A Paris, les Archives nationales présentent, dans le cadre du 4e volet du cycle « Les Remarquables », l’exposition « 1429. Jeanne d’Arc. Le premier portrait ». « En trois mois à peine, de la levée du siège d'Orléans (8 mai 1429) au sacre de Charles VII à Reims (16 juillet 1429), Jeanne d'Arc a renversé le cours de la guerre de Cent Ans. Les représentations qu'on a d'elle sont toutes imaginaires. Une seule est contemporaine de son épopée. Elle est conservée aux Archives nationales et est présentée au public à l'hôtel de Soubise. Il s'agit d'un petit portrait (6 cm de hauteur), qui figure en marge d'un registre judiciaire, et qui est l'œuvre d'un greffier, Clément de Fauquembergue ». Entrée gratuite.
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« Les Archives nationales, établissement du ministère de la Culture, sont le plus grand centre d’archives d’Europe. Mémoire de la France, elles conservent et communiquent aux publics les archives de l’État depuis le Moyen Âge, celles des notaires parisiens et des archives privées d’intérêt national. Elles contribuent à la connaissance de l’histoire et au partage des valeurs citoyennes auprès du grand public, en particulier des plus jeunes, par leurs expositions, publications et autres activités de médiation. »
« Afin de donner à voir et à comprendre ces documents symboliques de l’histoire de la Nation, les Archives nationales initièrent en septembre 2021 le cycle Les Essentiels, en partenariat avec France Culture et l’Institut national de l’audiovisuel. Après la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le décret d’abolition de l’esclavage de 1848, l’ordonnance de 1944 accordant le droit de vote aux femmes, et la loi d’abolition de la peine de mort de 1981.
« Les Archives nationales inscrivent leur programmation dans une démarche résolument participative. Le public a voté pour les documents qu’il souhaite voir exposer dans le cadre du cycle Les Remarquables inauguré à l'automne 2023 : des documents exceptionnels par leur forme, leur contenu, les acteurs et les objets auxquels ils font référence. »
« Après les Templiers, les figures de Simone Veil - le célèbre discours défendant à la tribune de l’Assemblée nationale, en 1974, le projet de loi sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG) -, et Gustave Eiffel ont été à l’honneur, conformément au choix du public. »
« Le cycle Les Remarquables se poursuit en 2025 avec le 4e volet autour d' un petit portrait (6 cm de hauteur), qui figure en marge d'un registre judiciaire, et qui est l'œuvre d'un greffier, Clément de Fauquembergue ».
« Le mardi, dixième jour de mai, fut rapporté et dit à Paris publiquement, que dimanche dernier passé, les gens du dauphin, en grand nombre, après plusieurs assauts continuellement entretenus par force d’armes, étaient entrés dans la bastille [le fort] que tenaient Guillaume Glasdale et autres capitaines et gens d’armes anglais de par le roi, avec la tour de l’issue du pont d’Orléans par-delà la Loire, et que, ce jour, les autres capitaines et gens d’armes tenant le siège et les bastilles par-deçà Loire, devant la ville d’Orléans, s’étaient partis d’icelles bastilles et avaient levé leur siège pour aller conforter [secourir] ledit Glasdale et ses compagnons, et pour combattre les ennemis, qui avaient en leur compagnie une pucelle seule ayant bannière parmi lesdits ennemis, ainsi qu’on le disait.
Quis eventus futurus, novit Deus, bellorum dux et princeps potentissimus in prelio [Qu’adviendra-t-il ? Dieu le sait, chef des guerres et prince très puissant au combat] ».
« Tel est le commentaire, prudent et fasciné, noté dans son registre par Clément de Fauquembergue, greffier civil du Parlement de Paris, alors qu’il vient d’apprendre la nouvelle de la levée du siège d’Orléans. Il s’agit là d’un témoignage unique, au point de départ de l’aventure johannique. »
Le livret gratuit disponible aux Archives nationales « entend proposer au public le plus large un récit synthétique du si bref mais si extraordinaire parcours de Jeanne d’Arc, en s’interrogeant sur la perception qu’on a eu d’elle à son époque. Une époque réceptive au surnaturel, où l’on acceptait l’idée que des prodiges puissent arriver. »
« Ainsi peut-on comprendre pourquoi tant de gens crurent en elle et la suivirent. »
« Et pourtant, pour réussir par la seule force de sa volonté, il lui fallut briser bien des chaînes, transgresser effrontément les barrières sociales et mentales, liées à sa condition de paysanne et à son sexe, et faire preuve d’une endurance physique exceptionnelle pour supporter les blessures et les fatigues de la guerre. Ce qu’elle a fait, personne ne pouvait l’imaginer, personne ne l’avait fait avant elle, et plus personne ne l’a fait après elle. »
Le Commissariat scientifique est assuré par Amable Sablon du Corail, responsable du département du Moyen Âge et de l'Ancien Régime, Archives nationales, et Michel Ollion, responsable du fonds du Parlement de Paris, département du Moyen Âge et de l'Ancien Régime, Archives nationales, et le Commissariat technique par Jérôme Séjourné, chargé d'études documentaires, département de l'Action culturelle et éducative, Archives nationales.
« Si le personnage de la Pucelle d’Orléans (1412-1431) avait connu une célébrité certaine au 15e siècle, il avait perdu de son importance aux siècles suivants jusqu’à sa redécouverte et la création du mythe de Jeanne d’Arc, dont Michelet fut un des grands initiateurs. En 1841, Michelet élève Jeanne d'Arc au rang d'héroïne nationale. Par ses origines modestes, sa candeur et son bon sens, Jeanne incarne le peuple français et fait émerger le sentiment national. »
« Pour les catholiques, la béatification puis l’éventuelle canonisation de Jeanne d’Arc deviennent un moyen de combattre la laïcité et de rappeler que la France est par essence chrétienne, voire monarchiste.
Ce propos plaît particulièrement aux antisémites. La Pucelle d’Orléans boutant l’Anglais hors de France préfigure selon eux leur lutte contre les Juifs, qu’ils accusent d’être des agents de l’étranger et de la franc-maçonnerie « athée », propos que combattent les journaux progressistes. Aussi, lorsque l’Église annonce officiellement sa béatification le 18 avril 1909, la presse de tous bords se déchaîne. Cette année-là, plus de 10 275 articles sont consacrés à Jeanne d’Arc, un record, deux fois plus qu’en 1894 (environ 5 660) et trois fois plus qu’en 1897 (quelque 3 000 articles) », a écrit William Blanc, historien, spécialiste du Moyen Âge et de ses réutilisations politiques.
Et William Blanc d'ajouter :
« À l’instar de La Gazette de France, La Libre parole du pamphlétaire antisémite Édouard Drumont traite elle aussi de la béatification de Jeanne d’Arc en première page le 19 avril 1909. Tout au long de l’année, le quotidien lui consacre 474 articles, soit plus d’un par jour. Dans son édition du 15 décembre 1909, l’une des plumes du journal, H. de Rauville se fait l’écho d’une conférence de l’abbé Louis-Albert Gaffre, qui attribue de manière invraisemblable la mort de la Pucelle aux Juifs qui se seraient, selon lui, associés aux Templiers :
« Le bûcher de Rouen et la représaille [sic] des Juifs et des Templiers. […]Le fils du Juif persécuté pour ses accointances avec les Templiers aurait répondu au bûcher des Templiers juifs ou enjuivés par le bûcher même de Jeanne d’Arc, et le drame de Rouen ne serait qu’un forfait de plus de la race maudite, vengeant sur l’incarnation la plus pure, la plus loyale et la plus aryenne de la loyale et aryenne France.Les justes répressions qu’ont valu au peuple de Judas ses exactions, ses usures, ses crimes et ses félonies… »
L’alliance entre les Juifs et les Templiers, lieu commun de la droite contre-révolutionnaire depuis les écrits de l’abbé Barruels à la fin du XVIIIe siècle, permet de faire le lien entre une alliance supposée de Juifs et de francs-maçons (perçus comme les héritiers des chevaliers du Temple) dans le but de détruire la France chrétienne symbolisée par la Pucelle. De Rauville conclut ainsi son article en pointant du doigt « la haine inexplicable des Juifs et des Francs-Maçons contemporains contre la Jeanne d’Arc glorifiée [...] victime, non de l’Église, mais en réalité de son éternelle ennemie, la force occulte ».
Dans ce contexte, la presse de gauche et anticléricale tente de répondre. Le 19 avril 1909, le journal socialiste L’Humanité titre ainsi en page 2 : « L’Église brûla Jeanne d’Arc. Elle l’adore aujourd’hui ».
Mais c’est clairement La Lanterne qui reste le quotidien républicain le plus mobilisé sur le sujet en consacrant, en 1909, près de 275 articles à Jeanne d’Arc ».
En 1834, Zulayka Hajwal (Solika Hatchuel), belle Juive de Tanger, dhimmie dans l'actuel Maroc, enlevée pour être convertie à l’islam, mais restée fidèle à sa foi, est exécutée à Fès (dans l'actuel Maroc) pour apostasie. Cette tragédie a inspiré au peintre français orientaliste Alfred Dehodencq (1822-1882), qui séjourna au Maroc, son tableau L’exécution de la Juive (1861). Solica Hatchouel, Sol HaTzaddikah ("Sol la juive") ou Lalla Suleika ("Suleika la dame sainte) est surnommée par certains la "Jeanne d'Arc juive".
Intitulé Sauvée des cendres, le CD d’Hélios Azoulay et l’Ensemble de Musique Incidentale est constitué principalement d’un opéra inachevé du pianiste et compositeur autrichien Victor Ullmann, Le 30 mai 1431, inspiré du récit de Jeanne d’Arc jugée, condamnée à mort et brûlée vive dans un bûcher à Rouen à cette date. Cette œuvre d’Ullmann a été conçue dans le camp nazi, camp de transit et ghetto de Theresienstadt (Terezín), alors en Tchécoslovaquie ; sa partition était écrite sur deux pages. Hélios Azoulay a créé librement à partir de cette oeuvre inachevée et cette oeuvre aux deux auteurs a pour titre Sauvée des cendres. Né dans une famille juive convertie au catholicisme, anthroposophe, auteur à Theresienstadt (Terezín) d'œuvres musicales d'inspiration juive, Victor Ullmann, dont l'épouse est juive, a été déporté et assassiné au camp nazi d'Auschwitz (Pologne) le 16 octobre 1944.
« Le royaume de France dans la tourmente »
« En 1337, le roi d ’Angleterre Édouard III revendique la couronne de France, au nom de sa mère, Isabelle de France, fille du roi Philippe le Bel. Il défie ainsi Philippe VI de Valois, monté sur le trône par suite de l’exclusion des femmes de la succession royale. Ainsi commence ce qu’il est convenu d’appeler la « guerre de Cent Ans ». »
« Elle plonge la France dans une crise sans précédent. Les armées royales sont battues à Crécy, en 1346. Le roi Jean le Bon est capturé à Poitiers, en 1356. Le traité de Brétigny, en 1360, cède au roi d’Angleterre le tiers sud-ouest du royaume en toute souveraineté. Il est dénoncé dès 1369. Charles V et son connétable Bertrand du Guesclin reconquièrent la plus grande partie de l’immense Aquitaine anglaise. En 1380, à la mort de Charles V, les Anglais paraissent vaincus. »
« La folie de son successeur, Charles VI, et la rivalité qui oppose son frère, Louis, duc d’Orléans, et son cousin Jean sans Peur, duc de Bourgogne, vont ruiner cette oeuvre fragile. L’assassinat de Louis d’Orléans, en 1407, déclenche une guerre civile sauvage entre « Bourguignons » et « Armagnacs » – qui soutiennent le jeune Charles d’Orléans et son beau-père, le connétable d’Armagnac. Les deux partis se disputent le gouvernement du royaume et la tutelle du roi, dont la démence ne fait que s’aggraver avec le temps. »
« En 1415, le roi Henri V débarque en Normandie avec une puissante armée. Il écrase les Français à Azincourt, puis commence la conquête du royaume sans rencontrer de résistance. Pendant ce temps, les Armagnacs sont en butte à l’hostilité croissante des Parisiens et des villes du nord du royaume. En 1417, la Picardie et la Champagne se rallient à Jean sans Peur. Dans la nuit du 28 au 29 mai 1418, les Bourguignons entrent à Paris, dont les habitants se soulèvent et massacrent les Armagnacs. »
« Le dauphin Charles, dernier survivant des fils de Charles VI, âgé de 15 ans, parvient à fuir la capitale. Il prend alors la tête du parti armagnac, décapité à la suite de la capture de Charles d’Orléans à Azincourt et de la mort du connétable d’Armagnac à Paris. Le duc de Bourgogne tente alors de négocier avec le dauphin. Les deux hommes se rencontrent sur le pont de Montereau, en septembre 1419. Jean sans Peur y est assassiné. Son fils Philippe le Bon s’allie aussitôt aux Anglais. Le traité de Troyes consacre la victoire de Henri V, désigné comme le successeur de Charles VI, tandis que le dauphin est déchu de ses droits à la couronne de France. »
« Le dauphin et ses partisans se replient sur la Loire, tandis que les Anglo-Bourguignons resserrent leur emprise sur tout le nord du royaume, la partie la plus riche et la plus peuplée, qui avait été le berceau et le cœur de la puissance de la monarchie française depuis les Mérovingiens. Le dauphin installe son gouvernement en exil, le premier que la France ait connu, à Poitiers et à Bourges. »
« Le schisme royal »
« À partir de 1418, la France a deux gouvernements. À Paris, les administrations et les juridictions royales sont purgées des éléments hostiles au duc de Bourgogne. La plus importante et la plus prestigieuse est le Parlement de Paris, cour de justice suprême du royaume, qui prononce ses arrêts en dernier ressort. Un nouveau Parlement est aussitôt institué par le dauphin Charles à Poitiers, avec les magistrats qui l’avaient suivi en exil dès 1418, ou qui, sans cautionner les excès des Armagnacs, avaient refusé de jurer le traité de Troyes en 1420. Les deux cours rendent la justice au nom de Charles VI, prétendent recevoir les appels de tout le royaume, et qualifient leur rivale d’« antiparlement ».
« Les Archives nationales conservent les registres des deux Parlements. Celui siégeant à Poitiers affiche au début de chaque rentrée judiciaire (le 12 novembre, lendemain de la Saint-Martin d’hiver) l’ordre dans lequel les plaignants sont autorisés à présenter leurs causes, par circonscription judiciaire subordonnée (bailliage ou sénéchaussée). Y figurent les bailliages et sénéchaussées du nord du royaume, obéissant aux Anglo-Bourguignons : le Parlement affiche ainsi, sur le parchemin, sa seule légitimité, ainsi que la continuité de la fonction judiciaire. De fait, le Parlement du dauphin est à l’œuvre quelques mois seulement après la chute de Paris (29 mai 1418) : une véritable prouesse, qui illustre la solidité d’une juridiction dont les procédures, les routines et les méthodes de travail sont rodées depuis près de deux siècles. »
Le « schisme royal » est consommé lorsque Charles VI meurt en 1422. Le dauphin Charles, qui avait pris le titre de régent depuis 1418, devient roi sous le nom de Charles VII. En application du traité de Troyes, les Anglo-Bourguignons reconnaissent Henri VI, le fils de Henri V, mort prématurément quelques mois plus tôt, en tant que roi de France et roi d’Angleterre. Henri VI étant encore au berceau – il n’avait que huit mois – son oncle Jean de Lancastre, duc de Bedford, est nommé « régent le royaume de France ».
« Dès lors, deux légitimités s’affrontent, toutes deux potentiellement sujettes à caution : celle des Valois, appuyée sur la loi salique, opportunément redécouverte par les légistes royaux pour justifier en droit l’exclusion des femmes, et celle des Lancastre, fondée principalement sur la force et sur leurs victoires militaires, en lesquelles on pouvait voir le jugement de Dieu. De fait, après quelques années de flottement, qui permettent à Charles VII de consolider sa domination dans ce que ses adversaires appellent avec dérision « le royaume de Bourges », les Anglais reprennent leur avance. En 1423, à Cravant, et 1424, à Verneuil, les capitaines de Charles VII et leurs alliés écossais essuient de lourdes défaites. En 1425, les Anglais prennent Le Mans. En 1428, le comte de Salisbury chasse les troupes royales de la Beauce et prend plusieurs places sur la Loire. Il arrive sous les murs d’Orléans le 7 octobre 1428. »
Jeanne d’Arc
« La nouvelle du siège d’Orléans se diffuse dans tout le royaume, jusqu’aux marches de Lorraine. Le petit village de Domremy se situe dans le « Barrois mouvant », c’est-à-dire la partie du duché de Bar située à l’ouest de la Meuse, pour laquelle le duc de Bar prêtait hommage au roi de France (ses terres de l’autre côté de la Meuse relevaient du Saint-Empire romain germanique). La situation politique est alors singulièrement complexe. Les partisans de Charles VII, qui tenaient encore plusieurs places dans la région, en ont été chassés quelques mois avant le siège d’Orléans. En août 1428, Robert de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs, à 20 kilomètres de Domremy, doit conclure une trêve avec les Anglo-Bourguignons. Il ne doit sa survie qu’au soutien, lui-même bien chancelant, de René d’Anjou, beau-frère de Charles VII, héritier des duchés de Bar et de Lorraine. Domremy compte alors une centaine d’habitants, pour la plupart paysans, vivant dans des conditions précaires, et souvent rançonnés par les gens de guerre des deux camps. Parmi eux, Jacques d’Arc et Isabelle Romée un couple de laboureurs plutôt aisés et très bien intégrés à la communauté villageoise. Probablement née en 1412, Jeanne est la dernière des cinq enfants de ses parents. Elle se signale très tôt par sa piété. À l’été 1424 ou 1425, elle entend des « voix », doublées d’apparitions de l’archange saint Michel, de sainte Catherine et de sainte Marguerite. À mesure que le temps passe, elles sont de plus en plus fréquentes, lui font des révélations et lui assignent une mission… qu’on est bien en peine de préciser, tant les versions ont varié avec le temps et les témoignages. Au moins est-on à peu près sûr que Dieu lui aurait demandé d’aller lever le siège d’Orléans et de faire sacrer Charles VII à Reims. Bien que les juristes aient depuis longtemps fait triompher le principe suivant lequel l’héritier légitime devenait roi de France dès la mort de son prédécesseur, le prestige de la cérémonie du sacre restait considérable. Ainsi Jeanne s’obstina-t-elle à appeler Charles VII « gentil (c’est-à-dire noble) Dauphin » jusqu’à ce qu’il eût reçu l’onction à Reims. »
« Jeanne se rend donc à Vaucouleurs, sous prétexte de rendre visite à sa cousine qui venait d’accoucher. »
« Elle va voir Robert de Baudricourt pour lui demander de lui fournir une escorte qui la conduirait jusqu’à Charles VII. Le capitaine la renvoie sèchement. Pourtant, impressionné par le charisme et l’assurance de la jeune fille, sans doute aussi par les rumeurs qui circulent déjà sur son compte, Baudricourt se laisse finalement fléchir. Il lui donne une lettre de recommandation et la confie à deux hommes d’armes, Bertrand de Poulengy et Jean de Metz. Déguisée en page, elle quitte Vaucouleurs le 12 février 1429. Le 23 février, Jeanne d’Arc arrive à Chinon, où réside alors Charles VII. »
“Une pucelle portant bannière”
« D’après son propre témoignage, Jeanne d’Arc est reçue par le roi en début d’après-midi. « Quand elle entra dans la chambre de son roi, elle le [Charles VII] reconnut entre les autres par le conseil et la révélation de sa voix. Elle dit à son roi qu’elle voulait faire la guerre aux Anglais. » Sans doute précédée par sa réputation, Jeanne est soumise à l’examen attentif d’une commission de clercs. Ceux-ci, après l’avoir entendue et fait constater sa virginité, rendent un avis prudent, mais favorable. On lui donne une armure et un étendard, et l’on rassemble une armée de secours. Le 22 mars, elle envoie aux Anglais une lettre de défi, les sommant de quitter la France « car Dieu, le Roi du Ciel, le veut, et cela est révélé par la Pucelle au roi Charles, lequel entrera à Paris en bonne compagnie. »
« Le siège d’Orléans dure déjà depuis cinq mois. L’armée anglaise, forte de 5 000 hommes environ, était trop peu nombreuse pour encercler totalement la ville mais elle avait construit à l’ouest et au nord une ligne de « bastilles » – de gros retranchements en bois et en terre. Les Anglais étaient également parvenus à s’emparer des « Tourelles », un châtelet fortifié qui défendait l’accès au pont sur la Loire, sur la rive sud. Dès lors, le ravitaillement ne parvient plus à Orléans qu’avec beaucoup de difficulté. Découragés, les capitaines français proposent même aux bourgeois d’Orléans de capituler. Ils refusent mais demandent au duc de Bourgogne d’intercéder auprès des Anglais pour que ces derniers acceptent que la ville soit placée sous sa garde jusqu’à la libération du duc Charles d’Orléans, prisonnier en Angleterre depuis Azincourt. C’est donc bel et bien une défaite française qui se profile, peut-être décisive, lorsque Jeanne arrive à Orléans, le 29 avril 1429, avec une avant-garde de 200 lances, sous les acclamations des habitants. »
« La garnison française est commandée par Jean, bâtard d’Orléans, le demi-frère de Charles d’Orléans, un capitaine expérimenté, troublé par l’arrivée de Jeanne, mais que les revers de fortune avaient rendu prudent. Le 4 mai, les Français sortent de la ville et attaquent une bastille anglaise, au nord d’Orléans. Jeanne d’Arc, d’abord tenue à l’écart, arrive à temps pour ranimer le courage des attaquants, qui prennent le dessus. Une autre bastille tombe le 6 mai ; le 7, ce sont les Tourelles. William Glasdale, qui les commandait et avait traité Jeanne de « putain des Armagnacs » dans la chaleur des combats, est tué. Leur dispositif totalement démantelé, les Anglais n’ont plus qu’à lever le siège : c’est chose faite le lendemain. La nouvelle de ce stupéfiant retournement de situation se répand aussitôt comme une traînée de poudre. Le 10 mai, Clément de Fauquembergue, greffier civil du Parlement de Paris, chargé de tenir le « registre du Conseil », une sorte de journal dans lequel il consignait le résumé des arrêts et décisions du Parlement, mais également les événements qui lui paraissaient dignes d’être rapportés, ne manque pas d’y consacrer quelques lignes. En marge, il dessine une jeune femme en robe, tenant une bannière de la main droite, une grande épée de la main gauche. »
« Jeanne d’Arc, prophétesse, prostituée ou Amazone ? »
« Qu’a pu avoir en tête Clément de Fauquembergue, en réalisant sur le vif ce portrait imaginaire, alors que les informations lui arrivaient au compte-gouttes ? Partielles, elles étaient également partiales. Lui-même est un partisan modéré, mais convaincu, de la double monarchie. Son hostilité à l’égard de Charles VII, qu’il appelle « le dauphin », transparaît d’abord dans le récit qu’il donne de l’événement. Il minimise la portée de la défaite anglaise en passant sous silence la mort de Glasdale, et en faisant de l’évacuation générale des bastilles anglaises une simple mesure tactique : il s’agissait de « conforter » Glasdale, c’est-à-dire de le secourir. Peut-être ne sait-on pas encore à Paris que les Anglais ont été définitivement vaincus. »
« Jeanne d’Arc est figurée cheveux dénoués et en robe. Elle ne porte donc ni l’habit d’homme, qui sera l’un des principaux motifs de scandale mis en avant lors de son procès, ni l’armure complète que Charles VII lui avait donnée. »
« En revanche, sa dimension guerrière est doublement affirmée par la forte épée qu’elle tient d’une main ferme, et surtout par son étendard, peut-être l’élément qui a le plus frappé les contemporains. À juste titre, car il avait été commandé par Jeanne en personne qui avait donné des instructions très précises. Bien que les représentations et les témoignages divergent parfois, on sait qu’il était blanc et portait des fleurs de lys, les archanges Michel et Gabriel, le Christ, la Vierge et l’inscription « Jhesu Maria ». La symbolique était très forte, parlait à tous et suggérait un message politique puissant : l’union indissoluble entre Dieu et la royauté française. Fauquembergue en propose une version nécessairement simplifiée, mais les lettres JHU (pour Jhesu) inscrites sur le dessin de l’étendard en synthétisent l’essentiel. »
« Les cheveux dénoués peuvent faire l’objet d’interprétations très divergentes car ils constituent un motif iconographique équivoque. Ils peuvent être associés à la jeunesse – la Vierge est représentée cheveux nus dans les scènes de l’Annonciation, lorsqu’un ange vient lui annoncer qu’elle enfantera le Christ – mais la jeunesse est également le temps des pulsions mal maîtrisées et des mœurs dissolues. Fauquembergue aurait-il été sensible aux injures proférées contre elle par Glasdale et bien d’autres gens de guerre qui voyaient en elle une « putain ribaude » ? Il aurait tout aussi bien pu se référer à d’autres modèles, notamment celui des Amazones, un thème plus littéraire, mais très à la mode chez les gens de savoir, véhiculant une image ambiguë, inspirant la fascination autant que la répulsion, exploitable en bonne ou en mauvaise part. Deux miniatures un peu postérieures, dans le manuscrit d’une chronique favorable à Charles VII, représentent Jeanne d’Arc en robe et en armure antiquisante, avec un bâton de commandement et une épée au côté gauche, ce qui correspond très exactement à une tapisserie contemporaine où apparaît Penthésilée, reine des Amazones et personnage central dans l’Énéide de Virgile – dont Clément de Fauquembergue possédait un exemplaire dans sa bibliothèque. Dans d’autres miniatures, non reliées à l’aventure de Jeanne d’Arc, on voit des Amazones en robe, cheveux nus, maniant le couteau contre leurs ennemis, pour tuer leurs enfants mâles, ou couper le sein droit de leurs filles (afin qu’elles puissent tirer à l’arc plus facilement). »
D’Orléans à Paris
« La levée du siège d’Orléans n’est que le début de l’épopée de Jeanne. En une semaine, du 11 au 18 juin 1429, les Français reprennent toutes les places dont s’étaient emparés les Anglais en 1428 : Jargeau, Beaugency et Meung-sur-Loire. Le 18 juin, galvanisés par leurs succès, sans cesse aiguillonnés par Jeanne d’Arc, ils tombent sur les Anglais qui se retiraient à Paris. Ces derniers sont balayés à Patay. »
« La Pucelle montre ses talents de stratège en incitant les Français à ne pas laisser retomber l’élan de leurs victoires. Elle pousse Charles VII à aller à Reims prendre sa couronne. Il faut pour cela réunir une armée, sans argent, ni vivres, ni équipement de siège, et traverser des pays particulièrement hostiles aux Armagnacs. Le 11 juillet, alors que Jeanne d’Arc s’apprêtait à lancer un assaut direct contre leurs murs, les habitants de Troyes acceptent de se soumettre à Charles VII. Toutes les villes de Champagne suivent leur exemple. Le 17 juillet 1429, le roi est sacré à Reims. »
« En dix semaines, par sa seule détermination, Jeanne d’Arc a renversé le cours de la guerre. Charles VII est désormais le souverain incontesté aux yeux de ses sujets, y compris au nord du royaume. Même pour ses adversaires, le « dauphin » est devenu non pas encore le roi de France, mais déjà le « roi Charles ». Clément de Fauquembergue, sans doute tenu à la réserve par ses fonctions officielles, l’appelle prudemment « Charles de Valois ».
« Il restait tout de même à reconquérir le royaume. C’est alors que le rêve de Jeanne d’Arc se fracasse contre la réalité. La plupart des villes de Champagne et de Picardie ouvrent leurs portes à Charles VII mais il reste encore toute la Normandie et l’Île-de-France à reconquérir. Le régent Bedford a rassemblé en toute hâte une armée solide ; c’en est donc fini de la promenade militaire. Bedford préfère couvrir la Normandie tandis que Charles VII et son conseil hésitent sur la conduite à tenir. Faut-il attaquer Paris, protégé par un formidable système défensif et de très profonds fossés de près de 100 mètres de largeur ? Les Parisiens sont tout à fait imperméables aux sommations de Jeanne. Ils craignent que Charles VII ne veuille se venger de l’insurrection de 1418 et du massacre des Armagnacs. Le 8 septembre 1429, Jeanne d’Arc lance un assaut improvisé contre la porte Saint-Honoré, espérant que, comme à Troyes, les habitants préféreront négocier leur capitulation pour éviter la mise à sac de leur ville. Après plusieurs heures de combats, Jeanne est blessée d’un carreau d’arbalète et les Français sont repoussés. »
« Le registre des délibérations des chanoines de Paris relate l’épisode. S’y exprime un vif soulagement de ne pas avoir été pillé par les « Armagnacs », ainsi que l’indignation que l’attaque ait été lancée le jour de la nativité de la Vierge. On fait le compte des centaines d’échelles et des milliers de fagots abandonnés par les gens de guerre du roi, qui laissent derrière eux un grand nombre de morts. C’en est fini ; l’enchantement est rompu. Quoiqu’on ait a posteriori limité la mission de Jeanne d’Arc à la levée du siège d’Orléans et au sacre de Reims, la lettre de défi adressée aux Anglais le 22 mars 1429 annonçait que la Pucelle ferait rentrer Charles VII dans sa capitale. »
« Mort et triomphe posthume de Jeanne d’Arc »
« L’échec de l’attaque menée contre Paris entache gravement la réputation de Jeanne d’Arc. Les traits de sa personnalité qui avaient jusque-là favorisé son succès se retournent contre elle. Son assurance et son aplomb, qui avaient secoué l’apathie des capitaines français et leur avaient rendu foi en la victoire, passent désormais pour de l’arrogance. Comment osait-elle donner des leçons au roi et à son entourage ? Après tout, était-il convenable qu’une femme, simple paysanne, de surcroît, combatte comme un homme, armée de pied en cap ? L’Amazone révélait sa face sombre, subvertissant l’ordre naturel voulu par Dieu. Car elle était devenue au fil des mois un capitaine de gens de guerre comme les autres, commandant une petite troupe, qui lui est restée indéfectiblement fidèle mais qui désormais rencontre autant de revers que de succès : échec devant La Charité-sur-Loire, en décembre 1429, belle victoire près de Lagny, en mai 1430. »
« Une grande partie des gens de guerre de Charles VII conservent leur admiration pour cette femme que rien n’abat et qui repart toujours au combat, ce qui ne fait qu’aggraver son cas. Jeanne d’Arc s’oppose en effet résolument à toute tentative de réconciliation entre Charles VII et le duc de Bourgogne. Or, de la fin de la guerre civile dépendait en définitive l’expulsion des Anglais du royaume. L’héroïne devient dès lors un obstacle sur le chemin de la victoire, et même un problème politique. Jeanne d’Arc rencontre son destin à Compiègne, alors assiégée par les Anglo-Bourguignons. Le 23 mai 1430, elle est capturée par des gens de guerre bourguignons lors d’une sortie de la garnison. Elle est remise aux Anglais qui la font juger par un tribunal ecclésiastique présidé par Pierre Cauchon, évêque de Beauvais. L’enjeu était de déplacer sur le terrain religieux l’action de Jeanne d’Arc, de ruiner son honneur et sa réputation, pour mieux délégitimer les victoires de Charles VII. Le réquisitoire initial recense pas moins de soixante-dix chefs d’accusation : sorcière, devineresse, fausse prophétesse, schismatique, blasphématrice, homicide, impudique, hérétique… Au terme d’un procès conduit à charge qui ne lui a laissé aucune chance, la jeune femme est condamnée à mort et brûlée vive à Rouen le 30 mai 1431. »
« À aucun moment Charles VII ne tenta de sauver celle qui l’avait conduit à Reims. Ce n’est que plus de vingt ans après la mort de Jeanne d’Arc que sa famille obtint l’ouverture d’un procès en nullité visant à la réhabiliter. L’appui du cardinal Guillaume d’Estouteville, issu d’une des familles nobles les plus puissantes de Normandie, fut déterminant. Il parvint à faire comprendre à Charles VII, au départ très réticent, qu’il était gênant de laisser accroire qu’il devait sa victoire à une sorcière hérétique. »
« Le 7 juillet 1456, la sentence de condamnation était enfin déclarée « nulle, invalide, sans effet et sans valeur ». Il fallut attendre encore plusieurs siècles pour que Jeanne devînt une héroïne nationale, célébrée par les républicains comme par les royalistes, dont l’Église fit une sainte en 1920, au lendemain de la Première Guerre mondiale. Aujourd’hui encore, le parcours et la fin tragique de la jeune Lorraine continuent d’émouvoir ceux qui veulent bien s’y intéresser. »
Site de Paris - Hôtel de Soubise
60, rue des Francs-Bourgeois. 75003 Paris
Accès gratuit
Visuels :
Portrait imaginaire de Jeanne d’Arc
Archives nationales, Parlement de Paris, registre du conseil, à la date du 10 mai 1429 (détail), X/1a/1481 [AE/II/447], fol. 12r
© Archives nationales
Portrait imaginaire de Jeanne d’Arc
Archives nationales, Parlement de Paris, registre du conseil, à la date du 10 mai 1429 (détail), X/1a/1481 [AE/II/447], fol. 12r
© Archives nationales
Jeanne d’Arc, miniature probablement réalisée à la fin du XIXe siècle, à la manière du XVe siècle
Archives nationales, AE/II/2490 © Archives nationales
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