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vendredi 12 novembre 2021

« 13 novembre 2015 - Chemins de la mémoire » de Joël Calmettes

Arte diffusa le 13 novembre 2021 « 13 novembre 2015 - Chemins de la mémoire » (Die Pariser Attentate Wie wir uns erinnern) de Joël Calmettes. « Aux côtés de victimes du terrorisme et de chercheurs issus de disciplines variées, ce documentaire lève le voile sur les processus et les enjeux à l’œuvre dans la construction, l’évolution et la transmission de la mémoire des attentats. »


« Le 13 novembre 2015, des terroristes islamistes semaient la terreur à Saint-Denis et à Paris, tuant 130 personnes, en blessant plus de 600 autres et laissant derrière eux des milliers de traumatisés ». 

« Mais si les attentats se sont instantanément inscrits dans les mémoires individuelles et dans l’histoire, qu’en sera-t-il demain ? Comment le souvenir, entretenu par des commémorations annuelles, va-t-il évoluer et de quelle manière le transmettre ? Comment témoignages personnels et mémoire collective fusionnent-ils ? Par quels mécanismes la mémoire traumatique agit-elle ? » 

« Lancé dès 2016, le programme de recherche "13-Novembre", à la croisée de l’histoire, des neurosciences, de la sociologie et des statistiques, s’est fixé pour objectif de recueillir pendant dix ans les récits de 1 000 personnes frappées par les attentats, essentiellement des victimes et des primo-intervenants ». 

« Des avancées ont d’ores et déjà été obtenues dans la compréhension du syndrome de stress post-traumatique : le cerveau des personnes qui en souffrent serait incapable de bloquer ou d’interrompre l’activité des régions contrôlant la mémoire – un dysfonctionnement réversible. » 

« Construit autour de quatre axes principaux ("Témoigner", "Comprendre", "Commémorer", "Transmettre"), ce documentaire entrelace témoignages de victimes, éclairages de chercheurs (les historiens Denis Peschanski, Pierre Nora et Henry Rousso, le neuropsychologue Francis Eustache, le sociologue Michel Wieviorka, l’anthropologue Brigitte Sion…) et images d’archives ». 

« De l’analyse des "mémoriaux éphémères" érigés spontanément par des anonymes sur les lieux des massacres – et collectés par les Archives de Paris – à la conception d’un musée-mémorial des sociétés face au terrorisme, qui devrait ouvrir ses portes à Suresnes en 2027, le film, diffusé ce 13 novembre, met en lumière le besoin croissant des sociétés de se souvenir des traumatismes collectifs et de laisser une trace pour les générations futures. »

"Le film est né d'une proposition de l'INA, partenaire de l'opération sur la construction de la mémoire des attentats. J'ai aussi une formation de scientifique... Dès l'évènement, les gens s'inscrivent dans l'Histoire, la mémoire. Ce sont des rites presque transnationaux. A la demande d'un sociologue, la Mairie de Paris a gardé ces souvenirs", a expliqué Joël Calmettes sur Radio J le 12 novembre 2021. 

Et le documentaire a poursuivi : "Ce sont des images que les gens ne peuvent pas chasser. C'est un problème de contrôle des images de l'évènement traumatique... On est passé d'un souvenir traumatique qu'il fallait chasser à la célébration de la victime. Pour guérir, il faut se rappeler. Il y a cinquante ans lors des Jeux Olympiques de Munich, on craignait en bâtissant un mémorial de perpétuer la volonté des terroristes. C'est la première fois qu'il y aura un mémorial en souvenir des attentats et qui devrait ouvrir en 2027".

Et le réalisateur d'ajouter : "La mémoire individuelle se nourrit de la mémoire collective. La mémoire est duale. Pour le collectif, c'est une façon d'honorer les victimes et toutes celles qui auraient pu être victimes. Une société se construit aussi autour de ses échecs... La déflagration a été totale. Avant, les personnes ne se définissaient pas comme victimes. Il n'y avait pas d'identification aux victimes. Il y a eu une mutation de l'évènement qui est entré dans l'Histoire... Le projet de Denis Peschanski s'échelonne sur douze ans. On a orienté le film sur le comité éditorial, puis sur les recherches dès le soir des attentats jusqu'à ce musée".

Ce musée-mémorial sera consacré aux attentats terroristes ayant frappé des Français depuis les années 1970, plus précisément le "15 septembre 1974, date considérée comme le premier attentat aveugle en France", a précisé l'historien Henry Rousso, historien de la Deuxième Guerre mondiale, sur Radio J, le 26 novembre 2021. 

Un attentat aveugle ? Ce dimanche-là, vers 17 h 15, un individu lance une grenade au sein du drugstore Publicis, dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés (Paris). 

Bilan : deux morts - François Benzo (27 ans) et David Grunberg (55 ans) - et 34 blessés. "Le terroriste Ilich Ramirez Sanchez (alias Carlos), alors membre du Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP), finit par revendiquer cet attentat dans le journal “El Watan Al Arabi” en 1979." 

Reconnu coupable en 2017, en 2018 et 2021, Carlos est condamné trois fois à la peine de la réclusion criminelle à perpétuité pour ces faits. Le FPLP a fomenté cet attentat pour obtenir la libération du terroriste "Yoshiaki Yamada, membre de l'Armée rouge japonaise (en lien avec le FPLP), [qui] avait été arrêté en juillet 1974 à l'aéroport d'Orly par la police française alors qu'il venait de Beyrouth et portait avec lui une mallette contenant des documents sur des attaques projetées en Europe par le groupe terroriste et une grosse somme d'argent en numéraire. Pour obtenir sa libération, la branche européenne du FPLP, dirigée par Wadie Haddad, décide de monter une prise d'otages à l'ambassade de France aux Pays-Bas, à La Haye. Ainsi trois membres japonais de l'Armée rouge japonaise/FPLP font irruption dans les locaux de la représentation diplomatique le vendredi 13 septembre 1974, prenant en otage l'ambassadeur français et des membres du personnel diplomatique et administratif de l'ambassade." 

"Wadie Haddad avait pensé que le gouvernement français accèderait très rapidement aux revendications des preneurs d'otages. Or c'est l'inverse qui se produit : les autorités françaises font la sourde oreille et refusent de relâcher Yoshiaki Yamada. On arrive à un blocage. Les responsables de l'opération menée à La Haye peuvent craindre une attaque massive de la police néerlandaise au sein de l'ambassade, ou pire : une capitulation des membres du commando, ce qui serait considéré comme un échec cinglant". Ils conçoivent un attentat pour que la France capitule et libère Yamada. Où ? Au drugstore Publicis. Pourquoi pas à la brasserie Lipp à quelques mètres du drugstore, ou, de l'autre côté du boulevard Saint-Germain, au Café de Flore ou au Café Les Deux Magots ? Pourquoi les terroristes du FPLP ont-ils choisi ce drugstore qui appartenait au publiciste et résistant français juif sioniste Marcel Bleustein-Blanchet ? Pourquoi la France et les responsables du projet de Musée-mémorial ne qualifient-ils pas cet attentat d'antisémite ?

"Le mardi 17 septembre, Yoshiaki Yamada est libéré et un Boeing 707 long-courrier est mis à la disposition des preneurs d'otage, avec une somme de 300 000 dollars. La prise d'otage à l'ambassade de France est donc couronnée de succès, grâce notamment à l'attentat du drugstore qui a « fait plier » le gouvernement français."

Le 10 décembre 2021, via Facebook, j'ai interrogé l'historien Denis Peschanski, historien, directeur de recherche au CNRS, ancien membre du Parti communiste, ancien candidat du Parti socialiste, ayant rejoint en 2017 La République En Marche !, pour savoir pourquoi cet attentat aurait été "aveugle". En vain. "Connu pour ses travaux sur la mémoire collective", il a assuré "la présidence d’une première mission de préfiguration d’un Musée-mémorial des sociétés face aux terrorisme. Dans un rapport remis fin février 2020, Henry Rousso et son équipe définissent le concept général du futur établissement."

Le Musée-mémorial du terrorisme est doté d'un Observatoire d'orientation présidé par François Molins. "Procureur général près la cour de cassation depuis 2018, il est le président de l'Observatoire du GIP. Il a mené l’essentiel de sa carrière au parquet, notamment comme procureur de la République de Bobigny. Il a été directeur de cabinet des ministres de la Justice Michèle Alliot-Marie et Michel Mercier. En novembre 2011, il est nommé procureur de la République du tribunal de grande instance de Paris. C’est à ce titre qu’il a été confronté aux attaques terroristes majeures survenues en France entre 2012 et 2018". 

Le 7 avril 2017, quelques jours après l'assassinat de Sarah Halimi, née Attal, le procureur de Paris François Molins a reçu des dirigeants d’organisations juives françaises pour faire part de sa prudence à l'égard de la qualification d'antisémitisme : il a récusé le caractère antisémite du meurtre. Un message répercuté avec célérité, dans les médias juifs et via les réseaux sociaux, par ces organisations juives françaises auprès de leurs coreligionnaires sur le mode : "Soyons prudents. Rien ne permet d'affirmer le caractère antisémite de l'assassinat, et blablabla". Certes, mais rien ne permettait d'infirmer ce caractère antisémite. Et au contraire, les déclarations des proches de la victime attestaient d'actes antisémites ayant visé Sarah Halimi et sa fille.

Cet Observatoire d'orientation réunit des dirigeants d'associations de victimes du terrorisme - Arthur Dénouveaux, président de l’association Life for Paris : 13 novembre 2015, Françoise Rudetzki, vice-présidente de la fédération Alter - Lien Trauma et Résilience, Samuel Sandler, membre du conseil d’administration de l’Association française des victimes du terrorisme (AfVT) -, des élus - David Lisnard -, des personnalités religieuses - Pauline Bebe, rabbin de la Communauté Juive Libérale en Île-de-France, François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France depuis 2013, Chems-Eddine Hafiz, avocat, membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), président de l’association « Sociétés des Habous et des lieux saints de l’islam » et recteur de la Grande Mosquée de Paris -, des responsables muséaux : Jacques Fredj, membre de la première mission de préfiguration (2019) et directeur du Mémorial de la Shoah, Clifford Chanin, vice-président exécutif et directeur adjoint des programmes du National 9/11 Memorial and Museum (New York City).

Quant au Conseil scientifique et culturel, il est présidé par Michel Wieviorka, sociologue, directeur d’études à l’EHESS, membre du Comité mémoriel (2018) puis de la première mission de préfiguration (2019). Il est constitué en particulier de Levent Altan, directeur exécutif de Victim Support Europe (VSE) et membre fondateur du Réseau international des victimes du terrorisme, Rachid Azzouz, haut fonctionnaire au ministère de l'Education nationale, de la jeunesse et des sports, Annette Becker, professeure émérite d’histoire contemporaine à l’Université Paris-Nanterre, Ghaleb Bencheikh El Hacine, universitaire et spécialiste de l’Islam, Jean-François Clair, inspecteur général honoraire de la Police nationale, Nathalie Bondil, historienne de l’art et muséologue, directrice du nouveau département du musée et des expositions de l’Institut du monde arabe (IMA) et a contribué à développer la notion de muséothérapie, Christian Delage, historien et réalisateur, professeur à l’Université Paris 8, directeur de l’Institut d’histoire du temps présent (CNRS/ Paris 8), Francis Eustache, neuropsychologue, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, François Feltz, magistrat honoraire, Marc Hecker, directeur de la recherche et de la valorisation à l'Institut français des relations internationales (IFRI), rédacteur en chef de la revue Politique étrangère, et chercheur au Centre des études de sécurité de l'IFRI, Nicolas Hénin, journaliste spécialiste du Moyen-Orient, Gilles Kepel, politologue, professeur à l’Université Paris Sciences et Lettres, titulaire de la chaire d’excellence Moyen-Orient-Méditerranée à l’École normale supérieur, spécialiste de l’Islam et du monde arabe contemporain, Lise Eilin Stene, médecin et chercheuse, travaillant au Norwegian Centre for Violence and Traumatic Stress Studies (centre norvégien d’étude sur la violence et le stress traumatique - NKVTS, Oslo), dans la section traitant des traumatismes, des catastrophes et des migrations forcées chez les enfants et les adolescents. Titulaire, Jeanne Sulzer, avocate au barreau de Paris, elle est responsable de la Commission Justice internationale d’Amnesty International-France et membre du conseil d’administration de l’ONG Syrians for Truth and Justice.

La page d'accueil du site Internet est illustrée par cinq photographies dont une ainsi légendée : "Des bougies et une rose lors d'une veillée à Toulouse pour l'attentat d'Orlando en Floride" !? (© NurPhoto via AFP / Alain Pitton) Bref, aucune photographie d'un attentat sur le sol français. Et un cliché sur des bougies et une fleur : le choix du recueillement silencieux. Les autres photographies montrent des bâtiments, dont le Palais de Justice, et un rassemblement place de la République, à Paris.

"Le Musée-mémorial du terrorisme est unique au monde car il aborde l’histoire et la mémoire du terrorisme sur plus d’un demi-siècle et non un seul attentat ou un seul type de terrorisme comme les autres musées comparables. Notre ambition est de créer d’un même mouvement, un mémorial pour les victimes et un musée d'histoire et de société pour comprendre ce phénomène inscrit dans notre quotidien et pourtant mal connu", indique le site Internet du Musée-mémorial.

A entendre des membres du comité préparant cet établissement, il est à craindre que ce musée-mémorial ne soit "politiquement correct" ou "islamiquement correct". Combien d'actes terroristes recensera-t-il ? En vertu de quels critères ?  Désignera-t-il l'idéologie meurtrière des attentats les plus meurtriers ? Si oui, comment : fondamentalisme, barbarie, obscurantisme, islam politique, islamisme, islam radical ? Qualifiera-t-il des attaques d'antisémites ? Liera-t-il des attentats terroristes antisémites au conflit né du refus d'un Etat Juif dans son berceau historique, biblique, par des Etats et entités musulmans, ou à la présentation de ce conflit par des politiciens, diplomates, médias ou ONG  ?

A voir les images des réactions de Français après ces attentats terroristes islamistes - messages ("Peace and Love", "Une Parisienne") érigés en archives à conserver, ballons de toutes les couleurs, allumage de bougies, fleurs ou autres offrandes à qui ? -, les esprits ne sont pas préparés pour affronter et vaincre idéologiquement, psychologiquement et moralement le djihad.


France, 2021, 56 min
Coproduction : ARTE France, INA
Sur Arte le 13 novembre 2021 à 22 h 40
Disponible du 06/11/2021 au 11/01/2022
Visuels :
Canal Saint-Martin le 13 novembre 2016 : premier anniversaire des attentats
CAEN : Cycéron une plateforme d' imageries biomédicale et IRM. Analyse de la mémoire
CAEN : Cycéron une plateforme d' imageries biomédicale et IRM
Pierre Gagnepain, Chercheur en neurosciences
Paris 12ème arrondissement : plaque commémorative des attentats du 13 novembre 2015 en face du café la Belle Equipe
13 novembre 2019 : Inauguration d' un arbre à vœux
Musée-mémorial des attentats de septembre 1972 des jeux olympiques de Munich
19 septembre 2018, dans les jardins de l' intendant des Invalides : cérémonie en hommage aux victimes du terrorisme
13 novembre 2019 : Paris, mairie du XIème : hommage des associations de victimes
© INA

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