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jeudi 15 mars 2018

Le peintre Alfréd Réth (1884-1966)

La galerie Le Minotaure présente l’exposition collective "L’avant-garde hongroise à la galerie Der Sturm (1913-1932)". Parmi les artistes : Alfréd Réth (1884-1966), peintre méconnu de l’Ecole de Paris. Cet artiste précurseur de l’abstraction, s’est illustré dans le cubisme et l’usage de matériaux divers pour des œuvres mixtes. 
« Réth fait partie de la phalange des sept ou huit cubistes du début, ceux de 1910, ceux qui ont donné à la peinture son écriture formelle : Picasso, Braque, Metzinger, Gris, Delaunay, La Fresnay, Fernand Léger, Gleizes, et Réth. La peinture contemporaine vit de leur apport », écrit en 1949 Paul Garcin dans un article pour Le Soir Sud-Est de Lyon. Une analyse reprise dans le catalogue la rétrospective organisée en 1984 au Musée Toulouse Lautrec d’Albi à l’occasion du centenaire de la naissance d’Alfréd Réth.

Un artiste d’avant-garde
Alfréd Réth, né Roth, est né dans une famille nombreuse bourgeoise Juive en 1884 ; à Budapest, alors dans l’empire austro-hongrois.

Il suit des études artistiques auprès de László Mednyánszky et Károly Ferenczy, qui l’initient aux philosophies orientales. A l’été 1903, Alfréd Réth travaille à la colonie d’artistes de Nagybánya, l’équivalent hongrois de Barbizon.

Après avoir visité l’Italie avec le peintre István Farkas, il s’installe définitivement à Paris en 1905 avec József Egry.

Il suit les cours de Jacques-Emile Blanche

Au Salon d’Automne de 1907 à Paris, Alfréd Réth découvre des tableaux de Cézanne – il a admiré des œuvres de ce peintre chez Ambroise Vollard -, les arts khmer et hindou au Musée Guimet, puis rejoint les artistes cubistes.

Dès les années 1910, il s’impose comme l’un des grands maîtres du cubisme et ce précurseur, qui connaît Picasso et Braque, expérimente les collages. Il travaille dans ses ateliers du quartier Montparnasse et de Provence.

Il expose notamment au Salon des Indépendants (1910, 1925-1926) et chez Berthe Weill (1914, 1939).

En 1911, il expose au Salon des Indépendants, et en 1913 à Budapest au Mûvészház avec Léger, Kandinsky, Delaunay, Metzinger, Klee, et noue une amitié avec Matisse et Kupka.

L’influence de Cézanne est prégnante dans « Nus et chevaux », et la lumière bien rendue dans « Ouvriers au bord de la Seine ».

Alfréd Réth « stylise les formes, en les insérant dans une surface géométrique - sphère, cône, cube, cylindre ». Il explore le cubisme, évolue vers l’abstraction, annoncé dans certains toiles, et reviendra vers le figuratif vers la fin de sa vie, sans abandonner ses recherches abstraites.

Il présente quatre-vingts tableaux et dessins lors de l’exposition berlinoise Der Sturm (1913). « Le thème de ces tableaux est la relation entre les lignes et les plans, sans représentation d’objet, ce qui place Réth parmi les premiers à avoir emprunté la voie menant à l’abstraction », écrit l’historienne de l’art Júlia Cserba, en 1996.

« Je suis d'avis que l'art n'est pas en compétition avec la nature par l'atmosphère, la psychologie, la sensation, mais que l'affaire de l'art est d'exprimer, dans l'espace, les représentations qu'a des choses l'esprit de l'homme. De même qu'il ne peut exister une poétique ou une musique picturale et une peinture littéraire ou musicale, de même, que toute tentative de mélange ou de déviation des arts conduit à l'absurde, de même le fait de la production, de la création dans l'art, a les mêmes racines dans l'homme. Ainsi, il est un moment de la nature qui correspond aux autres arts, comme il est un moment des arts plastiques qui correspond à la nature. La poésie et la musique prennent leur point de départ dans le temps. Le facteur temporel ne paraît pas jouer de rôle dans les arts plastiques, mais ceci est seulement une apparence. On conviendra de ce qu'il est absolument impossible d'appréhender un tableau d'un seul coup d'œil ainsi qu'on le croit communément. Instinctivement, le regard prend un point de départ et parcourt l'image dans un temps déterminé. Seule l'illusion d'une peinture naturaliste en perspective cherche à nier l'évidence de ce fait ; une tâche importante de l'artiste est de guider l’œil du spectateur », a déclaré Alfréd Réth, dans Der Sturm, repris dans Alfréd Réth, catalogue de l’exposition de la Galerie Withofs (1969).

La Première Guerre mondiale est la première césure : ce ressortissant d’un pays alors ennemi devient résident surveillé en Bretagne, et à son retour, il découvre qu’on a dérobé toutes les œuvres laissées à Paris.

« Dans ses œuvres construites à partir de formes géométriques, de courbes et de cercles colorés, on peut découvrir les formes simplifiées du corps humain », note Júlia Cserba, co-auteur d’une magnifique biographie de cet artiste.

Une artiste russe fréquente l’atelier parisien de Réth rue Joseph Bara : Sarah Sonia Terk , future peintre sous le nom de Sonia Delaunay (1885-1979) et épouse de Robert Delaunay.

En 1933, ce passionné de sciences devient membre du groupe Abstraction-Création : art non figuratif qui réunit Arp, Kupka... Les séries Rythmes et Découpages de Réth datent de cette époque.

En 1935, il crée son premier « tableau » pluridimensionnel : « les éléments colorés, découpés dans le bois et aux formes essentiellement rondes sont placées soit plus en avant soit plus en arrière que le plan du tableau ».

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Alfréd Réth se réfugie à Chantilly. Faute de matériau pour peindre, il expérimente du charbon, du ciment, de la craie, etc.

Après s’être intéressé aux formes géométriques, il recourt à des matières variées collées par un collage particulier. Après sa période « Solides colorés » (peintures constituées de combinaisons de courbes), viennent « Formes dans l’espace » (années 1940), puis « Harmonies des matières » : rythme né des formes, couleurs et reliefs - sable, tissu, brique pilée, mâchefer, ciment, coquilles d’œufs broyées, etc. - jusque dans les années 1960.

En 1946, il expose au Salon des réalités nouvelles, et en 1948 à la galerie Denise René.
Il a exposé notamment au Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 1953 lors de l’exposition Le cubisme (1907-1914).

En 2003, grâce à Júlia Cserba, journaliste au « Magyar Hírlap », et Makláry Artworks, l'Institut Hongrois de Paris, Institut Balassi-Collegium Hungaricum a exposé vingt peintures - paysages, portraits, nus et natures mortes - dont une inédite : la version horizontale du célèbre « Restaurant Hubin » - de sa période cubiste et post cubiste (1908-1930) : Le restaurant Hubin (1913, Musée National d’Art Moderne/Centre Pompidou), Paysage du Midi (1928, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris), Personnages dans la nature (1911, Musée Géo-Charles), Nature morte à la carafe (1911, Petit Palais de Genève)... Des tableaux de collections privées françaises et étrangères étaient présentés pour la première fois en France.

Le « premier hommage rendu » à un peintre majeur « par son pays natal », qui avait montré les œuvres de Réth pour la dernière fois à Budapest au Salon National de 1930, et consacré sa dernière exposition individuelle en 1922-1923 !

En octobre 2003, l’événement phare du Festival d’Automne de Budapest a été la rétrospective de ses toiles montée pour la première fois en Hongrie par la galerie Budapest (l’équivalent de la salle Saint Jean). Ses dessins et aquarelles étaient présentés à l’Institut français de la capitale.

Si sa discrétion explique qu’Alfréd Réth soit méconnu, son talent justifie sa redécouverte à laquelle contribue la galerie Le Minotaure  qui avait rendu hommage à cet artiste  en 2007.

Au printemps 2013, la galerie Le Minotaure et la galerie Alain Le Gaillard ont présenté l’exposition Artistes hongrois après-guerre à Paris réunissant des œuvres abstraites de ces artistes.

Le musée du Luxembourg a proposé l'exposition Chefs-d'oeuvre de Budapest. Dürer, Greco, Tiepolo, Manet, Rippl-Rónai....

Dans le cadre de la saison Nouvelles Vagues du Palais de Tokyo, la galerie Le Minotaure a présenté l’exposition collective ∞ > ∞.

La galerie Le Minotaure présente l’exposition collective L’avant-garde hongroise à la galerie Der Sturm (1913-1932). « En mars 2018, la Galerie Le Minotaure et la Galerie Alain Le Gaillard – assistées par Krisztina Passuth, la doyenne de l’histoire de l’art moderne hongroise et spécialiste des avant-gardes – se réunissent dans le cadre de l’exposition majeure de la saison pour attirer l’attention du public sur un épisode particulier de l’histoire des avant-gardes européennes des premières décennies du XXème siècle, à savoir le phénomène des artistes hongrois exposant à la galerie berlinoise Der Sturm dans les années 1913-1932 ».

« A ce moment, le champ artistique international subit des transformations touchant à la fois sa structure et son fonctionnement. Jusqu’alors centralisé et concentré sur l’activité artistique parisienne, il s’ouvre vers international. Les nouvelles générations d’artistes sont de plus en plus attirées par les nouveaux centres artistiques émergeant en Allemagne, en Europe Centrale et de l’Est ou plus loin encore, en Russie soviétique ».

« Elles se détournent des recherches purement formelles au profit de l’engagement socio-politique que la capitale parisienne regarde avec une plus grande réserve ».

« Les collaborations de créateurs actifs dans des domaines différents deviennent une caractéristique des manifestations avant-gardistes : désormais les expositions sont souvent accompagnées de conférences et d’événements culturels intégrant la littérature et la musique contemporaines. Un des « noeuds » où ces nouvelles tendances et les esprits novateurs se rencontrent devient la revue et la galerie allemande Der Sturm (La Tempête) tenues par Herwarth Walden un personnage polyphone – musicien, compositeur, écrivain, critique, éditeur et galeriste – qui incarnait l’interdisciplinarité des avant-gardes de son temps. Publications et expositions sous l’enseigne du Sturm deviennent très rapidement l’étape obligée pour les artistes en recherche de reconnaissance ».

« L’histoire de la galerie Der Sturm qui commence en 1912 (la revue apparaît en 1910) et se termine en 1932, nous permet d’étudier également les évolutions esthétiques observables dans les arts plastiques du début du siècle. Pour marquer sa place dans le champ artistique international, Walden commence par exposer les expressionnistes – comme Kokoschka – et les membres du groupe Blaue Reiter pour ensuite pouvoir orienter le profil de sa galerie vers les nouveaux prétendants à ce titre : les futuristes et à partir du début des années 1920, les constructivistes. Ne pouvant pas toujours accéder aux grands maîtres du rang de Picasso ou d’El Lissitzky, il est obligé de rechercher des « remplaçants », pas forcément connus, mais ayant une approche esthétique et intellectuelle similaires, ce qui lui vaut le titre de « découvreur des talents ». Les affinités électives veulent que ces grands « remplaçants » soit en majorité des artistes hongrois : Walden s’intéressait à leur travail dès l’ouverture de sa galerie et vice versa, il était connu par les Hongrois car la revue et les expositions du Sturm ainsi que Walden lui-même voyageaient dans leur pays. Au fil des années leurs relations deviennent de plus en plus fréquentes, et nous pourrions même dire, indispensables pour les deux côtés ».

« Le premier Hongrois, exposant à la Galerie Der Sturm en 1913, est le cubiste Alfred Réth prenant la place vide laissée pour Picasso qui avait refusé d’exposer à la galerie du Potsdamer Strasse. Pendant la Première Guerre mondiale, beaucoup d’artistes appréciés par Walden, notamment ceux du cercle du Blaue Reiter, doivent quitter l’Allemagne ou bien disparaissent sur le front. Le galeriste berlinois découvre alors – par l’intermédiaire de Lajos Kassák, rédacteur de la revue MA – l’oeuvre de János Mattis Teutsch, Béla Kádár et Hugó Scheiber qu’il inscrit dans la lignée des artistes tels que Vassily Kandinsky, Franz Marc, Georg Schrimpf ou Heinrich Campendonk. Tous les trois seront liés à la galerie jusqu’à la fin des années 1920. Grâce à Walden, leurs carrières deviendront vraiment internationales et leur renom ira bien au-delà de l’Allemagne : en 1926, Kádár sera remarqué par la collectionneuse américaine Katherine Dreier (Société Anonyme) qui l’invitera à exposer au Brooklyn Museum de New York ; événement qui se prolongera par une série d’expositions voyageant à travers les États-Unis ».

« Néanmoins, après la guerre le mouvement expressionniste commence à se retirer de la scène d’avant-garde et s’institutionnalise. Même s’il restera jusqu’à la fin une marque de Der Sturm, Walden – toujours en quête de nouveautés – s’intéresse de plus en plus au constructivisme importé de Russie qui bouleverse la vision européenne de l’art moderne et révolutionnaire, visant plutôt l’industrie que le marché de l’art. Berlin devient alors non seulement un foyer pour les Russes, mais aussi pour les autres nationalités venant de l’Europe de l’Est, entre autres les Hongrois qui pendant la guerre et suite à la chute de la République des Conseils migrent vers d’autres pays. Walden pense à eux car dans cette Allemagne du début des années 1920, ce sont justement les Hongrois qui incarnent le mieux l’esprit et la connaissance des mouvements suprématistes et constructivistes. Ainsi, parmi les noms phares de la galerie Der Sturm se retrouveront, entre autres : Lajos Kassák, Sándor Bortnyik, et notamment László Moholy-Nagy et László Péri que Walden considérera comme les porte-paroles du constructivisme d’esprit soviétique ».

« Toutefois, à partir de la deuxième moitié des années 1920, Der Sturm, aussi bien comme galerie que comme revue ou maison d’édition, perd progressivement sa vigueur initiale. Les raisons en sont multiples tout autant liées au fonctionnement interne du Sturm, qu’à l’évolution du champ artistique international et au changement de la situation politique en Europe. En 1932, toujours autant fasciné par la Russie, Walden s’installe en Union Soviétique dont la politique devient pourtant de plus en plus hostile vis-à-vis des Allemands (surtout des Juifs). En 1941, le galeriste est envoyé dans un camp de travail près de Saratov où il meurt de faim ».

« Malgré cette fin brutale, la tempête que déclencha à son époque Der Sturm dans le champ artistique international marqua à jamais l’histoire de l’art européen. Dès lors son activité focalisera et accompagnera les évolutions de l’art moderne de la première moitié du XXème siècle dont, aujourd’hui encore, nombre de galeries et de musées se font les passeurs pour un public toujours autant fasciné par cet avant-garde venu de l’Est ».

« A partir du 15 mars 2018, à la Galerie Le Minotaure et Alain Le Gaillard, nous pourrons donc plonger dans l’univers de la galerie Der Sturm et admirer environ quatre-vingt pièces exceptionnelles des artistes tels que : Alfred Réth, János Mattis Teutsch, Béla Kádár, Hugó Scheiber, Lajos Kassák, Sándor Bortnyik, Lajos Ébneth, László Moholy-Nagy et László Péri. L’exposition sera accompagnée d’un important catalogue bilingue (en français et en anglais), contenant deux articles scientifiques inédits (par Krisztina Passuth et Maria Tyl) et riche en reproductions et images d’archives ».


Kalman Maklary, Krisztina Passuth, Julia Cserba Csaba Kopeczky, Alfréd Réth. 2003. 344 pages. ISBN : 978-9632122441

Citations de Júlia Cserba, dans le Dictionnaire de l’Art Contemporain Hongrois, Editions Lexikon, 2002, Budapest, traduction par Zsuzsa Kis.

Du 15 mars au 12 mai 2018

Jusqu’au 30 mars 2013
A la
galerie Le Minotaure
2, rue des Beaux-arts. 75006 Paris
Tél. : 01 43 54 62 93
Du mardi au samedi de 10 h 30 à 13 h et de 14 h à 18 h 30
Et
Du 20 juin au 27 juillet 2013
A la galerie Alain Le Gaillard
19, rue Mazarine. 75006 Paris
Tél. : 01 43 26 25 35

Visuels :
Reth, Alfred
Composition, 1959
Technique mixte sur bois
55 x 46 cm

Reth, Alfred
Composition, 1952
Huile et sable sur panneau
101 x 60 cm
Signé et daté en bas à droite A.Reth.52
Au dos : indications manuscrites, n°163/53-4-73/1952
101 x 60 cm

Reth, Alfred
Composition, 1959
Technique mixte sur bois
65 x 54 cm

Reth, Alfred
Bords de Seine, 1926
Huile sur toile
80 x 148 cm

Reth, Alfred
Formes dans l'espace,1935
Huile, ciment et plâtre sur bois
32 x 31 cm

Reth, Alfred
Petit garçon au tablier, 1910
Huile et collage sur toile
52 x 63 cm

A lire sur ce blog :
Articles in English
Cet article a été publié le 6 mars 2013, puis le 7 juillet 2016.

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