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mardi 12 mai 2020

Juger Eichmann, Jérusalem, 1961

. Adolf Eichmann (1906-1962) est un criminel de guerre allemand, membre du parti nazi et officier SS Obersturmbannführer. Il est responsable de la logistique - identification et déportation des Juifs visés par la Shoah (Holocaust) vers les camps d'extermination - de la « solution finale » (Endlösung). Après la Deuxième Guerre mondiale, il échappe aux tribunaux des Alliés. Le 11 mai 1960, les services secrets israéliens (Mossad) l'ont capturé à Buenos Aires (Argentine) où il vivait depuis dix ans sous le nom de Ricardo KlementL’exposition Juger Eichmann, Jérusalem, 1961 rassemblait photos, films, lettres, tapuscrits de discours, etc. sur le procès d’Adolph Eichmann (1906-1962) à Jérusalem (Israël) en 1961. Ce responsable allemand nazi était poursuivi notamment pour crimes envers le peuple Juif, en particulier en Hongrie, et crimes contre l’humanité. Il a été condamné à mort et exécuté. Un événement majeur dans l’histoire de l’Etat Juif et dans l’histoire mondiale. Un livre dense et un DVD accompagnaient cette exposition intéressante. 

« Nuremberg le procès des Nazis » de Paul Bradshaw et Nigel Paterson
« Le procès du siècle. Les chroniqueurs célèbres de Nuremberg » de Peter Hartl


23 mai 1960. Le Premier ministre israélien, David Ben Gourion, révèle à la tribune de la Knesset, parlement israélien : « Les forces de sécurité israéliennes ont découvert très récemment l'un des plus grands criminels de guerre nazis, Adolf Eichmann, l'homme qui a inventé et réalisé la solution définitive à la question juive, c'est à dire l'extermination de six millions de Juifs européens. Adolf Eichmann sera bientôt jugé en Israël, selon la juridiction prévue à l'encontre des nazis et de leurs collaborateurs ».

Stupéfaction et émotions en Israël et dans le reste du monde en apprenant la détention en Israël d’un criminel nazi au rôle méconnu par beaucoup. Devant le Conseil de sécurité de l’ONU (Organisation des Nations unies), Golda Meir, ministre israélienne des Affaires étrangères, justifie cet enlèvement.

Après le Mémorial de la Shoah, le Centre de la mémoire d’Oradour-sur-Glane, village martyr a présenté l'exposition Juger Eichmann, Jérusalem, 1961.

Adolf Eichmann
Adolf Eichmann est né à Solingen (Rhénanie), le 19 mars 1906.

Il a vécu en Autriche dès 1913.

Il quitte l’école à 16 ans.

En avril 1932, il adhère au parti nazi autrichien.

En 1934, il « est affecté au siège du SD, à Berlin, et rejoint, en 1935, le Bureau des affaires juives, une ascension rapide qui montre une osmose précoce avec les valeurs du noyau central de l’appareil nazi. Il se concentre alors sur la connaissance du judaïsme ».

En 1937, il « entre en contact avec des représentants de l’Agence juive » pour envisager une émigration des Juifs allemands et séjourne brièvement en Palestine mandataire et en Égypte.

Après l’annexion de l’Autriche (Anschluss) par le IIIe Reich (12 mars 1938), il « organise l’expulsion de 50 000 personnes, une opération qu’il réitère à Prague, en avril 1939. Son efficacité font de lui le spécialiste de l’émigration forcée ».

En septembre 1939, après le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale, l’option de l’émigration des Juifs « est abandonnée au profit de la déportation vers l’Est ».

En octobre 1939, Eichmann dirige le Service central de l’émigration du IIIe Reich qui devient en février 1940 une section de la Gestapo (Amt IV B4), elle-même intégrée dans le nouvel Office central de sécurité du Reich (RSHA), commandé par Heydrich sous la tutelle de Himmler.

Après l’invasion de l’URSS (22 juin 1941) par le IIIe Reich (opération Barbarossa, Unternehmen Barbarossa) et le début de l’extermination par fusillades massives des Juifs soviétiques, en juillet 1941, Eichmann participe à la planification du génocide.

Le 20 janvier 1942, il « organise la conférence de Wannsee, réunion interministérielle sur les modalités de la mise en œuvre de la Solution finale, dont il rédige le procès-verbal ».

Au premier semestre 1942, il se rend en France, en Belgique, aux Pays-Bas, en Slovaquie, en Italie, au Danemark, pour y initier le processus des déportations.

De 1942 à 1944, Eichmann devient ainsi « l’administrateur en chef du plus grand génocide de l’histoire » (David Cesarani).

De « mars à décembre 1944, Eichmann joue un rôle déterminant dans l’extermination des Juifs de Hongrie : près de 400 000 personnes déportées, dont 275 000 assassinées, essentiellement à Auschwitz ».

En « avril 1944, Eichmann est à nouveau contacté par une  organisation sioniste hongroise qui tente de négocier la livraison de matériel à l’Allemagne, via l’Agence juive et les Alliés, contre la possibilité de laisser émigrer les Juifs hongrois en Palestine mandataire. La négociation échoue mais un convoi de 1 600 personnes – le « train Kastner » – parvient à rejoindre la Suisse ».

En avril 1945, Eichmann fuit en Autriche.

Il est arrêté. Il s’évade le 5 février 1946, « sans avoir été identifié et alors que son nom a été cité au procès de Nuremberg ».


En juillet 1950, bénéficiant de réseaux anticommunistes et catholiques, il arrive sous l’identité de Ricardo Klement, en Argentine où sa femme Véra et leurs trois enfants le rejoignent.


Eichmann y mène une vie modeste, rencontrant d’anciens nazis comme Joseph Mengele, et a un quatrième fils.

En 1957, grâce au procureur juif allemand de l'Etat de Hesse, alors en République fédérale allemande (RFA) Fritz Bauer, les services de renseignements israéliens sont informés qu'Eichmann "se cache en Argentine sous le nom de Ricardo Klement".

L’enlèvement et le procès d’Eichmann « vont faire de lui un personnage de premier plan, un rôle qu’il endosse avec ardeur ».

Le report de l’enlèvement d’Eichmann
Les Israéliens savent dès 1950 qu’Eichmann venait d’arriver en Argentine.


Le 11 mai 1960, un commando du Mossad – Rafi Eitan, chef, Zvi Aharoni, Zeev Keren et Peter Zvi Malkin sous la supervision d’Isser Harel - enlève Eichmann dans des conditions rocambolesques.

Pourquoi ce délai ? Après 1945, la priorité pour le Yichouv a porté sur le rétablissement d’un Etat Juif sur sa terre ancestrale et biblique (Erets Israël), sur sa défense et sa construction – arrivée des survivants de la Shoah (Holocaust), des réfugiés contraints de fuir les pays arabes, la Turquie et l’Iran - contre ses ennemis Arabes acharnés à le détruire dès son indépendance.

Après la Guerre de Suez (1956) « qui a tourné à l’avantage des adversaires », Ben Gourion prend la décision en 1959 de donner le feu vert à l’opération menant à la capture du dénommé Ricardo Klement, alias Adolf Eichmann.

Autres raisons avancées par l’historien Henry Rousso : « Refonder une unité nationale déjà en question et affermir la légitimité du parti travailliste au pouvoir (le Mapai) ».

Le 22 août 2011, le Spiegel révélait que, peu après le kidnapping d’Eichmann, des responsables de l’Eglise protestante en Allemagne et en Autriche ont décrit en termes élogieux Eichmann auprès du gouvernement de la RFA (République fédérale d’Allemagne). La famille d’Eichmann avait sensibilisé notamment Wilhelm Mensing-Braun, superintendant de l’Eglise protestante d’une région autrichienne, car elle voulait un procès devant une cour internationale, et non israélienne. Cette idée d’un tribunal international est défendue alors par Nahum Goldman, président du Congrès Juif mondial (CJM).

Un « procès exceptionnel et fondateur »
Eichmann est interrogé dans sa prison israélienne par Avner Less, officier de police d’origine allemande qui a participé à l’enquête préliminaire.


Le procès d’Eichman s’est tenu à Jérusalem pendant huit mois, du 11 avril au 15 décembre 1961. Le tribunal est présidé par Moshe Landau assisté de deux magistrats, Benjamin Halevi et Yitzhak Raveh. L’acte d’accusation est établi par Gideon Hausner. Eichmann est enfermé dans une cage en verre.

Le procès en appel s’est déroulé en mars 1962.


Eichmann, une exécution en question est un documentaire réalisé par Florence Jammot évoque les questions soulevées par ce procès. "Le 29 mai 1962, un groupe d’intellectuels de l’Université Hébraïque de Jérusalem, dont les philosophes Hugo Bergman, Martin Buber et Gershom Scholem, refuse un épilogue au procès Eichmann qui lui apparaît inapproprié et envoie une pétition au président Itzhak Ben Zvi pour demander que la sentence de mort soit commuée. Historiens, philosophes et témoins israéliens racontent les faits, interrogent les arguments des philosophes et reviennent sur un débat qui, central à l’époque, reste d’actualité et requiert une nouvelle convocation". 


"Sans même parler du rôle ambigu de Hannah Arendt dans cette affaire ni de la réaction courroucée de Scholem à son encontre, il faut surtout signaler la démarche hautement étonnante de Martin Buber (voir mon récent ouvrage, Martin Buber, Agora, 2014) qui demanda audience au premier ministre Ben Gourion. L'entretien eut lieu mais Ben Gourion ne fut pas convaincu. Toutefois, il eut la noblesse morale de procéder à un tour de table lors d'un conseil des ministres. La majorité rejeta la commutation de la peine capitale en peine d'emprisonnement à vie. Le groupe d'intellectuels intervenus en faveur de la clémence ne parlait pas d'une seule voix ; alors que Buber optait jusqu'au bout pour une état binational, Scholem s'était éloigné de cette solution initiale. Buber y tint jusqu'à la fin de ses jours. C'est toute une optique où la non exécution d'un grand criminel rejoignait la volonté de vivre en paix avec un environnement arabe local. L'avenir, qu'on nous permette de le dire, a donné tort à cette approche. Aujourd'hui, tout le monde considère qu'Israël est l'Etat-nation du peuple juif", écrit Maurice-Ruben Hayoun, spécialiste de la philosophie médiévale.

Le 11 décembre 1961, Eichmann est condamné à mort pour les chefs d'inculpation le visant, à l'issue d'un procès de huit mois.

Il interjette appel de sa condamnation qui est confirmée par la Cour le 28 mars 1962.


Il sollicite la grâce du Président de l'Etat Juif, qui la refuse le 31 mai 1962.


Des archives d'Etat rendues publiques le 1er juin 2015 ont révélé que Vera Eichmann s'est rendue le 30 avril 1962 auprès de son époux condamné à mort. Ces archives déclassifiées ont indiqué que "deux mois avant l’exécution d’Eichmann, sa femme a déposé une demande (par l’intermédiaire de son avocat) auprès du ministre de la Justice de l’époque, Yossef Dov, pour rencontrer son mari avant son exécution". Le gouvernement avait examiné cette question et avait agréé cette demande en considérant les difficultés à résister aux critiques de la communauté internationale en cas de refus. « Cela peut être fait à une condition expresse : elle viendra, elle sera autorisée à le voir, et elle quittera le pays. Cela pourrait prendre jusqu’à 24 heures, mais pas plus », avait déclaré Golda Meir, ministre des Affaires étrangères. Le député Yaacov Hazan avait insisté à l’époque pour que le gouvernement écourte la visite et rende impossible toute intimité – Vera a été accompagnée par des officiers du service pénitentiaire d’Israël pendant toute la durée de la visite – « dans le but de l’empêcher de passer le plus humainement dans l’autre monde ».Golda Meir lui répondit sèchement : « En outre, personne n’est intéressé par son passage dans l’autre monde alors qu’elle est dans le pays ». Vera Eichamnn a rencontré son époux pendant une heure et demie dans la salle des visites de la prison : le registre des visites mentionne qu'elle a pénétré dans la salle de visite à 12 h 20 et l'a quittée à 13 h 43. Deux gardiens et un responsable officiel ont assisté à cette réunion dont les médias israéliens avaient alors fait état.


Eichmann est pendu le le 31 mai 1962, peu avant minuit.


Eichmann est le second condamné à mort exécuté en Israël à ce jour, après Meir Tobiansky en 1948. Craignant une vengeance de Juifs ashkénazes survivants de la Shoah, les autorités israéliennes choisissent des gardiens de prison sépharades ne parlant ni l’allemand ni le judéo-espagnol.


Le gouvernement israélien a voulu et organisé ce procès pour « consolider l’identité nationale et afficher à la face du monde que le jeune État était seul habilité à défendre les intérêts et le souvenir des Juifs morts ou vivants du monde entier ».

Ce procès est la « première confrontation directe, à la fois physique et symbolique, entre l’un des responsables de l’extermination et le nouvel État juif, un face-à-face lourd de signification et pourtant quelque peu inattendu ».

Il est le « premier procès à se concentrer sur la « Solution finale » en tant que telle. Il juge un criminel de guerre nazi répondant seul de ses actes, devant un tribunal civil et non militaire comme Nuremberg. Il s’ouvre tardivement après les faits alors que beaucoup souhaitent tourner la page du passé nazi, en particulier en Allemagne fédérale, pays qui a signé en 1952 un accord de réparation avec Israël – les autorités israéliennes évitent d’ailleurs d’embarrasser le Chancelier Adenauer, critiqué pour tolérer la présence d’anciens nazis dans les institutions fédérales ».


Premier procès intégralement filmé. Deuxième grand procès après Nuremberg à avoir autorisé la présence des caméras dans le prétoire. Les Israéliens écoutent attentivement à la radio la retransmission en direct du procès. L’exposition montre de longs extraits du filmage par Leo Hurwitz, précurseur dans son domaine, dont le Mémorial de la Shoah a acheté une copie intégrale, que le public peut consulter pour la première fois en Europe. Né dans une famille Juive d’origine russe en 1909, Leo Hurwitz est un réalisateur engagé de cinéma et de télévision, recruté par Milton Fruchtman qui dirige la Capitol Cities Broadcasting Corporation, société américaine ayant signé avec le gouvernement israélien le 8 novembre 1960 pour filmer l’intégralité du procès. Leo Hurwitz a réalisé The Museum and the Fury (1956) à la demande du musée d’Auschwitz en y intégrant des images du procès de Nuremberg. Ce professeur de cinéma meurt en 1991.

Langues d’expression des juges, avocats, témoins, des 500 journalistes et écrivains - dont Joseph Kessel, Yves Courrière, Frédéric Pottecher, Haïm Gouri, Harry Mulisch -, des juristes – dont Telford Taylor, Robert Badinter - et d’Eichmann : l’hébreu, le yiddish, l’allemand, le hongrois, l’anglais, le polonais, le français.


Les droits de la défense - Me Robert Servatius, avocat allemand, et Me Dieter Wechtenbruch âgé de 30 ans - sont respectés - des avocats peuvent plaider en Israël (Lex Servatius) – dans ce procès sans partie civile : l’Etat d’Israël poursuit Eichmann.

La justice israélienne innove « dans ses pratiques, dans ses lieux, dans ses procédures ». Au procès de Nuremberg, « on a contesté aux vainqueurs le droit de juger les vaincus. Au procès de Jérusalem, on conteste aux victimes le droit de juger les assassins, d’où la nécessité d’un procès irréprochable ».

Souveraineté et dignité nationale
Le procès de Jérusalem se fonde sur une loi de 1950 sanctionnant les nazis et les collaborateurs. Elle punit de mort ces crimes imprescriptibles : « crimes contre le peuple juif », « crimes contre l’humanité », et les « crimes de guerre ». C’est « une loi rétroactive, s’appliquant à des faits commis hors du territoire, autorisant la poursuite de faits déjà jugés auparavant. Le choix d’un procès national, investi d’une mission nationale, marque le refus d’un procès international à vocation universaliste ».

Le débat, politique, philosophique et juridique « qui éclate alors constitue un tournant dans l’histoire de la mémoire de la Shoah : il montre la difficulté de tenir compte à la fois de la singularité historique de ce crime qui a visé exclusivement les Juifs, et d’affirmer en même temps sa portée universelle. Le procès s’inscrit aussi dans une continuité avec la situation de l’après-guerre en Europe ».

Ben Gourion voulait « un Nuremberg du peuple juif ». Rappellent ce procès mené par les Alliés : les incriminations, les documents et témoignages utilisés (dont ceux du Centre de documentation juive contemporaine de Paris), la présence de certains protagonistes.

Appliquée pour la première fois à un criminel nazi et non à un « collaborateur » Juif, la loi de 1950 « équivaut, dans un contexte particulier, aux actions judiciaires menées après 1945 dans tous les pays anciennement occupés par l’Allemagne nazie... Les procès d’épuration furent souvent l’occasion de réaffirmer une identité nationale altérée par la guerre et la collaboration, comme en France où l’épuration se fit en grande partie au nom d’une dignité nationale bafouée. Avec quelques années de retard, Israël s’engage dans une même voie, cherchant à montrer qu’il est un peuple comme les autres parmi ceux qui ont été victimes du IIIe Reich. Punir lui-même l’un des meurtriers des Juifs européens, c’est donc renforcer les fondements de son existence ». Cela revêt aussi une signification particulière. Le choix de la justice, et non de la vengeance.

Qu’entend-on par « Juifs européens » ? Les historiens ne peuvent-ils préciser qu’il s’agit non seulement des Juifs vivant sur le sol du continent européen, mais aussi ceux présents dans les départements, protectorats ou colonies des pays européens (France, Italie, etc.) : par exemples, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie ? Car la « Solution finale » visait tous les Juifs du monde, où qu’ils se trouvent, notamment ceux du Yichouv dans la Palestine mandataire. Et elle a suscité l'enthousiasme et l'adhésion de nombre d'Arabes ou/et de musulmans.

Eichmann à son procès
« Je fus convoqué par Heydrich qui me dit : « Le Führer a donné l’ordre « d’exterminer physiquement tous les Juifs ». Ensuite, il m’ordonna de me rendre à Lublin », déclare Eichmann à son procès.


Hannah Arendt n’a pas assisté à tout le procès d’Eichmann. Son « portrait philosophique » d’Eichmann dans Eichmann à Jérusalem (1963), livre qui a suscité une polémique, marque la postérité. « Souvent mal compris, mêlant observations empiriques et réflexion théorique, l’ouvrage a focalisé l’attention sur le fait que le plus grand crime de masse de l’histoire aurait revêtu à Jérusalem le visage d’un homme ordinaire, celui de la « banalité ».

Arendt insiste aussi sur la nouveauté du système politique criminel dans lequel Eichmann s’est formé.


Or, Eichmann « a été bien plus qu’un simple fonctionnaire zélé. Il a mené une carrière rapide et exercé des responsabilités importantes au sein du dispositif génocidaire. Il a été un homme de terrain et non un simple bureaucrate ». Son engagement dans le nazisme a été total.

Ensuite, Eichmann est « l’un des nazis de haut rang qui s’est le plus exprimé après-guerre, laissant des milliers de pages de mémoires, d’entretiens, de notes avant le procès, et presque autant durant sa captivité ».

Enfin – et « c’est un exemple atypique parmi les nazis déférés devant un tribunal –, Eichmann a activement, presque frénétiquement participé à son propre procès, répondant volontiers aux questions de la cour, discutant les documents présentés à charge, prenant des notes lors des dépositions de témoins – documents pour la première fois montrés au public dans l’exposition ».

La prise de parole des victimes
Ont été auditionnés « plus d’une centaine de témoins, presque tous des survivants, tous Juifs sauf deux, presque tous s’exprimant pour la première fois – liste à laquelle il faut ajouter les témoins de la défense, pour la plupart d’anciens responsables nazis, dont les dépositions furent recueillies par écrit en Allemagne ».

Pendant des heures, ces témoins parlent tout en craignant de « ne pas trouver les mots, de n’être pas crus, d’informer leurs proches alors dans l’ignorance de ce qu’ils ont traversé ».

Cette « prise de parole du « témoin moral », celui qui parle autant au nom des morts qu’en son nom propre, constitue l’un trait de la postérité des guerres du XXe siècle. Elle est apparue avec la Première Guerre mondiale, première expérience de violence de masse ayant suscité une vague de témoignages spontanés, venus de tous les milieux. Elle s’est exprimée pour la première fois dans le cadre d’une enceinte judiciaire à Nuremberg ».

Au procès d’Eichmann, le témoin bénéficie d’une « place centrale et inhabituelle. Les survivants y ravivent les souvenirs d’un passé déjà estompé pour leurs contemporains – à tel point qu’on sollicite parmi eux » un historien, l’Américain Salo Baron, « pour rappeler ce que fut le judaïsme européen d’avant 1939 –, affrontant des générations peu préparées à les comprendre ou simplement à les entendre, contraints de revivre leurs souffrances, souvent avec une intensité que le temps n’a pas atténuée ».

La société israélienne est bouleversée par ces témoignages. L’image du pays en est modifiée.

A la « représentation fondatrice d’un judaïsme héroïque et combattant », s’oppose « la réalité massive, sans doute inassimilable de l’extermination de près de six millions de civils Juifs qui n’avaient aucune vocation à devenir les martyrs d’une cause passée, présente ou future ».

Ben Gourion et le procureur Hausner « perçoivent le problème, d’où la présence à la barre d’anciens résistants : rescapés de la révolte du ghetto de Varsovie » – Yisrael Gutman, ancien membre du Hashomer Hatza’ir – « ou des organisations juives de combat. Ils n’ont pas de rapport direct avec Eichmann, mais ils sont là pour faire précisément le lien entre ces deux images du peuple Juif, entre ces deux mondes, celui des victimes, celui des héros ». Et montrer des Juifs maitres de leur destin et combattants en pleine tragédie. Contre cette image du Juif mené passivement à la mort. Le procureur Hausner interroge Moshe Beiski, magistrat à Cracovie et déporté dans le camp de Prokocim : « 15 000 personnes se tenaient là face à une centaine de gardes. Pourquoi ne les avez-vous pas attaqués ? Pourquoi ne vous êtes-vous pas révoltés ? » Moshe Beiski répond en invoquant cette peur indescriptible 18 ans après, cette « terreur épouvantable » : « On était là, nez-à-nez avec des mitrailleuses, et le simple fait d’assister à la pendaison d’un jeune homme, d’entendre ses cris, vous ôte toute faculté de réaction. Il y a autre chose : on croyait encore que la guerre finirait un jour. Alors mettre en danger 15 000 personnes !… Nous, les Juifs, où pouvions-nous aller ? »

Dès 1961, on « pressent que les souvenirs de la Shoah peuvent faire l’objet des usages les plus bénéfiques comme des plus discutables ».

Le procès et après...
Ce procès a suscité des polémiques, dont certaines ont perduré.

Ces débats ont concerné « les conditions de la capture, sur la légitimité d’un État n’existant pas au moment des faits à juger les crimes commis contre les Juifs européens, sur l’opportunité d’un procès national plutôt qu’international, sur la nature de l’accusation, sur l’application de la peine de mort, l’histoire de la « Solution finale » dont le procès propose un récit cohérent mais dans une perspective marquée par une logique politique et judiciaire ».


Le procureur général, Gideon Hausner, « en liaison constante avec Ben Gourion, veut en effet prouver qu’Eichmann a été l’« architecte du génocide », ce qui permettrait de faire le procès de la « solution finale » dans son ensemble, alors qu’Eichmann n’a été directement impliqué que dans certaines de ses étapes ».

Certains s’interrogent sur le « rôle joué dans les années récentes par la mémoire de la Shoah dans la politique intérieure et extérieure d’Israël », écrit l’historien Henry Rousso, auteur du catalogue passionnant de cette exposition dense.

Et d’ajouter : « La Shoah ne s’est constituée en lieu de mémoire national qu’à compter de 1961... Le procès Eichmann est un événement fondateur, dont l’impact a parfois été un peu oublié avec l’émergence, dans les années 1970-1980, dix à vingt ans plus tard, d’une prise de conscience à l’échelle européenne puis internationale de l’ampleur des crimes nazis, et tout particulièrement de la « Solution finale ». C’est bien après le procès de Jérusalem que la mémoire de la Shoah, et même la mémoire tout court, sont devenues des valeurs cardinales de notre époque. C’est bien après que les sociétés occidentales ont admis le caractère sans précédent du génocide perpétré par les nazis, qu’elles ont affronté tout à la fois un nouvel impératif du souvenir, un besoin de reconnaissance des victimes et de leurs descendants, une obligation de réparation morale, politique, financière, judiciaire, près d’un demi-siècle après les faits – situation elle aussi sans précédent. Le 50e anniversaire de ce procès, ouvert le 11 avril 1961, offre cependant l’occasion de revenir sur cette étape essentielle dans l’émergence à la fois d’une mémoire publique et partagée de la Shoah, et dans l’apparition de nouvelles formes de justice allant bien au-delà de la répression des grands criminels ».

Le 27 juin 2013, la justice allemande a refusé l'ouverture des archives concernant la fuite d'Eichmann.

Israel Gutman (1923-2013) est décédé le 1er octobre 2013. Né à Varsovie, membre du Jewish Underground du ghetto de Varsovie - sa sœur cadette travaillait dans l'orphelinat de Janusz Korczak -, Israel Gutman est blessé lors du soulèvement du ghetto. Il est déporté à Majdanek puis à Auschwitz, Israel Gutman participe en mai 1945 à la marche de la mort vers Mauthausen. Après guerre, il est hospitalisé en Autriche, qu'il fuit pour rejoindre la Brigade Juive en Italie. Il aide à soigner les Juifs survivants, s'active dans le mouvement Bericha et fait son aliyah en 1946. Il s'installe au kibboutz Lehavot Habashan où il vit pendant 25 ans. En 1961, il témoigne au procès d'Eichmann. En 1975, il reçoit son PhD de l'université hébraïque de Jérusalem pour sa thèse Le Mouvement de Résistance et le soulèvement armé des Juifs de Varsovie dans le contexte de la vie dans le ghetto 1939-1943. Ce professeur primé dirige le Département d'étude sur les communautés juives contemporaines, réalise une Encyclopédie de la Shoah, assure la rédaction en chef du journal Yalkut Moreshet, devient l'historien-chef de Yad Vashem (1996-2000), chef de l'Institut international de recherche sur l'Holocauste, vice-président du Conseil international d'Auschwitz, conseille le gouvernement polonais sur les questions juives, le judaïsme et la commémoration de la Shoah.Cet article est republié car Israel Gutman (1923-2013) vient de décéder. Né à Varsovie, membre du Jewish Underground du ghetto de Varsovie - sa sœur cadette travaillait dans l'orphelinat de Janusz Korczak -, Israel Gutman est blessé lors du soulèvement du ghetto. Il est déporté à Majdanek puis à Auschwitz, Israel Gutman participe en mai 1945 à la marche de la mort vers Mauthausen. Après guerre, il est hospitalisé en Autriche, qu'il fuit pour rejoindre la Brigade Juive en Italie. Il aide à soigner les Juifs survivants, s'active dans le mouvement Bericha et fait son aliyah en 1946. Il s'installe au kibboutz Lehavot Habashan où il vit pendant 25 ans. En 1961, il témoigne au procès d'Eichmann. En 1975, il reçoit son PhD de l'université hébraïque de Jérusalem pour sa thèse Le Mouvement de Résistance et le soulèvement armé des Juifs de Varsovie dans le contexte de la vie dans le ghetto 1939-1943. Ce professeur primé dirige le Département d'étude sur les communautés juives contemporaines, réalise une Encyclopédie de la Shoah, assure la rédaction en chef du journal Yalkut Moreshet, devient l'historien-chef de Yad Vashem (1996-2000), chef de l'Institut international de recherche sur l'Holocauste, vice-président du Conseil international d'Auschwitz, conseille le gouvernement polonais sur les questions juives, le judaïsme et la commémoration de la Shoah.


Evénements

Le London Jewish Cultural Centre a présenté l'exposition The Eichmann Trial & Its Impact (15 mai-19 juin 2014).


Le 25 novembre 2014, la maison de vente aux enchères Kedem a procédé à la vente de documents sur le procès d'Eichmann trouvés début 2014 dans une benne à ordures de Jérusalem. Ces archives appartenaient à Tzvi Terlo, décédé en 2010, avocat qui faisait partie de l'accusation lors de ce procès et conseiller juridique de l'armée israélienne après la guerre des Six-jours. 



Le 9 juin 2016 à 19 h 30, le Mémorial de la Shoah proposa la conférence Les Juifs d’Orient, Israël et la Shoah. Une rencontre à l’occasion de la parution de « Les Juifs d’Orient, Israël et la Shoah », de Hanna Yablonka, coéd. Calmann-Lévy/Mémorial de la Shoah, 2016. "En Israël, la Shoah donne lieu à des commémorations qui ne rassemblent au commencement que la communauté ashkénaze. Or, au cours des 25 premières années de l’État, arrivent en Israël près de 800 000 Juifs venus des pays arabes, qui ont d’emblée le sentiment d’être écartés de cette histoire. Ce qui va en faire une mémoire israélienne, c’est la prise de conscience d’une fracture ethnique du pays, et le choc du procès Eichmann". En présence de Hanna Yablonka, historienne, université Ben Gourion du Néguev, et de Denis Charbit, professeur de science politique, Université ouverte d’Israël. Animation de Georges Bensoussan, responsable éditorial, Mémorial de la Shoah.

 "Operation Finale: The Capture & Trial of Adolf Eichmann"

Après le Maltz Museum of Jewish Heritage (19 février-24 juillet 2016), le Museum of Jewish Heritage présenta l'exposition Operation Finale: The Capture & Trial of Adolf Eichmann (16 juillet 2017-14 janvier 2018). "The head of the Nazis’ homicidal “Jewish Department” who zealously managed the transport of millions of innocent people to death camps disappeared after World War II. Photographs, film and recently declassified espionage artifacts never before seen outside of Israel reveal the dramatic secret history behind the pursuit, capture, extradition and 1961 trial of a principal perpetrator of The Final Solution. This world premiere exhibition is a co-production of The Mossad – Israeli Secret Intelligence Service; Beit Hatfutsot – The Museum of the Jewish People, Tel Aviv, Israel; and the Maltz Museum of Jewish Heritage".


"The Nazi responsible for the transport of millions of innocent people to death camps might well have lived out his days in Argentina as “Ricardo Klement” if fate, a Holocaust survivor and Israel’s foreign intelligence service hadn’t intervened. A multimedia exhibition produced by the Maltz Museum of Jewish Heritage in collaboration with The Mossad – Israeli Secret Intelligence Service and Beit Hatfutsot – The Museum of the Jewish People, Tel Aviv, featuring recently declassified artifacts never before seen outside of Israel reveals the secret history behind the capture, extradition and trial of one of the world’s most notorious escaped war criminals".

“This is the first time the Mossad has allowed archival materials related to one of its clandestine operations to leave Israel,” asserts Maltz Museum Executive Director Ellen Rudolph. “We’ve been working with our international partners for more than two years to assemble this new exhibition and we’re thrilled to debut it here before traveling it to museums across the country.”


‘Operation Finale’ references the code name given to the Mossad’s effort to capture and abduct Eichmann. “The exhibition offers an unprecedented opportunity to see impressive pre-digital-era espionage with all of its accompanying maps, printed case files, hand-forged documents and even a pair of goggles used to obscure Eichmann’s vision during the abduction,” says former agent and espionage expert Avner Avraham, who curated the materials for the Mossad in Israel. With 60 original artifacts and 70 photographs, the 4,000-square-foot exhibition details exactly how agents located a perpetrator of “The Final Solution” hiding in South America and smuggled him to Israel to stand trial for crimes against the Jewish people. “The entire dramatic story is told, including never-before-revealed details of a ‘Plan B’ backup escape strategy devised in case the initial scheme failed,” explains Avraham".


"Short films within Operation Finale allow exhibition-goers to hear directly from the abduction team that caught the SS lieutenant colonel and the legal team that prosecuted him. An immersive video installation housing the iconic bulletproof glass booth from which a dispassionate Eichmann testified drops visitors right into the historic 1961 trial.  “Although it was more than 15 years after the end of World War II, this was the first time many survivors publicly shared their stories,” says Beit Hatfutsot Chief Curator Dr. Orit Shaham Gover. “These moving accounts of pain, suffering, courage and survival were broadcast across the globe, providing a deeper, more complete understanding of the Holocaust that became not only a living part of Jewish identity, but of the world’s conscience.”


Operation Finale "illustrates the enormity of the crimes committed during the Nazi regime and explores issues of justice and accountability. A high school dropout who lost his job as salesmen during the Depression in 1933, Eichmann rose to prominence in the Nazi party by zealously applying his logistical skills to the efficient execution of state-sponsored genocide. He never expressed remorse. “I was not a responsible leader, and as such do not feel myself guilty,” he wrote, asking for clemency".


“Eleven million people, including six million Jews, were systematically murdered when their neighbors and countrymen—perhaps motivated by fear or a desire to get ahead—accepted a worldview that required them to suppress their humanity,” says Rudolph. “The exhibition drives home the need to remain firm in our moral convictions and ever vigilant against indifference and intolerance in the world.”


As survivor and longtime Maltz Museum volunteer Erika Gold states in an Operation Finale film, “We must talk about the Holocaust so it will never happen again.”


"The Eichmann Show"

Le 12 décembre 2016, à 20 h 55, Numéro 23 diffusa Eichmann : un procès pour l'Histoire (The Eichmann Show, 2015), de Paul Andrew Williams, avec Martin Freeman, Anthony LaPaglia, Rebecca Front. "Milton Fruchtman et Leo Hurwitz ont créé l’un des premiers événements télévisés mondiaux en retransmettant le procès Eichmann, depuis Jerusalem, dans 37 pays et pendant 4 mois en 1961. Un événement extraordinaire de la télévision et de l’Histoire, le procès de l’architecte en chef nazi du plan d’extermination des juifs d’Europe pendant la seconde guerre mondiale. Cette retransmission inédite pour l’époque, permit à l’opinion publique de réaliser l’indicible et ce qui reste le pire crime contre l’humanité jamais perpétré".

Fritz Bauer

Les 4 septembre à 17 h 10, 6 septembre à 13 h 45 et 8 septembre 2017 à 15 h 15, Canal + Cinéma diffusa Fritz Bauer, un héros allemand, film de Lars Kraume (2015), avec Burghart Klaussner, Ronald Zehrfeld, Sebastian Blomberg, Matthias Weidenhöfer, Laura Tonke, Dani Levy, Cornelia Gröschel, Robert Atzorn, Michael Schenk. "Dans les années 50, Fritz Bauer, un intransigeant procureur général allemand d'une cinquantaine d'années, obtient des informations sur l'endroit où se cache Adolf Eichmann. Pour celui qui a voué sa vie à retrouver, extrader puis juger les criminels nazis réfugiés en Amérique du Sud, c'est une nouvelle capitale. Mais pour avancer dans son enquête, il doit faire face à une administration qui préfère reconstruire le pays plutôt que remuer le passé. Malgré plusieurs menaces de mort et d'importantes pressions politiques, il décide donc de faire appel au Mossad, les services secrets israéliens, pour l'aider à capturer l'ancien dignitaire nazi..."

"Le Corbeau blanc"


Dans le cadre du Festival d'Avignon off (5-28 juillet 2019), le Théâtre La Luna proposa du 5 au 28 juillet 2019, à 14 h 05, "Le Corbeau blanc" (The White Crow or Eichmann in Jerusalem), pièce en deux actes de Donald Freed. Première à Avignon. "Eté 1960. Adolf Eichmann est détenu à Jérusalem après son kidnapping en Argentine par le Mossad. À travers la confrontation entre l’ancien nazi et une psychologue israélienne, la pièce explore avec justesse les mécanismes qui ont abouti à la Shoah, tout en interrogeant notre capacité de résistance à la barbarie. La tension psychologique de ce face à face, qui rappelle parfois celle du film "Le silence des agneaux", révèle progressivement les étapes qui ont mené Eichmann à participer activement à cette logique de destruction. La pièce basée sur les archives du procès est aussi un prétexte pour sonder l’âme humaine et saisir comment s'opère la bascule vers la haine et l'antisémitisme."



Le Corbeau Blanc met "en jeu, de manière fulgurante - comme seules les aventures artistiques le permettent - la relation entre Adolf Eichmann, le bourreau nazi du 3ème Reich et Miriam Baum, psychologue israélienne, chargée de l’interroger dans sa cellule à l’occasion de son procès, à Jérusalem, en 1960. Comme un duel. Comme un duo. La face bicéphale d’une même tragédie, l’Holocauste. La tension, est, entre ces deux représentants du « bien et du mal », d’une acuité extrême. Violence des non-dits, tentation sulfureuse de l’ironie, silences éloquents qui disent le souvenir des maux les plus tragiques. Regards désolés de tristesse d’un côté, et rictus, emplis d’un fiel méphistophélique et enjôleur, de l’autre. Le dignitaire nazi est un Everest, apparemment imprenable. Éloquence, cynisme, manifestation brutale et soudaine d’une rage contenue. Et c’est comme s’il louvoyait en permanence. Le jeu du chat et de la souris. « Le Corbeau Blanc » est une page, à peine noircie, qui interroge, qui bouleverse. C’est une tentative de comprendre où se situe la frontière entre la haine et la bienveillance, un questionnement formidable sur notre rapport à l’autre, éclairage saisissant sur la relation au « mal ». C’est un texte passionnant qui met l’Homme au centre du ring de notre époque contemporaine. Comme une résonance de toutes les volontés d’extermination raciale, pour mieux révéler, en nous, la part irréductible d’une humanité qui doit encore et toujours se battre contre la haine et la terreur", a considéré le metteur en scène William Mesguich.


Et d'ajouter : « Le Corbeau Blanc » n’est pas juste un spectacle sur la Shoah, c’est avant tout un spectacle sur le parcours d’un homme qui décide à un moment donné d’obéir à des ordres alors qu'ils sont monstrueux. On observe partout une montée du National Populisme, un retour à l’antisémitisme et plus généralement à la discrimination, provoqués par la peur de l’autre et de la différence. L’élection de Jair Bolsonaro en est l’illustration parfaite. À travers son slogan « Le Brésil par dessus tout, et Dieu par dessus tous » on entend les mots d’Hitler « Deutschland über alles, God mit uns ». Le Corbeau Blanc est l'outil idéal pour aborder ces questions et amener les spectateurs à exercer leur esprit critique. » Le parallèle entre Jair Bolsonaro et Adolf Hitler s'avère infondé et choquant.

Extraits de la pièce

"Baum : Vous souvenez-vous des quelques personnes en Allemagne qui se sont élevées contre les lois raciales ?
Eichmann : Les « Corbeaux Blancs » ?
****
Baum : Aucun être humain n’a le droit de vous PARDONNER ...
Et aujourd’hui, il est nécessaire, qu’un homme accepte de regarder l’histoire en face ! 
Violez vos ordres, pour une fois, et vous sauverez vos fils et les miens.
Vous pouvez être Le Corbeau Blanc ! »
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Eichmann : Les experts. Ja, ça me connaît ! J’en étais un.
Plus tard, on les appelle des « criminels de guerre »
****
Eichmann : Je renifle le Eichmann en vous ...
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Eichmann : Je ne suis qu’un être humain. J’ai obéi aux ordres. Oui, obéi ! Vous préférez le chaos ?...
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Eichmann : Docteur, s’ils m’avaient dit, « Tuez votre père, c’est un traître » je l’aurais fait…
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Baum : je ne sais toujours pas comment ce petit snob et ces cannibales en tenues de soirée ont pu devenir des SS et des SA dignes des hommes de Neandertal ?
Eichmann : La peur !..."

LES CHEFS D'ACCUSATION 

Eichmann est jugé en vertu de 15 chefs d’accusation définis par la loi pénale de 1950 sur les nazis et les collaborateurs. Cette loi reprend certaines qualifications criminelles utilisées à Nuremberg :
- quatre visent des crimes envers le peuple Juif : les meurtres commis dans camps d’extermination, lors des exécutions massives, par le travail forcé, la constitution de ghettos, les déportations, les stérilisations forcées ;
- sept concernent des crimes contre l’humanité : ceux commis contre les populations civiles Juives des pays occupés, la persécution des Juifs pour raisons nationales, raciales, politiques et religieuses, leur spoliation à grande échelle ainsi que la déportation de civils, Polonais et Slovènes, de populations Tsiganes, ou encore l’assassinat des enfants du village de Lidice (rasé en juin 1942, en représailles à l’assassinat de Heydrich par la résistance tchécoslovaque) ;
- un crime de guerre qui reprend certains faits déjà mentionnés mais sous une autre qualification ;
- la participation à trois « organisations hostiles » (criminelles) : la SS, le SD (Service de sécurité) et la Gestapo.

CHRONOLOGIE

« 11 mai 1960 : Enlèvement d’Eichmann à Buenos Aires par une équipe du Mossad
22 mai 1960 : Arrivée d’Eichmann en Israël
23 mai 1960 : Annonce du premier ministre Ben Gourion d’un futur procès
29 mai 1960 : Début de l’interrogatoire par Avner Less
23 juin 1960 : Résolution du conseil de sécurité de l’ONU condamnant l’atteinte à la souveraineté de l’Argentine mais reconnaissant l’ampleur des crimes d’Eichmann
11 avril 1961 : Ouverture du procès, lecture de l’accusation, objections et réponses de parties
18 avril 1961 : Premiers témoignages et documents sur la Pologne, la Tchécoslovaquie, les ghettos
8 mai 1961 : La déportation des juifs d’Europe de l’Ouest (France, Belgique, Hollande, Danemark, Italie ; puis d’Allemagne proprement dite) et d’Europe centrale (Yougoslavie, Roumanie, Slovaquie)
24 mai 1961 : L’extermination des juifs de Hongrie, questions générales
29 juin 1961 : Interrogatoire d’Eichmann comme témoin par son avocat Me Servatius
11 juillet 1961 : Contre-interrogatoire d’Eichmann par le procureur Hausner
24 juillet 1961 : Témoignages pour la défense sous forme de déclarations écrites
8 août 1961 : Réquisitoire du procureur Hausner
14 août 1961 : Plaidoirie de Me Servatius
11 décembre 1961 : Audience de jugement
15 décembre 1961 : Eichmann, condamné à la peine de mort, fait appel
22 mars 1962 : Réunion de la Cour suprême formée en instance d’appel
28 mars 1962 : Jugement confirmé. Eichmann présente un recours en grâce auprès du chef de l’Etat
31 mai 1962 : Recours refusé. Eichmann est pendu vers minuit. Ses cendres sont dispersées en mer, au-delà des eaux territoriales israéliennes ».


Henry Rousso, Juger Eichmann, Jérusalem, 1931. 2011. 184 pages et DVD des films réalisés à partir de l’archive visuelle du procès (108 minutes). ISBN : 9782916966601. 39 euros

"Le Corbeau blanc" de Donald Freed (1 h 15)

Du 5 au 28 juillet 2019, à 14 h 05
Au Théâtre La Luna
1, rue Séverine. 84000 Avignon
Tél. : 04 90 86 96 28
Mise en scène : William Mesguich
Comédien(ne)(s) : Nadège Perrier, Hervé Van der Meulen ou comédiens en alternance
Avec le soutien de : La Spedidam, le Studio d'Asnières, OTO-IT, Fondation pour la Mémoire de la Shoah
Coproduction : Antisthène, Rêve Eclair, Zd Productions

Eichmann, une exécution en question par Florence Jammot 

Sur LCP les 9 et 15 avril 2015, 11 mars 2016 à 20 h 29 
Sur Histoire les 14 et 20 décembre 2018
Sur Toute l'Histoire les  1er et 7 juin 2018 

Du 15 juin 2012 au 30 avril 2013
87520 Oradour-sur-Glane
Tél. : 05 55 43 04


Du 16 juillet 2017 au 14 janvier 2018

Au Museum of Jewish Heritage 
Edmond J. Safra Plaza
36 Battery Place. New York, NY 10280
Tel. : 646.437.4202
Du dimanche au jeudi de 10 h à 18 h. Dimanche de 10 h à 15 h

Jusqu'au 24 juillet 2016

Au Maltz Museum of Jewish Heritage
2929 Richmond Road, Beachwood, Ohio 44122
Tél.:  216.593.0575
Mardi, jeudi, vendredi, samedi et dimanche de 11 h à 17 h. Mercredi de 11 h à 21 h

Jusqu’au 28 septembre 2011
17, rue Geoffroy-l’Asnier, 75004 Paris
Tél. : 01 42 77 44 72
Tous les jours sauf le samedi, de 10 h à 18 h, et le jeudi jusqu’à 22 h
Entrée libre

Visuels de haut en bas :
Lettre de reddition rédigée en Argentine par Adolf Eichmann à la demande des agents du Mossad. 1960. Fac simile produit dans les documents pour la presse par l'Agence gouvernementale de presse israélienne au moment du procès.
Coll. Mémorial de la Shoah/CDJC.

Adolf Eichmann (1906-1962), chef du département des Affaires juives (IV B4) de l’Office central de la sécurité du Reich (RSHA), c. 1943.
Coll. Mémorial de la Shoah/CDJC.
Document d'identité émis par la délégation italienne de la Croix-Rouge à Genève au nom de Ricardo Klement, utilisé par Adolf Eichmann pour entrer en Argentine. 1950. L'original de ce document (dont la sortie hors du territoire argentin est interdite), est conservé au Musée de la Shoah de Buenos Aires, Argentine.
Vue de la maison d'Adolf Eichmann dans la rue Garibaldi, Buenos Aires, Argentine. Photographies réalisée, à l'aide d'un appareil caché dans un sac, par Zvi Aharoni, agent du Mossad qui a retrouvé Eichmann en Argentine et participé à son enlèvement vers Israël.
Coll. Zvi Aharoni, Jérusalem, Israël.
Adolf Eichmann, les yeux bandés avant son départ vers Israël. Image réalisée par Zvi Aharoni, agent du Mossad qui a retrouvé Eichmann en Argentine et participé à son enlèvement vers Israël.
Coll. Zvi Aharoni, Jérusalem, Israël.

Vue du tribunal pendant le témoignage d'Ida Lichtman, 28 avril 1961.
Coll. Mémorial de la Shoah/CDJC.
Leo Hurwitz, vers 1960.
Coll. Tom Hurwitz, Rochester, Etats-Unis., Rochester, USA

Maître Robert Servatius (à droite), avocat d’Adolf Eichmann, et son assistant Dieter Wechtenbruch, conversant lors du procès. Jérusalem 1961.
Coll. Israel State Archives.

Adolf Eichmann durant les audiences du procès. Jérusalem, 1961.
Coll. Israel State Archives.

Procureur général Gideon Hausner et Robert Servatius, avocat d’Eichmann.
Coll. Israel State Archives.

Adolf Eichmann durant les audiences du procès. Jérusalem, 1961.
Coll. Israel State Archives.

Les citations et la chronologie proviennent du dossier de presse.

Articles sur ce blog concernant :
France
Cet article a été publié pour la première fois le 8 septembre 2011 et modifié le 25 juillet 2019.
Il a été republié :
- le 5 mai 2012 lors de l’exposition « With Me Are Six Million Accusers: The Eichmann Trial in Jerusalem » (« Nous sommes six millions d’accusateurs: le procès Eichmann à Jérusalem ») qui a débuté le 19 avril 2012 dans la galerie principale de l’entrée des visiteurs, au siège des Nations unies, à New York (Etats-Unis) ;
- le 1er juin 2012 à la mémoire de Tzvi Aharoni décédé le 26 mai 2012 et qui avait identifié Eichmann, et d'Yves Courrière, disparu le 29 mai 2012 et qui avait couvert le procès ;
- le 2 juillet 2012 à la mémoire de Yaakov Meridan. Alors agent du Mossad, il a participé à l'enlèvement d'Eichmann. Il est décédé à l'âge de 93 ans le 30 juin 2012 ;
- 16 septembre 2012, à l'approche de la diffusion du Procès d'Adolf Eichmann, documentaire (2010) de Michaël Prazan, les 16, 19, 23 et 25 septembre 2012 sur la chaine Planète ;
- le 3 mars 2013 à l'approche de la diffusion du documentaire de Tim Wolochatiuk (2010) de la série Traqueurs de nazis consacré à Adolf Eichmann, le 4 mars 2013 à 11 h 15 sur la chaine Planète ;
- 26 avril 2013 alors que sort sur les écrans français Hannah Arendt, réalisé par Margarethe von Trotta avec Barbara Sukowa ;
- 29 juin 2013 et 3 octobre 2013, 11 mai et 1er décembre 2014, 16 février et 8 avril 2015, 10 mars, 9 juin et 11 décembre 2016, 4 septembre 2017, 14 janvier et 13 décembre 2018, 26 juillet 2019.

1 commentaire:

  1. Merci pour cet article et le rappel, merci aussi pour les liens.
    Brigitte Dusch

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