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« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du Soleil. » (René Char).
« Il faut commencer par le commencement, et le commencement de tout est le courage. » (Vladimir Jankélévitch)
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » (Albert Londres)
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jeudi 7 octobre 2021

« Gilles Caron. Un monde imparfait »

Le Point du Jour présente l'exposition 
« Gilles Caron. Un monde imparfait ». Talentueux photographe et reporter de guerre français - Guerres des Six-jour, au Biafra - dont les photographies ont été publiées notamment par Paris Match, membre de l'agence Gamma, Gilles Caron (1939-1970) disparaît sur la route reliant le Cambodge au Vietnam, dans une zone contrôlée par les Khmers rouges de Pol Pot. Les 9 et 10 octobre 2021, Le Point du Jour organise des "Rencontres et projections autour de Gilles Caron".


« Il n’y a aucune raison pour que ce monde imparfait et ennuyeux qui m’a été donné à la naissance, je sois obligé de l’assumer et de l’améliorer dans la mesure de mes moyens. On subit toujours, mais de diverses façons.
Ne rien faire, c’est désolant.
Jouer un rôle, c’est prendre son siècle en main, en être imprégné tout entier. »
Gilles Caron, Lettre à sa mère, 6 mai 1960

« Comment se situer, vivre et agir dans un « monde imparfait » ? Telle est la question que se pose le jeune Gilles Caron, alors appelé à faire son service militaire pendant la guerre d’Algérie. Devenu reporter au sein de l’agence Gamma, il photographiera entre 1967 et 1970 nombre des conflits de son époque, jusqu’à sa disparition au Cambodge, à l’âge de trente ans. »

Après sa scolarité au lycée Janson-de-Sailly à Paris, Gilles Caron étudie en 1958 à l’École des hautes études internationales à Paris. L’été, il parcourt en autostop la Yougoslavie, la Turquie et l’Inde.

Titulaire d’un brevet de parachutiste civil, il effectue, pendant vingt-deux mois, son service militaire en Algérie. Refusant de couvrir le putsch des généraux d’Alger, il est sanctionné par une peine de deux mois d’emprisonnement.

Il se marie avec Marianne Montely, une amie d’enfance.

En 1965, à l'Agence Parisienne d’Information Sociale (APIS), il couvre le tournage de La guerre est finie d’Alain Resnais. il se lie d’amitié avec Raymond Depardon, de l’agence Dalmas.

Le 19 février 1965, le célèbre quotidien France-Soir publie en Une la photographie de Gilles Caron sur Marcel Leroy-Finville, agent secret français du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage détenu à tort à la prison de la Santé dans le cadre de l’enlèvement et de l’assassinat de Mehdi Ben Barka). 

Trois mois plus tard, il est recruté par l’agence de mode Photographic Service dirigée par Giancarlo Botti.

En décembre 1966, il retrouve Raymond Depardon, Hubert Henrotte, Jean Monteux et Hugues Vassal ayant fondé l’agence Gamma.

Il enchaine des reportages sur le tournage de films – Week-end de Jean-Luc Godard (1967) – Baisers volés de François Truffaut (février 1968), Slogan de Pierre Grimblat (1968) avec Serge Gainsbourg et Jane Birkin -, des conflits, dont la guerre des Six-jours : du 5 au 10 juin 1967, Gilles Caron photographie Jérusalem libérée de l’occupation jordanienne et suit le général Arie Sharon et ses soldats jusqu’au canal de Suez. Publiées par Paris Match, ses photographies du conflit assure à Gamma le statut de première agence photographie au monde.

Gilles Caron couvre aussi la guerre au Vietnam et au Biafra. Ainsi que les révoltes étudiantes à Paris en mai 1968 et à Mexico, l’écrasement du Printemps de Prague en Tchécoslovaquie par les chars de l’Union soviétique, la visite officielle du Président Charles de Gaulle en Roumanie, les manifestations catholiques en Irlande du nord, la rébellion des Toubous au Tibesti tchadien – avec Raymond Depardon et Michel Honorin, il est captif durant un mois des forces du gouvernement soutenu par la France -, la vie politique au Cambodge après la déposition du prince Norodom Sihanouk par le général Lon Nol.

Le 5 avril 1970, avec le reporter suisse Guy Hannoteaux et le coopérant français Michel Visot, Gille Caron disparait sur la route reliant le Cambodge au Vietnam, dans une zone contrôlée par les khmers rouges de Pol Pot.

Des livres et documentaires ont rendu hommage à ce talentueux photographe..

« L’exposition, accompagnée d’un livre, propose un parcours à travers quelques-uns de ses reportages les plus célèbres, comme Mai 68 à Paris ou la guerre du Biafra, mais aussi d’autres moins connus, tels que l’anniversaire du Printemps de Prague ou la rébellion armée au Tchad. »

« Chaque section de l’exposition présente un choix de tirages et un diaporama plus large, accompagnés de publications et de photographies d’époque annotées au dos. Ainsi, les historiens de la photographie Guillaume Blanc, Clara Bouveresse et Isabella Seniuta, commissaires de l’exposition, éclairent le contexte historique et les conditions de production de ces images, ainsi que leur diffusion par la presse à laquelle elles étaient destinées. »

« Relue sous l’angle de ses ambivalences, l’œuvre de Gilles Caron traduit la complexité à rendre compte de ce « monde imparfait » dont il choisit, en tant que photoreporter, d’« être imprégné tout entier ».

Les commissaires de l’exposition sont Guillaume Blanc, qui « prépare une thèse à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne sur l’idée d’une « civilisation de l’image » dans la France des années 1950-1970 - ses publications récentes incluent une contribution à Icônes de Mai 68. Les images ont une histoire (BnF, 2018) et un article dans la revue Transbordeur. Photographie, histoire, société en 2019 -, Clara Bouveresse, maîtresse de conférences à l’université d’Évry Paris-Saclay, et autrice notamment d’Histoire de l’agence Magnum. L’art d’être photographe (Flammarion, 2017) et de Femmes à l’oeuvre, femmes à l’épreuve. Eve Arnold, Abigail Heyman, Susan Meiselas (Arles, Actes Sud, 2019), catalogue d’une exposition présentée aux Rencontres d’Arles, et Isabella Seniuta, autrice d’une thèse sur l’histoire du « Eye Club », un réseau d’acteurs qui façonnèrent dans les années 1960-1980 le marché naissant de la photographie entre Paris et New York. Elle donne actuellement un cours d’histoire de l’art contemporain à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ». Tous trois ont signé le livre « Gilles Caron, un monde imparfait ». 

« L’exposition a été présentée, du 21 novembre 2020 au 7 février 2021, au Cellier à Reims en accès limité, du fait des mesures sanitaires. Le Point du Jour en propose une version augmentée de diaporamas, de documents et de tirages d’époque. »

Ces tirages d’époque étaient produits par l’agence Gamma et adressés aux journaux. Les versos des images portent souvent des légendes, des annotations et des indications de recadrage ; ils sont reproduits dans l’exposition en fac-simile, vis-à-vis des photographies originales.

L’exposition « réunit quelque quarante publications d’époque et cent-cinquante tirages argentiques modernes, aux formats 30 x 40 cm et 50 x 70 cm, réalisées par Diamantino Labo Photo. »

« Produite en partenariat avec la Fondation Gilles Caron, l’exposition est organisée en huit sections : Israël, 1967 / 1969 ; Viêt Nam, 1967 ; Biafra, 1968 ; Paris, Mai 68 ; Derry, 1969 ; Prague, 1969 ; Tchad, 1970 ; Gilles Caron et le cinéma, 1967-1969 ».

« Au sein de chaque section, certains ensembles (tels que la prostitution durant la guerre du Viêt Nam ou Daniel Cohn-Bendit devant le Conseil de l’université de Paris en 1968) sont plus spécifiquement analysés ».

« L’exposition a reçu le soutien de l’association La Salle d’attente (Reims), de la ville de Reims, de la Région Grand Est, de la DRAC Grand Est, de la Fondation Louis Roederer, du club d’entreprises Prisme (Reims) et de la Fondation Bru. Elle est organisée avec le concours de la School Gallery (Paris) et de la Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine / Ministère de la Culture. »

« Organisée à mi-septembre 2021, une journée d’étude réunira historiens et critiques. Elle a été accompagnée de projections de films, liés ou consacrés à Gilles Caron, tels que Les Révolutionnaires du Tchad (1970) de Raymond Depardon ou Histoire d’un regard. Gilles Caron (2020) de Mariana Otero. »

Les 9 et 10 octobre 2021, Le Point du Jour organise des "Rencontres et projections autour de Gilles Caron". Des "chercheurs et chercheuses aborderont quelques-uns des grands reportages de Gilles Caron en les replaçant dans leur contexte de production". 

"Cette journée d'étude sera accompagnée de la projection, au cinéma Odéon (Cherbourg), de deux films documentaires, liés au travail de Gilles Caron : Histoire d'un regard de Mariana Otero, suivie d'une rencontre avec la réalisatrice ; Reporters de Raymond Depardon, suivie d'une rencontre avec Gilles Saussier, artiste dont le travail propose notamment une relecture critique de son activité antérieure de photoreporter." 

"Samedi 9 octobre
10h : Accueil 
10h30-11h15 : Visite de l’exposition
11h30 : Introduction de la journée
Guillaume Blanc, Clara Bouveresse et Isabella Seniuta, commissaires de l’exposition
11h45-12h30 : « Mai 68, du document à l’icône »
Audrey Leblanc est enseignante et chercheuse en histoire, médias et photographie à l'EHESS / Université de Lille. Autrice d'une thèse sur la médiatisation des événements de mai-juin 1968 en France par la presse magazine et le photojournalisme, elle a été commissaire de l’exposition « Icônes de Mai 68 : les images ont une histoire » à la BnF en 2018.
12h45-14h30 : Pause
14h30-15h15 : « Réception des images de guerre aux États-Unis depuis la guerre du Viêt Nam »
Camille Rouquet est maîtresse de conférences en arts visuels des pays anglophones à l'université Cergy-Paris. En 2017, elle a soutenu une thèse sur les icônes photojournalistiques et l’influence des médias après la guerre du Viêt Nam. 
15h30-16h15 : « La couverture médiatique de la guerre civile du Biafra au regard des enjeux humanitaires dans les médias français, suisses et américains (1967-1970) »
Assistante de recherche au sein du département de sociologie de l'université de Genève, Valérie Gorin est l'autrice d'une thèse sur la couverture photojournalistique des crises humanitaires dans les magazines d'actualité américains et français des années 1960 aux années 1990. 
16h30-17h15 : « Irlande du Nord, 1969. Photographier l’événement, raconter les Troubles »
Pauline Vermare est commissaire d'exposition et historienne de la photographie. Elle termine actuellement un doctorat sur la représentation photographique de l'Irlande du Nord de 1969 à nos jours.
17h30-18h : Pause
18h-19h30 : Histoire d’un regard (2020, 93 min.) 
de Mariana Otero
Cinéma Odéon, Cherbourg
Suivi d'une rencontre avec Mariana Otero

Dimanche 10 octobre
11h : Reporters (1981, 90 min.) 
de Raymond Depardon
Cinéma Odéon, Cherbourg
Suivi d'une rencontre avec Gilles Saussier : 
« Le reporter comme récepteur »
Gilles Saussier propose une démarche documentaire expérimentale dont les terrains d'actualité sont des retours sur images et des récits alternatifs de territoire. Détournant le matériau de son activité de photo-reporter (1989-1994) ou s'emparant d'épisodes décisifs de l'histoire de l’art (comme la fabrication de La Colonne sans fin de Brancusi en 1937), son travail de relecture critique croise les influences de la tradition documentaire, de l'anthropologie visuelle et l'art conceptuel.
Gilles Saussier est professeur à l'École nationale supérieure de la photographie (Arles). Il a publié au Point du Jour : Studio Shakhari bazar (2006), Le Tableau de chasse (2010) et Spolia (2018). 

Extrait de Gilles Caron, un monde imparfait,
textes de Guillaume Blanc, Clara Bouveresse
et Isabella Seniuta, Le Point du Jour, 2020

« Gilles Caron a étudié le journalisme, voyagé en Espagne, en Afghanistan, au Pakistan, en Turquie et en Inde. Il ne sait pas ce qu’il veut faire de sa vie, hésite à devenir galeriste. Proche du fils d’André Derain, lecteur assidu, marqué par la philosophie sartrienne, il est en prise avec la création intellectuelle et artistique de son époque. Sa lettre de 1960 témoigne de ses aspirations contradictoires. Le refus, le dégoût d’un monde qui le révolte et l’ennuie, comme une partie de la jeunesse de l’après-guerre, ne peut suffire. Mais s’il faut agir, ce sera de façon radicale : « prendre son siècle en main 1 », et rien de moins. « En être imprégné tout entier 2 », ajoute-t-il : ce sera la voie qu’il empruntera finalement en se plaçant derrière l’appareil photo. Se dessine déjà la position ambivalente du reporter, l’appareil « en main » pour « s’imprégner », mais à travers la surface sensible de la pellicule, sa présence à demi masquée par l’objectif.
Sportif et voyageur, Gilles Caron apprécie sans doute le rythme intrépide de la vie de reporter.
Mais ce métier le conduit aussi à photographier la guerre, passage obligé pour se faire un nom en vendant des images, et le ramène sans cesse aux situations de combat qu’il avait voulu fuir en Algérie. Ses images de conflits figurent parmi ses plus connues : le Viêt Nam et Israël en 1967, le Biafra en 1968, le Tchad et enfin le Cambodge, où il disparaît en 1970 à l’âge de trente ans. Il photographie également les émeutes de Mai 68 à Paris, les affrontements qui éclatent en Irlande du Nord et le soulèvement de Prague en 1969. Certaines images troublent par leur ressemblance, malgré ces contextes différents : toutes sont produites pour répondre aux attentes de la presse, qui recherche des illustrations lisibles, à même de caractériser rapidement un sujet d’actualité. Le photographe s’attache ainsi à des figures individuelles qui cristallisent l’événement, lanceurs de pierre au geste arrêté ou soldats statufiés dans leurs uniformes. Régulièrement diffusés dans la presse, ces clichés assoient la réputation de leur auteur. En quelque cinq années d’une œuvre interrompue par sa mort prématurée, Gilles Caron impose son regard de reporter et livre quelques photographies largement reproduites qui feront son succès – et celui de l’agence Gamma.
Le jeune reporter a fait ses armes en 1964 dans la publicité et la mode auprès de Patrice Molinard 3. Ses premiers modèles sont sa femme Marianne, qu’il a rencontrée à l’âge de treize ans et épousée en 1962, puis leurs deux filles, Marjolaine et Clémentine. Il s’essaie au portrait et expérimente les réglages de son appareil. En 1965, il entre à l’agence Apis et arpente les sorties de spectacles ou de Conseils des ministres, saisissant à la volée les figures de la vie culturelle et politique. Moitié journaliste, moitié paparazzo, il fait son apprentissage parmi les foules, parvenant à se glisser pour saisir le visage d’une actrice ou d’un chanteur réputé. Cette attention pour les figures humaines, plutôt que pour les vues d’ensemble, marquera toute sa carrière. 
Il fait un court passage dans une « agence de charme » en 1966 avant de rejoindre Gamma. Cette nouvelle coopérative prend pour modèle l’agence Magnum, née après la Seconde Guerre mondiale, et participe à la promotion des photographes au rang d’auteurs à part entière, au même titre que les journalistes produisant des textes 4. Propriétaires de leur agence et de leurs images, ils entendent défendre leurs droits et être rétribués à chaque publication, même des années après la prise de vue, plutôt que d’abandonner leurs négatifs à leurs clients. Cette stratégie passe par la diffusion de reportages séquencés, susceptibles de raconter une histoire comme le ferait un article, plutôt que d’images isolées, simple matière première malléable et livrée à la merci des éditeurs. Leur ambition est de faire la une de Paris Match, le magazine par excellence où se déploie le genre lucratif du reportage développé sur plusieurs pages. Très vite, Gilles Caron devient l’une des signatures de Gamma en remportant quelques succès éditoriaux dans les pages des magazines européens.
Sa participation à Gamma induit un mode de travail propre aux agences d’après-guerre 5. Il part généralement en freelance sur des sujets prometteurs ou pressentis comme tels, et se coordonne avec les équipes de l’agence, qui peuvent recueillir quelques commandes en amont.
Cette prise de risque commerciale permet à Gamma de garder les droits sur les images pour les vendre ensuite au plus offrant, en négociant des exclusivités territoriales : le même sujet peut ainsi paraître simultanément dans plusieurs pays, au prix fort.
Sur place, il est à la recherche de l’« icône » qui fera la une, mais il effectue aussi un travail approfondi pour couvrir d’autres sujets.
Rigoureux et persévérant, il ne s’arrête pas à la première pellicule et cherche de nouveaux angles, photographie des aspects connexes ou plus éloignés de l’actualité qui pourront illustrer des articles après les faits.
Les images sont ensuite envoyées le plus rapidement possible à Paris où les éditeurs de Gamma préparent une sélection et des légendes avant de transmettre des séries d’images aux clients potentiels.
Gamma ne compte alors qu’une dizaine de photographes et employés permanents. Le photojournalisme est surtout une affaire d’hommes partageant une vie de « baroudeurs ». Le point de vue masculin est le mode « par défaut » du reportage, perçu comme neutre et objectif. Il est décelable, dans l’œuvre de Gilles Caron, à travers la multitude des clichés de jeunes filles photogéniques, soldates ou manifestantes croisées dans la foule, susceptibles d’incarner l’actualité dans les pages des magazines.
L’équipe éditoriale de Gamma oriente ses reporters sur le terrain, en fonction des attentes de la presse, et leur enjoint souvent d’écourter leur séjour pour passer au reportage suivant avant que le sujet ne soit obsolète. 
Rapidité, efficacité et précision sont les maîtres mots de ce travail fait dans l’urgence, sur un marché de l’illustration compétitif et international. Pour se distinguer, les reporters doivent couvrir des sujets d’actualité, prendre des risques, aller vite afin de produire des images susceptibles d’être publiées par les journaux et les magazines : l’œuvre de Gilles Caron doit beaucoup à cette école du regard.
Au-delà de la mythologie entourant la vie de Gilles Caron, comme celle d’autres reporters disparus prématurément, ce livre met l’accent sur l’expérience concrète et professionnelle d’un jeune homme engagé dans le pari entrepreneurial de l’agence Gamma. Il situe le contexte historique de ses reportages, qui orientent les choix éditoriaux et participent à la construction des récits médiatiques. Prenant pour point de départ quelques-unes des images les plus connues de Gilles Caron, il déploie la constellation de celles, moins visibles, qui les entourent 7. Éclipsées par la notoriété des clichés les plus diffusés, ces photographies révèlent le travail exigeant effectué sur le terrain. Chaque chapitre du livre aborde l’un des sujets auquel le photographe consacra de nombreuses pellicules, laissant de côté son voyage au Mexique, dont les images furent moins diffusées, et son travail au jour le jour sur l’actualité politique et culturelle.
Gilles Caron passe d’un théâtre d’opérations à l’autre et vit avec une intensité fulgurante les conflits émaillant ces années marquées par la décolonisation et les mouvements de contestation.
Sur sa dernière planche contact se côtoient des images de sa propre famille et des vues du Cambodge, juxtaposition symptomatique de ce rythme effréné.
Peu avant sa disparition, il envisageait de mettre un terme à ses déplacements incessants.
Entre 1964 et 1970, il a photographié dans huit pays et effectué onze voyages, réalisant un total de près de 100 000 images, en noir et blanc mais aussi en couleur, format prisé par les magazines et incontournable pour espérer en faire la une.
Au cours de sa brève carrière, Gilles Caron n’a cessé de montrer les luttes et les combats du monde dont il avait hérité. Ce monde est « imparfait » parce qu’il résiste aux schémas homogènes, frappant par sa confusion et sa complexité. S’il met en exergue l’appareil militaire, les casques et les uniformes, marques de l’autorité et de la répression, il isole aussi des figures de la jeunesse, manifestants révoltés ou soldats embrigadés dans ces machines de guerre, une situation qu’il avait lui-même vécue. Dans la foule de l’événement, des visages s’éclairent, des regards croisent celui du photographe comme autant de points de dissonance. Ces hiatus visuels incarnent les aspirations et les contradictions de ces années de conflits. »

1 Lettre du 6 mai 1960, dans Gilles Caron. Scrapbook, Paris, Lienart, 2012, p. 37 (voir aussi l’anthologie Gilles Caron, J’ai voulu voir. Lettres d’Algérie, Paris, Calmann-Lévy, 2012).
2 Ibid.
3 Patrice Molinard (1922-2002) a, entre autres, contribué dans les années 1950 à des « livres de voyage », réunissant ses photographies et des textes d’écrivains. Il est l’auteur d’un long reportage photographique sur le Paris populaire qui accompagne pas à pas le récit singulier de Jean-Paul Clébert, Paris insolite, dans l’édition du Club du meilleur livre (1954), mis en page par Massin (rééd. en fac-similé, Le Nouvel Attila, 2009).
4 Voir Clara Bouveresse, Histoire de l’agence Magnum. L’art d’être photographe, Paris, Flammarion, 2017.
5 Sur le fonctionnement des agences de presse, voir notamment Audrey Leblanc, L’Image de Mai 68, du journalisme à l’histoire, thèse de doctorat, EHESS, 2015 ; Michel Guerrin, Profession photoreporter. Vingt ans d’images d’actualité, Paris, Centre Pompidou / Gallimard, 1988.
6 Pour une analyse approfondie de l’ensemble de l’oeuvre, se reporter aux deux livres de Michel Poivert : Gilles Caron. Le conflit intérieur, Lausanne, Musée de l’Élysée / Arles, Photo-synthèses, 2013 ; Gilles Caron. 1968, Paris, Flammarion, 2018.


Du 6 juin au 10 octobre 2021
107, avenue de Paris. 50100 Cherbourg-en-Cotentin
Tél. : 02 33 22 99 23
Du mercredi au vendredi de 14 h à 18 h. Samedi et dimanche de 14 h à 19 h
Visuels :
Affiche
Gilles Caron, Manifestante républicaine, Derry, Irlande du Nord, août 1969
© Fondation Gilles Caron / Clermes

Gilles Caron, Autoportrait, Guinée-Bissau, décembre 1968
© Fondation Gilles Caron / Clermes

Gilles Caron
Soldats israéliens, Israël, juin 1967
© Fondation Gilles Caron / Clermes

Gilles Caron
Manifestante républicaine, Derry, Irlande du Nord, août 1969
© Fondation Gilles Caron / Clermes

Gilles Caron
Biafra, avril 1968
© Fondation Gilles Caron / Clermes

Gilles Caron
Abba Siddick, leader du Front de libération
nationale du Tchad, Tripoli, Lybie, janvier 1970
© Fondation Gilles Caron / Clermes

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