Citations

« Le goût de la vérité n’empêche pas la prise de parti. » (Albert Camus)
« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du Soleil. » (René Char).
« Il faut commencer par le commencement, et le commencement de tout est le courage. » (Vladimir Jankélévitch)
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » (Albert Londres)
« Le plus difficile n'est pas de dire ce que l'on voit, mais d'accepter de voir ce que l'on voit. » (Charles Péguy)

dimanche 3 décembre 2023

« Dévoilées » de Jacob Berger

Arte rediffusera le 10 décembre 2023 à 02 h 10 « Dévoilées » (Pour ma conviction ; Für meinen Glauben), téléfilm de Jacob Berger. « Du terrorisme des années 1970 au djihadisme, le destin de trois générations de femmes scellé par un indicible secret de famille. Jacob Berger signe un portrait pluriel, incarné par de grandes comédiennes : Marthe Keller à son meilleur, la délicate Julie Gayet et la très juste Lola Créton. »


« Je n'ai pas voulu voir la révolte djihadiste comme le mal absolu : aussi dangereuse, vaine et malsaine soit-elle, une révolte part souvent d'un idéalisme », disait Jacob Berger au micro de la RTS , lors du tournage de ce téléfilm Dévoilées.

Ce réalisateur partial, comme le montre certaines de ses interviews citées en fin d'article, a expliqué : « On est souvent aveuglé par notre indignation. Ce qui m'intéressait était de montrer le point commun entre ces deux formes de violence: la révolte, le sacrifice, l'idéalisme ».

« Anaïs, étudiante en médecine, vit en Suisse avec sa grand-mère, Isabelle, alors que sa mère, Léa, habite Montréal ». 

« Mais lors d’un banal trajet en train, Isabelle surprend sa petite-fille intégralement voilée ». 

« Sans oser en parler à Anaïs, elle prévient aussitôt Léa. Laquelle saute dans un avion pour tenter de comprendre la conversion de sa fille, en pleine radicalisation ».

« Si Isabelle refuse de confronter Anaïs à sa découverte par crainte de la faire fuir, cette conversion fait resurgir les fantômes de son passé ». 

« Dans un chaos émotionnel, mères et filles se cherchent, entre mensonges, silences et incompréhensions. »

« Au travers du destin de trois générations de femmes scellé par un indicible secret de famille, Jacob Berger met en parallèle les choix d’une grand-mère, autrefois plongée par amour dans le terrorisme propalestinien des années 1970, et ceux de sa petite-fille, basculant dans l’islam radical ». 

« Quels points communs entre la militante amoureuse d’hier et la jeune étudiante extrémiste d’aujourd’hui, encline à s’engager à la vie à la mort ? » Le djihad. « L’histoire est-elle condamnée à se répéter ? » 

« En arpentant les chemins sinueux de la filiation et en explorant les zones d’ombre de ses trois belles protagonistes, le réalisateur signe un vibrant portrait pluriel ».

Ce téléfilm a obtenu "la troisième meilleure audience pour un téléfilm de fiction sur Arte en 2019".

Note de Jacob Berger

« Nous avons tous nos zones d’ombre.
Qu’arriverait-il si, de nos jours, une femme suisse, apparemment sans histoire, sans préjugés particuliers, croisait, par hasard, sa petite-fille, entièrement voilée, en stricte tenue islamique ? Que penserait-elle ? Comment réagirait-elle ? Qu’en déduirait-elle ?
En 1982, j’avais 17 ans. L’un de mes meilleurs amis était le fils du représentant de l’OLP à Genève. Cet été-là, cet ami m’avait proposé de passer les vacances avec lui, à Beyrouth, auprès de sa famille et d’autres Palestiniens. J’ai longuement hésité. Finalement, je ne suis pas parti. 
Si j’avais accompagné mon ami à Beyrouth, j’aurais, comme lui et des milliers d’autres, été confronté à l’intervention militaire israélienne au Liban, “Paix en Galilée”. 20'000 personnes sont mortes durant cette opération. L’OLP et tous ses membres survivants ont dû s’exiler à Tunis. Mon destin aurait basculé. [Ndlr : La guerre "Paix en Galilée" a été "déclenchée par Israël contre les terroristes palestiniens basés au Sud-Liban le 6 juin 1982, suite à la tentative d’assassinat de l’Ambassadeur d’Israël en Grande-Bretagne, Shlomo Argov, par une cellule terroriste. L’objectif affiché de l’opération était de mettre les communautés du nord d’Israël hors de portée des terroristes du Sud-Liban en repoussant ces derniers à 40 km plus au nord. La guerre qui dura près de 3 mois vit les forces israéliennes atteindre Beyrouth"]
L’histoire aussi a ses zones d’ombre.
Qu’arriverait-il si une jeune femme suisse, dans les années ’70, amoureuse d’un Palestinien, s’impliquait tant et si bien dans le combat de son amant qu’elle en deviendrait sa complice ? Qu’arriverait-il si, sans même le vouloir, elle devenait elle-même une “terroriste” ?
Dans nos sociétés, on estime à environ 5% la proportion d’individus dont le père n’est pas le père.
Toutes les familles ont leurs zones d’ombre.
Qu’arriverait-il si une femme, mariée à un honorable médecin suisse, tombait secrètement amoureuse d’un autre homme, d’un militant, d’un exilé, d’un aventurier et se retrouvait enceinte, sans savoir lequel des deux est le père de son enfant ?
Le 21 février 1970, neuf minutes après son décollage, une bombe explosait à bord d’un Convair CV-990 Coronado reliant Zurich à Tel-Aviv, et endommageait irrémédiablement l’appareil. Quelques instants plus tard, le vol Swissair 330 s’écrasait dans une forêt à proximité de Würenlingen, faisant 47 victimes. Personne n’a su ce qui était réellement advenu et pourquoi cet attentat avait eu lieu.
Même le destin a ses zones d’ombre.
Des années plus tard, une enquête a révélé que la bombe avait été déposée par des militants du Front de Libération Populaire de la Palestine (FPLP) mais qu’elle était destinée à un avion de la compagnie israélienne El Al.
Lorsqu’elle avait 19 ans, une de mes nièces a envisagé de se convertir à l’islam. Ses deux meilleures amies, au Collège, étaient musulmanes.
Ma nièce était révoltée par les guerres menées par l’Occident en Irak, en Afghanistan, au Pakistan, etc. et par notre complaisance vis-à-vis du colonialisme israélien. Pour ma nièce et ses amies, l’islam incarnait une forme de résistance à notre société de consommation, au cynisme des puissants et à la marchandisation des individus. Je n’étais pas d’accord avec elle, mais mes arguments n’avaient pas grand poids.
Elle était idéaliste. J’étais résigné. Elle voulait faire quelque chose.
Je ne faisais rien. Plus j’essayais de la convaincre, moins elle me trouvait crédible.
Nous avons tous nos zones d’ombre.
Ma nièce ne s’est jamais convertie. D’autres, si. 
En novembre 2017, je lisais dans Le Parisien : « Dix personnes, qui tenaient des propos islamistes « inquiétants » sur les réseaux sociaux, ont été arrêtées hier en France et en Suisse. Une opération d’envergure coordonnée par la sous-direction antiterroriste de la Direction centrale de la police judiciaire, en lien avec l’arrestation à Vitry-sur-Seine, le 20 juin dernier d’un mineur de 13 ans soupçonné par les services du renseignement intérieur d’avoir projeté une attaque imminente au couteau en France. Ce qui en fait aujourd’hui le plus jeune mis en examen en France dans un dossier de terrorisme. Les suspects, neuf hommes et une femme, âgés de 18 à 65 ans, sont pour certains des convertis. Parmi eux figurent notamment deux frères de 27 et 28 ans interpellés dans les Alpes-Maritimes et suivis pour radicalisation, ainsi qu’une Colombienne de 23 ans, arrêtée en Suisse. Le ministère public de la Confédération helvétique a déclaré dans un communiqué qu’il allait « demander le placement en détention préventive » de celle que l’on présente comme la compagne du personnage central du dossier, un imam suisse de 28 ans, interpellé hier à la frontière avec la France. »
En 1913, dans Totem et Tabou, Freud écrivait : « Nous postulons l’existence d’une âme collective et la possibilité qu’un sentiment se transmettrait de génération en génération se rattachant à une faute dont les hommes n’ont plus conscience ni le moindre souvenir. »
Nous avons tous nos secrets.
Et si une jeune femme revivait, en 2018, la même situation que sa grand-mère avait vécue, 48 ans plus tôt, bien qu’elle n’en ait jamais entendu parler ?
Dévoilées raconte toutes ces histoires, entremêlées : l’identité cachée, la lutte politique, les secrets de famille, le terrorisme, l’islam, la transmission
inconsciente. Et c’est aussi un thriller autour de la question de la radicalisation.
En tant que réalisateur, je me suis fixé deux objectifs, très simples : que mes images soient crédibles et réalistes et que mes acteurs soient aussi authentiques que complexes.
Avec chaque actrice, nous avons travaillé “sa” façon d’être “ juste” : Marthe Keller en “déconstruisant” son jeu, en y introduisant accidents, glissements, répétitions, sauts en avant, fulgurances, comme une musicienne de jazz ; Julie Gayet en privilégiant les premières prises, toutes en spontanéité et en intensité émotionnelle ; Lola Créton en érigeant autour de son personnage un mur de certitudes, de convictions, de foi absolue, de fanatisme, puis en perçant ce mur de larmes, de vulnérabilité et de révolte.
Ma grande peur était de travestir l’islam, même radical. Noémie Kocher, la scénariste, a mené d’importantes recherches auprès d’anciens djihadistes, d’anciens infiltrés et d’enquêteurs, pour éviter les pièges de la caricature. Mais nous avons aussi découvert que de nombreux djihadistes ou apprentis djihadistes ne connaissent eux-mêmes pas grand-chose à l’islam et se satisfont de stéréotypes, découverts sur internet !
Mon autre crainte était de juger mes personnages. Pour moi, chaque personnage a raison, en tout cas à ses propres yeux. Même le pire des criminels a une justification, à laquelle il s’agrippe, avec toute la ferveur du monde.
Nous avons tous des zones d’ombre. »

Entretien avec le réalisateur Jacob Berger

« Cinéaste, documentariste et journaliste depuis les années 1990, Jacob Berger a notamment réalisé Aime ton père, 1 journée et plus récemment Un Juif pour l’exemple. Il revient ici sur Dévoilées, sa dernière fiction mettant en scène trois générations de femmes aux prises avec le terrorisme ».

« Pour quelles raisons le personnage d’Anaïs se radicalise-t-elle ?
Ce sont souvent les circonstances de la vie, des rencontres, des amitiés, qui provoquent un basculement. Anaïs est dans une situation un peu particulière : c’est une jeune fille très sensible, en conflit avec sa mère qui réside loin d’elle, au Canada, avec son second mari et leur jeune fils. Elle vit seule chez sa grand-mère. Son père médecin est, quant à lui, totalement absorbé par son travail. Sa plus proche amie est musulmane, mais cette dernière va prendre ses distances avec Anaïs lorsqu’elle la voit adopter des positions extrémistes. Elle est plutôt isolée… En fait, tout peut aller très vite dans le coeur et l’esprit d’un jeune, qui ne veut pas se contenter de s’indigner devant l’hypocrisie du monde, mais brûle d’agir. 

Vous avez réalisé Aime ton père avec Gérard et Guillaume Depardieu en 2002 ; ce thème de la filiation, que l’on retrouve dans Dévoilées, vous intéresse-t-il plus particulièrement ?
Disons plutôt que j’ai toujours voulu explorer ce territoire troublant où les êtres sont en contradiction avec eux-mêmes, avec ce qu’ils professent. J’ai grandi dans une famille très politisée, mon père était un écrivain marxiste renommé (John Berger, ndlr), ma mère était une intellectuelle marxiste également, et je les ai vus se débattre dans leurs contradictions et leurs postures. J’ai été séduit par le scénario de Noémie Kocher, car je suis intéressé par les paradoxes de personnages comme Isabelle, jouée par Marthe Keller. C’est une femme incroyablement déterminée, forte, généreuse et aimante, mais elle choisit d’être dans le mensonge le plus total par rapport à son passé. Je voulais parler de la transmission inconsciente des secrets d’une génération à une autre, de ces choses tues qui influencent le destin des descendants.

Parlez-nous de vos trois comédiennes.
J’ai été marqué par Marthe Keller dans Black Sunday (en 1977, ndlr) de John Frankenheimer, où elle joue une terroriste. Surtout, Marthe envisage les projets de films comme des expériences. Elle aime tenter des choses sur un tournage et a fait sienne ma proposition concernant sa parole : je ne voulais pas qu’elle coule, qu’elle soit lisse, mais heurtée, contradictoire, qu’elle se cherche, qu’elle trébuche. J’ai travaillé différemment avec Julie Gayet, en étant davantage dans la spontanéité et l’émotion. Quant à Lola Créton, elle est arrivée dès le casting avec quelque chose de très puissant, de déjà construit, en somme tout l’inverse de ce que je voulais faire avec Marthe. Lola est allée puiser dans une forme de rébellion adolescente, dans son jusqu’au-boutisme ainsi que dans sa sensualité, puis a mis tout cela au service de son personnage, sans jugement ».


« Dans le téléfilm Dévoilées, Jacob Berger explore, au travers d’un drame de société, la complexité des relations mère-fille. Trois générations de femmes incarnées par un formidable trio de comédiennes. Par Marie Gérard.

Marthe Keller (Isabelle)
Elle interprète Isabelle, femme indépendante et déterminée, qui vit avec sa petite-fille étudiante, Anaïs, dont elle découvre la conversion à l’islam le plus radical. L’actrice suisse, repérée en France grâce à la série La demoiselle d’Avignon en 1972, prête à son personnage sa beauté altière et son regard aussi direct qu’insondable. Car Isabelle cache un lourd secret, s’inscrivant dans la part de mystère de la comédienne, qui n’a cessé de se réinventer, de sa carrière hollywoodienne (Marathon Man, Bobby Deerfield, ou encore Fedora de Billy Wilder) à ses rôles récents (Amnesia de Barbet Schroeder en 2015). Acclamée pour ses mises en scène d’opéras, cette star populaire et sans frontières n’a pas craint de brouiller son image pour incarner une vieille bourgeoise acariâtre dans The Romanoffs, la nouvelle série de Matthew Weiner (Mad Men). Aux côtés de Jérémie Renier dans L’ordre des médecins de David Roux, la grande Marthe revient à l’affiche le 6 mars dans On ment toujours à ceux qu’on aime de Sandrine Dumas.

Julie Gayet (Léa)
Divorcée du père d’Anaïs, médecin comme l’était le sien, décédé avant sa naissance, Léa a refait sa vie au Canada. À cette femme dynamique et parfois impulsive, Julie Gayet confère une émotivité contenue dans les moments de crise : face à sa fille radicalisée, qui la rejette, ou face à sa mère, dont le passé lui est brutalement révélé. Après un joli rôle chez Agnès Varda en 1995 (Les cent et une nuits de Simon Cinéma), l’actrice s’impose l’année suivante avec la comédie Delphine : 1, Yvan : 0 de Dominique Farrugia, et obtient le prix Romy Schneider pour Sélect Hotel de Laurent Bouhnik. Épatante dans 8 fois debout de Xabi Molia, qu’elle a également produit avec sa société Rouge International, ou dans Quai d’Orsay de Bertrand Tavernier, Julie Gayet se montre aussi hilarante dans la série Dix pour cent que bouleversante dans la fiction Marion, 13 ans pour toujours. Elle est actuellement au Théâtre des Bouffes-Parisiens avec Rabbit Hole jusqu’au 31 mars.

Lola Créton (Anaïs)
À 25 ans, la brune Lola Créton interprète Anaïs avec une intensité fiévreuse, récompensée au Festival de la fiction TV de La Rochelle. En étudiante secrète et sensible, dont la révolte exaltée trouve son expression dans une pratique dévoyée de l’islam, la jeune actrice tient la dragée haute à ses deux aînées. Choisie par Catherine Breillat pour son téléfilm Barbe bleue (2009), elle irradie en adolescente amoureuse dans En ville de Valérie Mréjen et Un amour de jeunesse de Mia Hansen-Løve (2011). Très remarquée aussi dans Après mai d’Olivier Assayas l’année suivante, la lumineuse Suzanne de Corniche Kennedy de Dominique Cabrera s’est récemment aventurée dans l’univers fantasmé de Bertrand Mandico avec le film court Ultra pulpe (2018). Une incandescente présence à suivre. »
L'actrice a été distinguée par le Prix du jeune espoir féminin de L'ADAMI au Festival de la fiction TV de La Rochelle 2018 pour son rôle dans Dévoilées.


« Dévoilées » de Jacob Berger
Suisse, Vega Production, RTS Radio Television Suisse, 2018, 96 min
Scénario : Noémie Kocher, Jacob Berger
Production : Vega Production SA, RTS, SRG SSR, ARTE
Producteurs : Ruth Waldburger, Jean-Marie Gindraux
Image : Felix von Muralt
Montage : Véronique Rotelli
Musique : Julien Painot
Avec Marthe Keller (Isabelle), Julie Gayet (Léa), Lola Créton (Anaïs), Cléa Eden (Isabelle jeune), Bruno Todeschini (le père de Léa), Yann Philipona (Glassey jeune), Pierre Banderet (Glassey), Lyes Salem (Djibril)
Décors de film : Rekha Musale
Chargés de programme : Eric Morfaux, Sven Wälti
Son : Jürg Lempen, Maxence Ciekawy, François Musy, Renaud Musy
Sur Arte les 19 février 2021 à 20 h 55, 25 février 2021 à 0 h 55 et 1er avril 2021 à 1 h 40, 10 décembre 2023 à 02 h 10 
Disponible du 12/02/2021 au 20/03/2021, du 02/12/2023 au 14/12/2023
Visuels :
Anaïs (Lola Créton)
Anaïs (Lola Créton, li.), Großmutter Isabelle (Marthe Keller, Mi.) und Mutter Léa (Julie Gayet, re.)
Anaïs (Lola Créton, li.), Großmutter Isabelle (Marthe Keller, Mi.) 
© Vegafilm

Les citations sur le film sont extraites d'Arte et du dossier de presse suisse. Cet article a été publié le 17 février 2021.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire