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lundi 8 décembre 2025

« Paula Padani. La danse migrante : Hambourg, Tel-Aviv, Paris »

Le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (mahJ) propose l’exposition « Paula Padani. La danse migrante : Hambourg, Tel-Aviv, Paris ». « Par sa vision du mouvement comme force de vie, tout en énergie et finesse, par sa capacité de rebond entre plusieurs pays et cultures, Paula Padani (1913-2001) aura frayé de nouvelles routes pour son art et joué un rôle pionnier dans l’émergence de la danse contemporaine israélienne. »


« L’exposition 
« Paula Padani. La danse migrante : Hambourg, Tel-Aviv, Paris » retrace le parcours méconnu de la danseuse Paula Padani (1913-2001) à travers 120 photographies, affiches et costumes. Ces documents, derniers témoins des migrations d’une artiste engagée, sont issus de la donation de Gabrielle Gottlieb de Gail, fille du peintre Aram et de Paula Padani. »

« Née à Hambourg et formée à la danse moderne, Paula Padani puise dans son art le moteur d’une existence pourtant marquée dès l’enfance par le décès de ses parents, puis par l’exil. » 

« Dernière étudiante juive de l’école Wigman de Dresde, l’un des foyers de la modernité chorégraphique en Europe, elle rejoint clandestinement la Palestine mandataire en 1936 via la Suisse, l’Italie et la Grèce. La découverte des paysages et cultures du Proche-Orient stimule en elle une féconde veine créative. Elle ouvre une école de danse à Tel-Aviv et crée un répertoire de solos d’une grande expressivité inspiré par les musiques de Béla Bartók, Marc Lavry ou Alexander Uriyah Boskovich. Avec d’autres danseuses exilées, elle prend part au développement de la scène théâtrale moderne en terre d’Israël. » 

« En 1946, après dix années d’une vie intense au sein de la bohème « palestinienne », elle fait le choix de la diaspora avec son mari, le peintre, dessinateur et décorateur de théâtre Michael Gottlieb, dit Aram. Élisant Paris, le couple occupe successivement plusieurs ateliers successifs et poursuit sa quête artistique. Aram se consacre entièrement à la peinture et noue des amitiés avec nombre d’artistes de l’École de Paris, tandis que Paula continue en Europe et à New York une carrière scénique acclamée par un vaste public. »

« Entre 1947 et 1948, à l’invitation du l’American Jewish Joint Distribution Committee, elle part en tournée dans les camps de personnes déplacées de la zone d’occupation américaine en Allemagne, pour soutenir les rescapés juifs. À partir des années 1950, elle se consacre à un enseignement centré sur l’improvisation et l’épanouissement de la créativité individuelle, dans le droit fil des avant-gardes de la république de Weimar. » 

« Paula Padani décède à Paris en 2001, peu de temps après la mort de son mari. »

En fin d'exposition, une vidéo permet d'entendre Paula Padani expliquer son art.

Le Commissariat de l’exposition est assuré par Laure Guilbert et Nicolas Feuille.

Parcours de l'exposition

I. Une enfance hambourgeoise
« Née Perla Pazanowskij, Paula Padani est issue d’une famille juive polonaise dont l’histoire se fond avec celle des Ostjuden fuyant les pogroms et la pauvreté à l’orée du XXe siècle. Les parents de Paula, Peretz Pazanowskij et Chana Rosensztejn, quittent Lodz en 1910 et se rendent à Hambourg avec leurs deux ainées. Ils espèrent pouvoir embarquer pour l’Amérique du Nord. Cinq autres enfants naissent, dont Paula en 1913. La vie est modeste, car Peretz est de condition ouvrière. Mais nourri de culture hassidique, il excelle à la clarinette. Paula et sa sœur Fanny pratiquent la musique et la danse dans cette ville ouverte à la modernité. Le décès de Chana en 1921, atteinte de tuberculose, puis de Peretz en 1925, renversé par une carriole à cheval, bouleverse le destin familial. A huit ans, Paula partage sa vie entre le domicile familial et l’orphelinat Paulinenstift, dont elle devient pensionnaire après la mort de son père. Les jeunes filles juives y reçoivent une éducation humaniste qui les pousse à l’autonomie. Paula prépare son baccalauréat au lycée progressiste Helen Lange. Elle pratique avec passion la danse, rejoignant en 1930 l’antenne hambourgeoise de l’école Wigman. »

II. Une formation de danse moderne à l’école Wigman
« En 1932, Paula Padani quitte Hambourg pour rejoindre l’école centrale de Mary Wigman à Dresde et préparer un diplôme professionnel. Elle y suit un enseignement pionnier : « A côté de la danse et de la musique, on enseignait l’histoire de la danse, de l’art et de la musique, l’anatomie, la psychologie et la pédagogie. J’ai eu de la chance, car Mary Wigman s’est beaucoup intéressée à moi et m’a souvent donné des leçons particulières ». »

« La danse moderne est alors au cœur des avant-gardes en Europe centrale. Chorégraphe visionnaire, Mary Wigman (1886-1973), en est une figure majeure. En rupture avec l’académisme du ballet, elle fait de la danse une expérience sensorielle et existentielle, proche de l’expressionnisme, où la forme nait de la nécessité intérieure. Fondées sur l’improvisation, ses créations explorent les rythmes du corps, le champ des affects et l’espace multipolaire. Elle donne naissance à l’art du solo tout en développant de nouvelles formes de danse de groupe. Mary Wigman est également une pédagogue hors-pair, soucieuse de l’émancipation des femmes. Mais a partir de 1933, elle se sépare de ses collègues et élèves juifs et s’engage au côté du régime nazi, chorégraphiant notamment la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Berlin en 1936. »

« En 1934, Paula Padani réussit ses examens, mais le diplôme officiel lui est refusé en raison de sa judéité ».

III. De l’Allemagne a la Palestine mandataire
« En 1935, à l’âge de 22 ans, Paula Padani fuit clandestinement l’Allemagne, empruntant les routes déjà suivies par sa fratrie. Apres un passage par la Suisse et l’Italie, elle rejoint sa sœur Janna à Athènes, qui l’accueille durant un an. En 1936, son beau-frère grec la met en contact avec un professeur du lycée français de Damas, qui l’emmène en voiture jusqu’en Galilée en la présentant à la frontière comme la gouvernante de ses enfants. »

« Elle retrouve alors sa sœur Klara, qui a suivi en 1932 les pas du grand-père maternel, sioniste religieux devenu planteur d’orangers en 1925. »

« Durant ses pérégrinations à Florence et Athènes, Paula Padani enseigne à de jeunes ballerines pour lesquelles la danse moderne est un nouvel univers. »

IV. Tel-Aviv, foyer de la modernité
« Entre 1933 et 1941, 90 000 juifs germanophones trouvent refuge en Palestine mandataire. »

« Issus des élites professionnelles, ils s’efforcent de s’adapter à un environnement difficile. »

« Arrivée en 1936, Paula Padani s’intègre à la communauté des arts du spectacle et ouvre une école de danse à Tel-Aviv. La chorégraphe Gertrud Kraus, issue de l’avant-garde viennoise, la recrute dans sa compagnie. Celle-ci introduit la danse dans les institutions théâtrales et lyriques. Paula Padani y rencontre les musiciens avec lesquels elle travaille pour ses propres solos et les photographes qui couvrent ses créations. Dans ce milieu, elle fait la connaissance du peintre et décorateur de théâtre autrichien Michael Gottlieb, qu’elle épouse en 1943. Il conçoit l’ensemble de ses costumes de scène. Tous deux prennent part à l’émergence, hors d’Europe, d’un nouveau foyer de la modernité artistique. »

V. Danser entre plusieurs mondes
« Durant dix ans, Paula Padani crée plus de trente solos qu’elle présente dans les théâtres et kibboutzim de Palestine dans un climat de tension et de guerre. Contrairement à la génération précédente des artistes sionistes, elle se positionne en professionnelle de la scène, à distance des nouvelles pratiques folkloriques et de la politique. Ses chorégraphies témoignent toutefois de son rapport affectif au « nouveau-vieux » pays. Elle puise son énergie dans les paysages, redécouvre les récits bibliques et partage des affinités avec plusieurs musiciens du « style méditerranéen », qui composent pour elle. Mais elle se relie aussi à ses origines européennes. Sa proximité avec les réseaux de théâtre à Tel-Aviv la réconcilie avec le répertoire classique et son désir d’invention se nourrit de son expérience de la modernité allemande. Ses solos s’élaborent dans une recherche d’abstraction, de formes nouvelles qui s’appuient sur l’exploration sensorielle et intérieure du mouvement. »

VI. Le retour en Europe
« Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Paula Padani est perçue a Tel-Aviv comme une étoile montante de la scène. Une centaine d’élèves fréquentent son école. En 1946, lors d’un séjour à Paris, elle donne des récitals qui attirent en particulier l’attention du monde juif. Son art est perçu comme un symbole de résilience après la Shoah. La jeune femme est invitée à se produire en Europe et à New York. Tout en ouvrant son art à un large public, la « danseuse palestinienne » aide à faire renaitre l’espoir dans les ruines du monde juif. Au début des années 1950, la vie de bohème de Paula Padani et de son mari prend un cours plus paisible à Paris, devenu leur port d’attache. Leur fille Gabrielle nait en 1951. Michael se consacre à la peinture et Paula enseigne jusqu’à plus de 80 ans. »

VII. Une artiste dans les camps de personnes déplacées
« Fin 1946, Paula Padani est invitée par le Joint (American Joint Distribution Committee) à participer à des tournées artistiques destinées aux survivants de la Shoah. Près d’un million de déplacés, dont les premiers refugiés provenant du bloc soviétique, sont alors secourus. »

« La plupart ne sont pas rapatriables. Parmi eux se trouvent les juifs qui espèrent quitter l’Europe alors que, depuis 1939, les quotas d’entrée en Palestine sont sévèrement limités par les autorités britanniques. »

« Au cours de trois tournées, Paula Padani se produit dans une soixantaine de camps de la zone d’occupation américaine en Allemagne : en janvier 1947 dans le secteur de Stuttgart, Francfort-sur-le-Main et Cassel, puis en septembre-octobre 1947 et juin-juillet 1948 dans celui de Munich, Bamberg et Ratisbonne. Elle donne cent vingt-quatre récitals devant 140 000 spectateurs. Offrant à ce public une fenêtre sur le monde extérieur, la danseuse fait de son art un geste d’entraide. »


« Repères biographiques »

« 1913 Naissance de Perla (Paula) Pazanowskij à Hambourg de parents polonais arrivés en 1910.
1921 Les six enfants Pazanowskij perdent leur mère, puis, en 1925, leur père. Paula est confiée à l’orphelinat Paulinenstift.
1932 Formation de Paula à l’école Wigman de Dresde après un premier cycle à l’antenne de Hambourg.
1933 Accession de Hitler au pouvoir. A Dresde, Mary Wigman et Gret Palucca renvoient leurs responsables pédagogiques juifs, Fred Coolemans et Tille Rossler.
1934 Fin des études de Paula à l’école Wigman. Son diplôme lui est refusé en raison de sa judéité.
1935 Exil de Paula via la Suisse, l’Italie et la Grèce. En septembre, les lois de Nuremberg privent les juifs allemands de leurs droits civiques. Publication par Mary Wigman de son livre, L’art allemand de la danse.
1936 Voyage de Paula d’Athènes à Damas et entrée clandestine en Palestine mandataire.
Paula rejoint la compagnie de la Viennoise Gertrud Kraus, ouvre une école et crée ses premiers solos. Mary Wigman signe avec plusieurs chorégraphes modernes la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Berlin.
1941 Création du Palestine Folk Opera à Tel-Aviv. Michael Gottlieb, décorateur de théâtre et compagnon de Paula, y travaille avec Gertrud Kraus.
1942 Nouveau cycle de solos de Paula.
1945 Crise des déplacés et réfugies en Europe, qui rejoignent les camps ouverts par les Alliés. Parmi les survivants des camps nazis, une majorité espère quitter l’Europe. Mission de Michael Gottlieb à Paris. Paula l’accompagne et donne ses premiers récitals.
1947 Premières tournées de Paula pour le Joint dans les camps de personnes déplacées dans la zone d’occupation américaine en Allemagne. Récitals de Paula à Bruxelles et Paris.
Le 29 novembre, vote du partage de la Palestine à l’ONU.
1948 Récitals de Paula a New York, ou elle établit des liens avec la modern dance.
Récital au Palais de Chaillot à Paris. A Paris, première exposition de Michael Gottlieb, dit Aram, proche de l’Ecole de Paris.
14-15 mai. Fin du mandat britannique. Proclamation de l’Etat d’Israël suivie du premier conflit israélo-arabe.
Troisième tournée de Paula pour le Joint en Allemagne. Premières fermetures des camps de personnes déplacées après l’ouverture des frontières israéliennes.
1949 Derniers récitals de Paula à Amsterdam. Elle se consacre à l’enseignement au studio Wacker, puis dans des studios privés de la Rive gauche.
1951 Naissance a Paris de Gabrielle, fille unique des Gottlieb.
1957 Réponse positive des autorités allemandes à la première demande de réparations de Paula. Remise à Mary Wigman de la Grande Croix du Mérite par le gouvernement de la RFA (Allemagne de l'Ouest, République fédérale d'Allemagne).
1962 La citoyenneté française est accordée aux Gottlieb. Publication par Mary Wigman de ses mémoires, l’année suivante, Le langage de la danse, qui témoignent d’un déni de ses engagements sous le nazisme.
1972 Réponse négative des autorités allemandes à la seconde demande de réparations de Paula.
1995 Publication à New York par la cousine de Paula, de son témoignage sur sa survie et celle de sa famille polonaise dans la Shoah. Fermeture par Paula de son dernier studio parisien, rue Champlain. Elle a plus de 80 ans.
2001 Paula s’éteint à Paris, trois ans après Michael Gottlieb.
2024 Engagée depuis les années 2000 dans des recherches sur son histoire familiale, Gabrielle Gottlieb de Gail fait don des archives de sa mère au mahJ. »


Du 13 novembre 2024 au 16 novembre 2025
Au foyer de l'auditorium
Hôtel de Saint-Aignan
71, rue du Temple. 75003 Paris
Tél. : 01 53 01 86 65
Mardi, jeudi, vendredi : 11h-18h
Mercredi : 11h-21h
Samedi et dimanche : 10h-19h
Visuels :
Dominique Darbois (photographe), Hora
Paris, 1946-1950
Épreuve argentique
Collection Gabrielle Gottlieb de Gail, Paris

Amamijah
Tournée de Paula Padani pour l'American Joint Distribution Committee dans les camps de personnes déplacées en zone d'occupation américaine
Allemagne, 1947
Collection Gabrielle Gottlieb de Gail, Paris

Alfons Himmelreich (photographe), The Bird (L’oiseau)
Tel-Aviv, 1938
Épreuve argentique
Collection Gabrielle Gottlieb de Gail, Paris

Kurt Triest (photographe), Costume pour Song of the Emek (La Vallée)
Photographie prise en studio, Tel-Aviv, 1936
Épreuve argentique
Collection Gabrielle Gottlieb de Gail, Paris

Paula Padani dans le camp de personnes déplacées de Bad Reichenhall, avec des orphelins rescapes
Juin-juillet 1948
Épreuve argentique
Collection Gabrielle Gottlieb de Gail, Paris

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