Citations

« Le goût de la vérité n’empêche pas la prise de parti. » (Albert Camus)
« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du Soleil. » (René Char).
« Il faut commencer par le commencement, et le commencement de tout est le courage. » (Vladimir Jankélévitch)
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » (Albert Londres)
« Le plus difficile n'est pas de dire ce que l'on voit, mais d'accepter de voir ce que l'on voit. » (Charles Péguy)

jeudi 29 décembre 2022

L’Ordonnance instituant le droit de vote des femmes de 1944

Les Archives nationales exposent, dans le cadre du cycle « Les Essentiels », l’Ordonnance instituant le droit de vote des femmes de 1944, assortie d'un livret trilingue clair. L'histoire d'un combat remontant à la Révolution française, qui s'est poursuivi en s'incarnant dans des figures isolées, puis dans les suffragettes au début du XXe siècle dont les voix ont été relayées par des journaux et livres, ainsi que par des campagnes de sensibilisation de l'opinion publique et des parlementaires. Un "militantisme suffragiste" dont l'étape marquante sera l'engagement du général Charles de Gaulle en juin 1942 dans sa Déclaration aux journaux clandestins. Après l'adoption à Alger d'un projet en faveur du droit de vote féminin, l'ordonnance du 21 avril 1944 consacrera le droit pour une femme de voter et d'être élue.

« Les territoires perdus de la République. Antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire » sous la direction d’Emmanuel Brenner

« Créées pendant la Révolution française, rattachées au ministère de la Culture, les Archives nationales conservent les archives publiques des différents régimes politiques du VIIe siècle jusqu’à nos jours, ainsi que les minutes des notaires parisiens et des fonds d’archives privées ».

« Composées de millions de documents, leur valeur tient autant à leur contribution à la connaissance historique et à la mémoire individuelle et collective qu’à leur intérêt patrimonial. Certains de ces documents matérialisent des événements fondateurs de notre histoire. Ils constituent des jalons incontournables dans la construction de notre société contemporaine. Ils sont facteurs de cohésion et interrogent notre présent. »

« Les Archives nationales ont pour missions fondamentales de collecter, conserver, communiquer, faire comprendre et mettre en valeur leurs fonds et favoriser l’apprentissage de la citoyenneté ». 

Les Essentiels
Lancé à l'automne 2021 avec la présentation de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le cycle Les Essentiels « donne à voir et à comprendre les documents fondateurs de l'histoire de la Nation. Il présente les documents les plus symboliques de notre histoire, marqueurs forts du passé qui interrogent aussi notre présent, souvent connus de tous mais jamais approchés dans leur matérialité. Il place le visiteur dans une relation de proximité avec les originaux de documents dont chacun a entendu parler, parce qu'ils sont des marqueurs forts de notre Histoire et qu'ils interrogent aussi notre présent. »

« Signe d’ouverture des Archives nationales sur la société, la programmation du cycle Les Essentiels est déterminée par le choix du public. Cette démarche participative est une première pour les Archives nationales, et positionne l’institution comme un acteur engagé en faveur de la citoyenneté et du débat public. L’exposition de ces textes et la démarche globale illustrent la volonté des Archives nationales de réaffirmer son ADN né de la Révolution française. L’accès à ces documents iconiques est gratuit au même titre qu’à toutes les expositions des Archives nationales et à leurs salles de lecture. »

La scénographie dans une magnifique pièce est simple : les documents historiques sont placés dans trois vitrines au-dessus desquels un panneau rappelle succinctement le contexte. Un montage d'archives télévisées ou cinématographiques complète ce dispositif. Des livrets de visite, en français, en anglais et en espagnol, permettent d'approfondir le thème de l'exposition.   

C’est la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, texte fondateur entre tous, inscrite par l'Unesco au Registre « Mémoire du monde », qui avait ouvert ce cycle. Du 15 septembre 2021 au 3 janvier 2022, elle avait été exposée et montrée aux côtés de la Constitution de 1791, dont elle forme le préambule. Les visiteurs pouvaient également admirer la plaque de bronze sur laquelle elle a été gravée et qui devait être installée dans la colonne de la Liberté qu’il était prévu d’ériger sur les ruines de la Bastille : témoin de l’époque monarchique, cette plaque a été pilonnée par une masse, le « mouton national », en 1793, et conservée sous forme de compression.

À l’Hôtel de Soubise, au printemps 2022, les Archives nationales permirent, dans le cadre du cycle Les Essentiels, de « découvrir un document emblématique des collections et de l’histoire de France : le Décret d'abolition de l'esclavage du 27 avril 1848 ».

« Les visiteurs du musée (hôtel Soubise) et les internautes des Archives nationales, ont été invités, à voter pour les prochains documents qu'ils souhaitaient voir exposer. Une liste de douze documents emblématiques, conservés aux Archives nationales, a été proposée. Plus de 4 000 votants se sont exprimés, à la fois sur place, à l'issue de leur visite, et en ligne. Au total, 7 500 voix ont été exprimées sur bulletin papier et 1 500 en votes numériques. »

« L'ordonnance du 21 avril 1944 est arrivée en tête, avec plus de 1 150 voix exprimées en sa faveur. La suite du classement regroupe des documents éminemment symboliques : la loi de 1981 portant abolition de la peine de mort, le rouleau de l'interrogatoire des Templiers de 1307, la loi de 1905 de séparation des Églises et de l'État, ou l'Édit de Nantes de 1598. Par ailleurs, les visiteurs, invités à ajouter leurs propres suggestions à la liste, ont proposé des documents variés, allant du Traité des Pyrénées (1659) à la loi de 2013 sur le mariage pour tous, en passant par la loi interdisant le travail des enfants (1841). »

« En affirmant que les femmes deviennent enfin « électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes », ainsi que le stipule son article 17, l’ordonnance du 21 avril 1944 marque une rupture profonde dans l'histoire de la démocratie française. »

« Rina Rima Abdul Malak, ministre de la Culture et Isabelle Rome, ministre déléguée chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Egalité des chances, ont inauguré le 22 septembre 2022 aux Archives nationales, ce troisième rendez-vous du cycle Les Essentiels. »

« De même que nous prétendons rendre la France seule et unique maîtresse chez elle, ainsi ferons-nous en sorte que le peuple français soit seul et unique maître chez lui. En même temps que les Français seront libérés de l'oppression ennemie, toutes leurs libertés intérieures devront leur être rendues. Une fois l'ennemi chassé du territoire, tous les hommes et toutes les femmes de chez nous éliront l'Assemblée nationale qui décidera souverainement des destinées du pays ».
Déclaration du général de Gaulle, le 23 juin 1942.
Publiée en France dans les journaux clandestins.

« Au lendemain de la Première Guerre mondiale, et même à la fin des années 1930, la France est l'un des rares grands pays européens à ne pas accorder le droit de vote aux femmes. Il faut attendre le 21 avril 1944, et la signature par le général de Gaulle de l'ordonnance portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération, pour que les femmes deviennent enfin « électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes », ainsi que le stipule l'article 17. Cet article constitue l'aboutissement historique d'une prise de conscience progressive et d'un combat de longue haleine pour les droits civiques des femmes en France. »

« L'Assemblée consultative d'Alger a commencé à débattre de la future organisation des pouvoirs publics en France à la fin de janvier 1944. La question du vote des femmes a été posée dès ce moment par le délégué communiste Fernand Grenier. Se référant aux déclarations du Général de Gaulle, Fernand Grenier souhaitait que l'Assemblée consultative affirme que la femme est électrice et éligible « afin que nous lui manifestions notre solidarité et notre volonté de ne plus la traiter en mineure, en inférieure ».

« Jusqu'au bout, des résistances, réticences et prétextes firent obstacle à la réalisation de ce vœu. Beaucoup de délégués, parmi lesquels les radicaux, firent valoir la difficulté d'organiser en temps utile l'inscription des femmes sur les listes électorales, le risque de déséquilibre politique qu'entraînerait un électorat majoritairement féminin, avant le retour des prisonniers et déportés... »

« Du fait des tensions entretenues au sein de l'Assemblée consultative provisoire notamment par les radicaux, le projet d'ordonnance sur l'organisation des pouvoirs publics après la Libération comportait encore le 24 mars 1944 le texte : « les femmes sont éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ». Ce n'est qu'après le vote d'un amendement vigoureusement défendu par Fernand Grenier qu'y seront substitués les termes : « les femmes seront électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ». Grenier a pu écrire dans ses Mémoires : C'est de cette séance du 24 mars 1944 que date en fait le vote des femmes de France » (in C'était ainsi, souvenirs, Éditions sociales, 1959, p. 167). Mais l'impulsion, était venue d'ailleurs. Et cette conclusion semi-parlementaire n'effaçait pas 40 ans d'enlisement du législateur  ».

Le Commissariat scientifique est assuré par Mathilde Guérin, archiviste au pôle des archives des chefs du Gouvernement, Direction des fonds, Département de l’Exécutif et du législatif.

Le Conseil scientifique est composé de Mathilde Guérin, Bénédicte Fichet, Aude Roelly et Mattéo Vierling.

Le Commissariat technique a été confié à Régis Lapasin, responsable du service des expositions, et à Monique Hermite, commissaire technique. 

On peut regretter l'absence de mention de 
Cécile Kahn, dite Cécile Brunschvicg (1877-1946), féministe française juive. Elle a épousé en 1899 Léon Brunschvicg, philosophe féministe membre de la Ligue des droits de l'homme, puis vice-président de la Ligue des électeurs pour le suffrage des femmes. Le couple a quatre enfants de 1901 à 1919.

Dès 1908, Cécile Brunschvicg participe à la section Travail du Conseil national des femmes françaises (CNFF), puis en 1909 adhère à l'Union française pour le suffrage des femmes et crée les Réchauds de midi qui permettent aux travailleuses de disposer d'un repas chaud le midi. En 1910, elle devient secrétaire générale de l'Union française pour le suffrage des femmes (UFSF), branche française de l'Alliance internationale pour le suffrage des femmes. Elle la préside en 1924. Elle vise à créer des comités locaux en province : Marie-Josèphe Réchard présidente du comité local de Niort,e Laure Beddoukh présidente du comité local de Marseille. En mai 1914, avec Pauline Rebour, elle est secrétaire générale adjointe du mouvement. En 1914, elle fonde l’Œuvre parisienne pour le logement des réfugiés. Elle est une féministe plus « réformiste » que « révolutionnaire ». Elle prône l'école mixte.

Membre depuis 1924 du Parti républicain, radical et radical-socialiste (ou PRS) qui vient d'accepter des femmes parmi ses membres, Cécile Brunschvicg est désignée sous-secrétaire d'État à l'Éducation nationale dans le premier gouvernement de Léon Blum, en 1936. Sous le Front populaire, son ministre de tutelle est Jean Zay. Avec Suzanne Lacore et Irène Joliot-Curie, Cécile Brunschvicg est la première femme membre d'un gouvernement français. Persécutée comme juive sous l'Occupation, elle doit se cacher dans le sud de la France et enseigne dans un pensionnat pour filles à Valence.

La scénographie de l'exposition est signée par Jérôme Politi et son équipe, Agathe Castellini, Agata Cieluch, Raymond Ducelier, et Christophe Guilbaud.

LES CONFÉRENCES A L’HOTEL DE SOUBISE POUR ALLER PLUS LOIN
ENTRÉE LIBRE ET GRATUITE
Le vote des Françaises - cent ans de débats
Samedi 29 octobre - 14h30
Anne-Sarah Bouglé Moalic est « docteure en histoire de l'université de Caen-Normandie. Elle a travaillé sur le droit de vote des Françaises et, à travers ce prisme, sur les institutions politiques et sur les féminismes. Elle a publié, en mars 2021, La marche des citoyennes (Éditions du Cerf) qui raconte précisément la lutte des féministes suffragistes depuis le milieu du XIXe siècle jusqu’à son aboutissement avec la promulgation de l’ordonnance de 1944. »

Avancée et limites de l'ordonnance du 21 avril 1944
Samedi 17 décembre - 14h30
Florence Rochefort, « historienne, chargée de recherche au CNRS, est une spécialiste de l'histoire des féminismes en France, du genre en relation avec les religions, la laïcité et la sécularisation. Elle est membre du laboratoire Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (GRSL UMR 8582). Depuis 2013, elle coanime avec Michelle Zancarini-Fournel, dans le master « Genre » de l'EHESS, un séminaire de socio-histoire des féminismes. Elle a publié, en 2020, en collaboration avec Bibia Pavard et Michelle Zancarini-Fournel, Ne nous libérez pas, on s’en charge. Une histoire des féminismes de 1789 à nos jours (La Découverte). »

Les femmes, « citoyens passifs »
« Si la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 place le principe d’égalité au cœur de sa doctrine avec son article « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », elle n’implique pas pour autant que les femmes disposent des mêmes droits que les hommes. »
« Discuté dans les salons intellectuels de Madame de Staël (1766-1817) ou de Madame Roland (1754-1793), le droit de vote féminin est aussi revendiqué dans certains des cahiers de doléances de 1789. L’idée est loin d’être unanimement partagée. Dans son discours des 20 et 21 juillet 1789, l’abbé Sieyès (1748-1836) déclare qu’il existe deux catégories de citoyens, les « actifs » et les « passifs » et place les femmes dans cette seconde catégorie. À ce titre, celles-ci sont jugées inaptes à disposer du droit de vote. La Constitution de 1791 garde ce même principe. »
« Quelques contestations s’élèvent, portées notamment par Nicolas de Condorcet (1743-1794) et Olympe de Gouges (1748-1793). Le premier expose sa position dans plusieurs ouvrages, comme Sur l’admission des femmes au droit de cité publié en 1790. Quant à Olympe de Gouges, dans sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, elle écrit : « la femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune ».
« Mais leurs textes ne connaissent que peu d’échos immédiats et tombent rapidement dans l’oubli. »

« À PARTIR DE 1792, QUE LE SUFFRAGE SOIT UNIVERSEL OU CENSITAIRE, IL DEMEURE EXCLUSIVEMENT MASCULIN. »

« Pétitions de 1912 et 1914 en faveur du droit de vote des femmes 
En 1912, la Ligue française pour le droit des femmes, créée en 1882, lance une pétition sous forme de cartes postales à adresser au Président de la Chambre des députés.
Au dos de la carte figure un tableau chronologique de l’avancée du droit de vote féminin dans le monde.
Deux ans plus tard, le quotidien national Le Journal pose la question « Mesdames, Mesdemoiselles, désirez-vous voter un jour ? ».
Environ 506 000 bulletins « Je désire voter » sont collectés contre à peine plus d’une centaine d’avis défavorables. »

Un essor manifeste des associations féministes
« La Révolution de 1848 apporte l’espoir d’un changement car elle prône la liberté individuelle, l’indépendance des individus et la citoyenneté. La Seconde République n’en rétablit pas moins, en mars 1848, un suffrage universel réservé aux hommes. »
« Des femmes manifestent alors publiquement leur désaccord et critiquent l’absurdité du concept d’une « universalité » qui les exclut. La presse féministe, encore émergente, relaye cette revendication, comme le journal L’Opinion des femmes, fondé en 1849 par Jeanne Deroin (1805-1894). »
« Composé de femmes et soutenu par quelques hommes, le mouvement féministe est alors principalement issu des milieux bourgeois. Ses actions sont fortement décriées et moquées par ses détracteurs, prétextant que les femmes sont inférieures physiquement et intellectuellement. Des intellectuels comme Jules Michelet (1798-1874), Auguste Comte (1798-1857) ou encore Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865) sont sur cette ligne. Ce dernier dépeint la femme comme étant le « diminutif de l’homme » dans son ouvrage De la justice dans la Révolution et dans l’Église, de 1858. »
« Le droit de vote féminin ne fait pas non plus consensus au sein même de la mouvance féministe. Dans les années 1860, certains féministes comme Léon Richer (1824-1911) et Maria Deraismes (1828-1894) préfèrent travailler à obtenir d’abord une égalité des droits civils (par exemple en matière de salaire ou d’éducation), avant de réclamer des droits politiques. »
« Pour la militante suffragiste Hubertine Auclert (1848-1914), la question du suffrage féminin doit être la revendication primordiale du programme des différents mouvements féministes. C’est pourquoi elle se désolidarise du mouvement de Léon Richer et Maria Deraismes et fonde, en 1876, la toute première association suffragiste en France, le Droit des femmes. »
« Progressivement le nombre de suffragistes féministes augmente et de nouvelles associations voient le jour, par exemple, la Ligue de protection des femmes, en 1884, avec Louise Barberousse (1836-1900), ou l’Union française pour le suffrage des femmes, en 1909, avec Jeanne Schmahl (1846-1915). À force de propagande, les suffragistes parviennent à toucher les populations de milieux plus populaires et ruraux. »
Hubertine Auclert (1848-1914), militante féministe, crée, en 1876, le Droit des femmes, et multiplie les actions pour porter ses revendications. En 1881, elle fonde le journal La Citoyenne pour y défendre la cause des femmes. En 1908, elle publie Le Vote des femmes. Deux ans plus tard, malgré l’inéligibilité des femmes, elle est candidate aux élections législatives.
 « Les mouvements suffragistes travaillent aussi avec leurs homologues étrangers. Congrès nationaux et internationaux sont l’occasion d’échanger des idées et de s’entraider. C’est d’ailleurs au cours de l’un d’eux, en avril 1896, à Paris, que les divers courants féministes français s’accordent enfin sur l’importance du droit de vote des femmes et en font un élément principal de leur combat. »
« Les suffragistes françaises privilégient, pour militer, des méthodes plus pacifistes que celles des militantes anglaises appelées, quant à elles, suffragettes. Elles organisent des meetings, placardent des affiches, distribuent des tracts et lancent des pétitions. Des femmes se portent candidates à des élections et mènent campagne. Ces actions influencent peu à peu l’opinion publique. En France, les manifestations sont plus rares mais elles sont hautement symboliques, à l’image du dépôt de gerbes, à Paris, par Hubertine Auclert, au pied de la statue de Jeanne d’Arc, en 1909, ou par la journaliste Séverine (1855-1929), au pied de la statue de Condorcet, en 1914. »

Une lutte législative intense mais infructueuse
« Dès le début du XXe siècle, les parlementaires se sont emparés de la question. Deux premières propositions de loi ont été présentées à l’Assemblée nationale par Jean-Fernand Gautret (1862-1912), en 1901, puis Paul Dussaussoy (1860-1909), en 1906. Après le décès de celui-ci, c’est Ferdinand Buisson (1841-1932) qui reprend le combat. »
« Ferdinand Buisson dépose, en 1909, devant une commission spécialisée de l’Assemblée, la Commission du suffrage universel, un rapport offrant d’accorder le droit de vote aux femmes pour les élections locales. »
« En 1916, Maurice Barrès (1862-1923) propose à la Chambre des députés le « suffrage des morts », c’est-à-dire la possibilité de voter pour les veuves et mères de soldats tués à la guerre. Contre toute attente, la Ligue française du droit des femmes n’y est pas favorable : le droit de vote doit être pour toutes ou pour aucune. »
« En 1919, les députés reprennent l’examen du texte de Buisson qu’ils adoptent, en étendant même le droit à toutes les élections, sur la proposition de René Viviani (1863-1925). Mais en grande majorité conservateurs et attentistes, les membres du Sénat ne sont absolument pas favorables à la question. Ils restent sourds à tous les arguments invoqués par les féministes. Ils tardent volontairement à étudier le texte, avant de se prononcer en sa défaveur, en 1922. Toutes les autres tentatives de l’Assemblée, en 1925, 1932, 1935 et 1936, seront pareillement enterrées par les sénateurs. »
« Mise à l’ordre du jour au Sénat en 1922 de la proposition de loi visant à accorder aux femmes le droit de vote. Le 21 novembre 1922, à l’issue d’un scrutin serré, le Sénat refuse d’examiner cette proposition. Organisés par départements, les noms des députés qui y étaient favorables sont suivis d’un « P » rouge et ceux qui y étaient opposés d’un « C » bleu. Abstentions ou absents sont marqués d’un « A » ou d’une croix bleue. À l’annonce du résultat, Maria Vérone, féministe et suffragiste engagée, crie par trois fois dans l’hémicycle « Vive la République quand même ! ».
« Les multiples refus du Sénat exaspèrent les militantes féministes. Les arguments avancés sont souvent très misogynes : la femme serait physiologiquement inférieure ; elle ne serait pas suffisamment éduquée pour voter ; cela la détournerait de son vrai rôle, la tenue du foyer et l’éducation des enfants ; elle serait très influençable et versatile, etc. Un sénateur résume ainsi « séduire et être mère, c’est pour cela qu’est faite la femme ».
« Pour se faire entendre, une petite part des militantes va entreprendre des actions volontairement provocatrices sur la voie publique, actions rapidement contenues par les forces de l’ordre. Louise Weiss (1893-1983), fondatrice de l’association suffragiste La Femme nouvelle (1935), illustre cette politique de perturbation, avec, en 1936, un jeté de chaussettes au Sénat scandé d’un « Même si vous nous donnez le droit de vote, vos chaussettes seront raccommodées » et une distribution de myosotis (« Ne m’oubliez pas » dans le langage des fleurs) à l’Assemblée nationale. La même année, les féministes brandissent des pancartes portant l’inscription « La Française doit voter » sur la piste de la course hippique organisée à l’hippodrome de Longchamp, en présence de très nombreux spectateurs et du président de la République, Albert Lebrun.
En comparaison des autres pays, la France accuse alors un retard important. La Nouvelle-Zélande a, en effet, la première, accordé le droit de vote aux femmes en 1893. Elle a été suivie par l’Australie en 1901, la Finlande en 1906 et le Royaume-Uni en 1918. À l’aube de la Seconde Guerre mondiale, la France fait partie des quelques derniers pays européens, avec l’Italie, à n’avoir pas accordé ce droit aux femmes. »

Enfin le droit de voter !
« Quand la Seconde Guerre mondiale survient, le suffragisme militant entre en dormance. En 1942, le général de Gaulle relance, de façon inattendue, au sein des organes de la Résistance le débat sur le suffrage féminin. »
« En juin, le général de Gaulle affirme dans sa déclaration aux journaux clandestins qu’« une fois l’ennemi chassé du territoire, tous les hommes et toutes les femmes de chez nous éliront l’Assemblée nationale qui décidera souverainement des destinées du pays ».
« Cette prise de position est déterminante. »
« C’est l’Assemblée consultative provisoire d’Alger, créée le 17 septembre 1943, qui étudie la question. »
« Deux femmes seulement y ont été nommées, la résistante Lucie Aubrac (1912-2007) et la représentante de la France libre en Amérique du Nord (Canada), Marthe Simard (1901-1993). Bien que la décision soit inédite et forte, ce nombre n’est pas représentatif de l’engagement des femmes dans la Résistance. »
« Cette Assemblée provisoire est chargée plus largement d’étudier la meilleure façon d’organiser les pouvoirs publics, en France, après la Libération. »
« Au sein d’un projet qui prévoit des mesures structurantes pour le pays comme l’institution des comités départementaux de la Libération, la question fondamentale des élections est posée. Au détour de ce texte, le droit de vote féminin apparaît. »
« Cette idée ne fait pas totalement consensus au sein des membres de la Commission de la réforme de l’État et de la législation, chargée d’examiner le texte et présidée par Paul Giacobbi (1896-1951), membre du parti radical. À partir du 23 décembre 1943, les délibérations débutent et le sujet est abordé à dix reprises au cours des vingt-sept réunions de la Commission. »
« Le droit de vote des femmes est souhaité par certains comme le commissaire à la Justice, François de Menthon (1900-1984), ou les commissaires d’État, André Philip (1902-1970) et Henri Queuille (1884-1970). »
« Il se heurte cependant aux arguments d’anti-suffragistes déterminés tels que Paul Giacobbi, Albert Bosman (1889-1979) ou encore Paul Valentino (1902-1988). Si le principe d’un droit de vote féminin finit par être accepté, ceux-ci tentent de restreindre le champ de son application en plaidant pour une réforme mesurée. Ce droit devrait être, selon eux, limité aux élections municipales et avoir pour condition que 80 % de l’électorat masculin soit en mesure de voter (le rapatriement à venir des prisonniers de guerre est une préoccupation majeure). »
« L’Assemblée consultative provisoire étudie des amendements au texte soumis par la Commission. »
« Le 22 mars 1944, Robert Prigent (1910-1995) propose que, dès l’article premier, les Françaises soient électrices de la nouvelle Assemblée constituante au même titre que les Français. Le 24 mars, Fernand Grenier (1901-1992), commissaire à l’Air, est plus explicite encore pour l’article sur les élections locales avec la formulation : « les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ». 
« Prigent complète le dispositif, le 27 mars, avec la même formule dans l’article consacré aux élections nationales. À l’issue de débats animés, ces trois amendements en faveur du suffrage féminin sont adoptés. »
« L’ordonnance est signée, le 21 avril 1944, par le général de Gaulle et les commissaires du Comité français de Libération nationale. Elle est confirmée par le Gouvernement provisoire de la République française, le 9 août 1944, dans une ordonnance relative au rétablissement de la légalité républicaine. »
« Dans sa déclaration destinée à unifier les mouvements de résistance, le général de Gaulle prévoit qu’à la Libération les femmes participeront à l’élection d’une nouvelle assemblée nationale. »

« Ordonnance du 21 avril 1944 portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération
L’article 17 de l’ordonnance, très court, indique : « Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ». Il est voté par 51 voix contre 16, le 27 mars 1944, par l’Assemblée consultative provisoire. Dès lors, comme l’indiquait Paul Antier lors des débats « La participation des femmes au suffrage universel est un droit qui n’est pas discutable ». L’ordonnance elle-même est signée par le général de Gaulle, président du Comité français de la libération nationale, le 21 avril, à Alger. »

Vers l’égalité des droits ?
« À PARTIR DU 21 AVRIL 1944, LES FEMMES SONT À LA FOIS ÉLECTRICES ET ÉLIGIBLES. »
« Avant même les premières élections, à la fin de l’année 1944, douze femmes en lien avec la Résistance sont nommées à l’Assemblée consultative provisoire de Paris. »
« On retrouve parmi elles Madeleine Braun (1907-1980), Gilberte Brossolette (1905-2004) ou encore Marie-Claude Vaillant-Couturier (1912-1996). »
« Les femmes se rendent aux urnes en nombre pour la première fois en 1945, lors des élections municipales de mai. Dès ces premières élections, des femmes sont élues maires et on compte même à Echigey, en Côted’Or, un conseil municipal exclusivement féminin. »
« En octobre 1945, les femmes participent également aux élections législatives et au référendum constitutionnel. »
Les premières femmes députées sont élues. »
« Lors de la séance d’ouverture de la nouvelle Assemblée, Paul Cuttoli (1864-1949), qui préside, salue la chambre comme « sans doute la plus hautement représentative de la communauté française qui ait jamais existé, puisque les femmes françaises, les Français de l’étranger et nos populations coloniales y sont largement et justement représentés ». Pour autant, ce suffrage, encore une fois, n’est pas totalement « universel » : les femmes musulmanes d’Algérie font partie des grandes perdantes et n’obtiennent le droit de vote qu’en 1958. »
« Si trente-trois femmes sont élues députées à l’Assemblée nationale en 1945, le taux de féminisation de la classe politique reste faible malgré tout. Dès 1946, et jusqu’en 1973, leur nombre décline et il faut attendre 1997 pour dépasser la quarantaine d’élues ». 
« La présence des femmes en politique est laborieusement mise en oeuvre à force de lois destinées à leur assurer une égalité de représentation. Le principe de « parité » n’est inscrit qu’en 1999 dans la Constitution, mais il s’agit en fait uniquement de favoriser « l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». Il faut encore attendre 2014 pour que soit promulguée une loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes et parler alors de parité effective, avec autant d’hommes que de femmes dans les scrutins de liste. »
« Liée intimement au féminisme, la lutte pour le droit de vote des femmes en France aura été l’histoire d’une prise de conscience et d’un combat pour l’émancipation, l’indépendance et la liberté des femmes. L’octroi du suffrage féminin, en 1944, en constitue un jalon historique, dans une conquête pour l’égalité des droits toujours ardue. »

33 Premières femmes élues députées à l’Assemblée nationale en 1945

« 1. Denise Bastide, 
PCF, Loire, infirmière
2. Madeleine Braun,
PCF, Seine, journaliste
3. Germaine Degrond,
SFIO, Seine-et-Oise, journaliste
4. Marie-Madeleine Dienesch, 
MRP, Côtes-du-Nord, professeur
5. Eugénie Éboué-Tell,
SFIO, Guadeloupe, institutrice
6. Germaine François,
PCF, Nièvre, employée
7. Mathilde Gabriel-Péri, 
PCF, Seine-et-Oise, ouvrière
8. Émilienne Galicier,
PCF, Nord, ouvrière
9. Denise Ginollin, PCF,
Seine, sténo-dactylo
10. Lucie Guérin, PCF,
Seine-Inférieure, institutrice
11. Rose Guérin, PCF,
Seine, sténo-dactylo
12. Solange Lamblin,
MRP, Seine, professeur
13. Irène Laure, 
SFIO, Bouches-du-Rhône, infirmière
14. Marie-Hélène Lefaucheux, 
MRP, Aisne, -
15. Francine Lefebvre,
MRP, Seine, ouvrière
16. Rachel Lempereur,
SFIO, Nord, institutrice
17. Madeleine Léo-Lagrange, 
SFIO, Nord, avocate
18. Jeanne Léveillé, 
PCF, Oise, institutrice
19. Mathilde Méty, 
PCF, Rhône, institutrice
20. Raymonde Nédelec,
PCF, Bouches-du-Rhône, employée
21. Marie Oyon,
SFIO, Sarthe, agent d’assurances
22. Germaine Peyroles,
MRP, Seine-et-Oise, avocate
23. Germaine Poinso-Chapuis, 
MRP, Bouches-du-Rhône, avocate
24. Renée Prévert,
MRP, Ille-et-Vilaine, employée
25. Gilberte Roca, 
PCF, Gard, employée
26. Simone Rollin, 
MRP, Seine, -
27. Marcelle Rumeau,
PCF, Haute-Garonne, institutrice
28. Hélène Solomon-Langevin, 
PCF, Seine, -
29. Alice Sportisse, 
PCF, Oran, secrétaire
30. Hélène de Suzannet,
PRL, Vendée, -
31. Marie Texier-Lahoulle, 
MRP, Morbihan, -
32. Marie-Claude Vaillant-Couturier,
PCF, Seine, photographe
33. Jeannette Vermeersch, 
PCF, Seine, tisserande »

« UNE CHRONOLOGIE DU DROIT DE VOTE DES FEMMES »

« 20-21 juillet 1789
Discours sur les droits de l’homme et du citoyen de l’abbé Sieyès à l’Assemblée, dans lequel il classe les femmes dans la catégories de citoyens passifs inaptes à disposer du droit de vote
1790
Publication de l’ouvrage de Nicolas de Condorcet Sur l’admission des femmes au droit de cité
1791
Envoi à la reine Marie-Antoinette par Olympe de Gouges de sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne
1849
Fondation du journal L’Opinion des femmes par Jeanne Deroin
1869 - Droit des vote accordé aux femmes au Wyoming, aux élections nationales
Création de la Société pour la revendication des droits civils des femmes, par Maria Deraismes, Paule Minck, Louise Michel et Léon Richer
1870
Création de l’Association pour le droit des femmes par Maria Deraismes et Léon Richer
1876
Création du Droit des femmes, première association suffragiste en France, par Hubertine Auclert
1881
Création du journal La Citoyenne, par Hubertine Auclert
1884
Création de la Ligue de protection des femmes, par Louise Barberousse
1893
Droit de vote accordé aux femmes en Nouvelle-Zélande, aux élections nationales
Avril 1896
Congrès féministe international de Paris
1897
Fondation du journal La Fronde, par Marguerite Durand
1901
Présentation à l’Assemblée nationale d’une proposition de loi visant à accorder le droit de vote aux femmes pour les élections locales, par Jean-Fernand Gautret
1904
Création de l’Alliance internationale pour le suffrage des femmes
1906 - Droit de vote accordé aux femmes en Finlande, aux élections nationales
Présentation à l’Assemblée nationale d’une proposition de loi visant à accorder le droit de vote aux femmes pour les élections locales, par Paul Dussaussoy
1907 - 1908
Mise en place pour les conseils des prud’hommes du droit de vote des femmes puis de leur éligibilité
1909
Création de l’Union française pour le suffrage des femmes, par Jeanne Schmahl Dépôt à l’Assemblée d’un rapport visant à accorder le droit de vote aux femmes pour les élections locales, par Ferdinand Buisson
1916
Proposition de Maurice Barrès d’accorder la possibilité de voter aux veuves et mères de soldats tués à la guerre (« suffrage des morts »)
1918 - Droit de vote accordé à une partie des femmes au Royaume-Uni, aux élections nationales
1922, 1925, 1932, 1935 et 1936
Rejets par le Sénat des propositions de l’Assemblée en faveur du droit de vote des femmes
1935
Fondation de l’association suffragiste La Femme nouvelle, par Louise Weiss
1936
Organisation par Louise Weiss d’actions symboliques au Sénat et à l’Assemblée pour attirer l’attention sur sa cause
Juin 1942
Déclaration du général de Gaulle destinée à unifier les mouvements de résistance indiquant qu’à la Libération les femmes participeront à l’élection d’une nouvelle
Assemblée nationale
Septembre 1943
Nomination de deux femmes à l’Assemblée consultative provisoire d’Alger, Lucie Aubrac et Marthe Simard
21 avril 1944
Signature de l’ordonnance portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération. Les femmes deviennent électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes
Fin 1944
Nomination de douze femmes à l’Assemblée consultative provisoire de Paris
Mai 1945
Première participation des femmes aux élections municipales
Octobre 1945 - Droit de vote accordé aux femmes en Belgique, aux élections nationales
Première participation des femmes aux élections législatives et au référendum constitutionnel 
Élection de 33 femmes à l’Assemblée
1957
Extension du droit de vote aux femmes kanaks en Nouvelle-Calédonie
1958
Extension du droit de vote aux femmes de statut civil local en Algérie
1997
Proportion de femmes supérieure à 10 % des élus, pour la première fois, à l’Assemblée nationale
1999
Inscription dans la Constitution du principe de « parité » (égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives)
2014
Promulgation d’une loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes »


Du 14 septembre 2022 au 9 janvier 2023
60 rue des Francs-Bourgeois. 75003 Paris
Du lundi au vendredi de 10 h à 17 h 30. Samedi et dimanche de 14 h à 17 h 30. Fermeture le mardi
Et 
59, rue Guynemer. 93383 Pierrefitte-sur-Seine
Ouvert du lundi au samedi de 9h00 à 16h45. Fermeture le dimanche
Entrée libre et gratuite

Les citations sur le film proviennent du dossier de presse. 

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