Citations

« Le goût de la vérité n’empêche pas la prise de parti. » (Albert Camus)
« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du Soleil. » (René Char).
« Il faut commencer par le commencement, et le commencement de tout est le courage. » (Vladimir Jankélévitch)
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » (Albert Londres)
« Le plus difficile n'est pas de dire ce que l'on voit, mais d'accepter de voir ce que l'on voit. » (Charles Péguy)

jeudi 27 juillet 2023

« Fatima - Mourir à 14 ans » de Hakim El Hachoumi et Andrei Schwartz

Arte diffuse sur son site Internet, dans le cadre de « La vie en face », « Fatima - Mourir à 14 ans » de Hakim El Hachoumi et Andrei Schwartz. « En 2013, à Agadir, une jeune domestique succombait aux sévices infligés en toute impunité par ses employeurs. Enquête sur un fait divers glaçant qui a mis en lumière un Maroc à deux vitesses. »

Une version abrégée de cet article a été publiée en anglais par JewishRefugees 

« Du 21 juin au 16 août, ARTE 
ausculte les mutations de nos sociétés à travers une collection documentaire, diffusée chaque mercredi en deuxième et troisième parties de soirée. Un tour du réel en dix-huit films ».

« Comme chaque été, la collection “La vie en face” éclaire les grands enjeux de société en prenant le temps du documentaire. Cette année, pas moins de dix-huit films posent des regards singuliers sur : les mécanismes de l'emprise sectaire (Adeptes, de l'emprise à la déprise) ; une championne de natation accusée de trafic de migrants (Sara Mardini – Nager pour l'humanité) ; la vie de forçat d'un travailleur sans papiers (Premier de corvée) ; une communauté de bénédictines (Sœurs) ; le blues de jeunes chercheurs (Profs de fac, la vocation à l’épreuve) ; le revirement d’un partisan de l’extrême droite (Une jeunesse polonaise) ; l’édifiante enquête d’une veuve du Doubs sur une célèbre firme (Sophie Rollet contre Goodyear) ; les morts suspectes en prison (Mitard, l’angle mort) ; l’euthanasie (Les mots de la fin) ; l’abstinence (No Sex) ; la congélation des ovocytes (35 ans, les choix d’une femme) ; de jeunes cow-girls qui ruent dans les brancards (Rodeo Girls) ; l’esclavage moderne (Fatima – Mourir à 14 ans) ; ou le parcours d’un homme sorti du coma (44 heures entre la vie et la mort). »

« Sur les terres du Rodéo américain, à travers le quotidien d'un travailleur clandestin malien ou derrière les barreaux d'une prison en France, les documentaires de « La vie en face » sont de retour pour faire vibrer votre été.  Une ode à l'intime où les existences les plus ordinaires dévoilent un visage hors du commun. Une collection de documentaires disponible jusqu'au 16 août 2023 » en partenariat avec Brut et Libération.

« L’kheddama » (« La bonne »), c'est ainsi, ou par son prénom, que les employeurs marocains désignent leur très jeune domestique. En 2010, elles étaient entre 60 000 et 80 000 "petites bonnes" de moins de quinze ans exploitées dans des maisons malgré la loi marocaine interdisant le travail des mineurs de moins de quinze ans. Les intermédiaires entre les familles pauvres et les employeurs potentiels sont des « samsars », enrichis par ce commerce officiel. Des agences sont actives aussi sur ce "marché". 

En mars 2009, un Collectif marocain pour l’Eradication du Travail des « Petites Bonnes » avait été créé par l’Association INSAF, la Fondation Orient - Occident, Amnesty International - Maroc et l’Association Marocaine des Droits Humains. Le Collectif comptent aujourd’hui 26 associations agissant pour la défense et la promotion des droits de l’Enfant, en général, et le travail de proximité avec les petites filles, âgées de moins de 15 ans, en situation de travail domestique, en particulier." Une forme d'esclavage contemporain dans un Maroc à l'urbanisation accélérée, le travail croissant des femmes hors de leurs foyers, le faible nombre de crèches, etc.

« C'est un village berbère de l'Atlas, beau et misérable, où la sècheresse fait de plus en plus de ravages. "On doit tout le temps choisir entre nourrir les bêtes et donner à manger aux enfants", explique Zaina. Sa fille, Fatima, y a grandi jusqu'à ses 11 ans, au milieu de dix frères et sœurs. »

« Puis, cette écolière joyeuse et serviable, parfois critique aussi - elle reprochait à sa mère de faire trop d'enfants -, a dû partir travailler comme employée de maison à Agadir, à environ 180 kilomètres de là. Un lot commun pour les filles du village, contraintes d'arrêter l'école tôt sans autre solution pour subvenir aux besoins de leur famille. "Louée" pour 30 euros par mois à un gendarme et sa femme, avec la complicité du président du conseil communal du village, Fatima donnait peu de nouvelles, hormis de brefs appels téléphoniques, probablement surveillés, où elle assurait que tout allait bien. » 

« Trois ans plus tard, en 2013, ses parents ont appris la mort de leur fille et découvert avec horreur son corps couvert de cicatrices et de brûlures. Depuis, l'employeuse de Fatima est en prison. » A son procès, le “Collectif pour l’éradication du travail des petites bonnes” était partie civile. En 2014, la cour d'appel d'Agadir a condamné cette employeuse, fonctionnaire au ministère de l'Education nationale, à 20 ans de prison. 

« Mais des questions restent en suspens. Pourquoi l'adolescente a-t-elle subi de tels sévices ? Quel a été le rôle du mari, qui prétend ne rien savoir, et n'a pas été inquiété ? Pourquoi la justice n'a-t-elle demandé qu'un examen sommaire du corps de la jeune fille ? » Fatima a-t-elle été victime aussi du racisme d'Arabes envers des Berbères ?

« Remontant le fil d'un poignant fait divers, qui a mis le Maroc en émoi au point de faire évoluer la loi sur les employées de maison en 2018, ce documentaire s'appuie sur un travail d'enquête, mené aux côtés de lanceurs d'alerte : la médecin, qui, après avoir examiné l'adolescente aux urgences, a tiré la sonnette d'alarme, et deux avocats militants des droits de l'homme. »

« Sans leur intervention, le meurtre de Fatima aurait pu être passé sous silence, comme beaucoup d'autres. »

« Le film nous immerge aussi au sein d'une famille éprouvée mais déterminée à découvrir la vérité, dans un village ébranlé où les femmes ont réagi en créant une coopérative, afin d'offrir un avenir à leurs filles sur place. » 

« L'œil de cinéaste de Hakim El Hachoumi fait le reste : dosant l'émotion, il porte un regard tendre et respectueux sur les personnes interrogées. Ses plans d'une grande beauté, qui témoignent des inégalités de classe et de genre dans le royaume, savent saisir la mélancolie d'une petite sœur ou l'esclavage niché dans un immeuble cossu. »

"En 2016, le Haut-Commissariat au plan (HCP) estimait à 193 000 les enfants de 7 à 17 ans exerçant un travail dangereux, dont 42 000 filles... [En juillet 2016], le Parlement marocain avait voté une loi donnant pour la première fois un cadre juridique aux travailleuses domestiques, autrefois exclues du code du travail. Le texte fixe à 18 ans l’âge minimum de travail, avec une période de transition de cinq ans, à compter de l’entrée en vigueur de la loi, pendant laquelle les filles de 16 à 18 ans peuvent continuer de travailler".

Le 3 août 2017, avaient été rendus publics "deux décrets relatifs aux conditions de travail des employées de maison âgées de 16 à 18 ans. Présentés comme une avancée significative dans la protection des droits pour les jeunes travailleuses, les décrets ont toutefois suscité une vague d’indignation du côté des associations, qui regrettent des mesures « inapplicables » et « une loi prétexte » pour légaliser l’emploi des 16-18 ans. Vivement critiqué depuis son entrée en vigueur le 10 août, un des décrets dresse une liste de quinze travaux ménagers interdits aux mineurs : l’utilisation du fer à repasser, des appareils électroniques ou tranchants, la manipulation des produits médicamenteux ou des détergents composés de substances reconnues dangereuses, entre autres. Mais comment faire appliquer ces mesures ? « Les domiciles sont inviolables. Les inspecteurs, déjà peu nombreux, et les assistantes sociales, qui n’ont pas de statut juridique, ne peuvent pas y accéder. Il est impossible de garantir les mesures de contrôle prévues par la loi », déplore Bouchra Ghiati, présidente de l’Institution nationale de solidarité avec les femmes en détresse (Insaf)... Les employés de maison n’ont droit qu’à 60 % du salaire minimum marocain (2 570 dirhams par mois, soit environ 225 euros), avec des horaires contraignants et des congés insuffisants. Et le gouvernement doit encore s’attaquer à un gros morceau : offrir aux travailleuses domestiques le droit à la couverture sociale, qui ne leur a encore jamais été accordé".

"L'ONG Insaf, a pu aider depuis 2007 plus de 300 filles mineures à sortir du travail domestique. Elles sont désormais 179 à être scolarisées dans des collèges et des lycées. Huit de ces filles ont réussi leur baccalauréat entre 2011 et 2016 et poursuivent actuellement leurs études supérieures. L’ONG espère porter ce nombre à 85, d’ici 2020".

Des employeurs marocains recrutent aussi comme "petites bonnes" des enfants asiatiques ou originaires d'Afrique sub-sahariennes. 


« Fatima - Mourir à 14 ans » de Hakim El Hachoumi et Andrei Schwartz
Allemagne, 2019, 52 mn
Coproduction : ARTE/NDR, Tag/Traum
Sur Arte le 26 juillet 2023 à 23 h 35
Sur arte.tv du 26/07/2023 au 24/08/2023
Visuels : © Tagtraum


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire