«
Quand j’étais petit, mon frère ainé pratiquait la plongée sous-marine. Je l’attendais au bord de la plage. Puis, j’ai appris la plongée et j’ai découvert un monde fascinant », a déclaré lors du vernissage presse
Tzuri Gueta qui a grandi à Givat Olga, près de Hadera, sur la côte méditerranéenne d’Israël. Nul doute que son enfance a inspiré ses créations à mi-chemin entre l'artisanat et l'art, un "art appliqué" lié au monde sous-marin.
«
Inventeur d’une technique unique et brevetée de « dentelle siliconée », Tzuri Gueta révèle depuis plus de quinze ans à travers ses textiles, ses parures et ses mises en scène un univers résolument organique, végétal ou géologique qui ne demandait qu’à s’épanouir dans un lieu dédié à la nature. Tzuri Gueta a choisi de présenter son exposition Noces Végétales à Paris, dans les Grandes Serres du Jardin des Plantes, et plus particulièrement dans la serre des forêts tropicales humides » qui « offre un dépaysement immédiat avec une immersion dans l’atmosphère chaude et humide d’une forêt tropicale imaginaire. S’y côtoient grands arbres, comme les ficus et le palmier des Bermudes, arbustes et arbrisseaux, grandes herbacées comme les bananiers, petites herbes du sous-bois, lianes, fougères, orchidées... Ses allées mènent à un imposant rocher recouvert d’un superbe Monstera deliciosa, sorte de philodendron, d’où l’on peut découvrir tout le panorama de la serre ».
A l’entrée, les œuvres de Tzuri Gueta sont difficilement discernables tant elles ressemblent aux lianes pendantes.
Prix Le créateur
À travers sa
Fondation visant à « valoriser l’inventivité des métiers d’art et encourager leur modernité », Ateliers d’Art de France se joint au Muséum national d’Histoire naturelle pour présenter
Noces Végétales dans les
Serres du Jardin des Plantes, lieu emblématique dédié à l’univers végétal et accueillant la réalisation du projet désigné lauréat du
Prix Le Créateur 2012 de la
Fondation Ateliers d’Art de France.
Avec ce Prix, cette
Fondation « récompense un professionnel des métiers d’art en lui offrant la possibilité de présenter son travail sous une forme à la fois exceptionnelle et singulière. À lui de proposer un concept et un lieu inhabituels, permettant de porter un regard différent sur les métiers d’art et de toucher un nouveau public ».
Au « carrefour des sciences de la Terre, de la Vie et de l’Homme, le
Muséum d’histoire naturelle se consacre quotidiennement – et ce depuis près de 400 ans – à la nature. Créé en 1635, à l’origine jardin royal à vocation médicinale et lieu d’enseignement, devenu Muséum d’histoire naturelle en 1793, il est à la source de découvertes scientifiques majeures en sciences naturelles », et un lieu d’« enseignement hors pair ».
En juin 2012, le créateur textile
Tzuri Gueta est le « premier lauréat du
Prix pour son projet d’exposition qu’il rêvait au cœur d’un écrin dédié à la nature, où ses créations s’uniraient à la végétation : les Grandes Serres du
Jardin des Plantes. Ainsi est né le projet
Noces Végétales ». Source d’inspiration pour de nombreux artistes – peintres, hommes de lettres, sculpteurs ou musiciens – le Jardin des Plantes entretient depuis sa création au XVIIe siècle une relation féconde entre les sciences naturalistes et l’art.
Les créations de Tzuri Gueta investissent « la serre des forêts tropicales humides, bâtiment classé monument historique où l’on accède par un majestueux péristyle Art déco. Ferronniers, verriers, mosaïstes… cet écrin de verre et d’acier dédié à la botanique est né des gestes d’artisans d’art qui ont sublimé la matière ». Un « lieu choisi pour sa singularité et les résonances » avec ces créations.
Unions oniriques
Titulaire en 1996 du diplôme d’un master d’ingénieur textile du
Shenkar College of Engineering and Design de Ramat Gan, près de Tel Aviv (Israël) où il a effectué des recherches sur les polymères, Tzuri Gueta associe les compétences d’ingénieur, de créateur, de designer et d’explorateur.
Il s’installe à Paris en 1996. Il travaille pour l’agence Trend Union de Li Edelkoort, puis les ateliers du couturier Thierry Mugler. La Haute Couture est séduite par l’avant-gardisme du travail et les qualités créatives de Tzuri Gueta.
L’originalité du travail de cet artiste réside aussi dans sa technique de travail : l’injection de silicone. Tzuri Gueta recourt au silicone comme « colle » pour « maintenir des morceaux de textile, là où d’autres les assemblent à la machine à coudre. Les qualités artistiques du silicone, sa souplesse, sa capacité à se mélanger aux pigments et aux paillettes » ont ensuite incité Tzuri Gueta à le valoriser. Tzuri Gueta évalue à 20-25% la part d’aléatoire dans le processus du travail du silicone destiné à ses créations.
En 2005, Tzuri Gueta dépose son brevet de « dentelle siliconée ». Dans son atelier-laboratoire, grâce à cette technique qu’il garde secrète, il crée « sur le textile des volumes et des effets de perles, des « paysages » au toucher presque dérangeant, tant la texture est douce et onctueuse, d’une sensualité de peau humaine ».
Tzuri Gueta fabrique « des textiles troublants aux effets de matière, imprimés, gaufrés, découpés au laser et capables d’imiter les textures organiques ou végétales comme le cactus, le galuchat ou la peau de serpent ».
Il produit désormais régulièrement des gammes de textiles inédits pour Chanel, Issey Miyake, Jean-Paul Gaultier, Armani, Dior ou Givenchy. En 2013, ses « corolles en gel sablé associées à la dernière collection de la maison de Haute Couture Stéphane Rolland ont inauguré une nouvelle et prestigieuse collaboration ».
Si Tzuri Gueta « s’est d’abord fait connaître par son travail textile, le grand public le découvre à travers ses bijoux : ses bagues de la collection emblématique Boule, réalisées en maille hérissée de picots de silicone, mais aussi ses colliers au profil de corail ou d’ossements blanchis, et ses modèles exubérants qui se répandent en grappes, en pétales ou en perles de rosée. Les lustres et les paravents qu’il conçoit ne sont parfois que des bijoux qui changent d’échelle, extrapolant leurs formes de gouttes ou de cocons ».
Le monde de l’art découvre « l’emblématique Récif, un vélo abandonné que les algues semblent prendre d’assaut ».
En 2010, le Musée d’Art contemporain de Tel Aviv consacre à Tzuri Gueta une exposition individuelle sur son travail textile.
Les cinéphiles se souviennent de la robe en silicone désormais iconique, aussi romantique qu’ultra-futuriste, portée par l’actrice Milla Jovovich dans
Les trois mousquetaires » de Paul William Scott Anderson (2011).
Sous le Viaduc des Arts,
Tzuri Gueta a installé son atelier-showroom-galerie parisien ouvert en 2011. Là, il y travaille avec une dizaine de collaborateurs bénéficiant de formation textile ou bijou pour produire des pièces uniques dans « une approche transversale de tous les domaines de la création ».
« Utilisant une matière naturelle issue du silicium associée au textile pour créer des œuvres d’inspiration organique, Tzuri Gueta sublime une nature protégée et contrôlée en proposant un parcours dans les Grandes Serres à la fois réel et rêvé, empreint de symboles ».
Le « monde végétal se découvre autrement, à travers l’œil du créateur, passé sous le spectre de la modernité, de l’imaginaire, de l’engouement créatif ».
Noces Végétales « déroule pour le visiteur un parcours initiatique dans les rites et les symboles du mariage ». Les noces célébrées sont celles qui « associent dans un troublant mimétisme la dentelle siliconée et les végétaux abrités par la serre. Un rideau de gouttes déployé comme un dais, des fourreaux de dentelle épousant des troncs d’arbre au plus près de l’écorce ou des extensions de silicone prolongeant une branche mêlent leurs silhouettes organiques à la flore exubérante de la serre. Où se situe la limite entre le végétal et sa prothèse de silicone ? Entre le vrai et le faux ? Les créations simili-végétales de Tzuri Gueta collaborent avec le lieu, créent un dialogue avec les plantes. Elles prennent vie au sein de la serre et évoluent au fil des jours, suivant le rythme de la végétation. La serre devient un terrain de jeu pour un créateur qui sait entretenir la confusion entre les matières ».
Né « sur le rivage d’Israël, Tzuri Gueta a gardé en mémoire les formes organiques des éléments brassés par les fonds sous-marins dont il aime reproduire dans son travail les lignes de coraux, les coloris, mais aussi l’impression de mouvement généré par le courant. C’est cette impression de vie que l’on retrouve ici. Car si ces organismes en dentelle siliconée relèvent d’une nature imaginaire et fantasmée, ils sont pourtant parfaitement vraisemblables. A contrario, la nature ne produit-elle pas elle-même des éléments d’une telle perfection, vernissés et luisants, qu’ils semblent artificiels ? La consistance du silicone, matériau naturel issu du silicium et proche du verre, permet d’autant mieux la mise en œuvre du leurre. Dans
Noces Végétales, le créateur n’imite pas la végétation, il la réinvente, en manipulant les codes d’une nature protégée et ultra-contrôlée par le lieu emblématique de la serre ».
Pour Tzuri Gueta, la « serre devient un laboratoire, une couveuse expérimentale dont les parois vitrées n’imposent qu’une frontière fragile entre l’intérieur et l’extérieur. Ses pièces hybrides, minutieusement réalisées à la seringue dans son atelier, sont surdimensionnées pour habiller un lieu si monumental ».
Noces Végétales est « une expérience visuelle et sensorielle propre à perturber le visiteur qui imaginait admirer une multitude de plantes. En s’immergeant dans le silence d’une végétation en trompe-l’œil qui bouscule ses perceptions, il est invité à découvrir la nature autrement, à travers le regard d’un artiste qui s’approprie à loisir le rôle » de « Créateur ».
Le visiteur a l’impression d’observer l’effet du temps sur les objets soumis à un processus de création-destruction silencieux, embellissant. Le temps semble suspendu par la fascination du visiteur admiratif d’une nature exubérante, mêlant ou confondant l’élément aquatique avec celui terrien ou aérien, métamorphosant des objets d’un temps révolu - calèche - en créations raffinées semblant issues de contes et renvoyant à l’imaginaire du visiteur.
OEUVRES
LA CALÈCHE
« En début de parcours, cette calèche monumentale, posée sur un bassin et visible de loin par son envergure, annonce le début d’un voyage immersif dans un autre univers.
Avec sa structure en métal habillée d’une dentelle de coquillages de silicone, elle entretient la confusion sur son origine. Vient-elle d’un monde sous-marin ou bien d’une jungle épaisse qui se serait approprié la structure jusqu’à la coloniser ? Le travail plastique du moulage et de l’injection de silicone accentue la mélancolie de cette calèche que l’on a visiblement longtemps négligée. Seule l’extravagante assise de bois flotté, habillée de la même dentelle, relie la sculpture à une dimension festive ».
TRAVERSÉE VÉGÉTALE
« Ce rideau monumental, qu’il faut franchir comme pour pénétrer dans un autre monde, est un leurre. Ou un demi-leurre puisque c’est le seul endroit de la serre où Tzuri Gueta mêle de longues lianes de silicone à de véritables branchages. Ces fils où la silicone reproduit des formes végétales imitent si bien la nature qu’ils ne peuvent que susciter le trouble chez le visiteur, et poser la question du vrai et du faux. D’autant plus qu’au milieu de cette floraison métissée se cachent, en intrus, des éléments copiés sur le monde sous-marin, tel le corail.
Pour Tzuri Gueta, si ce portique de vraie-fausse végétation cultive le doute, c’est bien en réponse aux plantes parfaites que l’on produit aujourd’hui et dont les couleurs et les textures sont trop extraordinaires pour ne pas être utopiques et génétiquement modifiées ».
PORTIQUE DE DENTELLE
« Pour ce portique plongeant fait de lianes en dentelle Tzuri Gueta utilise une dentelle aux motifs floraux très réalistes, quasi botaniques. Suspendue au-dessus du vide, l’installation en dentelle et silicone s’immerge dans la végétation toujours changeante de la serre ».
BLACK AND WHITE
« Tzuri Gueta, dont l’une des activités essentielles reste la création de vêtements, n’hésite pas à accorder ici des caractéristiques humaines aux végétaux. Aujourd’hui, les artistes tricotent pour les arbres, les parent de colliers surdimensionnés… Peut-on pour autant habiller un tronc comme on habille un corps ?
Le créateur a choisi de vêtir deux arbres : la « robe » blanche qui épouse le haut du tronc puis s’évase autour du pied est chargée de broderies qui donnent du relief à la texture.
La seconde silhouette se détache quant à elle par des éléments décoratifs noirs. Les « peaux » de dentelle empreintes de silicone moulent les arbres comme des fourreaux, au point que l’écorce traverse la trame de la dentelle ; elles symbolisent encore plus qu’ailleurs la fusion qui s’opère entre les végétaux naturels et une nature artificielle. Pour cette oeuvre, Tzuri Gueta a choisi d’introduire dans la serre deux arbres coupés et démontables dont il prolonge les branches par des « prothèses » en silicone ».
PONCTUATION DISCRÈTE
« Des grappes, des nids d’oiseau, des nénuphars qui nagent sur le bassin… Tzuri Gueta inscrit dans la végétation exubérante de la serre des éléments blancs artificiels qui ponctuent le parcours du visiteur. L’intimité des arbres que l’on scarifie pour en prélever la sève ou le latex lui a inspiré des éléments qui « dégoulinent » avec la fluidité d’une liane ou d’une cascade ».
ILOTS ET CASCADE
« Dans la moiteur de la serre, l’eau joue un rôle essentiel, notamment dans l’espace du bassin qui s’impose comme la clef de voûte du parcours.
Le voilà investi par de multiples îlots sculptés et recouverts de maille de silicone, qui se déplacent de façon aléatoire.
Au-dessus du bassin, une cascade de gouttes en silicone, reliée aux arrivées d’eau de la serre, ruisselle. Imposante par sa blancheur et son ampleur, cette installation vibrante conclut le parcours de Noces Végétales ».
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