Citations

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« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » (Albert Londres)
« Le plus difficile n'est pas de dire ce que l'on voit, mais d'accepter de voir ce que l'on voit. » (Charles Péguy)

mardi 25 avril 2017

« Les années Obama » par Norma Percy, Brian Lappin et Paul Mitchell


Arte rediffusera le 25 et 26 avril 2017 les quatre volets de la série documentaire « Les années Obama » (Die Ära ObamaInside Obama's White House) par Norma Percy, Brian Lappin et Paul Mitchell. « Une immersion documentaire inédite dans la réalité de la Maison-Blanche, contée avec le souffle de la fiction » et avec partialité.


« Barack Obama et ses conseillers relatent au jour le jour les péripéties d'une présidence qui voulait changer l'Amérique ». 

« Le 4 novembre 2008, un immense espoir se lève, venu des États-Unis. L'élection du premier président noir de l'histoire américaine, issu par son père d'une famille musulmane, fait rêver non seulement son pays, mais aussi le monde entier, d'une nouvelle ère politique de paix et de justice sociale, qui tournera la page des années Bush. « Vous et moi, nous allons changer ce pays, et nous changerons le monde », lance-t-il à la foule euphorique qui l'acclame. Huit ans après, quel bilan Barack Obama laisse-t-il en quittant la Maison-Blanche ? Comment a-t-il exercé le pouvoir ? »

Cette « magistrale série documentaire tente de répondre en reconstituant de l'intérieur et en détail, grâce au récit de Barack Obama lui-même et de ses conseillers, mais aussi de nombre d'autres témoins clés, ce que furent, au jour le jour, les grandes étapes de ses deux mandats ». Et en cela, cette série s'avère passionnante : elle permet aux protagonistes d'expliquer leur stratégie, de révéler les coulisses de décisions à la Maison Blanche.

« En mettant en lumière la dimension éminemment humaine du pouvoir, Norma Percy et ses coréalisateurs parviennent à faire des arcanes d'une réforme financière ou des dessous d'une négociation technique sur l'assurance santé un palpitant scénario à rebondissements ». 

« Mais si leurs Années Obama rappellent parfois les séries Borgen ou À la Maison-Blanche, d'autant que le personnage principal a le charisme, voire le glamour, d'un héros de fiction, la rigueur de l'information n'est jamais sacrifiée aux ressorts de la narration ». 

« Au-delà du bilan d'Obama, cette immersion dans les coulisses de la Maison-Blanche révèle remarquablement toutes les contradictions et la complexité de la politique américaine contemporaine ».

On peut regretter que les trois co-réalisateurs aient omis d'évoquer le passé de Barack Hussein Obama, sa culture islamique acquise en Indonésie, le milieu gauchiste dans lequel évoluent sa mère Ann Dunham et lui. Sans ces informations, on ne comprend pas les bouleversements imposés par le président Obama aux Etats-Unis.

Yes we can!
Une "ambiance de fête" règne à Washington.

« Acte I : comment, deux mois avant son investiture, Barack Obama doit mettre de côté ses ambitieuses promesses de réformes pour gérer la plus grande crise économique que le monde ait connue depuis celle de 1929, et découvre que les Républicains ont résolu de le contrer par une opposition systématique ». N'est-ce pas le rôle de l'opposition dans un régime démocratique ? A fortiori quand le président Obama méprise les Républicains, quand l'opposition, confiante dans la libre entreprise, sceptique à l'égard d'un Etat fédéral sortant de ses compétences, n'est pas convaincue de la pertinence des mesures de l'administration Obama et redoute un endettement exponentiel. Force est de constater que l'opposition des membres républicains du Congrès n'a pas été permanente ni efficace, ainsi qu'en atteste l'apparition du Tea Party et le triomphe de Donald Trump sur les candidats du parti républicain issus de l'establishment œuvrant au Capitole à Washington.

Les « mesures qu'il prend pour prévenir l'effondrement de l'économie américaine sont impopulaires (son refus de nationaliser les banques et de punir Wall Street), chères (son plan de relance est le plus grand de l'histoire américaine) et controversées (sa décision de renflouer l'industrie automobile) ». L'un des conseiller explique qu'il s'agit de "sauver le système financier". Ce volet n'explique pas l'origine de cette crise.

« L'état de grâce est terminé avant même qu'il ait concrétisé une seule de ses grandes promesses électorales - notamment celle de fermer Guantanamo, mise en échec lorsque les membres du Congrès refusent d'accueillir des détenus sur le sol américain ». 

Le président Obama « obtient néanmoins une petite victoire au sommet sur le climat de Copenhague, en s'invitant dans une réunion présidée par la Chine ».

Le plus beau jour du président
« Acte II : comment le nouveau président, contre l'avis de ses principaux conseillers, a tout risqué pour faire passer sa plus grande réforme, l'« Obamacare », lançant le chantier de l'assurance santé pour tous dès le début de son mandat. Un débat qui a exacerbé les passions américaines et coupé le pays en deux ».

Le « texte est adopté à la Chambre des représentants, largement dominée par les Démocrates. Mais, au Sénat, la bataille est plus rude et Obama est obligé de faire des compromis qui affaiblissent le texte ».

« Après une défaite surprise de la candidate des Démocrates dans le Massachusetts, Obama perd de plus sa courte majorité au Sénat. Il doit persuader Nancy Pelosi, la tenace présidente de la Chambre, d'utiliser toute son ingéniosité pour faire adopter le texte par ses troupes et négocier personnellement avec les députés anti-avortement de leur parti pour éviter une rébellion de dernière minute ».

« Le 21 mars 2010, il réussit là où sept présidents avaient échoué avant lui, mais il en paiera le prix quelques mois plus tard ».

Aux « élections de mi-mandat, il perd plus de sièges qu'aucun autre président depuis 1938, ainsi que le contrôle de la Chambre des représentants. Pendant tout le reste de sa présidence, il ne pourra faire voter aucune de ses grandes réformes par le Congrès ». Pourtant, c'est bien l'absence 

La série documentaire s'intéresse au processus politique d'adoption d'Obamacare (Affordable Care Act) - la manière de convaincre ou "soudoyer" les membres du Congrès républicains -, et non aux ratés lors du lancement d'ACA, à son bilan controversé, aux enjeux sanitaires et éthiques, etc.

La guerre à reculons
« Acte III : comment, en dépit des espoirs que son discours, au Caire, a soulevés dans le monde arabe, Obama va échouer à sortir les États-Unis du bourbier créé au Moyen-Orient par la guerre de George W. Bush en Irak ». Une vision à nuancer. N'est-ce pas plutôt la décision politique du président Obama d'abandonner précipitamment l'Irak et sa diplomatie en général qui ont  créé ce bourbier ? 

« Face aux révoltes dans certains pays arabes et à l'embrasement de la Syrie, il donne le sentiment d'hésiter à contretemps entre désengagement et intervention ». En fait, le président Obama a choisi dès 2008 de renouer à tout prix avec le régime des mollahs iraniens, et donc d'abandonner les "alliés" des Etats-Unis, telle l'Arabie saoudite. Ce qui explique l'absence du soutien américain aux manifestations de jeunes Iraniens en juin 2009. 

« Avant que, ironie de l'histoire, le pays le plus hostile aux États-Unis, l'Iran, lui accorde en 2015 sa première vraie victoire diplomatique ». Une victoire à la Pyrrhus, plutôt. Le documentaire élude la stratégie du président Obama qui s'est précipité à l'ONU pour faire agréer ce "bad deal", a refusé de le considérer comme un traité pour contourner le Sénat et l'a qualifié de "presidential agreement".

Un « bilan en demi-teinte sur lequel le président sortant livre quelques réponses surprenantes - affirmant par exemple que sa volte-face, en 2013, sur l'intervention en Syrie proposée par la France, reste l'une des décisions « dont il est le plus fier ». Quid de la diplomatie du président Obama choisissant de privilégier, de manière très disproportionnée, parmi les Syriens autorisés à immigrer aux Etats-Unis les musulmans, alors que les chrétiens et les Yézidis sont menacés de génocide par les mouvements islamistes, dont l'Etat islamique ? 

« Cet épisode revient aussi en détail sur l'opération clandestine lancée par la CIA au Pakistan pour exécuter Ben Laden ».

Le documentaire élude la diplomatie d'Obama hostile à l'Etat juif, seul allié stratégique dans la région. Dès son investiture, le président Obama a téléphoné à Abbas, faux "président" de l'Autorité palestinienne, et lors de ses deux mandats a multiplié les pressions sur le seul gouvernement israélien, en créant parfois de toutes pièces des heurts diplomatiques.

C'est une diplomatie catastrophique : incompréhension de la complexité du Moyen-Orient, soutien américain aux Frères musulmans, lâchage du président égyptien Hosni Moubarak, affaiblissement de la puissance américaine, réduction de son leadership, retour de la Russie au Moyen-Orient comme puissance incontournable, supériorité d'armes russes et chinoises, corruption de la Secrétaire d'Etat Hillary Clinton - subventions à la Fondation Clinton pour la rencontrer -, conseillers liés aux Frères musulmans à des postes clés, telle Huma Abedin, etc.

Quid des attentats terroristes islamistes aux Etats-Unis durant les deux mandats de ce Prix Nobel de la Paix ? Quid de l'interdiction de les lier à l'islam ?

"L'Amérique pure et dure"
« Dernier acte. En 2012, la réélection d'Obama semble propice à réformer l'Amérique en profondeur sur des thèmes aussi capitaux que le port des armes ou l'immigration ». 

Mais, « après une série de bavures policières, c'est la question raciale qui va dominer la fin de son mandat ». 

Cet « ultime volet revient sur le massacre perpétré dans l'école primaire de Sandy Hook (Connecticut) et l'échec d'Obama pour imposer un contrôle accru des ventes d'armes ». La majorité des victimes d'armes à feu sont issues du milieu criminel. "A good guy with a gun stops a bad guy with a gun", résume de manière lapidaire Wayne La Pierre, écrivain américain vice-président exécutif de la National Rifle Association (NRA). 

« Y sont rappelés aussi les aléas de sa réforme de l'immigration, qu'il décide de faire passer en force, par décret présidentiel ». Est-ce respectueux du Congrès ?

Enfin, la « série se clôt sur la colère grandissante des Noirs à travers le pays, qui à Ferguson (Missouri), en août 2014, donne lieu à de véritables émeutes. Obama raconte comment, en tentant de ramener le calme, il a cherché à s'inspirer de l'héritage de son héros, Martin Luther King ». En fait, il divise les Américains, exacerbe les tensions raciales, intervient publiquement en faveur d'un jeune Afroaméricain tué par un vigile, au mépris de la séparation des pouvoirs et de la présomption d'innocence.

Quant au pasteur Wright, afro-américain antisémite favorable au suprématisme noir et pasteur de Barack Hussein Obama, le président Obama ne convainc pas sur sa longue tolérance à son égard et choque en dressant un parallèle avec sa grand-mère à laquelle il prête des propos racistes à l'égard des Noirs. Le racisme est condamnable. Obama occulte le fait que Jeremiah Wright était un pasteur, et non une citoyenne lambda. Comment Barack Obama a-t-il pu assister pendant des années aux sermons de ce pasteur sans s'offusquer de ses propos ?

Quid de l'instrumentalisation des associations juives américaines par Obama ? Quid de la rétrogradation par le président Obama des Juifs dans ses discours ?

Une présidence Obama d'autant plus catastrophique que le leadership américain s'avère indispensable au monde.


« Les années Obama » (Die Ära Obama) par Norma Percy, Brian Lappin et Paul Mitchell
Brook Lapping Productions en association avec Les Films d'Ici 2 pour la BBC en co-production avec al Jazeera America et ARTE France, avec SBS-TV Australia, NHK, SVT, VPRO, RTS, NRK, DR, RDI/Radio Canada, YLE, TVP, Avec le soutien du Programme MEDIA de l'Union européenne, du CNC et de la Procirep-Angoa, 2015
Yes we can (100 Days) : le 8 novembre 2016 à 9 h 25, 25 avril 2017 à 22 h 30 (58 min)
La guerre à reculons (Der ungewollte Krieg, Don’t Screw It Up) : le 8 novembre 2016 à 11 h 20 (60 min)
No I can't (The Arc of History) : le 8 novembre 2016 à 12 h 20 (52 min)
         
Visuels : © Brook Lapping Productions

Les citations sont d'Arte. L'article a été publié le 8 novembre 2016.

vendredi 21 avril 2017

Crime et châtiment


Empruntant le titre à Dostoïevski, le musée d’Orsay consacra une exposition à la représentation du crime et de son châtiment dans les arts. Il rappellait aussi « l’approche qui se veut scientifique du tempérament criminel ». Une réflexion sur le Mal. Le 24 avril 2017, Arte diffusera Tu ne tueras point, réalisé par Krzysztof Kieslowski.


Deux siècles de combat pour abolir la peine de mort en France, pour que la demande argumentée de Cesare Beccaria, formulée en mai et juin 1791 par Le Peletier de Saint-Fargeau aux députés de la Constituante et exhortée par Robert Badinter, ministre de la Justice, soit obtenue (30 septembre 1981). Une peine qui « après avoir relevé de l’omnipotence d’un Dieu ou de l’autorité absolue d’un Roi – tempérée par le droit de grâce – ne serait plus administrée, dans la logique des Lumières, que par l’homme ».

Ecrivains et poètes – Sade, Baudelaire, Barbey d’Aurevilly, Hugo, Camus -, peintres et sculpteurs – Prud’hon, Goya, Géricault, Delacroix, Picasso, Warhol -, réalisateurs se sont inspirés ou ont créé des figures de meurtriers et meurtrières (Charlotte Corday poignardant le Conventionnel Marat). Le criminel, « ombre portée du héros, son double ambigu ».

La représentation du crime dénote aussi fascination ou répulsion, procède d’une volonté de suggérer ou de complaisance esthétisante.

Des feuilles distribuées en France à la presse à grand tirage (Le petit Journal), les journaux s’intéressent aux faits divers. Créant Détective en 1928, le journaliste et écrivain Joseph Kessel déclare : « Le crime existe, c’est une réalité, et pour s’en défendre, l’information vaut mieux que le silence ».

A la fin du XIXe siècle, « se développe une approche qui se veut scientifique du tempérament criminel : Lombroso développe une anthropologie qui prétend établir les caractéristiques mais aussi les constantes de l’homme criminel, qui s’inscriraient dans sa physiologie même, comme des stigmates, et même se transmettraient par atavisme ».

Ce faisant, c’est « aussi décriminaliser en partie l’individu et criminaliser la classe sociale et bientôt la race, ou du moins les rendre susceptibles d’une expertise scientifique, dont Bertillon plus tard développera les procédures » : identification judiciaire (photographies de face et de profil, classement des données selon des mesures physiques.

Dans La colonie pénitentiaire, Kafka décrit une « machine de torture légale et publique… Le supplice consiste en ceci que la herse est armée d’aiguilles qui inscrivent dans la chair du condamné le commandement qu’il a violé ».

Dans les années 1920, se développe dans l’Allemagne de Weimar une « imagerie singulière et violente autour du Lustmörder, le criminel sexuel. Otto Dix, George Grosz, Schlichter et plus généralement les peintres de la Neue Sachlichkeit – La Nouvelle Objectivité – multiplient les scènes de meurtres, souvent accompagnées de sévices et de démembrement des cadavres, dans des décors domestiques misérables ». Et l’exposition de citer M. le Maudit de Fritz Lang. Les commissaires expliquent cette « vague de criminalité sadique » par la Première Guerre mondiale, ses blessés et infirmes, et la crise économique.

Cette fascination pour le crime se retrouve aussi chez les Surréalistes (collages de Max Ernst dans La Femme 100 têtes).

L’exposition s’intéresse aussi aux crimes crapuleux, passionnels, compulsifs, aux relations entre folie, génie et crime ainsi qu'aux crimes comme représentatifs de l’époque à laquelle ils sont commis.

Dès l’entrée de cette sombre exposition, on est stupéfait de constater qu’est omise la source biblique du 6e commandement « Tu ne tueras point ». C’est l’un des apports fondamentaux de la Bible, du judaïsme. André Chouraqui a traduit ce commandement en « Tu n’assassineras pas ». Le musée omet le contexte : ce don de la Torah à Moïse sur le mont Sinaï.

Dans ce tableau de Gustave Moreau, Caïn, fils d’Adam et d’Eve, fratricide, « porte en lui son propre châtiment : la culpabilité. Celle-ci est autant le fruit de son remords que celui du jugement implacable de Dieu ». Et Victor Hugo évoquera ce crime dans son poème La Conscience (La Légende des siècles) qui s'achève par ce célèbre vers : « L'oeil était dans la tombe et regardait Caïn ».

Curieusement manque dans l’exposition, qui évoque pourtant la figure de la sorcière, le crime rituel (Blood libel), cette accusation fausse et diffamatoire à l’encontre des juifs de tuer des enfants non-juifs à des fins rituelles. Une allégation antisémite destinée aussi à diaboliser l’Etat d’Israël et dont on voit la résurgence dans l’affaire al-Dura, dans des manifestations, etc.

Et cette exposition ne mentionne pas le crime dit « d'honneur », perpétré aussi en Occident, et que Phyllis Chesler, professeur émérite de psychologie, a analysé.


Jusqu’au 27 juin 2010
Au musée d’Orsay
Niveau 0, Grand espace d’exposition
1, rue de la Légion-d’Honneur, 75007 Paris
Tous les jours, sauf le lundi, de 9 h 30 à 18 h, le jeudi jusqu’à 21 h 45

Visuels de haut en bas :

Couverture du catalogue

Gustave Moreau
L’âge de fer, Caïn
Huile sur bois, 34x25 cm
Paris, Musée Gustave Moreau
© RMN / Philipp Bernard

Georges Grosz
Caïn ou Hitler en enfer, 1944
Huile sur toile, 99x124,5 cm
Rome, Estate of George Grosz
© Droits réservés
© Adagp, Paris 2010

Articles sur ce blog concernant :

Les citations sont extraites du dossier de presse. Cet article a été publié le 22 juin 2010, puis le 16 novembre 2015.

vendredi 14 avril 2017

Une famille Juive française avait été menacée de mort à Goussainville

  
Depuis 2009, Ruth Smadja et ses deux enfants, âgés de 17 ans et de quatre ans, étaient les victimes de graves agressions antisémites à Goussainville (Val d’Oise). Un cas d’étude de la dramatique situation de Français Juifs modestes, de l’inefficacité, de l’inaction, de l’impuissance ou/et de l’indifférence de politiciens, d’organismes publics, de médias et bloggers ainsi que d’organisations communautaires. A cet égard, est particulièrement éclairant l'article biaisé Agressions antisémites, ce que disent les chiffres de Christophe Servan  publié par le site BdVoltaire. Le 1er juin 2014, Ruth Smadja apprenait qu'elle bénéficiait d'un appartement dans une ville loin de Goussainville. Elle y a emménagé avec ses enfants à l'automne 2014. Article republié après l'assassinat de Sarah Halimi qui suscite bien des questions : victime d'actes antisémites, Sarah Halimi et ses proches ont-ils déposé une main courante ou porté plainte ? Si oui, avec quelles conséquences ? Pourquoi la police est-elle intervenue si tardivement le soir du meurtre ? Pourquoi la famille Halimi n'a-t-elle pas alerté les organisations ou/et médias juifs français ? Qu'auraient fait ces organisations et médias ? Selon un témoin, Mme Halimi a crié si fort que toute la rue a entendu ses cris, notamment "Non ! Pas avec le marteau !"


« L'année 2002 commence, et, après l'incendie d’une école juive à Créteil et de la synagogue, c'est la synagogue de Goussainville qui, la nuit du 5 janvier, a été attaquée à coups de pierres et de cocktails Molotov qui visaient bien un édifice juif parce que juif, malgré la version donnée par la police selon laquelle il s'agissait d'un simple affrontement entre elle et des "jeunes du voisinage": chaque jour ce sont des insultes, des graffitis où l'on entend, où l'on lit "Mort aux juifs !", écrit Eric Marty dans Un nouvel antisémitisme.

2002, c’est l’année où Ruth Smadja et son fils emménagent comme locataire dans l’appartement d’une HLM de deux étages au sein d’une résidence de neuf immeubles à Goussainville, ville du Val d’Oise (95) située dans la banlieue nord de Paris. Un immeuble doté d’un interphone et d’un passe, et dont le bailleur est Espace Habitat Construction.

C’est aussi le début de l’exode de la quasi-totalité des Goussainvillois Juifs hors de cette commune où ne resteraient, selon Ruth Smadja, que dix Juifs.

Harcèlement antisémite
En 2009, à l’initiative d’un rabbin, Ruth Smadja pose une mezouza - rouleau parchemin sur lequel sont inscrits les premier et deuxième paragraphe du Chema, et placé enroulé à l'intérieur d'un étui - à l’extérieur de la porte de son appartement.

Un mois après, Ruth Smadja découvre cette inscription sur cette porte : « Juif pute dehors ». Alain Louis, maire de Goussainville, lui demande de l’effacer car « ce ne sont que des enfantillages ».

Deux jours après, nouveau tag : « Dehors les juifs ». Cette fois-ci, son fils photographie ce graffiti.

S’ensuit une longue série d’agressions antisémites visant sa famille : menaces de morts, tags nazis, boite aux lettres cassée et sur laquelle a été écrit « Sal pute de juif. On va te crever ta race de merde », inscriptions haineuses sur cette  porte – « Dehors les juifs » -, vols de courriers, de son paillasson et du vélo de son fils, croix gammées dessinées sur cette porte, mezouza arrachée, courrier « Toutes mes condoléances à la famille Smadja pour la mort de leur maman » dans sa boite aux lettres, etc.

Ruth Smadja a déposé une dizaine de mains courantes et une quinzaine de plaintes contre X. Apparemment classées.

La vie de la famille Smadja, qui s’est agrandie avec la naissance d’une fille, est bouleversée : réduction des sorties par crainte d’agressions physiques, redoublement du fils de Ruth Smadja, etc.

Jean Luc Nevache, préfet du Val d'Oise, a contacté Thierry Leleu, préfet du Val-de-Marne, afin que celui-ci propose à Ruth Smadja un relogement en urgence dans son département.  Ruth Smadja a ainsi visité l’appartement à Joinville-le-Pont (Val-de-Marne) du bailleur Agence Val-de-Marne de l’Immobilière 3F.

Elle a déposé un dossier, avec le soutien de l’assistance sociale, afin d’y devenir locataire. Mais le 7 janvier 2014, l'agence Val-de-Marne de l’Immobilière 3F lui a refusé la location cet appartement au motif de la faiblesse de ses revenus et qu’elle ne remplirait pas les conditions d’accès aux « dispositifs publics d’accès aux logements ».

« Je ne comprends pas ce refus. J’étais la seule à postuler. Mon budget – environ 1 180 € par  mois - est en équilibre. Je n’ai pas de dette, ni de loyers impayés. Mon APL (Aide personnalisée au logement) aurait été revalorisée si l'appartement de Joinville-le-Pont m'avait été accordé. Le FSL (Fonds de solidarité pour le logement) m'aurait aussi aidé pour entrer dans ce logement », me confie Ruth Smadja le 23 mars 2014. Et d'ajouter le 28 mars 2014 : "Mon bailleur actuel Espace Habitat Construction m'avait proposé un appartement à Saint-Maurice (94). Je l'ai visité. Puis mon bailleur m'a dit avoir commis une erreur en me proposant cet appartement. Puis, il m'a fait visiter un appartement avec des baies vitrées au rez-de-chaussée d'un immeuble à Gonesse, dans le Val d'Oise. C'était au fond d'une ruelle, à côté de l'entrée de l'autoroute. A côté de l'immeuble, il y avait des dealers. Après ma visite, on m'a demandé si je cherchais de l'herbe... Je  cherche un lieu décent. Mes enfants et moi méritons de vivre heureux, avec ou sans mezouza à la porte de notre appartement".

Une attestation de la CAF (Caisse d'allocations familiales) indique le versement à Ruth Smadja de 1 202,96 € en janvier 2014.

Les 28 et 31 mars 2014, l’Immobilière 3F m'a expliqué que la commission ayant statué sur le dossier de Ruth Smadja a calculé le taux d'effort de la demanderesse, c'est-à-dire sa contribution dans le paiement du loyer. Elle a estimé que ce taux d'effort avoisinant 40%, en incluant les charges d'électricité, était trop élevé, et risquait d'induire un surendettement. Elle a pris en  considération les revenus de Ruth Smadja au moment de sa demande, sans tenir compte par exemple de la possible revalorisation de son APL. L'Agence Val-de-Marne de l’Immobilière 3F semblait avoir ignoré les menaces de mort visant cette mère de famille.

Impuissance ou indifférence
Quand j'ai découvert sa page Facebook le 16 février 2014, j'ai alerté Sammy Ghozlan, président du BNVCA (Bureau national de vigilance contre l'antisémitisme). Celui-ci m'a répondu qu'il avait écrit le 24 octobre 2013 à Jean Luc Nevache, préfet du Val d'Oise (95) sur la situation de la famille Smadja.

Le 14 février 2014, Ruth Smadja a créé une page Facebook intitulée Le combat d’une maman Juive  qui a reçu 845 Like. Elle vient de créer un groupe fermé sur Facebook.

Le 25 février 2014, N.A. lancé la pétition  Pour la relocation d’une maman victime d’antisémitisme qui, en moins d’un mois, a déjà recueilli 1 644 signatures.

Le 26 février 2014, Sammy Ghozlan m'a écrit avoir « confirmation que la mairie de Goussainville s'occupe activement de son dossier » et qu'il « continue de lui apporter son aide ».

Le 27 février 2014, j'ai contacté ledit préfet, Alain Louis, maire de Goussainville et édile démissionnaire et exclu du Parti socialiste en janvier 2014, et Roger Cukierman, président du CRIF.

Annabelle Rodrigues, au sein de la préfecture du Val d'Oise, a souhaité avoir plus d'informations par téléphone.

Ruth Smadja a aussi écrit au Président François Hollande, à Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes et porte-parole du gouvernement, Christine Taubira, ministre de la Justice, et à Anne Hidalgo, candidate socialiste à la Mairie de Paris.

Le 6 mars 2014, Florence Gouache, chef de cabinet de la Garde des Sceaux, a répondu à Ruth Smadja par une lettre-type informant que sa « requête a été transmise à la direction des Affaires civiles et du sceau, à laquelle elle a demandé de veiller à ce qu’une réponse » lui soit « apportée dans les meilleurs délais ».

Ruth Smadja n’a pas reçu la réponse de Najat Vallaud-Belkacem. Un courrier vraisemblablement dérobé comme tant d’autres auparavant…

Le 6 mars 2014, Roger Cukierman a écrit Jean-Luc Nevache qui lui a répondu en soulignant que les services de la préfecture du Val d'Oise cherchaient activement un nouvel appartement pour la famille Smadja.

Lors du rassemblement organisé par le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) le 19 mars 2014 contre l’antisémitisme, Ruth Smadja a remis son dossier entre les mains de Manuel Valls, ministre de l’Intérieur.

Le 31 mars 2014, Jean Luc Nevache m'a assuré qu'il veillait à trouver le plus rapidement possible une solution par un relogement d'urgence de Ruth Smadja et de ses enfants.

Le 1er avril 2014, Ruth Smadja a publié un message sur le mur de son compte Facebook : elle y a interpellé pèle mêle des organisations communautaires - FSJU, CRIF, CASIP, Consistoire, le réseau Ezra, Collectif Haverim, SPCJ - et leurs dirigeants - Gil Taieb, Joël Mergui -, ainsi que ces deux préfets, le Président de la République, le Premier ministre, Christiane Taubira, Najat Vallaud-Belkacem, Anne Hidalgo et Meyer Habib. But : avoir un "petit coup de pouce". Puis, elle a été interviewée sur Radio Shalom par Bernard Abouaf. Elle a expliqué qu'elle souhaitait quitter le Val d'Oise pour le Val de Marne ou Paris afin de se rapprocher de sa famille qui pourra l'aider dans sa recherche d'un travail ou garder sa petite fille pendant sa journée de travail, et de quartiers où ses enfants et elle pourront aisément et librement pratiquer sa religion.

Le manque de logements sociaux, l'absence d'informations personnelles dans les dossiers de demande de logements sociaux - ceci afin d'éviter toute discrimination - et la carence d'informations capitales - menaces de mort visant la demanderesse - dans les dossiers soumis à des commissions pénalisent encore plus les requérants français Juifs victimes d’antisémitisme. Ainsi, le dossier de Ruth Smadja transmis par la préfecture du Val-de-Marne n'indiquait pas l'urgence du relogement et sa raison vitale, existentielle !

Pas de relogement d’urgence, pas de place en crèche municipale pour sa fille, pas de travail, environnement hostile… Ruth Smadja n’en dort plus.

Sa situation si éprouvante suscite des interrogations.

Les agressions antisémites ayant visé Ruth Smadja sont-elles recensées dans la liste établie par le SPCJ (Service de protection de la communauté Juive) et le ministère de l’Intérieur ? Pourquoi ses plaintes ont-elles été classées ?

Combien de familles telles que celle de Ruth Smadja s’épuisent à lutter seules contre l’antisémitisme virulent qui les menace ?

La communauté française Juive institutionnalisée s'est-elle dotée des moyens idoines pour aider de manière rapide, adéquate et efficace des Français Juifs victimes d'antisémitisme, telle Ruth Smadja ?

J’ai contacté le FSJU (Fonds social juif unifié), la Fondation Casip-Cojasor sur la situation dramatique de Ruth Smadja, ainsi que l’Immobilière 3F, pôle immobilier du groupe Solendi, et l'agence Val-de-Marne de l’Immobilière 3F sur le refus d'un relogement à Joinville-le-Pont. J'ai aussi écrit au bailleur actuel de Ruth Smadja, Espace Habitat Construction. Je publierai leurs réponses dès réception.

Le 25 mars 2014, à quelques jours de la fin de son mandat de huit ans à la présidence du FSJU, Pierre Besnainou a loué sur RCJ, radio soutenue par le FSJU, la lutte "exemplaire" contre l'antisémitisme menée par les autorités politiques. Il a exhorté les "Juifs de France" : "à surtout ne pas continuer à s'enfermer dans un ghetto". 

Le 1er juin 2014, Ruth Smadja apprenait qu'elle bénéficiait d'un appartement dans une ville loin de Goussainville. Elle y a emménagé avec ses enfants à l'automne 2014.

Silences et partialité médiatiques
Faits révélateurs : les rares articles sur Ruth Smadja ont été publiés dès le 23 février 2014 par des bloggers ou sites Juifs : Europe-Israel, Alliancefr, AlyaExpress et sur mon blog.

Pourquoi ce silence de médias contactés, notamment RTL et Europe 1, et ceux communautaires, dont la plupart disposent de comptes Facebook ? Qu'attendent-ils ? La mort de Ruth Smadja ou de ses enfants ? Ou ces médias manifestent une réticence à intégrer les actes antisémites dans les informations caractérisant l'actualité en France.

Coïncidence. Ce 24 mars 2014, le site BdVoltaire a publié l’article Agressions antisémites, ce que disent les chiffres de Christophe Servan, gestionnaire de fonds d’investissement. Curieusement, les notes de l’article ne renvoient à aucune source.

Résumé : Manuel Valls a déclaré lors du Rassemblement organisé par le CRIF au Trocadéro : « Les actes antisémites sont en progression depuis quelques années » et sont causés par « une partie de l’extrême droite française ».

Mais à en croire Christophe Servan, le ministre avait tout faux.

D’abord, le nombre d’actes antisémites a baissé en un an : 423 en 2013 contre 614 en 2012.

Ensuite, si on rapporte le nombre d’actes antisémites en 2013 (423) à celui des crimes et délits commis en France métropolitaine (403 433), les « actes d’antisémitisme représentent 0.03% du total des crimes et délits ». Et les « juifs en France » (« 530 000 à 550 000 ») représenteraient « 0,9% de la population française ».

Et de récentes agressions antisémites ont été proférées en arabe, donc pas de l’extrême-droite.

Dès ce stade de son article, Christophe Servan a déjà commis plusieurs fautes.

Premièrement, une erreur algébrique : 423/403 433 = 0,001. Soit un pour mille.

Deuxièmement, des citations tronquées du ministre Manuel Valls qui avait aussi déclaré : « L’antisémitisme se nourrit aussi de l’antisionisme. Il se nourrit dans nos quartiers populaires des ambiguïtés sur l’Etat d’Israël. Nous devons résister, résister, résister face à cet antisémitisme  ». Eh oui, Manuel Valls avait aussi évoqué en termes à peine codés les cités où habitent des populations souvent issues d’Afrique du Nord. Quant au nombre de Juifs en France, si le CRIF disposait d’un nombre exact, il serait bien le seul dans une république refusant les statistiques religieuses.

Par ailleurs, il est aberrant de rapporter le nombre d’actes antisémites sur le nombre de crimes et délits qui comprend les vols, infractions économiques et financières (contrefaçons, escroqueries en faux), infractions à la législation sur les stupéfiants, etc.

Par contre, il est pertinent de rapporter le nombre d’actes antisémites au nombre des actes racistes et antisémites. Et alors apparaît une disproportion alarmante soulignée par le SPCJ (Service de protection de la communauté Juive) : « Depuis l’année 2000, le nombre d’actes antisémites recensés est en moyenne 7 fois plus élevé que le nombre d’actes antisémites des années 90... 40% des violences racistes commises en France en 2013 sont dirigées contre des Juifs. Or, les Juifs en France représentent un peu moins de 1% de la population. Cela signifie que moins de 1% des citoyens du pays a concentré 40% des violences physiques racistes commis en France ».

En outre, Christophe Servan omet d’indiquer que, parmi les 614 actes antisémites commis en 2012, se trouvent les quatre assassinats antisémites commis par le jihadiste Mohamed Merah, à l’école Ozar HaTorah (Toulouse). Trois enfants et un adulte tués non pas parce qu’ils étaient bruns ou blonde, mais parce qu’ils étaient des « proies faciles », des Juifs désarmés.

Conclusion de Christophe Servan dans son article : « Sur le plan quantitatif donc, la disproportion entre les chiffres et les discours est manifeste. C’est donc l’aspect qualitatif et seulement celui-là qui est mis en avant par les pouvoirs publics ».

« Environ 75 000 femmes sont violées chaque année en France  ». Si on rapporte le nombre de femmes violées (75 000) sur celui de la population féminine en France en 2014 (32 937 326), on trouve le nombre de 0,002, soit deux pour mille. Et si on rapporte ce nombre de viols sur celui des crimes et délits, les viols représentent 18,59% du nombre de ces derniers. Qu’en conclurait Christophe Servan ?

Et Christophe Servan poursuit dans son relativisme par la banalisation : « Nul ne saurait nier qu’agresser un être humain pour le seul motif qu’il est né ceci ou cela est doublement odieux, mais pourquoi plus un juif qu’un arabe ou un chrétien, et pourquoi plus l’appartenance ethnique que l’apparence physique ? Combien de citoyens ordinaires sont agressés du seul fait qu’ils ont une tête qui ne revient pas à leur agresseur, qu’ils sont vieux ou handicapés et donc des proies faciles, qu’ils s’habillent comme des bourgeois ou pour les jeunes filles en tenue légère, pour un simple regard ou encore une cigarette refusée ? Alors, fléau national ou instrumentalisation d’un mythe, c’est à vous de juger ».

Les faits sont têtus. Si le nombre de profanations de cimetières chrétiens dépasse celui de cimetières juifs ou musulmans, les Juifs vivants sont quantitativement les premières victimes d’actes racistes et antisémites. Agresser un Juif, ce n’est pas agresser un « citoyen ordinaire » pour un motif futile, c’est l’agresser parce qu’il est Juif. Aucune personne n’ayant refusé une cigarette ou s’habillant comme un bourgeois n’a été assassiné lors de la Shoah en raison de son refus ou de ses habits bourgeois. Quels individus refusent que des jeunes filles soient vêtues de « tenue légère » ou tuent pour « un simple regard » ?

Et qui instrumentalise l’antisémitisme érigé en « mythe » par Christophe Servan ? On vous laisse deviner.

On ne sait ce qui choque le plus dans l’article de Christophe Servan : la publication par BdVoltaire d’un article de cet acabit visant à « mythifier » l’antisémitisme pourtant réel en France, la dénaturalisation des Juifs, des amalgames douteux, des calculs erronés et biaisés, le registre lexical faux – « arabe » au lieu de « musulman » -, etc.

Venant d’un expert en chiffres, on reste perplexe.

Finalement, le mot tabou dans l’article de Christophe Servan, c’est "musulman", voire l'expression "antisémitisme islamique". Pourquoi ?
   
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Cet article a été publié le 23 mars 2014. Il a été modifié le 4 novembre 2014.

vendredi 7 avril 2017

« Ni Dieu ni Maître - Une histoire de l'anarchisme » par Tancrède Ramonet


Arte diffusera le 11 avril 2017 « Ni Dieu ni Maître - Une histoire de l'anarchisme » (Kein Gott, kein Herr! - Eine kleine Geschichte der Anarchie), série documentaire en deux volets de Tancrède Ramonet. « Tous les grands événements de l'histoire sociale des deux derniers siècles et dévoile l’origine et le destin de ce courant politique qui combat depuis plus de 150 ans tous les maîtres et les dieux ».

« Ni Dieu ni Maître - Une histoire de l'anarchisme » par Tancrède Ramonet
La Fraction Armée rouge (RAF) allemande

    « Né du capitalisme, frère ennemi du communisme d'Etat, l'anarchisme n'a eu de cesse de souffler son vent de justice et de liberté sur le monde. Et si certains libertaires purent se changer en criminels, jouant du revolver ou faisant parler la dynamite, on oublie qu'ils furent nombreux à proposer des alternatives et initier les grandes révolutions du XXe siècle ». 


« Du manifeste fondateur de Proudhon (1840) à la chute de Barcelone (1939), cette fresque documentaire fait revivre la richesse foisonnante d'un mouvement multiforme, montrant combien l'anarchisme continue d'irriguer tout le champ des luttes sociales et politiques ».

« A partir d’images d’archives inédites, de document oubliés, d’entretiens exclusifs avec les plus grands spécialistes du mouvement ouvrier, ce film exceptionnel  raconte pour la première fois l’histoire de ce mouvement qui combat depuis plus de 150 ans tous les maîtres et les dieux et qui, de Paris à New York et de Tokyo à Buenos Aires, n'en finit pas de faire trembler le monde ».

« Pourquoi l'anarchisme est-il perçu aujourd'hui comme marginal ? Comment expliquer que, alors que ses combats et ses mots d'ordre libertaires et égalitaires ont largement contribué à écrire l'histoire des luttes sociales et des révolutions, et qu'ils résonnent aujourd'hui avec une force nouvelle, ses origines aient été à ce point oubliées ? » 

Cette « passionnante fresque documentaire, qui retrace pour la première fois les débats et les événements clés de l'histoire de l'anarchisme sur un siècle, de 1840 à la Seconde Guerre mondiale, élucide en partie le paradoxe. D'une part, les pouvoirs que les anarchistes ont toujours défiés, parfois la bombe à la main, sont largement parvenus, par la répression et la propagande, à museler ou discréditer leur pensée. D'autre part, la diversité étonnante d'un mouvement d'envergure mondiale, mais qui a refusé avec constance tout embrigadement derrière un chef ou une doctrine, a contribué à occulter, dans la mémoire collective, son rôle pionnier dans les conquêtes sociales, de la journée de huit heures à l'émancipation des femmes ». 

« De Paris à Chicago, de Tokyo à Mexico, de Saint-Pétersbourg à Barcelone, Tancrède Ramonet redonne vie à cette richesse foisonnante, à travers l'évocation de ses principales figures, le récit d'une dizaine de spécialistes et à de très belles archives, notamment photographiques ».

La volupté de la destruction (1840-1914)
« Qu'est-ce que la propriété ? C'est avec ce manifeste fondateur qu'en 1840 l'ouvrier typographe Pierre-Joseph Proudhon jette les bases d'une solution anarchiste à la misère terrible qui se développe depuis le début du siècle dans les grands bassins industriels ». 

« En 1864, lors du Congrès de la Ière Internationale des travailleurs à Londres, les anarchistes sont largement majoritaires ». 

« Bakounine voit dans la dictature du prolétariat proposée par Marx « la menace d'une effrayante bureaucratie rouge ». 

« De la Commune de Paris, en 1871, à la grève générale de 1906, de l'émergence des Bourses du travail à celle des grandes organisations syndicales, des premiers votes féminins aux communautés de vie alternative, de l'éducation populaire à la mise en place d'écoles libertaires, le mouvement anarchiste suscite des expériences révolutionnaires inédites et se révèle l'un des principaux promoteurs des grandes avancées sociales ». 

« De Ravachol à Bonnot, de l'assassinat de Sadi Carnot (1894) à celui d'Umberto Ier d'Italie (1900), ce premier épisode rappelle aussi que la « propagande par le fait » que choisissent certains anarchistes inaugure un terrorisme international qui cible avec succès les sommets de l'État, mais contribue à forger sa légende noire ».

La mémoire des vaincus (1911-1945)
Après la Première Guerre mondiale, « dans une Europe exsangue, l'anarchisme semble avoir perdu l'essentiel de son influence ». 

« Mais les révolutions mexicaine (1910), puis russe (février 1917), ont vu appliquer ses mots d'ordre à une échelle jusque-là inédite, même si l'échec de la première, et la prise du pouvoir par les bolcheviks à Saint-Pétersbourg, ont rejeté à nouveau parmi  des vaincus des milliers de ses militants ». 

« Dans cet entre-deux guerres où, très vite, les totalitarismes fascistes et soviétique se font face, il l'anarchisme reste fort en Amérique ». 

« En 1927, l'exécution des deux militants Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti suscite une immense réprobation des deux côtés de l'Atlantique ». 

« Puis, au printemps 1936, l'élection en Espagne d'un gouvernement de Front populaire va permettre aux anarchistes d'écrire, notamment en Catalogne, l'une des pages les plus marquantes de leur histoire, avant d'être écrasés dans la tourmente de la guerre civile ».

On peut regretter la faible part consacrée par cette série documentaire aux relations complexes entre anarchisme et Juifs.

PORTRAITS PAR MARIA ANGELO

1840
PROUDHON, LE PERE FRANÇAIS DE L’ANARCHISME
« Qu’est-ce que la propriété ? C’est le vol ! » La réponse de Pierre-Joseph Proudhon au titre du livre qu’il publie en 1840 est célèbre. C’est aussi dans cet ouvrage fondateur qu’il affirme : « Je suis anarchiste, quoique très ami de l’ordre », profession de foi qui fera de lui le père du mouvement. Au moment où Proudhon s’insurge, la révolution industrielle enrichit une petite partie de la population mais les ouvriers ont, eux, à peine de quoi se nourrir. Ils ne peuvent pas se soigner et encore moins se cultiver. Né en 1809 à Besançon, l’ouvrier typographe Proudhon est l’un des rares intellectuels issus des classes laborieuses dont les textes dénonçant les inégalités vont circuler dans le monde entier. S’il est le premier à établir un lien étroit entre dominations politique, économique et religieuse, il n’est pas pour autant partisan de la violence révolutionnaire et mise sur une société mutualiste ». 

« C’est un peu plus tard, avec le Russe Mikhaïl Bakounine, qui prône, lui, la lutte armée, que l’anarchisme devient un courant révolutionnaire ».

1886
UN 1ER MAI SANGLANT A CHICAGO
« Outre-Atlantique, Chicago est le centre de la planète anarchie. C’est là qu’est lancé, le 1er mai 1886, un mot d’ordre de grève générale. Quelque 340 000 manifestants exigent dans la rue des journées de travail de huit heures. La police charge et fait plusieurs victimes parmi les grévistes. Le 4 mai, alors qu’une manifestation touche à sa fin, à Haymarket Square, une bombe explose. Sept policiers perdent la vie. Le drame est suivi d’une rafle de grande ampleur chez les anarchistes. Lors du procès de huit d’entre eux, en juin, le procureur reconnaît : « Nous savons que ces huit hommes ne sont pas plus coupables que les milliers de personnes qui les suivaient, mais ils sont des meneurs ; messieurs du jury, faites-les pendre et vous sauverez nos institutions et notre société ». Cinq anarchistes, promus au rang de martyrs, seront exécutés. 
« Célébrée comme « Journée internationale de revendication des travailleurs » en 1889, le 1er mai va connaître d’autres tragédies ».
« En France, après la fusillade de Fourmies, en 1891, une grève générale, le 1er mai 1906, sera à son tour férocement réprimée ».

1894
L’ASSASSINAT DU PRÉSIDENT SADI CARNOT
« Sabotages, boycotts, attentats : la nouvelle stratégie d’action des anarchistes à partir des années 1880 repose sur la « propagande par le fait ». C’est à cette époque que Ravachol, en France, commet ses premiers faits d’armes ». 
« Mais, désormais, les têtes couronnées et les hommes politiques sont visés. Après le tsar de Russie Alexandre II, en 1881, le président de la République française Sadi Carnot, qui a refusé la grâce pour plusieurs anarchistes, tombe le 25 juin 1894, à Lyon, poignardé par l’anarchiste italien Sante Geronimo Caserio ». 
« Beaucoup d’autres connaîtront le même sort : Sissi, l’impératrice d’Autriche, assassinée à Genève en 1898 ; le roi d’Italie Humbert Ier, en juillet 1900 ; le président des États-Unis McKinley en 1901 ; le roi de Grèce Georges Ier en 1913, ou encore, l’année suivante, à Sarajevo, François-Ferdinand d’Autriche et son épouse ». 
En 1898, Émile Zola « justifiera cette stratégie, arguant que « la terreur bourgeoise a fait la sauvagerie anarchiste ». 
« Cependant, de nombreux anarchistes condamneront cette violence meurtrière qui « décrédibilise la cause libertaire sans insuffler l’insurrection ».

1918
L’ARMÉE INSURRECTIONNELLE DU « PETIT PERE MAKHNO »
« D’inspiration anarchiste, une armée révolutionnaire insurrectionnelle, la « Makhnovchtchina », est mise sur pied en 1918 par un paysan ukrainien, Nestor Makhno ». 
« Ayant pour mot d’ordre « mort à tous ceux qui s’opposent à la liberté des travailleurs », ses soldats combattent en Ukraine les armées blanches russes. Quand ils libèrent une ville, ils ouvrent les prisons, redistribuent la nourriture, imaginent comment collectiviser les terres et autogérer les entreprises ». 
« À son apogée, la « Makhnovchtchina » compte jusqu’à 40 000 hommes et contrôle un vaste territoire. Mais rapidement, les désaccords éclatent en son sein entre anarchistes et bolcheviks. En 1921, les officiers makhnovistes sont fusillés et, en Russie, tous les représentants du mouvement anarchiste sont assassinés ou déportés ».
« Échappant à la répression, Nestor Makhno parvient à fuir en France, où il meurt en 1934 ».

1940
LA MORT D’EMMA GOLDMAN, UNE FIGURE DE L’ANARCHISME FÉMINISTE
« Née en Russie en 1869, émigrée aux États-Unis en 1885, Emma Goldman a été surnommée « la femme la plus dangereuse d’Amérique » après avoir tenté d’assassiner l’industriel de l’acier Henry Clay Frick, qui avait décidé de fermer l’une de ses usines en grève ».

« Emprisonnée plusieurs fois, la militante anarchiste et libertaire a soutenu dès 1936 la jeune révolution espagnole ».

« Dans le monde entier, de nombreuses femmes ont embrassé la cause. Parmi elles, l’institutrice Louise Michel, figure de la Commune de Paris, l’Américaine Voltairine de Cleyre, qui aidera la révolution mexicaine, l’Italienne Leda Rafanelli, chantre de l’anticolonialisme au Proche-Orient, l’Argentine Virginia Bolten, qui publie le premier journal féministe de l’histoire sous la devise « Ni dieu, ni maître, ni mari ». Ou encore la journaliste japonaise Suga Kanno, pendue à 29 ans après avoir été accusée, à tort, de haute trahison ».


« Ni Dieu ni Maître - Une histoire de l'anarchisme » par Tancrède Ramonet
France, Temps Noir, 2013
Narrateur : Redjep Mitrovitsa
Textes dits par Audrey Vernon
Conseillers historiques : Gaetano Manfredonia et Frank Mintz
Musique originale : Julien Deguin
Sur Arte :
1ère partie  : le 11 avril 2017 à 20 h 50 (72 min)
2e partie  : le 11 avril 2017 à 22 h 05 (72 min)

Visuels 
© Getty Images, DR, BM Dijon, Collection particulière/EBC, Collection IM/KHARBINE-TAPABOR
Affiche NDNM © Temps noir

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