Citations

« Le goût de la vérité n’empêche pas la prise de parti. » (Albert Camus)
« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du Soleil. » (René Char).
« Il faut commencer par le commencement, et le commencement de tout est le courage. » (Vladimir Jankélévitch)
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » (Albert Londres)
« Le plus difficile n'est pas de dire ce que l'on voit, mais d'accepter de voir ce que l'on voit. » (Charles Péguy)

jeudi 17 juillet 2025

« Dessins de bijoux. Les secrets de la création »

Le Petit Palais propose l’exposition « Dessins de bijoux. Les secrets de la création ». Il « dévoile pour la première fois la richesse et la diversité de cette collection, sortie de ses réserves et couvrant plus d’un siècle de création, de la seconde moitié du XIXe au milieu du XXe siècle. Des feuilles de créateurs à redécouvrir, comme Pierre-Georges Deraisme et Charles Jacqueau, et des maisons prestigieuses telles que Boucheron, Cartier, Lalique, Rouvenat et Vever témoignent de l’évolution des styles et des techniques dans le domaine de la joaillerie » aux multiples influences et modes : classiques, Egypte, Chine, Japon, Art Nouveau et Art Déco...

L’histoire sous les pieds. 3000 ans de chaussures 

Par l’exposition « Dessins de bijoux. Les secrets de la création », le Petit Palais « souhaite mettre en lumière son fonds exceptionnel d’arts graphiques. Il « révèle la diversité et l’ampleur de ce patrimoine constitué depuis la fin des années 1990 à travers une sélection exceptionnelle de dessins, réalisée parmi plus de 5500 œuvres. Des feuilles de créateurs à redécouvrir, comme Pierre-Georges Deraisme et Charles Jacqueau, et des maisons prestigieuses telles que Boucheron, Cartier, Lalique, Rouvenat et Vever témoignent de l’évolution des styles et des techniques dans le domaine de la joaillerie. »
 
L'exposition « propose aux visiteurs un véritable voyage dans un atelier, au cœur des coulisses de la création, grâce à un parcours qui se déploie en quatre grandes sections ».

« Le visiteur est invité à plonger dans l’imaginaire des dessinateurs de bijoux qui puisent leur inspiration directement de l’observation de la nature mais aussi de recueils d’ornements qui véhiculent des formes décoratives issues de différentes époques et régions du monde. Carnets d’esquisses, planches de motifs, livres… immergent le visiteur dans ce monde foisonnant. » 

L’exposition « se veut également pédagogique, offrant un éclairage sur les différentes étapes de la création d’un bijou : de l’esquisse rapide au dessin final, à l’échelle 1 et mis en couleur. Cette deuxième section s’attache à présenter la manière dont se mêlent rigueur technique et sens artistique dans la conception de ces objets précieux. Une sélection de dessins à la gouache particulièrement séduisants met en valeur l’Art nouveau et l’Art déco. Une vidéo réalisée à la Haute École de Joaillerie dévoile les gestes précis et intemporels des gouacheurs faisant ressortir la beauté et la maîtrise de leur savoir-faire. » 

« Véritables œuvres collectives, les bijoux naissent de la collaboration de nombreux corps de métiers : dessinateurs, modeleurs, graveurs, ciseleurs, reperceurs, émailleurs, joailliers, sertisseurs, enfileurs ou encore polisseurs. La troisième section de l'exposition évoque cette synergie, en présentant les dessins en regard des bijoux finis dont certains sont issus des collections du Petit Palais comme « Le Pendentif Sycomore » (1910) ou « La Bague insectes » (1903) de Georges Fouquet. Ce dialogue entre le papier et le métal révèle la complexité du travail de chaque main et la beauté du processus créatif. »

Les « dessins de bijoux, souvent plus durables que les pièces elles-mêmes, continuent de vivre, en tant qu’archives précieuses mais également comme sources d’inspiration pour les créateurs des générations suivantes. Cette dernière partie du parcours invite à réfléchir sur la manière dont ces œuvres sur papier traversent les époques et conservent leur rôle vital dans l’univers de la joaillerie. » 

L’exposition « se termine par une sélection de bijoux rarement exposés, issus des collections du Petit Palais, présentés en regard de portraits d’élégantes. »

N’est pas abordé le cadre économique : par exemple, la sous-traitance à des artisans joailliers dans l’entre-deux guerres. Parmi ces artisans joailliers indépendants : le père du chanteur Jean Ferrat, Mnacha Tenenbaum. Cet habile artisan joaillier juif français d’origine russe fabriquait des pièces et des parures pour des commanditaires de la place Vendôme à Paris.

Autour de l’exposition, le musée a organisé des conférences :
Ecrins de papier : recueils d’ornements et bijoux, XVIe-XXe siècles
Par Sophie Derrot, conservatrice des bibliothèques et docteure en histoire de l'art
« Les « livres d’ornements » et les arts précieux, en particulier ceux de la création bijoutière et joaillière, entretiennent des relations de longue date. Sources d’inspirations variées, ces recueils gravés ont également permis la diffusion de modèles, de noms et de styles à une grande échelle, depuis le XVIe siècle jusqu’aux créateurs du XXe siècle. »

La bijouterie-joaillerie au temps de l'industrie : art et technique 
Par Florent Guérif, doctorant en histoire de l'art à l'Ecole pratique des hautes études, et professeur à l'École des Arts Joailliers 
« Autant convoité par une élite financière que par une clientèle de grande consommation, le bijou comme élément de la parure, devient objet d'art au XIXe siècle, s'accordant ainsi avec le goût et les mouvances historicistes de son époque. Au fil d'une longue exploration collective, les bijoutiers-joailliers questionnent la modernité de leur art, dont les résultats sont visibles dans les productions de l'Art nouveau et de l'Art Déco, jusqu'aux années 1940. »

Du dessin au bijou 
Table-ronde avec Marina Fulchiron, dessinatrice de haute joaillerie et professeure de gouaché, Paul Paradis, historien de l’art et du bijou, et Clara Roca, commissaire de l’exposition
« De la première esquisse lancée sur le papier au bijou réalisé, de nombreuses mains sont mobilisées. Convoquant des gestes, des techniques et des matériaux nombreux, tous les intervenants mobilisés contribuent à faire advenir l’oeuvre collective qu’est le bijou. Cette conversation à trois voix entre une dessinatrice, gouacheuse professionnelle, un historien de l’art et du bijou et la commissaire de l’exposition, évoquera ces savoir-faire et abordera les pratiques d’hier à l’aune de celles d’aujourd’hui. » 
En partenariat avec L’École des Arts Joailliers 
ÉVÉNEMENT : DÉMONSTRATION DE GOUACHÉ PAR LES ÉLÈVES DE LA HAUTE ÉCOLE DE JOAILLERIE 
« Les visiteurs sont invités à découvrir la technique du gouaché exécutée sous leurs yeux par les élèves de la Haute école de Joaillerie. Observation en direct et échanges avec les élèves permettront de comprendre la spécificité de la technique, et d’appréhender le dynamisme des métiers d’arts et de leur apprentissage. »

« L’exposition présente les différentes étapes du processus créatif du bijou, mettant particulièrement en valeur le travail des dessinateurs. Dans cet esprit, dès l’entrée de l’exposition, le visiteur découvre un espace « atelier » (verrières, mobilier en bois brut, pupitres, tables inclinées) et lumineux par le choix de murs clairs qui n’imposent pas un éclairage agressif pour des oeuvres fragiles. Dans la première section la profusion de documents et d’objets d’inspiration accumulés sur des tables-vitrines accentue l’impression d’un espace de travail, de recherche. Dans la deuxième section, une certaine continuité murale avec la salle précédente évoque le passage de l’esquisse au gouaché. L’inclinaison des tables centrales évoque de façon évidente celles des dessinateurs et permet aux visiteurs un confort de lecture pour des documents de format réduit. L’entrée dans la troisième section est marquée par le changement d’ambiance (teinte des murs foncé), on entre dans l’espace de fabrication du bijou : le mobilier arrondi est directement inspiré des postes de travail des artisans joailliers. Les dessins sont confrontés aux bijoux réalisés, présentés dans de petites vitrines « écrins ». La dernière section met en valeur le devenir du dessin après la réalisation du bijou. Il est la mémoire de certains bijoux disparus, archives précieuses de grandes maisons de joaillerie. La préciosité est appuyée par le choix d’une teinte jaune doré pour cet espace », a résumé Violette Cros, scénographe.



Parcours de l’exposition

« La collection de dessins de bijoux du Petit Palais, riche de plus de cinq mille cinq cents œuvres, reste méconnue. Constituée tardivement, à partir de 1998, elle est conservée en réserve, à l’abri de la lumière. Cette exposition dévoile la diversité et la particularité de ce fonds. S’il comprend de belles feuilles qui portent la marque de grands noms de créateurs et de maisons de joaillerie de la seconde moitié du XIXe au milieu du XXe siècle, comme René Lalique ou Boucheron, il comporte aussi les fonds entiers des artistes Pierre-Georges Deraisme et Charles Jacqueau. Ces deux ensembles complets permettent de témoigner de la globalité du processus créatif du dessin de bijoux, de la première idée rapidement jetée sur le papier à un dessin achevé et mis en couleurs. »

« Le parcours propose de dérouler ce fil pour évoquer les sources d’inspiration des dessinateurs de bijoux, la genèse de leurs compositions et les techniques qui leur sont propres. Il invite à considérer leurs dessins pour leur valeur artistique intrinsèque, mais aussi à l’aune de leurs fonctions de conception, de fabrication et de commercialisation, parfois au regard de la pièce finale. Il évoque enfin la longévité de ces feuilles qui endossent de nouveaux usages une fois les bijoux réalisés. »

SECTION 1 : INSPIRATIONS, AUX SOURCES DU DESSIN

« Pour interroger les sources d’inspiration des dessinateurs de bijoux, cette première section de l’exposition s’appuie essentiellement sur les fonds complets de Pierre-Georges Deraisme et de Charles Jacqueau, donnés au Petit Palais par leurs descendants. Ces deux artistes ont en effet consciencieusement gardé leurs études, parfois ordonnées dans des cahiers pour faciliter leur réemploi. Celles-ci éclairent autant les modèles qu’ils choisissent que les premières étapes de leur processus créatif individuel. »

« Pour plusieurs thématiques puisant dans les vastes répertoires de la nature ou bien dans celui des arts, le parcours invite à suivre l’évolution de formes et de motifs étudiés par les artistes. Retravaillés, assimilés, parfois hybridés, ils sont disséminés dans des projets de bijoux qui jouent de la citation comme de l’interprétation personnelle. Ils témoignent des recherches sans restriction de ces dessinateurs cultivés dont les centres d’intérêt et la curiosité dépassent largement le domaine de la bijouterie et de la joaillerie. »

NATURE
« Dès la fin du XVIIIe siècle, les dessinateurs de bijoux s’inspirent de la botanique, discipline en plein essor. Ils se constituent des répertoires de formes naturelles, végétales et animales, qui alimentent leurs conceptions. Tour à tour, selon les goûts et les périodes, les fleurs nobles et simples, les classiques oiseaux et papillons comme les plus étranges coléoptères y trouvent leur place. »

« Les artistes observent la nature sur le motif, à la campagne ou au Jardin des plantes. Ils étudient dans leurs ateliers fleurs et feuilles coupées ou encore consultent des ouvrages scientifiques, des traités et des recueils d’ornements qui en offrent déjà une première interprétation. Le regard précis et naturaliste de travaux réalisés sur le vif peut donner lieu à des projets qui traduisent une quête de stylisation, empreinte de fantaisie et d’imaginaire ou bien tendant à l’épure et à l’abstraction. »

Lalique et Deraisme : la nature Art nouveau
« À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, la nature est la source d’inspiration principale de l’Art nouveau. René Lalique et Pierre-Georges Deraisme sont tous deux représentants de ce mouvement artistique qui cherche à abolir la hiérarchie entre beaux-arts et arts décoratifs. Deraisme, bien que créateur à son propre compte, est aussi ciseleur pour Lalique : cette relation influence nécessairement son travail. Tous deux étudient végétaux et animaux, les insectes notamment, avec une rigueur quasi scientifique. De ces premières études très réalistes découlent des projets qui laissent place à une stylisation spécifique à l’Art nouveau. Les bijoux qu’ils conçoivent restituent ainsi la nature avec davantage de fantasmagorie que de réalisme ».  

Regarder la nature : formes, motifs et structures
« Les dessinateurs de bijoux font entrer des morceaux de nature dans les compositions qu’ils imaginent : branches feuillues, bouquets fleuris ou animaux entiers, oiseaux ou insectes notamment, émaillent leurs créations. Mais leur regard sait être plus sélectif. Ce sont parfois des motifs isolés, celui de la peau mouchetée de la panthère par exemple, ou même des trames structurelles, à l’instar de la roue rayonnante d’un paon, qui retiennent leur attention. Les citations se font alors moins évidentes : ces éléments plus ciblés sont distillés dans des compositions moins naturalistes, plus abstraites, mais qui portent encore l’empreinte plus ou moins sensible d’un modèle vivant. »

La nature dans les livres
« Si Charles Jacqueau, tout comme René Lalique et Pierre-Georges Deraisme, apprécie la nature, qu’il observe volontiers sur le motif, au Jardin des plantes par exemple, il s’en empare aussi par le biais de publications. En plus de lectures dans des institutions publiques et de références qu’il acquiert à titre personnel, la bibliothèque de la Maison Cartier lui fournit nombre de modèles. Elle met à la disposition des dessinateurs une somme d’ouvrages hétéroclites, des recueils d’ornements aux livres scientifiques qui offrent également un répertoire ordonné de formes. Ces publications apportent souvent une première stylisation des motifs végétaux et animaux que les créateurs peuvent reprendre, amplifier ou réinterpréter à leur tour. »

ARTS
« Nombre de dessinateurs de bijoux, parmi lesquels Pierre-Georges Deraisme et Charles Jacqueau, cherchent dans les musées ou dans les bibliothèques des références pour alimenter leurs créations et stimuler leur imagination. Ils reprennent à leur compte l’idée d’Owen Jones, auteur de la Grammaire de l’ornement (1856), parangon du genre, selon laquelle il est impossible de faire du neuf sans l’aide du passé. » 

« Les artistes compilent et s’approprient ainsi formes et motifs issus de toute période et région du monde, et de tout domaine suscitant leur curiosité, au-delà des arts décoratifs et de l’architecture. Ce faisant, ils se créent des répertoires personnels foisonnants, sommes d’études, de décalques et de notes prêts au réemploi. Ils reprennent en cela le modèle des recueils d’ornements, qui connaissent leur apogée au XIXe siècle et qui restent leurs références de prédilection. »

Recueils d’ornements, modèles de bijoux
« Dès le XVIe siècle, des recueils gravés et imprimés de modèles de bijoux, parfois produits par les orfèvres eux-mêmes, diffusent des formes qui sont ainsi accessibles à d’autres professionnels de la bijouterie-joaillerie. Des pendentifs conçus par Daniel Mignot dans les années 1590, connus de Pierre-Georges Deraisme, aux compilations de créations de Nicolas Joseph Maria et Jean-Henri-Prosper Pouget, publiés tous deux dans les années 1760, ces ouvrages font circuler des modèles dont l’influence perdure. Ces deux derniers exemples figurent en bonne place dans la bibliothèque Cartier, où Charles Jacqueau les consulte à plusieurs reprises. Ils témoignent du goût néo-XVIIIe défendu par cette maison au début du XXe siècle. »

Recueils d’ornements, formes prêtes à l’emploi
« Comme nombre de praticiens avant eux, Charles Jacqueau et Pierre-Georges Deraisme étudient, copient, décalquent et s’inspirent dans les bibliothèques privées, professionnelles ou ouvertes au public, telles la bibliothèque du musée des Arts décoratifs, la bibliothèque Forney et la Bibliothèque d’art et d’archéologie. Ils y consultent des recueils d’ornements qui leur offrent des modèles, classifiés par types, époques ou régions du monde, afin d’en faciliter l’interprétation par les artistes. D’autres compilations ordonnées d’images, ainsi que des publications spécialisées aux préoccupations parfois éloignées des applications ornementales, sont mises à profit par les dessinateurs qui diversifient leurs sources d’inspiration. »

Égyptomanie
« L’expédition militaire et scientifique menée par le général Bonaparte en Égypte de 1798 à 1801, le déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion en 1822 et, un siècle plus tard, la découverte de la tombe de Toutankhamon nourrissent la fascination, durable, de l’Occident pour l’Égypte antique. Nombreux sont les bijoutiers et joailliers qui exploitent cet engouement dès la première moitié du XIXe siècle. Au début du XXe siècle, la Maison Cartier prend à son tour part à l’égyptomanie ambiante. Charles Jacqueau alimente ainsi ses projets en multipliant ses approches du répertoire décoratif égyptien, étudiant aussi bien la Grammaire de l’ornement d’Owen Jones que des publications plus spécialisées, comme L’Art égyptien de l’égyptologue Jean Capart. » 

Chine et Japon
« Les recueils d’ornements qui proposent une classification des formes décoratives par époques et par régions du monde facilitent la diffusion d’une influence orientale, particulièrement exploitée à partir de la seconde moitié du XIXe siècle par les artistes et artisans d’art qui y voient une source de renouvellement, voire de modernité. Les planches japonaises et chinoises de la Grammaire de l’ornement d’Owen Jones nourrissent notamment Charles Jacqueau, de même que les motifs compilés dans L’Ornement polychrome d’Albert Racinet ou Le Japon artistique édité par Siegfried Bing. Le dessinateur y relève des motifs, trames géométriques simples ou dragons élaborés, mais aussi des harmonies colorées propres à alimenter son vocabulaire et ses projets. »

Influences classiques
« Au début du XXe siècle, alors que l’Art nouveau est à son apogée, la Maison Cartier s’en tient intentionnellement à l’écart et reste fidèle à des modèles classiques, Renaissance, néo-XVIIIe et néo-classiques. Elle adopte durablement un vocabulaire pétri de références plus ou moins réinterprétées et visibles à l’Antiquité, source récurrente d’inspiration en bijouterie-joaillerie, tant pour les ornements que pour certaines techniques comme les camées. Lors de voyages et de visites architecturales ou muséales, ou bien grâce à des recueils d’ornements, Charles Jacqueau étudie ainsi pour mieux les assimiler des motifs issus de l’architecture ou des arts décoratifs grecs et romains. »

Visites de musées
« Si les bibliothèques jouent un rôle prépondérant dans la diversification des sources qui intéressent les dessinateurs de bijoux, ceux-ci savent également chercher leur inspiration dans les musées, nombreux dans la capitale parisienne, mais aussi visités lors de déplacements, en France ou à l’étranger. Il faut encore y ajouter certaines collections privées accessibles aux intéressés. Procédant de la même manière que les recueils d’ornements, ces institutions muséales classent et organisent les œuvres pour la présentation aux visiteurs, les rendant assimilables par les artistes. Louis Cartier ou Léon Rouvenat encouragent ainsi leurs créateurs à parcourir les musées pour stimuler leur inventivité et mieux œuvrer pour leur maison respective. » 

SECTION 2 : DESSINER LES BIJOUX, UN ART ET UN MÉTIER SPÉCIFIQUES

« Les dessins de bijoux sont le plus souvent dus à des artistes spécialisés dans ce domaine. Parfois praticiens en plus d’être dessinateurs, ils sont formés en interne dans les ateliers ou dans des écoles destinées aux futurs artisans. Ces feuilles étant rarement signées, l’identité et la position de leur auteur, interne ou externe à l’atelier, sont souvent difficiles à déterminer. » 

« Ces dessins, avant tout fonctionnels, servent à la réalisation d’une pièce. À ce titre, ils répondent à des codes que leur auteur et leurs destinataires connaissent et respectent. Le plus important est sans doute le principe de l’échelle 1. Le bijou est en effet représenté à la taille réelle de sa potentielle exécution, de sorte que quiconque consulte le dessin en saisisse les dimensions exactes. Les dessinateurs et maisons suivent de plus des préférences qui leur sont propres, par exemple dans le choix de couleurs symbolisant l’une ou l’autre pierre. Un dessin de bijou est ainsi à la fois le point de départ d’un projet et le support de référence, passé de main en main dans les ateliers. » 

DE L’ESQUISSE AU GOUACHÉ
« La collection du Petit Palais permet de témoigner de l’ensemble du processus créatif du dessinateur de bijoux, de la première idée rapidement jetée sur le papier à un dessin achevé et mis en couleurs. Rarement conservés – parce qu’ils n’ont pas été retenus ou qu’ils ont été remplacés par des dessins plus aboutis –, les croquis initiaux révèlent les premières étapes de la réflexion de leur auteur. Si l’idée est retenue, ils sont suivis d’une mise au net. Ce nouveau dessin, rigoureux et précis, prend en compte les contraintes des matériaux du futur bijou, le placement des pierres ou l’articulation de la monture, afin de servir de guide pour la fabrication de l’objet. Il peut encore être suivi d’une ultime étape, le gouaché. Compréhensible pour les praticiens des ateliers, mais aussi pour les clients moins informés, ce dessin volontiers séduisant offre une image fidèle du futur bijou, consciencieusement figuré et coloré. »

Un ensemble de gouachés Art déco
« Au centre de la deuxième section du parcours, quatre vitrines présentent une sélection de gouachés issus de tous les ensembles qui constituent le fonds du Petit Palais. Ce dessin de bijou achevé, à la fois document technique et séduisante feuille colorée, révèle par son nom l’importance d’un matériau : la gouache. Privilégiée pour la mise en couleurs, elle adhère à tout type de supports, même les moins absorbants, comme les papiers translucides, qu’ils soient huilés ou calques. Elle peut être utilisée diluée, afin d’obtenir des effets de transparence, ou bien épaisse, pour couvrir complètement la surface. Cinq feuilles, issues d’un petit fonds anonyme de dessins de bijoux de style Art déco, offrent un bel exemple de cette façon de traiter densément la gouache. » 

Dessins de bijoux et papiers translucides
« Les dessinateurs de bijoux, contraints par le peu de matériaux et de techniques à leur disposition, savent tirer parti des spécificités des supports. Les papiers colorés mettent ainsi en valeur les gouachés, notamment dans le cas de projets qui font la part belle aux diamants. Les papiers translucides se prêtent bien, quant à eux, à l’évocation de la lumière qui traverse les pierres et les émaux. Ces feuilles, que l’on peut travailler au recto aussi bien qu’au verso, permettent de restituer l’illusion d’un objet en volume en jouant de la transparence et de la superposition de couches graphiques. Le recto est alors souvent dévolu à la représentation des éléments les plus saillants des bijoux, ainsi que des reflets lumineux à leur surface. »

La technique du gouaché (film)
« Une vidéo, filmée dans les salles de classe de la Haute École de joaillerie, propose une immersion dans le processus du dessin de bijoux, et plus spécifiquement dans la technique du gouaché. Cette dernière est en effet toujours enseignée et largement pratiquée dans les studios de création des maisons de bijouterie-joaillerie. Les gestes des enseignants et des élèves d’aujourd’hui laissent deviner ceux des auteurs des gouachés présentés dans cette exposition. »

LES CIRCONSTANCES DE LA CRÉATION
« Le dessin de bijou accompagne la conception et, le cas échéant, la fabrication de la pièce. Les circonstances de sa création dépendent de ses destinataires. S’il est avant tout un dessin technique transmis aux ateliers, il peut aussi être un support de validation, que ce soit par la direction artistique d’une maison, dans le cas d’une création pour le stock, par la clientèle, dans le cas d’une commande, ou encore par un jury, dans le cas d’un concours. Les formes qu’il peut prendre tiennent compte des interlocuteurs avec lesquels le dessinateur doit composer. Outre ces instances de validation, le dessin de bijou est également soumis aux praticiens qui peuvent juger de la faisabilité technique d’un projet et le faire amender, si nécessaire. Les feuilles peuvent ainsi porter la trace de précisions et d’ajustements formulés pour ces partenaires spécifiques, ou en fonction de leurs propres retours. »

SECTION 3 : BIJOU DESSINÉ, BIJOU RÉALISÉ
« Le dessin de bijou est le document de référence pour les corps de métiers qui contribuent tour à tour à la création de la pièce, véritable oeuvre collective. Outre les dessinateurs, celle-ci ne nécessite en effet parfois pas moins d’une dizaine de spécialistes différents pour voir le jour : modeleurs, graveurs, ciseleurs, reperceurs, émailleurs, joaillier, sertisseurs, enfileurs ou encore polisseurs. »

« À l’échelle 1 de la pièce à réaliser, accompagné le cas échéant de vues de profil ou d’annotations diverses, mis en couleurs pour signifier les matières, le dessin doit être rapidement compréhensible par le chef d’atelier. Ce dernier dispose de toutes les clés pour lire correctement le bijou dessiné et établir une marche à suivre. » 

« Les allers-retours entre le dessinateur et les ateliers n’en restent pas moins possibles. Le projet est en effet susceptible d’évoluer en fonction par exemple de contraintes techniques, d’amendements portant sur le choix de pierres ou de matières, ou de déclinaisons en plusieurs bijoux si un même motif rencontre un certain succès. »

MISE EN OEUVRE DU BIJOU : GLOSSAIRE DE MÉTIERS
« Modeleur : Il effectue un modèle de l’objet, en volume et à échelle 1. Il peut s’agir d’un modelage en cire, ou encore d’une maquette en étain ou en alliage métallique et en strass. Cette préfiguration du bijou peut aider le client dans son choix, assure la faisabilité technique d’un projet, et en affine l’évaluation du coût final. Le modèle en cire peut également servir à fabriquer un moule en vue de la fonte d’un bijou.

Graveur : Il creuse le métal à l’aide d’instruments pointus, comme le burin, pour l’orner de motifs ou d’inscriptions. Il peut par exemple guillocher le métal, c’est-à-dire l’orner de traits entrelacés ou entrecroisés de manière régulière afin de créer une trame à sa surface. Il existe aussi des spécialistes de l’art de graver les gemmes. 

Ciseleur : Il met en forme le métal en le travaillant à froid et le plus souvent sans enlèvement de matière, avec un ciselet et un marteau. Il peut par exemple repousser le métal au recto ou en verso pour en faire émerger des formes, ou reprendre une pièce fondue à partir d’un modelage en cire et qui doit être affinée. 

Reperceur : Il ajoure le métal de manière décorative. Il perce pour cela la surface afin d’y passer la lame d’une scie très fine qui lui permet d’évider les motifs souhaités. 

Émailleur : Il décore les bijoux avec de l’émail, fait de cristaux de verre colorés et chauffés. L’émail peut être accueilli dans les creux d’un support en métal gravé ou ciselé, par exemple. Dans le cas du plique-à-jour, il n’est pas posé sur un fond mais, à la manière d’un vitrail, contenu dans un réseau métallique qui laisse passer la lumière à travers l’émail translucide. 

Joaillier : Il crée la monture métallique qui prévoit la position des gemmes (pierres précieuses, pierres fines ou pierres ornementales) de manière à les mettre en valeur. Afin d’alléger cette structure et de mettre davantage en lumière les pierres translucides, il évide la monture à leur emplacement. 

Sertisseur : Il insère les pierres dans la monture métallique afin de les fixer et de les mettre en valeur le mieux possible. Diverses techniques lui permettent de sécuriser les pierres de manière plus ou moins visible, par exemple en repoussant des griffes métalliques afin de les enserrer en plusieurs points.

Enfileur : À l’aide d’une aiguille, il assemble sur un fil de soie les perles et les pierres percées. Chaque élément est séparé par un noeud qui évite l’abrasion des différents éléments. 

Polisseur : Il intervient sur la monture à plusieurs étapes de la réalisation du bijou, notamment avant le sertissage des pierres et une fois le bijou intégralement monté. En abrasant délicatement le métal, il fait disparaître les traces laissées par les outils et lui donne son éclat et son poli définitif. »


SECTION 4 : SECONDE VIE, LA LONGÉVITÉ DU DESSIN DE BIJOU

« Aujourd’hui, les dessins de bijoux sont mieux conservés, que ce soit dans les maisons qui ont vu leur naissance ou bien au sein de collections publiques ou privées. Une telle revalorisation tient au fait que ces feuilles revêtent de nouveaux usages une fois les pièces fabriquées. Dans le prolongement de leur finalité première, elles peuvent resservir de support de création et donner jour à des copies conformes ou des variantes d’inspiration plus lointaine. Partagées avec une clientèle à la manière d’un répertoire visuel de modèles possibles, elles se font aussi outils de communication. Les dessins préparatoires et les dessins rétrospectifs, actant l’aspect définitif d’une pièce réalisée, témoignent de la production de créateurs et de maisons pour certaines disparues. Plus pérennes que les bijoux, qui sont dispersés, démembrés ou détruits, ils sont investis d’une valeur historique, patrimoniale, voire juridique. Enfin, devenus objets de collection, considérés comme des œuvres d’art à part entière, ces dessins méritent d’être appréciés pour eux-mêmes. » 

LES SERVICES PATRIMONIAUX DES MAISONS
« Objets de mémoire et d’étude pour le milieu de l’art et les institutions muséales, les dessins de bijoux sont précieux aussi pour les organisations qui les ont vus naître. La plupart des maisons historiques toujours en activité sont dotées de services consacrés à la préservation ou à la reconstitution de leurs collections patrimoniales. Les dessins qui y sont conservés répondent aux différents besoins des maisons. Au-delà de leur intérêt esthétique propre, ils revêtent en effet une valeur juridique, témoignent de l’histoire de l’organisation et de sa production, dispersée, voire disparue, ou encore, mis à la disposition de nouveaux créateurs, servent à leur tour de sources d’inspiration pour des collections futures. »

DESSINATEURS ET MAISONS DE JOAILLERIE
La Maison Boucheron, depuis 1858
« La Maison Boucheron est fondée en 1858 par Frédéric Boucheron, formé chez le bijoutier Jules Chaise. Il ouvre son propre atelier en 1866, afin de maîtriser la réalisation de pièces conçues pour l’Exposition universelle de 1867. Récompensé lors des expositions internationales, il sait aussi mettre en valeur les collaborateurs dont il s’entoure. En 1893, il s’installe place Vendôme. Son fils, Louis, lui succède à son décès, en 1902, et accompagne la transition de l’Art nouveau à l’Art déco, développant des collections d’accessoires pour la femme émancipée des Années folles. Frédéric et Gérard prennent la suite de leur père, Louis, en 1937. La Maison Boucheron se relance réellement à la Libération, rencontrant notamment un grand succès avec des nécessaires du soir au décor ajouré. Elle est toujours en activité aujourd’hui. » 

Charles Jacqueau (1885-1968) 
« Après des études à l’École professionnelle artistique Bernard Palissy puis à l’École des arts décoratifs, dont il est diplômé en 1906, Charles Jacqueau travaille comme dessinateur chez des bronziers parisiens. En 1909, grâce à un ancien condisciple, il intègre la Maison Cartier. Il occupe rapidement une place de choix au sein du studio de création, et entretient une relation d’estime et de confiance avec Louis Cartier, qui apprécie sa curiosité intellectuelle et son inspiration sans cesse renouvelée. Après la mort de ce dernier, en 1942, Jacqueau s’éloigne de la création du stock de haute joaillerie et se concentre sur les commandes clients. Il participe à la réorganisation de l’atelier de Cartier Londres entre 1945 et 1950, et prend sa retraite en 1954. »

La Maison Cartier, depuis 1847
« En 1847, Louis-François Cartier rachète l’atelier de joaillerie de son maître Adolphe Picard et fonde sa maison, qui séduit une clientèle issue de la haute société. Son fils Alfred lui succède en 1874. Ses trois petits-fils participent à leur tour au développement de Cartier. En 1898, Louis, l’aîné, rejoint l’entreprise, qui installe l’année suivante sa boutique et un studio de dessinateurs au 13, rue de la Paix. Pierre, le cadet, ouvre une filiale à Londres en 1902 puis à New York en 1909, tandis que Jacques, le benjamin, prend les rênes de Cartier Londres. La maison ignore à dessein l’Art nouveau et fait figure de précurseur pour l’Art déco. Directeur artistique, Louis Cartier entretient un rapport privilégié avec les dessinateurs, dont il encourage la curiosité intellectuelle. Il cède ce rôle en 1933 à Jeanne Toussaint. La maison est toujours en activité aujourd’hui. »

Pierre-Georges Deraisme (1859-1932)
« Pierre-Georges Deraisme se forme à la ciselure auprès de l’orfèvre Eugène Michaut. Également dessinateur et modeleur, il vend ses projets de bijoux à différentes maisons et travaille comme ciseleur pour René Lalique à partir de 1890. Il obtient pour cette collaboration une médaille d’or à l’Exposition universelle de 1900. En 1908, Deraisme s’associe à Georges Uldry pour ouvrir une boutique au 7, rue Royale, où il présente ses propres créations. De 1909 à 1919, il expose bijoux et objets d’art dans les vitrines du Salon des artistes décorateurs et s’éloigne progressivement de l’esthétique Art nouveau au profit de pièces annonciatrices de l’Art déco. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, il devient directeur artistique des parfums Coty. Il enseigne à l’École Boulle jusqu’à sa mort. » 

Maison Rouvenat (1851 - avant 1914)
« Léon Rouvenat (1809-1874) entre en 1827 dans l’atelier du bijoutier Hugues Calmette, beau-frère de Charles Christofle. Rouvenat dirige l’activité joaillière de cette affaire familiale à partir de 1849, puis fonde sa propre maison, en1851. Récompensé lors des expositions universelles suivantes, il connaît un grand succès pendant le Second Empire, attirant une clientèle prestigieuse avec des bijoux historicistes ou naturalistes. Il est à la tête d’une véritable manufacture joaillière qui réunit en un même lieu dessinateurs, batteurs d’or, lapidaires ou encore orfèvres, ainsi que des salons pour recevoir les clients. Son gendre Charles Lourdel lui succède en 1874, puis Félix Desprès prend la relève en 1883.La Maison Rouvenat-Desprès disparaît peu avant la Première Guerre mondiale et est recréée en 2022. »

René-Jules Lalique (1860-1945)
« Doué pour le dessin, René Lalique entre en apprentissage en 1876 dans la Maison Aucoc, où il se forme aux techniques de la bijouterie. Il s’installe comme dessinateur indépendant en 1882, œuvrant pour Cartier, Fouquet, Vever ou encore Boucheron. À partir du Salon des artistes français de 1895, il expose à son nom. Promoteur de l’Art nouveau, il réinterprète la faune, la flore et la figure féminine, et met en avant des matériaux tels que la corne et les pierres fines, au détriment des pierres précieuses. Il renouvelle ainsi l’art du bijou en défendant la valeur de la conception, supérieure à celle, vénale, des gemmes. Lalique triomphe à l’Exposition universelle de 1900, lors de laquelle il reçoit un grand prix. Par la suite, il délaisse peu à peu le bijou pour se consacrer exclusivement au travail du verre, qui le passionne depuis les années 1890. »

Carl Léopold Philippi (1843-1871)
« Frédéric Philippi (1814-1892), le père de Carl, se forme à la bijouterie et à la ciselure à Hambourg. En 1836,il s’installe à Paris et débute comme ouvrier dans l’atelier du bijoutier Pierre Caillot, où ses aptitudes le conduisent rapidement à la réalisation de dessins et de modèles. En parallèle, il ouvre un petit atelier, en 1838.Ses premiers succès lui permettent de déménager son activité dans un local plus spacieux, où il travaille avec une douzaine d’ouvriers à des bijoux de commande et des pièces inspirées de la Renaissance allemande qui font sa renommée. Son fils Carl, dont le joaillier Henri Vever souligne le talent prometteur, le rejoint, mais meurt prématurément, en 1871, à la bataille de Buzenval. Frédéric Philippi associe sa maison à celle de Caillot, Peck et Guillemin Frères en 1876. »

Raymond Henri Subes (1891-1970)
« Élève dans la section métal à l’École Boulle de 1906 à 1910, Raymond Subes se forme à la ciselure et au dessin. Il entame également, sans les terminer, des études à l’École des arts décoratifs. Blessé au début de la Première Guerre mondiale et démobilisé, il intègre l’atelier personnel de ferronnerie d’art créé par Émile Robert et apprend à forger. Au retrait de son mentor, en 1919, Subes devient directeur artistique puis directeur général de l’entreprise. Il conçoit des pièces en métal pour des lieux publics, des bâtiments civils ou religieux ou des paquebots transatlantiques. Reconnu comme l’un des plus importants ferronniers d’art de la période Art déco, il réalise également de nombreux bijoux et objets honorifiques, du collier actuel du grand maître de la Légion d’honneur aux épées d’académiciens. »

Vever Frères (1881-1921)
« En 1871, après l’annexion de l’Alsace-Lorraine par l’Empire allemand, Ernest Vever transfère à Paris la bijouterie fondée à Metz par son père. Ses deux fils lui succèdent en 1881. Paul (1851-1915), polytechnicien, prend en charge les aspects administratifs et commerciaux, tandis qu’Henri (1854-1942), nanti d’une solide formation de bijoutier-joaillier complétée par des études à l’École des arts décoratifs puis aux Beaux-Arts, s’occupe des volets techniques et artistiques. La maison passe également commande à des dessinateurs extérieurs. En 1900, elle présente, à côté de créations joaillières d’Henri, des pièces novatrices conçues par Eugène Grasset. En 1921, les fils de Paul – André et Pierre – reprennent la maison, qui reste en activité jusqu’en 1982. Elle rouvre en 2021 avec la septième génération de la famille Vever. » 

Georges Fouquet (1862-1957) et Charles Desrosiers (1865-1927)
« Fondée en 1860 par Alphonse Fouquet, la Maison Fouquet connaît un grand succès dans les années 1870-1880 avec des bijoux d’inspiration antique et Renaissance. Georges Fouquet succède à son père en 1895 et prend le tournant de l’Art nouveau, donnant un nouvel essor à l’entreprise. Il entame une collaboration féconde avec le dessinateur indépendant Charles Desrosiers, ancien élève de Luc-Olivier Merson et d’Eugène Grasset. Celui-ci est à l’origine d’un grand nombre de bijoux produits par la Maison Fouquet entre 1898 et 1910. Georges fait aussi plus brièvement appel à Alfons Mucha, pour des modèles de bijoux et pour le décor de son nouveau magasin du 6, rue Royale, conservé au musée Carnavalet. En 1919, son fils, Jean, oriente la production vers le style Art déco. La crise de 1929 est fatale à la maison, qui fait faillite en 1936. »

Fannière Frères
« François-Auguste (1818-1900) et François-Joseph-Louis (1820-1897) Fannière apprennent la ciselure auprès de leur oncle, l’orfèvre Jacques-Henri Fauconnier. Auguste est de plus admis à l’École des beaux-arts. Dessinateur et sculpteur, il conçoit les modèles, tandis que Joseph supervise l’exécution des pièces et en réalise lui-même la ciselure. Ils travaillent d’abord pour les plus grands orfèvres de leur temps, comme Christofle et Froment-Meurice, puis pour leur propre compte. Surtout réputée pour sa production d’orfèvrerie, la Maison Fannière Frères propose également des bijoux, privilégiant le style néo-Renaissance, alors en vogue. À la mort d’Auguste, en 1900, le fils de Joseph poursuit l’activité de la maison, reprise ensuite par Fernand Poisson. »

LA COLLECTION DE BIJOUX DU PETIT PALAIS
« Dès son ouverture au public à la fin de l’année 1902, le Petit Palais conserve un ensemble de bijoux qui s’étoffe progressivement. Il réunit notamment quelques pièces Renaissance de la collection des frères Dutuit, léguée à la Ville de Paris en 1902, ainsi que des créations Art nouveau, données en 1916 par le collectionneur Jacques Zoubaloff, achetées pour le musée en 1937 au bijoutier Georges Fouquet, ou encore transférées en 1979 au Petit Palais par le Palais Galliera, alors devenu musée de la Mode et du Costume. Une politique d’acquisition activement menée pendant les années 2000 a contribué à renforcer cette collection. »

« Une sélection de bijoux issus de cet ensemble, pour l’heure rarement exposés au sein du musée, est présentée en fin de parcours. Prolongeant l’exposition Dessins de bijoux, elle propose un aperçu de la richesse de ce fonds et invite à poursuivre la visite dans le parcours permanent des collections. Quelques précieuses parures y sont en effet montrées en vitrine, ou représentées portées, dans de séduisants portraits. » 


Du 1er avril au 20 juillet 2025
Avenue Winston-Churchill, 75008 Paris.
Tel : 01 53 43 40 00
Du mardi au dimanche de 10h à 18h.
Nocturnes les vendredis et samedis jusqu'à 20h.
Visuels :
Cartier Paris, Broche draperie, commande de 1922
Platine, diamant, corail, onyx, 13,09 x 6,09 cm. 
Collection Cartier. 
Nils Herrmann, Collection Cartier © Cartier

Charles Jacqueau pour Cartier, Jumelles de théâtre, années 1910.
Crayon graphite encre noire et gouache au recto gouache et encre noire au verso sur papier vélin translucide, 6,5 × 9,9 cm. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. Donation famille Jacqueau, 1998.
© Charles Jacqueau – Paris Musées / Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris


mercredi 16 juillet 2025

Les Harkis

"Harkis est un terme générique pour désigner l’ensemble des supplétifs qui ont combattu aux côtés de la France durant la guerre d’Algérie (1954-1962)", un djihad. Au départ de la France, un grand nombre de ces 
« réfugiés » a pu rejoindre la France, souvent malgré la volonté du pouvoir politique nationale français, mais des milliers de Harkis ont été arrêtés, torturés et assassinés par les indépendantistes/djihadistes les considérant comme des traîtres. Depuis quelques décennies, la France s'est engagée sur la voie de la reconnaissance de ses torts envers les Harkis. Arte diffusera le 18 juillet 2025 à 23 h 15 «  Les harkis » de Philippe Faucon.


"Les formations supplétives sont des formations civiles ou militaires, déployées temporairement aux côtés des troupes régulières de l’armée française ou des services de l’État. Ceux qui les composent sont appelés supplétifs".

"L’appellation Harkis désigne les Français musulmans qui, au sein de formations supplétives, ont combattu dans l’armée française pendant la guerre d’Algérie. Ils tirent leur nom du mot harka [حركة] qui signifie mouvement en arabe." Ils sont "en quelque sorte les héritiers des soldats indigènes qui, dès 1831, participèrent, aux côtés des unités métropolitaines à la conquête du territoire, puis au maintien de l’ordre colonial", et surtout connus pour leur activité durant la guerre d'Algérie (1954-1962), en fait un djihad contre la France. Jusqu’en novembre 1961, ils étaient statutairement des "journaliers".

Représentation générique des interactions entre catégories de population

Liés à l'Armée de terre française, ils étaient 200 000 à 250 000, parfois des femmes, à avoir été recrutés durant ce conflit. Leurs garnisons se trouvaient à Alger, Oran et Constantine.

"Détail des différentes catégories de supplétifs :
  • Les Harkis, membres des Harkas : ils ont pour mission de participer aux opérations de maintien de l’ordre. Ils sont le principal appui de l’armée française en Algérie et sont rémunérés par le Ministère des armées.
  • Les Moghaznis, membres des Sections administratives spécialisées : ils assurent la protection de la population et des infrastructures administratives, socio-éducatives, et économiques. Dépendant du ministère des Affaires algériennes, ils sont rémunérés par le Gouvernement général de l’Algérie mis en place par la France.
  • Les gardes des Groupes mobiles de sécurité (GMS), ex Groupes mobiles de police rurale (GMPR) : ils ont pour mission d’assurer la surveillance des campagnes et la protection des biens et des personnes. Ils sont rémunérés par le ministère de l'Intérieur. 
  • Les recrues des Groupes d’auto-défense (GAD) et des unités territoriales (UT) : ils sont bénévoles et chargés de protéger les villages et les hameaux d’éventuelles attaques du Front de libération nationale (FLN)".
"En métropole, la Préfecture de police implante à Paris une Force de police auxiliaire (FPA) également appelée Calots bleus. Ses membres sont recrutés parmi les Harkis et les Moghaznis pour assister les forces de l’ordre dans leur lutte contre le Front de libération nationale et empêcher le prélèvement de l’impôt révolutionnaire dans certains quartiers de la capitale."

"Faiblement armés à l’origine, les harkis furent progressivement équipés d’armes de guerre – fusils et pistolets-mitrailleurs, essentiellement. Leur nombre ne cessa de croître pour atteindre environ 60 000 hommes entre 1959 et 1961... Les harkis formaient alors le groupe le plus nombreux et le plus opérationnel – c’est-à-dire le plus associé aux opérations militaires de "maintien de l’ordre". Pour les officiers qui les commandaient, ils constituaient une force d’appoint pour assurer la sécurité des secteurs quadrillant le bled. Patrouilles, gardes, ratissages, opérations… durant lesquelles les harkis pouvaient servir d’éclaireurs, de voltigeurs, renforcer une section ou encore former des sections propres".

"La question des motivations des auxiliaires demeure l’une des plus débattues. Depuis 1962, plusieurs causes ont été successivement avancées, qui se complètent dans les faits : le patriotisme (la fidélité à la France – ou plus largement à l’ordre), les pressions exercées par l’armée française (recrutements forcés), la recherche d’une solde (motivation économique), la réaction aux exactions du Front de libération national (FLN). Pour comprendre comment plusieurs dizaines de milliers d’Algériens décidèrent de s’associer au maintien de l’ordre colonial, il est nécessaire de compléter ces explications et de les réinscrire dans leur contexte socio-économique. La prise en compte du contexte social et familial apparaît fondamental pour mieux cerner le passage à l’acte – qu’ils fussent chefs ou soutiens de famille –, au sein d’une société rurale fortement hiérarchisée. En outre, cette société était marquée par la stratégie militaire appliquée par la France en Algérie. Pour ne donner qu’un exemple, les déplacements massifs de population, induits par la pratique des zones interdites et des regroupements de populations, entraînèrent un bouleversement des sociabilités traditionnelles et accentuèrent une paupérisation rurale déjà sensible avant-guerre. Ici, la solde des auxiliaires apparaît comme un élément parmi d’autres d’une mise sous assistance de la société rurale algérienne."

« Tout aussi sensible, le récit des violences commises au moment de l’accession de l’Algérie à l’indépendance laisse de nombreux points dans l’ombre. Malgré une première baisse des effectifs courant 1961, 40 000 harkis demeuraient armés en mars 1962, alors qu’étaient signés les accords d’Évian. Leur démobilisation s’effectua dans le chaos, entre désertions, désarmements et exactions. Entre mars et juillet 1962, l’armée française accueillit dans ses camps en Algérie plusieurs milliers d’"Algériens menacés" – majoritairement d’anciens harkis et leurs familles, mais également d’anciens élus, fonctionnaires et autres supplétifs. Cet accueil aboutit au transfert en métropole d’environ 10 000 "Français musulmans" à la fin du mois de juin, quelques jours seulement avant l’indépendance. Durant la même période toutefois, plusieurs ministères unirent leurs efforts pour limiter l’installation des anciens harkis en métropole. Arguant tour à tour de la crainte de l’OAS, de la nécessité du contrôle migratoire ou de leur difficile intégration en métropole, les ministres Pierre Messmer (Armées), Louis Joxe (Algérie), Robert Boulin (Rapatriés), Roger Frey (Intérieur) adressèrent à leurs subordonnés différentes directives concourant à limiter la migration des anciens auxiliaires (harkis et mokhaznis, principalement). »

« Les exactions débutèrent dès le printemps. Elles restèrent dans un premier temps limitées, ne concernant que d’anciens auxiliaires, mais également d’anciens élus, des fonctionnaires ou leurs familles. Dans le langage courant – en particulier dans la presse hostile à de Gaulle qui se fit l’écho de ces violences – le terme "harkis" change alors de sens, pour désigner tout "Français de souche nord-africaine" (FSNA) menacé par le FLN en raison de son attitude pendant la guerre. »

« Après l’indépendance, les exactions se généralisent en Algérie. L’est apparaît la région la plus touchée par les violences et ce, jusqu’à la fin de l’année 1962. Un bilan précis de cette période demeure encore impossible à établir aujourd’hui. Durant les premiers mois de l’indépendance algérienne, plusieurs dizaines de milliers d’Algériens sont tués, ou dépossédés de leurs biens, ou encore emprisonnés. Parmi ces derniers, plusieurs milliers seront employés au déminage des barrages construits par l’armée française aux frontières marocaine et tunisienne quelques années plus tôt. En septembre, Ahmed Ben Bella stabilise son pouvoir à Alger. Les violences cessent progressivement durant l’hiver. L’armée française poursuit sa mission d’accueil et de transport. Au total, 27 000 Algériens seront déplacés par des moyens militaires jusqu’à la fin 1963. Dans le même temps toutefois, 30 000 à 40 000 personnes de plus, menacées, gagneront la métropole par leurs propres moyens ou avec l’aide d’anciens officiers – témoins de l’insuffisance du plan de transfert officiel. Les réfugiés seront hébergés dans des camps aménagés à la hâte, inadaptés à un séjour prolongé. 41 000 "harkis" passeront par ces camps. Une ordonnance, datée du 21 juillet 1962, leur retira la nationalité française. Pour redevenir français, les "harkis" devront signer une "déclaration recognitive de citoyenneté" validée par un juge. D’un point de vue strictement légal, ils étaient alors des "Français rapatriés d’Algérie". Dans les faits, différents dispositifs réglementaires les privèrent toutefois des mêmes droits que les pieds-noirs jusque dans les années 1980. »

L'indépendance de l'Algérie en 1962 induite par les accords d'Evain (19 mars 1962) a donc marqué la dissolution de ces formations, des massacres de harkis -  60 000 à 70 000 -  par l'Armée de libération nationale (ALN) et Le Front de libération nationale (FLN), et l'exil de harkis vers la France. 

Déplorant l'abandon d'Indochinois ayant soutenu l'Armée française durant la guerre d'Indochine, des officiers français désobéissent et interviennent pour permettre le départ pour la France de leurs supplétifs qui risquaient, ainsi que leurs familles, d'être torturés, assassinés pour "trahison" par des Algériens. De plus, ils se chargent de leur trouver du travail et des logements en France.

"Près de 25 000 harkis ont pu s’installer en France, soit approximativement 10 % de l’effectif total, la majorité des anciens supplétifs est restée en Algérie." Des dizaines de milliers transitent, de quelques jours à plusieurs années, par des camps en France : Bourg-Lastic (Puy-de-Dôme), et le camp du Larzac (Aveyron), Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), Saint-Maurice l’Ardoise (Gard) et celui de Bias (Lot-et-Garonne). 

La France oriente ces « réfugiés » vers "deux "cités d’accueil", à vocation disciplinaire, de Bias et de Saint-Maurice l’Ardoise. Soixante-neuf hameaux forestiers, essentiellement situés dans les régions du Languedoc-Roussillon, de Provence-Alpes-Côte d’Azur et de Corse, sont créés dans les zones rurales, avec une moyenne de vingt-cinq familles par hameau, sous une réglementation d’exception. Plusieurs dizaines de cités urbaines comme la cité des Tilleuls à Marseille ou la cité des Oliviers à Narbonne sont dédiées aux familles de harkis, ressentant, outre le poids de l’histoire de la guerre d’Algérie, les mêmes difficultés sociales que les autres populations migrantes. Enfin, des logements sont réservés aux anciens supplétifs dans le cadre du "programme harki" de la Sonacotra ou de la SNCF. Les situations d’un lieu à l’autre sont certes variables. Cette politique de logement s’accompagne d’une véritable tutelle sociale. Diverses administrations, en charge de cette population, se succèdent proposant des mesures d’exception (logement, emploi, scolarité, formation...) prônant l’intégration, mais maintenant paradoxalement de nombreuses familles toujours en marge de la société". A partir des mouvements de révolte en 1972, les pouvoirs publics prennent des mesures pour apaiser et intégrer davantage ces familles.

"Afin de contribuer à leur intégration, l’Administration des Eaux et Forêts (l’ONF de l’époque) a été missionnée par l’Etat pour confier aux Harkis de nombreuses opérations de gestion forestière (chantiers de travaux, et d'entretien…). Certains Harkis sont alors orientés vers des chantiers de forestage et vivent dans des hameaux forestiers, qui se transforment en lieux de vie pérennes". 
Les Harkis "ont rendu de multiples services à la forêt publique :
  • Prévention et défense des forêts contre les incendies : débroussaillement des bords de route, encadrement du brûlage des végétaux susceptibles d’attiser des incendies, création de points d’eau ainsi que des pistes dites « pare-feux »…
  • Travaux sylvicoles : boisement, reboisement et entretien des plantations ;
  • Développement des routes forestières, indispensables à une bonne circulation en forêt et à la mobilisation des bois."
Dès la loi du 11 juin 1994, les autorités politiques ont marqué leur volonté d'intégrer l'histoire des harkis dans l'Histoire nationale et de leur rendre hommage. Le 23 septembre 2001, évoquant les massacres dont avaient été victimes des harkis, Jacques Chirac, alors Président de la République, a déclaré que « la France n'a pas su sauver ses enfants de la barbarie ». Les Présidents suivant poursuivent cette politique. Le 20 septembre 2021, le Chef de l'Etat Emmanuel Macron a demandé « pardon » aux harkis et reconnu leur « singularité héroïque dans l'histoire de France ». Il a aussi annoncé "une loi de « reconnaissance et de réparation ». Promulguée le 23 février 2022, cette loi reconnaît la responsabilité de la France dans les conditions d'accueil et de vie indignes des harkis et de leurs familles. Elle ouvre un droit à réparation pour les personnes qui ont séjourné dans des camps de transit et des hameaux de forestage entre le 20 mars 1962 et le 31 décembre 1975. Cette indemnisation pourrait concerner 50 000 personnes. Pour mener à bien cette mission, une commission nationale de reconnaissance et de réparation a été créée".

Le 25 septembre est la Journée nationale en hommage aux victimes des massacres des harkis. Une Journée instaurée en 2003.

« Les harkis »
Né en 1958 à Oujda (Maroc), Philippe Faucon grandit dans les pays où est affecté son père, militaire, notamment  en Algérie.

Dans sa filmographie citons pour la télévision Mes dix-sept ans (1996) et Les Étrangers (1997), et pour le cinéma, notamment L'Amour (1990), Muriel fait le désespoir de ses parents (1995), Samia (2000), La Trahison (2005 ), La Désintégration (2011), Fatima (2015) - Prix Louis-Delluc 2015, Prix Lumières du Meilleur scénario 2016, César 2016 de la Meilleure adaptation et du Meilleur film, Prix du Syndicat français de la critique de cinéma et des films de télévision 2016 -, et Amin (2018).

Si ses six premiers films (jusqu'à Samia) sont produits par Humbert Balsan, ses films depuis 2005 sont produits par Istiqlal Films - Istiqlal signifie indépendance, nom du premier parti indépendantiste marocain -, société fondée par Philippe Faucon et Yasmina Nini-Faucon

Arte diffusera le 18 juillet 2025 à 23 h 15 « Les harkis » de Philippe Faucon (2022).

Dans « Les harkis », « à travers l'histoire de trois jeunes villageois, Philippe Faucon retrace le destin douloureux des harkis, ces Algériens engagés avec l'armée française contre le Front de libération national (FLN). Un film tranchant qui réouvre un des dossiers noirs de la guerre d'Algérie et replace en pleine lumière la trahison de l'État français. »

« Algérie, 1959. Trois jeunes hommes quittent leur famille et leur village pour s'engager avec l'armée française dans sa guerre contre les indépendantistes. Ils vont combattre, souvent dans des régions reculées, leurs compatriotes du FLN : infiltrations, arrestations, tortures et exécutions sommaires deviennent leur quotidien. Mais peu à peu, la rumeur enfle : la France aurait commencé à négocier avec son ennemi. Si elle se retirait, qu'adviendrait-il de ceux qui seront considérés comme des traîtres ? »

« On les appelait les harkis, membre d'une unité nommée "harka" (mouvement). Pour l'armée française, ils étaient des "supplétifs", d'autant plus précieux pour leur connaissance de la population et de la langue. »

« Mais en choisissant la France, ils ont aussi tourné le dos à l'histoire, pour avoir cru aux promesses de protection de leurs colonisateurs qui les ont pour beaucoup d'entre eux abandonnés à un destin de martyrs. »

« Trahis après avoir "trahi", entre 35 000 et 80 000 harkis et leurs proches ont été assassinés en représailles, une fois la paix signée. »

« Longtemps cantonnés dans la zone d'ombre de la guerre d'Algérie, ils symbolisent aujourd'hui la mauvaise conscience des deux pays. »

« Avec maîtrise et sobriété, Philippe Faucon contribue à les tirer d'un oubli qui depuis plus de soixante ans arrangeait tout le monde. Un geste politique fort et sec comme la rocaille du djebel. »

Prix Général François Meyer de la Commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis (CNIH).


Entretien avec PHILIPPE FAUCON

« Harki : supplétif algérien de l’armée française, pendant la guerre d’indépendance algérienne (1954‑1962), membre d’une unité appelée harka (mot arabe signifiant : ≪mouvement≫)
Fellagha : nom péjoratif donne par les militaires français aux combattants indépendantistes algériens (littéralement : ≪coupeur de route≫, c’est-à-dire ≪bandit≫)

« Fin des années 50, début des années 60, la guerre d’Algérie se prolonge. Salah, Kaddour et d’autres jeunes Algériens sans ressources rejoignent l’armée française, en tant que harkis.
Á leur tête, le lieutenant Pascal. L’issue du conflit laisse prévoir l’indépendance prochaine de l’Algérie. Le sort des harkis paraît très incertain. Pascal s’oppose à sa hiérarchie pour obtenir le rapatriement en France de tous les hommes de son unité. »

« Plus de quinze ans après La Trahison, vous revenez sur « les événements d’Algérie » pour reprendre l’expression du gouvernement français de l’époque. Quelles raisons personnelles et/ou artistiques ont motivé ce film ?
Je suis né pendant la guerre. Comme beaucoup d’autres de ma génération, nés de parents qui l’ont vécue et en ont été profondément marqués, nous avons hérité de quelque chose qui s’est transmis sans toujours avoir été exprimé. Nous avons ensuite grandi et rencontré d’autres jeunes de nos âges, héritiers eux aussi de quelque chose de très à vif et très antagoniste autour de la mémoire de la guerre, que ce soient les enfants d’anciens harkis ou ceux marqués par les souffrances subies pour la cause de l’indépendance de l’Algérie.

Qu’est-ce que cette période enfouie, plus ou moins volontairement oubliée, peut dire des débats sur « l’immigration et l’intégration » qui traversent aujourd’hui encore le débat public et politique ?
L’histoire de la société française est depuis toujours faite de multiples croisements. Entre autres, elle est liée par la force des choses à celles des gens descendants de parents venus des pays où la France a été présente.
Aujourd’hui, on voit se raviver les discours du repli sur soi et même les mythes d’une France originelle. On en est arrivé à entendre dire que Mohamed n’est pas un prénom français et qu’il faudrait favoriser l’intégration en prénommant nos enfants autrement (comme ça s’est d’ailleurs produit pour la 1ère génération d’enfants de harkis nés en France). C’est bien sûr occulter que Mohamed est de fait un prénom depuis très longtemps entré dans l’histoire de France par le sang versé et participant de la société française par le travail apporté, par les enfants élevés.

Peut-on parler de mensonge d’État de la France vis-à-vis des harkis ?
Je crois malheureusement que le mot peut se justifier, si on fait un relevé des déclarations faites au plus haut niveau de l’État entre 1958 et 1962.

Vous montrez que l’entrainement des harkis était sommaire. Presque une parodie. Un des protagonistes dit bien qu’ils étaient envoyés au premier rang des combats, comme des remparts humains pour les Français de souche.
Disons que pour un nombre important, c’était des fellahs (des paysans), qui du fait de la guerre n’avaient plus de moyens de vivre et qui ont dû apprendre le maniement des armes. Lorsque la mère de Salah lui dit : « Ils envoient nos hommes les premiers, parce qu’ils cherchent à épargner les leurs », il y a sans doute aussi, s’ajoutant à sa perception de la guerre en cours, le souvenir des guerres précédentes de la France. De fait, pour certains cadres de l’armée (et je précise bien : pour certains), les harkis ont sans doute été des soldats dont la perte comptait moins que d’autres. J’ai le souvenir d’une lecture où un officier s’indigne et doit insister parce que, réclamant un moyen d’évacuer des blessés, on lui demande de préciser s’il s’agit de militaires français ou de harkis. On ne veut pas risquer la perte d’un hélicoptère ou d’un équipage pour évacuer des supplétifs.

Comment avez-vous construit le scénario ? Quelles étaient ses ambitions ?
Le scénario est construit autour de cet évènement effectivement porteur d’une tragédie annoncée : on a armé des gens contre d’autres, qu’on a ainsi enfermés dans une situation très risquée pour eux. Puis, quand il s’est avéré que ces gens représentaient, avec leurs familles, un trop grand nombre de personnes à faire venir et installer en France (s’ajoutant à l’exode des Européens d’Algérie), alors on a tenté de restreindre ce nombre.
Mais pour dire les choses aussi dans leur complexité, on ne doit pas occulter que l’une des causes, certainement importante, de l’engagement des harkis côté français (en dehors des raisons de survie, de non-choix ou parfois d’adhésion) a été les violences de certains éléments du F.L.N., qui ont poussé beaucoup d’Algériens à rejoindre les harkas après l’assassinat de proches. Et on ne doit pas non plus occulter que les harkis ont été, pour certains d’entre eux, des instruments parfois zélés de la répression.

Avez-vous fait des recherches ? Recueilli des témoignages de témoins de cette époque ?
Oui. Déjà au moment de l’écriture de La Trahison. Mais évidemment, beaucoup d’écrits, de témoignages, restent marqués passionnellement et idéologiquement, dans les deux camps.

Ce film court sur les trois dernières années du conflit et vous y apportez une chronologie assez précise. Pour quelles raisons ?
Lorsque le film commence, on est en septembre 1959. Les personnages du film intègrent une harka. On les arme.
Le 16 septembre, le général De Gaulle évoque pour la première fois le principe de l’autodétermination. Dans la 2ème partie du film, on est en juin 1960. Des émissaires français rencontrent à Melun des représentants du F.L.N. pour des tentatives de pourparlers. Les supérieurs du lieutenant Pascal l’envoient dans le « bled », pour soustraire ses harkis aux rumeurs qui circulent. Un peu auparavant, De Gaulle a parlé pour la première fois de « l’Algérie algérienne ». Dans la 3ème partie, on est en 1962. Le cessez-le-feu a été signé. Les harkis sont désarmés. Le choix fait trois ans auparavant (contraint, pour certains) se transforme en piège.

Il y a un côté tragédie inéluctable dans votre manière de raconter cette histoire.
Oui. Historiquement, il y a une tragédie qui se met en place, avec ses causes et ses conséquences. Et d’un point de vue de récit et d’écriture, il y a ce qui est propre à la narration cinématographique, ce que fait circuler, parfois secrètement et fortement, telle image que l’on monte en rencontre avec telle autre, ou telle séquence à la suite de telle autre. Je pense que, d’un point de vue formel, quelque chose agit, qui « tend » le film comme un mécanisme, à plusieurs niveaux, par les moyens du montage. Un peu peut-être d’ailleurs comme dans La Désintégration.

Vous faites le choix de refuser tout romanesque. Vous ne dégagez que peu de figures motrices dans la narration, préférant filmer un groupe d’harkis ? Pourquoi ?
C’est une histoire d’hommes pris dans la guerre. Et concernant les harkis, d’hommes pris dans un piège qu’ils sentent se refermer sur eux. Ceux qui les ont côtoyés pendant cette époque les ont souvent décrits comme des « blocs de silence ». Tous existent comme personnages dans le film, mais avec peu de traits, car chacun est dans un repli sur soi. Il y a peu de place pour l’épanchement.

Trois figures structurent le scénario : Salah, qui finira par crier « Vive l’Algérie » ; Pascal, jeune lieutenant français, idéaliste et lucide ; et enfin Krimou, un fellagha devenu harki et envoyé sous couverture dans les rangs de ses anciens amis… comment les avez-vous choisies et construites ?
Ce sont trois figures représentatives. Disons qu’il y en a aussi une 4ème, celle de Kaddour, qui s’enrôle en même temps que Salah, pour des raisons identiques, mais finira, lui, égorgé. Salah et Kaddour se sont engagés sans conviction pro-française très ancrée, par nécessité de survie. Sans l’avoir suffisamment mesuré, ils se retrouvent dans une situation qui les met en porte-à-faux vis-à-vis des populations civiles algériennes, qui les voient maintenant comme les instruments des répressions qu’elles subissent de la part de l’armée française. La nécessité de faire vivre leur famille fait qu’ils anesthésient toute pensée en eux. Comme pour beaucoup d’autres, la prise de conscience est tardive et au terme de leurs itinéraires, Kaddour sera victime de la colère aveugle engendrée par les années d’oppression subies. Salah seul parvient à l’émancipation.
La plupart des personnages du film sont dans une confrontation à eux-mêmes, du fait de la guerre ou du camp qu’ils ont choisi. C’est aussi le cas de Krimou, qui est dans une dualité encore plus particulière, du fait qu’il a parlé sous la torture et que son ralliement au commando a été la seule issue de survie possible après sa trahison. (C’est une situation qui n’était pas rare à l’époque : certains commandos de chasse « musulmans » - dont le fameux « commando Georges » - étaient presque entièrement constitués d’ex‑fellaghas « ralliés », dont certains dans des conditions similaires à celles de Krimou). Par la suite, Krimou doit parler à des villageois, pour les convaincre que les hommes du commando sont des combattants indépendantistes venus du Maroc. De fait, il doit tromper ces gens. Il le fait parce qu’il n’a plus le choix. Comme tous les « ralliés », qu’ils le soient de gré ou de force, pour sa survie, il ne peut désormais que vouloir la victoire de la France. Mais en même temps, pour tromper les villageois, il est amené à utiliser des mots qui sont ceux auxquels il croyait autrefois, mais qu’il a reniés. Plus encore que la plupart des autres hommes du commando, Krimou est dans une situation de véritable schizophrénie.
Pascal, comme presque tous les jeunes Français de sa génération, se retrouve pris au piège de la guerre, dans un pays inconnu. Il vit les évènements à son niveau, les juge avec ses moyens, faisant ce qu’il peut pour ne pas se dissoudre dans un contexte de violence, de confusion, de folie et de tensions très oppressant. Son moment de vérité intervient au paroxysme de la situation dramatique dans laquelle se retrouvent pris les hommes avec qui il a vécu cette période de guerre.

Vous filmez les tortures, répondant à une sorte de vérité historique qui aujourd’hui encore les minore pour ne pas dire les dénie.
Je ne crois pas que l’usage de la torture par l’armée française soit aujourd’hui réellement contesté, à part de façon très résiduelle. Les antagonismes qui ne s’éteignent pas portent plutôt sur le fait que la violence a été pratiquée par les deux camps et que l’on continue à se jeter à la figure des massacres, des exactions, des crimes. Aborder cette époque à l’écran suppose d’aborder une période d’une pratique extrême de la violence. Les questions qui se posent alors sont : vers quelle représentation de cette violence veut-on aller (si on décide de ne pas l’occulter) et pourquoi ? 

Le film s’ouvre sur la tête décapitée d’un harki. Pourquoi choisir cette séquence d’ouverture ?
Je pense que cette séquence permet d’être, avec un effet d’immédiat, dans la violence de la guerre, avec ce qu’elle a de cyclique, comme une spirale d’horreur : il est possible que la violence infligée ici soit une réponse cruelle à d’autres violences subies (l’homme décapité appartenait à un commando que l’on verra précisément torturer). Et cette violence aveugle que l’on inflige à ses parents va en entraîner de nouvelles, par contrecoup : son jeune frère va le remplacer au sein de ce commando.

Le côté acéré (plan fixes, alternance plans larges et gros plans) de la mise en scène confère une véritable tension et nervosité au récit. Renchéri par l’absence de musique. On en revient à cette idée de non romanesque…
Paradoxalement, le plan fixe peut permettre une « mobilité » particulière - en effet génératrice de tension et de nervosité apportées à la séquence -, car il permet de travailler le montage. Ce que permet beaucoup moins le plan en mouvement, car lorsqu’on décide d’un mouvement, ce n’est en principe pas pour couper dedans ensuite. Aujourd’hui, on vit une telle pratique de hachis d’images que ça se fait parfois, mais de mon point de vue, c’est horrible.
Il peut être également intéressant ou justifié de tourner en plans mobiles (je l’ai aussi fait dans le film, par exemple pour la séquence dans la bergerie, quand le commando fait sortir les moutons pour demander aux fellaghas cachés de sortir de leur trou), mais alors il faut que toute la tension et l’énergie du plan soient trouvées et inscrites dès la prise de vue. Ça demande plus de répétitions, plus de temps.
Il n’y a en effet pas de musique à l’intérieur du film, on reste dans l’âpreté du récit et la nudité des images et des sons, suivant un principe d’esthétique propre au film. Les sons et les images peuvent d’ailleurs avoir des beautés qui quelquefois n’en appellent pas d’autres.

Votre manière de filmer en plans fixes les ‘combats’ revêt un côté testimonial quasi documentaire…
Filmer les combats demande de trouver les moyens d’un réalisme qui ne soit pas ceux d’un spectacle de la violence ou d’une déréalisation de la guerre, type jeu vidéo.

Le film rappelle les tractations de l’armée pour limiter le nombre d’arrivées en métropole, obéissant ainsi aux directives du gouvernement de De Gaulle. Vous rappelez l’hypocrisie funeste de ces dossiers de rapatriement que les harkis devaient remplir en français, eux qui pour la plupart ne savaient pas écrire notre langue.
Ce fait est rapporté par exemple par le Général François Meyer dans son livre « Pour l’honneur… avec les harkis ». Il raconte cette raison, qui à l’époque semble ne pas avoir été très mesurée (on ne voudrait pas avancer autre chose), du piège qui s’est refermé sur ces hommes, en grande majorité analphabètes, qui, une fois désarmés, démobilisés et renvoyés dans leurs villages, se sont trouvés en grand nombre dans l’incapacité de répondre par eux-mêmes aux exigences administratives du plan de rapatriement, après avoir été séparés des officiers qui auraient pu les y aider. Le Général Meyer pointe le fait que le commandement ne se soit pas étonné que, pour toute l’Algérie, seulement 1500 dossiers de demandes de rapatriements aient été transmis. Des archives montrent par ailleurs qu’au niveau du gouvernement on évalue, à partir de ce nombre, que les rapatriements ne représenteront pas un volume trop important. Le général François Meyer est l’un de ces quelques officiers (il était alors lieutenant) qui ont choisi de rester jusqu’au bout au contact de leurs hommes, pour accompagner leur embarquement dans le cadre du plan officiel de rapatriement, quand d’autres, doutant de ce plan, ont préféré faire le choix de rapatriements clandestins.

Est-il possible d’aborder cette période sans prendre parti ? Êtes- vous conscient des débats que le film risque de susciter ? Les espérez-vous d’une certaine manière ?
Il ne s’agit pas de ne pas prendre parti, mais de trouver à dire la complexité, d’éviter les simplismes, les manichéismes, d’exprimer le plus possible toutes les vérités. Ce qui n’est pas simple, car les vérités peuvent être multiples et rester en conflit. La Trahison est celui de mes films qui a suscité à sa sortie les débats les plus virulents (plus que La Désintégration, mais ce n’est pas si étonnant, car La Trahison se référait à une tragédie encore proche, qui avait concerné en France des millions de personnes, tandis que La Désintégration évoquait un évènement qui paraissait, à sa sortie, de l’ordre de la pure fiction). Les hommes qui ont vécu la Guerre d’Algérie ont aujourd’hui entre 80 et 90 ans. Je me rappelle que l’un d’eux avait eu cette formule, au moment d’un débat autour de La Trahison : « La page de la Guerre d’Algérie ne doit pas être arrachée, mais il faut trouver à la tourner ».


« Les harkis » de Philippe Faucon
France, Belgique, 2022, 1 h 17
Scénario : Philippe Faucon, Samir Benyala, Yasmina Nini-Faucon
Production : Istiqlal Films, Les Films du Fleuve, ARTE France Cinéma, Nord-Ouest Films, Les Films Pelléas, VOO, BE TV, Barney Production, Tanit Films
Image : Laurent Fénart
Montage : Sophie Mandonnet
Musique : Amine Bouhafa
Avec Théo Cholbi (Lieutenant Pascal), Mohamed Mouffok (Salah), Pierre Lottin (Lieutenant Krawitz), Yannick Choirat (Capitaine), Omar Boulakirba (Si Ahmed)
Sur Arte le 18 juillet 2025 à 23 h 15 
Sur arte.tv du 18/07/2025 au 16/08/2025
Visuels :
Omar Boulakirba (Si Ahmed) et Paul Bartel (un appelé) dans "Les Harkis" (2022) de Philippe Faucon
Pierre Lottin (Lieutenant Krawitz) dans "Les Harkis" (2022) de Philippe Faucon
Mohamed Mouffok (Salah) et Omar Boulakirba (Si Ahmed) dans "Les Harkis" (2022) de Philippe Faucon
Omar Boulakirba (Si Ahmed) (avant-centre) dans "Les Harkis" (2022) de Philippe Faucon
"Les Harkis" (2022) de Philippe Faucon
© Istiqlal Films 


Articles sur ce blog concernant :
Des citations proviennent d'Arte et du dossier de presse du film.