle-fille, Emily Warren Roebling, poursuivent son projet jusqu'à son achèvement. 

"Indépendante de New York jusqu'en 1898, Brooklyn a été la troisième plus grande ville des États-Unis pendant cinquante ans en raison, en grande partie, du pont de Brooklyn et de l'immigration juive. À la fin du XIXe siècle et avec l'arrivée d'un grand nombre d'immigrants, Brooklyn s'est transformée en un centre majeur de la vie juive. En 1880, Brooklyn comptait près de 600 000 habitants – une augmentation de plus de 40 % par rapport à la décennie précédente – et New York et Brooklyn étaient deux des vingt villes américaines comptant plus de 100 000 habitants", a rappelé Saul Jay Singer.

Le 24 mai 1883, ouvert au public, le "New York and Brooklyn Bridge" est utilisé par 1 800 véhicules et 150 300 personnes, dont Chester A. Arthur, 21e Président des Etats-Unis.

Peu après l'inauguration du pont de Brooklyn, les juifs ont instauré une tradition annuelle consistant à le traverser à pied le jour de Roch Hachana (Nouvel an juif) pour réciter, souvent le premier jour de cette fête, le Tachlich (« Tu enverras [au loin] »). Durant les Jours redoutables entre Roch Hachana et Yom Kippour, les juifs newyorkais jettent des morceaux de pain, symbolisant leurs péchés de l'année passée, dans une étendue d'eau : rivière, lac, mer, océan... 

Et Saul Jay Singer de conclure : "Lors de l'ouverture du pont de Brooklyn, les Juifs du Lower East Side, déplorant la surpopulation et la cherté d'immeubles de Manhattan, et leurs coreligionnaires ayant fui les pogroms d'Europe de l'Est, ont trouvé un sanctuaire à Brooklyn avec des logements abordables, plus vastes, ainsi qu'une économie forte et en expansion. Mais Brooklyn est devenue davantage une « ville juive » avec l'ouverture du pont de Williamsburg (1903), au point que ce pont est devenu populairement connu sous le nom de « pont des Juifs ». Bien que les premières communautés juives de Brooklyn se soient fixées près de Manhattan, la population juive s'est finalement installée dans tout l'arrondissement, ce qui a donné lieu à des quartiers tels que Boro Park, Flatbush, Park Slope, Brownsville, Bensonhurst, Crown Heights et Williamsburg".

Attentat islamiste en 1994
Le 1er mars 1994, Rashid Baz, d'origine libanaise, armé d'un pistolet semi-automatique et d'une mitrailleuse, a tiré sur un bus transportant 15 étudiants juifs orthodoxes Chabad-Loubavitch d'une yeshiva de Crown Heights traversant le pont de Brooklyn. Ces adolescents revenaient d'une visite au rabbin Menachem Mendel Schneerson hospitalisé. On déplore un mort, Ari Halberstam, âgé de 16 ans, atteint par balle à la tête et trois blessés, dont un demeure handicapé à vie. 

En 1999, le ministère de la justice a requalifié l'attaque en acte de terrorisme. 

En 2007, le terroriste Rashid Baz a avoué : "J'ai tiré sur eux uniquement parce qu'ils étaient juifs".

"Le terroriste Rashid Baz a tiré sur le mini-bus pour se venger de ce qui se passait en Israël... Barouh Goldstein venait de viser une mosquée [à Hébron], un vendredi et le mardi suivant, Ari a été abattu. Il y avait eu des tentatives d’assassinat contre le Rabbi Menachem Mendel Schneerson", a rappelé Devorah Halberstam, mère d'Ari Halberstam, en 2023.

Baz a été condamné à 141 ans de prison. Des complices "ont reçu une amende de 1 000 $ et une probation de cinq ans. Mais je les ai poursuivis devant le tribunal de l’immigration. Je les ai fait expulser du pays. Mais cela a pris sept ans, car ils ont utilisé notre système judiciaire jusqu’à la Cour suprême. Tous étaient des étrangers en situation irrégulière. Ils ont été expulsés trois jours avant le 11 septembre... C’était l'attentat d'une cellule. Rashi Baz avait ses armes chez son oncle, dans un placard. La police n’a jamais arrêté aucun membre de sa famille ; les armes à feu étaient dans la maison ! Celui qui lui a donné les armes à feu, celui qui est allé avec lui à la mosquée – tous ces individus étaient liés à l'attentat", a déploré Devorah Halberstam, mère d'Ari Halberstam, en 2023. 

Elle a souligné : "En 1999, le FBI désignait l'attentat comme un « incident de haine au volant ». Le terrorisme ne s'était pas produit aux Etats-Unis. Il survenait à l’étranger. Donc, au départ, je ne crois pas que quiconque ait agi par malveillance. Cela dit, le Président Clinton venait de faciliter un accord de paix avec Yasser Arafat sur la pelouse de la Maison Blanche, et personne ne voulait que cet attentat par un Arabe gâche quoi que ce soit. Avant 1996, le gouvernement fédéral n’avait pas de lois antiterroristes. Il n’avait pas pris cette affaire en considération. Il aurait du la traiter. Quand on a demandé à Rashid Baz qui se trouvait dans le fourgon, il a répondu « des Hassidim ». Le gouvernement fédéral a des capacités beaucoup plus larges. Les accusations n’auraient pas été les mêmes. Si Baz avait commis son attentat aujourd’hui, il détenu dans une prison dans le Colorado, là où se trouvent tous les terroristes. Au lieu de cela, l’affaire a été portée devant un tribunal d’État fédéré et il a été jugé pour meurtre. Rashid Baz est aujourd’hui dans une prison d’État fédéré, ce qui signifie qu’il est intégré à la population de cet État. C’est très différent du block-out dans le Colorado. Nous savons que parmi les prisonniers, certaines religions sont florissantes, et Baz pourrait théoriquement influencer d’autres détenus. C’est pourquoi il a été appelé un martyr par son peuple. Il a reçu les visites d'individus impliqués dans les attentats terroristes au World Trade Center de 1993. Après le 11 septembre 2001, j’ai été la première personne à parler à 500 chefs de police de toutes les conversions dans le système pénitentiaire. Le chef aumônier de la prison a nommé Baz pour qu’il soit son assistant ! Un journaliste m’a alertée à ce sujet. Baz avait des privilèges spéciaux. C’était incroyable. Cela m’a pris six ans et demi, et la plupart du temps, je me suis battue seule. J’ai frappé à toutes les portes et j'ai écrit à tout le monde. Le sénateur Daniel Patrick Moynihan a été la première personne à reconnaître la gravité de la situation. L’accusation de meurtre n’était tout simplement pas suffisante. Nous devons envoyer un message : dans ce pays, nous ne tolérons pas le terrorisme et ne dissimulons pas ce qui est vraiment le terrorisme".

Une travée du pont de Brooklyn a été rebaptisée du nom de la victime décédée. 

« Les bâtisseurs du pont de Brooklyn » 
Arte diffusera le 30 mai 2023 à 10 h 55 « Les bâtisseurs du pont de Brooklyn », documentaire d’André Schäfer.

« Imaginé par un ingénieur allemand émigré aux États-Unis, puis construit par son fils et sa belle-fille, le pont de Brooklyn symbolise à lui seul le rêve américain. Que représente-t-il aujourd’hui pour les New-Yorkais et les visiteurs du monde entier ? »

« Le célèbre pont suspendu de Brooklyn est l’œuvre de Johann August Röbling, un architecte allemand originaire de Thuringe. Un jour de 1852, ce père de famille, qui a émigré aux États-Unis, se tient avec son fils Washington sur la rive de l’East River, côté Manhattan. Tous deux souhaitent traverser le détroit en ferry pour atteindre Brooklyn, mais l’eau gelée empêche les bateaux de circuler. Röbling esquisse alors dans son carnet un premier projet de construction ». 

« Après plusieurs grandes réalisations, notamment un pont suspendu au-dessus des chutes du Niagara et un autre entre Covington et Cincinnati, l’ingénieur s’attelle au pont de Brooklyn en 1869. Victime d’un accident sur le chantier, il meurt peu de temps après le début des travaux. Son fils, Washington, poursuivra son œuvre, en collaboration avec sa femme Emily. » 

« Avec ses arcs gothiques, que certains disent inspirés de l’église de Mühlhausen (la ville natale de son concepteur), le pont symbolise aujourd’hui encore le rêve américain tel que l’ont vécu les Röbling, désormais appelés Roebling. »

« Ce documentaire retrace les histoires entrelacées de cette famille et de la construction du pont de Brooklyn. Diverses personnalités racontent la fascination que leur inspire l’ouvrage, notamment le Britannique Richard Haw, qui a publié une biographie de Johann August Röbling, mais aussi Peter Tomasi, coauteur d’un roman graphique sur cet emblème new-yorkais intitulé The Bridge. »



 « Les bâtisseurs du pont de Brooklyn » d’André Schäfer
Allemagne, 2022, 1 h 30 mn
Production : Florianfilm GmbH, SWR/ARTE
Sur Arte les 30 mai 2023 à 10 h 55, 18 juin 2023 à 6 h 45
Visuels : © Kiana Naghshineh/Florianfilm

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire