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mercredi 8 février 2017

« Nazareth, terre promise en Corrèze » par Jean-Michel Vaguelsy


De 1933 à 1935, à Jugeals-Nazareth (Corrèze), « Machar » (demain, en hébreu), seul kibboutz créé en France, a accueilli des centaines de jeunes réfugiés juifs ayant fui les persécutions antisémites en Europe, notamment en Allemagne nazie. A la fermeture de cette « ferme-école », ses élèves sionistes ont rejoint Eretz Israël, alors Palestine sous mandat britannique, et ont contribué à fonder un kibboutz en Galilée. « Nazareth, Terre Promise en Corrèze », documentaire écrit et réalisé par Jean-Michel Vaguelsy sera présenté en avant-première le 8 février 2017, à Turenne. Il sera diffusé sur France 3 Nouvelle-Aquitaine les 13 et 16 février 2017. 


C’est un fait méconnu, voire ignoré de beaucoup : département rural peu peuplé, la Corrèze a accueilli dans les années 1930 le seul kibboutz, dénommé « Machar » (demain, en hébreu), ayant été créé en France.

Où ? A Jugeals-Nazareth. Au Moyen-âge, de retour de la Première Croisade, un seigneur du Limousin, Elie de Malemort, avait joint à Jugeals le nom de Nazareth.

Fondé par le baron Olivier de Rothschild, le Comité national de secours aux réfugiés allemands victimes du nazisme cherchait  en 1933 un lieu pour accueillir des réfugiés allemands juifs victimes des persécutions antijuives nazies et préparer leur départ pour Eretz Israël, alors Palestine sous mandat britannique. Son choix se porte sur Jugeals-Nazareth village limousin isolé de 300 habitants, entouré de terres fertiles.

De décembre 1933 à avril 1935, une ferme louée à Jugeals-Nazareth a hébergé de 500 à 800 Juifs allemands, polonais, lituaniens, russes et tchèques, qui fuyaient l’antisémitisme. A cette ferme, étaient alloués 75 hectares à cultiver.

Là, ces jeunes citadins cultivés, souvent apatrides, se formaient aux travaux agricoles et apprenaient des techniques de combat rudimentaires avant d’émigrer en Palestine mandataire. 

Un lieu aux « conditions d’hébergement spartiates » dirigé par David Saltiel  ou Shealtiel.

Cette « ferme-école » a enseigné l’hébreu, et travaux pratiques à la clé, les métiers de la terre et de l’élevage, à ces jeunes juifs européens dans une période de montée des périls.

Cette expérience  « sioniste et socialiste » a surpris les Jugealiens-Nazaréens peu habitués à la mixité et à des jeunes paysannes vêtues de shorts. Des rumeurs ont circulé sur la « mauvaise vie » supposée de ces jeunes. « Mais ils ne faisaient aucun mal. Il y avait une suspicion à l’avance. Le juif, c’est le juif, ou c’était. J’espère que cela évolue  », a observé Pierre Estivie, âgé de 93 ans, ancien voisin du Kibboutz de Jugeals-Nazareth. 

Le journal La Croix de Corrèze publiait alors des articles sur « le Juif Blum », a souligné l’historien Jean-Michel Valade en 2013.

Mais « le courage et l'énergie de ces jeunes leur ont permis de nouer de nombreux liens dans la population locale ». Parmi ces villageois, certains éprouvaient de la jalousie à l’égard de ces concurrents.

Ces jeunes paysans juifs « ont très bien évolué. Ils étaient fiers de montrer leur réussite. Ils allaient au marché de Brive-la-Gaillarde. Ils faisaient les marchés trois fois par semaine. Ils se nourrissaient des retours de marché. Quand il restait des légumes, ils mangeaient, quand il n’y avait plus de légumes, ils buvaient de l’eau. Ils étaient courageux. Ils avaient plein de volonté », s’est souvenu Lucien Verlhac, fils de l'ancien propriétaire de la ferme du kibboutz de Jugeals-Nazareth.

Les registres de la Mairie du village corrézien conservent les documents attestant d’une trentaine de mariages civils entre ces jeunes Juifs. Des mariages en blanc nécessaires pour obtenir l’autorisation d’entrée en Palestine sous mandat britannique.

Soutenue par HeHalutz (le pionnier, en hébreu), organisation juive de jeunesse, « surveillée de près par les pouvoirs publics nationaux » craignant l’afflux de réfugiés voire d’espions, peu soutenue par les institutions israélites de France », cette expérience originale s’est achevée au terme de dix-huit mois en avril 1935 par arrêté d’expulsion du ministère de l’Intérieur.

Pourquoi ? En raison de « l’antisémitisme latent entretenu par le sous-préfet de l'époque », Roger Dutruche. Ce haut fonctionnaire « sera fusillé pour collaboration à la Libération ». 

Les interventions favorables de Henry de Jouvenel, sénateur de la Corrèze, demeurèrent vaines. Ce politicien et journaliste avait épousé en 1902 Sarah-Claire Boas (1879-1967), fille aînée de l'ingénieur centralien juif Alfred Boas (1846-1909). En 1935, il est président du nouveau Centre d’études du problème des étrangers en France chargé de « concevoir une politique d’immigration plus humaine et plus rationnelle ». Il est entouré de William Oualid, Adolphe Landry, René Martial, Georges Mauco, Georges Duhamel.

« Les adieux ont été déchirants. Ma mère m’en parlait : « Nous avons pleuré ». Cela a été terrible car des liens très forts s’étaient créés entre eux. Hélène avait dit à ma mère, dans un français un peu approximatif : « Tu sais Yvonne, je reviendrai », a confié Marie-Josée Barot : fille d'anciens voisins et amis du kibboutz, sur France 3 Nouvelle Aquitaine.

La quasi-totalité de ces jeunes kibboutzniks corréziens sont parvenus en Palestine mandataire, « échappant ainsi à la barbarie nazie ». 

Là, ils ont participé à la fondation du kibboutz Ayelet-HaShahar (La biche de l'aurore, en hébreu) dont le nom se réfère au titre du Psaume 22. Situé en Galilée, au nord d’Eretz Israël, ce kibboutz est devenu une entreprise agricole importante et offrant des formules touristiques. Situé près de la ligne d’armistice avec la Syrie, ce kibboutz avait été créé sur des terres achetées en 1892 par la Jewish Colonization Association (ICA). Les premiers pionniers s’y étaient installés en 1915. Les enfants et petits-enfants des olim du kibboutz corrézien y vivent encore. 

Quant à David Saltiel, il a rejoint les rangs de la Haganah dans la région de Jaffa, et deviendra général.
Après la guerre, quelques rares membres de ce kibboutz corrézien sont revenus à Jugeals-Nazareth.
           
Mémoire 
« Huit décennies plus tard, les descendants » de ces olim reviennent en Corrèze pour retisser les fils de leur histoire » et découvrir une histoire méconnue, voire ignorée de nombre d’entre eux.

Le 23 juin 2013, une stèle a été inaugurée et une plaque dévoilée dans ce village en souvenir du kibboutz « Machar ».

Ancien complice de Coluche – ancien secrétaire général, puis président des Restaurants du Cœur -, Jean-Michel Vaguelsy rappelle ce fait historique dans son documentaire « Nazareth, Terre promise en Corrèze ». Lors d’un colloque organisé par Mémoire juive en Limousin, il a fait la connaissance de Michal Andorn et Noam Rachnilévitch, descendants de ces kibboutzkiks en Corrèze.

« Ça faisait un petit bout de temps que j'étais au courant de ce qui s'était passé à Nazareth. Mais c'était trop proche de ma propre histoire et je me suis refusé à la raconter », a expliqué Jean-Michel Vaguelsy.

Et de poursuivre : « Ce n'était pas courant à l'époque de voir des femmes avec leurs jambes dénudées. La population avait encore une vision très médiévale de l'habillement. Alors, chaque dimanche, le curé du village, dans son sermon, exultait la population à chasser ces créatures du démon ».

Le 9 novembre 2016, une cérémonie a été organisée par le Souvenir français dans ce village de Corrèze pour rappeler cet épisode.

« Les jeunes vivaient chichement, ils avaient fabriqué des meubles avec des planches, aménagé des greniers, restauré des toitures, travaillé dans diverses fermes de la commune… Mon père, qui était revenu sur la commune après la guerre de 14-18, avait entendu dire le baron Olivier de Rothschild chercher une ferme pour accueillir des personnes pourchassées en Europe. Il lui a mis cette bâtisse à disposition », a relaté Lucien Verlhac.

Haïm Korsia, grand rabbin de France, a déclaré : « C’est un signe de vie formidable. C’est un très beau symbole, encore plus aujourd’hui. Ces jeunes venus de pays où ils n’étaient pas les bienvenus ont trouvé ici un havre de paix qui leur a permis de construire leur demain ailleurs. [Cette histoire de solidarité invite à] « réfléchir à la possibilité d’aider les réfugiés d’aujourd’hui à construire leur avenir ».

« Je suis fier que la commune ait aidé des migrants dès 1933. Aujourd’hui, on doit accueillir de la même façon ces peuples qui fuient leur pays à cause de la guerre », a renchéri le maire de Jugeals-Nazareth, Gérard Bagnol.

Un parallèle infondé entre les réfugiés juifs et ces « migrants ».

La bâtisse ayant accueilli cette « ferme-école » s’avère en trop mauvais état pour être proposée à la vente ou à la location. Son propriétaire actuel manque des moyens financiers nécessaires pour la réhabiliter. Le grand rabbin de France Haïm Korsia s’est engagé à résoudre ce problème.
      
« Nazareth, terre promise en Corrèze » par Jean-Michel Vaguelsy
France Télévisions / Armoni Productions / Aller Retour Productions avec la participation du CNC et le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, 2016, 52 min
Le 8 février 2017, à 18 h 30 à La Grange Rouge, à Turenne (19500). Un cocktail sera offert à l’issue de la projection. Réserver vos places France 3 Nouvelle-Aqitaine - Service Communication Limousin 05 55 04 33 02 christelle.raflin@francetv.fr
Sur France 3 Nouvelle-Aquitaine les 13 février après le Soir 3 et 16 février 2017 à 8 h 50

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Les citations sont extraites du communiqué de presse.

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