Citations

« Le goût de la vérité n’empêche pas la prise de parti. » (Albert Camus)
« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du Soleil. » (René Char).
« Il faut commencer par le commencement, et le commencement de tout est le courage. » (Vladimir Jankélévitch)
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » (Albert Londres)
« Le plus difficile n'est pas de dire ce que l'on voit, mais d'accepter de voir ce que l'on voit. » (Charles Péguy)

vendredi 15 octobre 2021

« 17 octobre 1961, un massacre colonial » de Juliette Garcias

Durant la Guerre d'Algérie (1er novembre 1954-5 juillet 1962), pour protester contre le couvre-feu imposé aux nord-Africains, la fédération de France du FLN (Front de libération nationale) organise une manifestation, non déclarée à la préfecture de police, d'enfants et d'adultes algériens le 17 octobre 1961 à Paris. La police assure le maintien de l'ordre. Le nombre de morts s'élèverait à des dizaines de personnes. Arte diffusa le 18 octobre 2020, dans le cadre de « Quand l'histoire fait dates », (Zahlen schreiben Geschichte), « 17 octobre 1961, un massacre colonial » (17. Oktober 1961, Massaker von Paris), documentaire partial de Juliette Garcias.


Nommé au Collège de France en 2015, Patrick Boucheron dirige l’« Histoire mondiale de France » (Seuil, 2017) présentant "les nouvelles grandes dates mondiales qui ont façonné l’hexagone", "mettant en valeur les colonisés et l’islam" et assumant une "islamophilie systématique". Un anti-« Lieux de mémoire » du professeur Pierre Nora.

Un best-seller analysé dans « Histoire de l'islamisation française 1979-2019 » (Ed. L’Artilleur), controversé, critiqué notamment par Pierre Nora (« Politiquement, l’objectif est de lutter, « par une conception pluraliste de l’histoire, contre l’étrécissement identitaire qui domine aujourd’hui le débat public »).

Et fustigé par Eric Zemmour : « En près de 800 pages et 146 dates, on ne déviera pas de la ligne du parti: tout ce qui vient de l’étranger est bon. Les invasions barbares sont des « migrations germanique s» ; la défaite des Gaulois leur permit d’entrer dans la mondialisation romaine ; les conquérants arabes étaient bien plus brillants que les minables défenseurs carolingiens ; les martyrs chrétiens de Lyon venaient d’ailleurs et saint Martin était hongrois. Les théologiens chrétiens doivent tout au grand talmudiste Rachi ; « l’honteux traité de Troyes » de 1420 (qui donnait le royaume de France à la monarchie anglaise) est une heureuse tentative de construire la paix perpétuelle par l’union des couronnes ».


Quant à Alain Finkielkraut, il a estimé : 
« Je découvre, effaré, que ni Rabelais, ni Ronsard, ni La Fontaine, ni Racine, ni Molière, ni Baudelaire, ni Verlaine, ni Proust n’y figurent. Et si Mauriac est cité, ce n’est pas pour son œuvre, c’est pour sa critique honteusement réactionnaire du féminisme. Ainsi s’éclaire le sens de « monde » pour les nouveaux historiens. Mondialiser l’histoire de France, c’est dissoudre ce qu’elle a de spécifique, son identité, son génie propre, dans le grand bain de la mixité, de la diversité, de la mobilité et du métissage. Et c’est répondre au défi islamiste par l’affirmation de notre dette envers l’Islam. De manière générale, l’Histoire mondiale de la France remplace l’identité par l’endettement. Ici doit tout à ailleurs. De la France, patrie littéraire, ce qui surnage, c’est la traduction des Mille et Une Nuits par Antoine Galland et l’audace qui a été la sienne d’ajouter au corpus original des histoires que lui avait racontées un voyageur arabe venu d’Alep.
Instructif aussi est le récit de l’invasion musulmane de 719 à Narbonne, où les cultures se sont mêlées avant que les Francs, hélas, n’arriment par la force cette ville à leur royaume. Ceux qui, en revanche, croient pouvoir mettre au crédit de la France naissante la première traduction latine du Coran par l’abbé de Cluny Pierre le Vénérable en 1143, sont avertis que cette démarche n’était pas inspirée par la curiosité mais par une volonté de dénigrement. Et peu importe le fait que l’Islam de son côté ne pouvait pas même envisager de traduire les Écritures saintes des religions antérieures à son avènement.
Nos éminents universitaires n’ont que l’Autre à la bouche et sous la plume. Ouverture est leur maître mot. Mais ils frappent d’inexistence Cioran, Ionesco, Kundera, Levinas, tous ces étrangers qui ont enrichi notre philosophie et honoré notre littérature. Car c’est à ce «notre» qu’ils veulent faire rendre l’âme...
Le dégoût de l’identité a fait place nette de la culture. Les façonniers de l’Histoire mondiale de la France sont les fossoyeurs du grand héritage français.
« Une histoire libre », dit le journal Libération pour qualifier ce bréviaire de la bien-pensance et de la soumission, cette chronique tout entière asservie aux dogmes du politiquement correct qui ne consacre pas moins de quatorze articles aux intellectuels sans jamais mentionner Raymond Aron, ni Castoriadis, ni Claude Lefort, ni aucun de ceux qui ont médité la catastrophe totalitaire et la bêtise de l’intelligence au XXe siècle…
« Histoire jubilatoire », ajoute Libération. Ce mot – le plus insupportablement bête de la doxa contemporaine – convient particulièrement mal pour une histoire acharnée à priver la France de son rayonnement et à l’amputer de ses merveilles.
Il n’y a pas de civilisation française, la France n’est rien de spécifiquement français: c’est par cette bonne nouvelle que les rédacteurs de ce qui voudrait être le Lavisse du XXIe siècle entendent apaiser la société et contribuer à résoudre la crise du vivre-ensemble.
Quelle misère! »
« Dans cette deuxième saison de la série" « Quand l'histoire fait date », "aussi érudite et ludique que la précédente, le médiéviste Patrick Boucheron, professeur au Collège de France, poursuit son exploration alerte des dates marquantes de l’histoire, des trésors artistiques ornant la grotte de Lascaux, en 18 000 avant notre ère, au coup d’État militaire contre le président chilien Salvador Allende, le 11 septembre 1973 ». 

« Mobilisant son talent de conteur, associé à une animation qui s’appuie sur une riche iconographie, et convoquant éclairages de spécialistes et approche réflexive, l’historien bouscule notre regard sur vingt événements majeurs et les traces qu’ils ont laissées dans les mémoires, en les replaçant dans une perspective globale et en assumant les incertitudes de la science historique ». 

« Entrelaçant plaisir du récit, techniques d’animation et esprit critique, Patrick Boucheron dévoile vingt nouvelles enquêtes sur les grandes dates qui ont marqué l’histoire et la mémoire des hommes ». 

« 17 octobre 1961, un massacre colonial »

Arte diffusa le 18 octobre 2020, dans le cadre de « Quand l'histoire fait dates », (Zahlen schreiben Geschichte), « 17 octobre 1961, un massacre colonial » (17. Oktober 1961, Massaker von Paris), documentaire partial de Juliette Garcias.

Durant la Guerre d'Algérie, débutent en 1961 des négociations entre le gouvernement français dirigé par le Premier ministre Michel Debré et le Gouvernement provisoire algérien (GPRA). Les attentats terroristes du  Front de libération nationale (FLN) visant des policiers français, prennent fin en juillet, lors des pourparlers de Lugrin. Dès le 29 août, ils se produisent de nouveau. Les policiers français sont traumatisés par ces attentats qui les touchent le matin quand ils se rendent à leur travail ou le soir sur le chemin du retour à leur domicile. Certains imputent à des policiers l'assassinat d'Algériens. Le territoire métropolitain devient un champs de guerre.

Le 5 octobre, Maurice Papon, alors préfet de police de Paris, instaure un couvre-feu pour les Nord-Africains. Et ce, afin d'entraver l'action terroriste du FLN.

Pour protester contre ce couvre-feu, la fédération de France du FLN organise une manifestation non déclarée à la préfecture de police, d'enfants et d'adultes algériens le 17 octobre 1961 à Paris. Le préfet de police de Paris Maurice Papon est soumis à l'autorité du ministre de l'Intérieur.

« Le 17 octobre 1961, plus de 20 000 Algériens de France descendent dans la rue pour s’opposer à la guerre d’Algérie ».

La police assure le maintien de l'ordre et réunit des manifestants dans des espaces sportifs : Palais des sports, stade Pierre-de-Coubertin. "Ce rassemblement pacifique est réprimé dans le sang par la police ».  

Le FLN contraint 1 400 commerçants nord-africains à une grève générale et organise une deuxième manifestation. Face au refus de commerçants d'ouvrir leurs commerces, la police procède à des interpellations. Les autres commerçants finissent par reprendre leur activité professionnelle.

« En Europe, aucune manifestation n’avait été traitée aussi violemment par un État depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ». 

« Aujourd'hui encore, la France peine à reconnaître ce massacre et le nombre exact de victimes reste inconnu ».

Le nombre de décès s'élèverait à des dizaines de personnes. Historien et journaliste communiste, Jean-Luc Einaudi allègue le nombre de 393 morts. Quant au professeur d'histoire normalien spécialiste du communisme français, Jean-Paul Brunet, il avance le nombre de 30 à 50 morts pour le 17 octobre et les jours suivants. Concernant la nuit du 17 octobre, l'historien Benjamin Stora cite trois nombres : 38 morts selon un rapport commandé par Jean-Pierre Chevènement, 48 selon celui demandé par Élisabeth Guigou et 98 selon les recherches menées par Linda Amiri et lui ; soit, en élargissant aux semaines précédentes et suivantes, environ 300 morts en trois mois. Un nombre à comparer au millier d'Algériens tués lors des combats entre le FLN et le MNA (Mouvement national algérien).

A l'évidence, ce documentaire de Juliette Garcias s'aligne sur la thèse de Jean-Luc Einaudi. Au vu du nombre de morts et des circonstances - guerre ou djihad, opération de maintien de l'ordre public, manifestation illégale, etc. -, le terme "massacre" ne semble pas adéquat.

En outre, il masque les méthodes de coercition exercées par le FLN sur la population algérienne en France : racket, menaces, instrumentalisation des civils, notamment des enfants, etc.

Il ternit l'image de la France culpabilisée pour un prétendu "massacre". Ce qui risque d'alimenter le ressentiment de générations d'Algériens.

Jean-Luc Einaudi a consacré plusieurs livres à cette manifestation. "Le 17 octobre 1961, le FLN appelle les Algériens de la région parisienne à manifester pacifiquement à Paris pour protester contre le couvre-feu qui leur est imposé. Interdite par la police, la manifestation est très violemment réprimée. Le 17 octobre et les semaines qui suivirent, plus de 150 personnes sont mortes ou disparues. Le préfet de police Maurice Papon, responsable de cette répression, en niera toujours l’ampleur. Dans cet ouvrage, Jean-Luc Einaudi livre les conclusions de son enquête sur ces massacres, après avoir pu consulter les archives des hôpitaux de Paris, du Parquet, de la gendarmerie, de la préfecture de police, qui confirment et précisent les données recueillies dans ses précédents ouvrages. Dans une longue introduction et une postface inédites, il revient sur les débats et polémiques suscités par son livre, et confirme ses conclusions en répondant à ses contradicteurs.

En 1999, Flammarion a publié "Police contre FLN. Le drame d'octobre 1961" de Jean-Paul Brunet. "Paris, mardi 17 octobre 1961 au soir. Une manifestation de masse déclenchée par le FLN est réprimée par la police parisienne avec la dernière violence. On est en pleine guerre d'Algérie. Des milliers d'Algériens vont être arrêtés et parqués plusieurs jours durant. Un certain nombre trouveront la mort sous les coups des policiers. Combien ? Plusieurs dizaines comme le FLN l'avance quelques jours plus tard ? Deux cents ? Davantage encore ? La Préfecture de Police n'admet que 2 morts et nie toute exaction. Maurice Papon est alors Préfet de Police. La fin de la Guerre d'Algérie et l'amnistie feront sombrer dans l'oubli ce triste épisode. C'est, une vaste enquête à laquelle s'est livré Jean-Paul Brunet pour resituer la vérité historique. À l'aide d'archives jusqu'ici interdites, notamment celles de la Préfecture de Police, il a pu reconstituer la manifestation du 17 octobre, le climat de haine et de terreur qui régnait alors, les pressions du FLN sur les ressortissants algériens et le comportement d'une police à laquelle son patron avait laissé toute liberté. Si le nombre de morts est moins spectaculaire que ce que certains ont pu dire, l'ouvrage apporte une vaste moisson d'informations dont certaines, étonnantes, contribuent à saisir les ingrédients du drame d'octobre. Au-delà, il explique la « mauvaise conscience » algérienne de la France."

Durant le procès de Maurice Papon accusé d'être responsable de la déportation, de juillet 1942 à mai 1944, d'environ 1 600 Juifs de Bordeaux vers le camp de Drancy, près de Paris, Jean-Luc Einaudi a été témoin à charge contre le prévenu.

En 2012, lors du 51e anniversaire de la manifestation, le Président de la République française, alors le socialiste François Hollande, « reconnaît avec lucidité », au nom de la République, la « sanglante répression » durant laquelle ont été tués « des Algériens qui manifestaient pour le droit à l'indépendance ».

Le 14 octobre 2021, Richard Prasquier, Président d'honneur du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), a déclaré dans sa tribune sur Radio J :
"Il s’agit d’un événement survenu il y a soixante ans. Le  17 octobre 1961 à Paris  avait lieu une manifestation d’une trentaine de mille  musulmans algériens. Elle protestait contre la décision du Préfet de Police de Paris, un certain Maurice Papon, d’imposer un couvre-feu à la population algérienne de Paris et à elle seule. 
La police parisienne a réagi de façon violente. 
Je me souviens, ou plutôt, je ne me souviens pas de cette soirée. Rien à la radio ou à la télévision et très peu dans les journaux, dans une France  sous l’article 16 de la Constitution. Des photos et des témoignages clandestins n’ont touché que les plus militants, mais des rumeurs ont vite circulé: on aurait vu des cadavres flotter sur la Seine. 
La protestation s’arrêta là et ne fut pas reprise par le FLN, qui négociait alors avec le gouvernement français. Rien à voir  avec l’émotion provoquée quatre mois plus tard par les attentats de l’OAS à Paris qui vont entre autres défigurer une enfant de quatre ans, et entrainer une manifestation populaire où la charge de la police provoquera 9 morts au métro Charonne.
Si pendant vingt ans au moins, la répression du 17 octobre 1961 a été oubliée, il n’en est plus de même aujourd’hui. Les paroles du Président Macron seront scrutées avec attention, dans une période de tensions extrêmes entre la France et l’Algérie et d’une pré-campagne présidentielle où les reconstructions mémorielles occupent une place inattendue.
Les historiens évaluent aujourd’hui entre 30 et 100, et non pas plusieurs centaines, le nombre des morts, dont aucun n’était armé. Le crime est donc majeur et a été couvert par les plus hautes autorités, à commencer par le Général de Gaulle pour qui ce n’était qu’une péripétie. Loin de lui nuire, ce crime a propulsé Maurice Papon à une grande carrière ministérielle jusqu’à ce qu’il soit  mis en cause pour son rôle dans la déportation de 1600 Juifs bordelais. 
Avant  la manifestation, il avait assuré à ses hommes qu’il les couvrirait. Son successeur, Maurice Grimaud, dira à ses policiers en mai 68: « Si vous frappez un manifestant à terre, c’est la police tout entière que vous frappez vous-même». Et il n’y a presque pas eu de morts au cours des journées de mai 68.
Les historiens ont confirmé le racisme de certains policiers, mais aussi  leur exaspération après les attentats perpétrés contre eux par les militants FLN les semaines précédentes, quand se déroulait une guerre de l’ombre pour le contrôle de la population algérienne de Paris, et que le  FLN  liquidait sans pitié ses adversaires en attribuant leur disparition à la police. 
Plus tard, si le souvenir de la répression  n’a pas été mis en avant en Algérie, c’est que les chefs du FLN parisien de l’époque étaient hostiles à l’Armée des Frontières de Boumediene, cette armée qui depuis Ben Bella jusqu’aux dirigeants d’aujourd’hui a monopolisé le pouvoir dans l’Algérie indépendante, a éliminé ses adversaires et écrit l’histoire qui lui convenait.
Une histoire complexe qui n’occulte pas les fautes et les crimes, mais qui rejette la description en blanc et noir, ce n’est pas ce que le gouvernement algérien recherche. Il veut que la France mette la corde au cou, alors qu’il n’admet lui-même aucune culpabilité, ni pour les massacres de Constantine de 1955, de Melouza en 57 ou d’Oran en juillet 62, ni pour le sort atroce des harkis, pour ne citer que ces crimes-là…..Ni, bien sûr, pour cette simple injonction, la valise ou le cercueil, qui décida du destin des Algériens non-musulmans.
Mais il est vrai que c’est la répression sanglante dont la France s’est rendue coupable le 8 juillet 1945 à Sétif et à Guelma qui a été le détonateur de la révolte armée.
Les historiens français ont confirmé  que la torture  était banale et se faisait sur instructions de la hiérarchie et beaucoup d’entre eux remettent en cause sa soi-disant efficacité préventive car un homme torturé dénonce souvent des innocents. La guerre d’Algérie a été une page très sombre de l’histoire de la France, mais elle ne fait pas des divers gouvernements français les équivalents d’un régime pétainiste qui a aidé à envoyer, en connaissance de cause, des dizaines de milliers de femmes, enfants et vieillards à la mort sous le seul prétexte qu’ils étaient mal nés.
Aujourd’hui dans notre pays, la guerre d’Algérie n’est pas un sujet tabou, et les déclarations du Président Macron sur la responsabilité de la France dans la mort de Maurice Audin et dans le honteux abandon des harkis tranchent avec les frilosités antérieures.  Elles tranchent aussi avec le négationnisme qui dans le monde couvre tant de génocides ou d’épurations ethniques, à commencer par le génocide des Arméniens, et l’autre révisionnisme qui s’acharne à qualifier de nazi un ennemi politique et dont le sionisme est la cible privilégiée.
La  vérité est rarement simple et sa recherche est un risque, car Il est plus confortable de se dire outragé, de refuser toute remise en cause et de se prétendre par définition dans le camp du bien. Cette recherche est le seul moyen d’ouvrir  un espace de dialogue qui brise le « eux contre nous ».
Néanmoins, la recherche des nuances ne doit  pas  rendre sourd aux colères de ceux qui voient leur environnement se décomposer. Comme ces pieds-noirs d’Algérie qui, quand leur monde basculait, s’en étaient remis à une organisation terroriste sans perspective, des hommes et des femmes  aujourd’hui risquent, à cause des  carences successives des politiques, de s’en remettre à des tribuns manipulateurs de désespoir. 
Il faut répondre à leur angoisse qui est aussi notre angoisse, il faut y répondre sans arrogance et sans complaisance…"

Le 16 octobre 2021, s'est déroulée une c
érémonie de commémoration des 60 ans du 17 octobre 1961. "Geste inédit pour un président français, [le Président de la République Emmanuel] Macron a participé à un hommage sur les berges de la Seine, à la hauteur du pont de Bezons. Ce pont avait été emprunté, il y a soixante ans, par les manifestants algériens qui arrivaient du bidonville voisin de Nanterre à l’appel de la branche du Front de libération nationale (FLN) installée en France. Le président est allé déposer une gerbe, puis a observé une minute de silence, avant de s’entretenir avec des proches de victimes. Il n’a, en revanche, pas fait de discours."

L'Elysée a publié ce communiqué :
"Le 17 octobre 1961, une manifestation était organisée à Paris par la Fédération de France du FLN pour protester contre le décret du 5 octobre, interdisant aux seuls Algériens de sortir de chez eux après 20h30. Dans la soirée, malgré l’interdiction de la manifestation, plus de 25.000 hommes, femmes et enfants, se dirigèrent vers différents points de regroupement. La répression fut brutale, violente, sanglante. Près de 12.000 Algériens furent arrêtés et transférés dans des centres de tri au Stade de Coubertin, au Palais des sports et dans d’autres lieux. Outre de nombreux blessés, plusieurs dizaines furent tués, leurs corps jetés dans la Seine. De nombreuses familles n’ont jamais retrouvé la dépouille de leurs proches, disparus cette nuit-là. Le Président de la République rend hommage à la mémoire de toutes les victimes. 
Les historiens ont établi de longue date ces faits et les ont inscrits dans un engrenage de violence durant plusieurs semaines. Cette tragédie fut longtemps tue, déniée ou occultée. Les premières commémorations furent organisées par le maire de Paris, M. Bertrand Delanoë ainsi que par d'autres élus de la Nation. 
Aujourd’hui, soixante ans après, le Président de la République s’est rendu au pont de Bezons, près de Nanterre d’où sont partis ce jour-là de nombreux manifestants, et où des corps ont été repéchés dans la Seine. En présence de familles frappées par cette tragédie, de celles et ceux qui se sont battus pour la reconnaissance de la vérité, de représentants et descendants de toutes les parties prenantes, il a observé une minute de silence en mémoire des victimes de la répression sanglante du 17 octobre 1961. 
Il a reconnu les faits : les crimes commis cette nuit-là sous l’autorité de Maurice Papon sont inexcusables pour la République. 
La France regarde toute son Histoire avec lucidité et reconnaît les responsabilités clairement établies. Elle le doit d’abord et avant tout à elle-même, à toutes celles et ceux que la guerre d’Algérie et son cortège de crimes commis de tous côtés ont meurtris dans leur chair et dans leur âme. Elle le doit en particulier à sa jeunesse, pour qu’elle ne soit pas enfermée dans les conflits de mémoires et construise, dans le respect et la reconnaissance de chacun, son avenir."
"Des militants ont regretté que le président ait « joué sur les mots » sans réellement reconnaître, comme ils le demandent, un « crime d’Etat ». Que M. Macron dénonce « les crimes inexcusables » perpétrés cette nuit-là contre ces Algériens venus manifester pacifiquement dans la capitale contre un couvre-feu « n’est pas suffisant », a déploré Rahim Rezigat, 81 ans, ancien de la Fédération de France du FLN. "M. Macron « joue sur les mots par rapport à son électorat, dont les nostalgiques de l’Algérie française », a estimé ce militant lors de débats organisés à Paris par SOS-Racisme et réunissant des militants de cette page sanglante de l’histoire de France et des jeunes d’Ile-de-France."

"De son côté, Dominique Sopo, le président de SOS-Racisme, a souligné auprès de l’Agence France-Presse « des avancées bienvenues », tout en regrettant « la frilosité d’Emmanuel Macron » et sa « politique des petits pas ». « Le chef de l’Etat va plus loin que [François] Hollande dans la précision des faits, mais sans nommer le colonialisme », et par ailleurs le « crime est réduit à la responsabilité de Maurice Papon. Il n’était pas un Etat dans l’Etat », estime le dirigeant associatif, « il y avait bien un chef du gouvernement et un chef de l’Etat qui décidaient qui était préfet de police. Papon est resté en poste jusqu’en 1967 », a rappelé M. Sopo".

"Les propos de l’Elysée sont « une avancée, mais c’est encore partiel. On espérait plus. Papon n’a pas agi seul. On a torturé, on a massacré au cœur de Paris et, là-haut, ils étaient au courant », a réagi pour sa part Mimouna Hadjam, porte-parole de l’association Africa 93 qui revendique elle aussi la « reconnaissance d’un crime d’Etat ».

"Après la remise du rapport de l’historien Benjamin Stora sur la colonisation et la guerre d’Algérie (1954-1962), en janvier, le chef de l’Etat s’était engagé à participer « à trois journées commémoratives et emblématiques » : la première a eu lieu autour du 25 septembre, journée nationale d’hommage aux harkis et la seconde ce samedi. La troisième, ce sera le 19 mars pour les 60 ans des accords d’Evian, qui ont mis fin à la guerre d’Algérie. « Il faut que la France reconnaisse cette tragédie comme une tragédie inexcusable, comme une sorte de crime qui a été décidé », avait estimé un peu plus tôt, samedi, Benjamin Stora sur Europe 1 et Cnews. « Il y a une responsabilité de l’Etat sous l’autorité de Maurice Papon », préfet de police de Paris de 1958 à 1967."

"Cette cérémonie s’est déroulée dans un contexte tendu entre Paris et Alger, après des propos de M. Macron rapportés par Le Monde, le 2 octobre. Le président français accusait le système « politico-militaire » algérien d’entretenir une « rente mémorielle » en servant à son peuple une « histoire officielle » qui « ne s’appuie pas sur des vérités ». « Quel que soit l’état de nos relations avec l’Algérie et quelles que soient les positions des autorités algériennes sur la question, nous le faisons pour nous-mêmes, pas pour des raisons franco-algériennes », assure-t-on à l’Elysée."

"Le chef de l’Etat, qui a entrepris un travail de mémoire inédit sur la guerre d’Algérie, souhaite avant tout « regarder l’histoire en face », comme il l’a fait au Rwanda en reconnaissant les « responsabilités » de la France dans le génocide des Tutsi de 1994. « Mais cela ne signifie pas réécrire l’histoire ou la réinventer », prévient l’Elysée. « Le président de la République a décidé de mener cette bataille mémorielle de manière méthodique et organisée. Il y a eu Maurice Audin, Ali Boumendjel, le pardon aux harkis… On a plus avancé sur le chantier mémoriel en quelques mois qu’en soixante ans », assure M. Stora."

"La repentance à laquelle [le Président Emmanuel Macron] soumet les Français jusqu’à privilégier les manifestants anti-français du 16 Octobre plutôt que les victimes françaises du massacre d’Oran est symptomatique. Le passé d’une nation est un trésor collectif qui doit nourrir sa fierté d’être ce qu’elle est. Les historiens peuvent en dire ce qu’il veulent. Un Chef d’Etat n’a pas à réécrire l’Histoire selon son bon plaisir", a observé Christian Vanneste, ancien député Les Républicains, le 17 octobre 2021.

Le 13 octobre 2021, lors du Forum du journal El Moudjahid consacré à la commémoration du massacre des Algériens le 17 octobre 1961, l’ambassadeur d’Algérie en France a déclaré vouloir « un levier de commande pour intervenir » dans la politique française. Depuis Alger, Mohamed Antar Daoud s’est adressé à la diaspora algérienne. Il a d’abord estimé que posséder plusieurs nationalités devait « constituer un atout » pour le peuple. Et ce, qu’il s’agisse de la « double, la triple ou la quadruple nationalité ». « Il nous appartient de faire en sorte que ceux qui veulent investir en Algérie ne soient pas confrontés à un parcours du combattant », a-t-il insisté comme le rapporte notamment le site web algérien TSA. 

"C’est peu après que Mohamed Antar Daoud a appelé ses ressortissants installés en France à « intervenir » dans la politique de l’Hexagone, insistant sur le fait que sa « communauté » est « engagée auprès de son pays ». Il a donc déclaré lors de l’événement tenu mercredi : « Il est inadmissible que l’Algérie, qui possède la plus grande communauté étrangère en France avec dix-huit consulats, ne puisse pas constituer un levier de commande pour intervenir non seulement dans la politique algérienne, mais (aussi) au niveau de la politique française. » Le diplomate a ainsi rappelé que « l’Algérie a besoin de tous ses enfants ».

"Il y a quelques semaines, Mohamed Antar Daoud est revenu en terre algérienne, dans la capitale, après avoir été rappelé, sur fond de tensions diplomatiques entre les deux pays. Le 28 septembre dernier, le gouvernement français annonçait, en effet, réduire drastiquement le nombre de visas qu’il accorde habituellement aux ressortissants marocains, tunisiens et algériens. Une manière pour Paris de mettre la pression sur les gouvernants du Maghreb, fort peu disposés à accueillir chez eux leurs ressortissants expulsés par la France. Malgré cette friction, Emmanuel Macron a tenu à rendre hommage, samedi 16 octobre, aux Algériens tués lors d’une manifestation le 17 octobre 1961. Le chef de l’Etat français a déposé une gerbe près du pont de Bezons, dans le Val d’Oise, reconnaissant que « les crimes commis cette nuit-là sous l’autorité de Maurice Papon sont inexcusables ».

Le 16 octobre, Yohann Taieb, président du Collectif des Français victimes du terrorisme palestinien et porte-parole de Jacqueline Niego, sœur d’une des victimes de l’attentat antisémite de la rue des Rosiers", a posté sur Facebook :
"L'année dernière, lors d'une réunion à l'Elysée j'ai proposé au Président Macron de venir se recueillir rue des Rosiers pour rendre hommage aux victimes de l'attentat antisémite perpétré par un commando terroriste palestinien, et ce pour que la France s'excuse de l'ignoble pacte secret conclu avec ce groupe terroriste. A part un accord de principe sur ce recueillement, rien n'a bougé depuis et ce malgré de multiples relances. Aujourd'hui, le Président Macron s'est recueilli de façon historique pour honorer la mémoire d'Algériens jetés dans la Seine par la police française. Étant donné le manque de considération du Président Macron je vais sensibiliser certains de ses adversaires à la question de cet attentat."
Le 17 octobre 2021, au matin, le préfet de police de Paris, Didier Lallement, a déposé une gerbe de fleurs au niveau du pont Saint-Michel, 
près de la Seine, à Paris, en hommage aux victimes du 17 octobre 1961. "Au moment où Didier Lallement a déposé la gerbe de fleurs au niveau du pont Saint-Michel, peu après 8 heures, la sonnerie aux morts a résonné. Puis une minute de silence a été respectée « à la mémoire des morts du 17 octobre 1961 », selon les paroles prononcées par une représentante de la préfecture de police. Didier Lallement, premier préfet de police de Paris à rendre hommage aux victimes, n’a pas pris la parole."

"Dimanche, quelques centaines de manifestants se sont élancés dans les rues de Paris, en scandant « 17 octobre 1961, crime d’Etat », soixante ans jour pour jour après le massacre, en réponse à un appel à manifester signé par des dizaines d’organisations et d’associations, de syndicats et de partis. Le candidat écologiste à la présidentielle Yannick Jadot participait au défilé, comme le numéro un d’Europe Ecologie-Les Verts, Julien Bayou, ou encore le député de Seine-Saint-Denis Eric Coquerel (La France insoumise). 
Derrière la banderole « pour la reconnaissance d’un crime d’État », le cortège est parti du 2e arrondissement de Paris vers le pont Saint-Michel (6e arrondissement), situé à deux pas de la Préfecture de police, qui avait organisé la répression de la manifestation, en 1961."

Maire de Paris, candidate socialiste à l'élection présidentielle de 2021, a twitté : "Comme chaque année, Paris se souvient et honore la mémoire de tous les Algériens tués, blessés ou disparus lors de la répression de la manifestation pacifique du 17 octobre 1961. N'oublions jamais."

Le 18 octobre 2021, sur BFM, l'essayiste Eric Zemmour a déclaré : "On accuse Papon pour ne pas accuser le général De Gaulle". "Il a rappelé que la manifestation du 17 octobre 1961 était interdite avant d'ajouter : «Il y a eu des attaques de policiers (...). Il n'y a pas eu les centaines de morts dont on a parlé.»

«Alors que l'Algérie nous insulte tous les jours, Emmanuel Macron continue à rabaisser notre pays. Ces repentances à répétition deviennent insoutenables et attentent à l'image de la France», tacle Marine Le Pen sur Twitter. Même reproche de la députée LR Michèle Tabarot, qui estime que «notre pays n'a pas à se soumettre aux injonctions mémorielles du régime algérien qui multiplie les provocations anti-France». «Criminaliser notre histoire est une faute. La repentance à sens unique aussi», tance-t-elle".

"Le président de Debout la France, Nicolas Dupont-Aignan, est allé dans le même sens. «L'Algérie crache sur la France et Emmanuel Macron fait pénitence. Le chef de l'État doit inspirer la fierté et non la honte d'être Français. Autrement, comment s'étonner que les populations immigrées ne souhaitent pas s'assimiler ?», a-t-il lâché sur Twitter." 

« Le temps retrouvé »
(Arte mag n° 36. Le programme du 29 août au 4 septembre 2020)

« Pour sa deuxième saison, Quand l’histoire fait dates offre une exploration audacieuse de grands événements et de leurs représentations. Entretien avec son concepteur, l’historien Patrick Boucheron. Propos recueillis par Benoît Hervieu-Léger ».

« Quels critères ont guidé votre approche pour ces vingt nouveaux épisodes ?
Patrick Boucheron : Nous avons radicalisé notre proposition initiale ! Depuis sa conception, la série interroge les diverses manières de faire événement.
Elle propose une collection de problèmes davantage que de périodes. Nous avons, cette fois-ci, voulu aller plus loin en retenant des dates dont on cherche l’événement, comme l’an mil. Nous avons joué sur le contre-factuel* dans l’épisode sur la mise à sac du palais d’été de Pékin en 1860. 
Nous avons même poussé l’audace jusqu’à dater un événement qui n’a pas eu lieu. Au IVe siècle, l’empereur Constantin est censé avoir donné la moitié de son empire au pape. Le texte de la donation est un faux. Le non-événement a pris une importance que l’événement réel n’aurait pas eue.

La représentation de l’histoire compterait donc plus que l’histoire elle-même ?
Une date a l’apparence de l’évidence, comme Marignan en 1515.
Or derrière chaque date il y a une petite intrigue aussi captivante à explorer que le récit en soi. C’est pourquoi la série inclut deux fils narratifs : le récit que l’on raconte et nous-mêmes en train de le raconter. Cette approche se lit en particulier dans l’épisode sur la révolution religieuse d’Akhenaton, en Égypte ancienne. À la fin de sa vie, Freud, miné par la maladie et l’exil, a voulu en percer le mystère pour expliquer la montée du nazisme et de l’antisémitisme à son époque. La solution aux énigmes du présent se trouve parfois dans le passé.
L’histoire de l’esclavage et de la colonisation resurgit depuis l’affaire George Floyd.

Un épisode aurait-il pu faire écho à ce présent si enraciné dans le passé ?
La question de la justice et de l’égalité, aiguisée par la crise sanitaire, est abordée avec la Déclaration d’indépendance des États-Unis, en 1776. Ce moment marque la première affirmation des droits universels de l’humain dans un pays dont on sait qu’il détruit les nations indiennes et qu’il deviendra esclavagiste. La “question noire”, déjà traitée dans la première saison avec la libération de Mandela, revient maintenant avec le pèlerinage du roi malien Mansa Moussa en 1324.
Nous aurions certes pu aborder plus frontalement la question de la décolonisation. Elle apparaît malgré tout dans l’épisode sur le massacre des Algériens, à Paris le 17 octobre 1961. L’événement pose clairement la question du racisme, de la violence policière et du legs colonial en France.

* Type de raisonnement qui consiste à imaginer l’issue nouvelle d’un événement historique, après avoir modifié l’une de ses causes. »


« 17 octobre 1961, un massacre colonial » de Juliette Garcias
France, 2020, 27 min
Sur Arte les 18 octobre 2020 à 16 h 40 et 12 novembre 2020 à 3 h 40
Disponible du 11/10/2020 au 16/12/2020
Visuels © Les Films d' Ici

Les citations sur le film proviennent d'Arte. Cet article a été publié le 15 octobre 2020.

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