Citations

« Le goût de la vérité n’empêche pas la prise de parti. » (Albert Camus)
« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du Soleil. » (René Char).
« Il faut commencer par le commencement, et le commencement de tout est le courage. » (Vladimir Jankélévitch)
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » (Albert Londres)
« Le plus difficile n'est pas de dire ce que l'on voit, mais d'accepter de voir ce que l'on voit. » (Charles Péguy)

samedi 27 août 2016

Cranach et son temps


Le musée du Luxembourg a rouvert ses portes par cette exposition éponyme consacrée à Lucas Cranach (1472-1553), peintre important, "fécond et polyvalent" de la Renaissance allemande, à une époque de "profonds bouleversements politiques et religieux marquée en particulier par la Réforme protestante dont la doctrine sera exprimée sous forme d'iconographie par Cranach. Le 15 août 2016, John Walter, juge californien, a statué en faveur du Norton Simon Museum. Il a débouté Marei von Saher, héritière du collectionneur néerlandais juif Jacques Goudstikker de sa requête visant à ce que lui soit restitué Adam et Eve (c.1530), diptyque de Lucas Cranach l'Ancien. 


Cette exposition s'articule autour de quatre thématiques : Lucas Cranach, un artiste européen ; la cour, les Pays-Bas et l’Italie ; un peintre de la beauté féminine ; un acteur de la réforme protestante.

Cette exposition souligne les influences des œuvres de Dürer et des artistes et humanistes des Pays-Bas sur cet artiste qui occupe une position officielle dès 1505 à la cour de Frédéric III le Sage (1463-1525), prince électeur de Saxe, Etat puissant du Saint Empire romain germanique, qui à Wittenberg protège Martin Luther (1483-1546), dont le visage sera popularisé via des tableaux et gravures par Cranach. La traduction allemande de la Bible est agrémentée de gravures par Cranach de Samson et Dalila ainsi que de David et Bethsabée pour illustrer le 6e commandement - "Tu ne commettras point d'adultère" -.

Ce mécène  lui confie des missions diplomatiques, et offre ses œuvres notamment à Charles Quint et à François 1er. Certaines enrichissent les collections du roi Henri VIII.

Une section est dédiée à la représentation du nu au travers de personnages féminins empruntés à l'Antiquité ou à la Bible - Eve du tableau inspiré d'une gravure sur cuivre de Dürer ; Judith, veuve israélite, est transformée par Cranach en héroïne de la résistance protestante -. Des images "ambiguës" mêlant érotisme et morale. Ainsi cette Justice dont les mains portent une balance, évoquant la pondération, et une épée symbole de la dureté du jugement.

Arte rediffusa les 22 mai et 3 juin 2016 Cranach, les voleurs et la Stasidocumentaire de Heike Nelsen-Minkenberg et Thomas Müller (2015, 52 min) : "Une nuit de mai 1980, les deux volets d'un retable peints par Lucas Cranach, dit "l'Ancien", sont dérobés dans une église de Klieken, un village de RDA proche de Wittenberg, où se trouvait l'atelier du maître. Vingt-sept ans plus tard, l'oeuvre estimée à des centaines de milliers d'euros sur le marché de l'art ressurgit tout aussi mystérieusement. Mais s'agit-il de l'original ou d'une excellente copie ? Afin de tenter d'élucider l'affaire, l'historienne Natalie Akbari et le criminologue Michael Baurmann s'associent pour mener l'enquête. Celle-ci les conduit au coeur des troubles activités de la Stasi et de la Koko, sa branche commerciale, impliquée dans le trafic d'art en échange de devises. Chantages, internement de collectionneurs en hôpital psychiatrique, vols : la police de renseignement est-allemande ne lésinait pas sur les méthodes pour se procurer des trésors, avant de les revendre à l'Ouest. Certains marchands d'art commandaient même directement à la Stasi les toiles et antiquités qu'ils convoitaient. Entre histoire de l'art et débats d'experts sur les attributions - un examen aux rayons infrarouges révèle ainsi que c'est un des élèves les plus doués de Cranach qui a exécuté le retable -, politique et polar, cette passionnante investigation, qui revisite l'oeuvre du pionnier du nu profane, met en lumière l'extraordinaire opacité du marché de l'art en Europe et la faiblesse Une enquête édifiante sur le vol d'un retable de Cranach en Allemagne de l'Est, qui montre le rôle actif de la Stasi, alors en quête de devises, dans le trafic d’œuvres d'art".

Le 15 août 2016, John Walter, juge californien, a statué en faveur du Norton Simon Museum. Il a débouté Marei von Saher, héritière du collectionneur néerlandais juif Jacques Goudstikker de sa requête visant à ce que lui soit restitué Adam et Eve (c.1530), diptyque de Lucas Cranach l'Ancien. Cette affaire dure depuis dix ans devant la justice. Le juge a considéré que la famille Goudstikker n'avait pas respecté le délai concernant une réclamation en propriété de peintures. La Norton Simon Foundation a déclaré qu'elle "prend au sérieux la responsabilité fiduciaire à l'égard du public que notre titre de propriété d'oeuvres d'une telle importance confère. Nous avons exposé au public de manière quasi-continue les panneaux depuis 1971, et nous continuerons d'assurer qu'ils demeurent accessibles pour le public pendant les années à venir".

Le collectionneur juif Jacques Goudstikker a été contraint de vendre ces tableaux au dirigeant nazi Hermann Göring durant la Deuxième Guerre mondiale. Goudstikker avait acheté ces œuvres, qui avaient été mises en vente aux enchères par le gouvernement soviétique à Berlin, en 1931, avant de fuir l'Allemagne pour les Pays-Bas, qui sont tombés sous le joug nazi en 1940. C'est alors qu'il avait été contraint à cette vente à Göring ; les œuvres sont retournées aux Pays-Bas après la guerre.

“Evidemment, Mme von Saher est déçue par la décision de la Cour, et elle a l'intention d'interjeter appel”, a annoncé Larry Kaye, de la firme new-yorkaise Herrick Feinstein, à Artnet News. “Pendant les nombreuses années pendant lesquelles elle a cherché justice à propos du vol des biens de Jacques Goudstikker par les Nazis, Mme von Saher a eu beaucoup de succès, notamment quand ceux en possession de ses œuvres d'art ont bien agi et lui ont rendu des œuvres sans qu'elle ait à saisir la justice. Vraiment, Mme von Saher croit fermement que des négociations amiables sont le meilleur moyen à l'égard des revendications d’œuvres d'art volées par les Nazis et  ont résolu des douzaines de réclamations avec des particuliers, galeries et musées. Bien qu'elle ait affronté une résistance dans cette affaire, elle demeure optimiste sur sa victoire finale.”
Desi Goudstikker, la veuve de Jacque, a eu l'opportunité de réclamer les tableaux après la guerre, mais n'a pas initié de procédure, car elle pensait que le procès ne serait pas équitable.
Puis, de manière inattendue, les Stroganoffs, ont réclamé Adam et Eve. En 1961, George Stroganoff, alors exilé, a réclamé ces œuvres de Cranach, ainsi qu'un Rembrandt et un Petrus Christus, en indiquant qu'elles avaient été prises à sa famille après la Révolution russe.
Cependant Marei von Saher affirme que ces tableaux ont été pris par les Bolcheviques dans une église de Kiev.
Le gouvernement néerlandais a vendu Adam et Eve et le Petrus Christus à Stroganoff pour 60 000 florins en 1966, après avoir renoncé à réclamer le Rembrandt. En 1971, un collectionneur américain Norton Simon a acheté Adam et  Eve à Stroganoff pour $800 000.
Le Pasadena Museum of Modern Art a été renommé Musée Norton Simon en 1975 et a reçu sa collection, dont les tableaux de Cranach.
Depuis 2007, Von Saher réclame ces tableaux devant la justice américaine fédérale, mais on lui objecte toujours que Desi Goudstikker ne les a jamais réclamés. Mais le fait que l'affaire ait été entendue par la justice est en soi remarquable.
“Si ces tableaux ne reviennent pas à leur propriétaire, il y a un réel problème sur la manière de traiter les œuvres d'art volées par les Nazis” a dit E. Randol Schoenberg, avocat pour Von Saher, à  TAN.

Jusqu'au 23 mai 2011
Au musée du Luxembourg
19, rue de Vaugirard, 75006 Paris
Tél. : 01 40 13 62 00
Tous les jours de 10 h à 20h, nocturnes le vendredi et le samedi jusqu'à 22 h

Visuels
Lucas Cranach L’Ancien
Allégorie de la justice
1537
Panneau, 74 x 52 cm
collection privée
© Collection privée

Lucas Cranach L’Ancien
Autoportrait
1531
huile sur panneau de hêtre,
45,4 x 35,6 cm
Burgen, Schlösser Altertümer
© GDKE Rheinland-Pfalz
Lucas Cranach L’Ancien
Adam et Eve
vers 1510
tempera et huile sur bois, 58 x 44 cm
Varsovie, Museum Narodowe w Warzawie
© Museum Narodowe w Warzawie

Articles sur ce blog concernant :
Cet article a été publié le 17 mai 2011, et 21 mai 2016. 

dimanche 21 août 2016

« Un espion au cœur de la chimie nazie : Zyklon B - Les Américains savaient-ils ? » d’Egmont R. Koch et de Scott Christianson


Histoire diffusera les 22 et 28 août, 2, 7 et 12 septembre 2016 « Un espion au cœur de la chimie nazie : Zyklon B - Les Américains savaient-ils ? » (Der Spion vom Pariser Platz - Wie die Amerikaner von Hitlers Giftgas erfuhren) d’Egmont R. Koch et de Scott Christianson (2010). Un documentaire sur les relations industrielles et commerciales étroites perdurant sous le nazisme entre l’américaine Du Pont de Nemours et l’allemande IG Farben dont l’une des filiales, Deguesh, a fabriqué le gaz Zyklon B utilisé pour tuer les Juifs dans les chambres à gaz des camps d’extermination. Député et conseiller économique d’IG Farben, Erwin Respondek (1894-1971) a informé les Etats-Unis sur des plans d’Hitler, notamment sur l’utilisation de ce gaz."Le procédé pour fabriquer le gaz Zyklon B à base d'acide prussique était détenu par le trust allemand IG Farben, regroupant les plus grandes entreprises chimiques d’outre-Rhin. De son côté, la firme américaine Dupont de Nemours, qui avait passé dès 1927 des accords avec IG Farben en matière de recherche et de développement, travaillait aussi sur l’acide prussique et avait déjà testé son produit en 1924 sur un condamné à mort. Le 3 septembre 1941, les SS font une expérience de gazage sur des prisonniers de guerre soviétiques internés à Auschwitz. Parallèlement, Erwin Respondek, un économiste au service d'IG Farben qui désapprouvait la politique des nazis, commence à faire passer des informations sur les gaz asphyxiants allemands via l’ambassade américaine située tout près de son bureau berlinois. Mais le gouvernement américain ne semble guère s’en préoccuper..."



« Mon père n’était pas un résistant, mais un agent, un espion, extrêmement courageux », estime Henriette Respondek, fille d’Erwin Respondek.

"Le procédé pour fabriquer le gaz Zyklon B à base d'acide prussique était détenu par le trust allemand IG Farben, regroupant les plus grandes entreprises chimiques d’outre-Rhin. De son côté, la firme américaine Dupont de Nemours, qui avait passé dès 1927 des accords avec IG Farben en matière de recherche et de développement, travaillait aussi sur l’acide prussique et avait déjà testé son produit en 1924 sur un condamné à mort. Le 3 septembre 1941, les SS font une expérience de gazage sur des prisonniers de guerre soviétiques internés à Auschwitz. Parallèlement, Erwin Respondek, un économiste au service d'IG Farben qui désapprouvait la politique des nazis, commence à faire passer des informations sur les gaz asphyxiants allemands via l’ambassade américaine située tout près de son bureau berlinois. Mais le gouvernement américain ne semble guère s’en préoccuper..."

« Les affaires continuent… »

Pendant la Première Guerre mondiale, les armées allemande, française et britannique recourent aux armes chimiques pour la première fois sur les champs de bataille. Ce qui tue des milliers de soldats asphyxiés et induit des lésions graves chez des dizaines de milliers d’autres.

Le 8 février 1924, dans la prison d’Etat de Carson City (Nevada), l’exécution d’un condamné à mort, Gee Jon, est effectuée pour la première fois, non par pendaison ou fusillade, mais par l'acide prussique dans une échoppe transformée en chambre à gaz. Ce gaz de la firme DuPont de Nemours était alors utilisé, sous de larges tentes, contre les parasites dans les orangeraies. Les Etats-Unis effectuaient des tests avec différents gaz en vue de leur utilisation au combat. Comme les cobayes humains étaient interdits dans ce pays, cette exécution est alors suivie avec intérêt par le Service américain de la guerre chimique. Or, lors de l'exécution, le gaz se liquéfie en raison de la température basse ; l'agonie dure 15 minutes. Si le directeur de la prison loue cette « méthode élégante et humaine », les opposants la qualifient de « barbare ».

Dans les années précédant l’inauguration du nouveau siège social d’IG Farben (IG-Farbenindustrie AG) à Francfort en novembre 1930, les grandes entreprises de la chimie d’outre-Rhin – en particulier BASF, Bayer, Agfa, Höchst - se sont associées pour constituer IG Farben, un trust et cartel visant le partage des marchés mondiaux.

Né dans une famille catholique, Erwin Respondek en est un conseiller économique précieux : il a travaillé au ministère allemand des affaires étrangères et a négocié un accord secret à Genève avec le célèbre groupe chimiste américain DuPont de Nemours fondé en 1802. Ces deux entreprises partageraient leurs secrets sur les projets en développement et créeraient ainsi un « monopole partagé sur les nouveaux produits à l’étude » et les futures décisions afin de garantir les bénéfices et de maximiser leurs profits, voire se partager les marchés. A l’origine fabriquant de poudre à canon, DuPont est alors le fournisseur le plus important de munitions et d'explosifs de l’armée américaine pendant la Première guerre mondiale. Après cette guerre, DuPont propose à l’Allemagne ses armes dont la production est interdite à ce pays vaincu.

Erwin Respondek rédige les clauses de ce contrat (1927) entre les deux firmes, notamment celles sur « les colorants et les produits chimiques industriels comme l’acide prussique utilisé dans la métallurgie et la lutte contre les parasites » : rats, puces, cafards et autres animaux nuisibles.

Dans le but de lutter contre la vive concurrence et d’attaquer le marché américain, IG Farben prend une participation dans la société Degesch (Deutsche Gesellschaft für Schädlingsbekämpfung) qui développe depuis quelques années un produit dérivé à base d’acide prussique, le zyklon B. Fixé sur un granulé de sable, contenu dans une boite à conserve étanche, l’acide prussique devient volatile au contact de l’air et se répand sous la forme d’un gaz, comme le montre un film publicitaire Kleinkrieg. C’est un des produits d’IG Farben les plus vendus.

A Berlin, l’ambassade des Etats-Unis se trouve sur la Pariser Platz (place de Paris), près de la porte de Brandebourg et des bureaux d’Erwin Respondek, conseiller économique d’IG Farben et député du Zentrum (parti du Centre) au Reichstag.

Dans les années suivant l’arrivée au pouvoir d’Hitler en 1933, Erwin Respondek aide des Juifs allemands souhaitant émigrer à transférer leurs actifs à l’étranger. Il  « met en place un réseau secret contre les Nazis ».

Aux Etats-Unis, les dirigeants de DuPont de Nemours s’enthousiasment pour le chancelier nazi. « Ce qu’il a obtenu jusqu’à présent est remarquable », écrit dont Alfred I. DuPont le 23 novembre 1933, à propos d’Hitler pour lequel il éprouve de la « sympathie ». Quant à Benno Hiebler Du Pont, il écrit le 4 avril 1933 : « Les Juifs riches qui ont volé des millions et des millions doivent maintenant en répondre. La solution de la « question juive » est pour Hitler une affaire épineuse et périlleuse ».

Pierre DuPont « avait avoué avoir des ancêtres Juifs. Pourtant, il continuait à renforcer ses relations avec IG Farben et l’Allemagne nazie ». Prudent, il code « ses télégrammes comme l’aurait fait un service d’espionnage ».

Le Congrès américain lance des enquêtes sur les cartels internationaux. Les trois frères DuPont se voient reprochés le commerce illicite de munitions avec IG Farben, mais sans que rien n’altère leur activité dans des cartels.

Défiant la Maison Blanche, ils soutiennent « une tentative de putsch de la mouvance fasciste contre Roosevelt ». DuPont  « a apporté un soutien financier à des mouvements d’inspiration fasciste », précise l’historien Ray Stokes. Ironie de l’Histoire : le fils Roosevelt épouse une jeune femme issue de la famille DuPont, en présence de la famille de l’époux et en l’absence de celle de la mariée.

Une  héritière de la dynastie américaine, Madeleine DuPont épouse un Allemand et a trois fils. En 1931, elle se remarie. Tandis qu'elle défendera « la pureté de la race allemande », ses trois fils combattront dans l'Armée allemande...

Dans les années 1930, le parti nazi écarte du pouvoir certains dirigeants d’IG Farben, dont Carl Bosch – Prix Nobel de chimie en 1931 - , pour y placer des hommes sûrs, en particulier Hermann Schmitz qui succède en 1940 à Bosch. Hitler prépare ses plans de conquête et son armée. Ce qui bénéficie à IG Farben.

Des préparatifs de guerre dont se doute la firme américaine qui enregistre une croissance de son chiffre d’affaires. « Il faut accepter le réarmement de l’Allemagne et l’accroissement de son armée… et mêmes certains épisodes annexes comme l’émigration (des Juifs) et les camps de concentration », écrit DuPont Berater F. Cyril James le 13 avril 1939.

En 1937, un nouveau modèle de chambre à gaz est breveté aux Etats-Unis. Début 1939, un prisonnier est exécuté avec de l’acide prussique dans une prison de Caňon City (Colorado) : les autorités ont estimé la dose exacte en observant de précédentes exécutions de condamnés. Des études médicales sont publiées sur les réactions chimiques, l’agonie des prisonniers.

Les militaires demeurent sceptiques quant à l’utilisation de gaz sur les champs de bataille. IG Farben teste de nouveaux gaz en prévision de la guerre.

Après l’invasion de la Pologne (1939), l’Allemagne prépare à l’été 1940 celle de l’Union soviétique.

Ayant glané des informations sur cette invasion auprès de sources fiables, haut placées dans l’armée et le parti nazi ainsi que parmi des intimes du Führer, Erwin Respondek hésite : doit-il transmettre ces informations – « abattre politiquement et militairement l’URSS » - à l’ambassade des Etats-Unis à Berlin ? Ce qui est assimilable à une crime de haute trahison, lourd de risques pour sa famille et lui. Finalement, il communique aux diplomates américains ses informations, qui sont transmises au président Roosevelt. Le Département d’Etat les livre à l’ambassadeur de l’URSS à Washington, qui en fait part à Staline. Incrédule, celui-ci les qualifie de « provocations » et ne prépare pas son pays à l'offensive allemande.

Ignorant cela, Erwin Respondek poursuit sa carrière d’espion… Dans une lettre, il informe les Américains de l’utilisation de gaz de combat en cas d’invasion de la Grande-Bretagne et d’autres secrets, telle la production d’acide prussique.

Le camp d'Auschwitz
C’est la devise d’IG Farben – « Arbeit macht frei » (Le travail rend libre) – qui est placée à l’entrée des camps de concentration et d’extermination nazis.

Dans le but de réaliser la « Solution finale », un test sur des êtes humains est réalisé. Le 3 septembre 1941, les SS effectuent une « opération ultra secrète » dans le sous-sol du baraquement n°11 du camp d’Auschwitz. Ils y enferment plusieurs centaines prisonniers de guerre soviétiques et, munis de masques à gaz, ils répandent par les fenêtres des granulés imbibés d’acide prussique. Un gaz asphyxiant se dégage. Quarante huit heures plus tard, tous les prisonniers sont morts. Les nazis connaissent désormais la quantité de gaz nécessaire pour tuer un certain nombre d'êtres humains à une certaine température.

A Auschwitz, IG Farben a installé une usine employant des déportés, travailleurs forcés.

A Auschwitz-Birkenau, la sélection élimine les Juifs considérés comme inaptes au travail forcé dès leur arrivée en wagons à bestiaux. Ces Juifs sont assassinés dans les chambres à gaz, puis leurs cadavres sont incinérés dans des fours disposés à proximité. Environ un million de Juifs sont tués par gaz à Auschwitz-Birkenau.

Via une filiale basée en Suisse et malgré l'entrée en guerre des Etats-Unis en 1941, les deux firmes DuPont de Nemours et IG Farben continuent leurs relations d'affaires. Des informations sur les gaz asphyxiants utilisés lors de la Shoah parviennent à la firme américaine très tôt.

Peu avant la libération du camp, les nazis font sauter les chambres à gaz pour éliminer les traces de leurs crimes.

En 1947, des dirigeants d’IG Farben  sont jugés par le Tribunal de Nuremberg, reconnus coupables de crimes de guerre et condamnés à des peines de prison. Hermann Schmitz, qui a plaidé non coupable, est condamné à une peine d'emprisonnement pour avoir fait travailler des déportés dans des conditions d'esclavage ; il est vite gracié. En 1950, la firme IG Farben est dissoute. Les sociétés la composant retrouvent leur indépendance en 1952... et rapidement leurs dirigeants ex-nazis.

Erwin Respondek espère un travail auprès des Américains. Mais ses courriers au gouvernement militaire américain restent sans réponse. Erwin Respondek épouse une infirmière en 1955 ; le couple a une fille. Sans l'emploi tant espéré, l'amertume et la tristesse gagnent Erwin Respondek, dont la vie devient difficile et la mort passe inaperçue. On peut regretter des lacunes dans ce film à la fois sur la vie et l'action d'Erwin Respondek.

La firme américaine ne rendra jamais aucun compte sur ses relations avec IG Farben pendant la Seconde Guerre mondiale.

Curieusement, aucun des visuels disponibles pour la presse ne montre le camp d'Auschwitz, les vestiges des chambres à gaz, les boites de zyklon B produites par Degesch, etc. 



d’Egmont R. Koch et de Scott Christianson
WDR, Allemagne, 2010, 52 minutes
Diffusions les :

- 2 novembre 2011 à 20 h 40, 5 novembre 2011 à 16 h et 8 novembre 2011 à 10 h
Visuels de haut en bas :
Erwin Respondek
© Privat

Gee Jon
© Staatsarchiv Nevada

© Archiv BASF

© Staatsarchiv Nevada

Articles sur ce blog concernant :
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Cet article a été publié les 2 novembre 2011 et 1er septembre 2014, 30 juin 2015, 23 février 2016.

mercredi 17 août 2016

« Le Film Maudit - Jud Süss » par Oskar Roehler


Joseph Süss Oppenheimer (1698-1738) est un célèbre Juif de cour en Allemagne. Son destin tragique inspire des pamphlets antisémites. Des romanciers juifs allemands réhabiliteront dans des romans historiques. Publié en 1925, Le Juif Süss, roman historique de Lion Feuchtwanger, connait un grand succès, surtout hors d'Allemagne. Il inspire le film éponyme de Lothar Mendes en 1934. Sous le IIIe Reich, à l'initiative de Goebbels, Veit Harlan trahit ce roman en réalisant en 1940 un film de propagande antisémite. Arte diffusera le 17 août 2016 « Le Film Maudit - Jud Süss » (Jud Süss - Film Ohne Gewissen), par Oskar Roehler.

Commerçants, fournisseurs aux armées ou financiers, des Juifs sont invités à conseiller princes et ducs allemands, et à financer leurs dépenses, leurs armées dans une Europe menacée par les Turcs et divisée en dynasties royales aux alliances variables.

Ces Juifs de cour (Hofjuden ou Hoffaktor) participent à la modernisation économique et financière des États allemands, notamment en instituant une administration fiscale.

Joseph Süss Oppenheimer
Fils d’un négociant, Joseph Süss Oppenheimer (1698-1738) est un célèbre Juif de cour, dont le rang s’avère similaire à celui d’un noble dans l’Allemagne morcelée en petits Etats du XVIIIe siècle. Pour le duc du Wurtemberg, Charles-Alexandre, il agit afin d’abolir les privilèges du Parlement et renforcer le pouvoir du duc, renfloue les caisses ducales, s’enrichit dans la banque et l’industrie de la porcelaine et mène un train de vie fastueux tout en devenant impopulaire. Arrêté après le décès prématuré du duc, spolié, il est condamné à mort et pendu devant une foule de 12 000 spectateurs. Il meurt en prononçant le début de la prière juive Shema Israël (Ecoute Israël).

Son destin tragique a un fort écho en Allemagne. Dès la première moitié du XVIIIe siècle, des pamphlets puis une nouvelle de Wilhelm Hauff en 1827 ont présenté de manière négative le Juif Süss en comploteur, sans scrupule.

Des romanciers juifs – Marcus Lehmann en 1872, Salomon Kohn en 1886 – et l’historien Manfred Zimmermann dans sa thèse ont alors montré sous un jour favorable Süss.

Né dans une famille bavaroise juive assimilée, Lion Feuchtwanger s’est distancé du judaïsme. Il s’est intéressé dès 1916 à Süss. Sur ce « Juif de cour », il a créé une pièce de théâtre dramatique interprétée à Munich en octobre 1917. Une œuvre mal accueillie par la critique.

En 1925, est publié Le Juif Süss, roman historique de Lion Feuchtwanger.

Un best-seller international qui retrace le parcours de Joseph Süss Oppenheimer dans l’Allemagne du XVIIIe siècle. Petit-fils de rabbin, financier brillant et doté d’un sens aigu de la politique, Süss Oppenheimer devient en 1732 le conseiller du futur duc de Würtemberg, le prince Charles-Alexandre. Impopulaire, ce « Juif de cour » vit dans le luxe et protège ses coreligionnaires. Épris de la fille de Süss, le prince la mène au suicide. Süss se venge ; ce qui précipite sa chute. Après le décès du prince, Süss Oppenheimer est accusé de tous les maux, et emprisonné. Il redécouvre le judaïsme, refuse de se convertir – ce qui aurait pu lui sauver la vie - et est pendu en place publique. Ses coreligionnaires parviennent à l’enterrer selon les règles du judaïsme. Dans son roman, Lion Feuchtwanger insiste sur l’humanité du Juif Süss.

Ce roman est adapté par deux dramaturges : Ashley Dukes en 1929 à Londres, et Paul Kornfeld en 1930. Historienne allemande du judaïsme, Selma Stern rédige une biographie de Joseph Süss Oppenheimer. Un livre brûlé lors d’autodafés par les Nazis en 1933.

En 1934, Lothar Mendes (1894-1974), qui a débuté une carrière d’acteur à Berlin dans la troupe de Max Reinhardt, réalise un film britannique philosémite inspiré du livre de Lion Feuchtwanger.

Un film interprété par  Conrad Veidt, évoquant l’antisémitisme de l’Allemagne nazie et distribué aux Etats-Unis sous le titre Power-Juif Süss.

Ce personnage historique a aussi inspiré Jacques Kraemer, auteur de la pièce de théâtre La Véridique histoire de Joseph Süss Oppenheimer dit Le Juif Süss (1981), Detlev Glanert auteur de l’opéra Joseph Süß monté pour la première fois en 1999 à Brême.

Film nazi
Hitler souhaite l’équivalent nazi du Cuirassé Potemkine (1925), chef d’œuvre d’Eisenstein.

Quatre films de propagande antisémite sont tournés dans les studios de Babelsberg : Robert und Bertram de Hanz Heinz Zertlett en 1939, Die Rothschild Aktien von Waterloo d'Erich Waschneck, Jud Süss de Veit Harlan et Der ewige Jude de Fritz Hippler en 1940.

Ministre du IIIe Reich à l’Éducation du peuple et à la Propagande, Joseph Goebbels avait vu le film britannique si favorable au Juif Süss.

Dès 1938, il a reçu la proposition du scénariste Ludwig Metzger d’adapter le roman de Feuchtwanger.

En 1939, le script est élaboré par plusieurs individus, dont Eberhard Wolfgang Möller, qui travaille dans le ministère dirigé par Goebbels. Ce ministère est chargé de soutenir le discours du Führer annonçant sa volonté de tuer les Juifs. Et ce, dans un contexte marqué par l’invasion de la Pologne, où vivent plus de trois millions de Juifs, par l’Allemagne hitlérienne.

C’est cette histoire tragique que les Nazis vont détourner pour produire en 1940 – année de sortie du Dictateur, de Charlie Chaplin - un film antisémite, de propagande doté d’un budget élevé : deux millions de reichsmark.

La réalisation en est confiée à Veit Harlan (1899-1964) qui lit attentivement le roman pour mieux crédibiliser l’intrigue. Il dispose d’une excellente équipe technique.

Dans ce film nazi réalisé sous le contrôle de Goebbels – il visionne quotidiennement  tous les rushes -, le Juif Süss présente les stéréotypes judéophobes physiques - nez important, allure sale – et moraux - cupidité, cruauté, fourberie, perversion sexuelle – dans trois personnages juifs.

Comédien autrichien, vedette du cinéma nazi, Ferdinand Marian interprète le Juif Süss. Un rôle qui propulse sa carrière. Kristina Söderbaum incarne le principal personnage féminin.

Le film de 92 minutes reçoit un accueil enthousiaste, notamment d’Antonioni, lors du festival de Venise, dans l’Italie fasciste du Duce Mussolini. Le Lion d’Or lui est remis.

En Europe sous joug nazi, le film Jud Süß est vu par plus de 20 millions de spectateurs et induit une recette totale de 6,2 millions de marks en Allemagne. Il est distribué en France en 1941 où il est vu par un million de spectateurs payants jusqu’en 1944. Il suscite quelques réactions hostiles.

En 1941, Lion Feuchtwanger rend publique sa lettre ouverte aux États-Unis à Werner Krauß, Heinrich George et Eugen Klöpfer. Il s’interroge sur les raisons ayant présidé à la trahison de son livre.

La Suisse interdit à la fois les deux films intitulés Le Juif Süss, celui de Lothar Mendès et celui de Veit Harlan.

En 1943, le Prix de la UFA est remis à Veit Harlan.

A la Libération, il est interdit en Occident. Quasiment toutes les copies sont détruites.

Jugé à deux reprises, Veit Harlan avance avoir travaillé sous contrainte. Une commission de dénazification le « blanchit » en 1948. Harlan reprend sa carrière dès 1950.

Les autres collaborateurs du film reprennent eux aussi le chemin des studios…

Le monde arabe en diffuse quelques copies du film antisémite dans les années 1960 et par une entreprise de la République démocratique allemande (RDA) sous l’orbite soviétique dans le cadre d’une politique anti-israélienne.

Dès 1955, la projection du film est autorisée en République fédérale allemande (RFA) sous influence occidentale et dès 1990 dans l’Allemagne réunifiée, en particulier lors de colloques sur le nazisme.

« Le Film maudit »
« À l'hiver 1939, Joseph Goebbels cherche l'interprète principal du Juif Süss, film de Veit Harlan retraçant la chute de Joseph Süss Oppenheimer, conseiller financier du duc de Wurtemberg exécuté en 1738. Le ministre de la Propagande du IIIe Reich jette son dévolu sur l'acteur non juif Ferdinand Marian, qui présente selon lui de parfaits « traits sémites ». Marié à Anna, qui a renoncé à la comédie pour dissimuler ses origines juives, Marian refuse le rôle au risque de voir sa carrière anéantie. Mais les menaces et les pièges de Goebbels ont bientôt raison de sa volonté ». Le comédien Marian s’efforce d’atténuer, voire de contredire la thèse haineuse du film.

« L'ascension et la déchéance de Ferdinand Marian, acteur autrichien choisi par Goebbels pour tenir le rôle-titre du film de propagande nazi « Le juif Süss ». Prenant ses libertés avec l'histoire - la figure d'Anna symbolisant le sort des artistes juifs sous le IIIe Reich - pour mieux sonder la vérité du personnage, Oskar Roehler (Les particules élémentaires) retrace la descente aux enfers de Ferdinand Marian, de son dilemme moral initial à sa mort, dans l'oubli et l'alcool, en août 1946 ».

Un « biopic saisissant, servi par un impeccable trio d'acteurs (Tobias Moretti, Moritz Bleibtreu, Martina Gedeck) et une palette aux couleurs désaturées, se fondant dans l'esthétique du cinéma d'alors ».

Présenté à la Berlinale 2010, ce film a suscité une vive polémique en raison de ses libertés avec l’Histoire. Un film en compétition sifflé lors de sa projection de presse. Parmi les reproches adressés aux auteurs du film : Ferdinand Marian a continué à tourné des films après le Juif Süss, et notamment Les Aventures fantastiques du baron Munchhausen (1942), et est mort non par suicide mais lors d’un accident de voiture en 1946 et son avenir n’était pas obéré par sa carrière sous le IIIe Reich ; son épouse n’avait pas d’origines juives mais avait été la compagne de Julius Gellner (1899-1983), célèbre metteur en scène juif. « Elle avait eu un premier mari juif et Goebbels faisait pression sur elle pour cette raison. Si nous lui avons donné une ascendance juive, c'était pour illustrer les pressions exercées sur les acteurs », s'est défendu Klaus Richter.
 

« Le Film Maudit - Jud Süss » par Oskar Roehler
Autriche, Allemagne, Clasart Film- und Fernsehproduktion, Novotny & Novotny Filmproduktion, Tele München Fernseh Produktionsgesellschaft, Tara Film, Lotus-Film, Ulrich Seidl Film Produktion, ARD, Arte, 2010, 101 min
Auteur : Friedrich Knilli
Image : Carl-Friedrich Koschnick
Montage : Bettina Böhler
Musique : Martin Todsharow
Producteur/-trice : Franz Novotny, Markus Zimmer
Scénario : Klaus Richter, Oskar Roehler, Franz Novotny, Michael Esser
Avec Tobias Moretti, Moritz Bleibtreu, Martina Gedeck, Justus von Dohnányi, Armin Rohde, Anna Unterberger, Heribert Sasse
Sur Arte le 17 août 2016 à 20 h 55

Visuels : © ARD/Degeto

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Les citations non sourcées sont d'Arte.

lundi 8 août 2016

« Lise Meitner, mère de la bombe atomique » de Wolf von Truchsess et Andreas G. Wagner


Arte a rediffusé « Lise Meitner, mère de la bombe atomique » (Lise Meitner - Die Mutter der Atombombe), documentaire (2012) de Wolf von Truchsess et Andreas G. Wagner. Viennoise Juive, devenue physicienne en dépit du sexisme des milieux universitaires des années 1900 et indéfectible pacifiste, surnommée par Albert Einstein la « Marie Curie allemande », Else (« Lise ») Meitner (7 novembre 1878-27 octobre 1968) a découvert en 1938 la fission nucléaire. En 2016, le Japon a commémoré le 71e anniversaire de l'explosion de la bombe atomique, le 6 août 1945, à Hiroshima, causant 140 000 morts. Le 9 août, les pilotes américains ont largué une bombe à plutonium "Fat Man" sur Nagasaki, causant 60 à 80 000 morts. Le 15 août 1645, le Japon impérial capitulait.


La vie de Lise Meitner illustre le sexisme du Prix Nobel, l’antisémitisme nazi qui a privé l’Allemagne d’une des plus grandes physicienne et les croyances erronées de pacifistes.

Les travaux scientifiques de Lise Meitner auraient dû lui valoir le prix Nobel.

La « Marie Curie allemande »
Elise (« Lise ») Meitner est née en 1878 à Vienne, alors dans l’empire austro-hongrois, dans une famille Juive nombreuse. Son père, Philip Meitner, est l’un des premiers avocats Juifs autrichiens, et un libre penseur, membre de la bourgeoisie libérale. Les enfants Meitner grandissent dans un milieu cultivé, stimulés à poursuivre leurs études.  Lise Meitner apprend le piano, s'intéresse aux mathématiques et aux sciences, et  cultive son indépendance d'esprit et sa capacité d'étonnement.

La scolarité des filles s’achevait lorsqu’elles avaient 14 ans. Le Gymnasium (lycée) leur était interdit, tout comme les cours de mathématiques et physique.

Les femmes sont admises à l’université en 1897. Avec deux autres jeunes filles, Lise Meitner prépare pendant deux ans l’examen final de l’enseignement secondaire, la Matura, afin de s’y présenter en candidate externe et de pouvoir étudier à l’université. En 1901, elle entre à l’Université de Vienne. Elle est mue par "la soif de connaissance, et la recherche de la vérité".

Devenue en 1906 la deuxième femme docteur de l’université de Vienne, elle obtient l’autorisation de travailler à Berlin aux côtés de Max Planck à une époque où les laboratoires prussiens étaient interdits aux femmes.

Après une année d’études de physique, chimie, mathématiques et botanique, Lise Meitner se spécialise en physique. Elle suit les cours du célèbre physicien théoricien Ludwig Boltzmann qui l'encourage. Malade, cet universitaire se suicide en 1906.

En 1905, Franz-Serafin Exner, physicien expérimentateur aux travaux pionniers sur la radioactivité, dirige le doctorat de Lise Meitner sur les équations de Maxwell. Lise Meinter soutient en décembre 1905 son mémoire sur la conduction de la chaleur dans les solides inhomogènes. Composé de Boltzmann et Exner, le jury lui décerne la mention summa cum laude, et son diplôme lui est remis en février 1906.

Grâce à Paul Ehrenfest, ancien étudiant de Boltzmann, Lise Meitner lit les articles de Lord Rayleigh, notamment celui sur un effet d’optique inexpliqué. Elle découvre l’explication et ouvre, par ses recherches, de nouvelles pistes.

Elle s’initie aux procédures expérimentales pour étudier la radioactivité auprès de Stefan Meyer, assistant à l’Institut Boltzmann. Elle s’intéresse particulièrement à l’absorption des rayonnements alpha et bêta dans les métaux.

Toute carrière académique lui étant interdite, Lise Meitner s’installe à Berlin en 1907. Là, le professeur Max Planck l’autorise à suivre ses cours. Elle travaille dans le laboratoire de Heinrich Rubens, professeur de physique expérimentale. Et évolue dans un vivier de scientifiques et Prix Nobel.

Elle se lie d’amitié avec le jeune chimiste Otto Hahn, assistant à l'institut dirigé par Emil Fischer. Tous deux collaboreront durant 30 ans. Spécialiste de la radioactivité, le tandem gagne une reconnaissance internationale. Il se complète : Lise Meitner, théoricienne, Otto Hahn expert en chimie analytique.

En 1911, est créée la société Kaiser-Wilhelm pour l’avancement des sciences (KWG), un organisme composé de plusieurs instituts de recherche. Lise Meitner y rejoint Otto Hahn qui dirige le département de chimie.

Lors de la Première guerre mondiale, tandis qu'Otto Hahn conçoit des gaz de combat, Lise Meitner s’engage comme infirmière dans un hôpital militaire, radiologue sur le front de l’Est. "La science est ma patrie", déclare-t-elle.

En 1916, elle retourne poursuivre ses recherches à Berlin.

L’année suivante, elle est nommé directrice du département de physique du KWI-C.

Les travaux de Meitner et Hahn concernent la radioactivité : découverte d’isotopes, du protactinium (1918). Lise Meitner effectue des recherches en physique nucléaire, découvre la transition non-radiative, mesure la masse du neutron, étudie les réactions nucléaires artificielles, veille à la construction d’un accélérateur de particules, etc.

En 1934, elle conçoit un programme avec Otto Hann et Fritz Strassmann qui aboutira en 1938 à la fission nucléaire.

En 1933, Otto Frisch, scientifique et neveu de Lise Meitner, est contraint de fuir l’Allemagne nazie qui écarte les Juifs de la fonction publique, puis de la KWG financée par des capitaux privés et publics. Parmi les rares scientifiques Juifs tolérés par les Nazis : Lise Meitner protégée par sa nationalité autrichienne jusqu’à l’Anschluss (annexion de l’Autriche par l’Allemagne) en mars 1938.

La physicienne est contrainte de quitter l’Allemagne en juillet 1938. Cette apatride se réfugie aux Pays-Bas, puis en Suède dont elle obtiendra la nationalité en 1949.

De son exil suédois, par des correspondances et des rencontres, elle aide Otto Hahn à comprendre et à théoriser la fission nucléaire, la fission des noyaux lourds – une découverte fondamentale qui vaudra à ce scientifique le Prix Nobel de chimie en 1944. Sexisme ou antisémitisme ? Aucune indication ne mentionne Lise Meitner.

Avec son neveu Otto Frisch, elle présente la première explication théorique de la fission nucléaire.

Par conviction pacifiste et éthique, Lise Meitner refuse de rejoindre les scientifiques qui participent au projet Manhattan pour réaliser l’arme nucléaire destinée à exploser en Allemagne. En juillet 1945, la première bombe atomique américaine est testée dans le Nouveau Mexique.

La scientifique est horrifiée en 1945 par le bombardement atomique d’Hiroshima et de Nagasaki, « application militaire de ses découvertes théoriques ». Elle évoquera auprès d'Otto Hahn ce "cauchemar permanent" constitué par la bombe atomique. 


Après la Seconde Guerre mondiale, Lise Meitner écrit à Hahn : “Vous avez tous travaillé pour l'Allemagne nazie. Et vous avez tenté d'offrir seulement une résistance passive. Certainement, pour acheter votre conscience, vous avez aidé ici et là une personne persécutée, mais des millions d'êtres humains innocents ont été autorisés à être assassinés sans qu'aucune sorte de protestation n'ait été émise … [On dit que] d'abord vous avez trahi vos amis, ensuite vos enfants dans le sens où vous les avez laissés risquer leur vie dans une guerre criminelle – et finalement vous avez trahi l'Allemagne elle-même, parce que la guerre était déjà presque désespérée, vous ne vous êtes pas armé contre la destruction insensée de l'Allemagne”.

Installée en Angleterre en 1960, Lise Meitner n'est jamais retournée en Allemagne. 

Elle survit de trois mois à la mort d'Otto Hahn (1879-1968) et décède le 27 octobre 1968. 

Elle est toujours demeurée opposée à l’arme nucléaire.

Pourtant, c’est l’arme nucléaire américaine qui a permis la paix en Europe après la Seconde Guerre mondiale grâce au parapluie nucléaire américain.

Synthétisé en 1982 par des scientifiques allemands, l'élément 109 a été nommé "meitnérium" en hommage à Lise Meitner. Des cratères sur la Lune ou sur Vénus portent le nom de cette scientifique.

En 2014, le Japon a commémoré le 69e anniversaire de l'explosion de la bombe atomique Little Boy larguée par le bombardier B-29 Enola Gay, le 6 août 1945, à Hiroshima, causant 140 000 morts. 

En 2016, le Japon a commémoré le 71e anniversaire de l'explosion de la bombe atomique, le 6 août 1945, à Hiroshima.


de Wolf von Truchsess et Andreas G. Wagner
Allemagne, 2012, 52 mn
Diffusions les :
-   2 février 2013 à 20 h 50,  5 février 2013 à 10 h 25 et  9 février 2013 à 11 h 25 ;
8 mars 2014 à 12 h 25.

Visuels : © Jürgen Herrmann

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Cet article a été publié le 1er février 2013 et republié le :
- 6 août 2013 car le Japon commémorait le 68e anniversaire de l'explosion de la bombe atomique, le 6 août 1945, à Hiroshima, causant 140 000 morts. Le 15 août 1645, le Japon impérial capitulait ;
- 28 octobre 2013 ;
- 7 mars, 6 août et 27 octobre 2014, 6 août 2015.

Madame Grès, la couture à l’œuvre


Après la programmation du musée Galliera, musée de la mode de la Ville de Paris, hors les murs au musée Bourdelle de cette « première rétrospective parisienne » dédiée à Madame Grès (1903-1993), le musée de la mode (MoMu) d'Anvers présente l'exposition Madame Grès, mode sculpturale. Plus de 80 pièces – robes, jupes, tailleurs, capes et manteaux –, une centaine d’esquisses griffonnées de la main de Madame Grès et de croquis de modèles originaux ainsi qu’une soixantaine de photographies sur 55 ans de carrière soulignent le talent de cette grande dame de la haute couture experte en drapés à l’antique, robes sculpturales à la ligne épurée, souvent en jersey et avec un nombre réduit de coutures. Le musée des Arts décoratifs présente l'exposition Fashion Forward. Trois siècles de mode (1715-2016).

Fashion Forward, 3 siècles de Mode (1715-2016)
Anatomie d’une collection

« Je voulais être sculpteur. Pour moi, c’est la même chose de travailler le tissu ou la pierre », déclarait Madame Grès, « maître de la couture vu par ses pairs comme le génie tutélaire de la profession » avec Cristóbal Balenciaga.

Transformés en musée, les anciens ateliers du sculpteur Antoine Bourdelle (1861-1929) offrent aux robes de Madame Grès un écrin idoine favorisant des résonnances avec les sculptures de cet artiste.

De Germaine Krebs à Madame Grès
Née Germaine Krebs, Madame Grès a préservé le mystère sur ses origines – petite bourgeoisie parisienne - pour mieux forger sa légende.

Elle aurait appris en trois mois les bases de la couture auprès d’une première d’atelier d’une grande maison de couture de la capitale.

Entrée vers 1924 comme aide modéliste, elle devient deuxième modéliste, puis première modéliste à la maison Prémet, place Vendôme.

Vers 1930, elle « vend ses toiles, prototypes de modèles, aux plus grands acheteurs des maisons de commissions travaillant pour l’Europe et les Etats-Unis d’Amérique ».

En 1933, Germaine Krebs, surnommée dans le métier « Mademoiselle Alix », ouvre avec Julie Barton la maison « Alix Barton » rue de Miromesnil, à Paris. Dès la collection de l’été 1933, elle présente sa « grammaire stylistique » consistant à « draper à plat la silhouette avec le moins de coutures possibles » et en utilisant tout le lé de « tissus de la nouveauté » : jersey, jersey de soie artificielle, mohair, satin ciré, crin de nylon... Des créations fluides qui confèrent souplesse au vêtement et soulignent le naturel des mouvements de la femme.

En 1934, grâce à l’appui de financiers, Germain Krebs ouvre la maison « Alix » au 83 rue du faubourg Saint-Honoré. Un lieu admirablement bien situé : à l’angle de l’avenue Matignon, au-dessus de la galerie Bernheim-jeune. Les créations de mademoiselle Alix, puis de Madame Grès, séduisent une clientèle composée d’actrices et de femmes du monde, dans le monde entier : Greta Garbo, Marlene Dietrich, Arletty, la Begum, les princesses de Bourbon-Parme, la duchesse de Windsor, Edith Piaf, Jackie Kennedy, la princesse Grace de Monaco, Barbra Streisand, Delphine Seyrig...

Louis Jouvet fait appel à Alix pour créer les costumes de La guerre de Troie n’aura pas lieu, pièce de théâtre de Jean Giraudoux créée à l’Athénée en 1935. Le style de mademoiselle Alix est salué par Vogue Paris.

Consécrations : au Pavillon de l’élégance de l’exposition internationale de Paris en 1937, Mademoiselle Alix conçoit le drapé habillant une statue ; au Pavillon français de l’exposition internationale de New York en 1939, elle montre une œuvre en plâtre représentant un corps drapé d’une robe.

En 1937, elle épouse Serge Anatolievitch Czerefkow, peintre connu sous le nom de Grès. Le couple a une fille, Anne, en 1939. Madame Grès adopte le turban en jersey.


« L’extrême complexité du savoir-faire »
En juin 1940, elle fuit Paris vers la Haute-Garonne, lieu des ateliers de la maison Alix, avec sa fille ; son mari se trouve à Tahiti.

Cette couturière revient à Paris avec le soutien de Lucien Lelong, président de la Chambre syndicale de la couture parisienne. Elle vend ses parts dans la maison Alix et fonde en 1942 sa griffe qu’elle dénomme « Grès », pseudonyme d’artiste de son époux, anagramme du prénom de celui-ci et roche sédimentaire à base de sable dont elle prise la couleur. Elle installe ses salons blancs, ses ateliers et ses bureaux au 1, rue de la Paix. A chaque défilé, elle ferme à double tour sa maison. Un moyen de favoriser le recueillement de l’assistance huppée.

Sous l’Occupation, Madame Grès est dénoncée comme Juive, alors qu’elle est catholique.

En janvier 1944, à la demande des autorités allemandes d’occupation, la maison Grès est fermée « à titre d’exemple ». Elle rouvre en mars 1944 à la « condition d’abandonner le drapé, trop coûteux en tissu » en une période de pénuries.

En 1945, Madame Grès « habille des figurines du Théâtre de la mode – vitrine des métiers d’art français – qui fera le tour du monde ».

« Pour qu’une robe puisse survivre d’une époque à la suivante, il faut qu’elle soit empreinte d’une extrême pureté », observe cette perfectionniste qui affectionne les beiges et blancs ainsi que les « tonalités éteintes », et rarement des couleurs vives. Pour ses robes de cocktail ou du soir, elle a conscience que les lignes simples rehaussent la complexité de drapés intemporels, antiques sans historicisme, cachant, suggérant et dévoilant sensuellement des parties du corps (décolletés dans le dos ou asymétriques) et photographiés notamment par Richard Avedon.

Le « pli Grès » ? Une « succession de plis plats pris dans le droit fil tous les 3 cm. D’une profondeur constante de 1,5 cm, ces plis » sont patiemment épinglés sur le modèle par Madame Grès, « sont cousus à l’envers » par les « drapeuses » et dépassent de 2 mm à l’endroit ». Entre 13 et 21 mètres linéaires de jersey sont nécessaires pour le bas de robes drapées.

Les créations de Madame Grès sont portées par Maria Casarès dans Les dames du bois de Boulogne, film de Robert Bresson (1945) et Sylvana Mangano dans Ulysse de Mario Camerini avec Kirk Douglas.

Dans les années 1950, Madame Grès expérimente le prêt-à-porter sous la signature de Grès Boutique (1951), « Grès spécial » (1958-1962), etc. Dès l’automne-hiver 1958-1959, elle « produit des vêtements de ville griffés « Grès spécial » : une ligne née de son union avec d’autres couturiers de renom comme Lanvin ou Nina Ricci au sein de l’association Prêt-à-porter Création qui organise des actions de promotion jusqu’en 1962.

En 1959, peu après son voyage en Inde avec un « groupe d’études pour réorganiser la production locale », elle innove en lançant son parfum Cabochard au nom osé, composé d’essences d’avant-garde (chypré-vert) et décoré d’un nœud de velours gris. Un succès mondial.

Dans les années 1970, la vogue rétro – style années 1930 – refait découvrir Madame Grès guidée par le minimalisme. Elue en 1972 présidente de la Chambre syndicale de la couture parisienne, Madame Grès assume cette fonction jusqu’en 1989.

Célébrée par des rétrospectives et par ses pairs – Hubert de Givenchy, Yves Saint-Laurent, Alber Elbaz -, Madame Grès est distinguée comme officier de la Légion d’Honneur (1949) et commandeur des Arts et Lettres (1983), reçoit le premier Dé d’or de la couture (1976) créé par Cartier avec lequel elle lance une ligne de joaillerie en 1979, est honorée à New York, La Haye…

A 82 ans, The designer’s designer « atteint son but : une robe sans couture, réalisée dans un jersey de laine tubulaire en quatre coups de ciseaux : l’ourlet, l’encolure et les deux emmanchures ».

En 1984, Bernard Tapie rachète la maison Grès. Après des différends, une liquidation, il la vend à Jacques Estérel en 1987. La situation financière de la maison périclite (loyers impayés). En 1987, le contenu de tous les étages de la maison Grès est saccagé ou vidé. L’année suivante, la maison est rachetée par la société japonaise Yagi Tsusho Limited et, peu après, Madame Grès se retire définitivement du monde de la haute couture.

Elle décède en 1993, dans le dénuement. Son décès est rendu public en 1994.

Manquent à cette exposition qui n’est pas une vraie rétrospective les tenues de plage et de piscine – dès sa première collection été 1933 pour Alix Barton - et des robes en mousseline conçues par Madame Grès.


Jusqu'au 10 février 2013
Nationalestraat 28. 2000 Antwerpen 2000 Anvers
T +32 3 470 27 70 T +32 3 470 27 70
Du lundi au vendredi de 10 h à 12 h et de 14 h à 16 h
Jusqu’au 28 août 2011
18, rue Antoine Bourdelle, 75015 Paris
Tél. : 01 49 54 73 73
Du mardi au dimanche de 10 h à 18 h sauf jours fériés


Visuels de haut en bas :
Christian Bérard. Dessin pour Alix, octobre 1937.
Publié dans Vogue Paris.
© Christian Bérard / ADAGP, Paris 2011

Boris Lipnitzki, 1933. Essayage d’un modèle Alix Barton sur mannequin par Mademoiselle Alix.
© Boris Lipnitzki / Roger-Viollet

Archives Grès. Robe de jour Alix n°31 P/E 1938. Gouache et mine de plomb sur papier.
Collection Galliera. Photo D.R.

Boris Lipnitzki, 1935. Modèle Alix, novembre 1935.
© Boris Lipnitzki / Roger-Viollet

Eugène Rubin vers 1946. Madame Grès posant à côté de son modèle.
© Eugène Rubin / FNAC / Centre national des arts plastiques – ministère de la Culture et de la Communication, Paris

Henry Clarke, 1954. Grès, Robe du soir, 1954.
Jersey et faille de soie blancs.
Photo publiée dans Vogue France.
© Henry Clarke / Galliera / ADAGP, Paris 2011

Archives Grès. Robe de cocktail n°102 P/E 1956. Crayon et encre de chine sur calque.
Collection Galliera. Photo D.R.


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Cet article a été publié le 14 août 2011, puis les 6 février 2013 et 9 avril 2016.