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vendredi 19 juin 2020

« Israël, le rêve inachevé » de Pierre Lurçat


Les Editions de Paris ont publié « Israël, le rêve inachevé. Quel État pour le peuple juif ? », un essai intéressant de Pierre Lurçat. Dès l’origine, le sionisme politique a été fondé sur un « compromis fragile » sur l’identité de l’Etat d’Israël. Un équilibre précaire qui sous-tend les institutions, la vie politique et culturelle israélienne. La question resurgit lors de certains débats : l’Etat d’Israël, un « Etat comme les autres » ou un « Etat Juif » attaché à son histoire plurimillénaire si riche.

« La trahison des clercs d’Israël » par Pierre Lurçat 
« Pour Allah jusqu’à la mort. Enquête sur les convertis à l’islam radical » par Paul Landau 
« Israël, le rêve inachevé. Quel État pour le peuple juif ? » de Pierre Lurçat
Archives de la vie littéraire sous l'Occupation 
« Stefan Zweig, histoire d’un Européen » par Jean-Pierre Devillers et François Busnel

L’Etat d’Israël n’est pas septuagénaire. Il est bien plus âgé. Les institutions de l’actuel Etat préexistaient à sa refondation en 1948. « Né malgré la Shoah », ce « pays ancien-nouveau » (Theodor Herzl, Altneuland, 1902) est plurimillénaire.

Ambivalent, il a été refondé au XXe siècle sur des « compromis fragiles » entre des alternatives existentielles, des choix essentiels. Ces options identitaires parcourent son histoire et revêtent une acuité contemporaine. Résumons les en une question qui perdure : l’Etat d’Israël doit-il être un « Etat occidental comme les autres », « échappant à tout déterminisme théologique » - ce qui est prôné par la Cour suprême et par des élites médiatiques, culturelles et politiques post-sionistes ou de gauche -, ou bien un « Etat Juif » attaché à sa tradition si riche ?

Un exemple ? Les débats sur la loi fondamentale définissant Israël comme « l’Etat-nation du peuple Juif ».

Essayiste et traducteur, auteur de livres sur l’islam radical Le Sabre et le Coran et Pour Allah jusqu’à la mort (éditions du Rocher 2005 et 2008), Pierre Lurçat poursuit sa réflexion sur le sionisme et Israël (La trahison des clercs d’Israël, La Maison d’édition 2017) en présentant des éléments du débat sur l’identité israélienne. Une dialectique qui traverse en les innervant les institutions et la société israéliennes, et n’est pas prête de se tarir.

Ainsi, l’essayiste fustige l’« activisme judiciaire » de la Cour suprême. La « révolution constitutionnelle » menée par le juge Aharon Barak « a pesé de tout son poids dans le débat politique, en affaiblissant la notion d’un Etat juif inscrite dans la Déclaration d’Indépendance de 1948 au profit de celle d’un « Etat de tous ses citoyens ». Le juge Aharon Barak et ses successeurs écartent « toute conciliation entre le caractère juif de l’Etat et son caractère démocratique » et sont réticents à accepter le « particularisme juif ».

Pierre Lurçat évoque aussi le droit hébraïque, « système de droit florissant pendant des siècles » qui « traite à 80% de droit pénal, civil et constitutionnel, et à 20% de questions religieuses » (juge Menahem Elon). Un droit écarté en 1948 au profit d’une synthèse du droit anglo-saxon et du droit ottoman. Se dégageant progressivement de cette gangue stratifiée, a émergé un droit israélien qui a concédé au droit hébraïque, marginalisé dans les études universitaires juridiques, une portion congrue : « l’état personnel (mariage, divorce) ».

Or, dans les Provinces-Unies (Pays-Bas actuels) récemment indépendantes du XVIIe siècle, Peter van der Kun ou Petrus Cunaeus (1586-1638), philologue et jurisconsulte, a considéré dans son livre De Republica Hebraeorum (De la république hébreue, 1617) l’Etat hébreu antique, et non Athènes ou Rome, comme un « archétype de la république idéale », un modèle pour la république des Sept Provinces-Unies des Pays-Bas.

Le « sionisme comme continuation de l’histoire juive ou comme sa négation » ?

Des « Juifs d’affirmation » s’opposent aux « Juifs de négation » (Jean-Claude Milner).

Pour certains Juifs, le poids de l’héritage Juif, de l’apport civilisationnel du Judaïsme si louable semble être devenu si lourd qu’ils aspirent, plus ou moins consciemment, à se débarrasser d’une « conscience historique juive » douloureuse, pour pouvoir ne plus être Juif « en toute bonne conscience », mettre un terme à l’histoire Juive et nier l’existence même du peuple Juif. Ce « refus d’assumer leur vocation » se cristallise sur Hébron, cité biblique haïe par les apôtres du « nouveau Juif ». « L’alterjuif » est miné par la haine de soi. « Au niveau collectif et national, par le refus d’assumer le destin collectif de l’Etat d’Israël ».

Pierre Lurçat procède aussi à des rappels historiques ou révèle des faits méconnus dont il souligne l’importance : la fragilité du sionisme politique en 1903 lors du « projet de colonisation juive en Ouganda » – « prémices de Sion » selon un Herzl consumé par l’urgence d’agir -. L’aspect militaire indispensable à l’avènement du « sionisme comme force politique sur la scène internationale » - aventure héroïque des « Muletiers de Sion » (Zionist Mule Corps, ZMC) à Gallipoli en 1915, sur le front turc durant la Première Guerre mondiale, anticipant « la création d’un régiment juif qui participera à la conquête de la Palestine (Eretz-Israël par le général Allenby » -. Les « Dix-huit principes de la Renaissance » de Yaïr Stern lecteur de la Bible hébraïque et rêvant de la reconstruction du Temple de Jérusalem, « promesse de rédemption non seulement pour le peuple juif, mais pour l’humanité tout entière ». L’action admirable de Peter Bergson, fils du rabbin Dov Kook, qui, avec le scénariste Ben Hecht, a sauvé 200 000 Juifs européens de la Shoah durant la Deuxième Guerre mondiale, s’est opposé à des organisations juives américaines « rooseveltiennement correctes », et a œuvré en tant que sioniste révisionniste pour l’indépendance d’Israël. La cargaison d’armes livrées en 1948 par le gouvernement français à l’Altalena, bateau affrété par l’Irgoun et « bombardé sur ordre de David ben Gourion ». Le mouvement cananéen, actif des années 1930 aux années 1970, visait « à faire renaître la nation hébraïque antique, en rompant tout lien avec le judaïsme de diaspora », voire avec le judaïsme…

L’auteur exprime une nostalgie admirative, et justifiée, pour des politiciens rescapés de la Shoah, des combattants pour l’indépendance d’Israël mus par une éthique et un dévouement désintéressés.

En regrettant l’instrumentalisation politique de la Shoah, Pierre Lurçat omet que son enseignement est « arabiquement ou islamiquement correct ».

Il déplore l’échec de l’Etat d’Israël et du sionisme à effectuer la « révolution sociale biblique en Israël », alors que les « idées sociales de la Bible ont imprégné Jabotinsky, père de la Légion juive et de la conception de défense d’Israël ». Mais il omet de désigner des responsables : les dirigeants travaillistes pendant des décennies, des familles israéliennes de gauche qui détiennent des monopoles, une bureaucratie permettant la persistance de rentes de situations au détriment des consommateurs israéliens , etc.

Avec raison, Pierre Lurçat démontre la faute majeure commise par les autorités israéliennes qui ont en 1967 remis le mont du Temple à Jérusalem au Waqf jordanien qui le gère au détriment des visiteurs juifs, souvent agressés. Comment des autorités musulmanes peuvent-ils comprendre la centralité de Jérusalem pour le judaïsme quand le lieu juif le plus saint leur a été remis après sa libération durant la guerre des Six-jours !?

On n’est pas convaincu par le passage alléguant une « relation ambivalente de l’islam envers les non-musulmans ». La relation est univoque : l’inégalité entre musulmans et non-musulmans accusés d’avoir falsifié les Écritures.

Mais le grand mérite du livre est d’avoir présenté de manière claire et concise les termes d’un débat toujours actuel, et qui s’ouvre sur la distinction croissante entre les Juifs vivant en diaspora et les Juifs israéliens, des « Hébreux »…


Pierre Lurçat, « Israël, le rêve inachevé. Quel État pour le peuple juif ? ». Les Editions de Paris, 2018. 118 pages. ISBN : 978-2-84621-275-5

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