Citations

« Le goût de la vérité n’empêche pas la prise de parti. » (Albert Camus)
« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du Soleil. » (René Char).
« Il faut commencer par le commencement, et le commencement de tout est le courage. » (Vladimir Jankélévitch)
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » (Albert Londres)
« Le plus difficile n'est pas de dire ce que l'on voit, mais d'accepter de voir ce que l'on voit. » (Charles Péguy)

jeudi 11 juillet 2024

« Paris 1874. Inventer l’impressionnisme »

Le musée d’Orsay présente l’exposition « Paris 1874. Inventerl’impressionnisme » (Paris 1874. The Impressionist Moment). « Forte de quelque 160 oeuvres, celle-ci propose de poser un regard neuf une période-clé » de l’histoire de l’art : l’organisation au début de la IIIe République, par des artistes venant d’horizons divers - Monet, Renoir, Degas, Morisot, Pissarro, Sisley, Cézanne - d’une exposition indépendante, distincte du Salon officiel, à Paris, le 15 avril 1874. Un critique qualifie ces artistes d’« impressionnistes ». « Les impressionnistes ont été les premiers à se détacher de règles jugées trop strictes, accueillant des femmes artistes, rejetant les sujets traditionnels et renversant les conventions pour créer une nouvelle façon de voir ».  

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« Il y a 150 ans, le 15 avril 1874, au 35 Boulevard des Capucines, ouvrait la première exposition impressionniste. Un groupe d’artistes de tous horizons, parmi lesquels Monet, Renoir, Degas, Morisot, Pissarro, Sisley ou encore Cézanne, décident de s’affranchir des règles et des parcours établis en organisant une exposition indépendante : ainsi naît l’impressionnisme. Le musée d’Orsay, qui abrite la plus importante collection au monde d’œuvres de ce mouvement, célèbre ce 150eme anniversaire en grand : en conviant son public à redécouvrir cette exposition majeure intitulée Paris 1874. Inventer l’impressionnisme qui, en 1874, finira par s’inscrire dans le cours de l’histoire de l’art, et en prêtant nombre de chefs-d’œuvre de sa collection impressionniste à travers toute la France. »

« Paris, 1874 : c’est à cette date, considérée encore aujourd’hui comme le coup d’envoi des avant-gardes, que « s’invente » l’impressionnisme. Que s’est-il passé exactement en ce printemps 1874 ? Quel sens donner aujourd’hui à une exposition devenue légendaire ? Que sait-on d’une manifestation dont on ne conserve aucune image, et où les artistes aujourd’hui qualifiés d’« impressionnistes » étaient en fait largement minoritaires ? Tel est l’enjeu de Paris 1874 : entrer dans la fabrique d’un mouvement artistique émergeant d’un monde en pleine mutation, et revenir sur une exposition visitée en son temps par seuls quelques milliers de curieux, mais dont le retentissement exceptionnel se prolonge jusqu’à aujourd’hui. »

« A partir de recherches neuves, l’exposition fait le point sur les circonstances ayant amené cette trentaine d’artistes, dont sept seulement sont considérés comme « impressionnistes », à se réunir pour montrer leur art en toute indépendance. Le climat de leur époque est celui d’un après-guerre, faisant suite à deux conflits : la guerre franco-allemande de 1870, perdue contre la Prusse, puis une violente guerre civile. Dans ce contexte de crise, les artistes repensent leur art et explorent de nouvelles directions. Avides d’autonomie, contestant un système académique qui le plus souvent les rejette, Monet, Degas, Morisot, Pissarro et leurs amis ou confrères se rassemblent sous forme de société anonyme coopérative pour exposer leur travail, au plein cœur du Paris moderne – au 35 boulevard des Capucines, dans l’ancien atelier du photographe Nadar –, en une présentation qui n’a rien d’homogène. Des scènes de la vie moderne ou de plein-air, à la touche enlevée, rapidement exécutées, y côtoient des tableaux plus conventionnels, de même que des gravures, sculptures et émaux. De cet assemblage d’environ 200 oeuvres, éminemment divers et inclassable, se dégage un désir commun : celui de faire carrière, en parallèle – ou en complément – de la voie officielle, et d’affirmer leur liberté. »

« Paris 1874. Inventer l’impressionnisme rassemble une sélection d’oeuvres ayant figuré à l’exposition impressionniste de 1874, mise en perspective avec des peintures montrées au Salon de cette même année, ainsi que des sculptures : oeuvres aux sujets religieux ou historiques, au « faire » léché, mais où se dessinent de nouvelles tendances, davantage en prise avec la vie contemporaine. Cette confrontation inédite entre les « indépendants » et les « académiques » permet de revivre et de souligner le choc visuel des oeuvres exposées par les impressionnistes cette année-là, mais aussi de le nuancer. »

« Invitation à reconsidérer nos aprioris – en regardant de près la peinture des impressionnistes, et en la replaçant dans le contexte de son époque – Paris 1874. Inventer l’impressionnisme souligne la richesse et les contradictions de la création contemporaine au printemps 1874. L’exposition présente des prêts exceptionnels, notamment Impression, soleil levant de Claude Monet, dont le titre inspire le terme d’« impressionniste » - une moquerie de journaliste qui finira pourtant par donner son nom à ce mouvement artistique et sceller son succès. »

« Avant tout, Paris 1874. Inventer l’impressionnisme propose au visiteur de s’interroger sur ce qui, en 1874, constitue une oeuvre impressionniste : à quoi tiennent sa différence et sa nouveauté ? Jugée au départ déroutante et bâclée, cette peinture est aujourd’hui unanimement plébiscitée, innervant toute une part de notre univers visuel. Un siècle et demi après son émergence, il est temps de faire le point sur l’impressionnisme tel qu’il éclot au printemps 1874, et de réexaminer sa radicalité. »

« Au musée d’Orsay, l’exposition « Paris, 1874. Inventer l’impressionnisme » rassemble une sélection d’oeuvres ayant figuré à l’exposition impressionniste de 1874, mise en perspective avec des peintures montrées au Salon de cette même année, ainsi que des sculptures : oeuvres aux sujets religieux ou historiques, au « faire » léché, mais où se dessinent de nouvelles tendances, davantage en prise avec la vie contemporaine. En une centaine d’oeuvres, l’exposition célèbre l’anniversaire d’un événement historique aujourd’hui considéré comme le coup d’envoi des avant-gardes. »

« Cette exposition est organisée par le musée d’Orsay et la National Gallery of Art, Washington où elle sera présentée du 8 septembre 2024 au 19 janvier 2025. »

Le Commissariat est assuré à Paris par Sylvie Patry, conservatrice générale du patrimoine / directrice artistique, Mennour, Paris, et Anne Robbins, conservatrice Peinture, musée d’Orsay, assistées de Caroline Gaillard et Estelle Bégué, musée d’Orsay, et à Washington par Mary Morton, curator and Head of the Department of French Paintings, National Gallery of Art, Washington D.C., Kimberly A. Jones, curator of 19th-Century French Paintings, National Gallery of Art, Washington D.C.

Avec le soutien exceptionnel du Musée Marmottan Monet et de l’Académie des beaux-arts, Paris
Avec la participation exceptionnelle de la Bibliothèque nationale de France

Une programmation culturelle - conférences, colloque, concerts - accompagne l'exposition.

• « Le musée d’Orsay propose également de passer « Un soir avec les impressionnistes, Paris 1874 » en vivant une expédition immersive en réalité virtuelle d’une ampleur inédite qui plonge le public au coeur de la soirée d’inauguration de la première exposition impressionniste, le 15 avril 1874. Equipé de casques à remonter le temps, le visiteur parcourt le Boulevard des Capucines et entre dans les anciens ateliers du photographe Nadar pour découvrir la première exposition impressionniste et les moments clefs qui ont mené à cette aventure humaine et artistique, à la rencontre de Monet, Renoir, Degas, Pissarro, Morisot, etc. »




• « Enfin, avec « Les 150 ans de l’impressionnisme avec le musée d'Orsay », opération territoriale sans précédent, depuis février et jusqu’à la fin de l’été, cet anniversaire est célébré à travers toute la France grâce aux prêts de 178 chefs-d'œuvre du musée d'Orsay accordés à 34 institutions muséales. »



Parcours de l’exposition
« L’exposition se divise en 11 sections thématiques et comprend 157 oeuvres et documents d’archives, dont 89 peintures, 7 sculptures, 53 œuvres d’arts graphiques. »
« INTRODUCTION
PARIS ENTRE RUINES ET RENOUVEAU
1. CHEZ NADAR
2. PEINDRE LE PRESENT, EXPOSER PAR SOI-MEME
3. 15 AVRIL 1874 : UNE EXPOSITION INDÉPENDANTE ET ÉCLECTIQUE
4. LE SALON DE 1874
5. LE SALON, LA GUERRE ET LA DEFAITE
6. CONVERGENCES
7. LA VIE MODERNE COMME MOTIF
8. L’ECOLE DU PLEIN AIR
9. FAIRE SENSATION : « IMPRESSION » ET AVANT-GARDE
10. 1877 : L’EXPOSITION DES IMPRESSIONNISTES »

Textes de salles
Introduction
« À Paris, le 15 avril 1874 ouvre une exposition qui marque la naissance d’un mouvement artistique parmi les plus célèbres au monde, l’impressionnisme. Pour la première fois, Monet, Renoir, Degas, Morisot, Pissarro, Cézanne et Sisley se réunissent en toute indépendance pour exposer leurs oeuvres : des tableaux clairs et lumineux, traduisant avec une touche rapide et enlevée leurs impressions fugitives ressenties devant le motif. Ils s’émancipent ainsi du Salon, grande exposition officielle dominant la vie artistique parisienne, et gardienne de la tradition académique. À une époque marquée par des bouleversements politiques, économiques et sociaux, les impressionnistes proposent un art en prise avec la modernité. Leur manière de peindre « ce qu’ils voient, […] comme ils le voient » surprend et déroute. »

« Que s’est-il joué pendant ces quelques semaines ? En une sélection d’oeuvres issues de l’exposition de ces artistes indépendants, ou du Salon, Paris 1874. Inventer l’impressionnisme célèbre le 150e anniversaire d’un printemps décisif. L’exposition explore les coulisses et les enjeux d’un événement devenu légendaire, souvent considéré depuis comme le coup d’envoi des avant-gardes. »
Paris entre ruines et renouveau
« À Paris, au printemps 1874, le souvenir de la guerre franco-allemande de 1870 et de l’insurrection révolutionnaire de la Commune, l’année suivante, reste très vif. La capitale a été considérablement dégradée par ces événements dramatiques. Dès 1871, la reconstruction commence. Ces travaux prolongent les transformations entamées pendant le Second Empire, sous l’égide du baron Haussmann, préfet de la Seine, comme le percement de grands axes de circulation, l’édification de gares, la création d’espaces verts, ou encore la construction du nouvel Opéra. Le bâtiment de Charles Garnier s’inscrit dans un quartier complètement remodelé avec ses larges avenues et ses grands boulevards. C’est au coeur du Paris des affaires, du luxe et des spectacles, en plein renouveau, que se tient la première exposition impressionniste. »

1. Chez Nadar
« À la fin des années 1860, des artistes, parmi lesquels, Monet, Sisley, Renoir, Degas, Pissarro et Bazille élaborent, en pleine nature ou en ville, une peinture neuve, toute d’atmosphère et de perception, à la touche enlevée ».

« Ils sont rassemblés en réseaux d’amitiés, ou liés par des affinités esthétiques, et réfléchissent à s’associer pour organiser leur propre exposition – hors des circuits officiels et du système du Salon, dont ils sont souvent exclus. »

« Bazille est confiant : « Nous sommes sûrs de réussir. Vous verrez qu’on parlera de nous ». La guerre de 1870, qui les sépare, en mobilise certains, et fauche Bazille, brise leur élan. Leur projet d’exposition indépendante ne prend forme que trois ans plus tard, consolidé par l’intérêt manifeste de certains collectionneurs et marchands, dont Paul Durand-Ruel. Ces artistes se constituent en « Société anonyme des peintres, sculpteurs, graveurs, etc. », et partent à la recherche d’adhérents supplémentaires. Degas, qui « s’agite et travaille l’affaire, avec assez de succès », trouve un local à l’emplacement idéal, près du nouvel opéra : l’ancien atelier du photographe Nadar, au 35 boulevard des Capucines. « Il y a là de l’espace et une situation unique », note Degas : sept ou huit salles, sur deux niveaux, en pleine lumière, desservies par un ascenseur. Autre nouveauté, l’exposition sera ouverte en nocturne, éclairée au gaz, pour attirer une clientèle plus large. « Si on remue ainsi quelques milliers de gens, ce sera beau », espère Pissarro. »

2. Peindre le présent, exposer par soi-même
« Le 15 avril 1874, l’exposition de la « Société anonyme » ouvre ses portes, avec quelque 200 œuvres sélectionnées par les artistes eux-mêmes – sans la sanction d’un jury, ni l’entremise d’un marchand. »

« Elles sont accrochées par leurs soins, dans l’ancien atelier de Nadar, sur des murs tapissés de laine brun-rouge. Il ne subsiste de cette exposition, pour s’en faire une idée, que des témoignages écrits et son livret. La première salle, évoquée ici, sans doute installée par Renoir, fait la part belle à sa peinture, avec d’éblouissants instantanés de la vie moderne, du Paris de la mode et des divertissements : ses boulevards, ses danseuses et ses spectateurs, autant de motifs également observés par Monet et Degas. »

« Vous qui entrez, laissez tout préjugé ancien ! », prévient le critique Prouvaire, notant quelques jours après l’ouverture que certains des tableaux de cette exposition sans nom – puisqu’anonyme – « donnent avant tout « l’impression » des choses, et non leur « réalité même ».

3. 15 avril 1874 : une exposition indépendante et éclectique
« L’exposition réunit 31 artistes ayant surtout en commun d’avoir payé leur cotisation. Ils sont d’âges et d’horizons divers : près de 40 ans séparent le doyen Adolphe-Félix Cals du cadet Léon-Paul Robert, et le milieu social des grands bourgeois Degas ou Morisot est très éloigné de celui de l’anarchiste Pissarro et des communards Ottin et Meyer. Ce n’est pas non plus un principe esthétique qui les rassemble, mais plutôt une même volonté d’exposer librement et de vendre leur travail. »

« Leurs oeuvres sont d’une étonnante variété de sujets, de techniques et de styles. On y trouve deux fois moins de peintures que d’oeuvres sur papier, dont une quarantaine d’estampes, de même qu’une dizaine de sculptures et quelques émaux. Des paysages très esquissés, des scènes de chasse ou de course, voire une vue de maison close, côtoient des gravures d’après Holbein, des intérieurs de synagogue ou un buste d’Ingres. L’entrée est payante, ainsi que le catalogue, et les oeuvres sont assez onéreuses. 3 500 visiteurs environ verront l’exposition. La société, largement déficitaire, sera dissoute. »

« Seule une poignée de peintures de Sisley, Monet, Renoir et Cézanne, trouvent preneur. Un critique raille la « forte quantité de croûtes », tandis que d’autres discernent « sept ou huit oseurs, des œuvres desquels [...] s’échappe un impérieux sentiment du vrai ».

4. Le Salon de 1874
« Au Palais de l’Industrie et des Beaux-Arts, avenue des Champs-Élysées – à vingt minutes à pied du boulevard des Capucines –, le Salon ouvre ses portes le 1er mai 1874. Incontournable vitrine de la production artistique du moment, cette gigantesque exposition officielle est un événement annuel où le public se presse en masse. Il est aussi essentiel pour les artistes, car depuis deux siècles, c’est là que se jouent leur succès et leur carrière. Soigneusement sélectionnés par un jury sous l’égide de la Direction des Beaux-Arts, plusieurs milliers d’oeuvres se côtoient, dont près de 2 000 peintures accrochées bord à bord : « grandes machines » – immenses tableaux à sujet historique, religieux ou mythologique –, scènes de genre anecdotiques, tableaux « orientalistes », nombreux paysages ou portraits léchés. La plupart de ces oeuvres sont à mille lieues des tableaux « trop frais peints » des futurs impressionnistes, parfois arbitrairement rejetés dans les années 1860. En 1874, même si son jury est particulièrement sévère, le Salon n’est « ni plus mauvais ni meilleur » que les années précédentes, selon le critique Castagnary : « Ce qui lui fait défaut, c’est l’oeuvre capitale […] qui […] devient une date dans l’histoire de l’art. » En effet, cette année-là, l’exposition qui passera à la postérité n’est pas le Salon. »

5. Le Salon, la guerre et la défaite
« En parcourant les 24 salles de peintures du Salon, le romancier et critique d’art Émile Zola se lamente : « Des tableaux, toujours des tableaux », des salles « long[ues] comme de Paris en Amérique », puis descend vers la nef des sculptures, aspirant à « fumer un cigare ». Il observe que les oeuvres qui passionnent le public sont « les scènes tragiques de la dernière guerre » qui s’est soldée par la défaite de la France face à la Prusse. Ces peintures et ces sculptures résonnent auprès des visiteurs, qu’il s’agisse de représentations directes, comme la scène de bataille de Detaille illustrant la tragique journée de Reichshoffen, le 6 août 1870, ou nettement plus symboliques comme le tableau de Maignan, un épisode de la conquête normande, évoquant le sacrifice et le deuil. »
« En 1874, bien des artistes, officiels ou indépendants, ont vu cette guerre de près. Le Salon, qui en 1872 avait exclu des oeuvres sur ce sujet d’une actualité encore très vive, s’est ouvert à ce thème contrairement à celui de la Commune, qui n’y sera pas représentée. Les futurs impressionnistes se détournent de ces deux sujets au profit d’autres aspects de leur époque. »

6. Convergences
« En 1874, le Salon, tout comme la première exposition dite « impressionniste » dont il diffère apparemment en tout point, par son échelle et ses principes d’organisation – montre des œuvres offrant une certaine vision du présent. Cette institution séculaire n’est plus la vitrine d’un art exclusivement académique ; des oeuvres tout à fait radicales, comme Le Chemin de fer de Manet y trouvent leur place. Manet, invité quelques semaines auparavant par ses confrères à exposer avec eux au 35 boulevard des Capucines, refuse obstinément, car il ne veut pas s’abstraire du Salon – selon lui le seul véritable champ de bataille pouvant mener au succès. »
« Tous les artistes qui en sont rejetés – comme Éva Gonzalès, avec une peinture de la vie moderne, ne rallient pas pour autant l’exposition indépendante. Enfin, pas moins de douze artistes préfèrent multiplier leurs chances d’être vus, et de vendre, en présentant simultanément des oeuvres à l’exposition de la Société anonyme et au Salon. Même parmi les futurs impressionnistes, tous ne sont pas définitivement « revenus » du Salon ; beaucoup y retourneront quatre ou cinq ans plus tard. Outre deux importants tableaux « refusés », cette section rassemble les oeuvres d’artistes présents à la fois à la première exposition impressionniste et au Salon de 1874. La ligne de partage entre tradition et avant-garde est, en 1874, encore très poreuse. »

7. La vie moderne comme motif
« En 1863, le poète Charles Baudelaire fait de la « modernité » – un mot apparu au XIXe siècle – une composante du beau. Industrialisation, mondialisation, urbanisation : tout change rapidement. À l’exposition de 1874, une trentaine de tableaux font écho à ces évolutions et à l’avènement d’un mode de vie urbain et bourgeois, de la sphère domestique aux rues de Paris rénovées, en passant par le développement des loisirs et des lieux de spectacle. En dehors de Degas, qui montre une blanchisseuse en plein travail, les impressionnistes peignent surtout la « high life », comme on dit alors pour désigner la haute société. Au Salon aussi, on peut voir des scènes de la vie moderne, mais souvent abordées de manière anecdotique ou moralisatrice. Pour les impressionnistes, le temps présent n’est pas seulement un réservoir de sujets nouveaux. C’est une manière neuve de voir et de peindre un monde en proie à l’accélération du temps et en perpétuel mouvement. Ils rapprochent ainsi l’art de la vie. »

8. L’Ecole du plein air
« C’est sous cette bannière que le critique Ernest Chesneau rassemble certains des participants à l’exposition de la Société anonyme de 1874. Cette manière de peindre rapidement, sur le motif, la nature et les effets changeants de l’atmosphère, se pratique pourtant depuis la fin du XVIIIe siècle. »
« Cependant les impressionnistes innovent, car s’ils n’exécutent pas intégralement leurs tableaux en extérieur, ils placent au coeur du processus de travail de l’oeuvre aboutie ce qui n’était pour leurs prédécesseurs qu’un exercice, une étape préparatoire. L’importance accordée au paysage par Monet, Sisley et Pissarro reflète aussi un goût plus général. Depuis le milieu du XIXe siècle, au Salon comme sur le marché de l’art, le paysage s’affirme comme le « genre moderne », dans l’esprit du temps. »
« Chintreuil et Daubigny, peintres de la génération précédente, présents au Salon en 1874, revitalisaient déjà une production de paysages en phase avec la nostalgie du public pour une campagne vue comme éternelle et intacte, au moment-même où la nature est menacée par l’urbanisation et l’industrialisation. »

9. Faire sensation : « impression » et avant-garde
« Impression, soleil levant a-t-il vraiment donné son nom à l’impressionnisme en 1874 ? C’est à la fois vrai et faux. Le titre du tableau a en effet inspiré, avec d’autres paysages de Monet, Pissarro et Sisley, le mot « impressionniste » au journaliste Louis Leroy, ironisant sur cette nouvelle peinture. Mais, hormis ce sarcasme, le mot ne s’impose pas encore et le tableau, passé à peu près inaperçu en 1874, ne devient célèbre qu’au début du XXe siècle. »
« Avec cette « impression », Monet transgresse les usages. Il affirme ainsi son désir de transcrire un effet fugitif de la lumière, une sensation subjective, plutôt que de décrire un lieu. Cette intention était probablement renforcée par la présence dans l’exposition de 1874 de pastels accrochés à proximité, et d’études de ciel de son maître, Eugène Boudin, car, contrairement aux usages du Salon officiel, les impressionnistes exposaient ensemble dessins et peintures. »
« Cette quête d’instantanéité ne signifie pas que les tableaux impressionnistes sont peints en une seule fois sur le motif. Impression, soleil levant a réclamé plusieurs séances. Il s’agit pourtant de préserver, y compris quand l’oeuvre est retravaillée en atelier, la fraîcheur de la sensation première, de donner l’impression d’une impression. »

10. 1877 : l’exposition des impressionnistes
« Le 4 avril 1877, la troisième exposition des impressionnistes ouvre ses portes, grâce à la détermination et au financement de Gustave Caillebotte, recrue récente, à la fois peintre et mécène. Elle succède aux expositions de 1874 et de 1876. Décevantes d’un point de vue commercial, elles ont néanmoins installé l’idée qu’un mouvement nouveau était né. Ainsi, pour la première et unique fois, les artistes qui exposent en ce printemps 1877 se proclament « impressionnistes ». Ils publient même un journal sous ce titre. Dans un vaste appartement parisien situé au 6 rue Le Peletier sont présentées 245 œuvres de 18 artistes dont deux femmes, Berthe Morisot et la marquise de Rambures, une amie de Degas. »
« Par son exceptionnelle qualité et la primauté accordée à la célébration de la vie moderne, l’édition de 1877 restera peut-être la plus impressionniste de toutes ces expositions. Cinq autres manifestations collectives suivront jusqu’en 1886, mais aucune n’aura la force d’un manifeste. Résolument rétifs à toute théorie, profondément individualistes, les impressionnistes n’en continueront pas moins d’inventer de nouvelles manières de voir et de peindre le monde. »



CHRONOLOGIE

« 1839 - 1841
Naissance de Paul Cézanne, Alfred Sisley, Claude Monet, Berthe Morisot et Auguste Renoir. Camille Pissarro et Edgar Degas, leurs aînés, sont nés en 1830 et 1834.
1858-1859
Monet fait la connaissance de Pissarro à Paris.
1861
Monet effectue son service militaire en Algérie. Pissarro rencontre Cézanne et Armand Guillaumin.
1862
Édouard Manet et Edgar Degas font connaissance au musée du Louvre.
Monet peint en plein air avec Johan Barthold Jongkind et Eugène Boudin près du Havre. Frédéric Bazille, Monet, Renoir et Sisley se forment dans l’atelier de Charles Gleyre. Des sociétés d’artistes, comme la Société nationale des Beaux-Arts, sont fondées afin de « rendre l’art indépendant et […d’] apprendre aux artistes à faire eux-mêmes leurs affaires ». Avec ces expositions, le marché privé se développe parallèlement aux circuits officiels, dominés par le Salon et les achats de l’Etat.
1863
En marge du Salon se tient le premier « Salon des Refusés », ordonné par Napoléon III, où sont présentées les œuvres rejetées par le Jury. Édouard Manet et James Whistler y font scandale.
1864
Débuts de Morisot et de Renoir au Salon, rejoints l’année suivante par Degas et Monet.
1866
Succès de Monet au Salon avec Camille, dit aussi La Femme à la robe verte, un grand portrait en pied de sa compagne. Première participation de Bazille.
1867
Bazille et Renoir partagent un atelier à Paris, dans le quartier des Batignolles, où se retrouvent les futurs impressionnistes.
Tous refusés au Salon, ils envisagent une exposition indépendante : « Nous avons donc résolu de louer chaque année un grand atelier où nous exposerons nos oeuvres […] nous sommes sûrs de réussir », écrit Bazille à sa mère.
En marge de l’Exposition universelle, Manet et Gustave Courbet font chacun construire un pavillon pour y organiser leur exposition.
Vers 1868-1869
Morisot et sa soeur Edma, Manet et Degas se rencontrent et se fréquentent au Louvre ou au gré des soirées organisées par leurs familles.
1870
19 juillet
Début de la guerre entre la France et l’Allemagne. La capitulation de Napoléon III le 2 septembre, à la suite de la défaite de Sedan, entraîne la chute du Second Empire. La Troisième République est proclamée deux jours plus tard.
Manet, Degas et Renoir sont engagés dans les combats. Bazille est tué en novembre.
Cézanne part dans le sud de la France.
Monet et Pissarro se réfugient à Londres où ils rencontrent le marchand parisien Paul Durand-Ruel, qui lui aussi a fui la guerre. Il achète et expose leurs oeuvres.
1871
Des insurrections révolutionnaires dans plusieurs villes de France aboutissent, à Paris, à la proclamation du Conseil de la Commune le 28 mars.
Ce gouvernement ne dure que 72 jours et la Commune est violemment réprimée.
Certains peintres s’installent en dehors de Paris : Monet à Argenteuil, Cézanne à Auvers-sur-Oise, non loin de Pissarro établi à Pontoise. Sisley reste à Louveciennes. Ces lieux sont représentés dans les tableaux qu’ils exposeront en 1874.
1872
Au Salon, dit « de la défaite » (le premier depuis la fin de la guerre), les oeuvres faisant référence au conflit sont décrochées peu après l’ouverture.
En novembre, Monet, au Havre, peint son tableau Impression, soleil levant.
1873
Nouveau « Salon des Refusés » : Renoir et Guillaumin y exposent.
Le 27 décembre, Monet, Pissarro, Renoir et Sisley notamment, créent une Société anonyme : la « Société des artistes peintres, sculpteurs, graveurs et lithographes ». Son objet est d’organiser des expositions indépendantes.
1874
17 janvier : première annonce du projet de l’exposition de la Société anonyme dans la presse. 
Le 15 avril, l’exposition ouvre dans les anciens ateliers du photographe Nadar, au 35 boulevard de Capucines. Elle va durer trente jours. 31 artistes y exposent plus de 200 oeuvres.
1er mai : ouverture du 91e Salon des artistes vivants (le « Salon ») au Palais de l’Industrie à Paris (aujourd’hui détruit, il était situé à l’emplacement de l’actuel Grand Palais). Il comprend près de 4000 oeuvres toutes techniques confondues.
15 mai : fermeture de l’exposition impressionniste. Le bilan financier fait état de plus de 3500 visiteurs. Quatre oeuvres ont été vendues. Une soixantaine d’articles ou de mentions ont paru dans la presse.
Le 25 avril, un journaliste publie un article satyrique intitulé « L’exposition des impressionnistes », en référence à Impression, soleil levant de Monet et à d’autres oeuvres, également moquées. Quatre jours après, sous la plume du critique Castagnary, le terme « impressionniste » est utilisé pour la première fois de manière positive : « Ils sont impressionnistes en ce sens qu'ils rendent non le paysage, mais Ia sensation produite par le paysage. »
20 juin : fermeture du Salon qui a accueilli près de 300 000 visiteurs. 168 oeuvres ont été achetées par l’Etat. Un quart des participants à l’exposition impressionniste y ont également exposé (comme Giuseppe De Nittis, Stanislas Lépine ou Zacharie Astruc).
17 décembre : face aux mauvais résultats financiers de leur exposition, les membres de la Société anonyme doivent la mettre en liquidation.
1875
Première vente « impressionniste » à l’hôtel Drouot, organisée par Monet, Renoir, Alfred et Morisot. C’est un échec : pour la grande majorité des oeuvres, les prix « au marteau » n’excèdent pas 250 francs.
1876
1er Avril- 30 avril : deuxième exposition du groupe à la galerie Durand-Ruel, 11 rue Le Peletier (louée pour l’occasion). Nouveau venu, Gustave Caillebotte en devient l’un des membres les plus actifs.
Edmond Duranty, romancier et ami de Degas, publie La Nouvelle Peinture, qui place l’impératif de la vie moderne et de la lumière au coeur des préceptes esthétiques des exposants.
1877
4 avril, 30 avril : troisième exposition dans un appartement loué au 6 rue Le Peletier à Paris. Pour la première et unique fois, les artistes la nomment eux-mêmes « exposition impressionniste », et publient une revue qui reprend ce terme : L’Impressionniste : journal d’art. Quatre numéros paraîtront.
1879-1886
Cinq autres expositions impressionnistes auront lieu : l’organisation, les lieux et les membres seront à chaque fois différents. Du groupe initial de 1874, seuls Pissarro, Morisot (sauf en 1879) et Degas (sauf en 1882) y participeront. Ils seront rejoints par Marie Bracquemond et Mary Cassatt (qui en 1874 exposaient au Salon), ainsi que par Paul Gauguin, Georges Seurat, Paul Signac et Odilon Redon. »


Du 26 mars au 14 juillet 2024
Esplanade Valéry Giscard d’Estaing 75007 Paris
Niveau 0, Grand espace d’exposition
Tél. : 01 40 49 48 14
Ouvert tous les jours sauf le lundi de 9h30 à 18h.
Nocturne les jeudis jusqu’à 21h45.
Gratuit tous les premiers dimanches du mois.
Visuels :
Affiche
Claude Monet, Impression, soleil levant, 1872,
huile sur toile, Paris, musée Marmottan Monet, don Eugène et Victorine Donop de Monchy, 1940. Inv. 4014.
© Musée Marmottan Monet / Studio Christian Baraja SLB.

Berthe Morisot (1841-1895)
La Lecture
1873
Huile sur toile
46 x 71,8 cm
Cleveland, The Cleveland Museum of Art, Gift of the Hanna Fund
© Image Courtesy of the Cleveland Museum of Art

© Excurio – GEDEON Experiences –
musée d’Orsay, Paris.

Félix Nadar (1820-1910)
Façade de l’atelier de Nadar, 35, boulevard des Capucines à Paris
Vers 1861
Épreuve sur papier albuminé d’après négatif sur plaque de verre au collodion
24,4 x 19,1 cm
Paris, Bibliothèque nationale de France, département des estampes et de la photographie,
EO-15(1)-FOL
Bibliothèque nationale de France

Edgar Degas (1834–1917)
Classe de danse
Vers 1870
Huile sur bois
19,7 x 27 cm
New-York, The Metropolitan Museum of Art, H. O.
Havemeyer Collection, Bequest of Mrs. H. O.
Havemeyer, 1929
Image Courtesy of the Metropolitan Museum of Art

Camille Pissarro (1830-1903)
Le Jardin de la ville, Pontoise
1874
Huile sur toile
60 x 73 cm
New-York, The Metropolitan Museum of Art, Gift of Mr. and Mrs. Arthur Murray, 1964
Image Courtesy of the Metropolitan Museum of Art


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