Citations

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« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du Soleil. » (René Char).
« Il faut commencer par le commencement, et le commencement de tout est le courage. » (Vladimir Jankélévitch)
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » (Albert Londres)
« Le plus difficile n'est pas de dire ce que l'on voit, mais d'accepter de voir ce que l'on voit. » (Charles Péguy)

dimanche 18 mai 2025

« L’art « dégénéré » : Le procès de l’art moderne sous le nazisme »

Le Musée national Picasso-Paris présente du 18 février au 25 mai 2025, sa nouvelle exposition temporaire : « L’art « dégénéré » : Le procès de l’art moderne sous le nazisme ». « Première exposition en France consacrée à l’Art dit « dégénéré », elle explore et met en perspective l’attaque méthodique du régime nazi contre l’art moderne et la place qu’occupe Pablo Picasso, archétype de l’artiste « dégénéré » dans cette histoire ».


« Point culminant d’une série d’expositions infamantes mises en place dans plusieurs musées dès 1933 (Dresde, Mannheim, Karlsruhe…) pour dénoncer les avant-gardes artistiques comme une menace à la « pureté » allemande, « Entartete Kunst » s’inscrit dans le contexte d’une « purge » méthodique des collections allemandes. Plus de 20 000 œuvres, parmi lesquelles celles de Vincent Van Gogh, Marc Chagall ou de Pablo Picasso, cas exemplaire de l’« artiste dégénéré », sont ainsi retirées, vendues ou détruites. Au centre de cette histoire, le terme de « dégénérescence », émergeant au cours du XIXe siècle dans différentes disciplines (histoire naturelle, médecine, anthropologie, histoire de l’art…) jusqu’à sa cristallisation au cœur de la « vision du monde » national-socialiste, sert de vecteur au déploiement des théories racistes et antisémites au sein de l’histoire de l’art. »

« L’art « dégénéré » : le procès de l’art moderne sous le nazisme » étudie « en particulier l’exposition de propagande « Entartete Kunst » (Art dégénéré), organisée en 1937 à Munich, montrant plus de 600 œuvres d’une centaine d’artistes, représentants des différents courants de l’art moderne, d’Otto Dix à Ernst Ludwig Kirchner, de Vassily Kandinsky à Emil Nolde, de Paul Klee à Max Beckmann, dans une mise en scène conçue pour provoquer le dégoût du visiteur. »

« À travers le rassemblement exceptionnel d’œuvres présentées à l’exposition de 1937 et plus largement de peintures et de sculptures confisquées aux musées allemands durant cette campagne, « L’art « dégénéré ». Le procès de l’art moderne sous le nazisme » permet de montrer l’étendue des esthétiques et des artistes visés. Chaque oeuvre est ainsi le témoin direct de cette histoire et des vies d’artistes percutées par celle-ci. L’exposition présentera des artistes majeurs tels que George Grosz, Paul Klee, Oskar Kokoschka Vassily Kandinsky ou encore Vincent Van Gogh et Pablo Picasso. Un ensemble d’œuvres sera consacré aux artistes juifs, qui figurent parmi les plus violemment attaqués, autour des deux peintures de Marc Chagall, présentes dans l’exposition de 1937, sont présentés les œuvres de Jankel Adler, Ludwig Meidner, Hanns Katz et Otto Freundlich (assassiné en 1943). »

Les œuvres de ces artistes fustigés seront volées à des propriétaires par des dirigeants nazis, dont Hermann Göring.

Le commissariat de l'exposition est assuré par Johan Popelard et François Dareau. « Conservateur du patrimoine, chef du département de la conservation et des collections au Musée national Picasso-Paris qu’il a rejoint en 2018, Johan Popelard a été précédemment chargé d’études et de recherche à l'Institut national d'histoire de l'art à Paris et chargé de cours en histoire de l'art contemporain à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il a été co-commissaire des expositions « Picasso et la bande dessinée » et « Picasso poète » au Musée Picasso en 2020 et de l'exposition « Picasso. Dessiner à l'infini » au Centre Pompidou en 2023. »

François Dareau « est chargé de recherche au Musée national Picasso-Paris, diplômé en histoire de l'art de la Sorbonne. Rejoignant les équipes du Musée Picasso en 2017, il a participé au développement de l'exposition « Picasso 1932 » (Musée Picasso, 2017 et Tate, 2018), puis a assuré le co-commissariat de « Diego Giacometti au Musée Picasso » (Musée Picasso, 2018) et de l'exposition itinérante nord-américaine « Picasso. Figures » (Frist Art Museum et Musée national des Beaux-Arts du Québec, 2021). En 2022-2023, il est commissaire de deux expositions d'artistes contemporains français, ORLAN et Pierre Moignard, explorant la réception et l'influence actuelle de l'oeuvre de Picasso. Il est co- commissaire de « Picasso – Asia : A Conversation » prévue en mars 2025 au M+ de Hong Kong. »

On peine à comprendre pourquoi certaines parties du dossier de presse sont rédigées en écriture inclusive.

Les Editions Grand Palais RMNEditions / Musée Picasso-Paris ont publié le catalogue de l'exposition L’Art « dégénéré ». Le procès de l’art moderne sous le nazisme, un ouvrage dirigé par Johan Popelard. « À travers des reproductions d'oeuvres emblématiques, comme celles de Wassily Kandinsky, Otto Dix, Paul Klee ou Max Beckmann, et des archives rares, le catalogue retrace l'histoire de l'exposition de propagande « Entartete Kunst », organisée à Munich en 1937, qui rassemblait plus de 600 œuvres des avant-gardes artistiques dans une scénographie volontairement dégradante. Il s'attarde sur l'utilisation du concept de « dégénérescence », issu du XIXe siècle, devenu un outil central de l'idéologie raciste et antisémite du national-socialisme, et son impact sur l'histoire de l'art. »
« Le catalogue offre une analyse détaillée des contextes politiques et culturels ayant conduit à la confiscation de plus de 20 000 œuvres d'art, parmi lesquelles celles de Marc Chagall, Vincent Van Gogh et Pablo Picasso, considéré comme un symbole de « l'artiste dégénéré ». Il examine également le commerce international de ces œuvres spoliées, en s'intéressant particulièrement au rôle joué par la France. »
« Richement illustré et documenté, cet ouvrage propose une lecture approfondie des enjeux de l'exposition et restitue les trajectoires des œuvres persécutées. Il met également en perspective les mécanismes de propagande et de spoliation culturelle, tout en interrogeant leurs résonances contemporaines. »

« En lien avec l’exposition et le programme Répertoire des acteurs du marché de l’art en France sous l’Occupation (RAMA) de l’Institut national d’histoire de l’art, le Musée national Picasso-Paris, le Musée d’art et d’histoire du judaïsme et le Centre allemand d’histoire de l’art (DFK Paris) ont organisé un colloque international à Paris, le 27 mars à l'auditorium de l'INHA et le 28 mars 2025 à l'auditorium du Musée d'art et d'histoire du judaïsme (mahJ). » 

« Intitulé « L’art « dégénéré ». Une histoire croisée France / Allemagne », ce colloque a réuni environ 25 participants venant de France, d’Allemagne et de Grande-Bretagne. Les principaux thèmes abordés ont été : 
- L’émergence et la diffusion de la notion de « dégénérescence » et son application en histoire de l’art. 
- La position et la réaction des différents acteurs (artistes, critiques, historiens, personnels des musées…) face à la campagne contre « l’art dégénéré », notamment en France. Une attention particulière sera portée aux réactions des artistes désignés comme « dégénérés » et transitant par la France, face à cette campagne de dénigrement, de destruction, de dilapidation et d’effacement des avant-gardes. »
- L’organisation des expositions « d’art dégénéré », la scénographie et le contenu de ces expositions, leur réception. Une attention sera également portée aux contre-projets d’exposition organisés en réaction à la campagne nazie. 
- Le commerce de « l’art dégénéré » et notamment ses implications dans le contexte français.
- L’historiographie de la question de « l’art dégénéré » de 1945 et à nos jours. 
- Les évolutions de ce champ d’études, la position des musées et des acteurs institutionnels face à cette question, et les perspectives nouvelles de recherches. »

Les partenaires de l'exposition sont Connaissance des arts, Europe 1, Insert, Philosophie magazine et Transfuge.


PARCOURS D'EXPOSITION

SALLE 0.1
INTRODUCTION
« L’expression nazie « art dégénéré » désigne une campagne publique d’exclusion et de destruction de l’art moderne, s’étalant sur plus de dix ans, de l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler en 1933 à la fin de la seconde guerre mondiale en 1945. Au cours de cette campagne, plus de 1400 artistes sont insultés, livrés à la vindicte, limogés de leurs postes d’enseignants, interdits d’exposer et de travailler, menacés physiquement ou contraints à l’exil. Autant de vies soudainement et violemment percutées. Les œuvres appartenant aux collections publiques sont confisquées pour être mises en scène dans des expositions diffamatoires. Certaines sont détruites ; d’autres vendues. L’attaque contre l’art moderne vise des artistes allemands ou non, vivants ou passés, Emil Nolde comme Pablo Picasso, George Grosz comme Vincent Van Gogh. Ce sont toutes les tendances de la modernité, de l’expressionnisme à l’abstraction, de Dada à la Nouvelle Objectivité, qui se trouvent condamnées en bloc. En finir avec l’art moderne, production d’« idiots », de « malades mentaux », de « criminels », de « spéculateurs », de « juifs », de « bolchéviques », pour faire advenir un art sain, image de la race allemande, tel est le programme que se donne la révolution culturelle nazie. Elle reprend ici un ensemble de discours élaborés tout au long du XIXe siècle en Europe opposant à une pureté fantasmée la menace de la « dégénérescence ». Les œuvres et les documents présentés dans cette exposition sont les témoins de cette histoire. »

« Femme enceinte de la sculptrice Emy Roeder fait partie des seize fragments de sculptures retrouvés en 2010 lors de fouilles archéologiques sur le tronçon d'une future ligne de métro à Berlin. Toutes ont été réalisées par des artistes considérés comme « dégénérés ». Entreposées dans un immeuble à l’issue de l’itinérance de l’exposition « Art dégénéré », elles sont enfouies dans les décombres lors des bombardements qui frappent la ville en 1944. On les pensait perdues ou détruites avant cette redécouverte. Elles sont aujourd’hui conservées dans les collections archéologiques du Neues Museum à Berlin. »

SALLE 0.2
ENTARTETE KUNST, MUNICH, 1937
« À présent, quand on travaille, c’est comme si on travaillait pour une époque qui n’existe pas encore ; pour tous les officiels d’aujourd’hui, on est un monstre et une abomination. »
Otto Dix, Lettre à Israël Ben Neumann, 20 juin 1934

« Il y a beaucoup de visages fermés et on sent aussi beaucoup d’opposition. Les gens ne disent presque rien. »
Hannah Höch, Journal, 11 septembre 1937, après sa visite de l’exposition Entartete Kunst

« L’exposition Entartete « Kunst » [« Art » dégénéré »], inaugurée à Munich le 19 juillet 1937 constitue le point culminant de la campagne de dénigrement et de bannissement de l’art moderne sous le nazisme. Plus de 700 œuvres des artistes majeurs de la modernité sont exhibées comme autant de symptômes de dégénérescence : « révélation de l’âme de la race juive » ou « sabotage délibéré des forces armées » selon les slogans haineux que scandent la scénographie. »

« Durant quatre mois, deux millions de visiteurs parcourent l’exposition. Pendant les quatre années suivantes, l’exposition circule en Allemagne et en Autriche, même si elle perd progressivement de son ampleur. Si nombre de visiteurs adhèrent probablement à cette campagne de diffamation, l’exposition est aussi, pour d’autres, l’occasion d’admirer, parfois pour la dernière fois avant leur destruction, certaines des œuvres les plus importantes de la première moitié du XXe siècle. » Environ trois millions de visiteurs ont vu cette exposition.

« Dans ce tableau, George Grosz présente une allégorie des grandes villes occidentales, tentaculaires et chaotiques. Acquise par la Kunsthalle de Mannheim en 1924, elle est l'une des premières œuvres de l’artiste à entrer dans une collection publique allemande. Dès la prise du pouvoir par les nazis, l’atelier de l’artiste est saccagé et Metropolis est présenté dans l’exposition diffamatoire « Images du bolchévisme culturel ». Grosz fuit l’Allemagne et s’exile à New York où il enseigne la peinture. Après son exposition à Munich en 1937, l’oeuvre est vendue en 1939 et rejoint les Etats-Unis où elle sera rachetée ultérieurement par l’artiste. »

SALLE 0.3
ARCHÉOLOGIE DU CONCEPT DE DÉGÉNÉRESCENCE
« Le jeu était terminé. (…) On m’appelait « artiste dégénéré », « l’effroi du citoyen », « corrupteur de la jeunesse », « fleur de pénitencier ».
Oskar Kokoschka, Ma vie, 1971

« Le concept de dégénérescence émerge à la fin du XVIIIe siècle dans le domaine de l’histoire naturelle, de la médecine et de l’anthropologie avant de se diffuser rapidement au cours du XIXe siècle. Cette notion est étroitement liée à la théorie de l’évolution qui introduit l’idée d’une espèce humaine, non plus immuable, mais instable biologiquement à travers le temps. À l’opposé des fantasmes d’homme nouveau ou de surhomme, le discours sur la dégénérescence produit un imaginaire angoissant où l’homme ne cesse d’être menacé par la régression vers la bestialité, la difformité physique ou le désordre psychique. La parution dans les années 1890 de l’ouvrage en deux volumes Dégénérescence de l’écrivain Max Nordau joue un rôle crucial dans l’incorporation de cette notion à l’histoire de l’art. Pour Nordau, comme pour nombre de critiques et théoriciens à sa suite, les œuvres de l’art moderne deviennent les symptômes visibles et les vecteurs de pathologies qui risquent de contaminer la société. »

« Ce pastel, exemplaire du retour à une forme de classicisme de l’artiste dans les années 1920, reprend la posture du « tireur d’épine », sujet de la statuaire antique. Picasso inclut pourtant certains éléments discordants par rapport à la tradition. On peut ainsi noter à l’arrière-plan la différence de hauteur de la ligne d’horizon. En 1928, le dessin fait partie des œuvres soi-disant « dégénérées » choisies par l’architecte Paul Schultze-Naumburg pour illustrer son ouvrage L’Art et la race et mis en regard d’une photographie médicale d’un homme atteint d’« acromégalie des mains et de la partie basse du visage ». Appartenant à la collection du marchand Paul Rosenberg, le pastel est parmi les œuvres spoliées en 1940 en raison de l’origine juive de son propriétaire. Il lui sera finalement restitué après la guerre, en 1945. »

SALLE 0.4
RACE ET PURETÉ
« Nous serons confrontés au danger imminent de la destruction de toute liberté personnelle et politique en Allemagne s'il ne s'avère pas possible, à la dernière minute, d'unir toutes les forces, aussi différents que soient leurs principes, qui sont unies dans leur opposition au fascisme. »
Jankel Adler, « Appel urgent », février 1933

« Mon cœur le plus chéri, je peux encore t’envoyer un adieu avant le départ du train. Je t’embrasse avec tout mon amour, que le ciel te protège et te donne de la force. Je t’aime et suis toujours auprès de toi, ton Otto. »
Otto Freundlich, Lettre à Jeanne Kosnick-Kloss, 4 mars 1943, jour de sa déportation au camp d’extermination de Sobibor

 « La théorie de la dégénérescence est pleinement intégrée dans l’idéologie antisémite et raciste du nazisme et, plus largement, des fascismes européens. Accusés de corrompre la pureté de la race, les influences étrangères doivent être, dans la logique nazie, traquées et éliminées sans pitié pour que la communauté nationale, enfin purifiée, puisse produire un art à son image. La campagne contre l’art « dégénéré » s’attaque ainsi frontalement à l’intérêt développé par les artistes de la modernité pour l’art africain et océanien. À cet égard, des peintres allemands comme Ernst-Ludwig Kirchner, Emil Nolde ou Karl Schmidt-Rottluff, qui ont cherché dans l’art extra-européen la source d’un renouveau de la figuration, sont particulièrement visés. Les artistes, galeristes et collectionneurs juifs sont aussi condamnés comme les agents d’une corruption généralisée et deviennent la cible des attaques les plus violentes. L’élimination symbolique des artistes dégénérés préparent l’extermination physique de tous les individus jugés inaptes, déviants et étrangers à la race. »

Cette peinture de Marc Chagall est intitulée La Prise (Rabbin) - (Die Prise (Rabbiner)), date de 1923–1926. Elle « reprend le titre d’une nouvelle de l’écrivain yiddish Isaac Leib Peretz, dans laquelle un rabbin vend son âme à Satan pour une pincée de tabac, est acquise par la Kunsthalle de Mannheim en 1928. En 1933, Mannheim devient le théâtre d’une intense campagne de purge et de diffamation de l’art moderne orchestrée par les nazis. En tant qu’incarnation de la culture juive, tant par son sujet que son auteur, la toile est traînée dans les rues de la ville flanquée du message : « Vous qui payez des taxes, vous devriez savoir où votre argent est dépensé. » La même année, elle est montrée dans l’exposition « Images du bolchevisme culturel » et figure en 1937 dans l’exposition « Art dégénéré ».

SALLE 0.5
LA PURGE DES MUSÉES ALLEMANDS
« Ce temps m'en veut, je ne fais pas son affaire, je suis trop peu nationaliste, pas assez raciste. Le bruit m’effraie ; au lieu de jubiler quand rugit le « Heil », au lieu de lever le bras à la romaine, j'enfonce mon chapeau sur la tête. »
Ernst Barlach, Lettre à Reinhard Piper, 11 avril 1933

« Intellectuels, écrivains, artistes ! Relevons ensemble le défi. Cet art dégénéré, nous en sommes absolument solidaires. En lui résident toutes les chances de l’avenir. »
« Vive l’Art Dégénéré », Manifeste du groupe Art et Liberté,
Le Caire, 22 décembre 1938
 
« Au nom de la lutte contre l’art « dégénéré », plus de 20 000 œuvres sont retirées d’une centaine de musées allemands en l’espace de quelques mois. »

« Une première vague de confiscation en juin 1937, conduite par une commission spéciale dirigée par le peintre nazie Adolphe Ziegler et sous le contrôle de Joseph Goebbels, ministre de l’Education du peuple et de la Propagande, sert à alimenter l’exposition « Entartete "Kunst" ».

« Elle est suivie par une deuxième en août destinée à « nettoyer » définitivement les musées. La purge est d’autant plus radicale que les collections publiques allemandes avaient développé, avant l’arrivée des nazis, une politique d’acquisition particulièrement favorable à l’art moderne, faisant figure de modèle à l’échelle internationale. »

« Mais dès 1933, les directeurs de musée progressistes, Gustav Friedrich Hartlaub à Mannheim ou Ludwig Justi à Berlin sont démis de leur fonction, les artistes Grosz, Kandinsky ou Klee quittent l’Allemagne, tandis que Baumeister, Beckmann ou Dix sont limogés de leurs postes d’enseignants. La même année, une première exposition portant le titre « Entartete Kunst » est organisée à Dresde, tandis qu’à Mannheim ouvre « Kulturbolschewistische Bilder » [Images du bolchévisme culturelle], préfigurant l’exposition diffamatoire de Munich en 1937. »

« Cette oeuvre, l’une des premières peintures à l’huile de l’artiste Paul Klee, a été exposée dans « Art dégénéré » sur le mur consacré au mouvement Dada, à côté notamment d’œuvres de Kurt Schwitters, aujourd’hui disparues. Paul Klee est particulièrement ciblé par la campagne contre l’art dégénéré, en raison de sa volonté de revenir aux sources de la création, s’inspirant des dessins d’enfants et de « l’art des fous ». Démis de son poste d’enseignant à Düsseldorf dès 1933, Klee quitte l’Allemagne cette année-là pour se réfugier dans sa ville natale de Berne. Avant sa confiscation par le régime nazi en 1937, l’oeuvre était exposée au Musée provincial de Hanovre, prêtée par Sophie Lissitzky-Küppers, épouse de l’artiste russe El Lissitzky. »

« En 1941, l’oeuvre est rachetée par le marchand Hildebrand Gurlitt, qui la vend à l’historien de l’art Hans Peters. Après la mort de ce dernier en 1962, le tableau est revendu plusieurs fois avant de rejoindre la galerie Rosengart de Lucerne, auprès de laquelle le Lenbachhaus et la Fondation Gabriele Münter et Johannes Eichner acquièrent à parts égales l’oeuvre en 1982. »

SALLE 0.6
LE COMMERCE DE L’ART « DÉGÉNÉRÉ »
« Mon buste de Nietzsche est évalué à 400 livres anglaises. Ce qui est intéressant dans cette histoire, c'est que j'ai offert cette sculpture en 1919 au musée municipal de Dresde, mais comme maintenant je suis « dégénéré », on la bazarde au prix fort à l'étranger. Au fond, je suis très content de tout ceci, car ici les choses ne sont plus à l'abri de la destruction. »
Otto Dix, Lettre à Monsieur Köhler, janvier 1939

« Une partie de mes oeuvres a été détruite par les nazis, une autre au cours d’un bombardement à Berlin, le reste a été détourné et vendu à leur profit par des tierces personnes pendant mes douze années de voyages forcés. »
Raoul Hausmann, Témoignage à Michel Hoog, 1967

« Dès 1937, Goebbels développe l'idée d'une « utilisation » lucrative des œuvres confisquées. La « Commission pour l’exploitation des produits de l’art dégénéré », qu’il préside lui-même, a pour tâche de sélectionner les œuvres « utilisables à l’échelle internationale ». Organisée en juillet 1939, par la Galerie Fischer, la vente « Peintures et sculptures des maîtres modernes des musées allemands » constitue l’opération de la plus grande ampleur dans ce domaine. »

« 125 œuvres de Van Gogh, Matisse, Gauguin, Beckmann ou Kandinsky sont ainsi mises aux enchères. Les quatre œuvres de Picasso confisquées à des musées allemands figurent également à cette vente, dont La Famille Soler, qui est acheté par la Ville de Liège, et la Buveuse d’Absinthe, qui, comme un tiers des œuvres proposées, ne trouve pas preneur. Mais la vente des œuvres passe surtout par quatre marchands spécialisés dans l’art moderne et mandatés par la Commission : Karl Buchholz, Ferdinand Möller, Bernhard Alois Böhmer et Hildebrand Gurlitt, qui, à lui seul, se voit confier 3879 œuvres « dégénérées ».

« La reconstitution du parcours, souvent complexe, des œuvres pendant cette période, reste, encore aujourd’hui, un chantier ouvert pour la recherche et les musées. »

Ce tableau est peint par Kandinsky en 1926 à l’époque où celui-ci enseigne à l’Ecole du Bauhaus. Il témoigne de l’évolution de l’artiste vers une abstraction géométrique qu’il théorise dans son ouvrage Point, ligne, plan paru la même année. Le Bauhaus, lieu majeur de l’art moderne en Allemagne et en Europe dans les années 1920, est fermé par le régime nazi qui le considère comme « l'expression la plus parfaite d'un art dégénéré ». Né à Moscou mais devenu citoyen allemand en 1928, Kandinsky quitte l’Allemagne en 1933 pour s’installer à Neuilly-sur-Seine. En 1937, Kreuzform fait partie des 14 toiles de l’artiste présentées dans « Art dégénéré ».


CHRONOLOGIE EN 14 DATES

« 1892 - 1893
Parution de l’ouvrage Dégénérescence (Entartung) de Max Nordau

1928
L’architecte allemand Paul Schultze-Naumburg publie Kunst und Rasse (L’Art et la Race) qui développe l’idée que la création artistique est le réceptacle des dispositions héréditaires du groupe racial. L’ouvrage contribue à intégrer le concept de « dégénérescence » dans l’idéologie raciste du national-socialisme.

1933
30 janvier : Adolf Hitler devient chancelier d’Allemagne.
11 avril : L’école d’art du Bauhaus est fermée par les nazis. De nombreux artistes, parmi lesquels Walter Gropius, Vassily Kandinsky, Paul Klee ou George Grosz, quittent l’Allemagne cette année-là.
10 mai : autodafé à Berlin de plus de 25 000 livres jugés « non allemands » 14 juillet : Mise en place par le régime nazi d’une politique de stérilisation à travers une loi sur la prévention de la transmission des maladies héréditaires.
23 septembre - 18 octobre : exposition « Entartete Kunst » (Art Dégénéré) à Dresde

1935
15 septembre : Promulgation des lois de Nuremberg qui excluent les Juifs de la citoyenneté allemande et interdisent leur mariage avec des citoyens de « sang allemand ».

1936
30 octobre : La section d’art moderne de la Nationalgalerie de Berlin est fermée.

1937
30 juin : Le peintre Adolf Ziegler (président de la Chambre des Beaux Art du Reich) se voit confier la tâche de confisquer les œuvres « dégénérées » des musées allemands.
18 juillet : Inauguration à Munich de la « Große Deutsche Kunstausstellung » (« Grande exposition d’art Allemand »), qui incarne la nouvelle esthétique nationale-socialiste. Adolf Hitler proclame une « guerre implacable de purification » contre « l’art dégénéré » lors de son discours d’ouverture.
19 juillet au 30 novembre : exposition « Entarte Kunst » (Art dégénéré) à Munich

1938
11 mars : L’Allemagne annexe l’Autriche (Anschluss).
22 mai : Ouverture de l’exposition « Entartete Musik » sur la « musique dégénérée » à Düsseldorf. Elle exclut entre autres le jazz, les compositeurs juifs, communistes ou la musique atonale.
Nuit du 9 au 10 novembre : Lors de la Nuit de cristal, pogrom contre les citoyens juifs, des synagogues, des maisons et des commerces sont détruits tandis que des milliers de Juifs sont arrêtés dans plusieurs villes d’Allemagne et d’Autriche.
Novembre - décembre : L’exposition « L’Art allemand libre » ouvre à la Maison de la culture à Paris, en réaction aux expositions « Art dégénéré » en Allemagne.

1939
30 juin : vente aux enchères par la galerie Fischer à Lucerne de 125 œuvres d’ « art dégénéré »
1er septembre : L’Allemagne envahit la Pologne. Le 3 septembre, la France et la Grande-Bretagne déclarent la guerre à l’Allemagne.
Octobre : Une lettre d’Adolf Hitler engage « l’euthanasie » des personnes handicapées physiques et mentales : plus de 70 000 personnes, enfants et adultes, sont assassinées dans le cadre de l’ « Aktion T4 » entre 1939 à 1941.

1940
Juin-juillet : Entrée des troupes allemandes à Paris. Philippe Pétain reçoit les pleins pouvoirs. Début du régime de Vichy en France.
13 août : L’éditeur américain Varian Fry arrive à Marseille où il participe à la fondation du Centre américain de secours qui va aider des centaines d’artistes, écrivains, intellectuels, dont Marc Chagall, Max Ernst, André Breton ou Hannah Arendt, à quitter la France.
3 octobre : Le régime de Vichy instaure la loi sur le « Statut des Juifs » qui institutionnalise leur persécution en France.

1941
Octobre : Un groupe d’artistes français, dont André Derain, Maurice de Vlaminck ou Kees Van Dongen, se rend en Allemagne pour un voyage officiel à l’invitation du régime nazi.

1942
15 mai – 31 juillet : Exposition de l’artiste officiel du régime allemand Arno Breker au musée de l’Orangerie.
6 juin : Dans un article paru en Une du journal Comoedia, Vlaminck attaque violemment Pablo Picasso, coupable, selon lui, « d’avoir entraîné la peinture française dans la plus mortelle impasse ».

1943
9 mars : L’artiste Otto Freundlich est déporté et assassiné au camp de Sobibor.

1944
5 mars : Le poète Max Jacob meurt au camp de Drancy, quelques jours après son arrestation par la Gestapo.
6 juin : Débarquement des troupes militaires alliées en Normandie.

1945
8 mai : L’Allemagne nazie capitule. »


Sous la direction de Johan Popelard, L’Art « dégénéré ». Le procès de l’art moderne sous le nazisme. Editions Grand Palais RMNEditions / Musée Picasso-Paris, 2025. 256 pages. 39 euros. EAN : 9782711881345


Du 18 février au 25 mai 2025
Rez-de-chaussée de l’Hôtel Salé
5, rue de Thorigny, 75003 Paris
Tel : 01 85 56 00 36
Du mardi au dimanche de 9h30 à 18h 
Visuels :
Affiche de l'exposition

Adolf Dressler (1898-1971)
Couverture du guide de l’exposition “Art” dégénéré, Entartete Kunst Ausstellungsführer (Guide de l'exposition "Art" dégénéré)
1937
Photo © mahJ / Christophe Fouin

Emy Roeder
Schwangere
1918
Staatliche Museen zu Berlin, Museum für Vor- und Frühgeschichte, foto : Achim Kleuker © Museum im Kulturspeicher Würzburg, estate of Emy Roeder

George Grosz
Metropolis
1916 – 1917,
Huile sur toile, Museo Nacional Thyssen-Bornemisza, Madrid
© Estate of George Grosz, Princeton, N.J. / Adagp, Paris, 2024

Pablo Picasso
Nu assis s'essuyant le pied
Museum Berggruen, Neue Nationalgalerie, Stiftung Preußischer Kulturbesitz © bpk / Nationalgalerie, SMB, Museum Berggruen / Jens Ziehe 
© Succession Picasso 2024

Paul Klee
umpflegende
1919
Huile sur carton
© Städtische Galerie im Lenbachhaus und Kunstbau München und Gabriele Münter - und Johannes Eichner-Stiftung, München, Vergleich 2017 mit den Erbinnen der früheren Eigentümerin Sophie Lissitzky-Küppers, mit großzügiger finanzieller Unterstützung der Kulturstiftung der Länder und der Ernst von Siemens Kunststiftung


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Les citations proviennent du dossier de presse de l'exposition.

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