Citations

« Le goût de la vérité n’empêche pas la prise de parti. » (Albert Camus)
« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du Soleil. » (René Char).
« Il faut commencer par le commencement, et le commencement de tout est le courage. » (Vladimir Jankélévitch)
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » (Albert Londres)
« Le plus difficile n'est pas de dire ce que l'on voit, mais d'accepter de voir ce que l'on voit. » (Charles Péguy)

lundi 30 juillet 2018

« Europa Europa » par Agnieszka Holland


Arte diffusera le 1er août 2018 « Europa Europa » (Hitlerjunge Salomon) par Agnieszka Holland. « Comment un jeune Juif a survécu à la guerre en endossant tour à tour l’uniforme russe, puis nazi... Une saga mise en scène avec brio par Agnieszka Holland et produite par Artur Brauner, figure du cinéma européen du XXIe siècle. »


« Allemagne, 1938. Après la terrible Nuit de cristal, au cours de laquelle leur fille a trouvé la mort, la famille Perel décide de retourner vivre à Lodz, d'où le père est originaire. Lorsque les troupes allemandes envahissent la Pologne, les deux jeunes fils, Isaak, et Salomon, 13 ans, sont envoyés par leurs parents vers l'Est. Séparé de son frère au cours du voyage, Salomon est recueilli dans un orphelinat russe, où il apprend à devenir un patriote soviétique. Mais lorsqu'en juin 1941 Hitler rompt le pacte conclu avec Staline, l'orphelinat est pris d'assaut, et Salomon est capturé par la Wehrmacht. Refusant le sort réservé aux Juifs et aux communistes, immédiatement passés par les armes, Salomon se fait passer pour un Allemand de souche, retenu prisonnier en Russie. Vite repéré pour sa maîtrise du russe et du polonais, il devient la mascotte de son régiment. Devenu Joseph Peters, après un fait d'arme involontaire au front, il est choisi pour intégrer l'Institut des jeunesses hitlériennes, une école d'élite réservée aux futurs cadres du régime nazi… »

Inspiré de l'autobiographie de Salomon Perel, devenu Sally Perel en Israël, où il fit son aliyah à la fin de la Deuxième Guerre mondiale et combattit lors de la Guerre d'Indépendance, Agnieszka Holland (Sacrifice) "met en scène avec brio son odyssée dans l'Europe ravagée ». 

« Accueilli avec enthousiasme à sa sortie dans de nombreux pays, le film a été au centre d'une vive controverse, notamment à cause de l'image négative qu'il renvoie des Allemands, tous ou presque présentés comme des êtres mauvais et cruels. Une illustration, pour la cinéaste polonaise, des difficultés de l'Allemagne, à l'époque, à assumer son tragique passé ».

En 1991, le film a été sélectionné pour l’Oscar du Meilleur scénario adapté. Curieusement, l'Allemagne ne l'a pas proposé pour concourir dans la catégorie du Meilleur film étranger, alors qu'il était un succès commercial en Allemagne et aux Etats-Unis. Ce qui a dépité son producteur Artur Brauner, rescapé de la Shoah.

Arte le diffuse dans le cadre d’une soirée en hommage au producteur allemand juif Artur Brauner.


« Europa Europa  » par Agnieszka Holland
Allemagne, France, Pologne, 1990
Image : Jacek Petrycki
Montage : Ewa Smal, Isabel Lorente
Musique : Zbigniew Preisner
Production : Central Cinema Company Film, Les Films du Losange
Producteur/-trice : Artur Brauner, Margaret Ménégoz
Scénario : Agnieszka Holland
Acteurs : Marco Hofschneider, Marta Sandrowicz, René Hofschneider, André Wilms, Hanns Zischler, Julie Delpy
Auteur : Sally Perel
Sur Arte le 1er août 2018

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Les citations proviennent d'Arte.

mercredi 25 juillet 2018

James Nachtwey, photoreporter


James Nachtwey est un photoreporter engagé américain né en 1948. La qualité artistique - composition soignée, contrastes accentués noir/blanc… - de ses œuvres lui a valu de nombreuses distinctions, une célébrité mondiale et des expositions Pourtant, ses clichés n’expliquent guère l’événement saisi, révèlent ses partis pris et véhiculent la propagande anti-israélienne. La Maison européenne de la photographie (MEP) présente la rétrospective « Memoria, photographies de James Nachtwey ». 

« War Story, 1995-1996 » de Mikael Levin

« J’ai voulu devenir photographe pour saisir la guerre. Mais j’étais poussé par le sentiment inhérent qu’une image qui dévoilerait sans détour le vrai visage d’un conflit se trouverait être, par définition, une photographie anti-guerre », a déclaré James Nachtwey, photoreporter.

Et d’ajouter : « J’ai été un témoin. Un témoin de ces gens à qui l’on a tout pris - leurs maisons, leurs familles, leurs bras et leurs jambes, et jusqu’au discernement. Et pourtant, une chose ne leur avait été soustraite, la dignité, cet élément irréductible de l’être humain. Ces images en sont mon témoignage. ».


Maître du noir et blanc, dont il accentue souvent les contrastes, et des couleurs dont il sature les rouges vifs ou oranger, les bleus du ciel, unanimement loué, souvent primé, James Nachtwey a parcouru le monde pour couvrir des conflits. Mais qu’en a-t-il compris ? Les rend-il compréhensibles ou entend-il seulement jouer sur l’émotion ? Il ne « documente » pas un conflit, une famine. Il se place sur le registre de la « compassion ». La sienne, partiale, qu’il entend faire partager, imposer comme seule réalité.


C’est un photographe engagé, mais de quels côtés ? Et pourquoi ? Au Proche-Orient, il a choisi son camp : celui des anti-Israéliens. Sa célébrité aurait-elle été si grande sans ses clichés héroïsant les jeunes « Palestiniens » en « David-lançant-des-pierres-contre-le-Goliat-soldat-israélien ». Les victimes israéliennes amputées, handicapées, des attentats terroristes islamistes « palestiniens » ? Il les ignore.

BnF et film
2002. Quelques années après le déclenchement de l'Intifada II par Yasser Arafat, le photographe James Nachtwey était au centre d’une actualité culturelle en France. Dans l’exposition « L’œil témoin », la prestigieuse Bibliothèque nationale de France (BnF) présentait les clichés dont il lui avait fait don. Documentaire de Christian Frei (2001) « War photographer » était diffusé sur Arte puis dans les salles de cinéma.

Dans l’exposition « L’œil témoin », les photographies de James Nachtwey illustrait le stéréotype du jeune Palestinien luttant sans arme contre les soldats israéliens, et ne montraient aucun Israélien. S’il photographiait les enfants roumains, il ne s’était pas intéressé aux enfants israéliens, mutilés par le terrorisme islamiste palestinien. Il a sélectionné son camp. C’est son droit. Mais les visiteurs ne semblaient pas avoir saisi sa partialité.

Selon un adage maintes fois répété, un dessin ou une photo, par leur puissante concision, remplacent avantageusement le meilleur éditorial. Cette exposition contredisait cette assertion. Si ces photos étaient celles de « l’œil témoin », on aurait aimé voir aussi celles de l’autre œil. Foin d’ironie.

La raison de cette double désinformation réside peut-être dans l’appareil : sa mise au point, la distance et l’objectif. Mais comme l’ont confié les photographes que j’ai interviewés : ce n’est pas l’appareil qui importe, c’est celui qui photographie...

Avec James Nachtwey, le lanceur de pierre via une fronde est un double cliché, dans la mesure où la propagande palestinienne a retourné contre l’Etat juif ses hauts faits, ses caractéristiques, ses mots et maux. Le Palestinien lanceur de pierres contre un soldat israélien invisible reproduit le cliché David contre Goliath. Mais dans l'affrontement existentiel né du refus par le monde arabe ou/et musulman de l'Etat Juif, qui est David et qui est Goliath ? La perception du conflit dépend aussi de l'échelle de la carte que l'on choisit.

James Nachtwey fixe le mythe palestinien et fournit des images d’Epinal propres à conforter les stéréotypes imaginés, construits et diffusés par la propagande palestinienne, dans le cadre fixé par l'Autorité palestinienne (AP). Mais ce cadre du travail des photographes, James Nachtwey et les autres commissaires de l'exposition l'éludaient. En août 2002, le Syndicat des journalistes palestiniens "a interdit absolument", à peine de sanctions disciplinaires, aux photoreporters de photographier ou filmer des enfants portant des armes car ces images desservent leur cause.

Ce cliché de James Nachtwey correspond à l'allégation de la propagande palestinienne, reprise par des diplomaties occidentales, que l'Intifada II aurait été un soulèvement populaire spontané causé par l'arrivée d'Ariel Sharon sur le mont du Temple ("Esplanade des mosquées") avec l'autorisation du WAQF. Or, cette guerre d'attrition a été planifiée par Yasser Arafat. Dès 2001, le ministre des Communications de l'Autorité palestinienne 'Imad Al-Faluji a déclaré au Liban : "Whoever thinks that the Intifada broke out because of the despised Sharon's visit to the Al-Aqsa Mosque, is wrong, even if this visit was the straw that broke the back of the Palestinian people. This Intifada was planned in advance, ever since President Arafat's return from the Camp David negotiations, where he turned the table upside down on President Clinton. [Arafat] remained steadfast and challenged [Clinton]. He rejected the American terms and he did it in the heart of the US." (Al-Safir, 3 mars 2001, traduction de MEMRI) Et le 16 décembre 2012, sur Dubaï TV, Souha Arafat, veuve de Yasser Arafat, a déclaré : "Yasser Arafat a pris la décision de lancer l’Intifada. Immédiatement après l’échec [des négociations] de Camp David, je l’ai rencontré à Paris à son retour, en juillet 2001 [sic]. Camp David a échoué, m’a-t-il dit: « Tu dois rester à Paris ». Je lui ai demandé pourquoi, et il m’a dit: « Parce que je vais déclencher une Intifada. Ils veulent que je trahisse la cause palestinienne. Ils veulent me faire renoncer à nos principes, et je ne le ferai pas. Je ne veux pas que les amis de Zahwa disent à l’avenir que Yasser Arafat a abandonné la cause et les principes palestiniens. Peut-être serai-je un martyr, mais je dois léguer notre patrimoine historique à Zahwa et aux enfants de Palestine. »

Quid des Palestiniens torturés pour une prétendue collaboration avec "l'entité sioniste" ou pour leur opposition à Yasser Arafat ? Quid des femmes victimes de crimes "dits d'honneur" ? Quid des villas somptueuses des millionnaires enrichis par la corruption de l'AP ? Quid des deux soldats israéliens Yossi Avrahami et Vadim Nurzhitz qui, égarés près de Ramallah, ont été torturésassassinés, mutilés, par des Palestiniens ? Photographe du Sunday Telegraph, Mark Sieger, alors âgé de 29 ans, a assisté à cette scène barbare :  « J’ai reçu un coup de poing en pleine figure et un Palestinien m’a averti : “Ne pas photographier”. Ensuite, plusieurs autres Palestiniens m’ont agressé, m’ont confisqué mes films et une partie de mon matériel. J’ai photographié beaucoup de scènes de violences à travers le monde, notamment au Congo et au Kosovo, mais c’est ce que j’ai vu de pire dans ma vie. J’ai couru, j’ai couru, pour m’échapper, car j’ai senti qu’ils reportaient leur rage contre moi ». Depuis leur arrestation et leur détention dans les prisons israéliennes, l'Autorité palestinienne a alloué généreusement à chaque assassin - Habbes Bayyoud, Muhammad Nawarah, Jawad Abu Qara - le salaire prévu par la loi palestinienne. Leurs salaires, calculés par Palestinian Media Watch à juin 2018, a atteint le montant total de 2 023 600 shekels (583 606 dollars).

Dans le Livre d’or de l'exposition, des visiteurs avaient écrit : « Il souffre pour nous ». Une opinion quelque peu christique. D’autres lui exprimaient leur gratitude pour cette souffrance « par procuration » et son courage sur des lieux dangereux. Mais à l’époque, où était le danger : photographier les djihadistes palestiniens ? Se déplacer en bus, déjeuner dans une pizzeria ou parcourir les allées d’un centre commercial en Israël où plusieurs fois par semaine, parfois plusieurs fois par jour, survenait un attentat terroriste islamiste palestinien ? James Nachtwey eût-il voulu photographier les enfants palestiniens lors de leur entrainement para-militaire ou lorsque leur mère leur ceinturait la taille d'une ceinture explosive, aurait-il reçu l'autorisation de l'Autorité palestinienne (AP) ? Les visiteurs avaient-ils compris que les Israéliens existent, qu’ils souffrent et qu’ils sont victimes d’une guerre existentielle imposée ?

A la suite de l’attentat terroriste palestinien du Seder de Pessah (Pâque juive) dans un hôtel de Netanya, Israël a lancé l’opération militaire « Rempart » (avril-mai 2002) afin d’éradiquer l’infrastructure des groupes terroristes palestiniens. Relayant la propagande palestinienne, des médias ont allégué des "massacres", voire un "génocide à Jenine", le « siège de l’Eglise de la Nativité par Tsahal » et couvert l’occupation de l’Eglise de la Nativité par des terroristes palestiniens. James Nachtwey a insisté sur les destructions à Jenine sans montrer qu'elles étaient limitées et correspondaient à des lieux de combats avec des terroristes palestiniens. 

Documentaire réalisé et produit par Christian Frei (2001, 1 h 36), « War photographer » a été tourné au au Kosovo, à Djakarta, à Ramallah... Il retrace le travail de James Nachtwey, ses motivations, ses peurs et sa vie au quotidien en tant que photographe de guerre. Il a été nominé aux Oscars 2002 dans la catégorie « meilleur documentaire ».

Dan David Prize
En 2003, dans la catégorie Dimension Présent - Presse écrite, Médias audiovisuels (Present - Print & Electronic Media), le Dan David Prize a été décerné à James Nachtwey et au documentariste Frederick Wiseman.
      
On peine à comprendre que ce Prix doté d’un million de dollars ait distingué un photographe si partial.

Les raisons avancées par le jury ? C’est un « journaliste-photographe qui a voué sa vie à couvrir les événements apocalyptiques de notre siècle: guerre, famine, exclusion et violents conflits sociaux dans le monde entier. A travers les yeux d'un artiste et avec l'instinct d'un journaliste, il a produit des images difficilement soutenables, mais impossibles à ignorer. Il réside aujourd'hui à New York ». Et d’expliciter : « James Nachtwey is no ordinary photojournalist. He has dedicated his life to documenting the apocalyptic events of our time: war, famine, man's inhumanity to man, the plight of the disenfranchised all over the world. With the eye of an artist and the instincts of a journalist, he creates images that are both appalling and profound. His photographs may not be easy to look at but they are impossible to ignore. This is Nachtwey's goal: to burden viewers with such an uncomfortable awareness that it will force them to seek justice and change. He says, "I have been a witness, and these pictures are my testimony. The events I have recorded should not be forgotten and must not be repeated." His photographs on AIDS in Africa were published in Time magazine and were shown in the U.S. Congress; they helped lead to legislation requiring drug companies to provide cheaper generic drugs to fight the disease. James Nachtwey's work is astonishing in its diversity, its beauty and in the electrical charge of Nachtwey's commitment to making incredible images even in the face of tremendous personal danger. He is an inspiration not only to photojournalists but to people everywhere. James Nachtwey grew up in Massachusetts and graduated cum laude from Dartmouth College, where he studied art history and political science. Images from the Vietnam war and the American Civil Rights movement had a powerful effect on him and were instrumental in his decision to become a photographer. Nachtwey has devoted himself to documenting wars, conflicts, and critical social issues. He has worked on extensive photographic essays in El Salvador, Nicaragua, Guatemala, Lebanon, the West Bank and Gaza, Israel, Indonesia, Thailand, India, Sri Lanka, Afghanistan, the Philippines, South Korea, Somalia, Sudan, Rwanda, South Africa, Russia, Bosnia, Chechnya, Kosovo, Romania, Brazil, and the United States. James Nachtwey has been a contract photographer with Time magazine since 1984. He has received numerous honors and awards. He is a fellow of the Royal Photographic Society and has an Honorary Doctorate of Fine Arts from the Massachusetts College of Art. »

MEP

James Nachtwey, « dont la carrière est jalonnée par de nombreux prix et récompenses dans des domaines variés, est mondialement reconnu comme l’héritier de Robert Capa  ». Il n’en a pas la stature, le regard humaniste et la variété de genres abordés. Robert Capa luttait par ses photographies contre le fascisme et espérait que la victoire des Républicains espagnols amènerait la chute du fascisme et du nazisme. James Nachtwey semble ignorer que c'est le même terrorisme qui assassine en Israël, aux Etats-Unis et en Europe.

« Sa force morale et ses engagements sociaux et civils l’ont mené à consacrer sa vie entière à la photographie documentaire. Il saisit les conditions les plus extrêmes de la vie humaine - qui ne prennent que trop souvent les formes d’un enfer terrestre - se faisant ainsi le témoin épique de la cruauté de la guerre ».

« Il n’a de cesse de photographier la douleur, l’injustice, la violence et la mort. Mais pour que jamais ne soient oubliées la souffrance et la solitude humaines, il crée des images d’une beauté vertigineuse, impeccablement cadrées et éclairées, et aux effets quasi cinématographiques. L’extraordinaire beauté et l’infinie tendresse qui en émanent sont autant de moyens de lutter et de résister ».

« Dans une posture toujours de compassion, il saisit des scènes et des contextes variés : en Bosnie, à Mostar, où un tireur d’élite vise à travers une fenêtre, la famine au Darfour, les malades de la tuberculose ou bien encore les terribles effets de l’agent orange au Vietnam. »

« Parmi ses images les plus emblématiques, on pense immédiatement à celle qui représente un jeune garçon rwandais, survivant d’un camp de concentration hutu, le visage balafré. Viennent également en tête les photographies de la deuxième Intifada en Cisjordanie, où Nachtwey était alors en première ligne ». Eh oui, James Nachtwey a beaucoup contribué aux stéréotypes anti-israéliens. Sa photographie ci-jointe est ainsi légendée : « Manifestants jetant des cocktails Molotov lors des heurts opposant l’armée israélienne à la population palestinienne locale. » Où sont les banderoles des manifestants ? Où sont leurs flyers ? Quelles sont leurs revendications ? James Nachtwey ne livre aucune information sur le contexte. Quid de l'enseignement de la haine des Juifs dans les manuels scolaires "palestiniens" ? Quid de l'incitation à la haine par l'Autorité palestinienne ?

Il « dépeint la guerre depuis 40 ans, montrant sans détour le sort des populations qui en font la terrible expérience. Comme le 11 septembre 2001, lorsque la guerre l’atteignit “chez lui”, sur le sol américain, lors de l’attentat des tours jumelles, suivi par la guerre en Irak et en Afghanistan. Les images de James Nachtwey révèlent une humanité mutilée par la violence, dévastée par les maladies et la faim, une humanité qui, par nature, semble se fourvoyer ». Pourquoi la MEP ne qualifie-t-elle pas cet attentat du 11 septembre 2001 d’attentat terroriste islamiste ? 

Cette exposition « est la plus grande rétrospective jamais dédiée au travail du photographe. À travers son regard personnel, elle propose une remarquable réflexion sur le thème de la guerre, dont la portée est nécessairement collective. »

Cette rétrospective se déroule en « dix-sept sections différentes, formant un ensemble de près de deux cents photographies » et offrant « un vaste panorama des reportages les plus significatifs de James Nachtwey : Le Salvador, les Territoires palestiniens, l’Indonésie, le Japon, la Roumanie, la Somalie, le Soudan, le Rwanda, l’Irak, l’Afghanistan, le Népal, les États-Unis avec entre autres un témoignage singulier des attentats du 11 septembre, ainsi que de nombreux autres pays ». Ce communiqué de la MEP s’avère partial : qu’appelle-t-il « territoires palestiniens » ? Les « territoires disputés » ?

« L’exposition s’achève sur un reportage traitant de l’immigration en Europe, aujourd’hui plus que jamais d’actualité ».

Elle « rassemble ainsi les photographies de celui que l’on peut considérer comme le photoreporter le plus prolifique de ces dernières décennies, un observateur exceptionnel de notre monde contemporain et probablement l’un de ses témoins les plus clairvoyants ». Oh, non !

Les commissaires de l’exposition, conçue et produite par Contrasto, sont Laurie Hurwitz, Roberto Koch et James Nachtwey.

« JAMES NACHTWEY, LE DEVOIR DE MÉMOIRE »
Par Roberto Koch, co-commissaire de la rétrospective à la MEP

« La mémoire est la chose la plus essentielle que nous ayons pour imaginer le futur et prévenir des erreurs du passé. À travers ses photographies et ses paroles, James Nachtwey nous rappelle ainsi que si nous sommes incapables de nous souvenir du passé, nous serons condamnés à sa perpétuelle répétition.

Depuis près de quarante ans, James Nachtwey photographie la douleur, l’injustice, la violence et la mort. Cette mort si particulière qui ne connaît ni la plénitude de la vieillesse ni la chaleur des êtres chers, mais qui a les yeux d’un enfant, les mains émaciées d’une femme ou le visage d’un homme que la pauvreté a ravagé.

Ce qui le fait tenir, coûte que coûte, au sein de cette “communauté affligée” que forme notre condition humaine, dans ce tourbillon “d’éternelle douleur”, c’est cette conviction infaillible que le photojournalisme, dans ce qu’il a de plus abouti, peut encore influencer l’opinion publique, comme les premiers jalons d’un livre d’histoire qui resterait à écrire.

Né à Syracuse dans l’État de New York en 1948, James Nachtwey grandit dans les années 1960. Ses yeux s’inondent des images de la guerre du Vietnam et des marches pour les droits civiques. Rapidement, il sent combien il est important de témoigner et, à travers son propre travail, il s’engage dès lors à combattre l’hypocrisie, celle qui si souvent nous fait détourner notre regard, tout autant que notre conscience.

Le reportage réalisé en Roumanie, qui suit la chute du mur de Berlin puis l’effondrement de l’URSS, marque un point de non-retour. Des portes commencent à s’ouvrir. Comme celles d’un enfer terrestre, un orphelinat où un dramatique crime contre l’humanité venait d’être commis.

L’insupportable réalité le bouleversa jusqu’à la moelle : “Je voulais m’enfuir, je ne voulais pas regarder plus loin. Mais c’était devenu un test. Devais-je me dérober ou bien assumer l’entière responsabilité d’être là, avec mon appareil photographique ?”.

Ces regards paniqués, saisis en gros plan, se succèdent comme autant de cercles infernaux : celui par exemple de la famine en Somalie, “où la privation de nourriture est utilisée comme une arme de destruction massive et où, depuis le milieu de l’année 1992, les épidémies et la faim ont causé la mort de plus de 200 000 personnes”. Le Soudan également, dévasté par la guerre et la famine, ainsi que la Bosnie en 1993, le Rwanda en 1994, le Zaïre ou bien encore la Tchétchénie.

L’objectif de James Nachtwey vise aussi la pauvreté en Inde et en Indonésie, le fléau du sida, de la drogue ou de la tuberculose, mais aussi les actes d’amour des proches qui restent au chevet des malades.

Puis vient le 11 septembre 2001. La guerre, qui n’avait pas touché la partie plus riche du globe depuis soixante ans, retourne à l’Ouest. Cette histoire marque un nouveau tournant. Nachtwey documente les guerres qui s’ensuivent en Afghanistan, en Irak, et qui rappellent amèrement les erreurs du passé.

Sa compassion lui inspire un sentiment indéfectible d’empathie envers ceux qui souffrent, des populations traumatisées par les tremblements de terre, comme au Népal, en Haïti ou au Japon, et par le tsunami qui frappe l’Indonésie. Puis il côtoie la terrible tragédie contemporaine des migrants  en Europe, chez nous, où des centaines de milliers de personnes sont obligées de fuir pour essayer de survivre dans un ailleurs qu’ils imaginent terre d’espoir et d’accueil.

Nachtwey écrit : “Mon travail photographique est fondamentalement lié à l’instinct humain, celui qui l’emporte lorsque les règles de la civilisation et de la socialisation volent en éclat. À ce moment-là, la loi de la jungle prend le dessus. Violence et revendications territoriales s’imposent alors, charriant avec elles leur lot de cruauté, de terreur et de souffrance, mais aussi un esprit de survie ancestral. C’est un mécanisme sombre et terrifiant, et je tente à travers mon travail d’y apporter une part de spiritualité. Essentiellement de la compassion.”

Un regard compassionnel est un regard de connaissance, de conscience et de mémoire : le seul antidote possible contre cette obscure étendue, ce cœur des ténèbres qui prend sa charge horrifique à l’aune de ce dont tout l’homme est capable. Nous regardons les images de Nachtwey et nous le savons désormais : nous ne pouvons plus jamais oublier. »

BIOGRAPHIE

« James Nachtwey est né en 1948 à Syracuse dans l’État de New York (USA).

Il étudie l’histoire de l’art et les sciences politiques au Dartmouth College de 1966 à 1970. En 1976, il travaille comme photoreporter pour un journal au Nouveau-Mexique puis, en 1980, il s’installe à New York en tant que photographe indépendant pour différents magazines.

C’est à partir de 1981 que James Nachtwey va se consacrer pleinement à photographier la guerre et les troubles sociaux majeurs. Il couvre les conflits dans le monde entier, convaincu que la sensibilisation du public demeure essentielle pour provoquer le changement, et que les photographies de guerre diffusées par les médias peuvent déclencher une réelle prise de conscience pour agir en faveur de la paix.

En Europe, il documente l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, la guerre en Tchétchénie et les troubles civils en Irlande du Nord. En Afrique, il photographie le génocide au Rwanda, la famine qui devient une « arme de destruction massive » en Somalie et au Soudan et la lutte pour l’émancipation en Afrique du Sud. Il documente les guerres civiles qui engloutissent l’Amérique centrale dans les années 1980, du Salvador au Nicaragua en passant par le Guatemala, ainsi que l’invasion du Panama par les États-Unis. Au Moyen-Orient, il couvre le conflit israélopalestinien depuis plus de vingt ans ainsi que les guerres civiles au Liban et, plus récemment, la guerre en Irak, où il est blessé par l’explosion d’une grenade.

Il commence à travailler en Afghanistan pendant les années 1980, photographiant la résistance face à l’occupation soviétique, puis la guerre civile afghane et l’offensive contre les Talibans en 2001. En 2010, il photographie les combats militaires américains dans le Helmand, province du sud de l’Afghanistan. Ailleurs, en Asie, il documente la guérilla au combat au Sri Lanka et aux Philippines ainsi que la répression militaire sanglante contre des manifestants à Bangkok en 2010. Il a récemment témoigné de la crise des réfugiés en Europe, du tremblement de terre au Népal et de la « guerre contre la drogue » extrajudiciaire aux Philippines.

James Nachtwey couvre les sujets sociaux à travers le monde avec un dévouement toujours égal. Les sans-abris, la toxicomanie, la pauvreté ou bien encore le crime et la pollution industrielle se trouvent parmi les principaux sujets qu’il a largement photographiés. Depuis le début des années 2000, il porte un grand intérêt aux questions de santé à travers le monde, notamment dans les pays en développement, attestant ainsi du ravage des maladies dont les effets dévastateurs touchent un plus grand nombre de personnes que la guerre. En 2007, il reçoit le prix TED pour sa campagne mondiale de sensibilisation à la Tuberculose, fondée sur sa croyance que la prise de conscience collective peut encourager la recherche, faciliter le financement, mobiliser les donateurs et motiver la volonté politique.

De nombreuses distinctions sont venues couronner sa carrière de photojournaliste, mais aussi pour récompenser ses contributions à l’art et aux causes humanitaires. En 2001, il reçoit le Common Wealth Award.

En 2003, il reçoit le prix Dan David et, en 2007, le Heinz Family Foundation Award. En 2012, il est lauréat du Prix de la Paix de la ville de Dresde pour l’ensemble de ses reportages effectués depuis plus de 30 ans sur tous les conflits du monde. En 2016, James Nachtwey obtient le prix Princesse des Asturies.

Il remporte cinq fois la Médaille d’or Robert Capa, pour son courage et son travail exceptionnels. Il reçoit le titre de Photographe de l’Année à huit reprises ; le premier prix de la World Press Photo Foundation à deux reprises ; l’Infinity Award en Photojournalisme à trois reprises ; le Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre à deux reprises et le Prix Leica à deux reprises. Récompensé par l’Overseas Press Club, par le TIME Inc., et par l’American Society of Magazine Editors, il reçoit également le Henry Luce Award, le prix de la Fondation de Leipzig pour la liberté et l’avenir des médias et le Prix de citoyenneté mondiale Dr. Jean Mayer.

En 2001, War photographer, un long-métrage documentant la vie et l’œuvre de James Nachtwey, est nominé pour l’Oscar du meilleur documentaire. Ses livres incluent Deeds of War et L’enfer.

Les photographies de James Nachtwey figurent dans les collections permanentes du Museum of Modern Art et du Whitney Museum of American Art à New York, du San Francisco Museum of Modern Art, du Getty Museum à Los Angeles, du musée des Beaux-Arts de Boston, de la Bibliothèque nationale de France ou bien encore du Centre Pompidou. Ses images ont fait l’objet de nombreuses expositions personnelles dans le monde entier.

Il a été invité à présenter son travail lors de plusieurs événements internationaux, dont les TED Talks, la conférence Bill et Melinda Gates Grand Challenges, le Pacific Health Summit, la conférence mondiale sur la tuberculose à Rio de Janeiro, la réunion annuelle de la Young President’s Organization à Sydney et, à l’occasion de la Journée de la Paix en 2011, devant le Comité International Olympique.
Le titre de Docteur honoris causa lui est décerné par quatre universités américaines, y compris le Dartmouth College, qui a récemment acquis l’ensemble des archives de son œuvre ».


Du 30 mai au 29 juillet 2018
A la Maison européenne de la photographie 
5/7 rue de Fourcy, 75004 Paris
Tél. : 01 44 78 75 00
Du mercredi au dimanche de 11 h à 20 h

Visuels :
Affiche
Afghanistan, Kaboul, 1996 © James Nachtwey Archive, Hood Museum of Art, Dartmouth
Femme errant dans les ruines de la ville.

Soudan, Darfour, 2003 © James Nachtwey Archive, Hood Museum of Art, Dartmouth
Une mère se tenant au chevet de son enfant.

Territoires palestiniens occupés, Cisjordanie, 2000 © James Nachtwey Archive, Hood Museum of Art, Dartmouth
Manifestants jetant des cocktails Molotov lors des heurts opposant l’armée israélienne à la population palestinienne locale.

New York, 2001 © James Nachtwey Archive, Hood Museum of Art, Dartmouth
Une pluie de cendres et de fumée s’abat sur le quartier de Lower Manhattan suite à la destruction du World Trade Center.

Afghanistan, Kaboul, 1996 © James Nachtwey Archive, Hood Museum of Art, Dartmouth
Femme errant dans les ruines de la ville.

Bosnie-Herzégovine, Mostar, 1993 © James Nachtwey Archive, Hood Museum of Art, Dartmouth
Une chambre transformée en terrain de guerre par un milicien croate tirant sur des cibles musulmanes.

Articles sur ce blog concernant :
Articles in English
Les citations sont extraites des communiqués de la MEP, du dite des Prix Dan David.

jeudi 19 juillet 2018

Une lutte moderne. De Delacroix à nos jours


Le musée national Eugène-Delacroix  présente « Une lutte moderne. De Delacroix à nos jours », la « première exposition dédiée aux peintures de la Chapelle des Saints-Anges à Saint-Sulpice – La Lutte de Jacob avec l’ange, Héliodore chassé du temple, Saint Michel terrassant le démon -, depuis leur achèvement en 1861 ». 

Une passion pour Delacroix : la collection Karen B. Cohen
De Delacroix à Matisse. Dessins du musée des Beaux-arts d'Alger
« Une lutte moderne. De Delacroix à nos jours »
Le peintre-verrier Marc Chagall : Hadassah, de l’esquisse au vitrail
Zurbarán's Jacob and His Twelve Sons: Paintings from Auckland Castle

   « La peinture me harcèle et me tourmente de mille manières à la vérité, comme la maîtresse la plus exigeante ; depuis quatre mois, je fuis dès le petit jour et je cours à ce travail enchanteur, comme aux pieds de la maîtresse la plus chérie ; ce qui me paraissait de loin facile à surmonter me présente d’horribles et incessantes difficultés. Mais d’où vient que ce combat éternel, au lieu de m’abattre, me relève, au lieu de me décourager, me console et remplit mes moments, quand je l’ai quitté ? »
Eugène Delacroix, Journal, 1er janvier 1861

En 2018, deux musées parisiens rendent hommage à Delacroix : le Louvre présente une rétrospective  du peintre, le musée national Eugène-Delacroix dédie une exposition inédite à ses peintures de la Chapelle des Saints-Anges à l’église Saint-Sulpice, récemment restaurée : La Lutte de Jacob avec l’ange, Héliodore chassé du temple, Saint Michel terrassant le démon, depuis leur achèvement en 1861.

La lutte de Jacob et de l'ange est relatée dans le Livre de la Genèse. La Bible hébraïque indique que, de retour à Canaan, Jacob, ou Yaacov, craint la vengeance de son frère Essav - Jacob s'était fait passer pour Essav pour obtenir la bénédiction de son père Isaac, lui-même fils d'Abraham, et avait du fuir en rejoignant son oncle Lavan. Jacob demeure sur la rive du Jabbok, et, la nuit, il combat jusqu’à l’aurore un adversaire, "l'ange tutélaire d'Essav", qui le blesse à la hanche, "et plus précisément au nerf sciatique - ce qui rendra cette partie de la bête interdite à la consommation pour le peuple juif". Cet adversaire le bénit en raison de sa force et le nomme Israël, nom porté par sa descendance. Jacob est le patriarche du peuple Juif. Le Rav Yossef ‘Haïm Sitruk zatsal explique ainsi le sens de ce combat : "Nos commentateurs expliquent que l’inconnu veut cesser le combat mais Yaacov le somme de reconnaître que la bénédiction qu’il a reçue n’était pas usurpée. L’ange le lui confirme et à l’issue de ce combat, il bénit Yaacov et lui donne le nom d’Israël. C’est la première fois que l’on évoque ce mot « magique » dans la Torah. Et il est bon de se souvenir que si nous sommes appelés Israël c’est bien à la fin d’une confrontation. Comme pour nous signifier que l’appellation Israël se mérite, qu’elle n’est ni automatique ni fortuite, mais qu’il faut prouver sa capacité à porter ce nom qui signifie « celui qui lutte avec l’ange de D.ieu ». Depuis, le peuple Juif a toujours incarné ce combat dans la défense des valeurs voulues par le Créateur pour l’humanité tout entière. Ce combat est d’abord celui de la fidélité. En effet, Israël n’abdique jamais. Quelles que soient les circonstances, il ne baissera jamais les bras et demeurera le porteur de l’idéal divin. Même si de très nombreuses nations et civilisations ont tenté de nous suppléer, personne n’y est parvenu et, malgré sa fragilité, le peuple Juif est resté le défenseur de ces valeurs. Cette lutte nocturne contre Essav est un symbole. Elle est comprise par nos sages comme étant la nuit de l’Exil, cette longue période durant laquelle Israël, agressé un nombre incalculable de fois, n’a jamais cédé, et est resté égal à lui-même, prêt à défendre ses valeurs. Et un jour, à la fin des temps, lorsque l’aube se lèvera, il sera reconnu par le monde entier, qui viendra alors lui rendre l’hommage qu’il mérite. L’aboutissement de cette histoire sera glorieux. Elle viendra célébrer un combattant blessé mais toujours vivant qui a réussi à remplir sa mission malgré l’adversité."

« Commandée en 1849 à Eugène Delacroix, cette œuvre monumentale, riche et sublime l’occupe jusqu’en 1861 et peut être considérée comme son testament spirituel. Ce fut d’ailleurs pour achever ces décors qu’il installa son dernier atelier rue Fürstenberg soulignant ainsi le lien fort entre le musée Delacroix et ces œuvres magistrales ».

La « restauration des trois peintures de la chapelle des Saints-Anges, permet également de porter un regard renouvelé sur ces œuvres, en lien avec les études menées pour leur conservation ».

Cette exposition « offre l’occasion d’associer les œuvres de Delacroix aux créations des nombreux artistes du XIXe  et du XXe siècle qu’il a inspirés, de Gauguin à Epstein, de Redon à Chagall ».

« Portée par les recherches accomplies lors de leur récente restauration, conduite par la Ville de Paris, cette exposition offre de rassembler, grâce à des prêts exceptionnels des musées français et étrangers, les sources inédites de Delacroix – Raphaël, Titien, Rubens, Le Lorrain, Solimena -, les références à ses propres œuvres comme les principales études et esquisses qu’il a réalisées pour la conception de ces trois chefs-d’œuvre ». 

« Elle réunit également plusieurs des créations que l’œuvre de Delacroix a inspirée aux artistes du 19e siècle et du 20ème siècle, Gustave Moreau, Odilon Redon, William Strang, Jacques Lipschitz, René Iché, Charles Camoin, Jean Bazaine, Marc Chagall. Chacun d’entre eux s’est nourri de l’art de Delacroix pour concevoir leurs propres visions de la lutte ». 

Eugène Delacroix « avait reçu en 1849 la commande des peintures pour la chapelle. Pris par d’autres chantiers, dont la conception nourrit également celle des œuvres de Saint-Sulpice – le plafond de la Galerie d’Apollon, l’ensemble du Salon de la Paix dans l’Hôtel de Ville (détruit en 1871), son exposition personnelle à l’Exposition universelle de 1855 -, il s’y dédia pleinement à partir de 1856. Souhaitant être au plus près ce chantier immense, le peintre s’installa au plus près de l’église, rue de Fürstenberg, dans un espace unique entre cour et jardin, devenu le musée Delacroix ». 

Delacroix « avait choisi de dédier ce décor monumental à des épisodes mettant en scène des anges vengeurs, combattants, armés. Cette lutte était aussi une métaphore du combat qu’il menait, de son propre aveu, pour la peinture. Œuvre d’art totale avant la lettre, lutte moderne, la chapelle des Saints-Anges de Delacroix demeure comme un des grands modèles de l’art ». 

« Le peintre offrit à l’épisode biblique une transcendance nouvelle, celle de la lutte de l’homme avec son destin, de l’artiste avec sa création. Il conçut ainsi une lutte moderne ».

« Associant l’atelier du peintre et ses œuvres, le musée Delacroix et l’église Saint-Sulpice, l’exposition constitue un événement exceptionnel qui invite les visiteurs à marcher sur les pas de Delacroix. L’expérience au sein de l’exposition, se prolongeant de l’espace de conception aux œuvres finales, est ainsi inédite, offrant des clés de compréhension renouvelée ». 

Les commissaires de l’exposition sont Dominique de Font-Réaulx, directrice du musée national Eugène-Delacroix, et Marie Monfort, conservateur en chef à la DRAC Île-de-France. En collaboration avec la Ville de Paris.


Le deuxième livre des Maccabées relate qu'en 176 avant l'ère commune, Héliodore est envoyé par Séleucos IV, roi de la dynastie hellénistique des Séleucides, pour s'emparer du trésor du Temple de Jérusalem. Le grand prêtre Onias III refuse. 

« L’œuvre devant soi 
En 1913, le comité de don du Musée des Beaux-Arts du Havre décrit l’esquisse de Delacroix comme : la « première pensée de sa peinture décorative de Saint-Sulpice », reprenant ainsi la définition de l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1755) : « faire une esquisse, signifie tracer rapidement la pensée d’un sujet de peinture ». 
L’esquisse conservée au MuMa est très sombre. On peut se demander si elle l’était à sa réalisation ou si la cause en est plutôt l’altération du support ou de la peinture. Dans un jus huileux, presque liquide, des virgules de couleurs plus épaisses émergent. Elles résument des directions et des parties de corps qui se suivent, s’enchaînent, s’incorporent. Cette animation est surmontée d’un grand vide circulaire. 
Bien que très fragile et actuellement en restauration, la peinture de Saint-Sulpice paraît en comparaison lumineuse et chatoyante. La profusion des ornements et la minutie de la description architecturale en font presque oublier, malgré la tenture couleur chair soulevée, le souffle qui anime l’esquisse. 
L’œuvre dans celle du peintre 
Alors qu’à ses débuts Delacroix s’inspire souvent de l’actualité (Le Massacre de Scio, 1824), avec l’âge il puise plus volontiers dans l’Histoire. Il rêve de plus en plus l’Orient qu’il avait vu dans sa jeunesse, pour l’associer au monde biblique. Pour l’Héliodore, il reprend le second livre des Maccabées (3, 24-27), où le général Séleucide, venu prendre le trésor du Temple, est mis à terre par un cavalier et des anges. Ce passage ne décrit pas un événement, mais une vision : « ils virent paraître un cheval, sur lequel était monté un homme terrible, habillé magnifiquement ». Delacroix peint son tableau comme une apparition, pleine de magnificence, de fureur et de cruauté, à laquelle assistent de multiples témoins. Il s’inspire de la version (1725) de Francisco Solimena du Louvre et de la fresque du Vatican (1511-12) de Raphaël. Delacroix puise ainsi dans l’histoire de la peinture, comme le « classique » qu’il clamait être. 
Dans l’étroite chapelle de Saint-Sulpice La lutte de Jacob et l’ange fait face à Héliodore. Delacroix crée entre ces deux peintures des similitudes et des oppositions saisissantes. Dans l’Héliodore, il croise en oblique les hachures fines de couleurs, dans le Jacob il utilise des touches beaucoup plus larges, dissociées et souples. Le MuMa conserve des recherches de ces deux peintures murales : une esquisse de l’Héliodore et un dessin préparatoire pour le Jacob. 
L’œuvre dans son époque 
Un goût pour la vivacité d’exécution des esquisses s’affirme au XVIIIe siècle, pour devenir au siècle suivant une catégorie académique. L’esquisse n’est plus seulement une étude préparatoire ou la condition d’une commande (La Chasse aux lions, 1854). Alors que Delacroix achève les peintures de Saint-Sulpice, il note dans son Journal le 14 avril 1860 : « presque achevé l’esquisse de l’Héliodore destiné à Dutilleux ». Une esquisse peut donc être peinte a posteriori, pour un ami ou un marchand, comme une œuvre autonome. Perché aux échafaudages, Delacroix consacre ses dernières forces à peindre l’Héliodore. Autour de lui il observe la vie qui lui échappe. Sur la place Saint-Sulpice, il voit un garçon batifoler dans la fontaine. Il note le contraste entre l’orangé de la peau éclairée et son ombre violette. Le même qui anime sa grande peinture murale qui sèche ». 


Du 11 avril au 23 juillet 2018. Prolongée au 3 décembre 2018
Au musée national Eugène-Delacroix 
6, rue de Fürstenberg, 75006 Paris
Tél. : 0033 (0)1 44 41 86 50
De 9 h 30 à 17 h 30, sauf les mardis

Visuels :
Affiche
Eugène Delacroix, La lutte de Jacob avec l’ange (détail), 1856-1861, Paris, Eglise St-Sulpice, chapelle des Saints-Anges
© COARC /Roger-Viollet

Eugène Delacroix, La Lutte de Jacob avec l’ange
1854-1860. Paris musée national Eugène-Delacroix © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Mathieu Rabeau

Claude Gellée, dit le Lorrain, Paysage avec Jacob et l’ange. Après 1672.
Londres, The British Museum © The trustees of the British Museum

Marc Chagall, Etude pour la lutte de Jacob et de l’ange, Nice musée national Marc-Chagall © RMN-Grand Palais (musée Marc Chagall) / Gérard Blot © Adagp, Paris 2018

Eugène Delacroix, Héliodore chassé du temple (détail), huile et cire sur enduit, 1856-1861. Paris Eglise St-Sulpice, chapelle des Saints-Anges
© COARC /Roger-Viollet

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Les citations sur l'exposition sont extraites du communiqué de presse.

lundi 16 juillet 2018

Mars-août 1943 : Salonique, épicentre de la destruction des Juifs de Grèce


Le Mémorial de la Shoah a présenté l’exposition "Mars-août 1943 : Salonique, épicentre de la destruction des Juifs de Grècequi, soixante-dix ans après, se focalise « sur les quelques mois durant lesquels Salonique devint, après plus de 450 ans de vie séfarade, Judenrein (sans Juif) ». Documents d’archives, photographies, objets inédits ainsi que la projection d'« En présence de mes voisins » (In the presence of my neighbours), documentaire de George Gedeon, suivie d’une table-ronde le 20 mars 2014 ont informé sur une facette méconnue de l’histoire de la Shoah aux implications actuelles. Le 11 juillet 2018, une source policière a révélé que des inconnus avaient profané un mémorial sur la Shoah à Thessalonique. 

Implantée dès l’Antiquité, la communauté Juive de Salonique, ville située au nord de la Grèce, a représenté, des siècles durant, la majorité des habitants de cette cité.

Subissant la cruelle domination musulmane, la communauté Juive salonicienne a vu ses rangs s’étoffer par l’afflux de leurs coreligionnaires sépharades expulsés d’Espagne en 1492 – ils garderont des siècles durant la pratique du judéo-espagnol (judesmo) -, puis du Portugal (1540-1560) et d’Italie, ainsi que des ashkénazes d’Autriche, de Transylvanie et de Hongrie au XVIe siècle.

Dhimmis, ces Juifs saloniciens ont introduit l’imprimerie, se sont distingués comme médecins et traducteurs, et ont contribué activement à l’essor de la Sublime Porte grâce à leur activité commerciale : pêche, filature de la laine, fabrication de draps, couvertures et tapis, etc.

La « Jérusalem des Balkans » connaît une apogée au XVIe siècle. Ses yechivot attirent les étudiants Juifs de l’Empire ottoman et bien au-delà.

Au milieu du XVIIe siècle, la communauté salonicienne est divisée sur la personne du rabbin Sabbataï Tsevi, qui se présente comme le messie : certains suivent sa voie en se convertissant à l’islam, d’autres demeurent Juifs ou reviennent à une pratique accrue du judaïsme.

Elle entame un déclin jusque vers 1850 en raison de la rivalité économique de chrétiens, grecs orthodoxes et Arméniens, d’épidémies (peste, choléra) et des pogroms.

L’arrivée des Frankos, Juifs émigrés de pays chrétiens, favorise la renaissance de Salonique qui connaît un essor industriel - briqueteries, entreprises textiles, minoteries, etc. – et est touchée par la Haskala, mouvement Juif inspiré par les penseurs des Lumières. Des écoles de l’Alliance israélite universelle (AIU) contribuent à introduire la culture française et à former les élèves aux métiers requis par les industries. Des Juifs saloniciens militent au sein du mouvement Jeune turc, et dans des organisations afin d’améliorer leurs conditions de travail.

Après la Première Guerre balkanique (octobre 1912-mai 1913), Salonique passe sous domination grecque.

Les pionniers du sionisme – Jabotinsky, Ben Gourion, Ben Zvi – se rendent dans une Salonique qu’ils idéalisent.

En 1917, un incendie ravage en particulier la partie basse de Salonique où vivait la grande partie de la communauté Juive, détruit près de la moitié des synagogues…

La ville s’hellénise au détriment des Juifs, victimes de l’antisémitisme véhiculés notamment par le journal Makedonia et par le mouvement nationaliste Ethniki Enosis Ellas (EEE, Union nationale de Grèce), proches du parti libéral dirigeant la Grèce, et qui se déchaine lors du pogrom de camp Campbell (1931) : incendie volontaire d’un quartier Juif, assassinat d’un Juif, profanation du cimetière juif salonicien.

De nombreux Juifs saloniciens s’exilent en France, Espagne, aux Etats-Unis, et en Palestine mandataire où la famille Recanati crée une banque dont le nom actuel est la Israel Discount Bank.

L’EEE est interdite par Ioánnis Metaxás, dictateur arrivé au pouvoir en 1936, qui jugule les vecteurs d’antisémitisme tels certains journaux et établit des relations satisfaisantes avec Zvi Koretz (1894-1945), grand rabbin de Salonique et érudit polyglotte et germanophone.

Les Juifs représentent environ 40% des Saloniciens.

Déportations
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, Salonique abrite 56 000 Juifs sur environ 93 000 Saloniciens, soit 70% de la communauté Juive de Grèce.

Les Juifs grecs s’engagent pour combattre les forces de l’Axe, l’Italie fasciste qui a envahi la Grèce le 28 octobre 1940 et l’Allemagne nazie.

Après la défaite de la Grèce, l’Allemagne nazie, l’Italie fasciste et la Bulgarie démembrent la Grèce en découpant leurs zones d’occupation.

Le 9 avril 1941, les Allemands pénètrent à Salonique et mettent en vigueur des mesures antisémites qui se renforcent à partir de juillet 1942 avec les persécutions – interdiction de médias Juifs, réquisitions d’immeubles Juifs, dont l’hôpital financé par le baron Hirsch, etc. - et les humiliations collectives.

Interpellé le 17 mai 1941 par la Gestapo, Zvi Koretz, grand rabbin de Salonique, est déporté dans un camp de concentration à proximité de Vienne (Autriche). A son retour à Salonique fin janvier 1942, il assume de nouveau sa fonction – chef spirituel et président de la communauté, dirigeant du Judenrat - d’une manière qui suscite une polémique.

En juin 1941, les Allemands spolient la communauté de leurs archives.

En juillet 1942, lors d’un chabbat, menacés par les armes, 9 000 Juifs saloniciens grecs âgés de 18 ans à 45 ans sont battus, humiliés sur la place de la Liberté (Plateia Eleftheria). Sur les 4 000 Juifs saloniciens obligés de travailler pour l’entreprise allemande Müller pour construire des routes et voies ferrées dans des zones infectées par le paludisme, 12% meurent en deux mois et demi de faim, de fatigue extrême, de maladies.

Ils sont rapatriés grâce au paiement d’une rançon de 3,5 milliards de drachmes exigée par les Allemands et financée par les communautés Juives salonicienne et athénienne, et car les dirigeants communautaires saloniciens acceptent de transférer les tombes de leur cimetière confessionnel – 300 000-500 000 tombes – afin de satisfaire les visées urbanistiques municipales. En fait, les ouvriers grecs détruisent les tombes ; Grecs et Allemands pillent les pierres tombales Juives pour les utiliser comme matériaux de construction. Ce site de l’ancien cimetière Juif salonicien correspond actuellement en particulier à l’université Aristote.

De 3 000 à 5 000 Juifs saloniciens se réfugient en zone italienne. Environ 800 rejoignent les rangs de la résistance grecque, essentiellement celle communiste de l’ELAS (Armée populaire de libération nationale).

En février 1943, les Juifs sont réunis dans trois ghettos, et le 15 mars 1943 le premier convoi  part vers le complexe concentrationnaire Auschwitz-Birkenau  (Pologne).

« La première chose que nous avons vue était le ciel rouge de Birkenau à cause des flammes sortant des cheminées des fours crématoires. Des flocons de cendre flottaient dans l'air. Les SS nous attendaient avec des chiens et hurlaient. Ils nous tapaient dessus et ne comprenaient pas pourquoi personne n'obéissait », a confié Heinz Kounio, Juif salonicien déporté adolescent, à l'AFP. Germanophone, il est désigné par les Nazis pour traduire en grec les ordres des SS sur le quai où arrivent les convois de déportation.

De mars à août 1943, « la déportation de la quasi-totalité de la communauté juive de Salonique  est organisée par les nazis Dieter Wisliceny et Aloïs Brunner » - tous deux arrivés le 6 février 1943 - avec la collaboration de Max Merten, officier en charge des Affaires civiles. Ces nazis sont aidés par un Juif salonicien, Vital Hasson et ses sbires.

Chaque convoi de déportation contient 1 000-4 000 Juifs saloniciens. Le dernier convoi part le 7 août 1943 avec à son bord Zvi Koretz, son épouse Gita et leurs deux enfants Léo et Lili, vers le camp de Bergen-Belsen. Les Juifs porteurs de visas ou de nationalité de pays neutres ne sont pas déportés.

Dans ces camps de concentration ou/et d’extermination, les femmes, les enfants et les personnes âgées saloniciens sont immédiatement tués. Les autres Saloniciens sont astreints à des travaux exténuant, amenés dans le ghetto de Varsovie (Pologne) pour le déblayer en août 1943 et y construire un camp – une partie d’entre eux parvient à rejoindre la résistance polonaise -, affectés aux Sonderkommandos – certains participent à la révolte du 7 octobre 1944 en détruisant le crématoire III et éliminant des gardes, et avant d’être tués ils entonnent l’hymne national grec et le chant des partisans grecs.

Des 46 091 Juifs déportés de Salonique vers les camps nazis d'extermination, 1 950 ont survécu en 1945. Moins de 1 500 Juifs vivent actuellement à Salonique.

Le 2 juillet 1946, s’ouvre en Grèce le procès des « collaborateurs qui avaient trahi leurs frères de Salonique », dont Zvi Koretz, Jacques Albala et Vital Hasson.

Une mémoire grecque fragmentée
La crise du logement, la faiblesse des rares Juifs survivants et la Guerre froide ont freiné la restitution des biens dont les Saloniciens Juifs avaient été spoliés sous le joug allemand, ainsi que la reconnaissance des tragédies infligées à ces Juifs lors de l’Occupation allemande.

En 1997, la municipalité de Thessalonique – nouveau nom de Salonique – a fait édifier dans une banlieue éloignée du centre-ville, un mémorial à la mémoire des Juifs saloniciens déportés. Après sa visite à la synagogue de Madrid (1992), le roi Juan Carlos 1er a rendu hommage aux Juifs sépharades à Salonique.

Les dirigeants de l’université Aristote ont refusé de rappeler par un monument la profanation du cimetière Juif salonicien.

En juin 2011, ce mémorial a été recouvert par le mot « mensonge » et d’un graffiti associant la croix gammée à l’étoile de David. C’était la seconde profanation de ce monument.

Le 26 décembre 2012, 668 pierres tombales en marbre de Juifs de Salonique, détruites par les Nazis, ont été découvertes à Thessalonique (Grèce).

Le 16 mars 2013, Ronald S. Lauder, président du Congrès juif mondial, Arye Mekel, ambassadeur d'Israël en Grèce, Yiannis Boutaris, maire de Salonique, Ivry Gitlis, violoniste israélien et ambassadeur de bonne volonté de l'Unesco  (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture), et un millier de personnes ont marché en silence  à Thessalonique en souvenir du 70e anniversaire des premières déportations des Juifs saloniciens. Puis, ils ont déposé des fleurs sur les rails du chemin de fer. Les dirigeants communautaires ont exprimé leur inquiétude suscitée par l’entrée au Parlement grec en juin 2012 de 18 membres du parti nationaliste, d’extrême-droite, Aube dorée (Chryssi Avghi, en grec), mouvement dirigé par Nikos Mihaloliakos, et dont les chefs ont tenu des propos négationnistes.

Après un service à la synagogue de Monastiriotes à la mémoire des Juifs saloniciens déportés, Antonis Samaras, Premier ministre grec, a annoncé qu’un projet de loi interdira les partis niant les crimes contre l’humanité, comme la Shoah.

Heinz Kounio, alors jeune Juif déporté dans le premier train de déportés juifs quittant le 15 mars 1943 Salonique, dans le nord de la Grèce, pour le camp d'Auschwitz-Birkenau, est l'un des derniers survivants Juifs grecs de la Shoah. Âgé de 85 ans, M. Kounio a témoigné en mars 2013 devant des dirigeants communautaires de divers pays, à Thessalonique, "inquiets de l'émergence de partis néonazis en Grèce et dans le reste d'une Europe affaiblie et divisée par la crise économique et financière à Thessalonique (Grèce)".

En décembre 2013, la municipalité de Thessalonique a annoncé qu’elle allait édifier  d’ici à 2020 un musée de la Shoah  sur le site de l’ancienne gare (un hectare) d’où sont partis les convois de déportation des Juifs saloniciens.

Le 24 février 2014, les Juifs de Thessalonique  ont annoncé  poursuivre l’Allemagne devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) afin d’être indemnisés  pour leurs préjudices matériel - rançon de 2,5 millions de drachmes versée en 1943 au commandant du IIIe Reich de la région, soit 45 millions d'euros en 2014, pour libérer les milliers de leurs coreligionnaires contraints au travail forcé et qui ensuite ont été déportés essentiellement à Auschwitz - et moral causés par les Nazis.

En 2013, la cour suprême grecque avait rejeté « une réclamation similaire pour des raisons de compétence, mettant fin à une saga judiciaire entamée en 1997 dans le pays ».

Pour l’Allemagne, la question des réparations de guerre a été réglée dans le cadre d'accords entre Etats lors de la Conférence de Paris (novembre 1945). Le 26 février 2014, Martin Schäfer, porte-parole du ministère allemand des Affaires étrangères, a déclaré : « Le gouvernement allemand a toujours souligné que nous étions totalement conscients de la responsabilité historique de l’Allemagne pour les crimes de la Deuxième Guerre mondiale ». Il a suggéré de collaborer avec la communauté Juive salonicienne sur des projets communs, sans préciser lesquels.

Le 4 mars 2014, le Congrès Juif mondial  (CJM) a exhorté  l’Allemagne à indemniser les Juifs saloniciens.
L’histoire de la Shoah est réduite à quelques lignes dans les manuels scolaires grecs.

En 2010, Michèle Kahn a évoqué dans un livre le rôle controversé du Grand Rabbin de Salonique  auquel de nombreux Juifs reprochent sa stratégie d’obéissance aux ordres des Nazis et son long aveuglement, et silence, quant à leur dessein.

Le 20 mars 2014 à 19 h, le Mémorial de la Shoah a projeté « En présence de mes voisins » (In the presence of my neighbours) de George Gedeon. « L’auteur et réalisateur est un Chrétien orthodoxe éduqué à Rhodes, ignorant tout du désastre qui a touché la communauté juive de Grèce pendant la guerre, qui à un moment de sa vie, en comprend l’ampleur et fait tout pour le faire savoir aux Grecs, aux gouvernement grec, et à tous ceux qui veulent bien l’écouter dans le monde. C’est un homme exceptionnel qui a consacré 9 ans de sa vie à ce film. Le film a été suivi d’une table-ronde composée de Paul Hagouel, ingénieur et militant de la Mémoire qui vit à Thessalonique, Georges Prevelakis, professeur à l'Université Paris 1 et Joël Kotek, professeur à l’Université Libre de Bruxelles, spécialiste de l’antisémitisme en Europe. La table-ronde a été animée par Michel Azaria, vice-Président de JEAA, Judéo-Espagnol A Auschwitz ».
                        
Le 9 novembre 2014 a été inauguré un monument commémorant la destruction de l’ancien cimetière Juif de Thessalonique (Salonique), en Grèce.

Conçu par des artistes israéliens, il est situé sur une des collines de l'université Aristote de Thessalonique. Il est composé notamment de cinq stèles sur lequel figure un texte identique en grec, anglais, judéo-espagnol, français et hébreu et soulignant l’action destructrice des « nazis et leurs collaborateurs ». A ses côtés : une ménorah brisée.

Fondée en 1925, l’Université Aristote de Thessalonique a été construite sur une grande part de l’ancien cimetière Juif de Salonique « qui datait de l’Empire romain et qui conservait encore des tombes d’avant 1492, mais également des premiers Juifs décédés en exil après leur expulsion d’Espagne ». Ce cimetière « couvrait plus de 350 000 m² et comprenait plus de 300 000 tombes ». Sous l’occupation nazie, « le 6 décembre 1942, 500 ouvriers, payés par la municipalité, procédèrent à une destruction systématique et à une récupération des pierres tombales comme matériaux de construction encore visibles aujourd’hui à Thessalonique. Peu de temps après ce fut la communauté Juive qui fut exterminée dans sa quasi-totalité à Auschwitz ». En mars 1943, les Nazis ont commencé à déporter les Juifs saloniciens par trains vers le camp d’Auschwitz-Birkenau. En août, 49 000 des 55 000 Juifs  de cette ville avaient été déportés. Moins de deux mille ont survécu. En mai 2014, des vandales ont détruit des vases et ornements de plaques du cimetière Juif de Thessalonique.

Parmi les personnalités ayant assisté à cette cérémonie d’inauguration le 9 novembre 2014   : Georgios Orfano, ministre de la Macédoine et de la Thrace, Yiannis Boutaris, maire de Thessalonique, des représentants de l’Eglise grecque orthodoxe, David Saltiel, président de la communauté Juive de Thessalonique, Victor Isaac Eliezer, représentant le président du Bureau central des communautés Juives de Grèce affiliées au CJE (Congrès Juif européen), Irit Ben Abba, ambassadrice d’Israël, Christophe Le Rigoleur, consul général de France, les consuls d’Allemagne, de Bulgarie, des Etats Unis, de Finlande et de Roumanie, le professeur Périclès Mitkas, recteur de l’université Aristote de Thessalonique, et son prédécesseur Ioannis Milopoulos, Michel Azaria, vice-Président de JEAA (Judéo-espagnol à Auschwitz, représentant le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France).

Gratitude a été exprimée à ces deux recteurs de l’Université Aristote à l’origine de cet événement ainsi qu’à l’action persévérante de David Saltiel.

Le « discours le plus remarqué, le seul interrompu par des applaudissements, a été celui de Yannis Boutaris, maire de Thessalonique, portant kippa, qui comme à son habitude n’a pas mâché ses mots. Il a notamment déclaré, soixante-dix ans après, au nom de la ville, « avoir honte de ce silence injuste et coupable, honte pour ces collaborateurs Thessaloniciens qui ont collaboré avec les envahisseurs, pour les voisins qui ont détourné des fortunes, honte pour les autorités de la ville, le maire et le gouverneur général qui ont accepté sans protestation la destruction d’une mémoire de 500 ans et la conversion du plus grand Juif cimetière Juif d’Europe en un simple souvenir ». Il a ensuite assumé l’histoire de la municipalité et exprimé sa « honte de ces recteurs qui, après la guerre ont construit un campus à côté et au-dessus des tombes endommagées sans ériger une plaque commémorative ». Il a conclu en rappelant, comme il le fait chaque fois qu’il en a l’occasion, que la perte de la quasi-totalité de la communauté Juive est une perte pour tous les Thessaloniciens chrétiens, juifs, musulmans, athées et agnostiques de cette époque et d’aujourd’hui », a résumé Michel Azaria dans son article publié par le CRIF.

« Ce monument n’efface pas un fait historique, ne donne pas l’absolution… La société de cette ville et la communauté universitaire doit faire un pas de plus, et doit rechercher, documenter et présenter clairement au public les instigateurs et les exécuteurs de cette destruction », a déclaré David Saltiel.

Quant à Victor Isaac Eliezer, il a souligné : « Même après un délai de sept décennies, ce monument ne rappelle pas seulement que cette université a été construite sur le cimetière Juif de la ville, il rappelle le vandalisme dont ont souffert la culture et l’humanité de cette cité, et doit constituer un symbole de reconnaissance concernant la responsabilité portée par tous ces individus qui ont participé à cette brutalité ».

Recteur de l’université, Périclès Mitkas a condamné la destruction du cimetière, mais a ajouté que peut-être on pouvait trouver une forme de consolation dans le fait que sur « ces terrains sacrés a été érigée une université qui est le lieu quotidien de rencontre de nombreuses cultures, de promotion de la liberté et de la tolérance de toutes les religions, races et politiques et est dédié à la lutte contre les discriminations ».

Arrivé en Israël le 29 mars 2016 pour une visite officielle de trois jours, Prokopis Pavlopoulos, président de la Grèce, ancien professeur de droit administratif, s'est rendu ce 30 mars à Yad Vashem et a reçu le titre de docteur honoris causa de l'université de Jérusalem.

Lors de Limoud 2015, le 1er mars 2015, Isaac Revah a fait une conférence intitulée Salonique 1943 : L'action d'un Juste.

Le 24 mai 2016 à 19 h, au Farband, 5 rue des Messageries à Paris, l'association Liberté du Judaïsme a proposé la conférence d'Isaac Revah, chercheur en physique géo-spatiale, ancien directeur de Laboratoire au CNRS et au centre National d'Etudes Spatiales, membre du comité directeur d'Aki Estamos, la "Situation des Juifs de Salonique ressortissants espagnols pendant la Seconde Guerre mondiale. Récit de la survie d'une petite minorité de Juifs saloniciens" : "Les Allemands envahissent le Nord de la Grèce en Avril 1941 et atteignent Thessalonique en trois jours. Ils appliquent les lois raciales et des mesures contre les Juifs depuis 1942 : le travail obligatoire forcé, les expropriations, la destruction du cimetière juif historique. 45.000 Juifs de Thessalonique (soit 95% de la population juive)  sont déportés à Birkenau pendant la période de mars à août 1943. Le dernier convoi quitte Thessalonique en août 1943. De la population juive, seul un groupe de 520 personnes est préservé miraculeusement jusqu'à juillet 1943, en raison de leur nationalité espagnole. C'est l'histoire de ce groupe, qui survivra, qui nous sera rapportée par Isaac Revah qui la vécut avec sa famille. Il avait 9 ans à l'époque". La présentation sera précédée à 17 h par la projection de « Salonique, ville du silence », documentaire réalisé par Maurice Amaraggi.

Le 15 juin 2017, en présence du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, une plaque a été dévoilée dans le cadre du futur musée mémorial de la Shoah à Thessalonique. Étaient aussi présents le Permier ministre grec Alexis Tsipras, le maire de Thessalonique Yannis Boutaris et le président de la communauté juive de la ville David Saltiel. Celui-ci a indiqué que le musée mémorial présentera des expositions sur la culture et l'histoire de la communauté sépharade de la cité et relatera l'histoire de la petite communauté juive Romaniote présente en Grèce depuis plus de 2000 ans. Avec le soutien de Boutaris, les chemins de fer grecs ont donné un terrain donnant sur la gare à partir de laquelle les Juifs ont été déportés et 22 millions d'euros ont été collectés pour construire le bâtiment. Le gouvernement allemand a donné 10 millions d'euros et le reste vient de la Niarchos Foundation, une des principales organisations grecques philanthropes instituée par l'armateur Stavros Niarchos.

Le 11 juillet 2018, une source policière a révélé que des inconnus avaient profané un mémorial sur la Shoah à Thessalonique. "Des inconnus ont jeté de la peinture bleue sur ces stèles, dans l'enceinte de l'université de la ville, et y ont inscrit, avec une croix, "Jésus Christ vainc le diable", un slogan des milieux ultranationalistes orthodoxes grecs et serbes, a précisé la même source. Une enseignante a découvert cette profanation le 10 juillet 2018. L'université -- qui a condamné cette action tout comme la municipalité-- a fait nettoyer le monument. L'enquête a été confiée au service de répression des crimes racistes. Le monument avait été érigé en 2014 pour rappeler que l'université a été construite sur le cimetière juif de la ville, rasé par les occupants nazis".

C'est le troisième acte de ce genre en Grèce depuis mai 2018. "Le 27 juin, à l'issue d'une manifestation ultranationaliste, des inconnus avaient jeté de la peinture noire contre le principal mémorial consacré par la ville à la Shoah, sur une place centrale. C'est là que tous les hommes juifs avaient été rassemblés le 11 juillet 1942 par les occupants nazis, inaugurant, avant les déportations massives de mars 1943, l'extermination de 98% des quelque 50.000 Grecs juifs qui faisaient de Thessalonique un des centres du judaïsme dans les Balkans. Début mai, des stèles funéraires juives avaient aussi été endommagées dans le cimetière de Nikéa, dans la banlieue sud-ouest d'Athènes.Imputées à l'extrême droite et en particulier à la mouvance néonazie, représentée au Parlement par le parti Aube Dorée, ce type de profanations est récurrent en Grèce. Le pays, où les préjugés antisémites restent vivaces, a attendu la fin des années 1990 pour commencer à renouer avec l'histoire de sa communauté juive et de son extermination".


Le 20 mars 2014 à 19 h
Au Mémorial de la Shoah
Diffusion d’« En présence de mes voisins » (In the presence of my neighbours) de George Gedeon

Canada, 2013. 48 minutes
Table-ronde animée par Michel Azaria, vice-Président de JEAA  (Judéo-Espagnol à Auschwitz), avec Paul Hagouel, ingénieur et militant de la Mémoire vivant à Thessalonique, Georges Prevelakis, professeur à l'Université Paris 1, et Joël Kotek, professeur à l’Université Libre de Bruxelles, spécialiste de l’antisémitisme en Europe.

Jusqu’au 16 mars 2014
Au Mémorial de la Shoah

17, rue Geoffroy-l'Asnier. 75004 Paris
Tél. : +(0)1 42 77 44 72
Tous les jours, sauf le samedi, de 10h à 18h, et le jeudi jusqu'à 22h

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Cet article a été publié les 15 mars et :
- 31 mai 2014. Le  Musée d'art et d'histoire du Judaïsme (MAHJ) a présenté le 1er juin 2014 à 11 h Itinéraire mémoriel de Salonique à Paris, avec Janine Gerson-Père ;
- 2 janvier et 28 février 2015, 30 mars et 24 mai 2016, 23 juin 2017.