Citations

« Le goût de la vérité n’empêche pas la prise de parti. » (Albert Camus)
« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du Soleil. » (René Char).
« Il faut commencer par le commencement, et le commencement de tout est le courage. » (Vladimir Jankélévitch)
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » (Albert Londres)
« Le plus difficile n'est pas de dire ce que l'on voit, mais d'accepter de voir ce que l'on voit. » (Charles Péguy)

mardi 18 février 2025

« Paquebots 1913–1942. Une esthétique transatlantique »

Au Musée d’arts de Nantes, puis au Musée d’art moderne André Malraux du Havre (5 avril-21 septembre 2025) l’exposition « Paquebots 1913–1942. Une esthétique transatlantique » explore « le rôle des nouveaux géants des mers des compagnies transatlantiques dans le développement d’une esthétique moderniste internationale. Coproduite par le Musée d’arts de Nantes et le Musée d’art moderne André Malraux-Le Havre, cette exposition évoque ainsi une nouvelle facette de la grande histoire transatlantique des ports de Nantes-Saint-Nazaire et du Havre ». Une histoire des techniques, des loisirs, de la mode, de la culture, avec ses aspects dramatiques, telle l'errance du Saint-Louis en 1939.

« OGM - Mensonges et vérités » de Frédéric Castaignède 

« Les années folles sont un âge d’or pour les paquebots, tout autant palaces flottants que machines modernes au profil fuselé, ils sont alors les seuls véritables traits d’union entre la vieille Europe et les États-Unis. Avec les différents Immigration acts (1917 et 1924) qui limitent l’exode vers les États-Unis, suivis par la Grande Dépression de 1929, les principales compagnies se tournent vers une clientèle de loisirs, y compris les intellectuels, écrivains et artistes en quête d’échanges avec l’autre continent. »

« Objet paradoxal, le paquebot a brièvement incarné un rêve de modernité transatlantique. Au sein de cet immeuble mouvant, machinerie de pointe dédiée à la vitesse et lieu de villégiature luxueuse, nationalités et milieux sociaux se mêlent, le temps d’une traversée. »

« La première partie de l’exposition démontre que l’objet paquebot lui-même a fasciné les milieux d’avant-garde, de la photographie à l’architecture, en passant par la peinture et l’affiche. La seconde partie étudie l’expérience du voyage, entre le luxe feutré des décors intérieurs Art Déco, la vie de loisirs en plein-air sur les ponts, et plus profondément, l’étrange expérience de la vie à bord d’un microcosme apatride, isolé et mouvant en plein océan, dont rendent compte, en particulier, la littérature et le cinéma de l’époque. »

DES PRÊTS EXCEPTIONNELS
« Entre estuaire de la Loire et océan Atlantique, Saint-Nazaire devient l’avant-port de Nantes au milieu du 19e siècle. La création de deux grands bassins portuaires à niveau d’eau constant attire de nouvelles activités, une nouvelle population. »
En 1862 sont créés les premiers chantiers navals et la première ligne régulière de paquebots de la Compagnie générale transatlantique (CGT), au départ de Saint-Nazaire vers les Antilles et le Mexique. Ces navires reliaient les continents et transportaient des passagers de toutes les classes sociales, avant que l’avion ne permette de le faire plus rapidement. »
« Les chantiers, toujours en activité, ont construit quelques-uns des fleurons de la flotte de la CGT. Parmi eux France (1912), surnommé le Versailles des mers, Île-de-France (1927) au décor entièrement Art Déco, Normandie (1935) le paquebot de tous les superlatifs… Tous ont été des ambassadeurs du savoir-faire français, participant au mythe du paquebot transatlantique magnifié par les artistes. »

« Deux musées à Saint-Nazaire retracent cette aventure singulière. »
« L’Écomusée, musée de France, raconte le développement de la ville et notamment la construction navale. »
« Escal’Atlantic, parcours scénographié de 3 700 m2, embarque les visiteurs dans l’évocation des ponts, des coursives, des cabines, des salons… 200 objets des collections de l’Écomusée font d’Escal’Atlantic un lieu unique, où l’Histoire rencontre l’imaginaire de la mer. »
« Seule collection publique présentée au public sur ce thème en France, elle recèle des trésors : mobilier, éléments de décors, arts de la table, esquisses et études de décorateurs, documents de compagnies maritimes, photographies… »
« Pour l’exposition Paquebots 1913-1942. Une esthétique transatlantique proposée par le Musée d’arts de Nantes, 22 œuvres et notamment des éléments de décor d’exception créés par Gaston Priou ou Jean Dupas, et 29 tirages photographiques originaux jamais sortis des réserves, traduisent une esthétique et un art de vivre propres à ces villes flottantes. Une partie provient du fonds des Chantiers de l’Atlantique. Cet ensemble iconographique unique retrace toutes les étapes de construction des navires des années 1920 aux années 1960. »

L’exposition est coproduite avec le MuMa, Musée d’art moderne André Malraux du Havre où l’exposition sera présentée du 5 avril au 21 septembre 2025. « Ville-port, Le Havre a pour vocation première, dès sa construction en 1517 d’être une porte ouverte sur le monde. Point de départ des premières aventures transatlantiques, la ville sait au gré des siècles s’adapter à chaque nouveau défi apporté par le développement du transport maritime mondial. Les premières liaisons régulières Le Havre/États-Unis sont créées dès 1864 et trouvent leur pleine activité avec les grands monstres sacrés comme Normandie, ou France. Ville détruite, ville reconstruite, Le Havre s’affiche comme un objet moderne. Premier musée public reconstruit de l’après-guerre, le musée d’art a trouvé sa place sur un site symbolique, à l’entrée du port, face à la mer. »
« L’architecture du MuMa emprunte à l’imaginaire de l’embarquement. C’est bien à un voyage que le visiteur, empruntant la passerelle d’accès, se prépare lorsqu’il entre dans le bâtiment. Et la sculpture monumentale d’Henri-Georges Adam qui se détache sur la façade transparente du musée est pensée comme un Signal, accueillant le voyageur américain qui accoste au Havre. »
« Cette forte identité moderne et transatlantique donne sa coloration à la programmation du MuMa qui a déjà consacré plusieurs expositions à ce thème (Sur les quais. Ports, docks et dockers en 2008, Signac. Les ports de France en 2010, Paquebot France en 2012, Pissarro dans les ports en 2013). »

L'exposition est conçue en partenariat exceptionnel avec Écomusée - Escal’Atlantic, Saint-Nazaire Agglomération Tourisme.

Le Commissariat de l’exposition est assuré par Adeline Collange-Perugi, conservatrice responsable des collections d’art ancien au Musée d’arts de Nantes, Sophie Lévy, directrice conservatrice du Musée d’arts de Nantes, et Clémence Poivet-Ducroix, attachée de conservation au MuMa - musée d’art moderne André Malraux du Havre.

« Un «livret-livre de bord», spécialement conçu pour les enfants (à partir de 7 ans), permettra de découvrir l’ensemble de l’exposition en suivant le récit du Ruban Bleu : une course de vitesse remportée par Normandie lors de son voyage inaugural en 1935, reliant Le Havre à New York. En huit étapes et avec des cartels dédiés, les enfants se mettront dans la peau d’un jeune passager de première classe et pourront vivre cette traversée en complétant les différentes activités proposées dans le livret. »


PARCOURS DE L’EXPOSITION 

PARTIE 1 PAQUEBOT, OBJET MODERNISTE

PHOTOGRAPHIE ET PUBLICITÉ : LE LANGAGE INTERNATIONAL DES PAQUEBOTS
« Dans les années 1920 et 1930, la concurrence pour conquérir et conserver une clientèle de luxe pour la traversée atlantique fait rage. Cette rivalité se double de tensions géopolitiques à partir des années 1930, faisant des paquebots un enjeu stratégique important. Fleurons technologiques et vitrines d’une ingénierie toujours plus performante, ils incarnent la puissance d’une nation. »

« L’Allemagne, avec Europa (1928) et Bremen (1929), l’Italie avec Rex et Conte di Savoia (lancés ensemble en 1931), la Grande-Bretagne avec Queen Mary (1934) et la France avec Normandie (1935) rivalisent pour remporter le prestigieux « Ruban bleu », distinction qui récompense la traversée la plus rapide de l’Atlantique-Nord. La presse nationale et internationale, avec des accents patriotiques, se passionne pour ces batailles maritimes. »

« Ce double contexte politique et économique explique la multiplication des publicités, unes de magazines, affiches ou encore brochures de présentation. »

« L’imaginaire des paquebots se nourrit alors d’un langage international commun, caractérisé par une grande porosité entre les arts, la presse et la publicité. Le génial graphiste Cassandre est sans doute l’un des plus iconiques représentants de cette esthétique internationale. »

Affiches et rivalités nationales
« Dans le domaine de la publicité transatlantique, les affichistes Cassandre, Paul Colin et Jean Auvigné se démarquent en France par la sobriété de leurs compositions, quasi architecturales, jouant audacieusement entre le graphisme et l’image. »

« La période, pour la photographie et l’affiche, se caractérise par une géométrisation des formes, influencée par les grands mouvements artistiques du futurisme, du purisme et de l’esthétique du Bauhaus. Les gros plans des proues et des cheminées incarnent plastiquement la puissance conquérante des navires. »

« La majorité des compagnies maritimes européennes (Italie, Allemagne, Grande-Bretagne...) reprennent à leur compte le gigantisme de ces motifs, en les parant souvent de leurs couleurs nationales, pour promouvoir leurs flottes. La circulation de ces images, au graphisme épuré et résolument moderne, marque la naissance d’un langage international commun autour de l’imaginaire du paquebot. »

Révolution photographique
« Née au 19e siècle avec la révolution industrielle, la photographie accompagne les avancées technologiques de l’entre-deux-guerres. »

« Le perfectionnement des techniques d’impression et de prises de vues (appareils photos Leica I et Rolleiflex, plus légers et pratiques) permettent aux photographes de nouveaux types de cadrages plus créatifs et graphiques, qui soulignent gigantisme et dynamique des proues et des cheminées. Les compagnies de transport, la Compagnie générale transatlantique (CGT) en tête, et les magazines s’emparent de ces audacieux clichés qui séduisent le public. »

« Suivie dans chacune de ses étapes, du chantier à la traversée inaugurale, l’épopée du paquebot Normandie marque l’apogée des photographies les plus avant-gardistes, de la Nouvelle Vision aux plus parfaits clichés documentaires. Elles deviennent une source d’inspiration pour les peintres comme Jules Lefranc qui reprend leurs cadrages dans ses œuvres. »

Le fantasme architectural du paquebot
« La maison des terriens est l’expression d’un monde périmé à petites dimensions. Le paquebot est la première étape dans la réalisation d’un monde organisé selon l’esprit nouveau. » Le Corbusier Dans la conclusion de son chapitre « Des yeux qui ne voient pas. I. Les paquebots » (Vers une architecture, 1925), Le Corbusier résume toute la promesse que les paquebots incarnent pour le renouvellement de l’esthétique architecturale. »

« Si le traditionnalisme décoratif des intérieurs déçoit les architectes les plus novateurs, la perfection des silhouettes aérodynamiques et des puissantes machines, visible depuis les quais et sur les ponts, constitue une forte source d’inspiration pour les architectes et décorateurs modernistes comme Robert Mallet-Stevens (Casino La Pergola de Saint-Jean-de-Luz) ou encore Eileen Gray (Maison en bord de mer E-1027). »

« Œuvres d’art totales pour ses différents créateurs, combinant aérodynamisme nautique, architecture, décor et mobilier, les paquebots sont une source d’inspiration pour les artistes d’avant-garde, qui les déclinent jusqu’à l’obsession. Comme l’écrit Filippo Tommaso Marinetti dès 1909 dans sa Déclaration du Futurisme : « Seuls avec les mécaniciens dans les infernales chaufferies des grands navires, [...] [n]ous chanterons [...] la vibration nocturne des arsenaux et des chantiers sous leurs violentes lunes électriques ; [...] les paquebots aventureux flairant l’horizon ». »

« À la suite des affichistes, les peintres (Fernand Léger, Charles Demuth, Irene Rice Perreira), photographes (Pierre Boucher, Roger Schall, Jean Moral et René Zuber) et cinéastes (Walter Ruttmann) de tous pays s’emparent de l’image de ces géants des mers. Ces différents artistes et designers, parfois liés, se côtoient dans des associations comme l’UAM (Union des artistes modernes), créée en 1929. Riches de leurs expériences polyvalentes, ils explorent les silhouettes fuselées à la monumentalité menaçante ou décortiquent au contraire la perfection des machineries dans leurs moindres détails, parfois jusqu’à l’abstraction. »

Machines, chantier naval et modernité
« Les photographes, qu’ils soient artistes, photojournalistes ou ingénieurs, sont les témoins privilégiés du nouveau monde moderne industrialisé. »

« Leurs clichés élèvent les chantiers navals et zones portuaires, intermédiaires entre la ville et l’océan, au rang de véritables paysages urbains. Ils deviennent, à travers leurs objectifs, des lieux singuliers et un peu magiques dans lesquels les paquebots naissent du néant, au milieu des silhouettes métalliques des grandes grues. »

« C’est aussi dans les fonds de cales et autres salles des machines que les artistes vont trouver de nouveaux sujets fascinants pour leurs œuvres. Des peintres comme Irene Rice Pereira et Fernand Léger s’emparent avec enthousiasme de la perfection mécanisée des moteurs, pistons et hélices, et exaltent leur beauté dans des formes géométriques simples et colorées. »

Fragments de paquebots : vers l’abstraction
« Plusieurs artistes d’avant-garde (futuristes, cubistes, puristes...) se passionnent pour le paquebot, incarnation de la modernité d’une civilisation urbaine et technologique, mais également lien entre la « Vieille Europe » et la promesse du « Nouveau Monde » américain. »

« La ligne graphique de la silhouette des paquebots, le rythme circulaire des hublots et des rivets sur ses flancs, la rotondité tubulaire des cheminées permettent de concilier admirablement le souci de réalisme au formalisme le plus pur. On comprend alors l’attrait irrésistible qu’il exerce sur les plus grands représentants du précisionnisme américain comme Charles Demuth et Charles Sheeler, ou sur les photographes comme Walker Evans et François Tuefferd. Par des éclairages lumineux et intenses, par la fragmentation géométrique de l’image, les détails techniques rencontrent la vogue de l’abstraction. »

LE PAQUEBOT, UN PALACE FLOTTANT
« Temple gigantesque et statique au port, le paquebot devient frêle, esquif et ballotté sur l’océan. Tout est fait pour le transformer en rassurant hôtel luxueux Art Déco quand on pénètre ses flancs. »

« Ses voyageurs appartiennent à toutes les catégories de la population, des plus aisées aux plus modestes. »

« Mais si cette micro-société embarquée à bord est multiculturelle, elle est strictement séparée par classe. Les compagnies maritimes européennes se livrent une rude concurrence où la vitesse est un argument commercial. Les compagnies françaises, notamment la Compagnie générale transatlantique (CGT), valorisent d’autres atouts : l’art de vivre, le confort, la tradition culinaire, les décors particulièrement luxueux en première classe. »

Une vitrine sur les flots
« Chef d’oeuvre de l’Art déco, Normandie est le plus grand et le plus luxueux paquebot à son lancement. Il réussit la synthèse entre une technicité audacieuse et des arts décoratifs de pointe. » 

« Décorateurs et artistes (Jean Dupas, Jean Dunand et Jacques-Charles Champigneulle) reçoivent les commandes les plus prestigieuses, particulièrement pour les espaces réservés à la première classe, prédominante à bord. Les ors et argents scintillent sous les lumières dans la grande salle et le salon-fumoir. »

« À cette richesse des décors répond celle des arts de la table avec les pièces d’orfèvrerie du service « Transat » par Luc Lanel, directeur artistique de la maison Christofle, et les verres de Suzanne Lalique-Haviland. »

PARTIE 2 LE VOYAGE TRANSATLANTIQUE

Mode et vie à bord
« Les espaces intérieurs des paquebots sont conçus comme de véritables palaces flottants reprenant les codes esthétiques des grands hôtels de la terre ferme. Cet environnement fastueux contraste fortement avec l’extrême sobriété des extérieurs. »

« De nombreux programmes d’activités et de loisirs sont proposés aux passagers de première classe afin d’éviter l’ennui qu’ils pourraient éventuellement ressentir durant les quatre à cinq jours que dure la traversée. Le pont-promenade et les coursives deviennent le théâtre de parties de tirs aux pigeons, de tennis, de palets, de courses et jeux divers où les passagers portent des tenues tout à fait modernes pour l’époque : maillots de bain, pyjamas, shorts, costumes de style marin sont adoptés en journée. »

« Le sportswear adapté à la croisière rejoint ainsi celui des stations balnéaires et de la navigation de plaisance de luxe (yachting). Les dîners ne sont qu’un défilé de tenues raffinées, griffées par les maisons de haute couture comme Coco Chanel, Jeanne Paquin, Jeanne Lanvin, Jean Patou et bien d’autres. »

L’expérience du voyage
« L’univers du paquebot, unité grandiose et pourtant infime sur l’océan, brouille les rapports spatio-temporels (Jean-Émile Laboureur), devenant le lieu de tous les possibles, expérience existentielle et cosmopolite souvent inédite. En pleine montée des nationalismes, la traversée transatlantique ouvre une parenthèse apatride, qui a permis à toute une génération de voyageurs artistes, à chaque traversée, de se détacher de leur territoire national. »

« Ce temps de navigation devient une odyssée initiatique vers un autre continent, promesse d’un renouveau pour les artistes. Pour Joaquín Torres-García, les paquebots incarnent ce lien culturel, miroir de sa double nationalité catalane et uruguayenne. Entre 1915 et 1955, Marcel Duchamp embarque 19 fois sur des transatlantiques, poussé par les guerres mais surtout par son « esprit d’expatriation » - cette vision moderne du voyage qui déracine pour mieux renaître - et qui lui fait partager sa vie entre Paris et New York. »

LA TRAVERSÉE
« Le voyage en mer est un émerveillement. Avec lui, on ne voyage pas, on est en voyage. Le voyage n’est pas une action mais une méditation, un état, la révélation que le simple fait d’exister est un véritable bonheur. » Blaise Cendrars Durant l’entre-deux-guerres, l’idée d’avant-garde semble inséparable du voyage : la biographie de nombreux écrivains, peintres ou photographes semble le confirmer. Même s’ils ont été souvent obligés de se déplacer, provisoirement ou définitivement, poussés par la pauvreté ou par l’Histoire, les artistes trouvent dans ce déplacement loin de leur lieu de naissance et de leur culture des rencontres et des enrichissements dont la traversée est annonciatrice. »

Traversées...
en salle de projection
« L’unité de lieu et de temps que constitue cet objet mouvant et clos qu’est le paquebot autorise des audaces modernes et des croisements d’univers sociaux, dont amateurs, écrivains et cinéastes rendent compte : Charlie Chaplin, The Immigrant, 1917 ; Buster Keaton, The Navigator, 1924 ; Man Ray, L’Étoile de mer, 1928 ; Leo Mc Carey, Elle et Lui, 1939 ; Claude Levi-Strauss, Tristes Tropiques, 1955 ; Blaise Cendrars, L’Équateur ; Louis Chadourne, La Désirade. »

« Dans l’exposition, un espace dédié à ces expérimentations permet au visiteur d’appréhender l’expérience de la traversée, entouré de trois projections d’images d’archives, de citations, de documentaires amateurs et d’extraits de films hollywoodiens. »

« Des images de l’Atlantique dans tous ses états feront également le lien entre le paquebot et l’horizon, les rencontres et le sentiment de solitude, le silence et le brouhaha des machines, le calme et la tempête. Dix minutes d’immersion pour appréhender cette traversée qui a marqué l’imaginaire des années folles. »

L’arrivée à New York depuis l’océan
« Tout voyage aux États-Unis commence alors, immanquablement, par l’arrivée sur le port de New York et la skyline de Manhattan. Cette expérience d’une ville-île verticale posée sur l’eau résume à elle seule, pour le voyageur comme pour l’immigrant européen, la porte d’entrée du Nouveau Monde, le prestige de modernité architecturale et technologique qu’il symbolise, l’essence de la ville et de la vie modernes. Ainsi, lors de son premier voyage à New York en 1931, Fernand Léger décrit : « Après six jours de traversée dans l’eau fluide et insaisissable, mobile, souple, on arrive devant cette montagne abrupte, oeuvre des hommes qui, lentement se dégage, devient plus nette, se précise avec ses angles coupants, ses fenêtres en ordre, sa couleur métallique. Elle se dresse violemment au-dessus du niveau de la mer. Le bateau tourne elle disparaît lentement, de profil luisant comme une armure. » Des œuvres de Raoul Dufy, Tullio Cralli et Amédée Ozenfant, des photographies de grands noms comme Berenice Abbott ou d’anonymes décrivent ce lien répété entre le paquebot et la grande métropole américaine. » 

ÉPILOGUE :
Fuir l’Europe
« L’épilogue de l’exposition conclut cette parenthèse enchantée par une ère tragique où le paquebot devient l’instrument de l’exil, suite à la montée des totalitarismes (avènement de Staline au pouvoir en URSS en 1927 et surtout mise en place du régime nazi à partir de 1933 en Allemagne). »

« La traversée, qui fut pour le passager une expérience extra-ordinaire, une parenthèse apatride où certaines règles sociales étaient momentanément suspendues, devient le lieu d’incertitude et d’un douloureux déracinement. Elle est illustrée par un ensemble d’œuvres de Lasar Segall, Marcel Duchamp et Kay Sage, et par deux saisissants reportages photographiques : l’accostage impossible du Saint-Louis en 1939 à Cuba, et le naufrage de Normandie dans le port de New York en 1942. »

REPÈRES CHRONOLOGIQUES

« 1913
17 février - 15 mars : L’Armory Show, première grande exposition internationale d’art moderne sur le sol américain, fait découvrir l’avant-garde européenne (Henri Matisse, Marcel Duchamp, Paul Cézanne…) aux artistes et public américains, à New York, Chicago puis Boston.

1915
Entre 1915 et 1955, Marcel Duchamp effectue 19 traversées transatlantiques.

1921
Emergency Quota Act (1921) l’Immigration Act (1924, loi Johnson-Reed) : les États-Unis promulguent des lois réduisant les quotas d’immigration et privilégiant les migrants d’Europe du Nord. Entre 1920 et 1921, 1 235 000 migrants entrent aux USA, contre 150 000 admissions en 1924. Cette baisse significative incite les compagnies maritimes à se concentrer, pour les lignes vers l’Atlantique Nord, sur une clientèle de luxe..

1923
Le Corbusier publie l’article « Des yeux qui ne voient pas. I. Paquebots » dans Vers une architecture.

1924
Gerald Murphy expose une gigantesque représentation de cheminées de paquebot (Boatdeck, 1923) dont la monumentalité fait scandale au Salon des Indépendants. Murphy rétorque aux critiques « s’ils pensent que ma toile est trop grande, je pense que les autres peintures sont trop petites ».

1925
28 avril - 25 octobre : Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes à Paris. Cinq des huit appartements du futur paquebot Île-de-France sont présentés en avant-première, célébrant l’apogée du style Art déco.

1929
Le Corbusier, invité pour une série de conférences à Buenos Aires et Rio de Janeiro, voyage à bord du Massilia, puis sur le paquebot italien Giulio Cesare entre Buenos Aires et Rio. Il rencontre Joséphine Baker à son retour sur Giulio Cesare.

1931
26 janvier : Lancement des travaux du futur Normandie dans les chantiers de Penhoët à Saint-Nazaire.

1934
Au Salon d’Automne, l’OTUA (Office Technique pour l’Utilisation de l’Acier) et l’UAM (Union des Artistes Modernes) s’associent pour organiser des concours de création utilisant de l’acier. 
Les artistes produisent des cabines de paquebots, des salons et du mobilier avec ce matériau grâce aux techniques de pointe du moment.
À 60 ans, JoaquÍn Torres-GarcÍa retourne pour la première fois depuis l’enfance à Montevideo (Uruguay). Il présente les travaux du groupe « Cercle et Carré » et crée le Taller Torres GarcÍa, sur le modèle du Bauhaus.
Marcel Duchamp débute le projet de sa Boîte-envalise : un musée portatif rassemblant ses œuvres les plus importantes en réduction.
Salvador DalÍ embarque avec Gala à bord du Champlain pour effectuer son premier voyage aux États-Unis et participer à deux expositions monographiques. Le couple rentre en Europe à bord de Normandie en 1935.

1935
Voyage inaugural du paquebot transatlantique Normandie, chefs-d'œuvre d’ingénierie navale et joyau de l’Art Déco, détenteur du Ruban bleu lors de cette traversée, puis de nouveau en 1937. À son bord, des passagers célèbres, écrivains (Colette, Blaise Cendrars) et photographes (Jean Moral, Roger Schall).

1936
Lancement de Queen Mary, de la compagnie britannique Cunard Line, détenteur incontesté du Ruban bleu de 1936 à 1952, à l’exception de 1937 lorsque Normandie le reprend pour un an.

1939
Janvier : Frida Kahlo vient à Paris, invitée par André Breton à participer à son exposition Mexique.
Elle loge chez Marcel Duchamp et Marie Reynolds.
30 avril - 31 octobre : Exposition universelle de New York.
13 mai : Le paquebot allemand Saint-Louis quitte le port de Hambourg pour La Havane.
À son bord, 937 passagers, principalement des Juifs allemands, fuient les persécutions du Troisième Reich. Cuba, puis les États-Unis, refusent leur demande d’asile, obligeant le paquebot à rentrer à Anvers et condamnant une majorité de ses passagers à un funeste destin.
3 septembre : La France déclare la guerre à l’Allemagne.

1940
Août : Un jeune américain, Varian Fry, arrive à Marseille mandaté par l’Emergency Rescue Committee (ERC), une organisation non-gouvernementale, pour organiser la fuite hors d’Europe d’artistes et d’intellectuels, parmi eux : Breton, Masson, Duchamp, Brauner, Lam, Domínguez, Tzara, Péret, Char, Lévi-Strauss, Ernst… tous réunis autour de la villa Air-Bel, dernier refuge avant le départ en exil des uns et des autres vers Cuba, Mexico, la Guadeloupe ou New York.

1941
25 mars : Départ de Marseille du cargo/paquebot Capitaine Paul Lemerle à destination de Fort-de-France avec à son bord plusieurs artistes et hommes de lettres : André Breton, Wifredo Lam, Claude Lévi-Strauss, la photographe allemande Germaine Krull...

1942
9 février : Normandie prend feu et chavire durant sa transformation en transport de troupes dans le port de New York, marquant la fin d’un mythe et de l’âge d’or des paquebots.
3 - 28 mars : Exposition Artists in Exile à la galerie Pierre Matisse à New York (Max Ernst, Fernand Léger, André Breton, Piet Mondrian, Marc Chagall…)
14 mai : Marcel Duchamp embarque sur Maréchal Lyautey, l’un des derniers navires à pouvoir quitter Marseille. Il fait escale à Casablanca, puis arrive à New York en juin.
14 octobre - 7 novembre : Exposition First Papers of Surrealism (New York) par André Breton et Marcel Duchamp... Les « first papers » étaient les formulaires que les migrants devaient remplir à leur arrivée pour engager un processus de naturalisation.
Les surréalistes soulignent par cette allusion aux procédures administratives que l’art moderne a trouvé un pays d’accueil de l’autre côté de l’Atlantique. »


Du 25 octobre 2024 au 23 février 2025
Au Musée d’arts de Nantes
10 rue Georges-Clemenceau. 44000 Nantes
Ouvert du lundi au dimanche, de 11h à 19h, nocturne le jeudi jusqu’à 21h.
Fermé le mardi.
Gratuit :
• lors de la nocturne hebdomadaire, chaque jeudi de 19h à 21h
• les 1ers dimanches de chaque mois, hors juillet - août
Visuels :
Affiche
Charles DEMUTH (1883-1935)
Paquebot Paris, 1921-1922.
Huile sur toile, 63,5 x 50,8 cm.
Columbus, Columbus Museum of Art
© Columbus Museum of Art, Ohio : Don de Ferdinand Howald

Vues de salles © Musée d'arts de Nantes, photo. C. Clos

Jules LEFRANC (1887-1972)
Le Lancement de Normandie, 1933.
Huile sur toile marouflée sur panneau,
116 x 73 cm.
Laval, Musée d’Art Naïf et des Arts Singuliers
© Ville de Laval

François TUEFFERD (1912-1996)
Étrave de Normandie, 1936.
Tirage gélatino-argentique noir et blanc sur papier satiné Agfa (tirage de 1985),
34 x 26,7 cm.
Nantes, Musée d’arts de Nantes
© Musée d’arts de Nantes, photo : C. Clos

Eileen GRAY (1878-1976)
Fauteuil Transat, 1926-1929.
Bois naturel, métal nickelé, cuir synthétique,
79 × 56 × 98 cm.
Paris, Centre Pompidou - Musée national d’art moderne - Centre de création industrielle, Photo 
© Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Jean-Claude Planchet © Droits réservés

Charles SHEELER (1883- 1965)
The Upper Deck [Le pont supérieur], négatif de 1929, tirage vers 1939.
Tirage gélatino-argentique, 22,7 x 17,3 cm.
Los Angeles, The J. Paul Getty Museum.

Anonyme, L’actrice canadienne Norma Shearer sur le pont du paquebot Normandie lors d’une traversée pour New York le 2 août 1939.
Épreuve gélatino-argentique, tirage d’époque, 14,4 × 9,6 cm.
Saint-Nazaire, Collection Saint-Nazaire
Agglomération Tourisme – Écomusée.

Jean-Émile LABOUREUR (1877-1943)
Le Roulis transatlantique, 1907.
Huile sur toile, 55 x 55,6 cm.
Nantes, Musée d’arts de Nantes
© Musée d’arts de Nantes, photo : C. Clos

Anonyme, Des passagers sont à bord d’une vedette d’embarquement (également appelée annexe ou tender) du paquebot France, le 6 avril 1932.
Épreuve gélatino-argentique, tirage
d’époque, 10,2 × 15,2 cm.
Saint-Nazaire, Collection Saint-Nazaire
Agglomération Tourisme - Écomusée.
Fonds Commandant Burosse.

 André WILQUIN (1899 - 2000)
Couverture avec le paquebot Normandie devant Manhattan, coupe dépliante longitudinale, vers 1925.
Papier imprimé, 32,2 × 20,4 × 0,3 (fermé).
Saint-Nazaire, Collection Saint-Nazaire
Agglomération Tourisme - Écomusée. ClichéJean-Claude Lemée.

Anonyme, Des riveteurs sont au travail lors du montage des tôles de fond du paquebot Normandie aux Chantiers de Penhoët à Saint-Nazaire, le 30 avril 1931.
Épreuve gélatino-argentique, tirage d’époque, 16,6 × 22,9 cm.
Saint-Nazaire, Collection Saint-Nazaire 
Agglomération Tourisme - Écomusée.
Fonds Chantiers de l’Atlantique.

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lundi 17 février 2025

« La Fabrique du Mensonge » de Joachim Lang

Dans son documentaire « La Fabrique du Mensonge » (Hitler and the Führer) associant archives en noir et blanc ainsi que fictions en couleurs fondées sur des faits historiques, Joachim Lang évoque la propagande du IIIe Reich en se focalisant sur le personnage de Joseph Goebbels et les rivalités de pouvoir dans les arcanes du régime nazi. Sortie en France le 19 février 2025.

Jewishrefugees.blogspot published WW2: 40 Tunisian Jews never returned 

Le réalisateur Joachim Lang a expliqué :
La Fabrique du Mensonge « traite des plus grands crimes de l’humanité : l’Holocauste et la Seconde Guerre mondiale. Il tente aussi de répondre à l’une des questions les plus importantes de l’histoire : pourquoi la majorité des Allemands ont-ils suivi Hitler dans la guerre et l’Holocauste, et comment les responsables ont-ils pu commettre des crimes aussi inimaginables contre des millions de victimes innocentes ? »
« Notre film brise les tabous et aborde ce sujet d’une manière inédite : nous montrons la perspective des auteurs de ces crimes. Une démarche nécessaire et indispensable. Ce n’est qu’en examinant de près les plus grands criminels de l’histoire de l’humanité – parfois dans leur intimité - que nous pouvons faire tomber les masques, rendre transparents les mécanismes de la démagogie et désarmer les agitateurs contemporains. »
« Nous ne connaissons Hitler et les principaux nazis que par leurs apparitions fabriquées, celles que le ministre de la Propagande, Joseph Goebbels, voulait utiliser pour façonner l’image du national-socialisme. Cette image agit encore aujourd’hui sur nous ; elle est le résultat d’une manipulation. » 
« Notre film brise cette mise en scène et plonge dans les coulisses. Tous les dialogues sont basés sur des citations et appuyés par des sources solides. Il est incroyable de voir comment les nazis s’exprimaient et agissaient. Vous le découvrirez dans notre film. J’ai (Joachim) passé des décennies à étudier tous les documents disponibles pour cela. C’est ainsi qu’ils ont réellement parlé, agi et mis en oeuvre leurs plans meurtriers, avec la participation de nombreux Allemands prêts à les suivre et à engager leur responsabilité. » 
« Le film brise un tabou existentiel : les nazis étaient des êtres humains. »
« Le choc est terrifiant parce que le spectateur n’a jamais été aussi proche des dirigeants nazis, décryptés et mis à nu. Notre film ne s’intéresse pas à l’image officielle véhiculée par Goebbels, souvent utilisée dans les documentaires et les films de fiction. Nous déconstruisons cette image et révélons la vérité derrière le mensonge. »
« Le résultat est un regard unique et sans fard à l’intérieur de l’appareil de pouvoir. Nous renonçons cependant délibérément à une représentation fictive de l’Holocauste. La dignité des victimes interdit toute reconstitution de la Shoah. Pour coller à la vérité, notre film utilise la confrontation entre fiction et réalité dans des séquences décisives. Nous donnons la parole aux victimes : les derniers survivants de l’Holocauste racontent eux-mêmes les crimes et s’adressent directement au spectateur : Charlotte Knobloch, Margot Friedländer, Elly Gotz, Eva Umlauf, Eva Szepesi, Leon Weintraub et Ernst Grube. Ils connaissent tous notre vision du film et, comme nous, souhaitent ouvrir les yeux des spectateurs pour que le passé ne se répète pas. »
« C’est une expérience cinématographique qui oppose la fiction à la réalité. »
« Notre film explore les coulisses du Cercle Intérieur. Il montre ce qui se passe en coulisses, avant et après le célèbre discours du Palais des Sports. » 
« On y découvre comment Goebbels conçoit le discours, le répète devant le miroir, puis le modifie comme un réalisateur et un producteur. L’ensemble apparaît comme une production multimédia : d’abord une performance en direct au Palais des Sports, puis diffusée avec un décalage et montée à la radio, reprise le lendemain dans les journaux, et enfin intégrée aux actualités filmées. »
« Le film dévoile les documents audiovisuels fabriqués par le Troisième Reich et rend le spectateur fondamentalement plus attentif au pouvoir des images et plus méfiant vis-à-vis des stratégies de manipulation. C’est un film contre la séduction. La forme fictionnelle est également essentielle, car les documents contemporains sont eux-mêmes mis en scène et créés avec l’intention de tromper le spectateur. Nous devons attirer l’attention du monde sur ce sujet indiscutablement actuel et contribuer à l’essentiel : que ce qui s’est passé ne se reproduise jamais. »
Ce film intéressant évoque plutôt les dix dernières années du IIIe Reich. 

Il laisse perplexe, et induit des réflexions ou sentiments complexes. Non pas parce qu'il mêle archives en noir et blanc et fiction en couleurs ou parce que des comédiens interprètent des figures historiques. Mais pour d'autres raisons. Encore que il s'avère difficile de comprendre l'intense fascination exercée par Hitler notamment sur les foules.

Tour d'abord, le texte préliminaire ouvrant le film dresse un parallèle infondé entre les dictateurs et les démagogues, en voulant nous alerter contre les dangers qu'ils représentent pour la démocratie. Il semble plus judicieux de comparer des dictateurs entre eux. Les démagogues, vocable décrié, n'instaurent pas tous des régimes totalitaires, voire génocidaires.

A juste titre, le documentaire accorde une place importante au film « Le Juifs Süss » : réticences du réalisateur, voire d'acteurs pressentis, article élogieux du critique cinématographique et futur réalisateur italien Michelangelo Antonioni à l'enthousiasme dithyrambique, extrait du long métrage montrant ce personnage prisonnier dans une cage, au-dessus du vide, avant d'être assassiné. En voyant cette scène, on songe aux Israéliens juifs kidnappés par les djihadistes - essentiellement du Hamas, et civils -, lors de l'agression djihadistes du 7 octobre 2023, devenus otages dans la bande de Gaza et amenés captifs dans des cages. Le parallèle entre les djihadistes et les nazis s'imposent.

Goebbels a dit que la propagande doit avoir un rapport au réel, mais les dernières années du IIIe Reich prouvent le contraire. Le couple Goebbels, caractérisé par des infidélités et le beau-père juif de Magda Goebbels, est lui-même un élément-clé de cette propagande nazie : des enfants aryens blonds aux yeux bleus, affectueux envers leur parrain Adolf Hitler... 

Et si, comme tend à l'asséner le documentaire, les images mentent, si tout est mis en scène, si les archives montrant des Allemands et Autrichiens saluant dans l'allégresse le Führer Adolf Hitler dans des villes pavoisées à l'oriflamme nazi, alors les populations germaniques et autrichiennes qui auraient écartées, au profit de nazis encartés, de ces mises en scène filmées à fin de propagande nationale et internationale, seraient innocents ? Et les Gazaouis acclamant l'arrivée des terroristes palestiniens libérés de leurs lieux d'emprisonnement en Israël contre la libération des otages israéliens ne seraient pas représentatifs ? On peut en douter en raison des interviews de Gazaouis.

Emerge du film la figure pathétique de l'acteur talentueux Joachim Gottschalk qui, n'ayant pas pu ou voulu quitter l'Allemagne nazie vers 1933, s'efforce de protéger son épouse et leur fils juifs, tout en s'acquittant de ses obligations mondaines au cours desquelles il côtoie d'éminents dirigeants nazis.  Son destin tragique bouleverse. « Joachim Gottschalk était l’acteur le plus célèbre de l’Allemagne des années 1930 jusqu’à sa mort tragique en 1941. Dans le Berlin des années 1920, son talent s’impose comme une évidence sur les planches des théâtres. Il est l’acteur le plus prometteur d’une nouvelle génération pleine d’espoirs. Mais alors que Joachim brille et vole de succès en succès, jusqu’aux plateaux de cinéma, l’Allemagne, elle, s’enfonce dans le fascisme. Marié à Meta, une Juive dont il est éperdument amoureux, et tout entier dédié à son art qui est sa raison de vivre, Joachim se voit chaque jour un peu plus déchiré. Les nazis le somment de choisir entre son art et sa femme. Il finira par se suicider avec elle et leur jeune fils Michael, en novembre 1941. 
À travers son destin bouleversant, c’est le drame de toute la scène artistique allemande sous le IIIe Reich que nous fait vivre ce roman vrai de Denis RossanoVie et mort de Joachim Gottschalk. Une époque où chacun devait choisir entre l’exil, la soumission ou la mort ». 

ENTRETIEN AVEC THOMAS WEBER
Historien consultant pour le film « La fabrique du mensonge »

« Y A-T-IL MOINS DE PROPAGANDE AUJOURD’HUI QU’AUPARAVANT ?
Non, au contraire. Malheureusement, nous vivons à nouveau un âge d’or de la propagande, mais aujourd’hui nous lui donnons d’autres noms. On parle désormais de désinformation et de manipulation. Le terme «propagande» n’est utilisé que dans le contexte de la guerre. Mais c’est toujours le même vin que nous avons simplement mis dans une autre bouteille.

QUELLE DIFFÉRENCE ENTRE LA PROPAGANDE D’HIER ET LA DÉSINFORMATION D’AUJOURD’HUI ?
Les schémas de désinformation et de manipulation n’ont fondamentalement pas changé depuis les morts d’Adolf Hitler et de Joseph Goebbels dans les ruines de Berlin, à part – et c’est essentiel – les nouvelles technologies. Ces dernières apportent des innovations, agissent comme des accélérateurs et expliquent pourquoi le danger posé par la désinformation et la manipulation est plus grand aujourd’hui que jamais. Ce danger continuera à croître de manière exponentielle avec les nouvelles technologies. Ici, l’artisanat de Joseph Goebbels se mélange involontairement avec la technologie de la Silicon Valley. Cela pourrait conduire à un effondrement total.

COMMENT LES IMAGES SONT-ELLES DÉSORMAIS UTILISÉES ?
La manière dont le matériel visuel est utilisé n’a guère changé depuis l’époque de Joseph Goebbels. Si, aujourd’hui, par exemple, les journalistes de BBC Verify démontrent que, dans la guerre entre Israël et le Hamas, des milliers de vidéos partagées sur les réseaux sociaux sont créées à partir de séquences anciennes replacées dans un nouveau contexte et présentées comme inédites, les parallèles avec le passé sont plus qu’évidents. Il s’agit clairement et exclusivement de manipulation ciblée par le biais d’une désinformation délibérée. De plus, comme à l’époque, on accuse l’adversaire d’attaques volontaires ou accidentelles contre sa propre population ou infrastructure, entraînant des pertes humaines.

ALORS QUE PEUT-ON FAIRE ?
La première étape est de prendre conscience du problème, de s’habituer aux schémas et mécanismes de base, et de comprendre à quel point la manipulation et la désinformation sont omniprésentes. La Fabrique du Mensonge aide les spectateurs à reconnaître ces schémas de base et à les appliquer à leur époque. On peut fournir les outils pour apprendre à distinguer les choses, à vérifier encore et encore les sources à l’aune des expériences et exemples du passé. Ainsi, on peut priver la manipulation et la désinformation de l’oxygène dont elles ont besoin pour survivre. En comprenant la désinformation et la manipulation du passé, on muscle son esprit critique, dépassant les exemples concrets étudiés. Je crois que c’est un processus d’apprentissage auquel nous pouvons choisir de participer.
Une compréhension globale se développe progressivement.

JOSEPH GOEBBELS DIT DANS LA FABRIQUE DUMENSONGE QUE LA PROPAGANDE DOIT AVOIR UN LIEN AVEC LA RÉALITÉ. CELA A-T-IL CHANGÉ ?
Pas du tout. La désinformation et la manipulation doivent être basées sur les expériences de vie des personnes auxquelles elles s’adressent. Elles doivent être si réalistes qu’elles en deviennent au moins plausibles. C’est pourquoi elles doivent nécessairement dépeindre des réalités pour ensuite les inverser.

« CEUX QUI NE SE SOUVIENNENT PAS DE L’HISTOIRE SONT CONDAMNÉS À LA RÉPÉTER ». LE MONDE RÉEL EST PLEIN DE RÉPÉTITIONS. COMMENT ROMPRE LE CYCLE ?
Nous ne le briserons pas, mais nous pouvons mieux le gérer. Nous pouvons aussi renforcer la résilience face au pouvoir de la désinformation et de la manipulation en période de crise existentielle. C’est pourquoi je me suis impliqué corps et âme dans La Fabrique du Mensonge. Il est possible de rendre le monde plus pacifique. Bien que cela puisse ne pas en avoir l’air, il a été prouvé scientifiquement que, au cours des siècles, la volonté des sociétés de recourir à la violence a diminué. Il est problématique de ne considérer que les cas d’effondrement pour tirer des leçons sur la manière de sauver la démocratie. Nous devrions tirer des exemples du siècle dernier uniquement où la démocratie a survécu et où il y a eu résilience. En Allemagne, la démocratie s’est effondrée, oui, mais pourquoi la démocratie a-t-elle survécu en France ou aux Pays-Bas en 1933 alors qu’elles étaient au bord de l’effondrement ? Et pourquoi, après la Seconde Guerre mondiale, des tentatives de réconciliation ont-elles eu lieu entre l’Allemagne et certains de ses voisins dès les années 1950, et ailleurs seulement trente ans plus tard ? Les enseignements tirés de cas positifs ne pourraient-ils pas nous fournir aujourd’hui les outils nécessaires pour apprendre à réconcilier des groupes hostiles, à surmonter la polarisation, et à permettre à la liberté et à la démocratie de prévaloir ? Cette connaissance nous donnerait une résilience face aux dirigeants et séducteurs qui utilisent la désinformation et la manipulation. Pour que ce soit possible, cependant, nous devons d’abord comprendre les mécanismes de la désinformation et de la manipulation tels qu’ils ont été pratiqués à l’époque d’Hitler et de Goebbels, et surtout aujourd’hui encore.

Thomas Weber est historien, biographe d’Hitler, et professeur d’histoire et de géopolitique à l’université d’Aberdeen. Il est l’auteur de « La première guerre d’Hitler » (2012, Perrin)

PROPAGANDE ET NAZISME
Extrait de « Les succès de la propagande Nazie », de Henri Burgelin, paru dans le n°104 du magazine L’Histoire. »

« L’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir, le 30 janvier 1933 est célébrée par les nazis comme l’aurore d’une ère nouvelle et révolutionnaire. L’appareil de propagande transforme le pays au point de tromper nombre de contemporains sur la nature véritable du régime et sur ses soutiens sociaux.

Presse, radio et cinéma sont mobilisés pour convaincre le monde que le peuple allemand, enthousiaste emboîte le pas au guide qu’il s’est donné. Des cérémonies grandioses tendent à prouver que, dans une époque déchirée par les luttes économiques et sociales, l’Allemagne hitlérienne a fondé la société unanimiste dont beaucoup d’Européens rêvent alors. Après avoir été l’instrument essentiel de la prise du pouvoir, cette propagande et la terreur qui l’accompagne deviennent le principal mode de gouvernement des nazis.

La diffusion de l’idéologie nazie est confiée à Joseph Goebbels, nommé en mars 1933 ministre de l’Information et de la Propagande. 

Sa rencontre avec Hitler, en avril 1926, est une véritable conversion. Il lui restera fidèle jusqu’à son suicide dans le bunker de la Chancellerie en mai 1945, contrairement aux autres dirigeants nazis. Goebbels dispose d’un talent oratoire remarquable quand il parle à la radio, alors que, dans les réunions publiques, il est défavorisé par sa petite taille et son pied bot. Mais il excelle dans tous les genres : ton grave, appel au sentiment, véhémente dénonciation des adversaires du régime, violentes attaques des « complots » capitalistes, communistes et juifs. Amateur très éclairé de cinéma et metteur en scène de grands spectacles politiques, il met toute son ardeur au service de Hitler.

Cette propagande ne peut être vraiment efficace qu’à condition de priver les Allemands des sources d’information et des formes d’expression non contrôlées par les nazis. Pour atteindre ce but, il faut isoler le pays de l’extérieur et empêcher toute diffusion d’opinions hétérodoxes, y compris celles que contiennent d’anciennes publications nazies, voire hitlériennes, si elles contredisent les objectifs du moment. La politique économique du Reich, qui limite strictement les importations, permet d’éliminer les journaux, films et livres étrangers du marché. Seule la radio franchit les frontières. Mais pendant toute la durée du IIIe Reich, l’écoute des stations étrangères est interdite, présentée comme un acte d’inféodation à l’ennemi, aux Juifs, accusés d’inspirer un complot anti-allemand et d’exercer une influence néfaste sur les médias. Dénoncer les auditeurs de radios étrangères, sur qui s’abattent de lourdes sanctions, est considéré comme un acte de civisme.

L’instauration d’une économie dirigée permet d’autre part de réduire au silence les oppositions intérieures. La distribution du papier, notamment, est contingentée ; la radio et la production cinématographique sont entièrement contrôlées par l’État. Dès 1933, les bibliothèques publiques sont épurées des ouvrages classés comme subversifs, soit en raison de leur contenu, soit parce que leurs auteurs sont Juifs ou réputés ennemis du Reich. Les autodafés où brûlent des milliers de livres manifestent l’acharnement des nazis. Par prudence, beaucoup d’Allemands cachent alors ou détruisent les œuvres suspectes qu’ils possèdent. Les professions concernées par l’édition sont placées sous le contrôle du gouvernement qui crée une Chambre des écrivains, une Chambre des journalistes et une Chambre des cinéastes. 

Refuser d’appartenir à l’une de ces corporations, dont la carte professionnelle peut être retirée à tout moment, revient à s’interdire de travailler.

Dans de telles conditions, la censure préalable devient inutile. Soucieux de maintenir une certaine diversité dans le style, de façon que chaque journal s’adresse à son public dans les termes qui lui conviennent, Goebbels déclare : « Que chacun joue de son instrument, pourvu qu’ils jouent la même musique. » Lui-même et ses collaborateurs se chargent de recevoir les journalistes à qui ils présentent la version officielle de l’actualité. Tout article hétérodoxe est puni en vertu d’une loi non écrite, donc parfaitement arbitraire. Il suffit qu’un journaliste soit accusé de trahir les intérêts de la patrie, du peuple allemand ou de la race aryenne pour être emprisonné, avec ou sans jugement. On comprend que la presse se montre docile dès 1933.

Cinéphiles passionnés, Goebbels et Hitler sont persuadés que le grand écran est l’instrument idéal pour endoctriner les masses. Le contrôle de la production est facile, étant donné son coût : déjà concentrée entre les mains de quatre compagnies, elle est réduite à une seule en 1942. La Chambre nationale du film impose une réglementation extrêmement stricte dans le domaine financier ainsi que dans ceux de la production et de l’emploi.

Projetées obligatoirement dans toutes les salles de cinéma, les actualités hebdomadaires revêtent une importance particulière. Ces documentaires constituent l’un des moyens de persuasion les plus efficaces. La puissance des images, souvent composées avec beaucoup de talent, l’emporte de loin sur celle de l’écrit et du discours. La production de films de fiction est également très soignée. Ils glorifient la nation allemande et son passé héroïque (Frédéric le Grand de Veit Harlan), l’obéissance aux chefs (Le Triomphe de la volonté de Leni Riefensthal), les vertus publiques et privées (Le Retour de Gustav Ucicky), la simplicité des mœurs et la diffamation des ennemis anglo-saxons, bolcheviques et juifs (L’Oncle Krùger de Hans Steinhoff, GPU de Karl Ritter ou Le Juif Sùss de Veit Harlan).

L’un des grands thèmes de la propagande nazie est l’avènement d’un homme nouveau, vivant selon une éthique libérée des apports du rationalisme et de l’intellectualisme, du libéralisme et du marxisme d’origine juive. Pur aryen, il est un homme simple, qui se satisfait d’actes de bravoure et de l’obéissance à ses chefs. Ce modèle humain présenté dans les mouvements de jeunesse fournit leurs héros aux films nazis et aux artistes. L’apologie du sport impose ce surhomme à la société alors que les succès internationaux des athlètes allemands semblent témoigner de la réussite du nazisme.

Avant la guerre, Hitler se sert également de l’appel au sacrifice pour faire accepter à la population l’augmentation considérable des dépenses d’armement et la pénurie des biens de consommation. Pendant la guerre, l’effort militaire demande encore des sacrifices au peuple allemand pour assurer la victoire finale. Il ne s’agit donc pas seulement d’un renoncement légitime, dans l’espoir d’une société meilleure ou d’un Reich dominant l’Europe pour mille ans, mais d’un sacrifice qui trouve sa justification en lui-même, une vertu propre à la race aryenne.

L’Allemagne tout entière ne manifeste un réel enthousiasme à aucun moment des douze ans de pouvoir d’Hitler et, de ce point de vue, la propagande totalitaire échoue. Mais l’isolement de l’Allemagne dans le monde et celui de l’individu dans la société nazie ne permettent pas de distinguer le vrai du faux, et le matraquage médiatique ne reste pas sans effet. Le but du régime est que les Allemands obéissent et, à de rares exceptions près, ils le font jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’au massacre parfaitement vain de centaines de milliers d’hommes, à un moment où la défaite est inéluctable. Sans la propagande, le Führer ne serait sans doute pas parvenu à un tel résultat qui atteste, par son absurdité, de l’efficacité des méthodes de Goebbels. »


« La Fabrique du Mensonge » de Joachim Lang
2024 / 2.39 / Dolby 5.1 / Allemagne, Slovaquie / 2 h 04
Réalisation et scénario : Joachim A. Lang
Compagnie de production : Zeitsprung Pictures
Directeur de la photographie : Klaus Fuxjäger
Montage : Rainer Nigrelli
Décors : Pierre Pfundt / Tomas Bakocka
Costumes : Katarina Bielikova
Avec Robert Stadlober (Joseph Goebbels), Fritz Karl (Adolf Hitler), Franziska Weisz (Magda Goebbels), Dominik Maringer (Werner Naumann), Moritz Führmann (Karl Hanke)


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