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vendredi 26 août 2022

« Les héritières » de Nolwenn Lemesle

Arte diffusera le 26 août 2022 à 20 h 55 « Les héritières » (Mit der Kraft des Windes) de Nolwenn Lemesle. « Élève brillante, Sanou a grandi dans le 93 et intègre le prestigieux lycée Henri-IV. En échange d’une bourse, elle devient la tutrice de Khady, une élève de son ancien collège. La chronique scolaire d’une année décisive, portée par Déborah François et d’épatantes jeunes comédiennes. » Une vision manichéenne, fondée sur les théories de Pierre Bourdieu, et qui élude des problèmes majeurs.

« Les territoires perdus de la République. Antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire » sous la direction d’Emmanuel Brenner

En 1964, les Editions de Minuit publiaient, dans leur collection Collection Le sens commun, "Les Héritiers. Les étudiants et la culture", livre (192 pages) de deux sociologues, Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron. "Si l’école aime à proclamer sa fonction d’instrument démocratique de la mobilité sociale, elle a aussi pour fonction de légitimer – et donc, dans une certaine mesure, de perpétuer – les inégalités de chances devant la culture en transmuant par les critères de jugement qu’elle emploie, les privilèges socialement conditionnés en mérites ou en “ dons ” personnels. À partir des statistiques qui mesurent l’inégalité des chances d’accès à l’enseignement supérieur selon l’origine sociale et le sexe et en s’appuyant sur l’étude empirique des attitudes des étudiants et de professeurs ainsi que sur l’analyse des règles – souvent non écrites – du jeu universitaire, on peut mettre en évidence, par-delà l’influence des inégalités économiques, le rôle de l’héritage culturel, capital subtil fait de savoirs, de savoir-faire et de savoir-dire, que les enfants des classes favorisées doivent à leur milieu familial et qui constitue un patrimoine d’autant plus rentable que professeurs et étudiants répugnent à le percevoir comme un produit social".

Six ans plus tard, en 1970, ce même éditeur publiait des deux mêmes auteurs, "La Reproduction. Éléments d’une théorie du système d’enseignement" (284 pages). "Cet ouvrage présente la synthèse théorique de recherches dont le livre Les Héritiers, en 1964, marquait la première étape. À partir de travaux empiriques sur le rapport pédagogique, sur l’usage lettré ou mondain de la langue et de la culture universitaires et sur les effets économiques et symboliques de l’examen et du diplôme, se construit une théorie générale des actions de violence symbolique et des conditions sociales de la dissimulation de cette violence. En explicitant les conditions sociales du rapport d’imposition symbolique, cette théorie définit les limites méthodologiques des analyses qui, sous l’influence cumulée de la linguistique, de la cybernétique et de la psychanalyse, tendent à réduire les rapports sociaux à de purs rapports symboliques."

"L’École produit des illusions dont les effets sont loin d’être illusoires : ainsi, l’illusion de l’indépendance et de la neutralité scolaires est au principe de la contribution la plus spécifique que l’École apporte à la reproduction de l’ordre établi. Par suite, essayer de mettre au jour les lois selon lesquelles elle reproduit la structure de la distribution du capital culturel, c’est non seulement se donner le moyen de comprendre complètement les contradictions qui affectent aujourd’hui les systèmes d’enseignement, mais encore contribuer à une théorie de la pratique qui, constituant les agents comme produits des structures, reproducteurs des structures, échappe aussi bien au subjectivisme de la liberté créatrice qu’à l’objectivisme pan-structuraliste."

Fondée sur la méritocratie, l'école de la République avait pourtant réussi, depuis près d'un siècle, à enseigner à des générations d'enfants et d'adolescents, issus de milieux bourgeois ou modestes, les classiques constituant la culture générale d'"honnêtes hommes et femmes" sachant lire, écrire et calculer. Ce qui a favorisé une mobilité sociale en quelques générations.

Hélas ! Ces deux ouvrages de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, qui alléguaient la reproduction sociale des mêmes élites bourgeoises par l'école, ont connu un succès durable sur des décideurs politiques, intellectuels et "pédagogistes". 

Depuis plusieurs décennies, au nom de ces thèses, et pour assurer "l'égalité de tous", en alléguant "la panne de l'ascenseur social", "l'école de la République" a été quasi-détruite et des processus de sélections académiques ou concours d'entrée dans les Grandes écoles ont été modifiés. En France, en sous-estimant les capacités d'immigrés récents, on a égalisé par le bas. Plus de valorisation de la transmission de savoirs : enseignement du grec et du latin bradé, "récit national" fustigé, géographie remplacée par la doxa écologique ! Exeunt la culture générale et ses épreuves de concours "discriminantes socialement" ! Négation de l'existence d'une "culture française" par le Président Emmanuel Macron. Voici Parcoursup et ses algorithmes opaques, des épreuves sélectionnant des étudiants en médecine oralement et sur n'importe quel sujet, sans rapport avec la médecine, etc. 

De nouveaux concepts ou processus ont été imposés par les plus hauts niveaux politiques : « La vraie rupture, ce que je propose pour les quartiers, c'est une vraie politique assumée de discrimination positive et de mobilité », a déclaré Emmanuel Macron le 7 mars 2017 dans un entretien à l'AFP.

Parmi eux : la discrimination positive (affirmative action), des "dispositifs d'égalité des chances", etc. Ainsi, Sciences Po (Institut d'Etudes Politiques de Paris) a développé une "politique d’ouverture sociale et d’égalité des chances" avec une voie particulière pour les lycéens ayant bénéficié de Conventions Education Prioritaire (CEP)... 

En fait, ces bouleversements désavantagent surtout la bourgeoisie moyenne et "la France périphérique", au bénéfice d'élèves issus de la "diversité", notamment venant de la Seine-Saint-Denis, perçus comme "les plus méritants" par une France culpabilisée. Quand ils le peuvent financièrement, certains jeunes partent étudier à l'étranger, alors que leurs parents financent, par leurs impôts, des établissements d'enseignement prisés, au processus partial de sélection qui évince une certaine catégorie sociale !? 

"La discrimination positive n'a rien de moderne. Elle a déjà été déployée aux États-Unis. Elle y a fait les preuves de sa haute toxicité. C'est un poison qui sème le ressentiment dans le cœur des hommes, car elle prend appui sur le postulat selon lequel les uns discriminent les autres. Qui peut imaginer récolter la paix, après avoir ainsi divisé le corps social entre victimes et bourreaux? Dans un discours prononcé à Philadelphie en mars 2008, Barack Obama l'avait même rendue responsable de la fracture raciale dont son pays est prisonnier, avec les conséquences dévastatrices que nous savons sur le vivre ensemble entre Noirs et Blancs. En privilégiant les uns, elle se transforme en discrimination négative pour tous les autres. Elle installe de nouvelles fractures au sein de la société. Les uns après les autres, les États des États-Unis ont fini par l'abroger. Est-il responsable de proposer une telle politique inégalitaire en France alors même que de nombreuses familles des classes moyennes basculent chaque jour dans la pauvreté? Est-il raisonnable d'instaurer une nouvelle source de tensions entre groupes, alors que les tensions n'ont cessé de s'exacerber au fil des ans? La France n'a nul besoin d'apprentis sorciers", a analysé Malika Sorel (Le Figaro, 8 mars 2017). Ingénieur de l'École polytechnique d'Alger, diplômée de Sciences Po Paris, elle a été membre du Haut Conseil à l'intégration, institution rattachée au Premier ministre. Elle est l'auteur de Décomposition française (éd. Fayard, 2015) qui a reçu le prix «Honneur et Patrie» des Membres de la Société de la Légion d'honneur.

Or, le 15 septembre 2017, le Président de la République Emmanuel Macron évoquait en ces termes la Seine-Saint-Denis : "Le territoire le plus jeune, le plus innovant. Un territoire qui, si on en listait les caractéristiques objectives pourrait être comparé à la Silicon Valley... La Seine-Saint-Denis, que l’on présente trop souvent comme un territoire captif de ses propres difficultés, ce qui n’est plus vrai".

Les résultats espérés par ces politiques ont-ils été atteints ? Certes, cette politique a contribué notamment à l'émergence d'une "beurgeoisie". Mais, depuis des années, les comparaisons internationales révèlent la chute du niveau des élèves français notamment en sciences ou mathématiques, et en compréhension de l'écrit.

« AJ+ français est un média inclusif qui s’adresse aux générations connectées et ouvertes sur le monde. Éveillé•e•s. Impliqué•e•s. Créatif•ive•s. » Lancé en 2014 par le groupe qatari Al Jazeera Media Network, ce média électronique diffuse, sur les réseaux sociaux, en anglais, espagnol, arabe et français, des vidéos sous-titrées sur des « personnes qui ont un mode de consommation de l'information différent » et les plus jeunes.»

Le 6 avril 2021, AJ+ français a diffusé une vidéo sur mes réseaux sociaux - Twitter, Facebook - de près de quatre minutes, dont l'auteur est le journaliste Tanguy Garrel-Jaffrelot.

Cette vidéo est ainsi présentée sur Twitter : “Je ne me suis pas sentie à ma place”. Isolement, mépris de classe, stéréotypes : ces élèves de Sciences Po issus de milieux modestes et de l’immigration ont ressenti un véritable “malaise” en intégrant l’école. Ils ont accepté de prendre la parole".

Et sur Facebook, le texte accompagnant la vidéo est : "Personnellement, moi, le mépris de classe, je l’ai ressenti”. Difficultés d’intégration, angoisse, stéréotypes : ces étudiants de Sciences Po Paris issus de quartiers populaires font part d’un véritable malaise. Ils appellent aujourd’hui leur école à faire des réformes".

"Je ne me sentais pas vraiment à ma place. J'étais vraiment seule, recroquevillée sur moi-même. Je me disais "Ils ne sont pas comme moi. Et je ne suis pas comme eux non plus. Donc on ne pourra jamais se comprendre", considère Founé Diawara.

"Quand on vient des quartiers, qu'on est issu de l'immigration, au niveau scolaire, il y a toujours ces inégalités-là. Personnellement, le mépris de classe, moi, je l'ai ressenti... J'entendais des personnes aussi qui qualifiaient les quartiers populaires de "quartiers perdus de la république". Là, on voit l'ignorance abyssale de certains. Il n'y ont jamais mis les pieds", déclare Ryan Abdelhalim. 

Sous la Présidence d'Emmanuel Macron, initiés en septembre 2018 par le ministre de l’Intérieur, alors le socialiste Gérard Collomb, les quartiers de reconquête Républicaine (QRR) "répondent à 3 objectifs : renforcer la présence policière sur le terrain, lutter de façon accrue contre les trafics, développer une nouvelle relation à la population dans le cadre de la sécurité du quotidien". 

Quid de l'exil contraint de nombreux juifs et chrétiens de Seine-Saint-Denis ?

"J'ai la sensation que je suis très en décalage par rapport à eux. On n'a pas les mêmes codes. On n'a pas les mêmes mentalités... C'est des stéréotypes qui blessent. Parfois, [les élèves originaires de quartiers populaires] peuvent même se sentir illégitimes au sein de l'école", observe Ismael Cissé Diallo qui ne cite aucun exemple.

"Ils estiment que les propos racistes sont insuffisamment sanctionnés par l'administration et que certain•e•s étudiant•e•s et professeur•e•s véhiculent des préjugés insultants". "Moi, j'ai déjà entendu des personnes qui parlaient avec moi qui disaient que l'islam était une religion antisémite, qui n'aime pas les juifs... Quand une personne, elle a un discours raciste, moi, je ne vois pas autre chose que de virer la personne", dit Ryan Abdelhalim. "Il y a eu des plaintes, et c'est vrai, que l'administration a un peu tardé à agir. C'était un peu flou. Voilà, moi je demande à ce qu'il y ait des actions claires, précises", réclame Founé  Diawara.

"Pour diversifier le profil des étudiant.e.s, Sciences Po recrute 25% de boursiers qui sont exonérés de frais de scolarité. Et, depuis 2001, l'école sélectionne chaque année environ 150 élèves via un concours simplifié dans des lycées "relevant de l'éducation prioritaire". Certain•e•s viennent de CSP+ et de classe moyenne. D'autres de milieux modestes" : "Ça a été un peu le premier choc. De voir qu'il y avait tellement de personnes qui connaissaient tellement de choses extérieures. Je me disais comment c'est possible que nous on soit si restreints dans le monde d'où je viens, comment une telle fracture, elle peut exister. Tout simplement", note Founé  Diawara. Qui en est responsable ?

"Une fois admis•e•s, certain•e•s élèves se sentent peu soutenu•e•s par l'école. "Il n'y a pas vraiment de réel suivi. J'ai eu l'impression durant mon bachelor qu'il y avait même une culture légitime, qu'il y avait des savoirs qui n'étaient pas forcément mis en valeur", avance Founé  Diawara. "Moi, ce que j'ai constaté, c'est des personnes qui viennent des quartiers qui ont du refaire leur année. Quand on arrive dans le système scolaire français et qu'on a des parents qui sont immigrés, il faut redoubler d'efforts pour pouvoir rattraper un retard de départ. On n'a pas des parents qui sont médecins, qui ont déjà étudié, qui sont déjà passés par ce système-là", renchérit Ryan Abdelhalim. Les immigrés précédents étaient plus pauvres, sans bénéficier d'aides...

"Pour affronter le problème, des étudiant•e•s proposent d'améliorer les dispositifs d'aide psychologique, de mieux sensibiliser aux discriminations et de davantage aider les élèves modestes pour leurs stages". 

"Il faut accroitre, accélérer la diversité. Et permettre à plus de personnes issues de quartiers populaires d'entrer à Sciences Po. Notamment celles qui rencontrent le plus de difficultés, qui ont des échelons [Crous] très importants", propose Ryan Abdelhalim.

"Contacté par AJ+, Sciences Po a indiqué que quatre personnes travaillaient à temps plein pour "l'égalité des chances" et pour "soutenir les étudiants moins favorisés". L'Ecole précise proposer du tutorat aux premières années ainsi qu'un stage de pré-rentrée et prévoit une enquête sur les discriminations "dès la rentrée prochaine".

Résumons. Une vidéo au discours victimaire, revendicatif, d'étudiants qui, sans exprimer la moindre gratitude envers la France, l'Etat ou Sciences Po, semblent s'être isolés eux-mêmes par leur tenue vestimentaire - voile islamique noir -, leur refus du dialogue et leur faible niveau dans l'argumentation - pas d'exemple de racisme ou de date de plainte, de savoirs insuffisamment pris en compte -, par leur sanctuarisation de l'islam dans un pays admettant la critique de religions, par leur ignorance de l'abandon par l'Etat de la "France périphérique"...
  
Les "héritières"
« C’est la rentrée au lycée parisien Henri-IV. Originaire de La Plaine Saint-Denis, Sanou, 15 ans, détonne parmi ses camarades, issus des quartiers huppés de la capitale : seule élève noire de sa classe de seconde, fille d’un ouvrier et d’une femme de chambre, elle a pu intégrer le prestigieux établissement grâce à un dispositif d’égalité des chances. Malgré ses efforts pour dissimuler sa condition, l’adolescente peine à s’intégrer et à suivre le rythme, fatiguée par les trajets en RER et l’agitation permanente au sein de son foyer, où elle évolue au milieu de quatre frère et sœurs. » 

« Mme Lebel, la conseillère principale d’éducation (CPE) de son ancien collège, qui croit beaucoup en elle, lui propose alors une solution : devenir la tutrice de Khady, une élève de troisième prometteuse, en échange d’une bourse et d’une chambre d’étudiant fournies par l’Éducation nationale. Sadou doit alors convaincre ses parents de la laisser quitter le nid et Khady de retrouver le chemin des études, la tutorée se montrant plus intéressée par la breakdance et les copines que par les cours… »

« Peut-on se fondre dans un nouveau monde sans trahir les siens ? » Est-il crédible que les parents de Sanou ne se soient pas rendus dans le studio promis à leur fille adolescente pour s'assurer qu'elle y dispose du mobilier nécessaire, que le quartier est sûr, etc. ?

« Propulsée dans un environnement compétitif dont elle ne maîtrise pas les codes, Sanou se retrouve tiraillée entre ses rêves de réussite, sa soif d’intégration et une famille qui lui reproche de la renier ». Pourtant, elle s'est si bien intégrée qu'elle exprime le "politiquement correct" : elle "souhaite travailler dans les énergies alternatives, et plus précisément devenir ingénieur mécanique", car elle "trouve fascinant de pouvoir travailler avec les forces de la nature, de les décupler, de les transformer", et elle débute son exposé sur son projet scolaire par les éoliennes. Quid des dégâts sur l'environnement et la faune de ces engins fournissant une énergie par intermittences, requérant des matières rares et des pales que l'on ne sait pas recycler, induisant une pollution sonore, etc. ? 

Quant à Khady, elle représente une partie de la société française : vivant dans une famille monoparentale - père décédé - bénéficiant d'une HLM vaste, passionnée par la breakdance des banlieues et "border line" en raison du trafic de drogue auquel se livre son frère. Mais la structuration de l'économie et de la ville par ce trafic est occultée.

Le conseil de classe s'avère éclairant : alors que l'enseignante de musique souligne l'insolence de Khady, ses collègues qui louent les progrès de cette collégienne et Mme Lebel, la conseillère principale d’éducation (CPE), l'invitent à ne pas mentionner ce comportement dans le livret scolaire de cette élève pour ne pas réduire ses chances d'admission dans un prestigieux lycée parisien, et parce que la musique est une matière si peu importante. D'une part, c'est ignorer qu'elle est un élément de la "culture générale", et d'autre part, en tolérant cette insolence, ces éducateurs - tous "Français de souche" - ne rendent pas service à Khady. 

Les scénaristes ont évité tous les sujets qui fâchent : pas un indice sur les religions des familles de ces deux élèves ou sur leurs préjugés. La seule "Française de souche" du film parle le langage de la banlieue, s'est intégrée dans une bande d'adolescentes d'origine africaine, et se montre agressive. Serait-ce le "grand remplacement" ?

Les deux meilleures élèves de cet établissement scolaire sont issues de l'immigration. Pourquoi ?  

« Questionnant sobrement le principe d’égalité des chances ("On vous demande d’en faire deux fois plus que les autres", déplore ainsi la CPE, qui se heurte parallèlement à la fuite de ses meilleurs éléments) et explorant la thématique des transfuges de classe, cette chronique d’une année scolaire décisive est servie par une mise en scène et un casting impeccables : couvée par Déborah François, parfaite en conseillère dévouée à ses élèves, et épaulée par l’attachante Fanta Kebe (vue dans la websérie Tu préfères), Tracy Gotoas, tout en abnégation et fragilité, habite avec une justesse de tous les instants son personnage d’adolescente en lutte pour exister ». 

« La touchante chronique d’une éclosion, entre émancipation familiale, nouvelles amitiés et projets d’avenir. »

Prix de la meilleure musique originale (Ronan Maillard), Luchon 2021.



« Au lycée Henri-IV, à Paris, Sanou va épauler Khady, une élève de son ancien collège de Seine-Saint-Denis. À travers une belle histoire de sororité, la fiction Les héritières s'interroge sur l’égalité des chances. Entretien avec les scénaristes, Laure-Élisabeth Bourdaud et Johanna Goldschmidt. Propos recueillis par Hélène Porret ».

« Comment est née cette fiction ?
Laure-Élisabeth Bourdaud : L'idée a germé en 2017 à la suite d’une discussion avec une amie conseillère principale d’éducation (CPE) dans un collège classé en réseau d'éducation prioritaire, comme celui que l’on voit dans Les héritières. Elle nous avait raconté qu'une de ses anciennes élèves, aujourd'hui en seconde au lycée Louis-le-Grand à Paris, venait régulièrement lui rendre visite pour lui donner de ses nouvelles. Lors d'un de leurs échanges, notre amie CPE l'avait informée qu'une autre élève s'apprêtait à rejoindre une filière d’excellence. Une semaine plus tard, l'adolescente était venue la voir pour lui donner une liste de livres qui pourrait l’aider à préparer sa rentrée.
Johanna Goldschmidt : Son geste généreux nous a touchées. C’était une manière de lui transmettre les codes déjà acquis par les élèves des classes favorisées. Peut-être aurait-elle aimé que d’autres aient eu la même démarche vis-à-vis d’elle. Très vite, nous avons eu envie d'écrire à partir de cette anecdote. Nous avons imaginé l’histoire de Sanou et Khady, deux adolescentes issues de milieux modestes vivant à la Plaine Saint-Denis, et dont les personnalités semblent opposées.

Qu'est-ce qui différencie les deux personnages ?
L.-É. B. : Sanou, 15 ans, fait son entrée en seconde au lycée Henri-IV, à Paris. C'est une jeune fille plutôt introvertie et réfléchie, avec un projet professionnel déjà bien défini : devenir ingénieure. Pour atteindre cet objectif, elle sait qu'elle doit réussir de bonnes études et intégrer un lycée prestigieux, quitte à faire des sacrifices.
J. G. : En troisième dans l'ancien collège de Sanou, Khady est plus extravertie et impulsive. Son chemin n'est pas encore tracé. Excellente élève, elle préfère passer son temps libre à danser avec ses amies qui ont parfois des fréquentations douteuses. Consciente du potentiel de la jeune fille, sa CPE souhaite la pousser à suivre la même voie que Sanou, et met en place un dispositif de tutorat entre les deux adolescentes.

Pourquoi avez-vous voulu mettre l'accent sur la solidarité féminine ?
L.-É. B. : C'est venu assez naturellement. Nous avions envie de tordre le cou au stéréotype selon lequel les filles sont en rivalité permanente, et montrer qu’elles peuvent aussi déployer des stratégies d’entraide, y compris dans l’adversité.
J. G. : Au lycée Henri-IV, Sanou doit redoubler d'efforts pour acquérir de nouveaux savoirs et s’acclimater à un nouvel environnement. Plusieurs personnages féminins, notamment sa mère, sa tante, ses sœurs, ou encore sa CPE, vont jouer un rôle important dans sa trajectoire. Elles vont la soutenir et la pousser à se dépasser.

Vous abordez le sujet de la reproduction des inégalités sociales au sein de l’école. Quelles ont été vos sources d'inspiration pour aborder ce thème ?
L.-É. B. :
Le titre s’inspire directement de celui du livre de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les héritiers – Les étudiants et la culture, paru en 1964. Nous avons emprunté plusieurs théories développées dans cet ouvrage. Nous avions également envie de parler d’une réalité sociologique : celle du transfuge de classe – un individu qui connaît un changement de milieu social au cours de sa vie. Nous nous sommes nourries des écrits du philosophe et sociologue Didier Eribon mais aussi d’auteurs comme Annie Ernaux, Édouard Louis ou encore Jack London, dont le roman Martin Eden fait l’objet d’un exposé par Sanou au cours du film.
J. G. : C'est un mélange de références littéraires mais aussi de témoignages d'anonymes. Avant d'être scénaristes, nous étions toutes deux journalistes. Nous avons gardé quelques réflexes, notamment celui de croiser nos sources. Pour Les héritières, nous avons par exemple épluché les forums des lycées Louis-le-Grand et Henri-IV. Nous avons ainsi nourri la séquence de la rentrée des classes de ce que les adolescents avaient pu raconter avant ou après leur arrivée dans ces établissements.

Au contact d'un nouveau milieu social, Sanou évolue. Quel regard porte sa famille sur cette transformation ? 
L.-É. B. : Son père n'a jamais vu d'un bon œil le fait qu'elle s'éloigne de sa famille, contrairement à ses sœurs et sa mère qui l'ont encouragée à poursuivre ses études à Paris. Toutefois, elles ne s'attendaient pas à ce qu'une telle distance s'installe, et peuvent parfois le lui reprocher.
J. G. : C'est toute la problématique des transfuges de classe. Sanou doit en permanence prouver sa double appartenance : à son milieu d'extraction, en lui témoignant son respect, et à son milieu d’accueil, en montrant qu'elle en est digne. »

« Entre deux mondes »
Nolwenn Lemesle, réalisatrice
(Des morceaux de moi)

« Les héritières est un film sur la jeunesse, le désir de sortir de son déterminisme social et le combat qu’il engendre avec soi-même, les sacrifices qu’il peut nécessiter… La dimension universelle de ce récit m’a touchée. J’ai eu envie d’en faire un film réaliste et sensible, au plus proche de ses personnages. 
Le casting s’est fait dans cette dynamique avec la recherche de comédiens authentiques dans leur interprétation. Déborah François s’est imposée dans le rôle de Madame Lebel, la CPE du collège de St Denis, avec la grâce et le naturel qui la caractérisent. Très impliquée, elle s’est rendue sur le terrain pour s’approprier son rôle auprès de la CPE qui a inspiré le scénario. Fanta Kebé a repris le rôle de Khady au pied levé, la danseuse découverte en casting sauvage ayant dû déclarer forfait pour le rôle, trois jours avant le début du tournage. Devant l’urgence, j’ai choisi de travailler avec Fanta, que j’avais adorée dans la série d’arte.tv Tu préfères et de réadapter l’univers du hip-hop pour elle. Elle a néanmoins dû beaucoup travailler avec un coach en parallèle du tournage pour acquérir un niveau lui permettant de concourir au battle. Et enfin il y a eu la rencontre magique en casting avec Tracy Gotoas qui a su magnifier chaque jour un peu plus le personnage de Sanou. Tracy a été une véritable complice dans cette aventure. Elle m’a impressionnée par sa force intérieure et son talent d’incarnation. 
Si cette quête d’authenticité a aussi guidé la mise-en-scène et le filmage, je ne voulais pas d’un film sur le mode du cinéma-vérité. C’est pourquoi j’ai souhaité travailler avec le chef-opérateur Léo Lefèvre, connu pour son travail sur le film césarisé Papicha, l’idée étant d’obtenir une lumière naturelle magnifiée, avec une teinte dorée sur les peaux sombres. J’avais envie d’un processus de mise-en-scène vivant avec une caméra mouvante qui s’adapterait aux personnages. Nous avons donc tourné en plans master sous différents axes, avec la plus grande liberté de mouvement possible. Le tournage s’est déroulé à St Denis, proche banlieue, et à Paris. Je tenais à ces trajets de Sanou en RER, comme un fil tendu entre les deux mondes… Pour plus de réalisme, nous avons tourné dans le collège de St Denis qui a inspiré le récit. À Paris, nous n’avons pu filmer que l’extérieur du lycée Henri IV, l’intérieur étant en travaux au moment des prises de vue. Nous avons donc tourné au sein de deux autres établissements afin de nous rapprocher au mieux du cachet prestigieux d’Henri IV. J’ai par ailleurs tenu à intégrer la Bibliothèque François Mitterrand dans le récit, pour sa modernité et sa vue sur le Paris ancien. Ce mélange entre le terrien et l’aérien, la danse et le savoir, me permettait de clore le film dans une symbolique liant Sanou et Khady. »


« Les héritières » de Nolwenn Lemesle
France, 2020, 81 min
Scénario : Johanna Goldschmidt, Laure-Elisabeth Bourdaud
Production : Incognita, ARTE F
Producteurs : Edouard de Vésinne, David Amselem
Image : Léo Lefevre
Montage : Louise Decelle
Musique : Ronan Maillard
Costumes : Alice Cambournac
Décors de film : Chloé Cambournac
Chargée de programme : Isabelle Huige
Son : Lionel Dousset
Avec Tracy Gotoas (Sanou), Fanta Kebe (Khady), Lucie Fagedet (Valentine), Sam Chemoul (Raphaël), Augustin Ruhabura (Souleymane), Tatiana Rojo-Amoutati (Zenab), Déborah François (Mme Lebel), Marie Bunel (Mme D'Agostino)
Sur Arte le 26 août 2022 à 20 h 55
Disponible du 19/08/2022 au 23/11/2022
Visuels :
Sanou, excellente élève d' un collège de Seine-Saint-Denis classé REP+, fait son entrée en seconde au prestigieux lycée Henri-IV, à Paris. Alors qu' elle éprouve des difficultés à se familiariser avec son nouvel environnement, elle devient la tutrice de Khady, une boule d’énergie et de colère passionnée de breakdance, élève de troisième dans son ancien établissement. Les deux adolescentes vont vivre une année décisive
© EMMANUELLE JACOBSON-ROQUES /
© La Babosa Cine/Luis Armando Arteaga

Les citations sur le film proviennent d'Arte

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