Citations

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« Il faut commencer par le commencement, et le commencement de tout est le courage. » (Vladimir Jankélévitch)
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » (Albert Londres)
« Le plus difficile n'est pas de dire ce que l'on voit, mais d'accepter de voir ce que l'on voit. » (Charles Péguy)

jeudi 28 août 2025

« Eugène Boudin – Le père de l’impressionnisme : une collection particulière »

Eugène Boudin (1824-1898) était un célèbre peintre de marines et paysagiste, considéré comme un précurseur de l'impressionnisme. Le musée Marmottan Monet propose l'exposition « Eugène Boudin – Le père de l’impressionnisme : une collection particulière ». Une sélection de 80 tableaux provenant de la prestigieuse collection Yann Guyonvarc’h et de musées prestigieux illustrent le parcours de ce peintre né à Honfleur, ayant débuté comme papetier-encadreur, et voyageur : Normandie, Bretagne, Bordeaux, Midi, Venise, Belgique, Pays-Bas...

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« Alors que de nombreuses institutions viennent de célébrer de diverses manières les 150 ans de la première exposition impressionniste, le musée Marmottan Monet est très heureux de pouvoir présenter un magnifique ensemble d’œuvres du peintre Eugène Boudin, de seize ans l’aîné de Claude Monet, qui joua auprès de ce dernier un rôle majeur pour l’entraîner « sur le motif ». Comme Monet l’exprima plus tard : « Je l’ai dit et je le répète : je dois tout à Boudin », a écrit Érik Desmazières, Membre de l’Académie des beaux-arts, Directeur du musée Marmottan Monet.

Et Érik Desmazières de poursuivre : « Nous devons cet ensemble exceptionnel au collectionneur français Yann Guyonvarc’h qui a réuni avec passion cette collection unique. Nous lui sommes particulièrement reconnaissants d’avoir choisi notre institution pour la faire découvrir au public parisien et au-delà. Dépositaire du plus important fonds d’oeuvres de Claude Monet du fait des libéralités consenties par Victorine et Eugène Donop de Monchy (1940), Michel Monet (1966), Nelly Sergeant Duhem (1985) et, plus récemment, la famille de Françoise Cauvin, descendante de Léon Monet, frère de l’artiste, le musée Marmottan Monet a toute légitimité à présenter l’oeuvre d’Eugène Boudin. Ainsi, cette manifestation constitue l’occasion de faire dialoguer la Collection Yann Guyonvarc’h avec celle du musée. Eugène Boudin est celui qui a entraîné Monet hors de la papeterie dans laquelle il vendait ses caricatures, mais sa production s’étend bien au-delà de cette rencontre. Artiste original, d’abord papetier-encadreur issu d’un milieu modeste, il saura rapidement capter la lumière si particulière de l’estuaire de la Seine et se révèlera novateur tant dans sa manière de peindre que dans le choix de ses sujets. Prolifique et audacieux, Boudin noue des liens d’amitié avec de nombreux artistes de son temps, tels que Millet, Courbet et Monet, bien sûr. Songeons également qu’il était l’exact contemporain d’un Puvis de Chavannes, dont il fut proche toute sa vie, et lié à des artistes plus éloignés dans leur manière de pratiquer leur art, à l’instar de Théodule Ribot ou de l’excellent graveur Félix Buhot. »

« L’ensemble réuni par Yann Guyonvarc’h offre un panorama complet des différentes thématiques abordées par le peintre au cours de sa carrière : depuis les scènes sur les plages de Deauville et de Trouville jusqu’aux vues du midi et de Venise sans omettre la Bretagne, Le Havre, Bordeaux… Cet ensemble unique permet de prendre la mesure de son talent de coloriste et de son aptitude à saisir l’atmosphère et la lumière de cette Normandie qui lui était si chère, mais aussi d’autres régions où il a posé son chevalet. Celui qui a immortalisé les débuts de ces stations balnéaires devenues si célèbres s’est aussi exprimé par le dessin et l’aquarelle, deux modes d’expression dans lesquels il a excellé et qui sont largement représentés dans cette exposition », a conclu Érik Desmazières.

L’exposition « Eugène Boudin – Le père de l’impressionnisme : une collection particulière » réunit « 80 œuvres provenant de la prestigieuse Collection Yann Guyonvarc’h, 10 toiles de l’institution parisienne ainsi que plusieurs prêts du musée des Beaux-arts d’Agen et du musée d’art moderne André Malraux du Havre. »

« Son parcours en 8 sections permet de découvrir l’évolution de la carrière de Boudin (1824-1898), depuis ses premiers paysages normands jusqu’aux ultimes marines du Midi ou de Venise, et de le suivre en Bretagne, à Bordeaux, dans le Nord, en Belgique ou aux Pays-Bas, au travers d’esquisses comme de peintures ambitieuses destinées au Salon. »

« Les œuvres de la collection Guyonvarc’h sont mises en correspondance avec le fonds du musée Marmottan Monet, afin de mettre en lumière le dialogue entre Boudin et celui qui fut son principal élève et ami Claude Monet. Grâce à la participation des archives Durand-Ruel, les relations des deux artistes avec celui qui fut leur principal marchand sont également évoquées. » 

« Connu pour ses marines et ses scènes de plage, Eugène Boudin fut l’un des premiers artistes français à poser son chevalet hors de l’atelier pour réaliser des paysages. Dans ses nombreux tableaux, il s’est tout particulièrement attaché au rendu des éléments et des effets atmosphériques. Il a ainsi été l’un des initiateurs d’une vision renouvelée de la nature, précédant dans cette démarche les impressionnistes et Claude Monet, qui écrivait à la fin de sa vie : « Je dois tout à Boudin ».

Le commissariat est assuré par Laurent Manoeuvre, historien de l’art et ingénieur de recherche au service des musées de France, et commissaire général de l’exposition « Eugène Boudin le roi des ciels » au musée Jacquemart-André (22 mars au 22 juillet 2013). Spécialiste d’Eugène Boudin, peintre lui-même, Laurent Manoeuvre a consacré plusieurs études et ouvrages à l’artiste, parmi lesquels Boudin et la Normandie (éd. Herscher, 1991) et Boudin – le ciel et la mer (éd. Herscher, 1994). Il a également participé à l’organisation de nombreuses expositions, en France et à l’étranger, et tout particulièrement à la rétrospective Eugène Boudin présentée en 1992 au musée Eugène Boudin d’Honfleur. Il est auteur du Petit dictionnaire autobiographique Boudin édité chez Belin en 2014 et Quand les impressionnistes s’exposaient (2024). Il est Chef du Bureau de la diffusion numérique des collections, à la Direction générale des patrimoines, Service des musées de France.

En novembre 2024, le musée Langmatt de Baden, près de Zurich (Suisse), a "publié les résultats d’une étude portant sur les origines de ses 13 tableaux, pour la plupart impressionnistes. Ces tableaux avaient été acquis entre 1933 et 1940 par le couple Jenny et Sidney Brown, membre de la famille cofondatrice de la société d’ingénierie électrique Brown, Boveri & Cie. (BBC), aujourd’hui ABB. L’étude sur l’origine des 13 tableaux, soutenue par l’Office fédéral de la culture, a duré près de trois ans."

"Deux œuvres ont en revanche été classées dans la catégorie dite « clairement problématique », a-t-il expliqué, ajoutant que dans les deux cas « une solution juste et équitable a pu être trouvée » avec les héritiers. Il s'agit des tableaux « Fruits et pot de gingembre » de Paul Cézanne - la vente de ce tableau le 5 novembre 1933 par une galerie d’art à Lucerne aux Brown « pourrait être considérée comme une confiscation liée à la persécution nazie ». « La Fondation Langmatt a ensuite contacté de manière proactive les héritiers de l’ancien propriétaire Jacob Goldschmidt (1896-1976) et est parvenue à un accord » - et  « Pêcheuses sur la plage de Berck » d’Eugène Boudin : "là encore, la fondation Langmatt a contacté « de manière proactive les héritières du tableau et est parvenue à un accord » de dédommagement afin que l’œuvre puisse rester la propriété de l’institution et être exposé dans le musée suisse. Les Brown avaient acheté ce tableau le 23 mai 1936 dans une galerie à Genève. Il appartenait à l’époque à Richard Semmel (1875-1950), un industriel et collectionneur d’art juif."


PARCOURS DE L’EXPOSITION

« Eugène Boudin naît à Honfleur en 1824. Cette même année, Charles X accède au trône de France et l’Académie reconnaît l’adjectif « romantique ».

« Deuxième enfant d’une famille extrêmement modeste et traditionnellement tournée vers la mer, Eugène embrasse tardivement la carrière artistique, en 1846. Avant cela, il bénéficie d’expériences qui ont certainement compté pour sa formation artistique. À l’âge de dix ans, sa connaissance du milieu maritime et des navires l’entraîne d’abord vers le métier de mousse sur une barque de pêche. Il travaille ensuite pendant six ans pour le compte de deux imprimeurs havrais, en plein âge d’or de la lithographie. Son parcours professionnel aboutit enfin à l’ouverture de sa propre boutique de papetier-encadreur au sein de laquelle il fera la connaissance d’artistes comme Eugène Isabey, Constant Troyon, Thomas Couture ou encore Jean-François Millet. »

« Un musée a été créé, au Havre, en 1845. Dans ce contexte, Boudin bénéficie de l’amitié de son premier conservateur, qui organise d’importantes expositions auxquelles participent de nombreux artistes parisiens. En 1849, il se rend dans le Nord de la France et en Belgique, afin de placer les billets d’une souscription nationale en faveur des gens de lettres et artistes nécessiteux. C’est pour lui l’occasion de visiter de nombreuses villes et leurs musées. Puis, boursier de la ville du Havre, il doit exécuter au Louvre des copies de peintures destinées au musée, activité éminemment formatrice. »

« Au début des années 1850, il note : « Trois coups de pinceau d’après nature valent mieux que deux jours de travail au chevalet. » En réalité, il ne fait qu’ébaucher sur nature, le travail de finition dans l’atelier n’intervenant que dans un second temps. »

« Contrairement à ses prédécesseurs, Boudin fait tout pour conserver à ses peintures une apparence spontanée. En cela, il annonce l’impressionnisme, dont il est l’un des pères. À ce titre, il reçoit très tôt le soutien des critiques défenseurs de l’impressionnisme et Paul Durand-Ruel, le marchand des impressionnistes, promeut ses œuvres, que l’on trouve dans plusieurs grandes collections de peinture impressionniste. »

« En 1874, il participe à la première exposition impressionniste, à l’invitation de Claude Monet. Il ne réitèrera pas l’expérience, préférant exposer au Salon. Camille Pissarro apprécie peu sa peinture, au contraire d’Edgar Degas et de Henri Fantin-Latour, mais ceux-ci ne sont pas impressionnistes. »

« S’il est fier d’avoir été le maître de Monet, Boudin se défie de ce courant auquel il reproche d’avoir permis le développement d’une peinture négligente. Sous une apparente facilité, sa peinture se caractérise par la rigueur de l’observation, l’équilibre des compositions, l’exactitude des formes et la justesse des couleurs. Son oeuvre pourrait se résumer à travers l’expression suivante : liberté acquise à force de travail. »

« La collection réunie par Yann Guyonvarc’h offre un parfait résumé de la carrière de Boudin. Le musée Marmottan Monet a souhaité faire dialoguer ces œuvres avec ses propres collections, ainsi qu’avec celles du musée d’art moderne André Malraux du Havre et un prêt du musée d’Orsay. »

DE PAPETIER-ENCADREUR À ARTISTE PEINTRE

« Boudin subit très tôt l’influence de la peinture néerlandaise ancienne et celle des peintres de l’école de Barbizon, dont il a fait la connaissance alors qu’il était papetier-encadreur au Havre. Dès ses débuts, il tente de synthétiser cette double filiation. Il emprunte aux uns les scènes maritimes (représentations de pêcheurs sur les plages), aux autres les scènes de la vie rurale (troupeaux ou chaumières dans la campagne). Cette synthèse est facilitée par le fait que ces deux écoles ont choisi le réel pour credo. À son tour, Boudin s’engage sans hésiter dans cette voie. Ce choix est courageux, à une époque ou triomphent académisme et romantisme. Sa peinture reçoit un accueil extrêmement réservé. Son frère, Louis, rapporte les remarques d’un collectionneur havrais : « quel bonheur éprouve-t-il à se flanquer les pieds dans le fumier, dans la bourbe, pour saisir de pareilles saletés ? … Des fossés, c’est ignoble, c’est puant ».
« Non seulement Boudin s’obstine, en dépit des difficultés matérielles, mais il continue de s’émerveiller du spectacle de la nature. À la fin de sa vie, il témoignera : « je me souviens d’avoir jadis, passé un hiver à Honfleur avec ma pauvre défunte et quoique nous fussions réduits à la plus maigre pitance - sans bois pour nous chauffer - nous étions obligés de brûler des branches vertes - nous vîmes avec grande joie revenir les premiers bourgeons et se montrer aux marronniers la gomme du printemps… »
« Boudin tente alors sa chance à Paris, sans beaucoup plus de succès. Fête dans le bassin de Honfleur est refusé par le jury du Salon de 1863. L’artiste s’impose alors, modestement, au rang des peintres d’avant-garde, aux côtés d’Édouard Manet, Camille Pissarro, Auguste Renoir ou James Whistler. Quelques jours après la mort de Boudin, Henri Fantin-Latour écrit : « on ne lui a pas encore donné la place qu’il mérite. Je l’ai peu connu mais depuis l’exposition des refusés de 1863 je l’ai toujours bien admiré ! »

MONET. VOUS ÊTES DOUÉ, ÇA SE VOIT
(BOUDIN À MONET)

« Boudin adopte une démarche pleine d’humilité à l’égard de la nature. De cette modestie naît une approche originale, qui porte en germe l’impressionnisme. La météorologie de l’estuaire de la Seine est particulièrement changeante et les effets lumineux y sont extrêmement fugitifs, ce que Boudin recherche - et réussit - à capter. Baudelaire, qui découvre dans l’atelier honfleurais de Boudin « ces études si rapidement et si fidèlement croquées d’après ce qu’il y a de plus inconstant, de plus insaisissable dans sa forme et dans sa couleur, d’après des vagues et des nuages » est immédiatement frappé par la modernité du propos. À l’inverse, le paysage classique se voulait intemporel et immuable. »
« Le processus de reconnaissance de la qualité de la production de Boudin est plus lente chez Claude Monet, qui, à seize ans, s’est fait au Havre une réputation d’habile caricaturiste. Comme la plupart de ses concitoyens, le jeune artiste « ne digère » pas la peinture de Boudin. À force d’obstination, ce dernier réussit à le convaincre de venir « dessiner avec lui en plein champs ». Des années plus tard, Monet dira avoir été « fasciné » par « l’instantanéité » des pochades de Boudin. »
« En 1862, un autre acteur également déterminant pour la naissance de l’impressionnisme, entre en jeu : le peintre néerlandais Johan Barthold Jongkind. Celui-ci dispose d’une brillante technique, héritée de la tradition néerlandaise. Monet comprend aussitôt quel parti il peut tirer de l’exemple de Jongkind. Il emprunte à ce dernier perspectives fuyantes et lumière vive, presque saturée. Cette approche très directe, et quelque peu brutale, de la nature, correspond parfaitement au tempérament conquérant de Monet. À l’inverse, l’approche que Boudin a de la nature est beaucoup plus subtile, conformément à une tradition française qui met à l’oeuvre de délicats dégradés de couleurs pour créer l’illusion de la profondeur. »
« Quoi qu’il en soit, les trois hommes s’apprécient et passent ensemble de joyeux moments à la ferme Saint-Siméon, une auberge bon marché, dominant l’estuaire de la Seine, près de Honfleur. Le 26 août 1864, Monet écrit à Bazille : « nous avons un petit cercle bien agréable, Jongkind et Boudin sont là, nous nous entendons à merveille et ne nous quittons plus ».

SCÈNES DE PLAGES
LONGCHAMP EN BORD DE MER

« En 1858, le docteur Olliffe présente au duc de Morny, demi-frère de Napoléon III, un pauvre village de pêcheurs perdu au milieu des dunes, Deauville. Habitué à mener des opérations foncières hardies, Morny décide d’y créer une station balnéaire. La gare est inaugurée en 1863, le casino et le champ de courses en 1864, puis l’église Saint-Augustin est consacrée en 1865. Des proches de l’Empereur se font également construire des villas en bordure de mer. »
« Boudin, qui passe chaque été à Trouville, espère pouvoir tirer financièrement parti de cette mode en inventant la scène de plage. Dans ce contexte, il exécute à la fois de petits tableaux, pour des particuliers, et des peintures de grand format, destinées au Salon, tentatives qui se solderont par un échec financier. En effet, le sujet est considéré inconvenant et la technique de l’artiste est jugée trop allusive. Si les premières scènes de plage sont descriptives et presque anecdotiques, très vite Boudin préfère rendre l’atmosphère embuée du bord de mer. Un ami havrais l’avait pourtant mis en garde : « Vous savez qu’une femme est méticuleuse à l’endroit de sa toilette, et si vous fagotez mal vos baigneuses, elles ne reporteront pas leurs yeux sur le ciel, ni sur vos lointains vaporeux pour excuser les négligences de votre pinceau pour leur ombrelle ». En effet, ces charmants témoignages des bains de mer ne seront véritablement appréciés qu’à partir du XXe siècle. Jeanne Lanvin, par exemple, possédera notamment cinq scènes de plages peintes par Boudin. »
« À la fin de l’été 1870, le couple Boudin et la famille Monet se retrouvent à Trouville. Monet emprunte alors le thème de la scène de plage à son maître dans son tableau Sur la plage à Trouville. Il revient en même temps à cette « palette grise » chère à l’artiste. »
« Le public préférant les marines traditionnelles, Boudin abandonne presque entièrement les scènes de plages à partir de 1871. Cependant, lorsque des amis lui rendent visite, à Trouville ou à Deauville, il réalise directement sur nature des instantanés, souvenirs peints sans retouche, d’un moment de convivialité. Les enfants sont rarement absents de ces oeuvres intimes réalisées sur de petits panneaux de bois. »

BRETAGNE
OMBRES ET LUMIÈRES
« Boudin se rend en Bretagne en 1857. S’il est déçu par les paysages, il acquiert la conviction que « les gens, c’est le côté intéressant du pays ». Il assiste notamment à des pardons (cérémonies religieuses typiquement bretonnes) ou à des noces au cours desquels il réalise quantités d’études. Il rapporte également de ce voyage une caisse de costumes traditionnels. »
« En 1863, il épouse au Havre Marie-Anne Guédès, originaire de Hanvec, dans le Finistère. Deux ans plus tard, il rend visite à sa belle-famille et découvre le monde austère des petits paysans bretons, lequel lui inspire des études d’intérieurs plongés dans la pénombre. Dans les mêmes années, il peint les riches élégantes sur la plage de Trouville inondée de soleil : deux mondes et deux gammes chromatiques s’opposent. »
« Le développement de la demande de peintures de marines amène Boudin à délaisser la campagne bretonne pour le bord de mer. Il s’installe alors à proximité de l’Elorn, fleuve côtier situé dans le Finistère, produisant des paysages à dominante grise. La rade de Brest, exposée au Salon de 1870 est acquise par Ernest Hoschedé, mécène des impressionnistes et futur propriétaire d’Impression, soleil levant, aujourd’hui conservé au musée Marmottan Monet. Boudin se rend également à Camaret, où il peint la pointe du Toulinguet. Le travail des rochers n’est pas sans rappeler la manière de Gustave Courbet, mais avec une richesse de tons beaucoup plus accentuée. L’intensité colorée et la puissance de facture de ce tableau annoncent la série peinte par Monet à Belle-Ile treize ans plus tard. »
« Boudin passe ensuite par les Côtes-d’Armor, où il représente, sous des ciels d’une intense beauté, les goélettes de Terre-Neuve, puis il délaisse la Bretagne pendant plus de vingt ans. »
« Peu de temps avant sa mort, il entreprend un périple de plus de deux mois, de Saint-Nazaire à la Pointe du Raz. Bien que déjà affaibli, il rapporte de cet ultime voyage plusieurs chefs-d’œuvre, au nombre desquels une vue du Croisic dans laquelle la richesse de couleurs, le jeu tour à tour fluide et saccadé du pinceau, les empâtements alternant avec la toile laissée vierge, évoquent l’abstraction lyrique. »

TROUVILLE – DEAUVILLE
VARIATIONS MÉTÉOROLOGIQUES
« De tous les lieux fréquentés par Boudin, Trouville est celui qu’il préfère. À partir du début des années 1860, il y passe chaque été et une partie de l’automne et y retrouve souvent des amis peintres parisiens pour profiter de la proximité de la mer qui semble favorable à sa santé et à celle de son épouse. Il aime « la saine odeur de l’algue marine » et « la fraîcheur de l’humidité saline de nos grèves ».

« Le port de Trouville est à taille humaine, mais demeure actif, fréquenté par des navires de cabotage, qui naviguent de port en port sans s’éloigner des côtes. De même, il dispose d’une flottille de pêche. Les marées y sont marquées : lorsque la mer s’est retirée, les barques de pêche reposent sur le flanc et les femmes viennent laver le linge dans le cours de la Touques. Les marées influencent également la météorologie : au fil des ans, Boudin représente les infinies variations du ciel au-dessus des jetées. »

« Les herbages se profilent en remontant la vallée de la Touques : Boudin, qui a été élève de Constant Troyon, peintre animalier reconnu, prend pour modèles les troupeaux de bovins dans les prés. Une fois encore, Boudin s’intéresse aux effets de la lumière, mais, cette fois, sur les robes colorées des animaux. Mondrian aussi en passera par-là, au début du XXe siècle, avant d’inventer l’abstraction. »

« Une relative aisance venue, les Boudin achètent dans les dunes de Deauville un terrain, sur lequel ils font construire une modeste maison : « C’est petit, très petit même ; Marianne prétend que ça ressemble à ces cages Hollandaises qui sont en forme de maison et qu’il n’y manque que l’anneau pour la suspendre ». À cette époque, Deauville n’est plus, et n’est pas encore redevenu, une station à la mode. Pendant l’arrière-saison, Boudin prend plaisir à représenter la plage délaissée, ou battue par les éléments. Il peint également les paisibles pâturages le long de la Rivière morte. »

« C’est dans sa maison de Deauville qu’il viendra mourir, avant d’être enterré à Paris. »

LE HAVRE
LA VILLE DE LA DÉSILLUSION
« En 1835, la les parents d’Eugène Boudin (qui comptent désormais quatre enfants) s’installent au Havre. Le Havre est alors le second port de France, après Marseille, et compte près de cinquante mille habitants. Les Boudin habitent Grand Quai, au port. Même s’il travaille chez un imprimeur, puis dans une papeterie, Eugène a donc quotidiennement sous les yeux l’activité portuaire. Après s’être décidé à embrasser une carrière artistique, il suit les cours de l’école municipale de dessin, puis il se voit octroyer une bourse d’étude à Paris. En refusant d’entrer dans un atelier parisien à la mode, et en suivant obstinément sa voie originale, l’artiste déçoit la municipalité. Confronté à un manque de reconnaissance, Boudin se montre sévère à l’encontre de ses concitoyens. Il ne vient plus au Havre que pour voir sa famille et quelques amis intimes. »
« Boudin affirme ne pas apprécier les grands ports, mais se rend systématiquement au Havre lorsqu’il éprouve le besoin de peindre des voiliers majestueux. À l’initiative des frères Pereire, le transport transatlantique s’y développe considérablement au cours des années 1860. Boudin représente l’un de ces paquebots, probablement le Pereire, partant en direction de New York et peint également des études dans les différents bassins. Lui qui n’aime pas les navires à vapeur les représente pourtant avec une liberté qui annonce Albert Marquet. »
« Le Havre lui inspire également des tableaux ambitieux, qui contribuent, au cours des années 1880, à sa reconnaissance officielle à Paris, bien qu’il continue d’être ignoré au Havre. Aussi, dans son testament, gratifie-t-il chichement la ville d’« une étude ou deux ». Ce sera finalement son frère, Louis, qui donnera au musée du Havre près de deux cents études peintes et dessinées, dont l’exécution libre offre un aspect trop peu abouti pour être vendues. »
« Il faut attendre 1906 pour que la première exposition du Cercle de l’art moderne du Havre soit dédiée à Boudin, désormais érigé en figure tutélaire de la peinture contemporaine. »

DE BORDEAUX À DORDRECHT
D’AUTRES CIELS
« La guerre de 1870 contraint Boudin à se réfugier en Belgique qui a jusqu’alors travaillé exclusivement en Normandie et en Bretagne. Sa production belge est appréciée : à Anvers, il peint La flotte anglaise qui vient prendre les restes des soldats enterrés dans la citadelle. Malgré l’importance accordée au paysage dans sa production, il s’agit ici d’une peinture d’histoire, la seule réalisée par Boudin. Les marchands et collectionneurs, soucieux de voir Boudin peindre d’autres ciels, l’encouragent à voyager. Il se rend d’abord à Bordeaux, qu’il n’apprécie guère, mais dont il laisse de belles vues du port, dans des tons de gris très sensibles. En revanche, il apprécie Berck, dont l’immensité de la plage et du ciel, ainsi que l’activité des pêcheurs, l’inspirent. »
« La crise économique des années 1870 le contraint à réduire ses déplacements à de simples « cabotages », lorsqu’il ne reste pas simplement à Trouville. »
« La relative embellie des années 1880 lui fait reprendre les voyages. Il se rend aux Pays-Bas, dont la peinture ancienne l’a fortement influencé à ses débuts. Puis, il travaille à Étaples, dont il explore différents aspects, et à Saint-Valery-sur-Somme, où, de manière inhabituelle, il peint un canal, au clair de lune. »
« Toutefois, Boudin n’oublie pas la Normandie et revient à Étretat où il s’était rendu dès 1854 et que Monet aimera également peindre. Après avoir hésité, il effectue un court séjour à Rouen, où il peint les bords de Seine. »
« En 1891, il avoue : « Mais que je redoute les voyages… Comme ça par avance car une fois en route ma foi… je m’amuse encore au spectacle des vues nouvelles ». En revanche, il lui faut transporter le « lourd bagage de peintre », et, trop souvent, « le peintre propose et le ciel s’y oppose ». Même en été, il a pour compagnons la pluie ou le vent violent qui « bouleverse l’attirail », le froid tel que le peintre a « la moelle gelée », quand la chaleur ne devient pas si intense que l’on se sent « comme des crevettes dans l’eau bouillante ». Boudin de conclure : « Oh, les voyages ! Vois-tu la misère que c’est ! »

MIDI-VENISE
RÉÉCRIRE LA LUMIÈRE
« Alors qu’il peine dans son atelier parisien, Boudin rêve du « pays bleu des hirondelles ». Au cours de l’hiver 1892, il réalise enfin ce rêve. Le mois de février le trouve à Villefranche-sur-Mer : « dans une délicieuse villa qui regarde la mer et qui est adossée à la montagne, nous y sommes au paradis et pour un prix si doux ! ». Pour cet adepte de la peinture sur nature, c’est un lieu idéal : « je travaille tous les jours sous mon parasol ». Cependant, il rencontre une difficulté qu’il peine à surmonter : « combien peu nous approchons de l’intensité lumineuse du pays. C’est à désespérer et à jeter au feu palette et pinceaux ». Rarement il s’est avoué à ce point impuissant face au motif. La plupart de ses confrères qui se sont trouvés confrontés à ce défi, y compris Monet, ont pris le parti d’accentuer leur gamme chromatique, mais Boudin s’y refuse. Sa palette, toutefois, devient plus chatoyante, mais il conserve des harmonies sobres. Notre oeil n’étant pas immédiatement attiré par les habituels grands ciels nuageux, les vues du Midi nécessitent une approche plus lente pour qui veut en percevoir la justesse et la beauté. »
« Pour un peintre de marines, Venise et sa lagune offrent un attrait considérable. En 1892, puis en 1895, Boudin cède à cet appel. Le peintre est déjà reconnu, aussi, son voyage est médiatisé. Il découvre que cette ville est « d’un coloris gris, l’atmosphère en est douce et brumeuse », très différente, donc, de celle montrée par Ziem, qui passe alors pour le peintre par excellence de Venise. Boudin n’hésite pas à accuser son confrère d’avoir « défiguré » cette ville « en en faisant un pays chauffé par les soleils les plus ardents ». Lui-même déploie son savoir-faire de subtil coloriste pour capter ces tons de perle. Au Louvre, Boudin avait en effet soigneusement étudié les tableaux de Guardi, maître dont il se montre le parfait héritier par la légèreté du jeu de son pinceau. À juste titre, il avouera : « le voyage de Venise aura été mon chant du cygne ».


Du 9 avril au 31 août 2025
2, rue Louis Boilly. 75016 Paris
Tél. : +33 (0)1 44 96 50 33
Du mardi au dimanche de 10h à 18h
Nocturne le jeudi jusqu’à 21h
Visuels :
Affiche
Eugène Boudin
La Plage à Trouville
1863
Huile sur panneau
34,8 x 58 cm
Collection Yann Guyonvarc’h
© Studio Christian Baraja SLB

Eugène Boudin
La Plage à Trouville
1863
Huile sur panneau
34,8 x 58 cm
Collection de M. Yann Guyonvarc’h
© Studio Christian Baraja SLB

Eugène Boudin
Vaches au pâturage
1880–1885
Huile sur toile 
41 x 55 cm
Musée Marmottan Monet
© Musée Marmottan Monet

Eugène Boudin
Petite métairie aux environs de Honfleur
1856-1860
Huile sur panneau
29,5 x 40 cm
Collection de Yann Guyonvarc’h 
© Studio Christian Baraja SLB

Eugène Boudin
Vue du port de Trouville au crépuscule
Vers 1885-1890
Huile sur toile
32,6 x 58,3 cm
Collection de Yann Guyonvarc’h  
© Studio Christian Baraja SLB


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