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mercredi 13 mai 2020

Trésors de la Peste noire : Erfurt et Colmar


Le passionnant catalogue d’une exposition itinérante didactique  " Trésors de la Peste noire : Erfurt et Colmar" (Schätze des Schwarzen Todes aus Erfurt und Colmarprésente des trésors - bijoux, pièces d’orfèvrerie de table, monnaies, éléments de parure - découverts par hasard, dans d’anciens quartiers juifs, en 1998 à Erfurt (Thuringe) et en 1863 à Colmar (Haut-Rhin). Divers indices suggèrent que ces « trésors ont appartenu à un membre de la communauté juive et qu’ils ont du être cachés lors des persécutions contre les juifs en 1348-1350 quand la Peste noire déferla sur l’Europe et faucha un tiers de la population ». Ces trésors nous renseignent sur la situation, florissante et précaire, des Juifs dans les villes de l’Empire germanique et l'orfèvrerie profane au XIVe siècle. Article republié en ce jour de Lag Baomer, la fin d'une épidémie. 

Pour la première fois ont été exposés ensemble, en 2007 au Musée national du Moyen-Age-Thermes et hôtel de Cluny  (Paris) sous le titre Trésors de la Peste noire : Erfurt et Colmar, en 2009 à la Wallace Collection  (Londres) sous le titre Treasures of the Black Death, puis dans une ancienne synagogue d'Erfurt , plus de 200 pièces - bijoux, pièces d’orfèvrerie de table, monnaies - de « deux trésors enfouis au XIVe siècle », à Colmar et à Erfurt, lors des persécutions contre les Juifs en 1348-1350, quand la Peste noire décima un tiers de la population européenne et déclencha des violences antisémites. 

« Au milieu du XIVe siècle, l’Europe fut frappée par une très grave épidémie qui faucha un tiers de sa population : la « Peste noire » qui déferla en Europe (1347-1352). Accusés d'avoir répandu la peste, les membres des communautés juives subirent des persécutions, qui les incitèrent à enfouir leurs biens. 

Divers indices suggèrent que ces deux trésors, découverts à Colmar (Haut-Rhin, France) en 1863 et à Erfurt (Thuringe, Allemagne) en 1998, « ont appartenu à un membre de la communauté juive et qu’ils ont du être cachés lors des persécutions contre les juifs en 1348-1350 quand la Peste noire déferla sur l’Europe et faucha un tiers de la population ». Parmi ces indices : la date des monnaies les plus récentes, le lieu de découverte et surtout la présence dans chaque trésor d’une bague de mariage juive.

A l’instar « d’autres ensembles de même origine comme ceux de Weissenfels, Lingenfeld, Münster, Środa Ślaska (Pologne) », ces « trésors au double sens de trouvaille archéologique et de collection d'objets précieux », ont été découverts par hasard, lors de travaux dans d’anciens quartiers juifs, à Colmar en 1863 et à Erfurt en 1998. Ils « s'avèrent de précieux témoignages sur les activités et rôles économiques ainsi que la prospérité des communautés juives médiévales dans les villes de l’Empire germanique au XIVe siècle, mais aussi sur leur précarité et leur insécurité croissantes au sein de la chrétienté médiévale. Composés de bijoux, de pièces d'orfèvrerie de table et de monnaies, ces ensembles constituent par ailleurs une source exceptionnelle sur l'orfèvrerie profane de la fin du XIIIe siècle et de la première moitié du XIVe siècle, qui représentait la majeure partie de la production de l'époque », mais dont peu d'exemplaires sont conservés à la différence de l’orfèvrerie religieuse rassemblée dans les trésors d’église ». Ces « objets montrent la vitalité du commerce des objets d’orfèvrerie entre les différentes régions d’Europe, et la circulation de modèles et de styles en provenance de centres de production importants comme Paris, la Rhénanie ou l’Italie ».

Découvert dans le mur d’une maison du quartier juif médiéval de Colmar lors de travaux en 1863, ce trésor constitué de monnaies et bijoux est majoritairement détenu par le musée du Moyen Âge, qui « en a acquis la plus grande partie en 1923 ». Quelques objets et pièces de monnaie, dérobés au moment de la découverte, sont aujourd’hui conservés au musée d’Unterlinden de Colmar et à la Bibliothèque municipale de Colmar. Ce trésor a été présenté intégralement en 1999 lors d'une exposition au musée d’Unterlinden.

En 1998, « environ six cents pièces d'orfèvrerie et trois mille monnaies furent exhumées, lors de travaux dans l'ancien quartier juif d'Erfurt. Cet ensemble est conservé à Weimar dans les services de la conservation du patrimoine de Thuringe (au TLDA, Thürigisches Landesamt für Denkmalpflege und Archäologie) et est exposé depuis 2009 en permanence à dans une ancienne synagogue d’Erfurt. 

Le catalogue insiste « sur les parentés entre ces deux ensembles composés de bijoux, d’éléments de parure, de pièces d’orfèvrerie de table - en or et en argent - enrichies de perles, de pierres précieuses et d’émaux, et de monnaies » et présente ensemble, pour la première fois, et en parallèle, ces deux trésors « enfouis à Colmar et à Erfurt, dans des conditions similaires au XIVe siècle, et découverts à 135 ans d’intervalle ».

Parmi plus de deux cents pièces, certaines sont « rares voire uniques comme un étonnant « nécessaire de toilette », la série de huit gobelets que l'on peut emboîter, une serrure miniature ou un fermail orné d'un arc et d'une flèche ». 

Les propriétaires de ces trésors « leur attribuaient une grande valeur, sans doute à la fois marchande et affective, puisqu’ils décidèrent de les mettre à l’abri. Si cette valeur et la fonction de réserve monétaire, cruciale pour les membres des communautés juives, rapproche ces ensembles d'orfèvrerie et de monnaies du trésor d'église ou du trésor royal, il y manque la dimension du sacré, cet « échange avec l'invisible » dont parle Krzysztof Pomian. Les pratiques d'accumulation et d'ostentation associées à la notion de trésor et à celle de collection royale, princière ou aristocratique, sont peut-être présentes ici, mais à un moindre degré ».

La peste noire
En septembre 1347, douze bateaux génois en provenance de Constantinople débarquent à Messine, en Sicile, et amènent avec eux la peste, qui, à partir d’un foyer asiatique, avait atteint la Mer Noire.

Dès le mois d’octobre 1347, l’épidémie se répand en Sicile, se diffuse ensuite vite, par vagues successives. Elle atteint Florence, Paris, Séville en 1348, puis l’Angleterre et l’Empire en 1349, la Suède en 1350, la Pologne en 1351 et la Russie en 1352. De la Scandinavie à l’Espagne, toute l’Europe est atteinte. De rares espaces géographiques sont épargnées : Flandres, Franconie, et Pologne méridionale.

« Il y eut une si grande mortalité d’êtres humains des deux sexes, et davantage des jeunes que des vieux, qu’à peine les pouvait-on ensevelir », relate le chroniqueur Jean de Venette. Un tiers environ de la population européenne est fauchée.

L’épidémie induit « la peur, la fuite, des réactions irrationnelles. Elle désorganise les sociétés et met à mal les liens familiaux et communautaires, comme le décrit Boccace dans le prologue du Decameron (1349-1351). Les populations sont d’autant plus désemparées que la peste proprement dite avait disparu d’Europe depuis la « peste de Justinien » (541-544) et ses retours jusqu’au VIIIe siècle ».

On ignore alors les causes de ce fléau et son mode de contagion par la puce du rat noir.

On « invoque un châtiment divin, un « vengeance de Dieu pour les péchés du monde », selon les termes du chroniqueur Jean le Bel. Des cohortes de pénitents se flagellent en public, se déplaçant de ville en ville, ce qui contribue à la diffusion du mal. Pour la Faculté de Médecine de Paris, il faut incriminer une corruption de l’air dont la cause première serait « quelque constellation céleste ».

« L’accusation portée contre les Juifs d’avoir empoisonné les puits et les fontaines fournit un exutoire à la peur et désigne un bouc émissaire. Ce qui génère des massacres, surtout dans l’Empire ». 

La peste resurgit à la fin du Moyen Age et sévit de manière récurrente en Europe jusqu'à la peste de Marseille de 1720. Celle-ci aurait pu être évitée si les règles de prudence avaient alors prévalu.

Divers trésors de la Peste noire
Divers « trésors de la Peste noire » existent, dont beaucoup ont été découverts en terre d’Empire, essentiellement dans la vallée du Rhin. Citons celui de Weissenfels (en Saxe-Anhalt), mis au jour en 1826, est le seul ayant aussi une bague de mariage juive.

« Pour certains trésors, c'est le lieu de l’invention qui, ajouté à des indications chronologiques déduites des monnaies, oriente vers les persécutions contre les Juifs de 1348-1350. Ainsi du trésor de Münster (Westphalie), découvert en 1951 dans une maison située à la limite du quartier juif, près d’une synagogue, ou de la trouvaille du cimetière juif de Bâle (1937) ». 

Le plus souvent, « c’est la seule étude des monnaies et des objets qui conduit à l'hypothèse d’un enfouissement au milieu du XIVe siècle. C’est le cas des trois trouvailles de Cologne, sans doute cachées vers 1348-1349 ; de celle de Valendar (près de Coblence), enfouie après 1340, peut-être en 1349 ; de celle de Jülich (Rhénanie), découverte en 1953, et enterrée vers 1348 ; du trésor de Lingenfeld (Palatinat), trouvé en 1969, et enfoui vers 1348-1349. En revanche, pour certaines trouvailles, comme celle de Treuenbrietzen (Allemagne du Nord) ou de Kelebia (Hongrie), le lien avec les persécutions anti-juives de la Peste noire est moins assuré. Celles de Gransee et de Pritzwalk  (Brandebourg) auraient, pour leur part, été enfouies respectivement vers 1370 et dans le dernier quart du XIVe siècle ».

De nombreux trésors liés à la Peste noire sont, comme celui de Marbach en Alsace découvert en 1862, composés seulement de monnaies. « Quelques ensembles, à l’instar de ceux d’Erfurt et de Colmar, sont mixtes, comportant aussi des objets d’orfèvrerie : la trouvaille de l'hôtel de ville de Cologne (1953), les trésors de Lingenfeld, Weissenfels et Münster. L’ensemble de Lingenfeld comprend, outre ses 2500 monnaies, des pièces d’orfèvrerie de table (dont une double coupe) et quelques bijoux. Le trésor de Münster, à côté de ses 1941 monnaies, se compose surtout de bijoux (dont dix-neuf fermaux), ainsi que celui de Weissenfels, moins important ».

Tous ces trésors luxueux « rassemblent des pièces d’orfèvrerie d’argent et d’argent doré. Le trésor de Środa Ślaska (ouest de Wroclaw, Pologne), découvert en 1988 sur le terrain de la décharge municipale, parmi des matériaux de démolition, et vraisemblablement enfoui vers 1349-1350, occupe une place à part parmi les « trésors de la Peste noire ». Il est en effet composé, en plus de monnaies d'or et d'argent, de bijoux exclusivement en or, dont une couronne enrichie de pierres précieuses. Selon Jerzy Pietrusinski, ces joyaux pourraient provenir du trésor de la maison royale de Luxembourg – ils ont peut-être appartenu à l’empereur Charles IV (1346-1378) -, et avoir été déposés en gage vers 1340 chez un financier juif de Środa Ślaska. La pratique du dépôt de joyaux en gage par des souverains qui avaient recours à des prêteurs juifs est attestée par ailleurs : en 1339, le roi d'Angleterre Edouard III met en dépôt auprès de l'archevêque de Trèves, en garantie de la créance du puissant financier juif strasbourgeois Vivelin le Roux, la grande couronne royale d'Angleterre ».

Les « trésors de la Peste noire » d’Erfurt et de Colmar
Les communautés juives de Colmar et d’Erfurt « comptent parmi les plus grandes d’Alsace et de Thuringe, régions où la présence juive est attestée à partir du XIIe siècle. Petites cellules autonomes et minorités religieuses protégées par le pouvoir en échange d’impôts, les communautés juives jouaient, par leurs activités financières et commerciales, un rôle important dans l’économie urbaine. L’étude des monnaies et des lingots montre que le possesseur du trésor d’Erfurt était sans doute un marchand d’envergure internationale (présence de gros « tournois » et de 14 lingots), tandis que celui du trésor de Colmar devait exercer son activité localement (nombreuses monnaies locales et régionales, notamment bâloises) ».

Les trésors d’Erfurt et de Colmar « contiennent peut-être des objets mis en gage, reflet de l’activité de prêt d’argent, mais peuvent également constituer des possessions personnelles, ayant sans doute appartenu à des familles aisées de commerçants et de banquiers, celles qui par ailleurs administraient les communautés juives ».

Les « monnaies les plus récentes de ces trésors rattachent leur enfouissement aux persécutions liées à la Peste noire, point culminant d’une détérioration de la condition des communautés juives – dans un contexte de tension croissante entre chrétiens et juifs – ponctuée de mesures discriminatoires, d’accusations diverses (usure, meurtre rituel, profanation d’hosties…) et d’explosions de violences (dans l’Empire, les trois grandes vagues de 1287, 1298 et 1336-1338) ».

Ces ensembles ont été retrouvés dans l’ancien quartier juif médiéval d’Erfurt ou de Colmar. Cette localisation ne permet pas à elle seule d’affirmer la judéité de leurs propriétaires. En effet, dans les quartiers qualifiés de « juifs », habitaient souvent juifs et chrétiens. 

Un deuxième élément s’avère plus décisif : chacun de ces trésors comporte une bague de mariage juive. Ce qui atteste leur appartenance à un membre de la communauté juive.

D’autre part, « l’analyse iconographique et stylistique des pièces d’orfèvrerie et l’étude des monnaies conduisent à l’hypothèse d’un enfouissement vers le milieu du XIVe siècle. Si quelques objets ont été fabriqués au XIIIe siècle, la plupart datent de la première moitié, voire du deuxième quart, du XIVe siècle. L’étude des monnaies confirme ces données et apporte des précisions chronologiques. Les monnaies les plus récentes, qui fournissent le terminus post quem de l'enfouissement, le rattachent à la Peste noire. Pour la trouvaille de Colmar, il s’agit du florin d’or frappé par Louis Ier de Hongrie à Buda entre 1342 et 1353. S’y ajoutent les florins rhénans à l’effigie de Louis IV de Bavière décédé en 1347. Enfin, la série des bractéates de Bâle s’arrête sous l’épiscopat de Jean II de Münsingen (1335-1365), avant l’émission des bractéates avec BA, datée de 1340-1344. Pour le trésor d’Erfurt, la monnaie la plus récente est le gros tournois d’Adolphe VIII de Berg (1308-1348), frappé au nom de l’empereur Louis IV (1328-1347) ».

Ces « trésors ont dû être enterrés au moment ou par crainte des massacres perpétrés lors de la Peste noire contre les communautés juives, en janvier 1349 à Colmar et en mars 1349 à Erfurt. Ces événements étaient le signe d'une détérioration de la situation des communautés juives en Occident, dont témoignent la décision du concile de Latran IV (1215) d’imposer le port d'un signe distinctif, et les expulsions temporaires (France, 1306) ou définitives (Angleterre, 1290). La vague de persécutions de 1348-1350 fut la plus importante du Moyen Âge. Elle sévit en Catalogne, en Provence, en Dauphiné, en Savoie, et surtout dans l’Empire ».

« Massacres et bûchers, comme celui de la « Fosse aux Juifs » à Colmar, firent de nombreuses victimes (976 morts à Erfurt le 2 mars 1349). L’invention même des trésors de Colmar et d'Erfurt, au XIXe siècle pour le premier et à la fin du XXe siècle pour le second, témoigne de l’ampleur des violences anti-juives liées à la Peste noire ; leurs propriétaires ont succombé aux massacres (à moins que ce ne soit à l’épidémie) et n’ont jamais pu venir les rechercher ».

« Les trésors d’Erfurt et de Colmar présentent des profils similaires. Certes, le trésor d’Erfurt est numériquement beaucoup plus important que celui de Colmar : 3041 monnaies et 14 lingots contre 3334 et un lingot (en deux fragments), quelque 600 objets contre une cinquantaine. Mais on ne connaît pas l’ampleur initiale du trésor de Colmar, en partie dispersé lors de sa découverte, tandis que celui d’Erfurt est resté complet. D'autres différences concernent le trésor monétaire : monométallique argent et très homogène (uniquement des gros tournois) pour celui d’Erfurt, bimétallique (une monnaie d'or, des pièces d'argent et de billon, un alliage d’argent et de cuivre) et très diversifié pour celui de Colmar.

Ces trésors sont tous deux caractérisés par la diversité de leurs pièces d’orfèvrerie profane : bijoux et éléments de parure - bagues, fermaux, ceintures, agrafes, boutons, appliques –, pièces d’orfèvrerie de table – doubles coupes, et, pour le trésor d’Erfurt, gobelets, aiguière, hanap. En cela, ces ensembles constituent des témoignages exceptionnels sur l'orfèvrerie profane du XIIIe siècle et de la première moitié du XIVe siècle. En effet, peu de pièces d’orfèvrerie profane médiévale sont conservées, à la différence de l’orfèvrerie religieuse, rassemblée dans les trésors d’église ».

Certains « objets semblent également répondre à un usage rituel. Attesté pour les bagues de mariage juives, qui figurent parmi les plus anciens objets rituels juifs d’Europe, il est probable ou plausible pour d’autres pièces, dont l’emploi n’est pas spécifiquement juif. Les doubles coupes, peut-être des cadeaux de mariage que l’on exposait, semblent avoir joué un rôle dans la cérémonie nuptiale. Les bagues et les ceintures aux inscriptions amoureuses et aux mains croisées ont pu être des cadeaux de fiançailles ou de mariage ». Seuls « objets spécifiquement juifs des trésors d’Erfurt, de Colmar et de Weissenfels, les bagues de mariage juives sont des bijoux rituels offerts par le marié à la mariée et portés seulement pendant la cérémonie du mariage. Ces bagues portent les mots hébreux mazel tov signifiant « bon augure ». Les exemplaires médiévaux sont ornés d’un petit édifice qui symbolise à la fois le nouveau toit du couple et le Temple de Jérusalem, et que suggère la scénographie ».

Enfin, « les huit gobelets qui s'emboîtent étaient sans doute utilisés pour le vin de Kidouch, prière de sanctification du Sabbat et des jours de fête ».

Les « mêmes pièces d’orfèvrerie profane, à l’occasion investies d’une fonction rituelle ou cérémonielle, se rencontrent parmi les possessions des juifs et des chrétiens ». Objets rituels spécifiquement juifs, les bagues de mariage juives sont fabriquées dans un style qui ne « diffère pas profondément de celui des pièces d’orfèvrerie chrétienne. Le contexte culturel commun et la situation de minorité des juifs dans la société chrétienne expliquent pour une bonne part ces parentés ». Majoritaire dans la production médiévale, l’orfèvrerie profane « a été très mal conservée en raison de son rôle de réserve monétaire et du renouvellement des modes. Les bijoux de ces trésors, pour la plupart en argent, parfois doré, relèvent des principaux types portés aux XIIIe siècle et dans la première moitié du XIVe siècle : bagues, fermaux et ceintures sont les ornements les plus fréquents du costume féminin et masculin ».

Ces « ensembles offrent une gamme variée de bagues, à chaton métallique ou formé d’une pierre enserrée dans une bâte (à bandeau lisse, à cupule dentelée, à griffes…). Les fermaux, qui servent à fermer le vêtement mais peuvent aussi être de simples ornements, apparaissent dans leur diversité de forme, de taille et de décor. Les « chapels » (cercles de tête) et surtout les ceintures, enrichis de pièces métalliques d’une grande diversité, sont autant d’éléments de parure volontiers ostentatoires. Les règlements somptuaires urbains limitent le nombre et le luxe de ces différents bijoux ».

Le « thème amoureux est présent sur plusieurs bijoux et objets des trésors d’Erfurt et de Colmar : fermail en forme d’arc et de flèche, serrure miniature (clef du cœur ?), petite boîte ornée de scènes courtoises, à laquelle fait écho un fermail du trésor de Weissenfels. Le motif des mains croisées, symbole de fidélité, se rencontre sur plusieurs bagues, fermaux et ceintures. D’autres s’ornent d’inscriptions amoureuses, telles AMOR et ses équivalents germaniques (LIEB, LIB, LIEP, LIP) sur des plaquettes de ceinture. Ces bijoux et petits objets étaient pour beaucoup des dons amoureux. Quant aux ceintures, elles ont pu faire partie des cadeaux de mariage (sivlonot) échangés par les fiancés dans les communautés juives de l’Empire ».

De « petites pièces métalliques pouvaient rehausser les vêtements et leurs accessoires, chapeaux, gants, aumônières. Ces appliques, agrafes, boutons et affiques, généralement cousus sur leur support, servaient aussi bien à agrémenter le costume qu’à le fermer ou à en ajuster certaines partis (col, manches). Parmi leurs formes variées, les motifs de rosettes, de cœurs et de fleurs de lis sont très répandus. Les chaînes et leurs pendentifs répondaient à divers usages, notamment celui d’accessoire de ceinture ou de fermeture de manteau. Le « nécessaire de toilette » du trésor d’Erfurt, composé d’instruments cosmétiques et d’un flacon en forme d’étoile, qui contenait peut-être du parfum, est un objet unique en son genre ».

A « côté des récipients de bois, céramique, verre et métaux ordinaires (étain, cuivre), la vaisselle d’argent et d’argent doré n’était pas rare, bien qu’elle ait aujourd’hui presque entièrement disparu. Cette vaisselle précieuse était régulièrement utilisée, probablement lors des fêtes, ou exposée sur un dressoir, comme signe de la richesse et du rang social de son possesseur ». Le trésor d’Erfurt « contient une aiguière (pot servant à verser l’eau ou le vin), ainsi qu’un exemplaire de chacun des deux principaux types de vases à boire profanes du premier XIVe siècle : un hanap (ou coupe), au fond enrichi d’un décor (comme celui du trésor Rouen-Gaillon, conservé au musée), et l’une des deux seules séries de gobelets emboîtables, avec celle de Nuremberg, qui nous soient parvenues ». Les deux trésors « recèlent chacun une double coupe, récipient répandu en Rhénanie, dont l’hémisphère supérieur sert de couvercle et peut être posé, son bouton de préhension faisant office de pied. Celle d’Erfurt est remarquable par ses émaux translucides, qui figurent des scènes de fables d’Esope. D’usage courant, les doubles coupes n’en étaient pas moins des cadeaux de prix, et peut-être, parce qu’elles symbolisent l’union de deux en un, des cadeaux de mariage ».

Organisée par le musée national du Moyen Âge-Thermes et hôtel de Cluny, avec le concours du Thüringisches Landesamt für Denkmalpflege und Archäologie  et le soutien du ministère de la Culture et de la Communication/Direction des musées de France, de la Réunion des musées nationaux, du Haut Conseil culturel franco-allemand, de L’Oréal Recherche et d’AGF, membre d’Allianz.
  
Histoire diffusa le 21 septembre 2015 La mort noire, documentaire de Peter Nicholson. « Comment les Européens ont-ils vécu la grande peste du XIVe siècle ? L'histoire de l'épidémie donne l'image d'une société médiévale complexe, dont la réaction a souvent été plus inventive qu'on ne l'imagine. La maladie atteint l'Europe vers la fin de l'année 1347, apportée par des marchands de Gênes revenant de Chine ou de Perse, là où l'épidémie a déjà décimé des régions entières. Elle se propage à une vitesse telle que l'on craint quelque temps la disparition de l'humanité entière, avant qu'elle ne commence à refluer, pour s'éteindre en 1349 ».

1347 : la peste noire

Les 14 et 26 avril 2018, Arte diffusa, dans le cadre de "Quand l'histoire fait dates", "1347 : la peste noire", par Pascal Goblot.


« 33, 1492, 1789, 1945... Comment ces dates se sont-elles glissées dans notre mémoire collective ? Qui a décidé lesquelles étaient mémorables ? Comment construit-on un événement, pourquoi, pour qui, et comment finit-il par entrer dans les manuels d’histoire ? »

« L’historien Patrick Boucheron revient sur quelques unes de ces dates pour découvrir en quoi elles nous aident aujourd’hui à saisir le panorama d’une histoire globale. Il revisite l’histoire à travers le prisme des grandes dates ».

« Portée par le récit face caméra, aussi savant que vivant, de Patrick Boucheron, professeur au Collège de France, cette collection documentaire met l’histoire en mouvement. »

« Des frises chronologiques animées accueillent images, documents et archives, illustrant les dix grandes dates évoquées ».

« En reconstituant, au fil d’une enquête captivante, ces événements inscrits dans les manuels scolaires, et en les replaçant dans plusieurs temporalités (au moyen des différents calendriers), la série rend ainsi sensible la manière dont l’histoire s’écrit, se date et se commémore ».

« Une approche nouvelle du sujet, où se croisent art de la narration, techniques ludiques d’animation et rigueur scientifique ».

Patrick Boucheron a dirigé « L'Histoire mondiale de la France ». Un best-seller controversé, critiqué notamment par Pierre Nora (« Politiquement, l’objectif est de lutter, « par une conception pluraliste de l’histoire, contre l’étrécissement identitaire qui domine aujourd’hui le débat public ») et Eric Zemmour : « En près de 800 pages et 146 dates, on ne déviera pas de la ligne du parti: tout ce qui vient de l’étranger est bon. Les invasions barbares sont des «migrations germaniques» ; la défaite des Gaulois leur permit d’entrer dans la mondialisation romaine ; les conquérants arabes étaient bien plus brillants que les minables défenseurs carolingiens ; les martyrs chrétiens de Lyon venaient d’ailleurs et saint Martin était hongrois. Les théologiens chrétiens doivent tout au grand talmudiste Rachi ; «l’honteux traité de Troyes» de 1420 (qui donnait le royaume de France à la monarchie anglaise) est une heureuse tentative de construire la paix perpétuelle par l’union des couronnes ».

Quant à Alain Finkielkraut, il a estimé : 
« Je découvre, effaré, que ni Rabelais, ni Ronsard, ni La Fontaine, ni Racine, ni Molière, ni Baudelaire, ni Verlaine, ni Proust n’y figurent. Et si Mauriac est cité, ce n’est pas pour son œuvre, c’est pour sa critique honteusement réactionnaire du féminisme. Ainsi s’éclaire le sens de « monde » pour les nouveaux historiens. Mondialiser l’histoire de France, c’est dissoudre ce qu’elle a de spécifique, son identité, son génie propre, dans le grand bain de la mixité, de la diversité, de la mobilité et du métissage. Et c’est répondre au défi islamiste par l’affirmation de notre dette envers l’Islam. De manière générale, l’Histoire mondiale de la France remplace l’identité par l’endettement. Ici doit tout à ailleurs. De la France, patrie littéraire, ce qui surnage, c’est la traduction des Mille et Une Nuits par Antoine Galland et l’audace qui a été la sienne d’ajouter au corpus original des histoires que lui avait racontées un voyageur arabe venu d’Alep.
Instructif aussi est le récit de l’invasion musulmane de 719 à Narbonne, où les cultures se sont mêlées avant que les Francs, hélas, n’arriment par la force cette ville à leur royaume. Ceux qui, en revanche, croient pouvoir mettre au crédit de la France naissante la première traduction latine du Coran par l’abbé de Cluny Pierre le Vénérable en 1143, sont avertis que cette démarche n’était pas inspirée par la curiosité mais par une volonté de dénigrement. Et peu importe le fait que l’Islam de son côté ne pouvait pas même envisager de traduire les Écritures saintes des religions antérieures à son avènement.
Nos éminents universitaires n’ont que l’Autre à la bouche et sous la plume. Ouverture est leur maître mot. Mais ils frappent d’inexistence Cioran, Ionesco, Kundera, Levinas, tous ces étrangers qui ont enrichi notre philosophie et honoré notre littérature. Car c’est à ce «notre» qu’ils veulent faire rendre l’âme...
Le dégoût de l’identité a fait place nette de la culture. Les façonniers de l’Histoire mondiale de la France sont les fossoyeurs du grand héritage français.
« Une histoire libre », dit le journal Libération pour qualifier ce bréviaire de la bien-pensance et de la soumission, cette chronique tout entière asservie aux dogmes du politiquement correct qui ne consacre pas moins de quatorze articles aux intellectuels sans jamais mentionner Raymond Aron, ni Castoriadis, ni Claude Lefort, ni aucun de ceux qui ont médité la catastrophe totalitaire et la bêtise de l’intelligence au XXe siècle…
« Histoire jubilatoire », ajoute Libération. Ce mot – le plus insupportablement bête de la doxa contemporaine – convient particulièrement mal pour une histoire acharnée à priver la France de son rayonnement et à l’amputer de ses merveilles.
Il n’y a pas de civilisation française, la France n’est rien de spécifiquement français: c’est par cette bonne nouvelle que les rédacteurs de ce qui voudrait être le Lavisse du XXIe siècle entendent apaiser la société et contribuer à résoudre la crise du vivre-ensemble.
Quelle misère! »
Sur le djihad à Narbonne, voici le témoignage de Ibn al-Athîr dans ses Annales cité par Bat Ye'or dans Les Chrétientés d'Orient entre jihad et dhimmitude (p. 328) :
"En 177 <17 793="" avril="">, Hichâm, prince d'Espagne, envoya sur le territoire ennemi une nombreuse armée commandée par 'Abd el-Melik ben 'Abd al-Wâh'id ben Moghît et qui poussa jusqu'à Narbonne et Djeranda . Ce général attaqua d'abord Djeranda , où se trouvait une garnison franque d'élite ; il tua les plus braves, détruisit les murs et les tours de la ville et faillit s'en emparer. Il marcha ensuite sur Narbonne, où il renouvela les mêmes exploits, puis, poussant en avant, il foula le sol de la Cerdagne. Pendant plusieurs mois, il parcourut ce pays dans tous les sens, faisant violence aux femmes, tuant les guerriers, détruisant les forts, brûlant et pillant tout, chassant devant lui l'ennemi qui s'enfuyait en désordre. Il rentra chez lui sain et sauf, traînant après lui un butin dont Dieu seul sait l'importance. Cette expédition est l'une des plus célèbres des musulmans d'Espagne [p. 144].
En 2010<23 825="" avril="">,  'Abd el-Rah'mân ben el-H'akam envoya sur le territoire franc une forte troupe de cavalerie commandée par 'Obeyd Allâh, connu sous le nom d'Ibn el-Balensi. Cet officier dirigea des razzias dans tous les sens, se livra au meurtre et au pillage, et fit des prisonniers. En rebî'I , une rencontre qui eut lieu avec les troupes des infidèles finit par la déroute de ceux-ci qui perdirent beaucoup de monde ; les nôtres remportèrent là un succès important [p. 200]".
« Car il existe de nombreux calendriers différents dans le monde... Pas une histoire unique mais une multitudes d’histoires enchevêtrées ».

« Alors élargissons la focale, renversons notre point de vue, et livrons-nous avec Patrick Boucheron à ce petit exercice de « fabrique de la mémoire ».

"Alors qu’en l’espace de cinq ans la grande peste a décimé un tiers de la population européenne, il reste finalement peu de traces de la pire catastrophe que le Moyen Âge ait connue. Que s’est-il réellement passé entre 1347 et 1352 sur notre continent ? Il apparaît que cette épidémie a été le marqueur d’une première mise en relation massive de l’Eurasie et du monde méditerranéen".

"La peste noire, l’ennemi invisible

Arte diffusa le 17 février 2019, dans le cadre de "Points de repères" ("Im Lauf der Zeit"), "La peste noire, l’ennemi invisible" (Die Pest, der heimtückische Feindpar Pierre Lergenmüller. 

"Révolutions ou bonds technologiques, les plus grands bouleversements ont souvent été provoqués par des décisions insignifiantes. À partir de la même question préalable – "Et si cet événement n’avait pas eu lieu ?" –, cette série destinée au jeune public revisite la grande histoire sous un angle original et ludique."

"En 1347, la peste noire apparaît. C’est une des plus graves catastrophes démographiques que l’Europe ait connues, fauchant plus d’un quart de sa population en seulement 4 ans."

"En 1347, les Mongols assiègent le comptoir génois de Caffa (actuelle Féodossia), en Crimée. Décimés par une mystérieuse maladie, ils catapultent par-dessus les murailles les corps des soldats infectés. Transportée par les bateaux génois, la peste entre en Europe et se répand de port en port. En quatre ans, elle fait plus de 25 millions de victimes sur le continent, soit le quart de sa population."

"Épidémies, une longue histoire" 
Arte diffusera le 10 avril 2021, dans le cadre de la série "Le dessous des cartes" (Mit offenen Karten), "Épidémies, une longue histoire" (Die Geschichte der Epidemien).

"En cette période de crise à la fois sanitaire et économique, "Le dessous des cartes" revisite l’histoire et la géographie des grandes épidémies à travers les âges. Ces fléaux racontent l’évolution des échanges entre les hommes et révèlent les failles, mais aussi les atouts, des États."


France, 2020, 13 min
Présentation : Emilie Aubry
Sur Arte le 10 avril 2021 à 19 h 30
Disponible du 03/04/2021 au 08/06/2021

"La peste noire, l’ennemi invisible" par Pierre Lergenmüller

France, 2017, 26 min
Sur Arte le 17 février 2019 à 8 h 35

"1347 : la peste noire", par Pascal Goblot
2017
Sur Arte les 14 avril 2018 à 16 h 25 et 26 avril 2018
Visuels :
Alors que, en l’espace de cinq ans, la grande peste décime le tiers de la population, et la moitié des villes, il reste finalement peu de traces du passage de la pire catastrophe naturelle que l’Europe ait connue. Que s’est-il vraiment passé entre 1347 et 1352 en Europe ?
Credit : Les films d'ici

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Les citations et la carte sont extraites du dossier de presse. Cet article a été publié en une version concise dans Osmose, et sur ce blog le  :
- 18 juillet 2014, 3 février et 21 septembre 2015. Histoire a diffusé les 18 et 24 juillet 2014, 3 et 9 février 2015 La mort noire, documentaire de Peter Nicholson ;
- 13 avril 2018 et 22 février 2019.

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