Citations

« Le goût de la vérité n’empêche pas la prise de parti. » (Albert Camus)
« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du Soleil. » (René Char).
« Il faut commencer par le commencement, et le commencement de tout est le courage. » (Vladimir Jankélévitch)
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » (Albert Londres)
« Le plus difficile n'est pas de dire ce que l'on voit, mais d'accepter de voir ce que l'on voit. » (Charles Péguy)

mercredi 30 juin 2021

Rachel Aubert, peintre

L'Atelier Capifrance Paris VIIIe propose une exposition de la peintre Rachel Aubert. Des tableaux en acrylique, narratifs, dynamiques, aux titres parfois ironiques, où le figuratif transparait derrière une abstraction apparente, et où des pointes vivement colorées illuminent une obscurité dense. L'artiste y projette ses interrogations teintées d'optimisme.


« Autodidacte, j’ai débuté la peinture vers l’âge de 25 ans par de l’art figuratif », a confié Rachel Aubert, ingénieure agronome et professeur en biologie/écologie. 

Après une pause de plus de... vingt ans, elle recommence à peindre en 2017. 

Elle expose « à Wallers, le village dont je suis originaire dans le Nord de la France près de Valenciennes dans le cadre de l’exposition annuelle « Arts et Histoire ». Enchaine avec « trois expositions à Valenciennes, dont l’une intitulée « La part d’ombre et de lumière chez l’Homme », puis dans un restaurant de la métropole lilloise en 2020.

Dotés de forts reliefs de matières acryliques, les tableaux de Rachel Aubert sont animés d’un mouvement irrépressible.

D’un cosmos, surgissent des pointes lumineuses fulgurantes.

L'abstraction confine au figuratif, ou autorise de l'interpréter en tant que tel. Derrière des branches bleutées, se devine une maison, et au loin, une colline.

Transparait une quête spirituelle, une interrogation sur la vie -  d'où venons-nous ? - et émane un message optimiste sur le chemin de la vie qui continue, malgré des épreuves.

« La peinture doit déclencher une sincérité que je veux partager avec le spectateur. Je travaille en musique sur la toile avec une spatule, une éponge, des pailles. Mais il y a toujours de l’optimisme, de l’amour, l’idée d’aller du sombre vers la lumière et un monde futur qui pétille », a expliqué l’artiste à La Voix du Nord en 2019. 


Œuvres visibles sur les réseaux sociaux

Jusqu’au 10 juillet 2021
15, rue de Turin. 75008 Paris

Visuels :
Et la vie continue...
Patchouwork
Partir sans se retourner
Bonheur acidulé

mardi 29 juin 2021

Axel Springer (1912-1985), magnat de la presse

Axel Springer (1912-1985) était un magnat allemand sioniste de la presse qui a bâti un groupe européen puissant, Axel Springer AG, dont l’un des fleurons est le célèbre quotidien  Bild (plus de trois millions de lecteurs). Un artisan de la réunification allemande qui a renforcé les liens entre la République fédérale d’Allemagne (RFA) et l’Etat d’Israël dont il était un fervent supporter. Un homme en quête spirituelle, intéressé par l'astrologie et marqué par la Shoah. 
« Les trois vies d’Axel Springer » (Drei LebenAxel Springer. Verleger, Feindbild, Privatmann), est un documentaire (2012) de Manfred Oldenburg, Jobst Knigge et Sebastian Dehnhardt. P
résident de la maison d'édition Springer, Mathias Doepfner a hissé, pendant une semaine, fin juin 2021, le drapeau israélien sur le siège du groupe après des défilés antijuifs durant la guerre d'Israël contre le mouvement terroriste Hamas dans la bande de Gaza.


En trois parties, le film 
« Les trois vies d’Axel Springer » (Drei LebenAxel Springer. Verleger, Feindbild, Privatmann),  un documentaire (2012) un peu décousu de Manfred Oldenburg, Jobst Knigge et Sebastian Dehnhardt montre la personnalité complexe d'un magnat de la presse pro-israélien.

Une irrésistible ascension
Né le 2 mai 1912 près de Hambourg, Axel Cäsar Springer débute en 1933 comme journaliste à l’Altonaer Nachrichten jusqu’à la fermeture du journal en 1941.

Il travaille aussi comme compositeur et éditeur dans la maison familiale d’édition Hammerich & Lesser-Verlag (1941-1945). Et il complète sa formation dans l’agence de presse Wolff's Telegraphisches Bureau et comme correspondant du journal Bergedorfer Zeitung.

Sa première épouse était demi-juive selon les lois de Nuremberg. La Shoah le hantera.

Réformé, il travaille en 1941 comme projectionniste au cinéma Le Waterloo qui présente des films américains.

Après la défaite du IIIe Reich (1945), cet homme ambitieux, séducteur et ébranlé par la Shoah obtient une licence des autorités britanniques et fonde en 1946 son entreprise d’édition Axel Springer GmbH à Hambourg. Il débute dans un abri antiaérien de cette ville largement rasée par les bombardements alliés. Il vise un lectorat populaire.

Il publie le Hamburger Abendblatt, et des magazines dont celui hebdomadaire et populaire sur les programmes de radio, puis de télévision, Hör zu (Die Rundfunkzeitung). Plus d'un million d'exemplaires.

Axel Springer lance en 1946 Die Welt (le monde, en allemand), puis en 1952 le célèbre quotidien tabloïd allemand Bild (ou Bild-Zeitung, Journal image) - jusqu'à 12 millions de lecteurs par jour - à l’influence notable sur l’opinion publique et critiqué pour tabler sur le sensationnel. Ses journaux représentent des idées conservatrices. Axel Springer amène les gents à lire quotidiennement un journal.

En 1953, il compatit aux Allemands de l'Est qui se soulèvent à Berlin-Est.

Une telle pression pèse sur ses épaules qu'elle accentue sa fragilité psychique (dépression en 1957). Il entame une quête mystique, intéressé par les ermites médiévaux. Profondément religieux, il veut aider les opprimés - les Allemands vivant de l'autre côté du Rideau de Fer -, les pauvres. Cet homme énergique met son pouvoir et son influence au service de sa mission. C'est ce qui l'a guéri selon son épouse.

En janvier 1958, Axel Springer rencontre Nikita Khrouchtchev à Moscou (URSS) et tente vainement de gagner l’appui du Kremlin à la réunification de l’Allemagne. Un entretien tendu de quatre heures. Axel Springer devient un éditeur politique.

En mai 1959, il pose la première pierre du siège de son groupe à Berlin en présence de Willy Brandt, maire de Berlin-Ouest et alors son allié dans cette ville divisée. La liberté devient un sujet de plus en plus central pour cet homme intuitif qui a méprisé les nazis. Ce démocrate  modèle fait face au passé de l'Allemagne.

En juin 1966, il effectue sa première visite en Israël. Au maire de Jérusalem Teddy Kollek, il remet un million de dollars destinés à une bibliothèque et à une nouvelle aile au musée d’Israël. Jérusalem sera la « deuxième patrie » d'Axel Springer. Honni en Allemagne, ce patriote est aimé en Israël.

En 1967, dans un discours à Hambourg, Axel Springer annonce ses principes d’édition, qui seront modifiées en 1990 et 2001 : soutenir la liberté et au droit en Allemagne, pays membre de l’Occident, et poursuivre l’unification de l’Europe ; promouvoir la réconciliation des Juifs et des Allemands et soutenir l’Etat d’Israël et son existence ; soutenir l’Alliance transatlantique et la solidarité avec les Etats-Unis dans les valeurs communes des nations libres ; rejeter toutes les formes d’extrémisme politique et soutenir les principes de l’économique libre et sociale de marché. Une philosophie inscrite dans les contrats de travail des employés de ce groupe devenu le plus important en Europe.

Dans une Allemagne divisée par les Etats vainqueurs, pendant la Guerre froide et la Détente, Axel Springer devient rapidement le patron de presse le plus riche et le plus puissant de l’Allemagne fédérale, à l’ère du miracle économique germanique dont il est l’une des grandes figures de proue. « Ici, le roi » , annonce-t-il au début de sa conversation téléphonique.

En 1970, Axel Springer transforme sa compagnie en société par actions dont il est le seul actionnaire. Avec 230 journaux et magazines et des sites Internet, ce groupe est l’un des principaux vecteurs médiatiques européens. Pour Axel Springer, les ennemis sont les « terroristes occidentaux », la Fraction armée rouge. Cet anticommuniste figure sur la listes des hommes à abattre par les gauchistes. 

Axel Springer est la cible de violentes polémiques et d’attaques politiques (1968-1975) – émeutes devant sa maison d’édition et ses domiciles, explosions devant le siège de son groupe, son chalet à Gstaad (Suisse) est incendié, menaces de mort - de la part de jeunes gauchistes et communistes, opposant à la guerre du Vietnam. Le «  groupe Springer fait campagne contre les étudiants ».  «  Expropriez Springer ! Springer assassin », crient les étudiants qui réclament le démantèlement du groupe et manifestent après l'attentat contre Rudi Dutschke en 1968. Des mouvements de révolte encouragés par la Stasi - police politique de renseignement et d'espionnage - de la RDA (République démocratique allemande).

Heinrich Böll évoque ce magnat de la presse allemande, puissant et redouté, dans son roman L’honneur perdu de Katharina Blum, Comment peut naître la violence et où elle peut conduire (Die verlorene Ehre der Katharina Blum, Wie Gewalt entstehen und wohin sie führen kann, 1974), porté à l’écran par Volker Schlöndorff.

Axel Springer publie en 1971 son premier livre Von Berlin aus gesehen (Vu de Berlin), et en 1980 Aus Sorge um Deutschland.

Grâce aux témoignages souvent inédits de sa famille, de ses amis et adversaires, ce documentaire nous révèle des aspects inconnus de sa vie personnelle - « fils à maman », séducteur, collectionneur, philanthrope - et familiale d’Axel Springer, marié à cinq reprises et divorcé quatre fois, père de trois enfants dont le photographe Sven Simon qui se suicide en 1980.

Sa motivation ? Ni l’argent - son groupe lui a rapporté 1,5 milliard de marks, selon un biographe - ni le pouvoir.  Axel Springer se retire progressivement de la gestion de son groupe, organise sa succession et garde 26,1% de la société par actions nouvellement créée avant l'entrée en Bourse.

Son but suprême poursuivi toute son existence, c’est la réunification de l’Allemagne, avec Berlin pour capitale dans une Europe en paix. Un objectif qu’il ne verra pas car il meurt en 1985. Quatre ans avant la chute du mur de Berlin.

Un groupe de presse sioniste
A l’initiative d’Axel Springer AG et de l’Institut pour le dialogue stratégique présidé par Lord Weidenfeld se tient le dialogue européen-israélien.

Le 7 avril 2011, sa onzième édition a réuni 45 politiciens – dont Avigdor Lieberman et Guido Westerwelle, ministres israélien et allemand des Affaires étrangères, et Natan Sharansky -, journalistes, auteurs - Hamed Abdel-Samad - et entrepreneurs – John Elkann - israéliens, européens et égyptien.

Au programme : les événements récents au Moyen-Orient, le rôle de l’islam et d’éventuelles améliorations dans les relations politique et économiques entre l’Europe et l’Etat d’Israël.

« A la lumière des développement récents au Moyen-Orient, un échange européo-israélien d’idées est plus important que jamais. En fin de compte, les deux régions ont des intérêts communs économiques, de politiques étrangère et de sécurité », a alors déclaré Mathias Döpfner, PDG d’Axel Springer AG, groupe « sioniste non Juif ».

Le 8 avril 2012, Mathias Döpfner a déclaré au Jerusalem Post : Axel Springer « pensait qu’une nouvelle Allemagne ne peut se développer que si elle définit ses relations avec Israël… [Celui-ci] est la tête de point de la démocratie au Moyen-Orient. Aussi, est-il dans l’intérêt de l’Europe de le soutenir et de le renforcer. Nous partageons les mêmes racines culturelles et les mêmes intérêts en terme de stratégie et de politique étrangère… L’Etat d’Israël devrait être membre de l’Union européenne ».

Et de souligner la nécessité de ne pas oublier « ce que l’Allemagne a fait et sa responsabilité particulière pour soutenir Israël » et de définir de manière distincte un intérêt pour Israël : société dirigée par l’éducation, l’entrepreneuriat…

Autre exemple de la philanthropie de ce groupe fidèle à son fondateur : journaliste Juif et président de la Fondation Axel Springer, ErnstCramer a créé un programme décennal destiné aux journalistes allemands et israéliens, sponsorisé sous la forme de bourses par le groupe Axel Springer.

Quotidien le plus lu en Allemagne, le  Bild Zeitung a publié le 11 août 2014, et sous le titre “La guerre d'Israël contre les terroristes du Hamas : Les visages de ceux qui sont tombés au combat”, les visages des 64 soldats israéliens tués lors du conflit dans la bande de Gaza lors de l'opération Bordure protectrice. De courtes biographies ont accompagné les visages. Signé par Anne-Christine Merholz, le reportage décrit ces soldats comme “64 fils, amis, époux qui ne retourneront jamais rejoindre leurs familles. Ils sont morts pour leur patrie, en combattant le Hamas à Gaza”. Diffusé à au moins 3,5 millions d'exemplaires chaque jour, le  Bild Zeitung est publié par la compagnie Axel-Springer, à la ligne éditoriale pro-israélienne, visant à "promouvoir la réconciliation entre Juifs et non-Juifs en Allemagne et à soutenir le droit d'Israël à exister".

P
résident de la maison d'édition Springer, Mathias Doepfner a hissé, pendant une semaine, fin juin 2021, et en soutien à l'Etat Juif, le drapeau israélien sur le siège du groupe après des défilés antijuifs durant l'opération militaire "Gardien des murailles", guerre d'Israël contre le mouvement terroriste Hamas dans la bande de Gaza. Et il l'a signifié aux employés du groupe en les invitant, en cas de désaccord, à quitter la maison d'édition.

Antisémitisme dénoncé
Véronique Cayla, présidente, Alain Le Diberder, directeur des programmes, et les responsables de secteurs d’Arte France, refusèrent de diffuser  Un peuple élu et mis à part : l’antisémitisme en Europe, ("Auserwählt und ausgegrenzt - Der Hass auf Juden in Europa“) documentaire de 90 minutes écrit et réalisé par Joachim Schroeder et Sophie Hafner (Preview Production). Un refus datant du 26 avril 2017. « Motif : on y met trop en lumière la haine antijuive qui progresse dans la sphère arabo-musulmane et dans une certaine gauche obsédée par l’antisionisme ». Un « documentaire de quatre-vingt-dix minutes, produit et financé par Arte. Ce projet était porté par le pôle allemand d’Arte, et plus précisément par la chaîne publique Westdeutscher Rundfunk (WDR), membre de l’ARD, la première chaîne allemande. Il avait été validé en avril 2015 par la conférence des programmes. Pour Arte France, « la dénonciation de l’antisémitisme se limite à l’exploration répétitive de « ce ventre fécond dont est sorti la bête immonde », le nazisme archéo et néo, l’extrême droite dans toutes ses déclinaisons régionales, du FN français au Jobbik hongrois en passant par les néerlandais de Geert Wilders », a résumé Luc Rosenzweig, journaliste.

Et de poursuivre : 
"Le film de Joachim Schroeder et Sophie Hafner reçut pourtant l’aval, de justesse, de la conférence des programmes après que les auteurs ait accepté la suggestion de s’adjoindre comme co-auteur Ahmad Mansour, un psychologue d’origine arabe israélienne exerçant depuis dix ans en Allemagne. Ce dernier est une personnalité reconnue outre-Rhin comme porte-parole d’un islam des Lumières, modéré et violemment hostile au jihadisme. Il joue dans le débat public allemand un rôle similaire à celui tenu naguère dans le débat français par le regretté Abdelwahab Meddeb. Le courant passe entre les cinéastes allemands et Mansour, mais ce dernier n’accepte qu’un rôle de conseiller de ce documentaire, son emploi du temps ne lui permettant pas de participer à de chronophages phases de tournage à l’étranger et à d’interminables séances de montages. Mais il suit régulièrement la progression de la réalisation du film, et répond à toutes les demandes de conseils venant des réalisateurs. Dans l’esprit des dirigeants d’Arte, Mansour devait jouer le rôle de « commissaire politique » du film, veillant à ce que les auteurs restent bien dans les clous d’une vision de l’antisémitisme épargnant autant que faire se peut sa version arabo-islamique, et ce nouvel antisémitisme des banlieues européennes.
Il n’en a rien été, et Schroeder et Hafner, soutenus par la responsable de la coopération avec Arte au sein de la WDR, Sabine Rollberg ont persévéré dans leur projet de démasquer cet antisémitisme qui se camoufle sous le masque de l’antisionisme. Le couperet tombe en février 2017, sous la forme d’un sèche lettre de refus de diffusion du documentaire ainsi motivée : « Le film achevé ne correspond pas sur des points essentiels au projet accepté par la conférence des programmes. Par ailleurs on ne voit pas la trace de la collaboration d’Ahmad Mansour, qui devait garantir l’équilibre et l’impartialité du projet… » (Cet extrait est une traduction de la lettre adressée en allemand aux responsables du pôle allemand d’Arte, dont la direction, contactée par nos soins a refusé de nous transmettre sa version originale en français). Précisons qu’Alain Le Diberder ne parle pas un mot d’allemand, et que le film qu’il condamne n’a pas de version française… 
Mis en cause, Ahmad Mansour réplique vertement aux assertions d’Alain Le Diberder dans un courrier adressé à Sabine Rollberg. Après avoir confirmé qu’il avait bien décliné la fonction de co-auteur pour des raisons personnelles, et que le contenu du film avait été établi avec son accord il poursuit. « Ce film est remarquable et arrive à point nommé. Certes, il révèle des réalités dérangeantes, les mêmes que je rencontre dans mon travail quotidien. Je suis surpris qu’une chaine publique de la réputation d’Arte puisse avoir tant de problèmes avec le réel. Dans mon activité professionnelle j’exige constamment que l’on prenne conscience politiquement de cette réalité pour alimenter un débat public dans la société et faire face à ces nouveaux défis. C’est pourquoi je trouve ce film important et nécessaire ».

Les auteurs du documentaire ont expliqué avoir accepté de remonter leur film conformément aux vœux d'Arte France. En vain.

Alain Le Dibernier a invoqué le non respect par les documentaristes de la commande d'Arte. Il a déclaré au Monde ne pas avoir peur de diffuser un « brûlot », « mais la n’est pas la question. Nous n’avons jamais eu peur de diffuser des films à thèse ». 

« Il faut que vous compreniez que le sujet est très délicat. Nous sommes coincés entre les lobbys juifs et musulmans. C’est la raison pour laquelle la conclusion de ce documentaire doit rester indéterminée. », a déclaré un jour Marco Nassivera, directeur de l’information d’Arte.

WRD "avait expliqué sa décision de ne pas montrer le documentaire en disant qu'il ne répondait ni à ses exigences journalistiques ni à ses principes éditoriaux". La chaîne allemande WRD a allégué dans un communiqué "que le film ne répond ni à ses exigences journalistiques ni à ses principes éditoriaux. « Par exemple, sans citer de sources, il y est dit que "selon des estimations sérieuses, l'UE, des gouvernements européens, des églises européennes ainsi que des organisations onusiennes cofinancées par l'Union européenne auraient versé 100 millions d'euros par an à des ONG politiques connues pour mener des campagnes anti-israéliennes"». NGO Monitor (Observatoire des ONG) a prouvé les financements étrangers, notamment de l'Union européenne et d'Etats la composant, de mouvements israéliens.

Des organisations juives françaises ont exprimé leur indignation à l'égard de cette censure.

Aliza Bin Noun, ambassadrice d'Israël en France, a écrit à Véronique Cayla :
"Nous avons été stupéfaits et consternés d’apprendre qu’Arte ait refusé de diffuser le documentaire intitulé « Un peuple élu et mis à part : l’antisémitisme en Europe », réalisé par Joachim Schroeder et Sophie Hafner, d’autant plus qu’il fut produit à la demande d’Arte. Ce refus constitue une dissimulation de la réalité au public et une atteinte à son droit à l’information, surtout lorsqu’il s’agit de sujets importants tels que l’antisémitisme qui se répand à nouveau dangereusement en Europe, entraînant des conséquences graves sur les communautés juives, sur l’Etat d’Israël et sur l’ensemble des sociétés démocratiques. La France, Israël et d’autres Etats démocratiques luttent conjointement contre l’antisémitisme, au nom des valeurs qui nous unissent. Ce combat est d’autant plus crucial que l’antisémitisme tue encore aujourd’hui. En France, en 2012,  des enfants ont été tués à Toulouse parce que Juifs ; à Paris, en 2015, des Français ont été tués parce que juifs, à l’Hyper Cacher ; et encore tant  d’autres actes antisémites se produisent, en France et ailleurs, toujours guidés par la haine aveugle du Juif.   De surcroît, l’antisémitisme, qui s’exprime de nos jours aussi à travers l’antisionisme, contribuent à nier et délégitimer le droit d’Israël à exister en tant qu’Etat-nation du peuple juif, portant atteinte à un pays allié et ami de la France et l’Europe. C’est pourquoi, au nom de nos valeurs de démocratie et de liberté d’expression, et conformément à ce que représente Arte, il est fondamental de diffuser ce documentaire".
Le 13 juin 2017, Bild a diffusé sur son site Internet, pendant 24 heures, ce documentaire en l'entourant d'explications. "Notre responsabilité historique nous oblige à nous confronter à l'indicible que nous révèle ce documentaire. Pour que nous puissions tous savoir de quoi il en retourne", a écrit Julian Reichelt, directeur des rédactions du Bild, qui qualifie la décision d'Arte de le déprogrammer de « dégoûtante et honteuse ». Ce fleuron du groupe de presse Springer a publié les soutiens aux documentaristes de nombreux politiciens, intellectuels et historiens allemands, tels Götz Aly, Matthias Küntzel, Ahmad Mansour et Michael Wolffsohn

L'American Jewish Committee (AJC, Comité juif américain), le Centre Simon Wiesenthal (CSW) et le Conseil central des juifs d'Allemagne avaient exprimé leur indignation devant ce refus d'Arte.

Le 14 juin 2017, Arte a publié un communiqué de presse indiquant : « Arte ne veut légitimer a posteriori le documentaire en le diffusant sur son antenne, sachant qu’il s’éloigne considérablement du concept initialement convenu, lequel a été modifié sans qu’Arte n’en ait été informée ». Arte a ajouté qu’affirmer que « pour des raisons politiques le film n’aurait pas sa place dans le programme d’Arte est parfaitement absurde : la proposition acceptée par la Conférence des programmes prévoyait expressément, conformément à la ligne éditoriale d’Arte, chaîne européenne, de traiter de l’antisémitisme masqué derrière la critique d’Israël, et cela non pas au Proche-Orient, mais en Europe. ». La chaîne est surprise par cette diffusion par Bild; mais n’a élevé « aucune objection » à cette diffusion. 

Arte "a balayé les accusations de censure, affirmant que le film s'était éloigné "considérablement du concept initialement convenu" et assurant ne pas en avoir été informée pendant sa phase de réalisation. "Insinuer que c'est pour des raisons politiques que le film n'aurait pas sa place dans le programme d'Arte est parfaitement absurde : la proposition acceptée par la Conférence des programmes prévoyait expressément, conformément à la ligne éditoriale d'Arte, chaîne européenne, de traiter de l'antisémitisme masqué derrière la critique d'Israël, et cela non pas au Proche-Orient, mais en Europe". 

La version sous-titrée en français de ce documentaire a été publiée sur Youtube. Ce documentaire démontre le soutien, notamment financier, de l'Union européenne à la haine antisémite et l'incitation à ceette haine de médias européens.

Le 15 juin 2017, le Centre Simon Wiesenthal (CSW) a écrit à Antonio Tajani, président du Parlement européen : «Visionnez le film d’Arte pour prouver que les arguments de la chaîne en faveur de la censure du film contreviennent à votre nouvelle Définition de l’antisémitisme » :
« Ce mois-ci, le 1er juin, le Parlement européen (PE) a adopté une résolution dont le premier jet avait été élaboré en 2005 par l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes – organe qui a ensuite été rebaptisé Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne. Plus récemment, cette résolution allait être connue sous le nom de Définition de travail de l’antisémitisme de l’International Holocaust Remembrance Alliance (IHRA, Alliance internationale dédiée à la mémoire de l’Holocauste).Le Parlement européen s’est donc maintenant doté d’un indicateur pour évaluer l’argument apparemment tendancieux d’Arte. En outre, de nombreux universitaires et spécialistes de l’antisémitisme – notamment le musulman Ahmad Mansour, coauteur/consultant du film agréé par Arte, ainsi que le Centre Wiesenthal – ont apporté leur soutien enthousiaste à ce documentaire tant attendu.En 1989, on avait fait appel à nous pour organiser la projection du chef-d’œuvre de Claude Lanzman, Shoah, au Parlement européen. En 2008, feu votre prédécesseur, Bronislaw Geremek, avait présidé la séance de présentation de La vie et l’héritage de Simon Wiesenthal, film réalisé par notre propre Centre, dans cette même Chambre. Sur la base de ces deux précédents et en tant qu’organisation dont la division Moriah Films a déjà produit quatorze films et reçu deux Oscars, nous nous tournons vers vous – en accord avec le réalisateur, Joachim Shroeder – pour demander que Élus et exclus – la haine des juifs en Europe soit projeté en avant-première au Parlement européen afin de vérifier et de renforcer ainsi la propre Définition de l’antisémitisme du PE ».
Le CSW proposait « de fournir la version intégrale du film et d’assurer la présence du réalisateur et du coauteur pour répondre à tout commentaire » : « Monsieur le Président, nous serions ravis de venir à Bruxelles pour organiser avec vous et avec votre personnel la logistique et la date de cette projection », concluait M. Samuels.

Le 16 juin 2017, ARD, "dont l'une des chaînes de son réseau de télévisions locales, WDR, avait commandé le film et avait également renoncé à le montrer", a publié un communiqué de presse. : "La Première (ARD, ndlr) va diffuser le 21 juin 2017, à 20 h 15, le documentaire produit pour Arte "Les nouveaux visages de l'antisémitisme. Le thème du documentaire est important pour nous (...) Nous avons examiné le film de façon intense et j'ai pris la décision de soumettre de façon transparente ce documentaire au débat", a déclaré Tom Buhrow, le directeur d'ARD, cité dans le communiqué. Un débat suivra cette diffusion. "Je pense qu'il est juste qu'un large public ait maintenant accès à ce documentaire controversé, et cela en dépit de ses défauts" afin que "chacun puisse se faire une idée", a poursuivi Volker Herres, directeur des programmes de cette chaîne de télévision, dans le communiqué.

Le 19 juin 2017, le Centre Simon Wiesenthal (CSW) a annoncé qu'il diffusera ce documentaire dans son Musée de la Tolérance.

Le 20 juin 2017, le CRIF a reçu en son siège Anne Durupty, vice-présidente du Comité de gérance et Alain Le Diberder, gérant et directeur des programmes. Son président Francis Kalifat, Gérard Unger, vice-président du Crif et Robert Ejnès, directeur exécutif, assistaient également à la rencontre. Arte avait annoncé sa décision de déprogrammer un documentaire sur l'antisémitisme en Europe. Le Crif avait été saisi de nombreuses réactions de responsables communautaires et de Français juifs qui s'étonnaient, voire s'indignaient de cette déprogrammation, considérant qu'il s'agissait pour Arte d'un refus d'aborder le sujet de l'antisémitisme d'origine islamiste.  De plus le débat faisait rage en Allemagne – comme nous l'avions révélé dans la Newsletter du Crif – où le magazine Bild avait décidé de mettre le film sur le Net".

"Dès le début de l'entretien, Francis Kalifat a exprimé son indignation  concernant cette déprogrammation, interpellant les responsables d'ARTE sur la difficulté de la chaîne de traiter de l'antisémitisme d'origine arabo-musulmane, directement lié à la situation au Proche-Orient. Dans le contexte actuel de violences et de recrudescence de l'antisémitisme, cette position paraissant irresponsable. Il a notamment fait valoir le récent vote au Parlement européen d'une définition de l'antisémitisme incluant l'antisionisme".

Les "responsables d'Arte ont voulu assurer Francis Kalifat de la bonne foi de la chaîne. La déprogrammation n'avait rien à voir avec le sujet de l'antisémitisme, mais avec le respect des procédures internes dans la programmation des émissions au sein de la structure de la Chaîne".

Francis Kalifat "a insisté sur la nécessité de diffuser ce documentaire qu'il avait pu visionner l'après-midi et qui décrit une situation alarmante qu'il faut présenter et dont il faut pouvoir débattre". 

ARTE "a annoncé aujourd'hui par communiqué son intention de reprogrammer le documentaire mercredi 21 juin, suivi d'un débat. Le Crif en prend acte et salue cette décision".


« Les trois vies d’Axel Springer » (Drei Leben
: Axel Springer)
Documentaire de Manfred Oldenburg, Jobst Knigge et Sebastian Dehnhardt
ZDF, 2012, 1 h 30
Diffusions les 1er mai 2012 à 22 h 30 et 15 mai 2012 à 10 h 30

Visuels :
Photos en noir et blanc
© Axel Springer AG et Sven Simon

De gauche à droite : Guido Westerwelle, ministre des Affaires étrangères d’Allemagne et vice Chancelier, Mathias Döpfner, CEO Axel Springer AG, et Avigdor Lieberman, vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères d’Israël.
© Fabian Matzerath

Articles sur ce blog concernant :

Cet article a été publié le 30 avril 2012, puis les 15 août 2014 et 16 juin 2017.

vendredi 25 juin 2021

Les combats de Minuit. Dans la bibliothèque de Jérôme et Annette Lindon


La BnF I François-Mitterrand proposa l’exposition « Les combats de Minuit. Dans la bibliothèque de Jérôme et Annette Lindon ». Sont « exposés une centaine de livres publiés par Jérôme Lindon (1925-2001), éditeur et romancier français Juif qui a dirigé avec son épouse Annette Lindon cette maison d’édition exigeante fondée, dans la clandestinité, en 1941, sous l’Occupation nazie de la France, et l’a fait évoluer des écrits de résistance aux écrivains du XXIe siècle, via le Nouveau Roman, des romanciers aux chercheurs en sciences humaines dès les années 1960 avec Pierre Bourdieu, Gilles Deleuze, Roman Jakobson. Un pan de l’histoire intellectuelle française caractérisé par des engagements politiques : dénonciation de la seule torture d’opposants à la guerre d’Algérie, impression et distribution dès 1981 de la controversée « Revue d’études palestiniennes », etc. Dès le 1er janvier 2022, les éditions de Minuit rejoindront le Groupe Madrigall, maison-mère de Gallimard.

Raymond Aron (1905-1983) 
« ENS : L'école de l’engagement à Paris » par Antoine de Gaudemar et Mathilde Damoisel
Archives de la vie littéraire sous l'Occupation 

Durant la Deuxième Guerre mondiale, lors de l’occupation allemande nazie en France, Jean Bruller, dessinateur, et Pierre de Lescure, écrivain, créent, en 1941 la maison d’édition clandestine dénommée les Éditions de Minuit. Jean Bruller conçoit l’étoile symbole.

En février 1942, parait clandestinement le premier livre publié par cette maison résistante, Le Silence de la mer de Vercors (pseudonyme de Bruller). Suivent 24 œuvres d’auteurs gaullistes ou communistes publiés grâce au courage d’éditeurs et à Jean Paulhan : Chroniques interdites (avril 1943), L’Honneur des poètes (juillet 1943) - poèmes recueillis par Paul Eluard -, Le Cahier noir de François Mauriac (août 1943), Le Musée Grévin, d’Aragon (septembre 1943)…

Après la Libération, en 1944, le Prix Femina est remis aux Editions de Minuit comme éditeur.

Pendant plusieurs années, les restrictions de papier affectent les journaux et les maisons d’éditions, notamment celles nées dans la Résistance. De célèbres écrivains – Eluard, Aragon, Maritain, Mauriac, Paulhan, Chamson, Gide, Steinbeck (The Moon is Down, Nuits noires) – sont publiés, parfois sous pseudonymes, par les Editions de Minuit.

« Si les Éditions de Minuit n’ont pas de capital financier, elles possèdent un capital symbolique extrêmement fort mais qui se dévalue très rapidement si vous ne l’entretenez pas », analyse Anne Simonin, auteur de « Les Éditions de Minuit, 1942-1955, le devoir d’insoumission ».

Survient Jérôme Lindon (1925-2001). Son père est Raymond Lindon (1901-1992), premier avocat général à la Cour de cassation, fin arrêtiste, maire d'Étretat en Seine-Maritime (1929-1959), ancien vice-président de l'association sioniste KKL France, et sa mère était Thérèse Baur. Il est le petit-neveu d’André Citroën (1878-1935), polytechnicien et industriel. Il a pour neveu l’acteur Vincent Lindon.

Résistant dans le maquis – un engagement comme Juif -, Jérôme Lindon travaille depuis 1946 aux Editions de Minuit comme chef de fabrication quand ces dernières traversent une grave crise financière alliée à des dissensions entre ses dirigeants. Ce qui met en péril son existence-même.

Grâce à l’argent de sa famille et d’amis, ce vingtenaire soutient la maison d’éditions.

La marche à l’étoile de son président Vercors (1943) renfloue provisoirement les caisses des Editions de Minuit qui enregistrent cependant des exercices déficitaires.

Président de cette maison d’éditions, Vercors résumait l’éthique des Editions de Minuit : « Notre morale, notre éthique, aux Éditions de Minuit, est encore celle de l'individu entièrement libre ».

En raison d’une divergence d’opinion avec Vercors, Jérôme Lindon devient propriétaire des Editions de Minuit en 1948.

Jérôme Lindon « a dirigé les Éditions de Minuit de 1948 à sa mort, en 2001. Ensemble, avec sa femme Annette, ils ont construit, par leur lecture passionnée et exigeante, un catalogue unanimement salué. Le combat de Jérôme et Annette Lindon pour faire vivre cette maison d’édition fut d’un même mouvement un combat au service de la littérature, de la justice et de la liberté ».

En 1951, la maison emménage dans le quartier de Saint-Germain-des-Près, au numéro 7 de la rue Bernard-Palissy.

Jusqu’en 1956, la jeune maison d’éditions affrontera des problèmes financiers importants.

1951 marque un tournant majeur. Les Editions de Minuit lancent la série des Evocations qui évoque l’histoire des rues et monuments de villes françaises – le livre de Jacques Hillairet Evocation du vieux Paris préfigure le Dictionnaire historique des rues de Paris (1963). Publient le pamphlet de Jean Paulhan Lettre aux directeurs de la Résistance dans la collection Documents, le premier roman d’un auteur inconnu Molloy de Samuel Beckett – un manuscrit refusé par d’autres éditeurs et un livre salué par le Figaro littéraire comme « un livre événement ». Et éditent la revue mensuelle Critique, créée en 1946 par Georges Bataille.

En 1966, la collection Le sens commun est créée par Pierre Bourdieu. Les lecteurs peuvent découvrir des auteurs peu connus en France, comme Erving Goffman.

1968. Cet éditeur écrit sous le pseudonyme de Louis Palomb deux romans épistolaires.

Dès 1993, la collection Paradoxe, centrée sur la critique littéraire et la philosophie, publie Pierre Bayard, William Marx, Peter Szendy, Georges Didi-Huberman, Clément Rosset.

De 1972 à 1982, parait la revue Minuit, dirigée par Tony Duvert, puis par Mathieu Lindon.

« Inge Scholle, Paulhan, L’abbé Boulier, Bataille… Tous ont une façon de réécrire de façon plus objective l’histoire de la Résistance en ne passant pas par le roman. Puis s’en vient la deuxième lutte homérique des Éditions de Minuit. C’est le bras de fer avec Gallimard en 1953 », observe Anne Simonin. Enjeux : « un risque de rachat et une lutte pour la republication de textes de Desnos et d’Eluard ». Jérôme Lindon reste ferme.

En 1992, à l’occasion du cinquantième anniversaire de leur fondation, les Éditions de Minuit ont publié La Bataille du silence, de Vercors, où il raconte les années de la guerre et de la libération.

Perçue comme « une maison d'édition prestigieuse qui incarne une vision de grande qualité de la littérature », elle « est également connue pour ses publications « hostiles à la littérature bourgeoise et réconfortante », comme en témoigne le mouvement littéraire du Nouveau Roman dont elle publia les auteurs ».

Cette exposition « rend hommage à l’ambition et à l’exigence d’un travail d’éditeur qui a marqué la vie intellectuelle de la seconde moitié du XXe siècle d’une empreinte profonde ».

Les trois enfants de Jérôme et Annette Lindon - Irène, André et Mathieu - ont donné en 2015 « à la Bibliothèque nationale de France des livres dédicacés à leurs parents. Ces livres racontent l’aventure humaine vécue aux Éditions de Minuit, au gré de leurs engagements esthétiques et politiques ».

La BnF expose une centaine de livres issus de la bibliothèque d’Annette et Jérôme Lindon, directeur des Éditions de Minuit de 1948 à sa mort en 2001. Depuis, sa fille Irène dirige les Editions de Minuit.

Le commissariat de l’exposition est assuré par Séverine Dupuch-Garnier, bibliothécaire-adjoint spécialisé, Réserve des livres rares, BnF, Anne Renoult, conservateur, Réserve des livres rares, BnF et Bérénice Stoll, conservateur, Réserve des livres rares, BnF.

Curieusement, le communiqué de presse n'indique pas la judéité de Jérôme Lindon.


Aventures éditoriales
Premier combat, de Jean Moulin, Les Jeux Inconnus de François Boyer (1947) - adapté au cinéma par René Clément, Jean Aurenche et Pierre Bost sous le titre Jeux Interdits -, La Rose blanche, d’Inge Scholl (1955), Un camp très ordinaire, de Micheline Maurel (1957), La Nuit, d’Elie Wiesel (1958), la réédition de L’Univers concentrationnaire de David Rousset (1965) et, dans la collection « Documents », la série d’Auschwitz et après de Charlotte Delbo (1970)…

Aux côtés de « Galligrasseuil », mot forgé pour désigner trois maisons d'édition de roman françaises - Gallimard, Grasset et Éditions du Seuil -, importantes et trustant longtemps de prestigieux Prix littéraires, les éditions de Minuit figurent l’éditeur germanopratin au faible effectif – neuf employés au siège –, au président estimé, exigeant, fuyant les mondanités, articulant sa stratégie autour de critiques littéraires et de libraires. Une rigueur dont témoigne la couverture de ses livres : sobre, épurée, plus ascétique encore que celle de la NRF chez Gallimard.

Chaque an, environ deux mille écrivains envoient leurs manuscrits à cet éditeur qui publie quinze à vingt titres. L’Amant de Marguerite Duras s’est vendu à 1,2 million d’exemplaires.

Les éditions de Minuit  « ont joué un rôle considérable dans la littérature française de la deuxième moitié du 20e siècle et du début du 21e siècle. Les combats littéraires de Jérôme Lindon furent en effet, comme les combats politiques des éditions de Minuit, menés de haute lutte, pour défendre des formes nouvelles d’écriture allant parfois à l’encontre des habitudes du public et des lois du marché. Cela le conduisit à entretenir des relations privilégiées, dont témoigne l’exposition, avec les plus grands écrivains de son temps. Deux d’entre eux, Samuel Beckett en 1969 et Claude Simon en 1985, ont reçu le prix Nobel de littérature ».

« Il est sympathique ce jeune homme. Quand je pense qu'il va faire faillite à cause de moi ». a songé l’écrivain irlandais Samuel Beckett en désignant Jérôme Lindon, l'éditeur qui allait publier en 1951 Molloy, puis Malone meurt. Deux romans refusés par les autres maisons d'éditions françaises.

« Après la publication des romans de Samuel Beckett en 1951 (Molloy), puis d’Alain Robbe-Grillet en 1953 (Les Gommes), l’année 1957 voit paraître simultanément Fin de partie de Samuel Beckett, La Jalousie d’Alain Robbe-Grillet, Le Vent de Claude Simon, Tropismes de Nathalie Sarraute » et La Modification, troisième roman, écrit à la deuxième personne, de Michel Butor  (Prix Renaudot, 1957).

« Graal Flibuste de Robert Pinget était paru l’année précédente et Moderato cantabile de Marguerite Duras sera publié l’année suivante. Le Nouveau Roman naît de ces écritures très diverses qui partagent un même caractère novateur ».

« À partir des années 1980, une nouvelle génération reprend le flambeau, dans la continuité des précédentes mais en introduisant dans le roman nombre de procédés et d’influences ironiques et post-modernes. En 1979, Jean Echenoz publie Le Méridien de Greenwich. En 2001, il publiera Jérôme Lindon, quelques mois après la mort de celui-ci ».

« À sa suite, d'autres œuvres très novatrices se constituent aux éditions de Minuit dans les années 80 : François Bon, Antoine Volodine, Jean-Philippe Toussaint, Marie Ndiaye ; puis Éric Chevillard, Hélène Lenoir, Christian Gailly ou Jean Rouaud ; et plus tard encore Tanguy Viel ou Laurent Mauvignier ».

« Trois jeunes femmes ont récemment été remarquées par la critique pour leurs premiers romans : Julia Deck, Marion Guillot et Pauline Delabroy-Allard, dont Ça raconte Sarah a déjà obtenu le Prix des libraires et fait d’elle la dernière femme en lice pour le prix Goncourt 2018 ».

Aux romans, Jérôme Lindon a adjoint des collections et revues.

Lancée en 1949, la collection Documents publie des témoignages.

Quant à la collection « Forces vives », elle « aborde les problèmes de l’architecture moderne, en donnant notamment la parole à Le Corbusier. Parallèlement, les Éditions de Minuit publient divers essais allant de l’alchimie (Alleau, Canseliet) à la critique littéraire (Blanchot) en passant par des études sur le judaïsme, le cinéma ou la presse ».

La « poésie est représentée, entre autres, par Akmatova, Beckett, Darwich, Eluard, Ungaretti »

Les livres donnés à la BnF par les trois enfants de Jérôme et Annette Lindon esquissent en creux, grâce aux dédicaces de leur auteur, le portrait d’un éditeur combattant, courageux, exigeant, qui entretint des relations privilégiées avec les plus grands écrivains de son temps : Samuel Beckett, Marguerite Duras, Claude Simon, Alain Robbe-Grillet, etc. »

« Présentées aux côtés de photographies inédites et du manuscrit d’En attendant Godot, ces pièces racontent l’aventure humaine vécue aux Éditions de Minuit, au gré de leurs engagements esthétiques et politiques. »

« Un envoi d’Henri Alleg, l’auteur de La Question, présente Jérôme Lindon comme l’« homme de tous les combats contre tous les racismes et toutes les intolérances ». Il a à cœur, comme l’écrit Robert Linhart au seuil de son enquête sur les ouvriers exploités au Brésil, Le Sucre et la faim, de « se bat[tre] pour que tant de voix ne soient pas étouffées ».

"Si certains auteurs saluent ses qualités humaines, comme Le Corbusier sa gentillesse, beaucoup évoquent son courage. Courage d’éditer des témoignages sur la Shoah, que le public ne veut pas entendre, tels La Nuit d’Élie Wiesel (Prix Nobel de la Paix) ou la trilogie Auschwitz et après de Charlotte Delbo ; courage de dénoncer, avec le concours de son ami Pierre Vidal-Naquet et au péril de sa maison d’édition, les crimes des autorités françaises pendant la guerre d’Algérie ; courage de lutter contre la censure politique mais aussi morale, donnant la parole à des groupes sociaux en quête d’émancipation : prostituées, féministes, homosexuels, etc. Il est par exemple l’éditeur de Monique Wittig, de L’Opoponax au Corps lesbien. »

Pendant la guerre d'Algérie, les éditions de Minuit publient, en 1958, La Question d'Henri Alleg et La Gangrène de Bachir Boumaza – tous deux immédiatement censurés, comme Le Déserteur de Maurienne (pseudonyme de Jean-Louis Hurst), en 1960, Les Égorgeurs de Benoist Rey en 1961.

L’exposition, « qui présente une centaine d’ouvrages parmi les 900 entrés à la Réserve des livres rares grâce au don effectué suite au décès d’Annette Lindon, montre aussi l’intérêt que l’éditeur avait pour les pensées d’avant-garde comme celles de Gilles Deleuze ou de Jacques Derrida, et le soutien qu’il apporta aux recherches en sciences humaines et sociales en accueillant revues et collections, telles Arguments ou Critique. » Fondée par Kostas Axelos, Jean Duvignaud, Edgar Morin, la revue « Arguments » fit « paraître vingt-huit numéros entre 1957 et 1962. Créée en 1960 par Axelos, la collection qui porte le même nom a commencé par publier un texte ancien de Georg Lukacs, Histoire et conscience de classe".

"Puis ont paru de nombreux ouvrages de philosophes, d’historiens, de critiques, de linguistes et d’économistes français et étrangers, entre autres Lou Andreas-Salomé, Samir Amin, Georges Bataille (L’Érotisme), Jean Beaufret, Ludwig Binswanger, Maurice Blanchot, Pierre Broué, Clausewitz (De la guerre), Rudolf Hilferding, Louis Hjelmslev, Roman Jakobson (Essais de linguistique générale), Karl Jaspers, Otto Jespersen, Flavius Josèphe (La Guerre des Juifs) Karl Korsch, Reinhart Koselleck, Henri Lefebvre, Moshé Lewin, Herbert Marcuse (dont Eros et civilisation et surtout L’Homme unidimensionnel auront un large retentissement en mai 1968), Richard Marienstras, Edgar Morin, Novalis, Karl Reinhardt, Trotsky ou Karl Wittfogel (Le Despotisme oriental). »

Une sélection de lectures est proposée en salle H de la BnF pour accompagner l’exposition « Les combats de Minuit. Dans la bibliothèque de Jérôme et Annette Lindon » et concerne la part littéraire des combats de Minuit. Dans la Galerie des donateurs, la Réserve des livres rares de la BnF expose une centaine de livres issus du don à la BnF de la bibliothèque d’Annette et Jérôme Lindon ».

Les « combats littéraires de Jérôme Lindon furent également menés de haute lutte. Publier Molloy de Samuel Beckett, découvert en 1951, est une première victoire. S’ensuit le succès d’En attendant Godot dont le manuscrit donné à la BnF en 2006 par Annette Lindon sera exposé, puis le Prix Nobel de littérature en 1969 et surtout une amitié de toute une vie. Jérôme Lindon veut défendre des formes nouvelles d’écriture, indépendamment du goût du public et des lois du marché. Il est rejoint, dans ce combat, par Alain Robbe-Grillet, l’« inventeur » du Nouveau Roman, qui attire chez Minuit Michel Butor, Prix Renaudot pour La Modification, Nathalie Sarraute, Claude Simon, Marguerite Duras et Moderato Cantabile, ou encore Claude Ollier, peaufinant l’image avant-gardiste de la maison et accroissant sa renommée, fût-elle scandaleuse. »

« Dans leurs envois, les écrivains rendent en général hommage à son exigence, à sa lecture attentive et à ses conseils avisés. Pour Jérôme Lindon, seule la vérité de l’écriture compte, mais c’est aussi la passion qui le pousse à publier des ouvrages singuliers dans son catalogue comme par exemple L’évocation du Vieux Paris de Jacques Hillairet ou la collection Forces vives presque entièrement consacrée à Le Corbusier. »

« Une génération plus tard, à la suite de Jean Echenoz et dans l’ombre prestigieuse de Beckett, les jeunes auteurs du « nouveau Nouveau Roman », de Jean Rouaud à Jean-Philippe Toussaint, d’Éric Chevillard à Marie N’Diaye, montrent que le modèle voulu par l’éditeur, ce « découvreur de lieux littéraires et limitrophes » salué par Christian Oster, est toujours vivant.

Engagements politiques
Les Editions de Minuit suscitent des débats, voire des polémiques, par certains livres.

En 1956, Jacques Derogy publie Des enfants malgré nous, sur la contraception. La presse se fait l’écho des questions suscitées par ce livre, et quatre projets de loi sont déposés.

La guerre d’Algérie inspire des débats plus politiques.

En 1957, parait dans la collection « Documents », Pour Djamila Bouhired, signé par l’avocat Jacques Vergès et le romancier Georges Arnaud. Ils y « dénoncent les tortures pratiquées par les militaires français en Algérie. Au début de 1958, les Éditions de Minuit font paraître le témoignage d’un journaliste algérien, Henri Alleg, qui, sous le titre La Question, décrit le supplice dont il a été lui-même victime. La presse donne un large écho à l’événement"

"En mai paraît L’Affaire Audin, une brochure où des officiers sont accusés d’avoir assassiné un jeune mathématicien, Maurice Audin. Le gouvernement vient de faire saisir La Question, ce qui n’apaise pas le scandale, au contraire. En 1959, les Éditions de Minuit publient encore La Gangrène, ouvrage qui est interdit à son tour par le gouvernement, comme le seront, au cours de ces quatre années, une dizaine de livres de la collection « Documents ». Inculpé à diverses reprises d’atteinte au moral de l’armée, d’incitation à la désobéissance, de diffamation de la police, etc., Jérôme Lindon est condamné pour la publication du Déserteur, de Maurienne. En 1972, Pierre Vidal-Naquet conclura l’étude de cette période par la publication de La Torture dans la République. »

Après avoir publié des livres de déserteurs, Jérôme Lindon est poursuivi pour « provocation à la désobéissance ». Des saisies sont régulièrement effectuées aux Editions de Minuit.

En 1969, « un autre livre de Jacques Vergès, Pour les fidayine, consacré aux combattants palestiniens, va provoquer un nouveau tollé ».

« Depuis la fin de la guerre d’Algérie, les ouvrages d’actualité publiés dans la collection « Documents » s’inscrivent moins dans le cadre de la seule politique française que dans celui, plus vaste, où se posent les problèmes mondiaux. Ainsi, L’Apartheid (1985), de Nelson Mandela. Tony Duvert (Le Bon sexe illustré) s’attaque aux tabous de l’éducation sexuelle. Et l’ouvrage de Robert Linhart, L’Établi (1978), consacré aux ouvriers de Citroën en 1968, sera traduit dans plusieurs langues. »

Les Editions de Minuit ont malheureusement aussi imprimé et distribué la « Revue d’études palestiniennes ». Une revue trimestrielle « consacrée aux problèmes du Proche-Orient ».

La « Revue d’études palestiniennes » a été créée en 1981 à Beyrouth (Liban). Elle est publiée par l'Institut des études palestiniennes (Institute for Palestine Studies), créé en 1963 à Beyrouth (Liban). Ses buts : « Défendre les droits nationaux légitimes du peuple palestinien » et « s’acquitter de cette tâche avec toute la rigueur requise ».

Le n°14 (1998) de la Revue d’études palestiniennes a pour titre : « 1948-1998 : cinquantenaire de la création d'Israël ». Il s’agit de la re-création de l’Etat juif.

L’un des deux thèmes est « le thème du transfert : la Palestine a été vidée de sa population en 1948 ». Le 15 mai 1948, jour de l’Indépendance israélienne, Israël comptait 806 000 habitants. En 1948, 82% de sa population étaient juifs, le solde était dans la quasi-totalité composé d’Arabes. Car, si la « Palestine » avait été vidée de sa population « Arabe », comment expliquer la présence en 2018 de 1,8 million Arabes en Israël ?

Ce numéro est fondé sur l’allégation infondée que « l’idée du transfert de la population palestinienne est permanente dans le projet sioniste ». Bref, un « péché originel » d’un « projet colonialiste » !? Les historiens, dont Benny Morris dans Haaretz, ont réfuté cette idée fausse. Quid du million de Juifs contraints par les dirigeants musulmans de quitter le monde Arabe, la Turquie, l’Iran, etc. en quelques décennies ? Le numéro poursuit : « Vie des réfugiés palestiniens depuis 1948. Les conséquences au quotidien de la perte d’un pays ». Mais il n’y a jamais eu de « Palestine » en tant qu’Etat souverain, indépendant. Ni au Proche-Orient ni nulle part ailleurs.

A l’été 2008, parait le n° 108 de la Revue d’études palestiniennes. Un dernier numéro. Les difficultés financières de l’IPS et la diminution des ventes en librairies ont eu raison de ce périodique auquel ont contribué : Maxime Rodinson, Mahmoud Darwich, François Chatelet, Ilan Halevi, Israel Shahak, Breyten Breytenbach, Monique Chemillier-Gendreau, Dominique Vidal, Danièle Sallenave, Samir Kassir, Camille Mansour, Pierre Vidal-Naquet, Juan Goytisolo, Walid Khalidi, Elias Sanbar, son rédacteur en chef, etc.

Pourquoi Jérôme Lindon a-t-il diffusé cette Revue ?

« Je n'ai pas été sioniste, on me l'a reproché », confiait Jérôme Lindon.

Et de citer le judaïsme pour définir sa vision de la justice : « Il y a un texte du Talmud qu’une fois quelqu’un m’a lu : quand un méchant persécute un Juste, Dieu est du côté du persécuté. Quand un méchant persécute un méchant, Dieu est du côté du persécuté. Quand un Juste persécute un Juste, Dieu est du côté du persécuté. Quand un Juste persécute un méchant, Dieu est du côté du persécuté. [...] C’est quelque chose que je crois profondément vrai. C’est comme ça que je ressens les choses ». Les « Palestiniens » seraient les persécutés ? Et par Israël !?

Jérôme Lindon a offert son crédit, son réseau, son image à une revue qui a contribué à diffamer, délégitimer et diaboliser l'Etat Juif, et à rendre crédible un prétendu "peuple palestinien" créé notamment par le KGB dans les années 1960.

Autre combat de Jérôme Lindon : la défense des librairies indépendantes face aux grandes chaines de librairies.

Au début des années 1980, Jérôme Lindon inspire la loi sur le prix unique du livre, dite « loi Lang », puis prône le prêt payant dans les bibliothèques.

En 1989, il devient membre du Conseil supérieur de la langue française.

Le 23 juin 2021, a été annoncée la fin de l'indépendance de cet éditeur, "sans que les termes financiers de ce rachat soient précisés". Dès le 1er janvier 2022, les éditions de Minuit rejoindront le Groupe Madrigall, maison-mère de Gallimard.

Citations de Jérôme Lindon

« J'étais dans le maquis à 18 ans [...] pendant la guerre... J'étais juif. De toute façon, je n’avais pas le choix ».

« Dieu est toujours du côté de qui est persécuté. On peut trouver un cas où un juste persécute un juste, et Dieu est du côté du persécuté ; quand un méchant persécute un juste, Dieu est du côté du persécuté; quand un méchant persécute un méchant, Dieu est du côté du persécuté, et même quand un juste persécute un méchant, Dieu est à côté de qui est persécuté ».

« Il n'y a rien de plus triste qu'un best seller qui se vend mal ».

« D'une certaine façon, le fondateur des Editions de Minuit, c'est Beckett ».

« Un éditeur c’est rien du tout. Un éditeur, c’est quelqu’un qui prend, de temps en temps, une décision d’édition. Très peu souvent dans une maison comme la nôtre. Ce n’est pas nous qui écrivons les livres. Rétrospectivement les choses me paraissent aller de soi. J’ai eu la chance, c’est formidable, que les œuvres de Beckett arrivent jusqu’aux éditions de Minuit, elles n’auraient jamais dû arriver jusqu’à nous, qui étions tout en bas de l’échelle [...] Le rôle de Beckett a été déterminant dans l’image des Éditions de Minuit ».

« Quand on a la chance d’être l’éditeur de Beckett, on se doit de défendre la liberté qui vous en donne le pouvoir. Donc, au moment où cette liberté est en cause, il est normal que l'on se manifeste. Mais je préfère les époques où je n'ai pas besoin de défendre ces idées. C'est tout de même plus agréable ».

« En 1957, les Éditions de Minuit n’ont publié que très peu de livres comme chaque année, mais c’était 'La Modification' de Butor, 'La Jalousie' de Robbe-Grillet, 'Fin de partie' de Beckett, 'Tropismes' de Nathalie Sarraute, 'Le Vent' de Claude Simon, 'Moderato cantabile' de Marguerite Duras [...], il n’y avait pas d’autres livres que ça. »

« J'ai rencontré des gens, Pierre Bourdieu, Gilles Deleuze qui me paraissaient être de très grande envergure [...] ils m'ont fait l'honneur de venir. [...] On doit pouvoir repérer quelqu’un, un grand esprit, par son langage ».

« On passe beaucoup de temps à se pencher sur le passé, ce qui est intéressant c’est d’avancer. Essayons de trouver des choses nouvelles quitte à se tromper souvent, quitte à gaspiller beaucoup de temps et d’efforts, mais c’est ce petit reste qui vaut la peine. [...] Il n’y a plus beaucoup d’éditeurs à notre époque, il y a des grandes maisons d’édition, il y a encore des directeurs de maisons d’édition et des directeurs de collection. Mais l’éditeur au sens artisanal, c'est-à-dire la même personne qui choisit le manuscrit, le fabrique et le vend, [...] qui est responsable à tous les niveaux, il y en a de moins en moins. »

« Un vrai écrivain n’a pas besoin d’être rassuré. Un vrai écrivain sait ce qu’il fait et s’il n’est pas rassuré, c’est peut-être qu’il a raison de ne pas l’être [...] Les grands écrivains peuvent être modestes. Samuel Beckett était quelqu’un qui m’apportait presque jusqu’à la fin un manuscrit en me disant : 'Tu me diras si tu crois que c’est publiable' et il le pensait. Mais il savait très bien que c’était une œuvre qui se tenait. Mais la question qu’il posait c’était : 'Est-ce que cela peut-être un produit de consommation ?' Si je puis dire. Si quelqu’un n’a pas en soi assez de courage pour mener son œuvre à son terme je ne pense pas qu’il faille encourager ce quelqu’un à faire ce métier. C’est une question entre soi et soi, pour un écrivain »

« Si un auteur quitte un éditeur, c’est de la faute de l’éditeur ».

« Quand on est contre la torture, on n'a pas besoin de conseils », à propos de La Question d’Henri Alleg, contre la torture.

"En 1955, j'étais rue Bernard-Palissy, j'avais huit employés et je publiais huit volumes. En 2001, je suis toujours rue Bernard-Palissy. J'ai toujours huit employés et je publie huit volumes". (Citation par l'éditeur Jean-Jacques Pauvert, lors d'une rencontre en 1955, peu avant la mort de Jérôme Lindon, devant la statue de Diderot à Saint-Germain-des-Prés, Le Monde, 9 avril 2004)


Dédicaces de livres

« A Jérôme Lindon qui fut de tous les combats contre le racisme et toutes les intolérances, en très amical hommage ». Henri Alleg

« Pour Jérôme avec qui j'ai porté les valise du Nouveau Roman ! Affectueusement ». Alain Robbe Grillet


Du 9 octobre 2018 au 9 décembre 2018
A la BnF I François-Mitterrand 
Galerie des donateurs
Quai François Mauriac, Paris XIIIe
Du mardi au samedi de 10 h à 19 h. Dimanche de 13 h à 19 h


Visuels :
Affiche de l’exposition, au graphisme inspiré des couvertures des éditions de Minuit. Avec l’aimable autorisation des éditions de Minuit

Envoi de Boris Vian, L’automne à Pékin, Éditions de Minuit, 1956
« Au grand Jérôme, À la belle Annette, avec toute mon ardeur juvénile / Boris Vian »
BnF / Réserve des livres rares

Couverture de L’Amant, de Marguerite Duras, Éditions de Minuit, 1984 / BnF

Couverture de La Nuit, d’Elie Wiesel,
Éditions de Minuit, 1958 / BnF

Jérôme Lindon et Alain Robbe-Grillet devant un portrait de Samuel Beckett. Copyright Despatin & Gobeli

Envoi de Jean Echenoz, Je m’en vais, Éditions de Minuit, 1999 « Pour Jérôme Lindon, avec qui, décidément (Je m’en vais] JE RESTE. Avec toute mon amitié / Jean Echenoz »

Couverture de La salle de bain, de Jean-Philippe Toussaint, Éditions de Minuit, 1985 / BnF

Envoi d’Alain Robbe-Grillet, Les derniers jours de Corinthe, Éditions de Minuit, 1994
« Pour Jérôme avec qui j’ai porté les valises du Nouveau Roman ! / Affectueusement / Alain Robbe-Grillet, avril 94 »
BnF / Réserve des livres rares

Couverture de La Question, d’Henri Alleg,
Éditions de Minuit, 1958 / BnF

Couverture de Le Corps lesbien, de Monique Wittig, Éditions de Minuit,
1973 / BnF

Envoi de Samuel Beckett, Molloy, Éditions de Minuit, 1951
« Pour Jérôme Lindon avec mon amitié / Sam. Beckett, Paris, mai 1951 »
BnF / Réserve des livres rares

Envoi de Pierre Vidal-Naquet, L’Affaire Audin, Éditions de Minuit, 1958
« Pour Jérôme Lindon à qui ce livre doit tout à commencer par l’existence / Pierre Vidal-Naquet »
BnF / Réserve des livres rares

Envoi de Marguerite Duras, Moderato Cantabile, Éditions de Minuit, 1958
« Pour Jérôme Lindon, avec mon amitié, ce premier titre / Marguerite Duras »
BnF / Réserve des livres rares


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Les citations sont extraites du communiqué de presse et Les nuits de France Culture. Cet article a été publié le 3 décembre 2018.