Citations

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« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » (Albert Londres)
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lundi 19 juin 2023

« Le brun et le vert. Quand les nazis étaient écologistes » de Philippe Simonnot

Les éditions du Cerf ont publié « Le brun et le vert. Quand les nazis étaient écologistes », livre passionnant et érudit de Philippe Simonnot. 
C’est un livre majeur, érudit et pétillant de faits historiques et de réflexions pertinentes, historiques, spirituelles, sourcés qui montrent combien Bruns et Verts ont été profondément liés, jusque dans les hautes sphères du pouvoir du IIIe Reich ainsi que dans les camps de concentration et d’extermination nazis. Ces rappels historiques éclairent sur les origines d’une idéologie qui s’est imposée, en particulier en France, comme « une importante force politique et morale » sans avoir été dénazifiée. 

Raymond Aron (1905-1983) 
« ENS : L'école de l’engagement à Paris » par Antoine de Gaudemar et Mathilde Damoisel
Archives de la vie littéraire sous l'Occupation 

C’est un livre important qu’a écrit le regretté Philippe Simonnot (1941-2022), écrivain, journaliste (Le Monde, Le Figaro), auteur notamment de 39 leçons d'économie contemporaine (Gallimard, 1998), Juifs et Allemands : Pré-Histoire d'un génocide (PUF, 1999), Nouvelles leçons d'économie contemporaine (Gallimard, coll. "Folio actuel", 2018), Le Siècle Balfour : 1917-2017 (Pierre-Guillaume de Roux Editions, 2018).

Brièvement évoquée par Régis Debray (Le Siècle Vert. Un changement de civilisation, 2020) et Luc Ferry (Le nouvel ordre écologique, 1992), l’« écologie nazie » a été « inventoriée par nombre d’excellents auteurs allemands et anglo-saxons non traduits » qui ont suscité et alimenté des débats « partout dans le monde, sauf en France ».

Ce livre présente opportunément, avec clarté et pertinence, les précurseurs et principaux acteurs de cette « écologie nazie », son emprise dans la société allemande et dans les principales institutions du IIIe Reich, jusque dans des camps de concentration, l'admiration qu'elle suscite à l'étrange, notamment aux Etats-Unis, ainsi que sa terminologie dont les échos sont audibles dans la société contemporaine française.

Imaginaire allemand
Pour des raisons électoralistes – obtenir le soutien des Allemands, notamment des agriculteurs -, et par idéologie raciale, les Nazis ont instrumentalisé la place spécifique, dès l’Antiquité, de la forêt dans l’Histoire germanique et dans l’imaginaire de leurs concitoyens. 

Dès le début du parti nazi, le « culte de la forêt » est un thème récurrent de la propagande nazie : « Le peuple allemand et la forêt allemande sont une seule et même chose » proclamait un slogan nazi, réveillant un récit plus ou moins légendaire remontant à la nuit des temps. Dans cette réécriture de l’histoire, on ne pouvait pas ne pas invoquer le fantôme d’Hermann, le vainqueur des Romains dans la forêt de Teutobourg (ou Teutberg). Un personnage ressuscité par Friedrich Gottlieb Klopstock, à la fin du XVIIIe siècle par pas moins de trois bardits », genre artistique mêlant chants et danses. « Hermann, alias Arminius, est le chef de la tribu des Chérusques, une branche du peuple germain vivant entre l’Elbe et la Weser. C’est un Allemand vainqueur de trois légions du général romain Publius Quinctilius Varus dans la forêt de Teutobourg, située entre les actuelles Rhénanie et Basse-Saxe. »

C’est cet Hermann/Arminius vainqueur en l'an 9 de l'ère commune, et non le vaincu de l’an 16, qui est exalté par une statue de bronze inaugurée dans la forêt de de Teutobourg par le Kaiser Guillaume 1er en 1875. Le limes romain, qui longe le Rhin le long duquel s’étaient installés des Juifs commerçants, n’est donc pas franchi par les Romains : il sépare de la civilisation romaine honnie par les Barbares nazis. 

L’historien romain Tacite avait vanté la « supériorité morale du Germain, donnée par l’état de nature ». Il est redécouvert au Moyen-âge, traduit en allemand et utilisé par Luther qui germanise Arminius en « Hermann », qui signifie « homme d’armée » ou « guerrier ». 

Fichte (1762-1814) poursuit en louant la langue allemande primitive, conservée soigneusement par les Allemands et base d’une « possible régénération ». 

Puis, c'est Heidegger, nazi et vert, qui prolonge cette lignée philosophique. 

Aux Allemands enracinés dans la forêt, s’opposent dans l’idéologie nazie, les « Juifs venus du désert, peuple nomade et sans racine ». 

Pour Konrad Rubner (1886-1974) expert forestier allemand, professeur de sylviculture à l’Académie forestière de Tharandt, « la nouvelle tendance en sylviculture a ses fondements dans la philosophie nationale – et inclut le principe […] de rendement biologique soutenable correspondant à l’idée de l’éternité du peuple allemand dans son espace vital ». Une vision suivie avec intérêt aux Etats-Unis. Forestier, écologue et écologiste américain, l'américain Aldo Leopold (1887-1948) apprécie la Dauerwald (forêt éternelle, durable) allemande (1936), résultant d’une meilleure gestion, avec des « espèces natives ».

« La forêt éternelle et la nation éternelle sont des idées indissolublement liées ».

Les « monuments naturels » (par exemple, une chute d’eau), étrangers à la main de l’homme, sont dotés de droits.

Et le terme Völkisch, synonyme d’Allemand, de peuple allemand et de germanité, imprègne les discours nazis.

C’est l’intégration de l’écologie dans le programme du parti nazi qui a contribué au succès du nazisme : un « mysticisme germanique, des données écologiques à prétention scientifique, une reconsidération de la place de l’homme vis-à-vis de la nature, et une bonne dose de racisme légitimé par le darwinisme de Haeckel et de ses disciples ». 

Ernst Haeckel, précurseur
Zoologiste, biologiste et naturaliste allemand, Ernst Haeckel (1834-1919) a joué un rôle fondamental notamment pour deux raisons principales.

D’une part, il a fait connaitre l’œuvre de Darwin, son contemporain, « en Allemagne, quelques années après sa parution en 1859 », mais en la transformant en un « darwinisme social » allemand, « c’est-à-dire l’application aux sociétés humaines des éléments de la théorie évolutionniste, la sélection naturelle, la survie des plus aptes, l’élimination des plus faibles, etc. La sélection naturelle s’appliquait en termes de races ». 

En France, l’exposition  Les origines du monde. L’invention de la nature au XIXᵉ siècle au musée d’Orsay à Paris en 2021 et son catalogue ont brièvement mentionné Ernst Haeckel (1834-1919). Était exposé « un tableau où Haeckel a réuni douze têtes dont six d’hommes et six de singes, hiérarchiquement étalonnées de 1 à 12… Le numéro 1 est bien sûr la tête d’un homme blanc aux cheveux blonds… La tête crépue de l’homme n°6 voisine avec celle du singe n°7 considéré comme le plus évolué de la gente simiesque ». Une brièveté révélatrice d’une gêne envers « Haeckel, inventeur de l’écologie et les origines du nazisme ». 

Haeckel qui écrivait : « L’histoire des peuples, ce que l’on appelle l’histoire universelle, doit s’expliquer aussi par la sélection naturelle… Ce doit être en définitive un phénomène physico-chimique dépendant de l’action combinée de l’adaptation et de l’hérédité dans la lutte pour l’existence ».

Et d’autre part, Ernst Haeckel a forgé le néologisme « Ökologie » en 1866 dans son livre Generelle Morphologie der Organismen (Morphologie générale des organismes) et traduit en français par « écologie ». Construit sur le grec - oikos (maison) et logos (discours), alors que physikê se traduit par « connaissance de la nature » -, ce terme est défini dans ses ouvrages comme : « la totalité de la science des relations de l’organisme avec l’environnement…, l’économie de la nature, les mutuelles relations de tous les organismes vivant en un seul et même lieu, leur adaptation au milieu qui les environne, leur transformation par la lutte pour vivre, surtout les phénomènes de parasitisme, etc. », « le corps du savoir concernant l’économie de la nature – l’étude de toutes les relations de l’animal à son environnement inorganique et organiques… l’étude de ces interrelations complexes auxquelles Darwin se réfère par l’expression de conditions de la lutte pour l’existence », « l’ensemble des relations si variées des animaux et des plantes, de leurs rapports avec le monde extérieur, tout ce qui concerne l’écologie des organismes, par exemple, les faits si intéressants du parasitisme, de la vie en famille, des soins de la couvée et du socialisme, etc. ». 

Ernst Haeckel est aussi l’auteur de best-sellers – Les énigmes de l’Univers (1899) traduit en 25 langues – et le co-fondateur de « la Ligue pangermanique, ultra-nationaliste et antisémite ».

Sa philosophie, le « monisme » - « tout le monde connaissable existe et se développe d’après une loi fondamentale commune » - n’établit aucune différence entre les mondes humain, végétal et animal. Ernst Haeckel crée la Ligue moniste (1906) et un journal mensuel Der Monismus. Bismarckien, belliciste durant la Première Guerre mondiale.

Antisémite – le « problème juif » est un problème racial -, anti-chrétien, il a conçu une Histoire de l’humanité selon « des stades de civilisation dans une hiérarchie des peuples ».

Il a contribué à l’introduction de l’eugénisme en Allemagne. 

Il a rejoint la Société de Thulé, sorte de berceau pour le national-socialisme. 

En 1934, l’Allemagne nazie « lui rendit un hommage en grande pompe ; » Alfred Rosenberg « grand idéologue du nazisme, reconnut publiquement sa dette envers Haeckel ».

Ces deux personnages n’expliquent pas à eux seuls la place de l’écologie dans l'Allemagne nazie.

Nature nazifiée
Influencé par Schopenhauer, Adolf Hitler est mû par une vision anti-biblique : l’Homme, ne doit pas être maitre de la Nature, mais « doit être détrôné au profit d’une nouvelle divinité : la nature ». Il vante les « lois éternelles de la nature ».

« Un miracle est arrivé. […] L’Allemagne s’est ressaisie… Joyeusement, nous sommes derrière le Führer, nous engageant à utiliser toute notre force pour atteindre son objectif élevé. » C’est en ces termes que la Ligue allemande de protection des oiseaux (LPO) s’enthousiasma en janvier 1933 à l’arrivée de Hitler au pouvoir. Une exception ? Non, « d’autres organisations de protection de la nature ont exprimé leur joie. Et 60% des responsables des divers mouvements ou organismes environnementalistes de l’époque étaient membres du parti nazi ».

L’écologie nazie s’avère étatique et anticapitaliste, voire attentatoire à la propriété privée : pour le « bien commun » (Volksgemeinschaft), des propriétaires sont expropriés sans indemnisation afin de créer des aires spéciales de protection de la Nature. La campagne de Richard Walther Darré (1895-1953), ingénieur agronome et ministre de l'Alimentation et de l'Agriculture (1933-1942) du Troisième Reich. touche des dizaines de milliers d’exploitations agricoles, de toutes tailles, en Allemagne, avec le soutien de Rudolf Hesse, Stellvertreter des Führers (« Adjoint » du Führer), Heinrich Himmler (1900-1945), et Hitler.

Les propriétaires fonciers allemands étaient invités à des camps de rééducation dans le parc du château d’Augustusburg, résidence de Hermann Goering, Ministre-président de Prusse (1933-1945).

L’urgence d’agir est soulignée : « Si nous ne respectons pas les lois de la nature, un jour viendra où les bêtes sauvages nous dévoreront ». 

Les autoroutes (Autobahn) – 5 000-6 000 km - doivent respecter l’environnement. Il est prévu que la terre et la végétation enlevées lors des travaux soient réutilisés ; le bord de l’autoroute est « décoré » par des plantes allemandes. 

Des dirigeants nazis écologistes
L’écologie a imprégné l’appareil nazi, jusque dans ses strates les plus élevées. Des personnalités de première importance du IIIe Reich au plan opérationnel étaient des écologistes convaincus : Rudolf Hess (1894-1987) jusqu’à sa fuite le 10 mai 1941 en Grande-Bretagne, Hermann Goering, n°2 du Reich après cette défection, Richard Walther Darré, Fritz Todt, ingénieur de travaux publics et ministre du Reich pour l'Armement et les Munitions (1940 à 1942), et Alwin Seifert, architecte horticole, professeur d'université, paysagiste et conseiller influent de Todt.

« Amoureux inconditionnel de la nature, disciple de Rudolph Steiner, de son anthroposophie et de son agriculture « biodynamique », Rudolph Hess, alors le n° 2 du régime, était un végétarien encore plus absolu que Hitler lui-même. Il n’acceptait que des traitements homéopathiques. C’est lui qui introduisit Darré auprès du Führer. » 

Alpiniste, randonneur, adepte de la chasse à courre - Reichsjägermeister (grand « veneur » du Reich) -, ministre-Président de Prusse, Hermann Goering (1893-1946) joue un rôle pilote dans le dispositif législatif nazi écologiste. Il dirige l’Office du Reich pour la protection de la nature, et crée l’administration des Eaux et Forêts. La forêt est le « domaine où sa marque a été la plus grande. Citons la loi contre la dévastation des forêts (1934) applicable aux forêts publiques et privées : interdiction de coupes claires, association d’espèces diverses d’arbres, etc. « L’Allemagne fédérale ne changera pratiquement rien à la législation environnementale du grand-veneur et maître des forêts du Reich… » (François Kersaudy) 

Le discours forestier est politisé. L’idéologue Alfred Rosenberg a patronné deux films sur la forêt allemande. La SS de Heinrich Himmler a elle aussi étudié le lien entre le Germain, l’Allemand, et la forêt, l’arbre. 

Cet intérêt pour la forêt ne se limite par à la forêt allemande, mais aussi à celle de territoires occupés comme la Pologne. Ainsi, Goering veut faire de la forêt de Bialowieza, forêt primaire située en Pologne et Biélorussie, une réserve de chasse, et en expulse les juifs qui représentaient 12% de la population en 1941. 

Le chasseur agit au nom du peuple allemand pour contribuer à la protection de l’environnement et à la restauration de la diversité. Goering, dont les conseillers techniques sont Clemens Giese et Waldemar Kahler, a voulu peupler d’aurochs, qu’il aurait créé par des croissements de buffles et de bovins, les forêts de Lituanie et d’Ukraine. Mais les animaux introduits dans ces forêts ne purent pas survivre. 

Adoptée avant les lois de Nuremberg (1935), la Loi sur la chasse (1934) vise à éviter la souffrance des animaux, par exemple en interdisant la pose de pièges et l'usage de la chevrotine. Elle est louée par l’International Game Committee, association mondiale de chasseurs.

Allemand de l’étranger - né en Argentine -, Richard Walther Darré (1895-1953) est un « ingénieur agronome et colonial » polyglotte, un général SS et un théoricien de l’idéologie Blut und Boden ou BluBo (« Le sang et le sol »). 

Dans son livre La Paysannerie comme source de vie de la race nordique (1928), Walther Darré décrit les Indogermains comme une race nordique, sédentaire, paysanne dont il faut assurer une existence pérenne et à qui il faut fournir de nouvelles terres à cultiver. Dans La Nouvelle noblesse issue du Sang et du Sol (1930), il estime que la paysannerie devient « la source de vie de la race nordique, capable d’engendrer une nouvelle aristocratie » - il songeait à appliquer à l’homme le processus de sélection d’élevage animal. Reichsleiter du parti national-socialiste dont il est membre dès 1930, chef du Bureau de la race et du peuplement (RuSHA) de la Schutzstaffel (1931-1938), il a été ministre de l'Alimentation et de l'Agriculture du Troisième Reich (1933-1942). 

Dans La Race - Nouvelle noblesse du sang et du sol (1934), Walther Darré, alors membre des Artamans – jeunes Allemands d’extrême-droite -, tente de démontrer une relation particulière entre les politiques raciales, économiques et agricoles. Il assure au parti nazi l’adhésion de masses paysannes. Pour éviter le morcellement des exploitations agricoles, il impose un droit d’aînesse. Sa campagne concernant des dizaines de milliers d’exploitations agricoles, de toutes tailles, en Allemagne se déroule avec le soutien de Hesse, Heinrich Himmler et Hitler. Arrêté en 1945, jugé au procès des Ministères (1947-1949) à Nuremberg. Walther Darré est « acquitté d’accusations les plus lourdes, en particulier celles liées au génocide, étant parvenu à se présenter comme le défenseur des paysans allemands. Il est condamné à sept ans d’emprisonnement. Libéré en 1950, il meurt en 1953 ». 

Pour des « intellectuels environnementalistes », le IIIe Reich a offert l’opportunité, politique et personnelle/professionnelle, de mettre en œuvre, par une planification centralisée efficace, ce que la République de Weimar urbaine, jugée libérale et matérialiste, n’avait pas mis en oeuvre.

Philippe Simonnot évoque des luttes d’influence dans la polycratie nazie, des discours environnementaux relevant de postures et d’impostures, destinés à servir des carrières professionnelles et l’idéologie ou la propagande nazies.

Disciple de Haeckel, Walther Schoenichen (1876-1956), biologiste allemand, « a inspiré la première législation allemande qui conjugua le vert (écologique) et le brun (nazi) ». Directeur d’un Office d’Etat pour la préservation de la nature en Prusse en 1922, il dirige dès 1928 le « journal conservateur Protection de la Nature qu’il sous-titre Mensuel pour tous les amis de la patrie allemande, et adhère en 1932 au parti nazi (Parti national-socialiste des travailleurs allemands (Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei, en allemand, NSDAP). Il promeut la conciliation entre la protection de la Nature et la croissance économique ainsi que le plein emploi. Son journal publie « en janvier 1933 la photo d’enfants marchant avec un drapeau orné d’un swastika, avec ce sous-titre : « Le peuple allemand doit être nettoyé, et de même la campagne allemande ». En 1934, dans Naturschutz im Dritten Reich (Protection de la Nature dans le IIIe Reich), il « exalte les liens entre les Aryens et la nature ». Sous son impulsion et celle de ses collègues, l’écologie est enseignée dans le cursus éducatif allemand.

Walther Schoenichen espérait créer en Pologne conquise des parcs naturels et y installer, à la place des Polonais chassés, des Allemands et ainsi réduire la pression démographie dans le Reich. Admirateur des « parcs nationaux » aux Etats-Unis, il prônait des droits attribués à la nature, aux forêts et aux rochers, aux arbres. Antisémite, il a établi un lien entre le paysage et l’âme allemande, était soucieux de préserver la Nature d’actes destructeurs de l’Homme et de conserver la race allemande en prohibant « les rapports maritaux ou sexuels entre Allemands et indigènes ». Il a défendu la loi de 1935 sur la protection de la nature qui autorisait les spoliations de « propriétés pour des raisons écologiques » car l’intérêt du peuple (Volk) l’emportait sur celui individuel. En 1942, il est nommé directeur de l’Office d’Etat pour la protection de la nature. Après 1945, il n’est pas inquiété par ceux en charge de la dénazification, et dès 1949 il a enseigné comme professeur à l’Université technique de Braunschweig.

Johannes Karl Wilhelm Klose (1880-1963), haut fonctionnaire de l’administration pour la protection de la nature durant le IIIe Reich, puis en République fédérale d’Allemagne (RFA), avait proclamé sa confiance dans le gouvernement du « chancelier Hitler pour protéger la nature en reconstruisant la nation allemande ».

Ingénieur allemand de travaux publics, Fritz Todt (1891-1942) était chargé de l’industrie allemande, inspecteur général pour les routes allemandes et ministre du Reich pour l'Armement et les Munitions (1940-1942) - à ce titre, il dirige l'économie de guerre de l'Allemagne nazie. A partir de 1930, en disciple de Rudolph Steiner, il adopte l’agriculture biodynamique et insiste sur la « restauration du paysage primordial germain dans toute sa diversité ». Surnommée par Hitler "l'Organisation Todt", un empire d'ingénierie militaire fournissait à l'industrie la main-d'œuvre pour le travail forcé. Dans le respect de la Nature, il construisait des fortifications comme le Westwall (rempart de l'Ouest, en français) ou Ligne Siegfried et le mur de l'Atlantique, et administrait la construction des camps de concentration nazis.

Conseiller paysagiste de Todt dès 1934, mentor du ministre, Alwin Seifert (1890-1972), architecte écologiste moderniste qui a conçu le réseau autoroutier. Surnommé « Monsieur Mère nature » par ses collègues, il est un ami de Hess. Après la Deuxième Guerre mondiale, Seifert a enseigné à l’université technique de Munich. En 1954 il obtient la chaire d’entretien paysager, d’aménagement paysager et de génie routier et hydraulique accordée comme « une réparation pour les inconvénients qu’il avait subis sous le IIIe Reich ». De 1958 à 1963, il a présidé la Ligue pour la protection de la nature de Bavière. Il a participé à de grands travaux. Il a signé la Charte verte de Mainau (1961) annoncée par Heinrich Lubke, alors Président (1959-1969) de la République fédérale d'Allemagne (RFA). Réédité, son livre Jardinage, culture sans poison est populaire dans le mouvement vert allemand dès le début des années 1970.

Ces « avocats paysagistes » travaillent dès 1934 dans le Service du Travail du Reich. Ils sont imposés dans chaque section régionale du parti nazi et œuvrent dans les centrales hydrauliques.

Arsenal législatif
En 1934, la propagande nazie présente  « le Führer, ami des animaux ». Et Goering affirme : « Le peuple allemand a considéré les animaux comme des créatures de Dieu ». Dans les mois qui suivent l’arrivée au pouvoir d’Hitler, le pouvoir nazi dote le IIIe Reich de lois protégeant les animaux et l’environnement. C’est la législation la plus stricte au monde dans les années 1930-1940.

La loi du 21 avril 1933 sur l’abattage des animaux est suivie notamment par celles du 24 novembre 1933 sur la protection des animaux et du 8 septembre 1938 interdisant le transport des animaux par chemin de fer. Dans la loi sur la protection des animaux, un chapitre est consacré à la « barbarie juive » qui aurait présidé à l’abattage rituel, interdit par le nazisme.

D’autres lois interdisent le gavage des oies, la vivisection sans anesthésie – un compromis est trouvé dans l’intérêt de la recherche allemande -, la corrida ou de se servir d’animaux dans des spectacles publics… Il s’agit généralement de réprimer la cruauté.

L’idéologie antisémite imprègne cette profusion normative : le décret du 15 février 1942 interdit aux Juifs la détention d’animaux domestiques. Et le régime nazi, si soucieux des animaux, a pratiqué des expérimentations sur des « êtres humains considérés comme inférieurs pour des raisons médicales ou psychiatriques, ou en considération de leur « race » supposée  ».

D’un point de vue institutionnel, l’Alliance gouvernementale pour la protection des animaux absorbe des agences de protection animale.

La loi de la protection de la nature du 1er juillet 1935 a suscité l’admiration en Europe et aux Etats-Unis. Un texte parmi d’autres...
 
Tous ces textes ont-ils été appliqués entièrement et durant tout le IIIe Reich ? Difficile de répondre à cette question. Mais pourquoi l’Allemagne nazie a-t-elle placé au centre de sa propagande la protection des animaux et de la nature ? 

Agriculture
L’agriculture biodynamique (biologisch-dynamische) est inspirée par Rudolf Steiner (1861-1925). Elle propose une « vue « holistique » des activités d’une ferme, d’un potager ou d’un jardin : semailles et moissons en fonction de forces cosmiques, refus des engrais et pesticides ». 

Présentée comme proche de la Nature, l’agriculture biodynamique s’est imposée malgré la puissante industrie chimique allemande. Certains de ses thuriféraires reprochaient à cette dernière, guidée par le profit, d’être sous « influence juive ».

« En vogue dans les années 1930, la biodynamie avait reçu un soutien gouvernemental » grâce à Darré dont le successeur, Herbert Backe, s’avère moins favorable.

Ses atouts : auto-suffisance - « L’autarcie assurée par ces fermes était un atout en période de crise économique mais aussi et surtout de guerre » -, réserves en devises de banque centrale du Reich préservée, contexte de blocus, essais dans la « médecine alternative » et « saine alimentation ». 

L’agriculture biodynamique a présenté « des éléments communs avec la doctrine du sang et du sol : vision germano-centrique, et mission spéciale de l'âme allemande ». 

En 1940, on comptait 2000 fermes biodynamiques en Allemagne. 

La mort de Todt et la défection de Hess, deux soutiens puissants, ont menacé l'agriculture biodynamique ; elle est alors renommée « agriculture naturelle » grâce à Himmler dans des territoires conquis et des camps de concentration (jardins d’Auschwitz et de Dachau).

Si Reinhard Heydrich (1904-1942) et Martin Bormann (1900-1945) étaient hostiles à l’intrusion des anthroposophes dans les entreprises SS, citons parmi ses partisans nazis Hans Merkel (1902-1993), juriste et bureaucrate de haut rang dans l’Office SS de la Race et de la Colonisation, et Albert Friehe (1904-1956), membre de l’Office de la Politique de la Race dans le parti nazi.

Ingénieur agricole, Heinrich Himmler soutient l'agriculture biodynamique dans « son périmètre d’action : la SS, les camps de concentration, et les territoires occupés à l’Est. Dès 1939, apparait la collaboration des cultivateurs biodynamiques avec les SS sur divers projets en participant à des programmes de colonisation dans les territoires occupés à l’Est. Dans ces projets, les populations slaves doivent être remplacées par des Allemands « ethniques » - venant par exemple des Sudètes -, pour peupler une sorte d’empire agraire sous la férule nazie », après expropriation des paysans polonais. Dès juin 1941, Himmler a ordonné « aux sections agricoles de la SS de continuer à travailler selon les méthodes biodynamiques en coopération avec Bartsch, Dreidax et leurs collègues ». En janvier 1939, il a créé l’Etablissement allemand de recherche pour l’alimentation et la nutrition (DVA). « Une grande part des activités de cette entité consiste à établir des plantations agricoles dans les camps de concentration de Dachau et Ravensbrück, et plus tard à Auschwitz, pour n’en citer que trois. Beaucoup de ces plantations étaient faites en biodynamiques, et leurs produits étaient destinés à la nourriture des SS et de l’armée allemande. Elles sont pilotées par des experts issus de la Ligue du Reich pour l’agriculture biodynamique. Ravensbrück est le premier établissement à appliquer ces méthodes, en mai 1940 ». 

Inauguré par Himmler en 1933, le camp nazi de Dachau, au centre du dispositif opérationnel de la DVA, s’accroit jusqu’en 1944. Herbes médicinales, serres, herbiers, laboratoires, moulins à épices au service de la DVA sont liés au travail de prisonniers dans des conditions très dures : certains sont contraints de remplacer les chevaux pour tirer les charrues. Alwin Seifert conseille le jardinier en chef, l’officier SS Franz Lippert. A Dachau, se déroulent des formations de colons destinés à s’installer dans les territoires à l’Est en conciliant nettoyage ethnique, principes de la culture biodynamique et préservation de l’environnement. 

Himmler a acheté seize propriétés agricoles non loin du camp. Il les destine aux travaux de recherches agricoles. D’Ukraine, sont amenées en Allemagne des tonnes de terreau pour fertiliser les terres épuisées.

Les marques qui se prévalent de l’agriculture biodynamique ? Demeter  - nom de la déesse grecque de l'agriculture et des moissons -, dont le magazine reflète l’idéologie nazie, et Weleda. 

Erhard Bartsch (1895-1960), comme Max Schwarz, conseiller paysagiste à Hambourg, a été membre des Corps francs au début des années 1920 et du mouvement Artamanen. Il applique les principes de cette agriculture dans sa ferme Marienhöhe de 100 hectares dans le Brandebourg, et Franz Dreidax, membre du conseil d'administration de l'Union économique Demeter, dirigent le journal Demeter. L'Association du Reich pour l'agriculture biodynamique a été dissoute en 1941, mais cette agriculture biodynamique n’a jamais été interdite par le IIIe Reich. Erhard Bartsch a été interpellé et détenu à deux reprises dans la prison de la Gestapo à Berlin : on lui reprochait d’avoir, par ses faibles rendements, « saboté la bataille de la production du Reich ». Libéré, il reprend son activité à Marienhöhe.

Architecte paysagiste, Werner Bauch (1902-1983), travaille dès 1942 « à Auschwitz, où il dirige des expériences de compost et un grand complexe de jardins et de pépinières… Il plaide pour la reforestation des territoires occupés pour stopper leur « steppisation » due aux négligences de ses occupants slaves. » Il travaille au département de conservation du paysage du gouvernement du Land de Saxe (1945-1949), et est dénazifié en 1948. Il poursuit sa carrière en République démocratique d'Allemagne (RDA) comme professeur d'université - dès 1955, il a une chaire d'art des jardins, d'aménagement paysager et de biologie de l'ingénierie – et directeur de son bureau d'architecture paysagère.

Dans quels autres lieux a été appliquée la méthode biodynamique ? Dans le gazon du Parc olympique du Reich à Berlin des JO de 1936 à Berlin, dans le potager du domaine du führer à Obersalzberg dès 1937, pour le « camouflage des installations militaires et de leurs servants en harmonie avec paysage, de l’Atlantique jusqu’en Ukraine, sur la Ligne Siegfried… »

Ancien opposant en RDA, le philosophe Rudolf Bahro (1935-1997), longtemps proche des Verts, est l'auteur de From Red To Green [1984], Building The Green Movement [1986], Avoiding Social & Ecological Disaster: The Politics of World Transformation [1987]. Il a exhorté à revendiquer le « côté positif » du mouvement nazi et espéré un « Adolf vert ». 

Absence de dénazification
Ce livre éclairant, si novateur, est doté d'un précieux index. 

« Il y aurait aussi à réfléchir sur des traces de national-socialisme dans l’animalisme, l’antispécisme, le culte de Gaïa, le nouveau paganisme, l’antilibéralisme en vogue aujourd’hui dans beaucoup de cercles écologistes. Ce sera l’objet d’une prochaine enquête… », a écrit avec pertinence Philippe Simonnot dans son dernier livre. Malheureusement, il est décédé avant sa publication.

Un panthéisme anti-Biblique, régressif et hypocrite (multiplication d'éoliennes malgré l'hécatombe d'oiseaux, parfois d'espèces protégées, recours à des matériaux non recyclables ou provenant du travail forcé d'enfants africains, etc.), prêt à sacrifier l'agriculture, à spolier les agriculteurs et à tuer des centaines de milliers de troupeaux dans l'Union européenne (UE) via l'idéologie écologique.

La dénazification de l’écologie n’a pas été menée, ni dans l’immédiat après-guerre ni depuis. Peut-être parce que l'écologie était perçue alors comme un mouvement marginal et non menaçant, parce que l’importance de l’intrication de l’écologie dans le nazisme était largement ignorée, parce que les Etats-Unis ont eux aussi connu dans les années 1930 un certain intérêt pour l’agriculture du régime nazi. Ajoutons que les écologistes et leurs alliés gauchistes, influents dans le monde de l'Education et dans les médias, ont eu intérêt à dissimuler un passé nazi embarrassant et ayant innervé des générations, et à pousser des cris d'orfraie en désignant un prétendu danger fasciste ou nazi à l'extrême-droite française. 

"Oui, ma famille avait la belle vie à Auschwitz, écrivit mon grand-père dans ses Mémoires. "Les enfants s'épanouissaient librement et sans contraintes. Ma femme avait son paradis fleuri. Dans le jardin, les enfants avaient toujours plein d'animaux que leur rapportaient les détenus. Tortues ou martres, chats ou lézards, le jardin offrait sans cesse d'intéressantes nouveautés. Ou alors ils pataugeaient dehors, l'été, dans le bassin. [...]" Et juste à côté, on gazait des enfants. Les cendres des morts servaient d'engrais pour ce "paradis fleuri". Un jour, Leo avait entendu ma grand-mère dire : "Lavez bien les fraises, les enfants, à cause de la cendre." Voilà dans quelle famille je suis né. Parfois, je n'ai qu'une envie : hurler. » (Rainer Höss, L'héritage du commandant : Le petit-fils du commandant d'Auschwitz raconte)

Dit « le Struthof », situé en Alsace alors annexée au Reich, "le KL Natzweiler n’était pas un camp d’extermination. En avril 1943, les nazis installent à l’extérieur du site, dans l’ancienne salle de bal de l’auberge du Struthof, une chambre à gaz, pour tester sur des déportés tsiganes une arme chimique de combat, le phosgène. A l’été de la même année, 86 juifs sélectionnés à Auschwitz sont gazés afin de rejoindre la collection de squelettes du professeur d’anatomie August Hirt. Gueule cassée de la Grande Guerre et membre du parti nazi, le médecin veut conserver une trace de la « race inférieure » vouée à l’extermination. Ces cadavres-là ne partent pas au four crématoire situé dans la longue baraque du bas. Les gardiens y brûlent plutôt les prisonniers pendus par la Gestapo ou ceux morts d’épuisement, et ils utilisent leurs cendres comme engrais dans le potager SS."

En 2007, Ravet-Anceau a publié Epluchures à la lilloise, un polar de Sandrine Rousseau, enseignante-chercheuse en sciences économiques, alors membre des Verts, et actuelle députée Europe Ecologie Les Verts (EELV). "Sébastien Fromentin a été poignardé, puis son meurtrier a tenté de lui arracher la peau du torse à l'aide d'un épluche-légumes. Ce meurtre inhabituel échoue sur le bureau de Jean Penan, inspecteur de police aux méthodes non-conventionnelles. Penan mène son enquête à sa façon, confond les victimes et les suspects, pose des questions saugrenues, s'attarde sur des détails et en oublie l'essentiel. A tel point que son chef se pose la question : Penan est-il vraiment compétent ?" 

"Rien ne se perd, tout se récupère, même les épluchures humaines – la peau de Sébastien Fromentin – ne sont pas jetées comme on pourrait l'imaginer avec les ordures ménagères, mais déversées par l'assassin sur le tas de compost du jardin de l'inspecteur". 

Interviewée par France 3, l'auteure souriait en promouvant son livre.


En France, le passé de René Dumont (1904-2001) a été soigneusement occulté. Ingénieur agronome, professeur, et essayiste prolifique - L'Afrique noire est mal partie (1962), L'Utopie ou la mort ! (1973) -, ce « pacifiste intégral » écologiste était tiers-mondiste et anti-israélien. Sous le régime de Vichy, il a écrit des articles publiés par « La Terre française », revue collaborationniste. En 1974, il a été le premier candidat à se présenter à l’élection présidentielle française sous l’étiquette écologiste.

Le 24 avril 2023, le parti Europe Écologie-Les Verts (EELV) a organisé au Sénat (Paris) la journée d'études « L’antisémitisme, en France : constater et combattre. » Le Crif a alors twitté : "Le Crif est intervenu aujourd'hui au colloque sur l'antisémitisme organisé par @EELV au Sénat. Une initiative inédite pour entamer un dialogue franc autour de l'antisémitisme contemporain à gauche. Antisionisme, islamisme, complotisme : tous les sujets ont été abordés." Non, pas tous. Les liens entre Bruns et Verts ont été éludés lors de ces tables-rondes. Une occasion historique manquée.

Au Mémorial de la Shoah (Paris), est exposé dans l'exposition sur la Musique dans les camps nazis, "L'orchestre de nains" de Sophie Nagel. Durant la Deuxième Guerre mondiale, des déportées du camp de Ravensbrück avaient créé des petites figurines représentant un orchestre de musiciens dont "les barbes sont constituées de poils de lapins Angora élevés dans le camp par les détenues pour l'industrie textile"... 


Philippe Simonnot, « Le brun et le vert. Quand les nazis étaient écologistes ». Les éditions du Cerf, 2022. 232 pages. ISBN : 9782204152402


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