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lundi 9 décembre 2019

« La passeuse des Aubrais, 1942 » par Michaël Prazan


Arte rediffuse jusqu'au 11 décembre 2019 sur son site Internet « La passeuse des Aubrais, 1942 » (Die Schmugglerin von Les Aubrais) est un documentaire réalisé par Michaël Prazan. « L'écrivain et documentariste Michaël Prazan éclaire les zones d'ombre d'un passé meurtri : l'histoire de son père, orphelin juif sous l'Occupation, sauvé par une inconnue qui le fait passer en zone libre ». 

« Originaire de Varsovie, Abram Prazan arrive en France dans les années 1920 ».

« À Paris, il épouse Estera. Juive polonaise comme lui, elle vient d'un shtetl de la région de Lodz. Deux enfants naissent : Jeannette, en 1932, et Bernard, trois ans plus tard. Abram ouvre deux boucheries ; ses affaires tournent bien jusqu'à la guerre ». C'est un monde ashkénaze yiddischisant qui vit entre les places de la République et de la Nation, dans le XIe arrondissement de Paris.

« Après la débâcle de 1940, la mise en œuvre par Pétain de la politique de collaboration avec l'occupant donne lieu à des lois antisémites. D'abord exclus de presque toutes les professions, les juifs sont ensuite spoliés de leurs biens, puis arrêtés et déportés. Dès mai 1941, Abram, devenu Adolf, est interné au camp de Pithiviers dans le Loiret". Il bénéficie d'une permission exceptionnelle. De retour à Paris, convaincu que rien de grave ne peut lui arriver, il n'écoute pas les conseils de ses amis qui l'exhortent à fuir en zone libre avec sa famille et s'efforce de veiller à ses affaires : ses boucheries et son restaurant. Peut-être aussi par crainte des représailles sur sa parentèle, et la volonté de récupérer ses biens placés sous le contrôle d'un administrateur provisoire."Déporté à Auschwitz-Birkenau, il n'en reviendra pas. Pas plus qu'Estera, détenue à Drancy et déportée à son tour en juillet 1942 ».

« Gisèle, sa sœur, décide de faire quitter Paris à ses neveux, dont elle a désormais la charge. Elle les confie à une jeune femme qui doit les faire passer des Aubrais en zone dite « libre ». Cette « passeuse, Thérèse Léopold, devait conduire l’enfant alors âgé de 7 ans accompagné de sa sœur de 5 ans  ».

« Lorsqu'elle est venue les chercher, elle était accompagnée d’un homme : Pierre Lussac, l’un des collaborateurs les plus actifs de la région d’Orléans. Du haut de ses 7 ans, Bernard Prazan comprend alors que la passeuse était sur le point de les livrer à la Gestapo. Puis qu’elle s’est ravisée. Michaël, son fils, a retrouvé et filmé cette femme qui était encore en vie et qui a confirmé cette histoire. Grâce à elle, Bernard et Jeannette vont vivre…  ».

Acte d'amour
« Avant que Bernard, son père, n'accepte en 2006 de participer à une collecte de témoignages de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, l'écrivain et documentariste Michaël Prazan en savait peu sur ce qu'avait été son enfance meurtrie ». 

« Dans ce film en forme d'enquête, le témoignage de Bernard tient une large place. Alors septuagénaire, il raconte l'histoire de ses parents, sa vie d'enfant caché en zone libre, privé d'école et ballotté de ferme en ferme », son enfance à la campagne, l'accueil divers reçu : parfois dur, parfois chaleureux, comme chez ce couple âgé qui l'entoure d'affection. Ce documentaire est aussi un acte d'amour du père au fils, et du fils au père.


« Mais il en dit peu sur la « passeuse » qui lui a fait franchir la ligne de démarcation, et sur les relations troubles de cette dernière avec le gestapiste français Pierre Lussac ». 

« Au terme de minutieuses recherches, le réalisateur parvient à la retrouver à Houlgate, sur la côte normande. Thérèse L., rescapée des camps, raconte à son tour ». « Avant d’aller la voir chez elle et compte tenu des préventions que m’inspiraient les paroles de mon père, j’ai fait envoyer à madame Leopold l’intégralité de son témoignage à l’INA. Et je me suis rendu en Normandie avec une caméra prêtée par un ami pour conserver la trace de ce qu’elle me dirait. J’ai trouvé une femme secouée par ce qu’elle venait de voir, mais décidée à donner sa version des faits. J’ai passé la journée avec elle. J’en suis sorti sans savoir quoi penser, glacé par l’antisémitisme émanant de certains de ses propos et nullement convaincu. J’avais des doutes jusque sur sa déportation à Auschwitz-Birkenau, dans le convoi du 24 janvier 1943, celui de Marie-Claude Vaillant-Couturier, Danielle Casanova et Charlotte Delbo. Ça m’a pris des années, de vérifier son témoignage point par point, de m’attacher à elle et de comprendre qui elle était. De voir la larme discrète qui perle sur son visage, quand elle évoque la destruction des juifs de Hongrie. De découvrir que cette femme disait vrai, même si elle ne m’a pas forcément tout dit », a déclaré le réalisateur à Télérama.

« Fruit d'un patient travail d'enquête, de recoupements et de doutes, le film de Michaël Prazan représente aussi le vibrant cri d'amour d'un fils à son père ». Il a été distingué par le Prix du jury, prix des jeunes journalistes IJBA – Festival du film d’histoire de Pessac 2016.

Le documentaire est articulé autour de deux parties : la première "Enfant caché" est centrée sur le témoignage de Bernard Prazan, sa vie personnelle, familiale - entre Paris et brièvement New York, où se marie et s'installe sa sœur Jeannette -, amicale, sociale et professionnelle - de la confection au monde des arts comme marchand d'art -, d'extraits de documentaires sur les orphelins juifs recueillis dans des maisons d'enfants d'organisations juives françaises ou devenus adultes ; la seconde "La Passeuse" relève de l'enquête à propos de Thérèse Léopold, interviewée, de ses déclarations surprenantes, bouleversantes, et de Pierre Lussac, . Si certains faits sont mieux connus, demeurent des secrets, des questions restées sans réponse en raison du décès de ces deux protagonistes. Frank Prazan, galeriste comme son père Bernard, a initié une procédure afin que Thérèse Léopold soit reconnue, à titre désormais posthume, Juste parmi les Nations.

Das Reich, une division SS en France, précédent documentaire de Michaël Prazan, a été rediffusé le 15 juin à 9 h 25.


Le 12 avril, à l'ISEG, de 20 h à 23 h, l'association Schibboleth proposera la projection de "La passeuse des Aubrais" de Michaël Prazan, puis un débat à propos de ce film Sous la présidence de Michel Gad Wolkowicz, professeur de Psychopathologie, Universités Paris-Sud, Tel Aviv, Glasgow ; psychanalyste, Association Psychanalytique de France ; Président de Schibboleth – Actualité de Freud – ; Directeur de Présence de la Shoah et d’Israël dans la pensée contemporaine – Nom sacré/Nom maudit, In Press, 2014 ; Le sujet face au réel, et dans la transmission, In Press, 2017 ; Si c’était Jérusalem. Hommage à Raphaël Draï et à Benjamin Gross, In Press, 2018, et de Richard Prasquier, président du Keren Hayesod, Président d’Honneur du CRIF, Vice-Président de la Fondation pour la mémoire de la Shoah. Et avec Mickaël Prazan, écrivain, cinéaste, documentariste ; auteur de : Les Frères musulmans (Grasset, 2014), Einsatzgruppen. Sur les traces des commandos de la mort nazis (Seuil, 2010) ; Une histoire du terrorisme (avec la collaboration de Christiane Ratiney) (Flammarion, 2012) ; Frères Musulmans : enquête sur la dernière idéologie totalitaire, (Grasset, 2014) ; La Passeuse (Grasset, 2017) ; Films et documentaires : La Confrérie, enquête sur les frères musulmans (Histoire immédiate – France 3), diffusion mai 2013 ; Ellis Island : une histoire du rêve américain (Les Films d’un jour – Arte, diffusion le 11 mars 2014) ; Das Reich ; Une division SS en France (2015) ; Vichy, la mémoire empoisonnée (diff. Fr3, 2016), Pascal Bruckner, philosophe, essayiste, écrivain ; Membre du Comité Éditorial de Schibboleth – Actualité de Freud – ; auteur de La sagesse de l’argent (Grasset, 2016) ; Un racisme imaginaire. Islamophobie et culpabilité (Grasset 2017), Jean-Pierre Winter; psychanalyste, Président-Fondateur du Coût Freudien ; Membre du Comité Éditorial de Schibboleth – Actualité de Freud – ; auteur de : Choisir la psychanalyse (Seuil, 2010) ; Transmettre (ou pas) (Albin Michel, 2012) ; Homoparenté (Albin Michel, 2010) ; Dieu, l’amour et la psychanalyse (Bayard, 2011) ; Transmettre (ou pas) (Albin Michel, 2012) ; Peut-on croire à l’amour ? avec Nathalie Sarthou-Lajus (Le Passeur, 2015), et Paul Zawadzki, philosophe, Paris-Sorbonne, Membre du Comité de Rédaction de Schibboleth – Actualité de Freud –

"1942, quai de la gare des Aubrais : Bernard Prazan, 7 ans, serre fort la main de Thérèse Léopold qu’il doit appeler Tata mais qu’il connaît à peine.  Quelques heures plus tôt, sa véritable tante les a confiés, lui et sa sœur, à cette inconnue pour qu’elle les fasse passer en zone libre.  Mais au moment de quitter la gare, l’enfant comprend au regard de la passeuse qu’elle va les livrer aux Allemands. Pourtant, elle se ravise et les sauve. Qui était-elle vraiment ? Une collabo repentie ou une Juste ignorée ?  Pour connaître la vérité, Michaël Prazan s’est lancé dans la grande enquête de sa vie : celle de ses origines. Mêlant l’histoire de son père et celle de la passeuse qu’il a retrouvée et interrogée, il livre le récit bouleversant d’une famille persécutée et d’un sauvetage énigmatique."

"Quelle est la substance des chasseurs de Juifs, des collaborateurs, de la France de Vichy ? De quelle substance est la recherche de la vérité avec ses ombres et ses lumières ? – « Contrairement aux idées reçues, les vrais salauds ne courent pas les rues. La période de l’occupation a permis de les révéler », écrit Michaël Prazan. Le film, comme l’ouvrage, a le mérite d’insister sur le fait que la fin de la guerre n’est pas la fin des souffrances pour les enfants orphelins de la Shoah, et que leurs traumatismes vont perdurer jusque dans leurs relations avec leurs propres enfants. On retient l’importance du témoignage, à la fois pour le père et le fils, pour se réapproprier une histoire familiale détruite et presque effacée par la Shoah. Et quant à l’enquête, même si elle met mal à l’aise car la situation est nébuleuse, elle a le mérite de mettre en avant qu’en temps de guerre, il est beaucoup question de hasard et de chance, et que rien n’est vraiment tout noir ou tout blanc.A quel moment décide-t-on de résister ? Un jour ou l’autre, chacun se confronte au secret fondateur, celui qui le pousse en avant dans le silence et la douleur. Michaël Prazan remonte le cours de sa propre histoire. Celle de son père, Bernard Prazan, enfant juif sauvé en 1942 par une passeuse mystérieuse. L’inconnue lui fit franchir la ligne de démarcation, près d’Orléans. Le petit garçon, qui avait 7 ans, ne garde dans sa mémoire qu’un regard de cette femme dans lequel il croit lire l’hésitation entre la dénonciation à la Gestapo - il y eut beaucoup de faux passeurs collabos - et la pitié. C’est cet instant où, sur le quai de la gare des Aubrais, entre les uniformes al-lemands, tout peut basculer vers la vie ou la mort que Prazan l’adulte transmet à ses fils Franck et Michaël".

"Résistante ou collabo ? Le résultat, c’est un film précis et magnifique, une plongée dans les eaux profondes d’un passé qui ne passera jamais et dont dépend le présent de l’auteur. Eclats sombres d’un temps tragique, ils racontent la zone grise où tantôt se révélaient, tantôt se perdaient les consciences. La frontière entre ceux qui acceptent l’ignominie, voire s’en repaissent, et ceux qui la rejettent, dans un soudain et irrépressible besoin de dire non, reste aussi floue. Au terme de son enquête, Michaël Prazan, enfant de l’en-fant sauvé, orphelin des grands-parents inconnus brûlés à Auschwitz, ne veut retenir qu’une chose. A la passeuse qu’il a eu la chance de retrouver à Houlgate peu avant sa mort, et longuement interviewée dans le soupçon puis dans un respect infini, il dédie cet aveu : "Je n’existerais pas sans elle ». Il publie sa thèse au mois de mars 2005 aux éditions Calmann-Lévy sous le titre L’Écriture génocidaire : l’antisémitisme en style et en dis-cours. Dans la foulée d’un documentaire et d’un ouvrage consacrés à la personnalité emblématique et controversée des années 1960-1970, Pierre Goldman, le frère de l’ombre (Seuil 2005), L’assassinat de Pierre Goldman. Einsatzgruppen, Les commandos de la mort, un documentaire sur le génocide des Juifs de l’Est par les commandos mobiles de tueries et leurs supplétifs, au cours de l’opération Barbarossa de juin 1941".

Le 12 avril, à l'ISEG, de 20 h à 23 h, l'association Schibboleth proposa la projection de "La passeuse des Aubrais" de Michaël Prazan, puis un débat à propos de ce film. 

Arte rediffuse jusqu'au 11 décembre 2019 sur son site Internet « La passeuse des Aubrais, 1942 ».

Interview de Michaël Prazan par Christine Guillemeau

Ce film « est le fruit d’un long cheminement. Sa genèse est marquée par deux moments clés. Le premier a eu lieu en 2006 quand j’ai fini par convaincre mon père de témoigner à l’INA de ce qu’il avait vécu pendant la Seconde Guerre mondiale. Le second s’est produit après sa mort, en 2011, lorsqu’avec Franck, mon frère, nous avons appris le nom de celle qui les avait sauvés, lui et sa sœur, en leur faisant passer la ligne de démarcation. J’ai ensuite retrouvé cette femme, Thérèse L, qui par bonheur était toujours en vie. Mais les imprécisions et les digressions de son récit m’ont laissé sceptique. Pendant un peu plus de deux ans, j’ai cherché à vérifier ses propos, qui se sont au final tous révélés justes. C’est seulement à partir de là qu’a germé en moi la nécessité de faire ce film qui, au-delà de la vérité historique et familiale, réunit les ingrédients du conte : deux orphelins perdus dans les méandres de l’Occupation, la femme qui les guide et les sauve, potentielle bonne fée, mais peut-être sorcière, et le monstre, tapi dans l’ombre, qui les guette et les traque ? Le gestapiste français Pierre Lussac ».
« Par tempérament, notre père était un homme qui allait de l’avant. Il parlait peu de son passé et lorsque nous l’interrogions, il nous répondait de manière lapidaire. L’un de mes regrets est de ne pas avoir pu interroger sa sœur aînée, Jeannette, décédée un an avant lui. Mais l’une de ses filles, Marilyn, m’a apporté son aide, notamment pour identifier sur des photos certains membres disparus de notre famille. Dans la France de l’Occupation, cinquante mille enfants juifs ont été cachés en zone libre ».
« La France est effectivement le pays d’Europe occidentale qui a permis de sauver le plus de juifs et l’on peut collectivement en être fier. Pour autant, je me méfie des constructions mythologiques. Dans le cas de mon père, s’il a conservé beaucoup d’amour pour le dernier couple qui s’est occupé de lui, il a parfois subi des privations et des maltraitances lorsqu’il demeurait caché dans les campagnes françaises, dans certaines des fermes où il était hébergé ».
« Mon père était pour moi un grand homme méconnu. Revisiter sa vie, c’était le faire découvrir et, bien sûr, montrer l’amour, parfois ambigu, d’un fils pour son père. Son histoire fait également écho aux blessures, aux silences et aux non-dits avec lesquels ont vécu plusieurs générations de familles françaises depuis la fin de la guerre. J’espère que chacun pourra trouver sa joie, sa peine ou un sujet d’intérêt dans l’histoire que je raconte ».


« La passeuse des Aubrais, 1942 » par Michaël Prazan
ARTE, INA, ICI RDI Radio Canada, Procirep, Angoa-Agicoa, CNC. COSIP, avec le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, 2016, 81 min
Sur Arte les 13 juin 2017 à 22 h 55, 21 juillet 2017 à 9 h 30 et 6 décembre 2019 à 01 h 35 et disponible jusqu'au 11/12/2019.
Au Cercle Bernard Lazare le 6 juillet 2017 à 20 h 30 

Visuels :
Affiche : Elle a sauvé son père, alors enfant, de la déportation. Dans le documentaire Michael Prazan revient avec Thérèse Léopold sur son itinéraire… et ses zones d'ombres
La Famille Prazan au Stetel (Pologne)
La famille de Bernard Prazan : ses grands-parents, sa tante Gisdèle avec son premier mari, Jeannette et Bernard Prazan, enfants avant la guerre
La Famille Prazan (Grand-Parents Prazan, Bernard et sa sœur)
Bernard Prazan enfant
Pierre Lussac
Michael Prazan
Bernard Prazan
Thérèse L. – Internement à Auschwitz

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Les citations sont d'Arte. Cet article a été publié le 13 juin 2017, puis les 12 avril 2018 et 9 décembre 2019.

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