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mardi 16 janvier 2024

« Le Japon en couleurs. Photographies du XIXe siècle »

Le musée des Arts décoratifs présente, dans sa bibliothèque, l’exposition passionnante « Le Japon en couleurs. Photographies du XIXe siècle ». De manière paradoxale, les photographes découvrant le Japon sous l'ère Meiji (1868-1912) saisissent les paysages et activités traditionnelles du pays du Soleil-Levant, alors que les peintres brossent un Japon en mutations, ouvert à la modernité occidentale. Exceptionnellement, les visiteurs peuvent feuilleter les catalogues de motifs japonais remarquables, et bénéficier d'explications de conservatrices.

« Hiroshima, la véritable histoire » par Lucy Van Beek 
« La bombe » par Rushmore Denooyer
« Le procès du siècle. Les chroniqueurs célèbres de Nuremberg » de Peter Hartl

Après le renversement du shogunat Tokugawa caractérisé par une politique de fermeture (sakoku) ébranlée par les Etats-Unis - convention de Kanagawa (1854), traité d'Amitié et de Commerce (1858), - et l'avènement d'un empereur titulaire de pouvoirs étendus, s'ouvre dans l'archipel nippon en 1868 l'ère Meiji qui s'achève en 1912. 

Une période historique cruciale dans l'Histoire du Japon.

Sous le slogan « pays riche, armée forte » ( Fukoku kyōhei), le Japon impérial accélère son industrialisation - impulsion du pouvoir étatique - et s'impose en 1905 comme puissance militaire face à l'empire russe. Il transforme profondément la société : abolition du statut et du titre des samouraïs, réformes agraires. Il promulgue en 1889 la "constitution Meiji", inspirée par la constitution prussienne (1850).

« À l’occasion d’une publication aux éditions Volonté d’art, le musée des Arts décoratifs présente dans sa bibliothèque l’exposition « Le Japon en couleurs. Photographies du XIXe siècle ».

Le musée des Arts décoratifs « conserve prés de 700 photographies sur papier albumine rehaussées de couleurs, dénommées Yokohama shashin, produites au Japon des années 1860 jusqu’au tournant du XXe siècle. »

« Trente-cinq photographies inédites rehaussées de couleurs issues du fonds de photographies japonaises composé de plus de 800 épreuves, illustrent une vision pittoresque du Japon. Appartenant à la vogue des « Yokohama Shashin », ces images offrent une version théâtralisée et stéréotypée du pays du Soleil Levant. »

« La technique photographique est déjà présente lorsque la couleur s’invite auprès du medium en 1863, à Yokohama, le port d’entrée des Occidentaux. »

« Le photographe italien Felice Beato y crée un modèle entrepreneurial florissant qui ouvre la voie aux maitres du genre que sont Ueno Hikoma, Uchida Kuichi, Raimund von Stillfried, Adolfo Farsari, Tamamura Kozaburo et Kusakabe Kimbei. »

« Si shashin signifie « reproduction du réel », ces images se révèlent souvent être de petits théâtres avec décors et acteurs. Paysages, monuments, scènes de genre et portraits véhiculent une vision stéréotypée qui participe du japonisme, ce grand mouvement d’engouement des artistes et des collectionneurs né âpres l’ouverture au monde du Japon en 1853 et favorisé par l’ère Meiji à partir de 1868. Les Yokohama shashin nourrissent les imaginaires occidentaux en quête d’un pays différent du leur, non occidental et non impacté par la société moderne. »

« C’est la raison pour laquelle elles ne peuvent être décorrélées de la mondialisation qui s’opère à l’époque, marquée par la colonisation. Malgré l’absence de conquête territoriale, la domination occidentale est bien là : les coloristes, comme les autres employés au sein des ateliers de Beato et de Farsari, ont une vie difficile et peuvent être maltraités. »

« Leur prise d’indépendance, à l’instar de celle de Kimbei qui ouvre son propre studio en 1880 après avoir assisté Beato et Stillfried, n’est donc pas anodine. »

« Le commissariat est assuré par Sébastien Quéquet, en charge des collections photographiques du musée des Arts décoratifs. »

Dans la salle attenante à la bibliothèque, une partie de ces archives est placée dans des vitrines près de panneaux aux textes concis. Et, exceptionnellement, sur les tables de la bibliothèque, les visiteurs peuvent feuilleter les catalogues de motifs japonais remarquables de créativité et d'accords chromatiques, et bénéficier d'explications de conservatrices. Certains dessins montrent l'évolution de motifs (feuilles, fleurs) vers l'abstraction. 

L’appât de la couleur
« La colorisation des photographies n’est pas une spécificité japonaise mais elle trouve la une popularité sans précédent. Les photographes s’entourent de collaborateurs pour la prise de vue, le tirage sur papier albumine, la mise en couleur des épreuves et le façonnage des planches ou des albums. Les couleurs sont constituées de pigments naturels réduits en poudre, dilues dans une colle animale et poses au pinceau par un coloriste. Chaque photographie est ainsi une pièce unique. »

« La couleur participe à la construction des clichés, dans les deux sens du terme, et au fait de traiter les corps comme des objets. Les scènes de toilette sont nombreuses, pour stimuler le désir, grâce aux couleurs qui soulignent la carnation des peaux et les formes des corps. » 

« Qu’elle soit en noir et blanc ou en couleurs, l’érotisation va de pair avec la domination occidentale dans ces photographies comme dans la société : Hugues Krafft, photographe, voyageur et collectionneur, saisit sous plusieurs angles une jeune femme nue qu’il a probablement rémunérée. »

« L’absence de couleur renforce l’indécence et la violence. »

La découverte du Japon par les voyages et les expositions
« Hugues Krafft est présent au Japon en 1882-1883, muni de son appareil photographique. Il y achète le portfolio Views and Costumes of China and Japan du photographe autrichien Stillfried, qu’il offre ensuite au musée des Arts décoratifs en 1914, et saisit parallèlement chaque moment de son périple en noir et blanc. Les sujets qu’il prend sont identiques à ceux des Yokohama shashin : le mont Fuji, les chaises a porteurs, les pousse-pousse, les jeux traditionnels, les geishas. »

« Pour découvrir le monde sans passer les frontières, il est aussi possible de se rendre aux expositions universelles et internationales. Le Japon y fait une première apparition tonitruante en 1867 à Paris et ne cesse ensuite d’y figurer. »

« Lors de l’Exposition universelle de 1889, pour la section dédiée à l’histoire du travail et a l’anthropologie, Krafft prête des figurines et des shashin représentant des métiers japonais (acteurs, lutteurs, messagers, charpentiers). Photographies et objets d’art se complètent et se répondent donc, tant dans leur mission que dans l’image du Japon qu’ils transmettent. »

Diffusion et usages des Yokohama shashin
« Si les photographies sont parfois vendues à l’unité, la priorité va aux albums et aux portfolios confectionnés par des relieurs, des tisserands et des laqueurs. Ces différents corps de métiers permettent d’assurer une variété de produits, de proposer une offre adaptée à toutes les bourses et à tous les gouts. Si ces objets peuvent être achetés au Japon directement auprès des photographes, ils sont aussi vendus dans des boutiques parisiennes comme celle de Hayashi Tadamasa qui est un client de Kimbei, et celles qui ont des succursales implantées à Yokohama comme Bing et Le Printemps. »

« Cette diffusion, couplée aux expositions et aux acquisitions par les bibliothèques et les musées, permet aux artistes, aux artisans et aux décorateurs d’avoir accès a de nouvelles sources d’inspiration. »

« Les Yokohama shashin constituent des modèles iconographiques grâce aux textiles et aux assortiments d’objets qui y sont représentés. »

Des clichés du Japon
« Les guides touristiques occidentaux recommandent aux voyageurs l’arrêt dans un studio photographique japonais pour préparer le périple à l’arrivée, ou pour le conclure en achetant des souvenirs. S’il y a déjà la conscience d’observer une société qui a entamé son occidentalisation – ce que révèlent l’architecture, la mode vestimentaire ou les transports dans certaines photographies – les traditions et les vues pittoresques sont mises en avant pour les Occidentaux : le mont Fuji, les maisons de thé et l’omniprésence des cerisiers dans les rues. Les shashin sont ainsi davantage des stéréotypes que des fragments de la réalité même si leur usage et leur réception sont variés, entre souvenirs touristiques, modèles artistiques et objets anthropologiques. »

« Ces photographies, produites au Japon du début des années 1860 jusqu’au tournant du XXe siècle, sont conservées dans des albums et un portfolio. »

« Elles représentent les paysages, les monuments, mais aussi les villes anciennes ou en mutation, jusqu’aux scènes quotidiennes ou théâtralisées, peuplées de protagonistes de la culture japonaise : femmes en kimono, samouraïs, yakuzas, prêtres, porteurs de palanquins. « Les shashin n’ont pas vocation à représenter les réalités du Japon au moment de la prise de vue, mais doivent confirmer l’idée que les Occidentaux, qui visitent le Japon et collectionnent ses artefacts, s’en font, projetant leur quête d’une civilisation ≪ exotique ≫ ancienne, malgré les modernisations réalisées sous l’ère Meiji. »

« Le pinceau du coloriste donne vie à la photographie grâce à la couleur des tissus, la brillance des armures, les reflets de l’eau dans les paysages. »

« L’intemporalité recherchée est exprimée par la monumentalité des types poses sur des fonds accessoirises ou épures. Parmi les maitres du genre, on trouve Felice Beato, Raimund von Stillfried et Kusakabe Kimbei, dont les ateliers dominent successivement la production. Les shashin témoignent de processus de création similaires aux arts appliqués et révèlent les phénomènes d’apprentissage, de collaboration et de reprise d’atelier remettant en cause la notion d’auteur unique. »

« L’exposition évoque également le système économique de ces photographies, à travers leur conditionnement - portfolio, albums de laque ou de soie, leur mode d’acquisition - achat lors d’un voyage au Japon ou dans des boutiques en France - ce qui met en lumière la façon dont elles circulent et sont diffusées.

« Certaines de ces images figurent au programme des expositions universelles, avec les arts libéraux ou dans les sections anthropologiques qui présentent « Le travail et son histoire », en 1878 et 1889, par exemple. »

« Leur réception est donc complexe, dans un contexte colonialiste, nostalgique et touristique. A la fois objets de collection, d’inspiration et de connaissance, ces photographies données ou léguées a la bibliothèque du musée des Arts décoratifs, pour servir de modèles d’inspiration, par Raymond Koechlin en 1903, par Hugues Krafft en 1914 et par Gustave Schlumberger en 1929, appartiennent à des collections plus vastes, comprenant souvent du mobilier, de la céramique, du textile et des objets de décoration que leurs propriétaires offrent parfois également au musée. »


Du 8 novembre 2023 au 28 janvier 2024
Bibliothèque
111 rue de Rivoli, 75001 Paris
(Entrée par le jardin du Carrousel)
Ouverte le lundi de 13h à 18h et du mardi au jeudi de 10h a 18h.
Visuels :
Raimund von Stillfried —
Portrait d’une jeune fille
1871-1881
Épreuve sur papier
albuminé rehaussée
de couleurs
© Les Arts Décoratifs /
Christophe Dellière

Atelier de Kusakabe Kimbei —
L’Avenue des cerisiers à Tokyo
1880-1903
Épreuve sur papier albuminé rehaussée de couleurs
© Les Arts Décoratifs / Christophe Dellière

Atelier de Kusakabe Kimbei —
Le Château d’Osaka
Vers 1880-1912
Épreuve sur papier albuminé rehaussée de couleurs
© Les Arts Décoratifs / Christophe Dellière

Atelier de Kusakabe Kimbei —
D’après un négatif de Felice Beato ou de Raimund von Stillfried
Femmes au bain
Vers 1863-1903
Épreuve sur papier albuminé rehaussée de couleurs
© Les Arts Décoratifs / Christophe Dellière

Atelier de Kusakabe Kimbei —
Filage du coton
1880-1914
Épreuve sur papier albuminé rehaussée de couleurs
© Les Arts Décoratifs / Christophe Dellière

Atelier de Kusakabe Kimbei.
D’après un négatif de Raimund von Stillfried ou de Kusakabe Kimbei. 
Jeune femme sous la tempête
1912-1914. 
Épreuve sur papier albuminé rehaussée de couleurs 
© Les Arts Décoratifs / Christophe Dellière

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