
« Je suis une provocation vivante », disait de lui Aron Jean-Marie Lustiger (1926-2007).
Double identité revendiquée

Pour gagner sa vie, son père Charles abandonne son métier de boulanger pour diriger une boutique de bonneterie-mercerie à Paris.
Âgé d’une dizaine d’années, cet élève au lycée Montaigne lit la Bible – le « Nouveau Testament » lui semble la finalité et le parachèvement de la Bible hébraïque - et subit l’antisémitisme.
Lors d’un séjour au sein d’une famille protestante en Allemagne nazie en 1936-1937, il pressent le projet génocidaire nazi, et rencontre des Allemands anti-nazis.
En 1939, après un séjour à l’hôpital maritime de Berck, il se réfugie avec sa sœur Arlette à Orléans lorsqu’éclate la Deuxième Guerre mondiale. Là, tous deux vivent chez Suzanne Combes, professeur de lettres classiques trentenaire. Aaron Lustiger se rend souvent au siège des Œuvres diocésaines.
"Un jour d’avril 1940 (jour du Jeudi Saint – ce qu’il ignore alors), il entre dans la cathédrale Sainte-Croix d’Orléans. Il y retourne même le lendemain. Et là, dira-t-il plus tard : « J’ai eu l’intuition que ce que je pensais de la condition juive trouvait dans la figure du Messie son sens et un certain aboutissement » Cet adolescent veut se convertir. Ses parents s'y opposent et le ramènent à Paris. Ils organisent une réunion avec un rabbin pour qu'il retrouve sa judéité.

Le 25 août 1940, sous l’Occupation, à Orléans, cet adolescent et sa sœur Arlette se convertissent au catholicisme, contre l'avis de leurs parents. Aaron Lustiger ajoute à son prénom hébraïque « Jean » et « Marie ». Dans sa biographie de Jean-Marie Lustiger, le journaliste Henri Tincq a révélé que les parents Lustiger avaient obtenu le 31 octobre 1940 un « baptême de complaisance », attesté dans les registres de l'évêché d'Orléans. Le 9 juin 1941, l'évêque d'Orléans écrit dans une lettre au commissaire aux affaires juives Xavier Vallat : « M. et Mme Lustiger sont de religion catholique ». Xavier Vallat lui répond qu'ils ne seront pas « inquiétés » bien qu'ils soient « juifs en vertu de loi française du 2 juin 1941 ».
Dénoncée par son employée de maison qui souhaitait obtenir l’appartement de la famille Lustiger situé rue Delambre, arrêtée pour ne pas avoir porté l'étoile jaune, sa mère Gisèle est déportée à Auschwitz où elle est tuée le 13 février 1943.
Bachelier en 1943, Aaron Jean-Marie Lustiger retrouve son père à Decazeville. L’abbé Bezombes et l’Ecole jésuite de Purpan les protègent.

Il étudie les lettres dans une université parisienne.
Puis, après une formation au séminaire des Carmes de l’Institut catholique de Paris (1946), il est ordonné prêtre en 1954.
De 1954 à 1969, il est aumônier de la paroisse universitaire de Paris (centre Richelieu), puis des étudiants de la Sorbonne et des Grandes écoles. Il y rencontre le gratin de l’élite française.

En 1979 : retour à Orléans où le pape Jean-Paul II l’a nommé évêque. Ces deux polyglottes - français, yiddish, polonais – nouent une profonde amitié.
Deux ans plus tard, Jean-Marie Lustiger devient archevêque de Paris. Il renforce la formation des prêtres, crée une faculté de théologie indépendante dans l’Ecole cathédrale de Paris, fonde Radio Notre-Dame et la chaine de télévision KTO en 1999.
En 1983, le pape nomme Jean-Marie Lustiger cardinal-prêtre. Et l’Académie française l’admet en son sein en 1995.

En 2004, le cardinal Jean-Marie Lustiger et le rabbin Israel Singer, président du Congrès juif mondial (CJM) créent les « Rencontres internationales judéo-catholiques de New York ». Le dialogue régulier d’une trentaine de juifs orthodoxes et des plus hautes autorités de l’Église catholique. En janvier 2005, le cardinal Jean-Marie Lustiger représente le pape Jean-Paul II, lors des cérémonies du 60e anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz . Puis, en mai 2006, il se tient à Birkenau aux côtés du pape Benoît XVI.
Actif dans la sphère publique, le cardinal Lustiger mène la fronde contre le projet du président François Mitterrand de supprimer l’école privée catholique. Un million de manifestants soutenant l’école privée défilent dans toute la France. Ce qui contraint le gouvernement socialo-communiste à retirer le projet de loi Savary. Il s’engage en faveur des chômeurs et des immigrés.
Mgr Lustiger s’affirme sur des sujets de bioéthiques : il défend l’embryon, s’oppose à l’euthanasie et au clonage.
Il manifeste son respect de la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État, lors de la crise causée par le port du voile islamique dans les établissements publics, en particulier scolaires, dès 1989. En 2003, il s’oppose à une loi concernant le port du voile à l’école.
Conformément à l’attitude de l’Église catholique à l'égard de la Révolution française, il ne s’associe pas à l’hommage rendu par la nation française à l’Abbé Grégoire en 1989, lors du transfert des cendres de ce dernier au Panthéon.
A l'âge de 75 ans, suivant le code de droit canon, Mgr Lustiger présente sa renonciation à son office d'archevêque de Paris au pape Jean-Paul II. En février 2005, alors qu’il est âgé de 78, sa démission est acceptée, et Mgr André Vingt-Trois est désigné archevêque de Paris. Le cardinal Lustiger porte désormais le titre d'archevêque émérite de Paris.
En 2005, il avait confié à Claude Barouch, président de l'Union des patrons et professionnels juifs de France (UPJF) : « En 1962, j'ai été consulté par Mme de Gaulle sur le projet de son mari de faire venir en France des immigrés du Maghreb. J'ai encouragé cette proposition car je croyais que ces gens venaient pour manger à leur faim. J’ai eu tort. Ils venaient pour nous dominer ».
En 2005, il avait confié à Claude Barouch, président de l'Union des patrons et professionnels juifs de France (UPJF) : « En 1962, j'ai été consulté par Mme de Gaulle sur le projet de son mari de faire venir en France des immigrés du Maghreb. J'ai encouragé cette proposition car je croyais que ces gens venaient pour manger à leur faim. J’ai eu tort. Ils venaient pour nous dominer ».
En octobre 2006, il annonce aux prêtres et diacres de Paris qu'il souffre d'« une maladie grave dont le traitement a commencé ».
Le 31 mai 2007, il fait ses adieux aux « Immortels » à l’Académie française : « Vous ne me reverrez pas ».
Le 5 août 2007, il décède d’un cancer à l'âge de 80 ans, à la Maison Médicale Jeanne Garnier (75015).
Le 10 août 2007, ses obsèques sont célébrées devant et dans la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Lors de la levée du corps du défunt, avant l'entrée dans la cathédrale et la liturgie catholique, de la terre prélevée en Israël est déposée sur son cercueil. Son cousin Arno Lustiger et son arrière-petit cousin Jonas Moses-Lustiger, demeurés juifs, récitent le Psaume 113 (112) en hébreu, et le Kaddish, prière juive des endeuillés.
Dans la cathédrale, l’office est mené par l'archevêque Mgr André Vingt-Trois, en présence de nombreuses personnalités, dont le représentant du pape le cardinal Paul Poupard, le président Nicolas Sarkozy, le Premier ministre François Fillon, les ministres Michèle Alliot-Marie, Jean-Louis Borloo, Nathalie Kosciusko-Morizet et Roger Karoutchi, les présidents de l'Assemblée nationale, Bernard Accoyer, et du Sénat, Christian Poncelet, le président de la région Île-de-France Jean-Paul Huchon, Mme Bernadette Chirac représentant l'ancien président Jacques Chirac, l'ancien président polonais Lech Wałęsa, plusieurs membres de l'Académie française, dont l’historienne Hélène Carrère d'Encausse, secrétaire perpétuel, et Maurice Druon, secrétaire honoraire, 500 prêtres, 50 évêques, 16 cardinaux et de nombreux prélats, représentants des Églises catholiques d'Orient. Le cardinal Lustiger est inhumé dans la crypte de Notre-Dame de Paris, dans le caveau des archevêques de Paris. A ces obsèques assistent près de 5 000 personnes.
Ainsi était symbolisée son espérance de voir judaïsme et christianisme engagés « du même côté », « dans le combat pour l'homme, enraciné dans la même foi au Dieu unique et la même espérance dans les promesses du Messie ».
Une plaque est apposée dans la cathédrale à la demande du Cardinal Lustiger avec le texte suivant signé de Aron Jean-Marie cardinal Lustiger, Archevêque de Paris : « Je suis né juif. J’ai reçu le nom de mon grand-père paternel, Aron. Devenu chrétien par la foi et le baptême, je suis demeuré juif comme le demeuraient les Apôtres. J’ai pour saints patrons Aron le Grand Prêtre, saint Jean l’Apôtre, sainte Marie pleine de grâce. Nommé 139e archevêque de Paris par Sa Sainteté le pape Jean-Paul II, j’ai été intronisé dans cette cathédrale le 27 février 1981, puis j’y ai exercé tout mon ministère. Passants, priez pour moi. »
Dans divers articles publiés par Le Figaro - le cardinal Jean-Marie Lustiger est assimilé aux « tenants de la théorie de la substitution » (8-9 septembre 2007), Lustiger était un prince de l'Église mais il n'était plus juif (14 octobre 2007) -, Actualité juive hebdo et Information juive (octobre 2007) après le décès de Jean-Marie Lustiger, le rabbin Josy Eisenberg a "démontré :
Dans divers articles publiés par Le Figaro - le cardinal Jean-Marie Lustiger est assimilé aux « tenants de la théorie de la substitution » (8-9 septembre 2007), Lustiger était un prince de l'Église mais il n'était plus juif (14 octobre 2007) -, Actualité juive hebdo et Information juive (octobre 2007) après le décès de Jean-Marie Lustiger, le rabbin Josy Eisenberg a "démontré :
1) que le cardinal ne pouvait d'aucune manière être considéré comme juif ;
2) qu'il a certes rendu de grands services à l'Eglise, mais qu'il incarnait cependant la doctrine de la substitution selon laquelle le christianisme est la forme la plus accomplie du judaïsme, thèse aussi nocive qu'inadmissible pour la conscience juive ;
3) que, dans cette démarche, il allait à contre-courant d'un désir de plus en plus affirmé dans le monde chrétien - sauf au Vatican - d'abolir ce fantasme qui a empoisonné les relations judéo-chrétiennes pendant deux millénaires".Et ce rabbin, qui "regarde avec tristesse et appréhension la déchristianisation de la France" d'ajouter : "Le cardinal avait osé utiliser les morts d'Auschwitz pour prouver la véracité de la mort du Christ, thèse scandaleuse que j'avais jadis ouvertement stigmatisée dans "Le Nouvel Observateur".
Et Jacques Duquesne, ancien directeur du Point et écrivain, de préciser dans une lettre à ce rabbin producteur de l'émission dominicale La source de vie sur France 2 : « Le christianisme n’accomplit pas le judaïsme. Il est une révolution. Et si l'on compare avec ce qui se produit en d'autres domaines, une révolution peut garder certains traits du régime précédents, une partie de ses rites et de ses formes, de ses lois et de ses normes, mais fondamentalement, elle s'en distingue. Théologiquement le point fondamental me paraît être l'incarnation. Le Dieu de Jésus n’est pas celui de Moïse. Que l'on respecte enfin, que l'on prie en même temps et côte à côte, très bien. Mais que l'on entretienne la confusion, non. Je suis parfois agacé à la messe, d’entendre lire aux fidèles les textes de ce que les chrétiens appellent l’Ancien Testament, textes sans doute bien choisis mais qui sont quelque peu – et parfois beaucoup – en contradiction avec ce que va lire ensuite et les propos que va tenir le prêtre... J'ai été moi aussi choqué par la confusion que l'on a entretenue, renforcée même, lors des obsèques de Lustiger. Et j'étais étonné que des juifs s'y soient prêtés ». (Information juive, octobre 2007, p.12.)
Dans Actualité juive hebdo, Richard Prasquier, alors président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), a affirmé que l'ancien archevêque de Paris n'était pas « un convertisseur masqué ». La « conviction qu'avait le cardinal d'appartenir au peuple juif s'inscrit dans une ambiguïté sémiologique sur le signifiant « juif » qui demande à être explicitée longuement et peut partiellement être discutée ».
Dans Actualité juive hebdo, Richard Prasquier, alors président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), a affirmé que l'ancien archevêque de Paris n'était pas « un convertisseur masqué ». La « conviction qu'avait le cardinal d'appartenir au peuple juif s'inscrit dans une ambiguïté sémiologique sur le signifiant « juif » qui demande à être explicitée longuement et peut partiellement être discutée ».

« En évitant la charge satirique autant que l'hagiographie, le téléfilm captivant se tient à juste distance de ces grands personnages que sont le pape Jean-Paul II et Jean-Marie Lustiger, grâce à un humour particulièrement bienvenu ».

Hommages

Le cardinal Aaron-Jean-Marie Lustiger, juif ou catholique ?

Le cardinal Lustiger avait défini sa conversion au catholicisme comme un « accomplissement » de son judaïsme. Un vocable qui « ne voulait pas choquer », mais qui avait suscité des questionnements de fidèles des deux religions et avivé une méfiance dans le monde juif : le judaïsme « s’accomplirait-il » dans le catholicisme ? Ce dialogue interconfessionnel est-il un leurre ?
« La croyance dans le Christ comme Messie et personne de la Trinité n'est, pour les Juifs, pas compatible avec la religion juive… La position de la tradition juive vis-à-vis des convertis est ancienne et en apparence paradoxale : ils restent considérés comme juifs sur le plan civil. En revanche, on porte sur eux un regard hostile : voir un Juif quitter le judaïsme est considéré avec douleur, étant donné le faible nombre de juifs dans le monde. Le cardinal Lustiger ne pouvait se qualifier de juif. Mais la façon dont lui se voyait est un élément fondamental de sa personnalité et ne peut pas être négligée », a précisé le Dr Richard Prasquier, président du CRIF.
« Mon ami, le cardinal Lustiger » définissait [par le terme accomplissement] sa « trajectoire spirituelle personnelle et particulière, le chemin d'un adolescent, puis d'un homme qui ayant eu peu de transmission familiale de la tradition juive a trouvé la plénitude de sa quête spirituelle dans la rencontre avec Jésus. Le cardinal Lustiger a vécu et est mort en chrétien », constatait le Dr Richard Prasquier.
En 2013, a été inauguré un mémorial paysager dédié à Aron Jean-Marie Lustiger au monastère bénédictin d'Abou Ghosh, près de Jérusalem (Israël).
Joëy Faré, Scarlett Production, Fugitive Productions, ARTE F, Euro Media France, A Plus Image 4, TV5 Monde, 2012, 96 min
Scénario : Chantal de Rudder
Costumes : Jürgen Doering
Décors : Isabelle Filleul de Brohy, Valérie Grall
Image : Christophe Graillot
Montage : Elif Uluengin, Fabrice Rouaud
Musique : Nathaniel Méchaly
Son : Laurent Poirier
Avec Laurent Lucas (Lustiger), Aurélien Recoing (Jean -Paul II), Audrey Dana (Fanny), Henri Guybet (Charles Lustiger), Pascal Greggory (Albert Decourtray).
Visuels : © Hassan Brahiti. © Jérémie Bouillon
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