Citations

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« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du Soleil. » (René Char).
« Il faut commencer par le commencement, et le commencement de tout est le courage. » (Vladimir Jankélévitch)
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » (Albert Londres)
« Le plus difficile n'est pas de dire ce que l'on voit, mais d'accepter de voir ce que l'on voit. » (Charles Péguy)

mardi 9 janvier 2024

Lyonel Feininger (1871-1956)

Lyonel Feininger (1871-1956) était un peintre, graveur (œuvres sur bois), compositeur de musique, caricaturiste, auteur de bandes dessinées et photographe américain. Il a été membre de la Sécession berlinoise (1909), lié au groupe expressionniste Die Brücke, Novembergruppe (1918-1922), à la Sécession dresdoise ou Gruppe (1919), au groupe Les Quatre Bleus (The Blue Four), et au mouvement artistique Bauhaus. Arte diffusera le 14 janvier 2023 à 17 h 45 « Lyonel Feininger - Maître du Bauhaus », documentaire de Mathias Frick.


Lyonel Feininger (1871-1956) est né à New York (Etats-Unis) dans une famille de musiciens. Passionné dès l'enfance par la mer et les bateaux, il les dessine.

En 1887, cet adolescent arrive à Hambourg, dans l'empire allemand. Il choisit d'étudier la peinture et s'inscrit aux Beaux-Arts, à Hambourg (à l'Allgemeine Gewerbeschule), puis à Berlin (Königliche Akademie), Liège et Paris (Académie Colarossi). 

Ses talents d'illustrateurs lui valent une renommée, bien avant que son art pictural soit reconnu. Dès 1890, ses dessins apparaissent dans le journal satirique Humoristische Blätter, puis, à partir de 1905, ses caricatures sont publiées par les revues humoristiques Ulk, Fliegende Blätter et Lustige Blätter. En 1906-1907, Lyonel Feininger crée textes et dessins pour deux séries de bandes dessinées pour le Chicago Tribune : The Kin-der-Kids et Wee Willie Winkie's World. Une caractéristique ? Une appétence pour l’anthropomorphisme : cet artiste dessine des visages aux êtres ou objets inanimés (arbres, automobiles, bâtiments). De 1906 à 1911, les tableaux de Lyonel Feininger sont influencés par ses dessins. Créé par Paul Iribe, le magazine Le Témoin publie des dessins de Lyonel Feininger. 

En 1901, en Allemagne, Lyonel Feininger épouse Clara Fürst (1879-1944), pianiste de concert, fille du peintre Gustav Fürst. Le couple a deux filles : Eleonora (dite Lore),photographe berlinoise réputée, et Marianne. Clara Fürst est déportée et assassinée au camp nazi d'Auschwitz (Pologne).

En 1908, Lyonel Feininger épouse Julia Berg, née Lilienfeld (1880-1970), ancienne étudiante des beaux-arts à Weimar. Le couple a trois fils, Andreas, devenu un célèbre photographe, Laurence, musicologue renommée, et Theodore Lukas (dit T. Lux), peintre et photographe. 

En 1911, à Paris, cet artiste affine son style artistique en découvrant les œuvres des cubistes au Salon des indépendants à Paris. Dans ses toiles et gravures, il peint la ville et l'architecture de villages thuringiens. Cubiste, il délaisse la perspective classique, multiplie des angles improbables, emboite des formes aux lignes sévères. Il étudie les couleurs du peintre Robert Delaunay, et soigne la transparence, la lumière de ses toiles. 

En 1913, la galerie berlinoise Der Sturm organise une exposition individuelle de Lyonel Feininger.

Durant et après la Première Guerre mondiale, il place un clocher d'église, symbole d'une aspiration à la paix. 

En 1919, cet artiste est convié par Walter Gropius pour enseigner, dans l'atelier d'impression, au Bauhaus qui doit fermer ses portes en 1933 après l'arrivée au pouvoir d'Hitler. "Sa gravure sur bois expressionniste, La cathédrale du Futur, est le premier emblème d’un Bauhaus encore mystique et romantique. Il est intéressant de saisir le gouffre qui le sépare de celui dessiné par Oskar Schlemmer en 1922 pour la même école". Parallèlement à ses activités picturales, Feininger s'intéresse alors à la photographie. En 1931, la Galerie nationale de Berlin lui consacre une rétrospective. Lyonel Feininger est influencé par les avant-gardes artistiques : le constructivisme, le cubisme et l'expressionnisme (série d'aquarelles Quimper, années 1930).

A la fin des années 1920, Lyonel Feininger découvre la technique photographique durant sa fonction de professeur au Bauhaus. Ce quinquagénaire l'expérimente en photographiant des bâtiments géométriques du campus à Dessau, en étudiant les "effets de lumière et les jeux de négatifs". Cette activité est partagée par ses fils et László Moholy-Nagy, son voisin à Dessau.

En 1937, en raisons des persécutions antisémites et artistiques - œuvres de Lyonel Feininger rejetées pour leur modernisme, classés comme art « dégénéré » (Entartete Kunst), et exclues de musées - du régime nazi en Allemagne, Lyonel et Julia, d'origine juive, Feininger se réfugient aux États-Unis. A l'été 1937, vingt-quatre de ses tableaux sont présentées, après son exil, dans l'exposition fustigeant l'art "dégénéré". 

Lyonel Feininger assure les cours estivaux 1937 au Mills College, à Oakland en Californie, en remplacement d'Oskar Kokoschka. 

Puis, le couple Feininger s'installe à New York. En 1944, le Museum of Modern Art de New York présente une rétrospective de Lyonel Feininger.

Lyonel Feininger a composé des œuvres musicales, notamment des fugues. Pour la série Gelmeroda, il s'est inspiré de morceaux de Bach.

« Lyonel Feininger - Maître du Bauhaus »
Arte diffusera le 14 janvier 2023 à 17 h 45 « Lyonel Feininger - Maître du Bauhaus », documentaire allemand de Mathias Frick (2023).
« Artiste inclassable ayant évolué entre l’Amérique et l’Europe, Lyonel Feininger (1871-1956) a laissé une oeuvre riche et protéiforme étrangement méconnue en France. Portrait sensible de ce maître inspiré du Bauhaus. Caricature, bande dessinée, gravure, dessin, peinture et photographie… : Lyonel Feininger (1871-1956) s’est essayé à de multiples genres avec un égal talent et une irrépressible liberté. »

« Né à New York dans une famille de musiciens allemands, l’artiste débarque à 16 ans à Hambourg, avec ses parents, puis étudie aux Beaux-Arts de Berlin, Liège et Paris, et connaît ses premiers succès comme caricaturiste et dessinateur de bandes dessinées pour les journaux allemands et américains. »

« Éternel nomade, cet amoureux de la mer ne cessera de la peindre, de la Baltique en Poméranie à la Manche en Normandie. Influencé par les avant-gardes européennes qu’il côtoie – le cubisme et le fauvisme à Paris, l’expressionnisme en Allemagne… –, Lyonel Feininger accompagne surtout Walter Gropius à Weimar lors de la fondation du Bauhaus – dont il illustre le manifeste par une gravure – et dirige l’atelier graphique de l’école, avant de prendre ses distances. »

« Ce marginal solitaire à l’esprit romantique, qui traduisait dans ses tableaux les bouleversements politiques et sociaux de son temps, est déclaré artiste "dégénéré" par les nazis. De retour aux États-Unis cinquante ans après les avoir quittés, il documente New York à travers une série consacrée à ses gratte-ciel. »

« Partant sur les traces de cet artiste étrangement méconnu en France, où il a pourtant vécu et travaillé avec passion – Lyonel Feininger a assidûment fréquenté le Dôme à Paris –, le documentaire explore son œuvre foisonnante entre deux mondes, l'Amérique et l'Europe, qui l’ont également nourri. »

« Avec, notamment, les éclairages d’historiens de l’art, de son biographe et de son petit-fils, lui-même artiste, le portrait d’un créateur attachant à la délicate poésie, éternel exilé qui n’a cessé de se réinventer. »


« L’Arpenteur du monde »
En 2015, le MuMa - Le Havre musée d’art moderne André Malraux a présenté l'exposition « Lyonel Feininger. L’Arpenteur du monde. Regard de collectionneur ». « Si Lyonel Feininger a fait l’objet de nombreuses rétrospectives dans le monde, il reste néanmoins un artiste méconnu du public français. C’est donc la première fois en France qu’une exposition lui est consacrée, grâce à la générosité d’un collectionneur passionné. Le MuMa proposa de découvrir ce grand artiste du XXe siècle à travers 139 œuvres (4 peintures, 24 aquarelles, 22 dessins, 89 gravures), couvrant toute la carrière de Feininger, de 1907 à 1949. »

« Réunies par un collectionneur, elles reflètent naturellement son histoire et ses goûts en offrant un coup de projecteur délibéré sur l’oeuvre graphique et la fulgurante série des bois gravés exécutés en à peine quatre années, entre 1918 et 1922 au Bauhaus. Derrière cette oeuvre attachante et pleine de poésie, l’exposition révèle un artiste aux prises avec son époque, avec les convictions et utopies de ses contemporains qui l’amènent à participer à la fondation du Bauhaus, tout en poursuivant une oeuvre singulière, éminemment cohérente tout au long de sa vie. »
Lyonel Feininger (1871-1956), « né à New York dans une famille de musiciens allemands, a passé la plus grande partie de sa vie en Allemagne où il arrive en 1887, avant de revenir aux États Unis en 1937. Après des débuts comme caricaturiste et dessinateur de bandes dessinées pour des journaux américains et allemands, il consolide à partir de 1910 sa réputation de peintre en côtoyant les avant-gardes européennes (à Paris où il découvre le cubisme, en Allemagne, Die Brücke, Blauer Reiter, Sécession berlinoise…). Il développe alors un style influencé par le cubisme et l’expressionnisme allemand. »

« En 1919, l’architecte Walter Gropius fonde le Bauhaus à Weimar (Allemagne). Lyonel Feininger est à ses côtés et illustre la couverture du manifeste du Bauhaus d’un bois gravé (La Cathédrale) que l’on découvrira dans l’exposition. »

« Il devient l’un des tout premiers « maîtres » de l’école aux côtés de Gerhard Marcks et de Johannes Itten. Il occupe rapidement la charge de directeur artistique de l’atelier graphique. Même s’il prend progressivement ses distances avec l’école à partir de son transfert à Dessau, puis à Berlin, et s’il poursuit ses recherches personnelles, il reste fidèle aux promoteurs du Bauhaus. »

« Comme de nombreux artistes dont l’art est déclaré « dégénéré » par les nazis, il fuit l’Allemagne et revient aux États-Unis cinquante ans après les avoir quittés. »

« Il reçoit alors des commandes de peintures murales monumentales pour l’exposition universelle de New York en 1939 et se lance l’année suivante dans une série de tableaux de gratte-ciel à Manhattan. À la fin de sa vie, ses compositions puisent dans des œuvres antérieures et le souvenir de ses « expériences les plus précieuses », mais aussi dans sa pratique de la photographie. Il s’éteint en 1956. »

« Tout au long de sa vie, Feininger restera attaché au motif. »

« Que ce soit à Paris, où il séjourne à plusieurs reprises et où il côtoie les fauves et les cubistes, dans la campagne de Thuringe où il aime à se promener, au bord de la Baltique où il passe ses étés de 1924 à 1935, puis à New York enfin où il retourne à la fin de sa vie, Feininger affirme sa prédilection pour les scènes urbaines ou villageoises, l’architecture et le monde de la mer. »

« Après avoir décidé de se consacrer exclusivement à sa carrière artistique, sa pratique du dessin humoristique pour la presse de ses débuts le conduit à développer son œuvre graphique et à aborder l’art de la gravure (lithographie, eau-forte, gravure sur bois) parallèlement à la peinture. »

« Des motifs privilégiés traversent son oeuvre, déclinés à l’envi en différentes techniques. Feininger n’hésite pas à reprendre aux États-Unis des sujets allemands, et à se nourrir de sa propre oeuvre. Souvent, des personnages peuplent l’espace de leur présence : hautes silhouettes planes issues de son imaginaire romantique, toujours pressées ou en mouvement, personnages picaresques, promeneurs de bord de mer, anguleux profils chapeautés des bois gravés… »

« Peut-être plus que Paul Klee, son ami et proche compagnon du Bauhaus, Feininger s’inscrit dans la tradition picturale romantique allemande, particulièrement sensible dans ses marines, réinterprétations presque délibérées de celles de Caspar Friedrich. »

« Chez lui comme chez Friedrich, la figure humaine presque toujours réduite semble absorbée dans la contemplation de la mystérieuse lumière du nord de l’Allemagne et de ces « bateaux qui tels des vaisseaux fantômes se dirigent vers des ports qui appartiennent à une géographie plus mentale que terrestre ». Pour autant, et c’est ce qui le différencie du peintre romantique comme de ses contemporains de Die Brücke (Kirchner, Heckel, Schmidt-Rottluff…) qui remirent la gravure sur bois au goût du jour dès 1905, Feininger porte sur le monde un regard tendre qui se traduit par cette poésie, cette fantaisie et cette étrangeté qui font l’originalité de son oeuvre. Ne parlait-il pas lui-même de son « joyeux univers enfantin et bizarro-fantastique ».

Le commissariat de l’exposition est assuré par David Butcher, historien de l’art, et Annette Haudiquet, conservateur en chef du MuMa, Musée d’art moderne André Malraux, Le Havre.


BIOGRAPHIE
LYONEL FEININGER (1871-1956)

« 1871 Naissance à New York le 17 juillet de Lyonel (Léonell Charles) Feininger dans une famille de musiciens d’origine allemande.
1887 En octobre il part en Allemagne avec l’intention d’étudier le violon au conservatoire de Leipzig, mais s’inscrit finalement à l’École des Arts Décoratifs d’Hambourg.
1888 Feininger quitte Hambourg pour intégrer l’Académie royale prussienne des Beaux-arts de Berlin où il étudie pendant deux années.
1892 Feininger arrive en novembre à Paris pour un premier séjour en France. Il loue un atelier au 9 rue Campagne-Première à Montparnasse et fréquente l’Académie Colarossi.
1893 Retour à Berlin avec l’intention de se lancer dans une carrière de caricaturiste. Les années qui suivent le voient travailler pour des journaux humoristiques, américains comme l’hebdomadaire Harper’s Young People, ou allemands comme Ulk et Die lustingen Blätter.
Il devient au tournant du siècle l’un des caricaturistes les plus réputés de Berlin.
1905-1906 Il rencontre Julia, sa future seconde femme, qui étudie les arts graphiques à l’École grand-ducale des arts appliqués de Weimar. Il la rejoint l’année suivante à Weimar et sur ses conseils réalise ses premières lithographies et eaux-fortes. En juillet, le couple s’installe à Paris. Feininger étudie de nouveau à l’Académie Colarossi. Il commence à travailler comme caricaturiste pour Le Témoin jusqu’à la disparition de la revue en 1910.
Voyage en Normandie à la fin de l’été.
1907 Feininger fréquente le café du Dôme, lieu de rencontre favori des artistes allemands et élèves d’Henri Matisse, où il se lie avec Jules Pascin, Richard Götz, Hans Hoffmann et les artistes allemands d’avant-garde : Oskar Moll, Rudolf Levy, Hans Purrmann…
En avril, il achève son premier tableau, une nature morte, bientôt suivie de scènes urbaines parisiennes.
Il visite la galerie Bernheim-Jeune ; il en restera très marqué par les peintures de Van Gogh et Cézanne.
1908 Lyonel et Julia Feininger se rendent à Londres pour se marier. Ils s’installent en Allemagne, près de Berlin. Feininger reprend contact avec des magazines humoristiques allemands. Il devient membre de la Sécession berlinoise.
1910 Participe à l’exposition annuelle de la Sécession berlinoise pour la première fois avec une peinture (Longueil, Normandie). Il cesse de travailler comme caricaturiste.
1911 Court séjour à Paris où il expose six peintures au Salon des Indépendants. À cette occasion, il découvre le cubisme. Durant l’été, il réside à Heringsdorf, visite les villages de Benz, Zirchow…
1912 Feininger expose de nouveau à Paris trois peintures au Salon des Indépendants.
Il rencontre les peintres de Die Brücke et devient proche d’Erick Heckel et de Karl Schmidt-Rottluff.
Il se lie avec Alfred Kubin, membre du groupe expressionniste Der Blaue Reiter.
1913 Feininger séjourne à Weimar où il visite les villages et bourgs de Thuringe qui lui inspirent de nombreux motifs (Gelmeroda, Mellingen, Vollersroda…). À l’invitation de Franz Marc, co-fondateur du Blaue Reiter avec Kandinsky, il expose cinq peintures au premier Salon d’automne allemand (Erster Deutscher Herbstsalon) organisé par la galerie Der Sturm à Berlin. En juin, il quitte la Sécession berlinoise.
Réalise des maquettes en bois de locomotives et trains pour enfants pour une usine de jouets, mais la guerre en empêche la fabrication.
1914 28 juillet, début de la première guerre mondiale.
Feininger et sa famille retournent à Berlin.
1917 Avril : les États-Unis entrent en guerre.
Première exposition personnelle à la Galerie Der Sturm à Berlin (45 peintures et 66 œuvres sur papier).
En novembre : début de la révolution russe.
1918 Premières gravures sur bois.
Fin de la première guerre mondiale avec la signature de l’armistice le 11 novembre.
1919 Janvier, échec de la révolution spartakiste.
Début de la République de Weimar. Weimar devient la capitale fédérale de l’Allemagne.
Feininger entre en avril au conseil des artistes de l’Arbeitsrat für Kunst (Conseil des travailleurs pour l’art).
Avril, création à Weimar du Bauhaus, école d’art d’Etat issue de la fusion de deux établissements : la Hochschule für bildende Kunste (Académie des Beaux-Arts) et la Kunstgewerbeschule (Ecole des arts appliqués). Walter Gropius en est nommé directeur. Il engage les trois premiers professeurs (« maîtres de forme ») : Johannes Itten, Gerhard Marcks et Lyonel Feininger. Feininger illustre la couverture du Manifeste du Bauhaus avec un bois gravé, Cathédrale.
1920 Première exposition personnelle dans un musée allemand à Erfurt.
Au Bauhaus, Oskar Schlemmer, Georg Muche et Paul Klee sont nommés maîtres de forme.
1921 L’atelier graphique du Bauhaus réalise le premier portfolio de Feininger, un recueil de Douze Bois gravés. Feininger, à qui le Detroit Institute of Arts achète une toile, devient le directeur artistique de l’atelier graphique du Bauhaus suite au départ de Karl Klemm. Il supervise la publication de portfolios personnels de gravures de Wassily Kandinsky (Kleine Welten / Petits mondes), d’Oskar Schlemmer, de Georg Muche et de Gerhard Marks, quatre portfolios collectifs (maîtres du Bauhaus) ainsi qu’un ensemble consacré à la « Nouvelle gravure européenne ».
Parallèlement, il compose sa première fugue pour piano.
1922 Passe l’été dans le nord de l’Allemagne à Timmendorf, sur la mer Baltique, avec Gropius et Kandinsky, qui vient de rejoindre le Bauhaus. 
1923 László Moholoy-Nagy rejoint à son tour le Bauhaus. Première grande exposition de l’École qui évolue vers une prise en compte de la civilisation industrielle et de la machine, illustrée par le nouveau slogan de Gropius « Art et technique, une nouvelle unité ».
1924 À l’initiative de la collectionneuse Galka Scheyer, Feininger, Paul Klee, Alexej Jawlensky et Wassily Kandinsky forment le groupe Die Blaue Vier (The Blue Four / Les Quatre Bleus) dans le but d’exposer aux États-Unis.
Feininger passe son premier été à Deep, village de pêcheurs sur la mer Baltique. Il y reviendra chaque année en famille, à douze reprises.
1925 Fermeture du Bauhaus à Weimar suite à un changement politique au sein du parlement de Thuringe et à la montée des nationaux-socialistes.
Les enseignants se prononcent pour une délocalisation de l’école à Dessau. Les Feininger y déménagent peu après.
1926 Ils s’installent dans l’une des maisons de maître construites par Walter Gropius, qu’ils partagent avec László et Lucia Moholy-Nagy. À sa demande, Feininger est déchargé de ses responsabilités d’enseignant, mais demeure au Bauhaus comme maître en résidence selon le souhait de Gropius.
Un portfolio de ses 10 gravures sur bois est publié à Berlin.
1927 Il rencontre à Dessau le futur directeur du Museum of Modern Art de New York, Alfred J. Barr.
1928 Gropius démissionne de son poste de directeur au Bauhaus. Hannes Meyer lui succède.
1929-1931 Grâce à l’intervention du directeur du musée de la ville, le conseil municipal de Halle, petite ville du Nord-Est de l’Allemagne, commande à Feininger une peinture représentant la cité.
Un atelier est mis à sa disposition dans le musée.
Il y exécutera finalement toute une série de peintures (12) entre 1929 et 1931.
1929 24 octobre, krach boursier à Wall Street entraînant le début de la crise économique mondiale.
1930 Au Bauhaus, Hannes Meyer est limogé de son poste de directeur pour ses sympathies communistes. Il est remplacé par Mies Van der Rohe.
1931 Voyage de Feininger à Paris et en Bretagne, avant de passer l’été à Deep.
La Nationalgalerie de Berlin organise une rétrospective de son oeuvre à l’occasion de son soixantième anniversaire.
1932 Septembre, le conseil municipal de Dessau, désormais aux mains des nationaux-socialistes décide de fermer le Bauhaus. L’école poursuit ses activités à Berlin.
1933 30 janvier, Adolf Hitler devient chancelier d’Allemagne. Les nazis ferment définitivement le Bauhaus en avril. Les œuvres de Feininger comme celles d’autres artistes modernes sont déclarées « art dégénéré ».
Les Feininger partagent désormais leur temps entre Berlin et Deep. Leur situation devient de plus en plus précaire.
1936 Feininger est invité par Alfred Neumeyer à enseigner durant l’été au Mills College d’Oakland en Californie. Il se rend aux États-Unis accompagné de Julia.
Première exposition de Feininger aux États-Unis puis retour à Berlin.
1937 Nouvelle invitation du Mills College.
Les Feininger quittent définitivement l’Allemagne comme l’avaient fait avant eux de nombreux artistes et intellectuels allemands et notamment des artistes du Bauhaus comme Klee, Gropius, Kandinsky, Moholy-Nagy. Ils s’installent à New York.
1938 Le couple habite au 235 East 22nd Street à New York. Feininger reçoit la commande d’un premier « mural » pour le bâtiment du Transport maritime à l’Exposition universelle de New York en 1939.
1939 Début de la seconde guerre mondiale. 
Feininger réalise un second « mural » pour le bâtiment des chefs-d'œuvre de l’art à l’Exposition universelle. Feininger se remet à peindre, revisitant son oeuvre (les bois gravés) et puisant dans ses souvenirs d’Allemagne, en particulier les images de la mer Baltique.
1940 Il peint ses premiers tableaux de Manhattan.
1941 Entrée en guerre des États-Unis.
1944 Première grande rétrospective de son oeuvre aux États-Unis (conjointement avec Marsden Hartley), au Museum of Modern Art à New York.
Elle circule dans dix grandes villes américaines.
Feininger continue de peindre et de faire des photographies.
1945 8-9 mai capitulation de l’Allemagne nazie.
Fin de la seconde guerre mondiale.
1956 Lyonel Feininger s’éteint le 13 janvier à New York. »

L’EXPOSITION EN IMAGES

« Le MuMa présenta la première exposition en France consacrée à Lyonel Feininger, artiste incontournable du XXe siècle, à la renommée internationale mais paradoxalement peu présent au sein des collections publiques françaises. Loin de la rétrospective, l’exposition proposa de porter un regard singulier sur un ensemble d’oeuvres réunies par un collectionneur passionné. Dans la lumière du Havre, le MuMa leva le voile sur un artiste témoin de son temps, au trait poétique et attachant. »

Immeubles dans un cul de sac, Paris
1907
Crayon sur papier. 22,3 × 14,4 cm.
Situé et daté : Paris, wed, apr 17. 07.
Collection particulière © Adagp, Paris, 2015
« En juillet 1906, un contrat pour faire des dessins humoristiques au Chicago Tribune permet à Feininger de « [s]’installer à Paris et d’apprendre à connaître le monde de l’art. » En compagnie de Julia, sa future femme, il retrouve le Paris qu’il a connu lors d’un premier séjour à l’âge de vingt ans et il se met aussitôt à dessiner les vieux immeubles. Au café du Dôme, il fréquente des artistes germanophones et se lie d’amitié avec Jules Pascin et au Salon d’Automne il découvre le fauvisme. Le contrat avec le Chicago Tribune se termine fin 1906 et il commence à travailler pour le journal satirique français Le Témoin. »

Fin de séance à la Bourse de Paris
1908
Plume, encre de Chine et crayons de couleur sur papier. 26,4 × 21,8 cm.
Signé, situé et daté : Feininger / Paris 1908. Collection particulière © Adagp, Paris, 2015
« Travaillant depuis les années 1890 comme dessinateur et caricaturiste pour des journaux allemands, américains et français, Feininger est considéré au tournant du siècle comme l’un des plus talentueux de sa génération. Encouragé par sa seconde épouse Julia, il commence à peindre à partir de 1907. Il s’agit pour lui de faire enfin « un travail sérieux ». Les œuvres qu’il exécute alors empruntent à l’univers du dessin satirique avec une prédilection pour les scènes teintées d’étrangeté et d’humour. De grandes silhouettes planes et colorées traversent ses compositions qui se caractérisent par des perspectives obliques, des raccourcis, des distorsions d’échelle. Les personnages, urbains ou villageois, habillés à la mode romantique, semblent sortis d’un univers picaresque de carnaval. »

Oberweimar
1917
Plume, encre de Chine et fusain sur papier
23,6 × 30,3 cm. Signé, titré et daté : Feininger / Oberweimar / 1917. Collection particulière
© Adagp, Paris, 2015 © Maurice Aeschimann
« Pendant la première guerre mondiale, alors que la plupart de ses concitoyens américains résidant en Allemagne décident de rentrer dans leur pays d’origine, Feininger choisit de rester. S’il a souvent songé à retourner au pays de son enfance, des circonstances diverses l’en ont toujours empêché. En septembre 1917, une exposition personnelle à la Galerie Der Sturm à Berlin renforce davantage son rôle sur la scène artistique allemande, et parallèlement sa conviction que son avenir était en Allemagne. L’artiste continue ses recherches picturales et elles débouchent dans le dessin Oberweimar (1917) sur un espace proche de celui du cubisme cézannien développé par Braque à l’Estaque en 1908, lorsqu’il s’inspirait du maître d’Aix en utilisant des formes géométriques pour créer des volumes. Cependant, les volumes de Feininger sont moins solides, plus légers, la composition plus fluide, moins statique.  Feininger s’inspire du cubisme cézannien de Braque (suivi de Dufy et Picasso), mais sans l’imiter. »

Les Détracteurs
1911
Eau-forte (zinc) sur papier. 21,9 × 26 cm.
Signé titré et daté : Feininger / The Disparagers / Friday 22 SEPT. 1911. Collection particulière 
© Adagp, Paris, 2015 © Maurice Aeschimann
« Vers 1911-1912, Feininger réalise une série d’eaux-fortes et s’essaye également à la lithographie. La plupart de ces gravures sont des variations de dessins existants, parfois des citations pures et simples ou sont exécutées parallèlement à des dessins. Elles empruntent donc aux mêmes motifs, scènes urbaines ou rurales, marines… D’une extrême qualité, les eaux-fortes témoignent des recherches de Feininger pour forcer son habileté de dessinateur et pousser plus loin encore la virtuosité du trait. »

La Haute Maison
1908
Plume et encre de Chine avec aquarelle
27,5 × 21,7 cm. Signé, situé, daté : Feininger / Paris 08 / das hohe Haus. Collection particulière
© Adagp, Paris, 2015
Hautes Maisons II
1913
Plume, encre de Chine et fusain sur papier
32,4 × 23,5 cm. Signé, titré et daté : Feininger / Hohe Häuser II /Thurs. May 1st 1913. Collection
particulière © Adagp, Paris, 2015
Hautes Maisons V
1917
Plume, encre de Chine, fusain et aquarelle sur papier
31,6 × 23,3 cm. Signé, titré et daté : Feininger / Hohe Häuser V / März 1917.
Collection particulière © Adagp, Paris, 2015
« À Paris en 1908, Feininger commence une série d’études architecturales intitulée Les Hautes maisons (Hohe Häuser) qui va s’étaler sur neuf ans. Le premier dessin, La Haute maison, évoque l’atmosphère romantique de la ville remodelée au XIXe siècle. »
« Cinq ans plus tard, dans Hautes maisons II, l’artiste procède au décorticage d’immeubles parisiens afin de rendre apparentes leurs armatures et d’arriver ainsi au plus près de leur structure. Selon les principes cubistes qui nourrissent son oeuvre depuis 1912, ce processus passe par la géométrisation des formes. En 1916, un autre dessin, Hautes maisons III, rend leur « chair » aux immeubles, créant des volumes solides. Un dernier dessin, Hautes maisons V de 1917, aborde le thème d’une manière très différente encore, en mettant l’accent sur la verticalité et l’étroitesse des immeubles et en y ajoutant de la couleur. »

Cathédrale
[grande planche]
1919
Bois gravé sur papier crème. 30,8 × 19,1 cm.
Signé : Lyonel Feininger. Frontispice du programme du Staatliches
Bauhaus Weimar, 1919. Collection particulière © Adagp, Paris, 2015
© Maurice Aeschimann
« Le 1er avril 1919, le Bauhaus est créé et Walter Gropius, son directeur, demande à Feininger de le rejoindre. Feininger est nommé « maître de formes » à l’atelier d’imprimerie. Il lui revient de concevoir la couverture du Manifeste du Bauhaus rédigé par Gropius. Le sujet, une cathédrale, renvoie d’abord à l’organisation du Bauhaus avec ses ateliers de compagnonnage inspirés du Moyen-Âge. La cathédrale symbolise l’œuvre d’art absolue, parfait accomplissement de la fusion des trois arts – la peinture, la sculpture et l’architecture –… la cathédrale du futur. Ce bois gravé est la synthétisation en image de la pensée de Gropius exprimée dans le Manifeste : « Voulons, concevons et créons ensemble une nouvelle construction de l’avenir, qui embrassera tout en une seule forme : architecture, sculpture et peintures, qui s’élèvera par les mains de millions d’ouvriers vers le ciel futur, comme un symbole cristallin d’une nouvelle foi prochaine ».

Pêcheurs [avec soleil et bateaux]
1919
Bois gravé sur papier marron. 16,2 × 19,8 cm
Signé : Lyonel Feininger. Publié dans le portfolio 10 Holzchitte von Lyonel Feininger, Berlin, Euphorion Verlag Berlin, vers 1926.
Collection particulière © Adagp, Paris, 2015 © Maurice Aeschimann
« En 1918, Feininger s’intéresse de nouveau à la gravure et se lance dans la technique du bois gravé. Procédé peu coûteux en cette période de pénurie, le bois gravé va permettre à Feininger de répondre à des questions artistiques et d’aller vers une simplification de sa peinture influencée par le cubisme (son « cubisme cristallin ») pour aboutir à une représentation plane de la réalité. Sans doute inspiré par l’oeuvre d’artistes de Die Brücke comme Erich Heckel ou Karl Schmidt-Rottluf avec lesquels il entretient des relations amicales depuis 1912, il se passionne pour ce procédé. De 1918 à 1920, il réalise 237 bois gravés. Cette brève et intense période de création s’achève à peu près au moment où il prend la direction en 1921 de l’atelier de gravure du Bauhaus. Dans ses bois gravés, Feininger exploite et réutilise les mêmes motifs abordés sur d’autres supports : villages, maisons, églises de Thuringe et des environs de Weimar, mais aussi scènes de ports et paysages côtiers. »

Flotte de guerre
1920
Huile sur toile. 40 × 48 cm
Signé et daté : Feininger / 1920. Peinture au revers.
Daté sur le châssis : 15 Juin 1920
Collection particulière © Adagp, Paris, 2015 © Maurice Aeschimann
« Même si son oeuvre gravé l’occupe tout entier dans les années 1918-1920 et s’il est accaparé ensuite par la direction de l’atelier de gravure du Bauhaus, Feininger continue de peindre, bien souvent à partir des mêmes sujets gravés sur bois. Il définit alors son style de « prisma-isme », en rupture avec le cubisme qu’il rejette désormais ouvertement. »

Goélette à trois mâts
1934
Plume, encre de Chine et aquarelle sur papier. 14,7 × 19,1 cm
Signé et daté : Feininger 1934. Collection particulière
© Adagp, Paris, 2015 © Maurice Aeschimann
« Après l’accession d’Hitler au poste de chancelier en janvier 1933, le Bauhaus est fermé et la notoriété de Feininger en tant qu’artiste d’avant-garde commence à lui attirer des ennuis. Il est rapidement et directement pris pour cible. À la suite d’une fouille de sa maison à Dessau par une section d’assaut, l’artiste décide de quitter la ville. Il vit désormais sans atelier, partageant son temps entre Berlin et le petit village balnéaire de Deep sur la côte baltique. Il retrouve là un univers qui le passionne depuis son enfance : la mer et les navires à voile. Faute d’un lieu approprié pour peindre, il réalise des aquarelles d’une grande précision où les voiliers et la mer sont stylisés par l’utilisation de lignes droites à l’encre noire, tirées à l’aide d’une règle, pour créer des formes strictement géométriques. »

IV B (Manhattan)
1937
Plume, encre de Chine et aquarelle sur papier. 31,4 × 24 cm
Signé et titré : Feininger / IV B. Collection particulière © Adagp, Paris, 2015
« La situation devenant de plus en plus difficile, Lyonel Feininger et sa femme quittent l’Allemagne pour les États-Unis. Lorsqu’il remet le pied sur le sol américain en 1937 après cinquante ans d’absence, Feininger laisse derrière lui sa notoriété en tant qu’artiste. Il est pratiquement inconnu du public en Amérique et, à 66 ans, tout est à reconstruire. Ses premières œuvres sont des aquarelles des bâtiments qui l’entouraient à New York, s’intéressant d’abord au vide que constituait le ciel entre les immeubles dont les façades, sans ornementation, sont trouées par des rangées régulières de fenêtres. »

Porte de ville
1943
Huile sur toile. 48,3 × 51,3 cm. Signé : Feininger. Le châssis porte la date 1943
et l’inscription rayée : of Ribnitz. Collection particulière © Adagp, Paris, 2015
« Le passage brusque de la vieille Europe à l’Amérique moderne, le contraste entre les paysages des environs de Weimar et Deep et les gratte-ciel de Manhattan, est un véritable choc pour Feininger et il lui faut du temps pour s’adapter à son nouvel environnement. Pendant deux ans il délaisse la peinture, puis il trouve une source d’inspiration dans ses bois gravés exécutés plus de vingt ans auparavant, qu’il transpose sur toile avec précision et fidélité à la composition originale. Encore une fois, Feininger se nourrit de son propre travail pour réaliser, souvent des décennies plus tard, de nouvelles œuvres. »

REPÈRES

LE BAUHAUS
« École d’art et d’architecture fondée en 1919 à Weimar par Walter Gropius à partir de la fusion de l’École des beaux-arts et de l’ancienne École d’arts appliqués, le Bauhaus vise à restaurer l’union de tous les arts et à remettre à l’honneur l’artisanat. Son premier manifeste public consiste en un simple feuillet rédigé par Walter Gropius à l’adresse des jeunes artistes allemands : « Architectes, sculpteurs, peintres, nous tous devons retrouver la notion de notre métier artisanal ! Il n’y a pas « d’art en tant que profession ». Il n’y a pas de différence essentielle entre l’artiste et l’artisan […] A nous de vouloir, de concevoir et de créer ensemble l’édifice de l’avenir qui sera tout à la fois architecture, sculpture et peinture et […] se dressera vers le ciel comme le symbole transparent d’une foi neuve et dont ce sera l’avènement. » Au ton messianique de cet appel fait écho un bois gravé de Lyonel Feininger illustrant le dépliant et représentant une cathédrale couronnée d’étoiles rayonnantes, métaphore de ces temps nouveaux.
Au Bauhaus, formation artistique et formation artisanale sont donc étroitement liées. Les ateliers dispensant une formation pratique sont dirigés par deux maîtres : un « maître des formes » appartenant au corps professoral chargé également de cours théoriques et un « maître artisan ». Pour enseigner l’art des formes Gropius fait appel dès 1919 à de jeunes artistes : Lyonel Feininger, Johannes Itten et Gerhard Marcks. Georg Muche les rejoint en 1920, Paul Klee et Oskar Schlemmer en 1921, Vassily Kandinsky en 1922. La première grande exposition de l’École en 1923 consacre son évolution vers une nouvelle prise en compte réaliste de la civilisation industrielle et de la machine, formulée par le nouveau slogan de Gropius : « Art et technique, une nouvelle unité ». Le remplacement d’Itten par Moholy-Nagy la même année assure la diffusion du constructivisme au sein de l’École. Cette nouvelle orientation aboutit à la production d’objets standards destinés à la fabrication en série industrielle. Mais le mode d’enseignement original du Bauhaus et ses orientations « socialistes » s’étaient, dès le départ, heurtés à des oppositions politiques. Le nouveau gouvernement de droite de l’État de Thuringe, dont dépend l’École, provoque sa dissolution en 1925.
Accueilli à Dessau, le Bauhaus, auquel sont restés fidèles maîtres et élèves, réouvre en septembre 1926 dans un bâtiment de verre et de béton, d’un fonctionnalisme rigoureux, conçu sous la direction de Gropius. Mais l’idéal d’une fusion art-artisanat est bien loin. Enseignement et production sont scindés et l’architecture fait l’objet d’un département à part entière, confié à Hannes Meyer. Ces changements attisent les divergences de Cathédrale [grande planche] (Kathedrale [grosser Stock]), vue déjà existantes au sein du Bauhaus et entraînent la marginalisation des peintres comme Klee et Kandinsky et le départ de plusieurs professeurs, dont Muche et Moholy-Nagy. Gropius lui-même démissionne en 1928. Sous la nouvelle direction de Hannes Meyer, l’architecture et l’urbanisme prennent une place prépondérante. Limogé en 1930 en raison de ses sympathies communistes, Meyer est remplacé par l’architecte et designer Mies van der Rohe qui, dans le contexte difficile de la montée du nazisme, essaye de sauver l’École en évitant toute implication idéologique dans l’enseignement et en concentrant celui-ci sur des disciplines techniques et scientifiques. Malgré ces compromis, le Bauhaus de Dessau est fermé en 1932 et s’installe brièvement à Berlin où les nazis ferment définitivement l’établissement en avril 1933.
L’idéal d’une fusion de tous les arts, à l’origine du Bauhaus, a cédé la place à la primauté de l’architecture, mais le caractère novateur des théories comme la production de l’École durant toute son existence ont profondément marqué l’art et la pensée du XXe siècle »

L’ATELIER DE GRAVURE DU BAUHAUS
« L’atelier de gravure du Bauhaus fut l’un des premiers ateliers de l’École mis en place à Weimar et il fonctionna de 1919 à 1925. Au Bauhaus, la formation artistique était rigoureusement liée à la formation artisanale. Pendant la période de Weimar, l’atelier était donc placé sous la double direction d’un « maître de formes » et d’un « maître artisan » et les étudiants étaient tenus de se soumettre à un examen de fin d’apprentissage artisanal ou de maîtrise selon les règles en vigueur dans l’artisanat. L’atelier permettait de pratiquer la gravure en taille-douce, la lithographie et la gravure sur bois. Il était surtout destiné à l’impression artistique. Ce n’est qu’après l’installation de l’École à Dessau que les techniques d’impression seront associées à l’art de la typographie dans le nouvel atelier de publicité. Pendant la période de Weimar, l’atelier était ouvert à tous, étudiants et maîtres qui souhaitaient s’exercer aux différents procédés ou s’en servir pour la reproduction en série de leurs œuvres.
Lyonel Feininger devient maître de formes de l’atelier au départ de son prédécesseur Walther Klemm. Carl Saubitzer, lithographe lui-même, en étant le maître artisan. Sous la direction de Feininger, l’atelier réalisa d’importants portfolios, permettant ainsi la diffusion à moindre coût de l’œuvre des artistes et la promotion de l’École elle-même.
Le premier portfolio fut publié en 1921, « Zwölf Holzschnitte von Lyonel Feininger » (12 bois gravés de Lyonel Feininger). Conçu par Feininger lui-même, le recueil comprenait essentiellement une sélection de gravures sur bois de petit format, réalisées avant le Bauhaus (dans l’exposition cat. 59, 62, 74, 84, 111). À partir de cette date et jusqu’en 1924, neuf autres recueils parurent, des portfolios personnels de gravures de Wassily Kandinsky (Kleine Welten / Petits mondes), d’Oskar Schlemmer, de Georg Muche et de Gerhard Marks, ainsi que quatre portfolios collectifs (maîtres du Bauhaus).
Le projet le plus ambitieux de l’atelier était une anthologie intitulée « Neue Europäische Graphik » (Nouvelle gravure européenne). Cinq portfolios étaient prévus qui devaient présenter l’art des artistes allemands mais aussi des avant-gardes française, italienne et russe. Le projet resta inachevé. Quand le Bauhaus se délocalisa à Dessau, l’atelier de gravure cessa de fonctionner. »

PRÉFACE DU CATALOGUE
par Annette Haudiquet
Conservateur en chef, directrice du MuMa
Musée d’art moderne André Malraux

« Dans la préface du catalogue de l’exposition Utopie et révolte, la gravure allemande du Jugendstil au Bauhaus dans les collections publiques françaises présentée au musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg en 2006, Fabrice Hergott soulignait à quel point les collections publiques françaises avaient été longtemps « hermétiques à l’art allemand ». Il faisait remarquer toutefois que la gravure, sans doute parce que considérée comme un « art plus confidentiel [et] marginal » avait, quoique modestement, intégré le patrimoine français avant 1914 puis après guerre grâce à quelques personnalités plus curieuses comme Jacques Doucet ou plus tard Andry-Farcy, le directeur du musée de Grenoble.
De fait, un artiste aussi important que Feininger, bien qu’infiniment accessible par la poésie qui s’attache à son oeuvre, est toujours singulièrement peu représenté dans les collections publiques françaises (seulement dix-huit œuvres au Musée national d’art moderne, provenant pour la plupart du legs de Nina Kandinsky).
Lyonel Feininger, moitié américain moitié allemand, est en effet peu connu en France alors qu’il l’est tant aux États-Unis, où il est né en 1871 et mort en 1956, qu’en Allemagne, où il a passé cinquante ans de sa vie entre 1887 et 1937. Personnalité discrète, au parcours singulier, il est pourtant lié aux avant-gardes des premières décennies du XXe siècle. Côtoyant les artistes de la mouvance fauve, les cubistes, les artistes allemands de la Sécession berlinoise, de Die Brücke, du Blaue Reiter, participant à d’importantes expositions avec eux, il est l’un des premiers à rejoindre Walter Gropius à Weimar en 1919 au Bauhaus tout juste créé. « Maître de forme » de l’atelier de gravure jusqu’au transfert de l’école à Dessau, il exécute le bois gravé qui illustre la couverture du manifeste du Bauhaus, anime l’atelier, supervise la réalisation des portfolios qui contribueront à la diffusion et à la renommée des artistes du Bauhaus. Et même s’il prend progressivement ses distances avec l’école à partir de 1926, il poursuit, en Allemagne d’abord et aux États-Unis ensuite, une œuvre originale saluée de son vivant comme celle d’un des grands artistes modernes, objet d’une première rétrospective à la National galerie de Berlin dès 1931, puis d’une autre en 1944 au Museum of Modern Art à New York.
Qui veut aujourd’hui voir des oeuvres de Lyonel Feininger doit aller en Allemagne, à Quedlinbourg, à la Lyonel-Feininger-Galerie (liée à la Moritzburg Foundation in Halle (Saale) – Art Museum of the State of Saxony-Anhalt), pour découvrir la collection du Dr Hermann Klumpp, ou au Kunstsammlungen de Chemnitz où celle d’Harald Loebermann est déposée depuis 1996 ; ou bien encore aux États-Unis comme au Busch-Reisinger Museum (Harvard Art Museums, Cambridge, Massachusetts) pour la collection William S. Lieberman. Car même si Feininger se voit acheter de son vivant des oeuvres par les musées, il a également conquis une clientèle privée enthousiaste, et certains de ces amateurs sont parvenus à constituer des ensembles tout à fait exceptionnels, visibles maintenant dans des musées. 
Grâce à eux, il devient possible de prendre la mesure de l’oeuvre de Feininger, dans son développement chronologique d’abord, mais aussi dans sa singularité.
Feininger dessine, grave, peint, photographie même, mais la façon dont il expérimente le crayon, le fusain, l’aquarelle, l’encre, de même que l’eau-forte, le bois gravé ou la lithographie, montre une curiosité sans limite et la conviction de l’existence de caractéristiques intrinsèques à chaque medium qu’il lui faut découvrir pour tâcher d’en exploiter toutes les possibilités.
L’oeuvre de Feininger est marquée par d’incessants allers et retours vers des thèmes centraux qu’il a explorés sa vie durant, parfois à plusieurs décennies d’écart, dans des techniques différentes. Ainsi lui arrive-t-il de dessiner à la plume un sujet et d’en expérimenter plus tard la réalisation à l’eau-forte, de graver sur bois un paysage et d’en reprendre rigoureusement les traits sur la toile, même longtemps après, chaque oeuvre existant en elle-même et comme variation d’une autre, créant ainsi un ensemble complexe que seule l’exposition d’un nombre important de pièces permet d’évaluer.
La collection exposée au Havre offre donc cette possibilité rare et précieuse de pénétrer dans l’univers fascinant de Lyonel Feininger. Constituée en une quinzaine d’années, elle est désormais l’une des plus importantes d’Europe. Nous en présentons au Havre une sélection de 139 pièces. Une collection est par nature le résultat d’une histoire, de rencontres, d’opportunités, mais aussi d’un parti pris, et l’amateur qui l’a commencée et continue de l’enrichir est heureux de voir ses enfants poursuivre à ses côtés l’entreprise de toute une vie.
La collection traduit à l’évidence une passion pour l’oeuvre graphique de Feininger, ainsi qu’en témoignent les pièces exposées (24 aquarelles, 22 dessins, 89 gravures et seulement 4 peintures). Rapprochée du nombre de gravures inventoriées par Leona E. Prasse en 1972 dans son catalogue raisonné des estampes de Feininger (65 eaux-fortes, 20 lithographies et 320 bois gravés), cette comptabilité révèle une sensibilité sincère et enthousiaste pour la gravure dans ses diverses déclinaisons techniques. L’essence même de la gravure comme multiple renforce, de l’aveu du collectionneur, son intérêt pour ce medium, par nature propre à assurer une réelle diffusion de l’oeuvre d’art.
C’est par le dessin et l’eau-forte que le collectionneur a abordé l’oeuvre de Feininger, véritable révélation qui lui ouvre en même temps le monde de l’estampe. Des Philosophes (cat. 19), un dessin rare, « à tomber à la renverse », la collection s’agrandit progressivement aux bois gravés, mais aussi aux aquarelles « marines » – sa passion de toujours. Comme souvent chez les collectionneurs passionnés, une sorte d’intimité complice caractérise sa relation à l’oeuvre de cet artiste qu’il « fréquente » au quotidien. Il dit son émotion à trouver les annotations manuscrites portées par l’artiste dans les marges des feuilles imprimées et dessinées, et ce sentiment exaltant d’acheter à Feininger lui-même. Le plaisir du collectionneur se manifeste bien sûr dans les achats exceptionnels. Il se souvient ainsi du bonheur d’avoir obtenu Le Pont vert dans sa version dessinée (cat. 5) puis dans sa version gravée (cat. 12), ou encore Types urbains II (cat. 3), Boulevard Saint-Michel (cat. 38)… et des recherches qui accompagnent ces acquisitions, telle l’identification d’une oeuvre gravée grâce au catalogue de Prasse.
S’il manifeste un intérêt pour les contemporains de Feininger, conserve également des gravures de Nolde, Heckel, Kirchner, apprécie Kokoschka, l’étrange poésie qui caractérise l’oeuvre de cet artiste le touche plus encore. C’est aussi la tendresse de son regard sur le monde qu’il apprécie de même que ses exaltations de créateur qui le conduisent à travailler intensément comme il le fait au Bauhaus où, en à peine deux années, il exécute la plupart de ses bois gravés, recourant même, en cas de pénurie, aux matrices les plus inattendues telles que des couvercles de boîtes à cigares.
Une vraie passion se partage. Cette conviction nous vaut aujourd’hui de pouvoir découvrir cet artiste rare en France.
Accueillir Feininger au Havre revêt un sens particulier. Si les collections publiques nationales ne se sont que peu ouvertes avant-guerre et pendant l’entre-deux-guerres à la création contemporaine allemande – et le musée du Havre ne fait pas exception –, il ne faut pas oublier que les artistes, eux, n’hésitaient pas à franchir les frontières, à échanger, à exposer ensemble, ici ou là.
Lyonel Feininger est à peu près contemporain de Raoul Dufy et d’Othon Friesz, à peine plus âgés qu’eux (de six ans l’aîné de Dufy et de huit pour Friesz). Par un hasard extraordinaire, ils ont occupé un atelier à la même adresse (9, rue Campagne-Première) à sept années d’intervalle, lorsqu’ils arrivent pour la première fois à Paris, Feininger en 1892, Friesz et Dufy en 1899. Ils fréquentent les mêmes artistes lorsque Feininger y séjourne à nouveau en 1906-1907 et retrouve au Café du Dôme les jeunes peintres allemands qui gravitent autour de Matisse. Hans Purrmann, que Lyonel Feininger côtoie à ce moment, est celui qui invitera Dufy en 1909 à se rendre en Allemagne, où il rejoindra Friesz en décembre.
En France, à l’été 1906, Feininger voyage en Normandie, s’arrêtant dans l’arrière-pays dieppois, où il peindra Longueil, Normandie, première peinture exposée à la Sécession berlinoise en 1910. Au même moment, Dufy et Marquet, qui exposent eux à la première exposition du Cercle de l’Art moderne au Havre, parcourent la côte normande ensemble, poussant jusqu’à Fécamp et Dieppe. Se connaissaient-ils ? Se sont-ils rencontrés ? Il est difficile de le dire, mais il est probable que fréquentant les mêmes milieux d’avant-garde, ils se soient « frôlés », en personne ou par leurs oeuvres interposées, puisqu’ils se retrouvent à exposer aux mêmes salons, à la Sécession berlinoise (en 1909 et 1912 pour Friesz et Feininger et en 1911 tous les trois) ou au Salon des Indépendants à Paris en 1911 pour Feininger et Dufy. Au-delà de l’anecdote, ces « croisements » témoignent d’une époque où les idées, les artistes et les oeuvres circulaient.
Si Feininger peut difficilement être comparé à Friesz ou à Dufy, leur incursion courte, plus dense chez l’Allemand que chez les deux autres, dans le domaine de la gravure sur bois est significative d’un engouement nouveau des jeunes artistes d’avant-garde pour cette technique ancienne. Remise à l’honneur par Gauguin et Munch, elle devient le moyen d’expression privilégié des artistes de Die Brücke. Ce n’est pas un hasard si Dufy et Friesz l’expérimentent au retour de leur voyage à Munich à la fin 1909. Si l’aventure s’avère sans lendemain pour Friesz qui se contente de transcrire quelques compositions peintes, elle se poursuit chez Dufy, au-delà de l’exposition au Salon d’automne de 1910 des quatre bois gravés exécutés en rentrant d’Allemagne, avec sa collaboration avec Guillaume Apollinaire pour l’illustration du Bestiaire. À cette époque, Feininger grave à l’eau-forte et s’essaye à la lithographie. Ce n’est qu’en 1918, soit près de dix ans plus tard, qu’il se lancera et de manière intensive dans la gravure sur bois. Chez les trois, le recours à cette technique primitive de l’imprimerie correspond à un moment charnière de leur carrière : la fin du fauvisme et la découverte de l’œuvre de Cézanne pour Dufy et Friesz ; la fin de la guerre et d’une période de pénurie pour Feininger mais aussi celle de son cubisme cristallin. Tous trois rejoignent et expérimentent ce que d’autres artistes d’avant-garde avant eux avaient éprouvé : la gravure sur bois semble mieux qu’aucune autre technique permettre de concentrer l’expression artistique à l’essentiel.
Le temps d’une exposition, Lyonel Feininger s’installe au Havre, une ville à l’architecture moderne, classée il y a dix ans au Patrimoine mondial de l’humanité comme l’avaient été avant elle les différents sites du Bauhaus, où il enseigna et vécut. Gageons surtout que cet artiste, qui passa tant d’étés au bord de la mer Baltique pour y peindre, graver, dessiner le paysage infini, les bateaux qui « tels des vaisseaux fantômes se dirigent vers des ports qui appartiennent à une géographie plus mentale que terrestre » et, dans cette tradition romantique allemande héritée de Caspar Friedrich, les hommes comme abîmés dans la contemplation de la mystérieuse lumière du Nord, que Feininger, donc, aurait trouvé dans cet estuaire de la Seine et ce port ouvert vers l’Amérique un lieu inspirant.
Que ceux qui permettent ces retrouvailles et cette découverte en soient sincèrement remerciés. »



« Lyonel Feininger - Maître du Bauhaus » de Mathias Frick
 
Allemagne, 2023, 52 mn
Coproduction : ARTE/NDR, Kobalt Documentary GmbH
Sur Arte le 14 janvier 2023 à 17 h 45
Sur arte.tv du 14/01/2024 au 12/04/2024
Visuels :
© Moeller Fine Art/Feininger Pro
© WikiCommons/Hugo Erfurt
Moeller Fine Art/Feininger Pro
© Kobalt Documentary/Udo Kreter
© Moeller Fine Art/Feininger Pro
© Kobalt Documentary/Udo Kreter
© Bauhaus Archiv/Dessau


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