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vendredi 23 août 2019

« La fin des chrétiens d'orient ? » par Didier Martiny


« La fin des chrétiens d'orient ? » (Christen In Der Arabischen Welt) est un documentaire réalisé par Didier Martiny. Un « saisissant panorama de la fragile condition des chrétiens dans cinq pays : l'Irak, la Syrie, la Turquie, l'Égypte et le Liban ». Pourquoi pas aussi l’Autorité palestinienne ? Un film confus, biaisé, "islamiquement correct" et couplé à un dossier web par Arte. Article republié en cette « Journée internationale de commémoration des personnes victimes de violences en raison de leur religion ou de leurs convictions ». 

« La fin des chrétiens d'orient ? », par Didier Martiny 
« Les chrétiens d’Orient - Vitalité, souffrances, avenir » de Jean-Michel Cadiot
Chrétiens d'Orient - Deux mille ans d'histoire
« Manuscrits en péril » par Susanne Brahms

« Minée par les persécutions, l'exil et le recul de ses droits, la communauté chrétienne va-t-elle disparaître du Moyen-Orient », son berceau historique ?

« Au début du XXe siècle, un habitant du Moyen-Orient sur quatre était chrétien ».

A l’aube du XXIe siècle, les chrétiens y « sont largement minoritaires : 11 millions parmi 320 millions de musulmans. Partout minoritaires... Chaque année, des milliers d'entre eux sont massacrés, souvent parce qu'on les assimile à un Occident qui, pourtant, ne les soutient guère. Peu à peu, ils disparaissent de la région qui a vu naître leur religion. Ils descendent en effet des premiers chrétiens qui fondèrent des communautés religieuses au cours du 1er siècle, quand l'Europe était païenne. Au VIIe siècle, ils ont accompagné l'avènement de l'islam ». Accompagné ou subi ? La conquête arabe islamique a conquis des territoires de l'empire byzantin.. La conquête arabe musulmane et le joug islamique ont réduit les autochtones chrétiens en minorités chrétiennes via des massacres, des conversions forcées, etc.


Quid de la dhimmitude qui est décrite près d'une demi-heure après le début du film ? « La dhimmitude est corrélée au jihad. C’est le statut de soumission des indigènes non-musulmans – juifs, chrétiens, sabéens, zoroastriens, hindous, etc. - régis dans leur pays par la loi islamique. Il est inhérent au fiqh (jurisprudence) et à la charîa (loi islamique) », a expliqué  l’essayiste Bat Ye’or. Les éléments constitutifs de ce statut inférieur, précaire, cruel, humiliant ? Ils « sont d’ordre territorial, religieux, politique et social. Le pays conquis s’intègre au dar al-islam sur lequel s’applique la charîa. Celle-ci détermine en fonction des modalités de la conquête les droits et les devoirs des peuples conquis qui gardent leur religion à condition de payer une capitation mentionnée dans le Coran et donc obligatoire. Le Coran précise que cet impôt dénommé la jizya doit être perçue avec humiliation (Coran, 9, 29).


Les éléments caractéristiques de ces infidèles conquis (dhimmis) sont leur infériorité dans tous les domaines par rapport aux musulmans, un statut d’humiliation et d’insécurité obligatoires et leur exploitation économique. Les dhimmis ne pouvaient construire de nouveaux lieux de culte et la restauration de ces lieux obéissait à des règles très sévères. Ils subissaient un apartheid social qui les obligeait à vivre dans des quartiers séparés, à se différencier des musulmans par des vêtements de couleur et de forme particulière, par leur coiffure, leurs selles en bois, leurs étriers et leurs ânes, seule monture autorisée. Ils étaient astreints à des corvées humiliantes, même les jours de fête, et à des rançons ruineuses extorquées souvent par des supplices. L’incapacité de les payer les condamnait à l’esclavage. Dans les provinces balkaniques de l’Empire ottoman durant quelques siècles, des enfants chrétiens furent pris en esclavage et islamisés. Au Yémen, les enfants juifs orphelins de père étaient enlevés à leur famille et islamisés. Ce système toutefois doit être replacé dans le contexte des mentalités du Moyen Age et de sociétés tribales et guerrières », a analysé  l’essayiste Bat Ye’or.

« Pris en étau »
Les chrétiens d'Orient « ont toujours été pris en étau entre l'Occident d'un côté et l'islam de l'autre », déplore l’historien des religions Jean-François Colosimo.

Le christianisme n'est pas né en Palestine, mais en Judée. La diaspora juive est très dynamique, et le "christianisme oriental s'inscrit dans une matrice juive".

Les chrétiens se divisent en deux groupes : l'un catholique, l'autre indépendant est constitué de groupes - assyro-chaldéens, arméniens, orthodoxes, etc. - dirigés par des patriarches

Cet « ample et passionnant documentaire explore leur fragile condition dans cinq pays : l'Irak, la Syrie, le Liban, la Turquie et l'Égypte. D'une région à l'autre, leur position minoritaire les conduit souvent à s'allier au pouvoir en place en échange d'une protection incertaine ». Pourquoi n’avoir pas inclus l’Autorité palestinienne que les chrétiens ont fui depuis des décennies ? Parler de "territoires occupés" révèle un parti pris infondé. 


Dans le site web dédié par Arte aux chrétiens du Moyen-Orient, l'Autorité palestinienne manque aussi. Les nombres indiqués concernant Israël allèguent une baisse de 2001 à 2015 !? Or, si le nombre de chrétiens dans les territoires régis par l'Autorité palestinienne et le Hamas a diminué en raison des persécutions subies, celui des chrétiens en Israël a augmenté.

En « Irak et en Syrie, ils fuient  en masse les persécutions de l'État islamique (ISIS ou ISIL), qui cherche aussi à effacer les traces de leur culture ». Avant l’avènement de l’Etat islamique, les chrétiens  avaient fui le régime baasiste irakien de Saddam Hussein. C'est ce que rappelle Myriam Benraad.

Le choix imposé par Daech ? La conversion à l'islam, l'exil ou la jizya. Pourquoi les pays occidentaux et du Golfe ont-ils laissé les troupes islamistes de Daech gagner tant de terrains, s'emparer de Palmyre, alors qu'ils auraient pu bombarder ces convois de terroristes ? Imad Elias, médecin chrétien, évoque un "plan préparé pour vider la région de sa population chrétienne".

Le « père Najeeb Michael raconte comment, de façon rocambolesque, il a sauvé des milliers de manuscrits et tableaux, en les embarquant dans des cartons lors de son exode ». Il se souvient des gens fuyant qu'il place dans ses véhicules. "C'était l'arche de Noé", ironise-t-il. ISIS intime l'ordre de laisser les véhicules. Aussi le père Najeeb Michael a confié les archives aux enfants et adultes pour traverser le check point. Les balles sifflaient. "On était chassé, exilé de chez nous", déplore-t-il.


« Décimée en Turquie par le génocide de 1915 puis par l'émigration, plus importante en Égypte mais endeuillée par de récents attentats, la communauté chrétienne n'obtient pas la reconnaissance officielle qu'elle attend des autorités des deux pays ». A la charnière des XIXe et XXe siècle, des mouvements turcs considèrent qu'on est turc et musulman. L'épuration ethnico-religieux vise les Arméniens, les Assyriens - les Assyro-chaldéens tués actuellement dans la province de Ninive descendent de ces Assyriens -, les Grecs pontiques, etc. En Turquie, des lieux de culte chrétiens ont été transformés en mosquées. Les autorités politiques refusent la protection juridique à ces minorités chrétiennes. Kafro est emblématique du retour de chrétiens dans les maisons historiques de leurs villages. Mais interdiction leur est faite de construire leurs églises.

« Il n'y a qu'au Liban qu'elle est majoritaire et joue un rôle politique, même si elle a perdu une part de ses prérogatives après l'accord de Taëf de 1989 ». Les chrétiens constituent-ils toujours la majorité de la population libanaise ? La présence chrétienne est institutionnalisée. Quid du rôle des Palestiniens dans la guerre civile libanaise ? Les accords de Taëf consacrent la réduction des pouvoirs des chrétiens. Soutenus par l'Iran chiite, le mouvement terroriste Hezbollah s'est introduit dans l'Etat libanais. Soutenue par des pays européens, l'Arabie saoudite sunnite s'intéresse au devenir du Liban. Les chrétiens sont pris en tenaille entre chiites et sunnites en guerre.

La plus grande communauté chrétienne d'Orient se situe en Egypte. Les Coptes sont les chrétiens autochtones. Avec Nasser, c'est l'ère du pan-arabisme : le rêve d'une société républicaine qui exclut les chrétiens. Sadate inscrit la charia dans la constitution égyptienne. Un hiérarque copte déplore l'inaction occidentale face aux tueries barbares au Nigéria, en Iraq.


Les Frères musulmans parviennent au pouvoir par le "printemps arabe" en 2011. La constitution proposée par Morsi renforce un "islam rigoriste". Les massacres récurrents de Coptes continuent. En 2015, l'Etat islamique décapite des Coptes égyptiens qui seront inclus dans le martyrologe copte. Un musulman insiste sur le caractère tolérant de l'islam. L'université Al-Azar "est discréditée par sa longue compromission avec le pouvoir". Le président al-Sissi a salué les Coptes dans une église. Une première. On assiste à "un renouveau copte et un repli identitaire".


« Au fil des interviews d'historiens, de politologues ou de dignitaire religieux, des séquences émouvantes auprès des réfugiés ou des communautés religieuses, se dessine un monde éprouvé mais aussi baroque, chaleureux et multiple, réparti en six rites différents : syriaque, byzantin, arménien, chaldéen, copte et maronite ».

Dadi, réfugiée yazidi, relate sa fuite, sa peur. Elle remercie les chrétiens pour leur hospitalité et leur aide.


Le film « permet de revisiter des pans d'histoire édifiants, du partage désastreux du Moyen-Orient entre l'Angleterre et la France » - les accords Sykes-Picot ont en fait déterminé en 1916 des zones d’influence -, « qui continue de peser sur la région, à l'échec du panarabisme en passant par la façon dont le clan al-Assad a instrumentalisé les religions ». Ce clan se souvenait aussi des massacres de chrétiens et d’alaouites par les sunnites. En imputant le chaos à ces accords, ce documentaire est "islamiquement correct". Un orateur véhicule le slogan du "dictateur-qui-tue-son-peuple". Mais existe-t-il un "peuple syrien" ?Après "14-15 ans de résistance, les chrétiens partent". Une "catastrophe de civilisation : les identités ne pourront être que folkloriques ou meurtrières".

Ce documentaire « rappelle aussi que la présence des chrétiens ou d'autres minorités religieuses, comme les Yézidis, garantit un reste de pluralité culturelle dans une région que les Juifs ont dû quitter ». Et après samedi, dimanche. Les "chrétiens d'Orient occupent la place symbolique des Juifs", relève un intervenant.

Enfin, « le documentaire met en exergue l'esprit de résistance des chrétiens d'Orient et leurs efforts pour préserver leur culture ». Mais ils sont bien seuls, quasi-abandonnés par la France.  Le retour sur la terre natale est-il envisageable ?

Un site web accompagne ce documentaire.

Le crépuscule des chrétiens d’Orient 
(Propos recueillis par Emmanuel Raspiengeas, ARTE Magazine, n° 20 – semaine du 14 au 20 mai 2016

"Pour ARTE, le réalisateur Didier Martiny est allé à la rencontre des communautés chrétiennes historiques d’Irak, de Syrie, de Turquie, d’Égypte et du Liban. Il dresse un bilan aussi passionnant qu’alarmant de leur condition, qui s’aggrave depuis l’émergence de Daech. Entretien.

Pourquoi les chrétiens d’Orient sont-ils “pris en étau” entre l’Occident et leurs propres pays ? 
Didier Martiny : Parce qu’ils ne sont pas un enjeu stratégique pour l’Europe et les États-Unis. Dans un Moyen-Orient qui va de la Turquie à l’Arabie saoudite, et de l’Égypte à l’Iran, on compte 320millions de musulmans pour 11millions de chrétiens. Ils ne représentent donc pas une masse significative par rapport à la majorité sunnite avec laquelle l’Occident a choisi de s’allier depuis plusieurs années. Cela fait une dizaine de siècles que les chrétiens sont malmenés et constituent une variable d’ajustement pour tous les pouvoirs en place, en raison de leur condition de minorité.

Comment sont-ils vus par les peuples musulmans ? 
Le grand danger qui guette les chrétiens d’Orient, c’est qu’ils soient considérés par les musulmans comme une cinquième colonne de l’Occident, comme lors de l’intervention américaine en Irak en 2003, quand George Bush a affirmé: “Nous sommes les nouveaux croisés.” Cela a eu immédiatement pour effet des centaines de morts parmi eux. 


Pour autant, les choses ne se sont pas toujours mal passées. Ils étaient soumis dans l’Empire ottoman à un statut particulier: la dhimma. Cette condition de dhimmis définissait les chrétiens comme des citoyens de seconde zone redevables d’un impôt en échange de quoi ils étaient assurés de la protection du pouvoir. Plus tard, le système des millet a reconnu les chrétiens en tant que communauté représentée par un patriarche mais toujours de statut inférieur. Sans être très riches, ils étaient de classes sociales relativement élevées. 

De plus, ils sont très savants de l’islam. En effet, si le judaïsme fut fondateur de notre culture et l’islam la dernière religion révélée, les chrétiens sont peut-être ceux qui ont le plus étudié les autres. Les dominicains que nous avons rencontrés connaissent par exemple parfaitement le Coran. Ils l’ont traduit, ils parlent l’arabe et l’araméen… Sociologiquement, ils ont toujours été des érudits, des médiateurs. Les chrétiens sont importants pour le pluralisme et la diversité culturelle de l’Orient.


Voyez-vous leur situation actuelle comme un énième cycle d’une histoire tourmentée, ou assistons-nous réellement au début de leur disparition dans la région ? 
Le constat est très noir. On a le sentiment qu’il s’agit de leur crépuscule. En Turquie, il n’y a pratiquement plus de chrétiens, puisqu’ils sont réduits à un groupe de 100 000 personnes environ. 

En Irak, où ils ont été pourchassés, ils ont fui vers le Kurdistan. Leur situation est celle de réfugiés. 

En Syrie, la situation est encore pire, puisqu’un million de chrétiens sont partis. 

Il reste l’Égypte, où ils sont les plus nombreux, mais où la montée régionale de l’islamisme les a poussés à se replier sur eux-mêmes. Ce faisant, ils ont perdu la position militante qui fut la leur en faveur de l’essor d’une société laïque. Beaucoup d’entre eux la rêvaient sous le règne de Nasser. Mais son projet de panarabisme a échoué pour être remplacé par d’autres forces. 

Aujourd’hui, le bassin moyen-oriental s’est presque totalement vidé de ses populations chrétiennes. Il y a certes le Liban, où ils restent majoritaires, mais c’est une exception. 

Ce qui est fascinant dans cette région, c’est la diversité incroyable des communautés ! Les syriaques, les sabéens, les mandéens, des ordres qui descendent de saint Jean le Baptiste, sans oublier les yézidis qui, eux, ne sont pas chrétiens… Si l’une de ces minorités renonce définitivement à rester, toutes les autres vont lui emboîter le pas, car toutes sont vulnérables. Ce qui reste de cette multiplicité va s’effondrer comme un château de cartes.

Comment peuvent-ils survivre aujourd’hui ? 
C’est toute la question de l’exil. Le patriarche de Bagdad Raphaël Sako, par exemple, est farouchement opposé au départ. Il s’est même élevé contre des prêtres locaux en leur disant : “Tant pis,vous devez rester avec vos fidèles !” Selon lui, le patrimoine culturel doit également rester en Irak. 

À l’inverse, d’autres, comme les Arméniens, estiment que l’Orient est certes le berceau de leur religion, mais que celle-ci doit avant tout rester vivante, et qu’elle peut reprendre racine n’importe où dans le monde. 

Tous sont en tout cas confrontés à la question de savoir s’ils pourront revenir après avoir quitté le Moyen-Orient. 

Ce sera difficile. 

Les chrétiens d’Orient en exil arriveront à s’insérer matériellement, mais spirituellement, non, car leur fonctionnement est communautaire, et ils seront privés du creuset qui faisait leur richesse. "

    

« La fin des chrétiens d'orient ? », par Didier Martiny
Ecrit par Didier Martiny et Pierre Prier
Ligne de front, Arte, 2015, 105 min
Sur Arte les 17 mai à 20 h 55, 1er juin à 8 h 55 et 20 juin 2016 à 8 h 55, 9 janvier 2018 à 20 h 50

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Les citations sont d'Arte. Cet article a été publié le 17 mai 2016, puis le 8 janvier 2018.

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