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jeudi 9 novembre 2017

Le studio Lévin. Sam Lévin & Lucienne Chevert


Le Théâtre Jacques Carat présente l’exposition Le studio Lévin. Sam Lévin & Lucienne Chevert, assortie d’un catalogue. Un hommage à un duo de photographes portraitistes (portrait studios) d’artistes, débutants ou vedettes, du cinéma ou des variétés, et dont la carrière, des plateaux de cinéma à leur studio, s’étale sur près d’un demi-siècle, des studios de cinéma au studio des photographes à Paris, puis à Boulogne-Billancourt. Une promenade nostalgique et amusée. "Une sélection de 60 images non conformes et hors codes issues du fonds Lévin conservé par la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine (ministère de la Culture)".


Signe de célébrité : dans sa chanson  « La Cuisine » interprétée, dès 1960, par Juliette Gréco, le parolier-compositeur Jean Dréjac évoque le photographe Sam Lévin (1904-1992) :
« Les celles qui f'saient florès
En robe de Dior et sac d'Hermès
Rangées dans l' musée Grévin
Du ciné-club ou de Sam Lévin

Regrettent au temps joli
Du poivre et sel et du bigoudi
De ne pas avoir appris
La cuisine
Qui retient les petits maris
Qui s' débinent » 

Cette notoriété de Sam Lévin a peut-être éclipsé sa collègue dans le Studio Lévin, Lucienne Chevert. Quand Sam Lévin « ouvre son salon de portraits à Paris au début des années 1930, il est très vite rejoint par Lucienne Chevert (1911-1982). 

Les deux photographes se distinguent bientôt par leur savoir-faire et le grand appartement transformé en studio de prise de vues voit très vite défiler les stars du cinéma et les vedettes de la chanson : Jean Marais, Yves Montand, Michèle Morgan, Gina Lollobrigida, Simone Signoret, Ava Gardner puis Brigitte Bardot, Johnny Halliday ou encore Claude François passent devant leur objectif pour assurer leur promotion ou consacrer leur célébrité. 

De Paris à Boulogne-Billancourt (banlieue à l’ouest de Paris), l’atelier Lévin « connaît plusieurs métamorphoses au point de devenir une vaste entreprise et traverse les époques en épousant les codes de ce milieu du XXe siècle : l’esthétique noir et blanc de l’après-guerre laisse place à la couleur et aux mises en scène fantasques et parfois kitsch des années 1960 et 1970 ». 

L’histoire du studio Lévin, « c’est aussi celle des modes et du goût à travers la représentation de la figure humaine. L’esthétique des portraits issus du studio Lévin traduit une complicité peu commune entre ces deux photographes de talents et leurs modèles ».

C’est à ces deux artistes que rend hommage la Maison de la photographie Robert Doisneau  dans l’exposition Le studio Lévin. Sam Lévin & Lucienne Chevert, invitation à une promenade nostalgique parmi quelques dizaines des 600 000 clichés de 6 000 personnalités légués au ministère de la Culture.

« En présentant des images non recadrées, l’exposition nous invite à comprendre la nature véritable d’un métier et d’une pratique. Elle dévoile la nature de l’archive sans nuire à la qualité de l’image. Négatifs et Ektachromes déploient sous nos yeux toute une grammaire d’intentions. Leurs hors-champs nous permettent de comprendre le contexte des prises de vue, de remonter à l’instant même où le modèle se révèle, de coller au plus près de l’idée du photographe opérant. Ici s’énoncent les à-côtés de la mise en scène, la cuisine du festin et les bricolages techniques dont on use pour obtenir un effet. Et l’on découvre que pour être réussie, la prise de vue met en œuvre tout un arsenal technique fait de trépieds, de spots, de réflecteurs, de câbles, d’estrades, de rideaux et de toiles de fond colorées. On remarque enfin que le photographe est rarement seul à l’ouvrage mais qu’il est entouré d’aides, d’assistants, de costumières et de maquilleuses », écrivent Michaël Houlette et Matthieu Rivallin, commissaires de l’exposition. 

La Maison de la photographie Robert Doisneau a présenté l'exposition Le studio Lévin. Sam Lévin & Lucienne Chevert. Etaient prévus une visite commentée et des ateliers.

On peut regretter le manque d'informations sur les parcours personnels de Sam Lévin et de Lucienne Chevert et l'absence, dans les panneaux, de souvenirs d'artistes photographiés ainsi que de revues ayant publié ces portraits.

Histoire d’un atelier
Sam Lévin est né en 1904 dans une famille juive en Ukraine.

Sa famille arrive à Paris en 1906.

« Il y a l’homme, certes, avec son parcours singulier et son patronyme qui a fait la réputation d’un atelier de portraits, mais il y a aussi la collaboratrice, l’associée bientôt, talentueuse elle aussi. Parler du studio Lévin, c’est avant tout raconter un duo, décrire une « photographie à quatre mains » pour ainsi dire tant il est difficile de distinguer le travail de Sam Lévin de celui de Lucienne Chevert, dans une production de plus de 250 000 prises de vues réalisées pendant presque cinquante ans d’une carrière presque commune ». 

L’histoire du studio Lévin est constituée « de périodes, de ruptures avec le passé et de changements de styles. Tout n’est que renouvellement et évolution dans les entreprises conjointement menées par les deux photographes de 1934 à 1983. Une longévité qui s’explique par une aptitude au changement et par une incroyable capacité à naviguer dans les eaux changeantes d’une société en mutation : la « manière Lévin » reflète les modes et les mœurs, incarne les goûts et les imaginaires d’époques aussi différentes que l’entre-deux-guerres ou les sixties ». 

1934. Sam Lévin transforme le salon de son appartement parisien de la rue Saint-Georges en atelier de prise de vues. Il y accueille les acteurs rencontrés sur les tournages de films. Rapidement, Lucienne Chevert le rejoint. 

En 1937, le Studio Lévin s’installe rue du Faubourg-Saint-Honoré.

Jean Renoir (La Grande illusion, La Marseillaise, La Règle du Jeu) l’apprécie et l’accueille lors de tournages pour des photographies visant à promouvoir les films au travers de leurs vedettes.

Le « portrait du Studio Lévin de la fin des années 1930 repose avant tout sur une technique, un jeu d'éclairage sophistiqué issu des plateaux de cinéma où débutent puis opèrent régulièrement Sam Lévin et Lucienne Chevert. L’esthétique de leurs photographies présente alors de nombreuses similitudes avec les films de l’époque : un accord subtil d’ombres et de lumière ; des visages sublimés par des nuances douces de noir et blanc ; des corps modelés à l'aide d’ambiances diffuses, de touches lumineuses, de fonds sombres ou rayonnants ». 

« D’emblée, le studio se caractérise par sa clientèle presque exclusivement faite de personnages connus ou en passe de le devenir : peu d’anonymes, quelques mannequins mais surtout des acteurs et des comédiennes », des jeunes premiers aux artistes confirmés. 

Juif étranger, Sam Lévin se réfugie en zone sud, zone libre, en 1942. 

Pour éviter « la confiscation de l’affaire parisienne, Lucienne Chevert reprend le studio de la rue du Faubourg-Saint-Honoré à son nom. Jusqu’à la Libération en 1944, elle signe les « photographies de plateau d’une dizaine de films comme Sortilèges de Christian-Jaque ou L’homme de Londres de Decoin ».

En décembre 1942, Sam Lévin est arrêté à Marseille et interné dans un camp.

En 1944, « l’atelier s’agrandit adjoignant au studio une photothèque et un laboratoire. Un salon est aménagé pour permettre l’accueil des acteurs, chanteurs et modèles qui viennent confier leur image à ce qui est devenu l’un des plus célèbres studios de la capitale ».

En 1945, Sam Lévin, beau-frère du réalisateur Jean-Paul Le Chanois (1909-1985), retrouve son studio et s’associe avec Lucienne Chevert dans le Studio Lévin/Chevert.

En 1948, le studio Lévin « signe un contrat avec Unifrance et devient son principal fournisseur d’images ». Unifrance-Film a pour mission de promouvoir le « cinéma français à l’étranger tant films que professionnels, acteurs ou réalisateurs. Pendant vingt ans, tous ceux qui comptent vont défiler sous les éclairages du 3 rue du Faubourg-Saint-Honoré ».

Grace Kelly, Sophia Loren, Burt Lancaster, Ingrid Bergman… Les stars américaines aussi suivent le chemin qui mène au Studio Lévin.

A cette collaboration cinématographique, Sam Lévin ajoute son travail pour les disques Barclay dont il réalise de nombreuses pochettes de disques vinyles. « Bientôt se sera toute une génération de chanteurs » yé-yé « qui se présentera devant l’objectif du fameux studio ».

Le « cercle qui entoure Sam Lévin et Lucienne Chevert est avant tout celui du spectacle : le cinéma et ses stars puis la chanson et ses vedettes qui, dans les années 1960, seront, elles aussi, propulsées au rang des personnalités les plus en vues ».

En 1967, grâce à l’apport de financiers, le studio Lévin s’agrandit en Studios internationaux de photographies, immense studio à Boulogne-Billancourt.

Le style Lévin
Sam Lévin et Lucienne Chevert « sont très tôt reconnus pour leur talent, mais il n’est pas pour autant question de faire de l’art, de créer une œuvre. L’image à produire est d’abord une affaire de marché et leur savoir-faire s’adapte nécessairement à une commande et à des usages. Il y a la photographie de plateau, la photographie de mode, de publicité » - Colette Ripert tenant un miroir pour la crème Simon, les sœurs Kessler posant pour Kodak - «  et par-dessus tout, il y a le portrait ».

« C’est à travers les yeux et les inventions de ces deux photographes que nous regardons, aujourd’hui encore, le visage de Martine Carol, de Gina Lollobrigida, de Claude François et notamment celui de Brigitte Bardot (que Sam Lévin suit pendant toute sa carrière) ». 

De Brigitte Bardot, Sam Lévin a magnifié la silhouette de ballerine – une photographie choisie en couverture de son livre de mémoires, Initiales B.B. – et saisit la sensualité pulpeuse.

« C’est dans leur studio que se façonne l’image de la célébrité et que s’élabore dans un univers fictif baigné de lumières artificielles le portrait qui ira illustrer les pages de magazines ou sera vendu sous forme de cartes postales et de posters. Le portrait est un article de promotion, il joue les intermédiaires entre la figure illustre et son audience, entre l’idole et ses groupies. Il suscite le désir et entretien le flirt. Il est à la fois intime et collectif ». 

Se distinguant du photographe et père du « portrait environnementiste », Arnold Newman (1918-2006), Sam Lévin ne saisit pas les stars dans leur environnement (maison, bureau, atelier), mais les magnifie par de savants éclairages sur un fond monochrome travaillé.

« De la sobriété raffinée du cliché noir et blanc, le studio passe, au lendemain de la guerre, à la couleur. Quelques années plus tard, il exploite avec délice l’éventail chromatique de la décennie « yéyé » puis adopte l’exubérance acidulée du disco ». 

« En expérimentant de nouvelles tonalités, de nouveaux décors et de nouvelles formes d’éclairages, le studio Lévin rompt avec l’idée que le portrait doit nécessairement être intemporel. En se conformant à de nouveaux codes, il affirme sa manière propre. Au sublime et à la magnificence figée, il préfère bientôt l’éclat du mouvement : le portrait doit être vivant, plus proche des lecteurs et des collectionneurs de têtes d’affiches. Demeure toutefois une constante : un certain dépouillement. Même dans les poses les plus fougueuses, même dans les mises en scène les plus éloquentes prédomine une économie de moyens et une forme de minimalisme ». 

Mais « le « modèle Lévin » ne se réduit pas à sa seule forme plastique. Son savoir-faire ne repose pas sur un style d’images, ni sur une technique (comme chez Laure Albin Guillot) ou une signature (comme Harcourt) mais sur une manière de concevoir son métier. Le portrait chez Lévin est une question d’expériences, une histoire de relations humaines. En s’appropriant les codes des différentes époques (comme ces décors factices représentant un mur de pierre, un ciel nuageux ou encore la colline Montmartre et sa basilique du Sacré-Cœur) et en les détournant de leur usage premier, la fantaisie de Sam Lévin et de Lucienne Chevert cherche à rendre évidente la singularité des hommes et des femmes qu’ils photographient. S’ils usent de trucs et de manies, ils gardent une claire conscience que le véritable enjeu du portrait réside dans la valorisation d’un caractère, dans la représentation individualisée de leur sujet ».

La « prise de vue est donc affaire d’échanges. Leur talent n’est autre que cette capacité à traduire l’alchimie du face à face. Une place est laissée à l’improvisation et au jeu, à l’artifice et au geste qui révèle le personnage fictif ou réel. On passe de l’emphase théâtrale à l’abandon faussement candide et instantané. Mais en metteurs en scène avisés, les photographes gardent jalousement le contrôle de la séance. Le plan rapproché nous fait pénétrer dans l’intimité du visage, dans l’éloquence du regard. Le plan large permet au corps de bavarder. Le sourire se meut en enchantement, le geste convoque la séduction, la séduction glisse vers le rêve. Le modèle est un thème autour duquel s’invente des variations d’angles, de distances et de lumières. Comme les personnalités, les portraits se succèdent dans le studio Lévin mais ne se ressemblent pas ». 

L’humour n’en est pas absent, tel ce cliché où Simone Renant, photographe dans Quai des Orfèvres (1947) de Henri-Georges Clouzot, fait mine de photographier Lucienne Chevert, et de régler la pose.

Quant au comédien François Périer, il se rend au Studio Lévin avec son fils aîné, le futur photographe Jean-Marie Périer.
    

Michaël Houlette, Matthieu Rivalin, Le Studio Lévin. Maison de la photographie Robert Doisneau/Médiathèque de l'architecture et du patrimoine, 2016

Du 19 septembre au 18 novembre 2017
Au Théâtre Jacques Carat 
21 avenue Louis Georgeon. 94230 Cachan
Tél. : 01 49 69 60 00
Les mardis, mercredis et vendredis de 10 h à 13 h et de 14 h à 18 h 30. Le jeudi de 14 h à 18 h 30

Jusqu’au 25 septembre 2016
1, rue Division du Général Leclerc. 94250 Gentilly 
Tél. : 01 55 01 04 86
Du mercredi au vendredi de 13 h 30 à 18 h 30. Samedi et dimanche de 13 h 30 à 19 h. Fermée les jours fériés. Entrée libre

Visites commentées le dimanche 25 septembre à 15 h 
Atelier le vendredi 16 septembre à 10 h et 14 h 
durée : 1h30 

Visuels :
Ingrid Bergman et la photographe Lucienne Chevert pendant une séance de prise de vue, vers 1955
© Ministère de la Culture - Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Sam Lévin

Louis Jouvet et Bernard Blier pendant le tournage de "Quai des orfèvres" de Henri-Georges Clouzot, 1947
© Ministère de la Culture - Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Sam Lévin

Fernandel, vers 1955
© Ministère de la Culture - Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Sam Lévin

Claude François, sans date
© Ministère de la Culture - Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Sam Lévin

Le studio de Boulogne-Billancourt, sans date
© Ministère de la Culture - Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Sam Lévin

Affiche
Vince Taylor, sans date
© Ministère de la Culture - Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Sam Lévin

Viviane Romance sur le tournage de Prisons de femmes, 1937
© Ministère de la Culture - Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Sam Lévin

Dompteuse de cirque, sans date
© Ministère de la Culture - Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Sam Lévin

Sam Lévin et l’actrice Gina Lollobrigida, sans date
© Ministère de la Culture - Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Sam Lévin

Sylvie Vartan, sans date
© Ministère de la Culture - Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Sam Lévin

Martine Sira, sans date
© Ministère de la Culture - Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Sam Lévin

Dalida, sans date
© Ministère de la Culture - Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Sam Lévin

Michel Morgan vers 1950
© Ministère de la Culture - Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Sam Lévin

Martine Carol, sans date
© Ministère de la Culture - Médiathèque du Patrimoine,
Dist. RMN-Grand Palais / Sam Lévin

François Périer et Maurice Chevalier lors du tournage du film Le Silence est d'or, de René Clair, 1946
© Ministère de la Culture - Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Sam Lévin

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Les citations non sourcées proviennent du dossier de presse. Cet article a été publié le 22 août 2016. 

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