Citations

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lundi 21 janvier 2013

« Histoires » de Michal Rovner


Cet article est republié à l'approche de la conférence Art contemporain : musées, mémoriaux et monuments, en présence notamment de Michal Rovner et Esther Shalev-Gerz le 24 janvier 2013, à au Mémorial de la Shoah.
Le musée du Louvre présente six œuvres de Michal Rovner, artiste israélienne pluridisciplinaire, dans la cour Napoléon (Makom II et Makom IV, makom signifie espace en hébreu), le Louvre médiéval et deux salles du département des Antiquités orientales (vidéo projections). « Marquée par les conflits sociopolitiques du Moyen-Orient », cette artiste israélienne développe », à partir de la réalité, « une œuvre multimédia sur les thèmes de l’archéologie, de la mémoire et du territoire ».
 
« Michal Rovner interroge l’archéologie, le passé et le présent toujours brûlant du Moyen Orient, la construction et la destruction des vestiges et des ruines... Cette mise en abyme et ce renversement entre l’intérieur et l’extérieur, entre le dessus et le dessous, entre les vestiges anciens et les vestiges contemporains, entre les murs construits et les murs détruits, nous incitent à une triple réflexion sur les migrations des objets et des peuples, sur la possible coexistence pacifique des peuples séparés réunis par un travail commun, mais aussi sur la menace de destruction qui pèse sur les édifices fragiles de l’humanité », écrit Henri Loyrette, président-directeur du musée du Louvre, dans la préface du catalogue.
 
Photographies, vidéo et installations
Michal Rovner est née en 1957, en Israël.
Elle étudie le cinéma, la télévision et la philosophie à l’université de Tel-Aviv, et achève sa formation en étant diplômée en photographie et en art de l’académie d’art Bezalel.
Parallèlement, elle cofonde en 1978 l’école d’art « Camera Obscura » à Tel-Aviv où sont enseignés la photographie, la vidéo, le cinéma et l’art numérique. Y animent des ateliers Robert Frank en 1983, et Lee Friedlander en 1985.
En 1990, elle collabore avec Robert Frank comme scénariste et assistante du réalisateur pour One Hour-C’est Vrai (1990) et Last Supper (1991).
Sa série Decoy est inspirée par la première guerre du Golfe (1991) : Michal Rovner manipule des images télévisées pour réaliser des polaroïds.
Sur la ligne d'armistice entre Israël et le Liban (1949), elle réalise en 1996 Dilemmas: The Good Fence  – sur une quarantaine de mètres, sont accrochés 44 drapeaux frappés de la lettre X sur leurs deux faces, au-dessus d’une clôture électrique pendant des échanges de tirs - et Edge-Tower : deux banderoles, sur lesquelles sont imprimées des figures anonymes sur « un plastique maillé semi-transparent », sont déployées à partir de la tour des gardes, et sont orientées dans deux directions opposées via la ligne de séparation. Cette série est présentée au MoMA (musée d'art moderne) de New York en 1997 et à la Tate Gallery, à Londres.
Michal Rovner « envisage le passé dans son perpétuel mouvement ». Elle « explore les thèmes des frontières physiques et psychologiques, de l’identité et des conditions humaines d’isolation et de connexion à travers un travail mêlant la sculpture, la vidéo, la photographie et l’installation » ainsi que la calligraphie.
Michal Rovner met souvent en scène « un dialogue entre projections et objets physiques, utilisant des silhouettes humaines abstraites en tant qu’éléments de construction d’images évoquant des systèmes aussi divers que l’écriture ou la culture de cellules souches, projetant des images mouvantes qui paraissent ramper à travers les pages d’un livre, migrer à travers les pierres rassemblées dans son pays natal, en Israël, qui ont grandi et évolués dans des boites de Pétri ».
En 2001, le Lincoln Center de New York présente une vidéo, résultant de la collaboration de Michal Rovner et du musicien Philip Glass.
En 2002, le Whitney Museum, à New York, organise la rétrospective The Space between / (L’Espace entre) de Michal Rovner.
Lors de la 50e Biennale d’Art de Venise en 2003, Michal Rovner représente l’Etat d’Israël avec l’exposition d’installations et de projections vidéos Against Order? Against Disorder? (Contre l’ordre ? Contre le désordre ?) au Pavillon israélien, et non au « Pavillon Israélite » comme l’indique à tort le dossier de presse du Louvre.
En 2004, cette artiste réalise une œuvre vidéo monumentale lors du nouveau siège parisien, avenue Montaigne, de LVMH (Louis Vuitton Moët Hennessy).
En 2005, le Jeu de Paume présente Michal Rovner: Fields, une exposition d'installations et d'oeuvres vidéos présentée ensuite au musée d’Art de Tel-Aviv. Pour Yad Vashem, à Jérusalem, elle réalise Living Landscape, un film d’une dizaine de minutes composé d’archives d’images et de son issues des archives européennes sur la vie de Juifs avant la Shoah (Holocaust), et retravaillées.
Les œuvres de Michal Rovner se trouvent dans une trentaine de collections permanentes. Plus de 50 expositions monographiques ont été consacrées à cette artiste à Chicago, San Francisco, Londres, New-York, Prague, Amsterdam, Rome…
Michal Rovner a été décorée en 2010 du titre de chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres, pour sa contribution au monde de l’Art.
Elle vit à New York et en Israël.
Espaces et hommes
Sur l’esplanade de la Cour Napoléon du Louvre, près des Pyramides en verre conçues par l’architecte Ieoh Ming Pei, ont été édifiées deux constructions monumentales sans toit, Makom II, presque hermétique et en pierres ocres sur lesquelles sont inscrits des lettres en hébreu et des chiffres, et Makom IV en basalte. « L’un construit avec une fente verticale, l’autre avec une ouverture horizontale, mais fendu violemment et à moitié détruit, font un contrepoint à la pyramide », décrit Henri Loyrette. Le matériau ? Des pierres provenant de maisons israéliennes et palestiniennes en ruines situées notamment à Jérusalem, en Galilée, à Hébron et à Bethléem, assemblées par des maçons israéliens et palestiniens. Le Makom IV, « en partie détruit, est une nouvelle réalisation en pierre volcanique sombre venant de la frontière avec la Syrie, marquée violemment d’une large faille sur l’un de ses côtés ».


« L’histoire, comme dit Michal Rovner, est une chaine ininterrompue de ruptures… Ces structures [Makom] résistent à toute interprétation simpliste. Chacune renferme l'éventail des possibles, passés et présents, avec leurs contradictions. Un souffle de force et de faiblesse, de victoire et de défaite, d’enracinement et d’exil les anime. Elles s'observent à travers de minces fentes, l’une verticale, l’autre horizontale. Peut-être des meurtrières, ou des yeux plissés par la peur et la méfiance », commente l’écrivain israélien David Grossman dans la préface du catalogue de l’exposition.

Michal Rovner a « également investi les soubassements de l'ancienne forteresse médiévale, ainsi que le département des Antiquités orientales, entre le sarcophage de la reine Hélène d’Adiabène (convertie au judaïsme au Ier siècle de l'ère chrétienne) et la stèle de Mesha (célébrant les victoires des Moabites sur le royaume d’Israël au IXe siècle avant notre ère) », précise cet essayiste.

« Dans les collections du département des antiquités orientales « consacrées à la Syrie, à la Jordanie et à la Palestine » (sic), des images sont projetées sur des stèles antiques marquées par les craquelures du temps. Un faisceau lumineux dessine « la silhouette fragile d’une femme sur un bloc de pierre ou sur des fragments de minéraux venants du désert ».

« Sur les fossés de pierre du Louvre médiéval, qui constituent les vestiges enfouis du Palais de Charles V », Michal Rovner présente une fresque dont la beauté est rehaussée par ces vestiges archéologiques qui lui offrent un décor en forme d’écrin minéral, un réalisme émouvant et fascinant par sa répétition éternelle : en une chorégraphie étudiée, des silhouettes marchent en file indienne ou seuls, grimpent en œuvrant à un travail collectif ou participent à un rituel spirituel, écrasés par la dimension des monuments qui souligne leur solitude et leur vulnérabilité ». Michal Rovner « projette une image visionnaire du musée, et inscrit des lignes d’écriture indéchiffrable formée d’innombrables silhouettes miniatures » (Henri Loyrette).

Quand je l’ai interviewée le 18 mai 2011, Michal Rovner a tenu un discours artistique sans référence politique. Alors que la préface du catalogue signée par l’écrivain israélien David Grossman (traduction de l’hébreu et de l’anglais par Sylvie Cohen et Cyril de Pins) et une manifestation accompagnant l’exposition - la conversation de cette artiste avec Sari Nusseibeh, doyen de l’université Al-Qods à Jérusalem-Est présenté dans le dossier de presse comme « philosophe palestinien engagé » – soulignent le contexte politique au Proche-Orient. En fait, Sari Nusseibeh s’est déclaré, dans une tribune récente publiée par Le Monde, partisan de l’Etat binational, donc de la disparition de l’Etat Juif.

Ces œuvres de Michal Rovner conjuguent brillamment le côté massif, imposant, simple et concret de Makom avec la suggestion sophistiquée et captivante des vidéos projections.

Visible par des silhouettes déambulant d’un pas régulier, la présence humaine se devine dans les Makom chargés d’une histoire solide et protectrice, ou fracturée et meurtrie.
 
Jusqu’au 15 août 2011
Au département des Antiquités orientales, salles C et D et fossés médiévaux
Jusqu’au 24 octobre 2011
A la Cour Napoléon
Tous les jours, sauf le mardi, de 9 h à 18 h, les mercredi et vendredi jusqu’à 22 h
Tél. : 01 40 20 53 17

Visuels de haut en bas :
Affiche
Michal Rovner
Michal Rovner - Portrait devant le Makom IV, Israël, 2011.
© Yaron Eini / Michal Rovner
ADAGP et ARS, 2011

Michal Rovner,
Michal Rovner et ses équipes en train de monter le mur du Makom IV (?), Israël, 2011.
© XX Courtesy Michal Rovner
ADAGP et ARS, 2011

Makom II et Makom IV
Louvre, 18 mai 2011
© Véronique Chemla

Michal Rovner. Histoires.
Makom dans la Cour Napoléon
Copyright photo : © 2011 Musée du Louvre / Ieoh Ming Pei / Antoine Mongodin

Michal Rovner,
Lubnan, 2009, video projection sur pierre, 68 x 123 cm.
© Courtesy Michal Rovner et The Pace Gallery, New York.
ADAGP et ARS, 2011

Michal Rovner,
Esquisse pour le projet du Louvre, 2010.
Projection de pyramide sur mur des fossés médiévaux du Louvre
© Courtesy Michal Rovner.
ADAGP et ARS, 2011

Michal Rovner,
Michal Rovner - Inscription sur pierre du Makom IV (?), Israël, 20??
© XX
Courtesy Michal Rovner
ADAGP et ARS, 2011

Michal Rovner près de Makom IV
© Véronique Chemla
Articles sur ce blog concernant :
- Affaire al-Dura/Israël
- Culture
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Il ou elle a dit...
Judaïsme/Juifs
- Monde arabe/Islam
Shoah(Holocaust)

Cet article a été publié le 31 juillet 2011.