Citations

« Le goût de la vérité n’empêche pas la prise de parti. » (Albert Camus)
« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du Soleil. » (René Char).
« Il faut commencer par le commencement, et le commencement de tout est le courage. » (Vladimir Jankélévitch)
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » (Albert Londres)
« Le plus difficile n'est pas de dire ce que l'on voit, mais d'accepter de voir ce que l'on voit. » (Charles Péguy)

mercredi 16 juillet 2025

Les Harkis

"Harkis est un terme générique pour désigner l’ensemble des supplétifs qui ont combattu aux côtés de la France durant la guerre d’Algérie (1954-1962)", un djihad. Au départ de la France, un grand nombre de ces 
« réfugiés » a pu rejoindre la France, souvent malgré la volonté du pouvoir politique nationale français, mais des milliers de Harkis ont été arrêtés, torturés et assassinés par les indépendantistes/djihadistes les considérant comme des traîtres. Depuis quelques décennies, la France s'est engagée sur la voie de la reconnaissance de ses torts envers les Harkis. Arte diffusera le 18 juillet 2025 à 23 h 15 «  Les harkis » de Philippe Faucon.


"Les formations supplétives sont des formations civiles ou militaires, déployées temporairement aux côtés des troupes régulières de l’armée française ou des services de l’État. Ceux qui les composent sont appelés supplétifs".

"L’appellation Harkis désigne les Français musulmans qui, au sein de formations supplétives, ont combattu dans l’armée française pendant la guerre d’Algérie. Ils tirent leur nom du mot harka [حركة] qui signifie mouvement en arabe." Ils sont "en quelque sorte les héritiers des soldats indigènes qui, dès 1831, participèrent, aux côtés des unités métropolitaines à la conquête du territoire, puis au maintien de l’ordre colonial", et surtout connus pour leur activité durant la guerre d'Algérie (1954-1962), en fait un djihad contre la France. Jusqu’en novembre 1961, ils étaient statutairement des "journaliers".

Représentation générique des interactions entre catégories de population

Liés à l'Armée de terre française, ils étaient 200 000 à 250 000, parfois des femmes, à avoir été recrutés durant ce conflit. Leurs garnisons se trouvaient à Alger, Oran et Constantine.

"Détail des différentes catégories de supplétifs :
  • Les Harkis, membres des Harkas : ils ont pour mission de participer aux opérations de maintien de l’ordre. Ils sont le principal appui de l’armée française en Algérie et sont rémunérés par le Ministère des armées.
  • Les Moghaznis, membres des Sections administratives spécialisées : ils assurent la protection de la population et des infrastructures administratives, socio-éducatives, et économiques. Dépendant du ministère des Affaires algériennes, ils sont rémunérés par le Gouvernement général de l’Algérie mis en place par la France.
  • Les gardes des Groupes mobiles de sécurité (GMS), ex Groupes mobiles de police rurale (GMPR) : ils ont pour mission d’assurer la surveillance des campagnes et la protection des biens et des personnes. Ils sont rémunérés par le ministère de l'Intérieur. 
  • Les recrues des Groupes d’auto-défense (GAD) et des unités territoriales (UT) : ils sont bénévoles et chargés de protéger les villages et les hameaux d’éventuelles attaques du Front de libération nationale (FLN)".
"En métropole, la Préfecture de police implante à Paris une Force de police auxiliaire (FPA) également appelée Calots bleus. Ses membres sont recrutés parmi les Harkis et les Moghaznis pour assister les forces de l’ordre dans leur lutte contre le Front de libération nationale et empêcher le prélèvement de l’impôt révolutionnaire dans certains quartiers de la capitale."

"Faiblement armés à l’origine, les harkis furent progressivement équipés d’armes de guerre – fusils et pistolets-mitrailleurs, essentiellement. Leur nombre ne cessa de croître pour atteindre environ 60 000 hommes entre 1959 et 1961... Les harkis formaient alors le groupe le plus nombreux et le plus opérationnel – c’est-à-dire le plus associé aux opérations militaires de "maintien de l’ordre". Pour les officiers qui les commandaient, ils constituaient une force d’appoint pour assurer la sécurité des secteurs quadrillant le bled. Patrouilles, gardes, ratissages, opérations… durant lesquelles les harkis pouvaient servir d’éclaireurs, de voltigeurs, renforcer une section ou encore former des sections propres".

"La question des motivations des auxiliaires demeure l’une des plus débattues. Depuis 1962, plusieurs causes ont été successivement avancées, qui se complètent dans les faits : le patriotisme (la fidélité à la France – ou plus largement à l’ordre), les pressions exercées par l’armée française (recrutements forcés), la recherche d’une solde (motivation économique), la réaction aux exactions du Front de libération national (FLN). Pour comprendre comment plusieurs dizaines de milliers d’Algériens décidèrent de s’associer au maintien de l’ordre colonial, il est nécessaire de compléter ces explications et de les réinscrire dans leur contexte socio-économique. La prise en compte du contexte social et familial apparaît fondamental pour mieux cerner le passage à l’acte – qu’ils fussent chefs ou soutiens de famille –, au sein d’une société rurale fortement hiérarchisée. En outre, cette société était marquée par la stratégie militaire appliquée par la France en Algérie. Pour ne donner qu’un exemple, les déplacements massifs de population, induits par la pratique des zones interdites et des regroupements de populations, entraînèrent un bouleversement des sociabilités traditionnelles et accentuèrent une paupérisation rurale déjà sensible avant-guerre. Ici, la solde des auxiliaires apparaît comme un élément parmi d’autres d’une mise sous assistance de la société rurale algérienne."

« Tout aussi sensible, le récit des violences commises au moment de l’accession de l’Algérie à l’indépendance laisse de nombreux points dans l’ombre. Malgré une première baisse des effectifs courant 1961, 40 000 harkis demeuraient armés en mars 1962, alors qu’étaient signés les accords d’Évian. Leur démobilisation s’effectua dans le chaos, entre désertions, désarmements et exactions. Entre mars et juillet 1962, l’armée française accueillit dans ses camps en Algérie plusieurs milliers d’"Algériens menacés" – majoritairement d’anciens harkis et leurs familles, mais également d’anciens élus, fonctionnaires et autres supplétifs. Cet accueil aboutit au transfert en métropole d’environ 10 000 "Français musulmans" à la fin du mois de juin, quelques jours seulement avant l’indépendance. Durant la même période toutefois, plusieurs ministères unirent leurs efforts pour limiter l’installation des anciens harkis en métropole. Arguant tour à tour de la crainte de l’OAS, de la nécessité du contrôle migratoire ou de leur difficile intégration en métropole, les ministres Pierre Messmer (Armées), Louis Joxe (Algérie), Robert Boulin (Rapatriés), Roger Frey (Intérieur) adressèrent à leurs subordonnés différentes directives concourant à limiter la migration des anciens auxiliaires (harkis et mokhaznis, principalement). »

« Les exactions débutèrent dès le printemps. Elles restèrent dans un premier temps limitées, ne concernant que d’anciens auxiliaires, mais également d’anciens élus, des fonctionnaires ou leurs familles. Dans le langage courant – en particulier dans la presse hostile à de Gaulle qui se fit l’écho de ces violences – le terme "harkis" change alors de sens, pour désigner tout "Français de souche nord-africaine" (FSNA) menacé par le FLN en raison de son attitude pendant la guerre. »

« Après l’indépendance, les exactions se généralisent en Algérie. L’est apparaît la région la plus touchée par les violences et ce, jusqu’à la fin de l’année 1962. Un bilan précis de cette période demeure encore impossible à établir aujourd’hui. Durant les premiers mois de l’indépendance algérienne, plusieurs dizaines de milliers d’Algériens sont tués, ou dépossédés de leurs biens, ou encore emprisonnés. Parmi ces derniers, plusieurs milliers seront employés au déminage des barrages construits par l’armée française aux frontières marocaine et tunisienne quelques années plus tôt. En septembre, Ahmed Ben Bella stabilise son pouvoir à Alger. Les violences cessent progressivement durant l’hiver. L’armée française poursuit sa mission d’accueil et de transport. Au total, 27 000 Algériens seront déplacés par des moyens militaires jusqu’à la fin 1963. Dans le même temps toutefois, 30 000 à 40 000 personnes de plus, menacées, gagneront la métropole par leurs propres moyens ou avec l’aide d’anciens officiers – témoins de l’insuffisance du plan de transfert officiel. Les réfugiés seront hébergés dans des camps aménagés à la hâte, inadaptés à un séjour prolongé. 41 000 "harkis" passeront par ces camps. Une ordonnance, datée du 21 juillet 1962, leur retira la nationalité française. Pour redevenir français, les "harkis" devront signer une "déclaration recognitive de citoyenneté" validée par un juge. D’un point de vue strictement légal, ils étaient alors des "Français rapatriés d’Algérie". Dans les faits, différents dispositifs réglementaires les privèrent toutefois des mêmes droits que les pieds-noirs jusque dans les années 1980. »

L'indépendance de l'Algérie en 1962 induite par les accords d'Evain (19 mars 1962) a donc marqué la dissolution de ces formations, des massacres de harkis -  60 000 à 70 000 -  par l'Armée de libération nationale (ALN) et Le Front de libération nationale (FLN), et l'exil de harkis vers la France. 

Déplorant l'abandon d'Indochinois ayant soutenu l'Armée française durant la guerre d'Indochine, des officiers français désobéissent et interviennent pour permettre le départ pour la France de leurs supplétifs qui risquaient, ainsi que leurs familles, d'être torturés, assassinés pour "trahison" par des Algériens. De plus, ils se chargent de leur trouver du travail et des logements en France.

"Près de 25 000 harkis ont pu s’installer en France, soit approximativement 10 % de l’effectif total, la majorité des anciens supplétifs est restée en Algérie." Des dizaines de milliers transitent, de quelques jours à plusieurs années, par des camps en France : Bourg-Lastic (Puy-de-Dôme), et le camp du Larzac (Aveyron), Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), Saint-Maurice l’Ardoise (Gard) et celui de Bias (Lot-et-Garonne). 

La France oriente ces « réfugiés » vers "deux "cités d’accueil", à vocation disciplinaire, de Bias et de Saint-Maurice l’Ardoise. Soixante-neuf hameaux forestiers, essentiellement situés dans les régions du Languedoc-Roussillon, de Provence-Alpes-Côte d’Azur et de Corse, sont créés dans les zones rurales, avec une moyenne de vingt-cinq familles par hameau, sous une réglementation d’exception. Plusieurs dizaines de cités urbaines comme la cité des Tilleuls à Marseille ou la cité des Oliviers à Narbonne sont dédiées aux familles de harkis, ressentant, outre le poids de l’histoire de la guerre d’Algérie, les mêmes difficultés sociales que les autres populations migrantes. Enfin, des logements sont réservés aux anciens supplétifs dans le cadre du "programme harki" de la Sonacotra ou de la SNCF. Les situations d’un lieu à l’autre sont certes variables. Cette politique de logement s’accompagne d’une véritable tutelle sociale. Diverses administrations, en charge de cette population, se succèdent proposant des mesures d’exception (logement, emploi, scolarité, formation...) prônant l’intégration, mais maintenant paradoxalement de nombreuses familles toujours en marge de la société". A partir des mouvements de révolte en 1972, les pouvoirs publics prennent des mesures pour apaiser et intégrer davantage ces familles.

"Afin de contribuer à leur intégration, l’Administration des Eaux et Forêts (l’ONF de l’époque) a été missionnée par l’Etat pour confier aux Harkis de nombreuses opérations de gestion forestière (chantiers de travaux, et d'entretien…). Certains Harkis sont alors orientés vers des chantiers de forestage et vivent dans des hameaux forestiers, qui se transforment en lieux de vie pérennes". 
Les Harkis "ont rendu de multiples services à la forêt publique :
  • Prévention et défense des forêts contre les incendies : débroussaillement des bords de route, encadrement du brûlage des végétaux susceptibles d’attiser des incendies, création de points d’eau ainsi que des pistes dites « pare-feux »…
  • Travaux sylvicoles : boisement, reboisement et entretien des plantations ;
  • Développement des routes forestières, indispensables à une bonne circulation en forêt et à la mobilisation des bois."
Dès la loi du 11 juin 1994, les autorités politiques ont marqué leur volonté d'intégrer l'histoire des harkis dans l'Histoire nationale et de leur rendre hommage. Le 23 septembre 2001, évoquant les massacres dont avaient été victimes des harkis, Jacques Chirac, alors Président de la République, a déclaré que « la France n'a pas su sauver ses enfants de la barbarie ». Les Présidents suivant poursuivent cette politique. Le 20 septembre 2021, le Chef de l'Etat Emmanuel Macron a demandé « pardon » aux harkis et reconnu leur « singularité héroïque dans l'histoire de France ». Il a aussi annoncé "une loi de « reconnaissance et de réparation ». Promulguée le 23 février 2022, cette loi reconnaît la responsabilité de la France dans les conditions d'accueil et de vie indignes des harkis et de leurs familles. Elle ouvre un droit à réparation pour les personnes qui ont séjourné dans des camps de transit et des hameaux de forestage entre le 20 mars 1962 et le 31 décembre 1975. Cette indemnisation pourrait concerner 50 000 personnes. Pour mener à bien cette mission, une commission nationale de reconnaissance et de réparation a été créée".

Le 25 septembre est la Journée nationale en hommage aux victimes des massacres des harkis. Une Journée instaurée en 2003.

« Les harkis »
Né en 1958 à Oujda (Maroc), Philippe Faucon grandit dans les pays où est affecté son père, militaire, notamment  en Algérie.

Dans sa filmographie citons pour la télévision Mes dix-sept ans (1996) et Les Étrangers (1997), et pour le cinéma, notamment L'Amour (1990), Muriel fait le désespoir de ses parents (1995), Samia (2000), La Trahison (2005 ), La Désintégration (2011), Fatima (2015) - Prix Louis-Delluc 2015, Prix Lumières du Meilleur scénario 2016, César 2016 de la Meilleure adaptation et du Meilleur film, Prix du Syndicat français de la critique de cinéma et des films de télévision 2016 -, et Amin (2018).

Si ses six premiers films (jusqu'à Samia) sont produits par Humbert Balsan, ses films depuis 2005 sont produits par Istiqlal Films - Istiqlal signifie indépendance, nom du premier parti indépendantiste marocain -, société fondée par Philippe Faucon et Yasmina Nini-Faucon

Arte diffusera le 18 juillet 2025 à 23 h 15 « Les harkis » de Philippe Faucon (2022).

Dans « Les harkis », « à travers l'histoire de trois jeunes villageois, Philippe Faucon retrace le destin douloureux des harkis, ces Algériens engagés avec l'armée française contre le Front de libération national (FLN). Un film tranchant qui réouvre un des dossiers noirs de la guerre d'Algérie et replace en pleine lumière la trahison de l'État français. »

« Algérie, 1959. Trois jeunes hommes quittent leur famille et leur village pour s'engager avec l'armée française dans sa guerre contre les indépendantistes. Ils vont combattre, souvent dans des régions reculées, leurs compatriotes du FLN : infiltrations, arrestations, tortures et exécutions sommaires deviennent leur quotidien. Mais peu à peu, la rumeur enfle : la France aurait commencé à négocier avec son ennemi. Si elle se retirait, qu'adviendrait-il de ceux qui seront considérés comme des traîtres ? »

« On les appelait les harkis, membre d'une unité nommée "harka" (mouvement). Pour l'armée française, ils étaient des "supplétifs", d'autant plus précieux pour leur connaissance de la population et de la langue. »

« Mais en choisissant la France, ils ont aussi tourné le dos à l'histoire, pour avoir cru aux promesses de protection de leurs colonisateurs qui les ont pour beaucoup d'entre eux abandonnés à un destin de martyrs. »

« Trahis après avoir "trahi", entre 35 000 et 80 000 harkis et leurs proches ont été assassinés en représailles, une fois la paix signée. »

« Longtemps cantonnés dans la zone d'ombre de la guerre d'Algérie, ils symbolisent aujourd'hui la mauvaise conscience des deux pays. »

« Avec maîtrise et sobriété, Philippe Faucon contribue à les tirer d'un oubli qui depuis plus de soixante ans arrangeait tout le monde. Un geste politique fort et sec comme la rocaille du djebel. »

Prix Général François Meyer de la Commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis (CNIH).


Entretien avec PHILIPPE FAUCON

« Harki : supplétif algérien de l’armée française, pendant la guerre d’indépendance algérienne (1954‑1962), membre d’une unité appelée harka (mot arabe signifiant : ≪mouvement≫)
Fellagha : nom péjoratif donne par les militaires français aux combattants indépendantistes algériens (littéralement : ≪coupeur de route≫, c’est-à-dire ≪bandit≫)

« Fin des années 50, début des années 60, la guerre d’Algérie se prolonge. Salah, Kaddour et d’autres jeunes Algériens sans ressources rejoignent l’armée française, en tant que harkis.
Á leur tête, le lieutenant Pascal. L’issue du conflit laisse prévoir l’indépendance prochaine de l’Algérie. Le sort des harkis paraît très incertain. Pascal s’oppose à sa hiérarchie pour obtenir le rapatriement en France de tous les hommes de son unité. »

« Plus de quinze ans après La Trahison, vous revenez sur « les événements d’Algérie » pour reprendre l’expression du gouvernement français de l’époque. Quelles raisons personnelles et/ou artistiques ont motivé ce film ?
Je suis né pendant la guerre. Comme beaucoup d’autres de ma génération, nés de parents qui l’ont vécue et en ont été profondément marqués, nous avons hérité de quelque chose qui s’est transmis sans toujours avoir été exprimé. Nous avons ensuite grandi et rencontré d’autres jeunes de nos âges, héritiers eux aussi de quelque chose de très à vif et très antagoniste autour de la mémoire de la guerre, que ce soient les enfants d’anciens harkis ou ceux marqués par les souffrances subies pour la cause de l’indépendance de l’Algérie.

Qu’est-ce que cette période enfouie, plus ou moins volontairement oubliée, peut dire des débats sur « l’immigration et l’intégration » qui traversent aujourd’hui encore le débat public et politique ?
L’histoire de la société française est depuis toujours faite de multiples croisements. Entre autres, elle est liée par la force des choses à celles des gens descendants de parents venus des pays où la France a été présente.
Aujourd’hui, on voit se raviver les discours du repli sur soi et même les mythes d’une France originelle. On en est arrivé à entendre dire que Mohamed n’est pas un prénom français et qu’il faudrait favoriser l’intégration en prénommant nos enfants autrement (comme ça s’est d’ailleurs produit pour la 1ère génération d’enfants de harkis nés en France). C’est bien sûr occulter que Mohamed est de fait un prénom depuis très longtemps entré dans l’histoire de France par le sang versé et participant de la société française par le travail apporté, par les enfants élevés.

Peut-on parler de mensonge d’État de la France vis-à-vis des harkis ?
Je crois malheureusement que le mot peut se justifier, si on fait un relevé des déclarations faites au plus haut niveau de l’État entre 1958 et 1962.

Vous montrez que l’entrainement des harkis était sommaire. Presque une parodie. Un des protagonistes dit bien qu’ils étaient envoyés au premier rang des combats, comme des remparts humains pour les Français de souche.
Disons que pour un nombre important, c’était des fellahs (des paysans), qui du fait de la guerre n’avaient plus de moyens de vivre et qui ont dû apprendre le maniement des armes. Lorsque la mère de Salah lui dit : « Ils envoient nos hommes les premiers, parce qu’ils cherchent à épargner les leurs », il y a sans doute aussi, s’ajoutant à sa perception de la guerre en cours, le souvenir des guerres précédentes de la France. De fait, pour certains cadres de l’armée (et je précise bien : pour certains), les harkis ont sans doute été des soldats dont la perte comptait moins que d’autres. J’ai le souvenir d’une lecture où un officier s’indigne et doit insister parce que, réclamant un moyen d’évacuer des blessés, on lui demande de préciser s’il s’agit de militaires français ou de harkis. On ne veut pas risquer la perte d’un hélicoptère ou d’un équipage pour évacuer des supplétifs.

Comment avez-vous construit le scénario ? Quelles étaient ses ambitions ?
Le scénario est construit autour de cet évènement effectivement porteur d’une tragédie annoncée : on a armé des gens contre d’autres, qu’on a ainsi enfermés dans une situation très risquée pour eux. Puis, quand il s’est avéré que ces gens représentaient, avec leurs familles, un trop grand nombre de personnes à faire venir et installer en France (s’ajoutant à l’exode des Européens d’Algérie), alors on a tenté de restreindre ce nombre.
Mais pour dire les choses aussi dans leur complexité, on ne doit pas occulter que l’une des causes, certainement importante, de l’engagement des harkis côté français (en dehors des raisons de survie, de non-choix ou parfois d’adhésion) a été les violences de certains éléments du F.L.N., qui ont poussé beaucoup d’Algériens à rejoindre les harkas après l’assassinat de proches. Et on ne doit pas non plus occulter que les harkis ont été, pour certains d’entre eux, des instruments parfois zélés de la répression.

Avez-vous fait des recherches ? Recueilli des témoignages de témoins de cette époque ?
Oui. Déjà au moment de l’écriture de La Trahison. Mais évidemment, beaucoup d’écrits, de témoignages, restent marqués passionnellement et idéologiquement, dans les deux camps.

Ce film court sur les trois dernières années du conflit et vous y apportez une chronologie assez précise. Pour quelles raisons ?
Lorsque le film commence, on est en septembre 1959. Les personnages du film intègrent une harka. On les arme.
Le 16 septembre, le général De Gaulle évoque pour la première fois le principe de l’autodétermination. Dans la 2ème partie du film, on est en juin 1960. Des émissaires français rencontrent à Melun des représentants du F.L.N. pour des tentatives de pourparlers. Les supérieurs du lieutenant Pascal l’envoient dans le « bled », pour soustraire ses harkis aux rumeurs qui circulent. Un peu auparavant, De Gaulle a parlé pour la première fois de « l’Algérie algérienne ». Dans la 3ème partie, on est en 1962. Le cessez-le-feu a été signé. Les harkis sont désarmés. Le choix fait trois ans auparavant (contraint, pour certains) se transforme en piège.

Il y a un côté tragédie inéluctable dans votre manière de raconter cette histoire.
Oui. Historiquement, il y a une tragédie qui se met en place, avec ses causes et ses conséquences. Et d’un point de vue de récit et d’écriture, il y a ce qui est propre à la narration cinématographique, ce que fait circuler, parfois secrètement et fortement, telle image que l’on monte en rencontre avec telle autre, ou telle séquence à la suite de telle autre. Je pense que, d’un point de vue formel, quelque chose agit, qui « tend » le film comme un mécanisme, à plusieurs niveaux, par les moyens du montage. Un peu peut-être d’ailleurs comme dans La Désintégration.

Vous faites le choix de refuser tout romanesque. Vous ne dégagez que peu de figures motrices dans la narration, préférant filmer un groupe d’harkis ? Pourquoi ?
C’est une histoire d’hommes pris dans la guerre. Et concernant les harkis, d’hommes pris dans un piège qu’ils sentent se refermer sur eux. Ceux qui les ont côtoyés pendant cette époque les ont souvent décrits comme des « blocs de silence ». Tous existent comme personnages dans le film, mais avec peu de traits, car chacun est dans un repli sur soi. Il y a peu de place pour l’épanchement.

Trois figures structurent le scénario : Salah, qui finira par crier « Vive l’Algérie » ; Pascal, jeune lieutenant français, idéaliste et lucide ; et enfin Krimou, un fellagha devenu harki et envoyé sous couverture dans les rangs de ses anciens amis… comment les avez-vous choisies et construites ?
Ce sont trois figures représentatives. Disons qu’il y en a aussi une 4ème, celle de Kaddour, qui s’enrôle en même temps que Salah, pour des raisons identiques, mais finira, lui, égorgé. Salah et Kaddour se sont engagés sans conviction pro-française très ancrée, par nécessité de survie. Sans l’avoir suffisamment mesuré, ils se retrouvent dans une situation qui les met en porte-à-faux vis-à-vis des populations civiles algériennes, qui les voient maintenant comme les instruments des répressions qu’elles subissent de la part de l’armée française. La nécessité de faire vivre leur famille fait qu’ils anesthésient toute pensée en eux. Comme pour beaucoup d’autres, la prise de conscience est tardive et au terme de leurs itinéraires, Kaddour sera victime de la colère aveugle engendrée par les années d’oppression subies. Salah seul parvient à l’émancipation.
La plupart des personnages du film sont dans une confrontation à eux-mêmes, du fait de la guerre ou du camp qu’ils ont choisi. C’est aussi le cas de Krimou, qui est dans une dualité encore plus particulière, du fait qu’il a parlé sous la torture et que son ralliement au commando a été la seule issue de survie possible après sa trahison. (C’est une situation qui n’était pas rare à l’époque : certains commandos de chasse « musulmans » - dont le fameux « commando Georges » - étaient presque entièrement constitués d’ex‑fellaghas « ralliés », dont certains dans des conditions similaires à celles de Krimou). Par la suite, Krimou doit parler à des villageois, pour les convaincre que les hommes du commando sont des combattants indépendantistes venus du Maroc. De fait, il doit tromper ces gens. Il le fait parce qu’il n’a plus le choix. Comme tous les « ralliés », qu’ils le soient de gré ou de force, pour sa survie, il ne peut désormais que vouloir la victoire de la France. Mais en même temps, pour tromper les villageois, il est amené à utiliser des mots qui sont ceux auxquels il croyait autrefois, mais qu’il a reniés. Plus encore que la plupart des autres hommes du commando, Krimou est dans une situation de véritable schizophrénie.
Pascal, comme presque tous les jeunes Français de sa génération, se retrouve pris au piège de la guerre, dans un pays inconnu. Il vit les évènements à son niveau, les juge avec ses moyens, faisant ce qu’il peut pour ne pas se dissoudre dans un contexte de violence, de confusion, de folie et de tensions très oppressant. Son moment de vérité intervient au paroxysme de la situation dramatique dans laquelle se retrouvent pris les hommes avec qui il a vécu cette période de guerre.

Vous filmez les tortures, répondant à une sorte de vérité historique qui aujourd’hui encore les minore pour ne pas dire les dénie.
Je ne crois pas que l’usage de la torture par l’armée française soit aujourd’hui réellement contesté, à part de façon très résiduelle. Les antagonismes qui ne s’éteignent pas portent plutôt sur le fait que la violence a été pratiquée par les deux camps et que l’on continue à se jeter à la figure des massacres, des exactions, des crimes. Aborder cette époque à l’écran suppose d’aborder une période d’une pratique extrême de la violence. Les questions qui se posent alors sont : vers quelle représentation de cette violence veut-on aller (si on décide de ne pas l’occulter) et pourquoi ? 

Le film s’ouvre sur la tête décapitée d’un harki. Pourquoi choisir cette séquence d’ouverture ?
Je pense que cette séquence permet d’être, avec un effet d’immédiat, dans la violence de la guerre, avec ce qu’elle a de cyclique, comme une spirale d’horreur : il est possible que la violence infligée ici soit une réponse cruelle à d’autres violences subies (l’homme décapité appartenait à un commando que l’on verra précisément torturer). Et cette violence aveugle que l’on inflige à ses parents va en entraîner de nouvelles, par contrecoup : son jeune frère va le remplacer au sein de ce commando.

Le côté acéré (plan fixes, alternance plans larges et gros plans) de la mise en scène confère une véritable tension et nervosité au récit. Renchéri par l’absence de musique. On en revient à cette idée de non romanesque…
Paradoxalement, le plan fixe peut permettre une « mobilité » particulière - en effet génératrice de tension et de nervosité apportées à la séquence -, car il permet de travailler le montage. Ce que permet beaucoup moins le plan en mouvement, car lorsqu’on décide d’un mouvement, ce n’est en principe pas pour couper dedans ensuite. Aujourd’hui, on vit une telle pratique de hachis d’images que ça se fait parfois, mais de mon point de vue, c’est horrible.
Il peut être également intéressant ou justifié de tourner en plans mobiles (je l’ai aussi fait dans le film, par exemple pour la séquence dans la bergerie, quand le commando fait sortir les moutons pour demander aux fellaghas cachés de sortir de leur trou), mais alors il faut que toute la tension et l’énergie du plan soient trouvées et inscrites dès la prise de vue. Ça demande plus de répétitions, plus de temps.
Il n’y a en effet pas de musique à l’intérieur du film, on reste dans l’âpreté du récit et la nudité des images et des sons, suivant un principe d’esthétique propre au film. Les sons et les images peuvent d’ailleurs avoir des beautés qui quelquefois n’en appellent pas d’autres.

Votre manière de filmer en plans fixes les ‘combats’ revêt un côté testimonial quasi documentaire…
Filmer les combats demande de trouver les moyens d’un réalisme qui ne soit pas ceux d’un spectacle de la violence ou d’une déréalisation de la guerre, type jeu vidéo.

Le film rappelle les tractations de l’armée pour limiter le nombre d’arrivées en métropole, obéissant ainsi aux directives du gouvernement de De Gaulle. Vous rappelez l’hypocrisie funeste de ces dossiers de rapatriement que les harkis devaient remplir en français, eux qui pour la plupart ne savaient pas écrire notre langue.
Ce fait est rapporté par exemple par le Général François Meyer dans son livre « Pour l’honneur… avec les harkis ». Il raconte cette raison, qui à l’époque semble ne pas avoir été très mesurée (on ne voudrait pas avancer autre chose), du piège qui s’est refermé sur ces hommes, en grande majorité analphabètes, qui, une fois désarmés, démobilisés et renvoyés dans leurs villages, se sont trouvés en grand nombre dans l’incapacité de répondre par eux-mêmes aux exigences administratives du plan de rapatriement, après avoir été séparés des officiers qui auraient pu les y aider. Le Général Meyer pointe le fait que le commandement ne se soit pas étonné que, pour toute l’Algérie, seulement 1500 dossiers de demandes de rapatriements aient été transmis. Des archives montrent par ailleurs qu’au niveau du gouvernement on évalue, à partir de ce nombre, que les rapatriements ne représenteront pas un volume trop important. Le général François Meyer est l’un de ces quelques officiers (il était alors lieutenant) qui ont choisi de rester jusqu’au bout au contact de leurs hommes, pour accompagner leur embarquement dans le cadre du plan officiel de rapatriement, quand d’autres, doutant de ce plan, ont préféré faire le choix de rapatriements clandestins.

Est-il possible d’aborder cette période sans prendre parti ? Êtes- vous conscient des débats que le film risque de susciter ? Les espérez-vous d’une certaine manière ?
Il ne s’agit pas de ne pas prendre parti, mais de trouver à dire la complexité, d’éviter les simplismes, les manichéismes, d’exprimer le plus possible toutes les vérités. Ce qui n’est pas simple, car les vérités peuvent être multiples et rester en conflit. La Trahison est celui de mes films qui a suscité à sa sortie les débats les plus virulents (plus que La Désintégration, mais ce n’est pas si étonnant, car La Trahison se référait à une tragédie encore proche, qui avait concerné en France des millions de personnes, tandis que La Désintégration évoquait un évènement qui paraissait, à sa sortie, de l’ordre de la pure fiction). Les hommes qui ont vécu la Guerre d’Algérie ont aujourd’hui entre 80 et 90 ans. Je me rappelle que l’un d’eux avait eu cette formule, au moment d’un débat autour de La Trahison : « La page de la Guerre d’Algérie ne doit pas être arrachée, mais il faut trouver à la tourner ».


« Les harkis » de Philippe Faucon
France, Belgique, 2022, 1 h 17
Scénario : Philippe Faucon, Samir Benyala, Yasmina Nini-Faucon
Production : Istiqlal Films, Les Films du Fleuve, ARTE France Cinéma, Nord-Ouest Films, Les Films Pelléas, VOO, BE TV, Barney Production, Tanit Films
Image : Laurent Fénart
Montage : Sophie Mandonnet
Musique : Amine Bouhafa
Avec Théo Cholbi (Lieutenant Pascal), Mohamed Mouffok (Salah), Pierre Lottin (Lieutenant Krawitz), Yannick Choirat (Capitaine), Omar Boulakirba (Si Ahmed)
Sur Arte le 18 juillet 2025 à 23 h 15 
Sur arte.tv du 18/07/2025 au 16/08/2025
Visuels :
Omar Boulakirba (Si Ahmed) et Paul Bartel (un appelé) dans "Les Harkis" (2022) de Philippe Faucon
Pierre Lottin (Lieutenant Krawitz) dans "Les Harkis" (2022) de Philippe Faucon
Mohamed Mouffok (Salah) et Omar Boulakirba (Si Ahmed) dans "Les Harkis" (2022) de Philippe Faucon
Omar Boulakirba (Si Ahmed) (avant-centre) dans "Les Harkis" (2022) de Philippe Faucon
"Les Harkis" (2022) de Philippe Faucon
© Istiqlal Films 


Articles sur ce blog concernant :
Des citations proviennent d'Arte et du dossier de presse du film.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire