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vendredi 18 novembre 2022

Interview de Bat Ye’or sur sa fresque romanesque « Bien-aimés les souffrants… »

Les éditions Les Provinciales viennent de publier « Ghazal. Al-Kahira 1970 » de Bat Ye’or, dernier roman de sa trilogie « Bien-aimés les souffrants… » dont les deux précédents opus sont « Moïse. Al-Kahira, 1818-1882 » et « Élie. Al-Kahira, 1914-1948 ». La femme de lettres nous a accordé une interview sur la genèse de sa fresque de fiction émouvante et ancrée dans une Histoire tragique ainsi qu’émancipatrice temporairement de la dhimmitude. Bat Ye’or dédicacera ses livres lors du 25e Salon des écrivains du B’nai B’rith France et de sa loge Ben Gourion, le dimanche 20 novembre 2022, de 14 h à 18 h 30 h, dans la salle des Fêtes de la Mairie du XVIe arrondissement de Paris.

« L’exil au Maghreb. La condition juive sous l’islam 1148-1912 » de Paul B. Fenton et David G. Littman

Véronique Chemla : C’est un paradoxe : vous êtes célèbre pour vos travaux sur la dhimmitude et Eurabia, mais vous rêviez, enfant et adolescente, d’être romancière…

Bat Ye’or : Les disciplines d’historiographie et de composition romanesque sont par certains côtés divergentes, mais toutes deux exigent par ailleurs des capacités d’analyse et d’observation même si les domaines sont différents ; la dynamique romanesque impliquant la connaissance des comportements humains. 

Il est vrai que très tôt je me suis sentie un écrivain, une vocation sans doute encouragée par ma mère car nous avions une multitude de livres à la maison.

Mes professeurs s’en étaient rendu compte avant moi : l’un d’eux lisait régulièrement mes compositions à haute voix à toute la classe. J’avais alors douze ou treize ans. Je vivais de littérature, et l’écriture devint une seconde respiration indispensable à mon équilibre. 

Aussi, quand je fus confrontée à une situation exceptionnelle, j’en saisis immédiatement la signification : l’extinction de la communauté juive d’Egypte vieille de trois mille ans. Je vécus de l’intérieur son atomisation, mais je l’observais avec le regard détaché du romancier. Le danger d’en parler me força à l’enregistrer dans l’attente de moments plus propices à sa description.
    
Quelle est la genèse de cette trilogie, ou quadrilogie : « Le dernier khamsin des Juifs d’Égypte », « Moïse. Al-Kahira, 1818-1882 », « Élie. Al-Kahira, 1914-1948 » et « Ghazal. Al-Kahira, 1970 » ?

Il est difficile de situer la genèse d’un travail d’une certaine ampleur car il résulte d’une longue maturation intérieure et des circonstances qui permettent d’y réfléchir et de le rédiger. 

Pour ma part, ces circonstances favorables furent très rares dans ma vie compte tenu de mes obligations familiales. 

Le Dernier Khamsin
, terminé vers 1969, relate la brusque dissolution de la communauté juive d’Egypte broyée par un système politique dictatorial et la vulnérabilité de ses victimes. Cet aspect apparait particulièrement dans le personnage d’Elyahu Cohen emprisonné parce que juif, avec un certain nombre de membres de la communauté. J’avais interviewé cette personne à Paris dès sa libération, et j’ai adapté son récit à la trame romanesque. Dans ce livre, je voulus exprimer dans l’alternance du « je » et du « elle » du personnage principal Elly, la scission de la personnalité. J’expérimentais cette technique de l’écriture pour inscrire dans le style-même la vulnérabilité, le désarroi et la ruine d’une communauté condamnée par la dictature d’Etat. 

Le Dernier Khamsin décrit les épreuves vécues par les réfugiés chassés de leurs foyers par l’intolérance, les guerres et les révolutions du monde arabe. Leurs privations et les dures réalités qu’ils affrontaient étaient totalement ignorées à l’époque, et j’éprouvais le devoir de les raconter. L’action se passe dans le court terme : quelques mois.

Dans la trilogie « Bien-aimés les souffrants… » à laquelle je réfléchissais dès les années 1970, le panorama est totalement différent car il parcourt quelques cent soixante-dix ans. Au départ, la trame romanesque créée par les interactions des personnages est prioritaire. C’est une vaste fresque historique déployée dans le temps et centrée sur des périodes clés dans l’évolution du Proche et du Moyen Orient. 

Elle fut inspirée par des observations, des impressions reçues de personnes vivant dans mon entourage, d’événements familiaux, ou de rencontres éphémères qui prirent place à mon insu dans cette trame. Par exemple, ma mère me parla incidemment des yeux vairons de sa grand-mère et au cours d’une promenade avec les chiens, je les attribuais à une jeune esclave juive yéménite Nourmahal, favorite de Ramadan Pacha, personnage d’origine grecque qui fut un enfant chrétien perdu des guerres turco-grecques et islamisé. Ce regard vairon transmis par Nourmahal à sa descendance musulmane est un fil conducteur au long des trois livres indiquant l’ascendance juive et la parenté avec d’autres personnages juifs du livre. 

Je me suis aussi inspirée du costume de bey ottoman de mon grand-père, Aslan "Bey" Levi Orebi (1860-1915) - le titre de "bey" lui a été donné par le sultan Abdul Hamid pour services rendus à l'Empire ottoman en 1913  - , pour construire le personnage de Behor. Ce costume emporté par mon père quand nous nous sauvâmes d’Egypte sera bientôt au musée d’Israël à Jérusalem, probablement dans une des collections du musée consacrée aux communautés juives d’Islam aujourd’hui disparues. Compte tenu des conditions tragiques de leur départ précipité, pratiquement tous leurs biens furent abandonnés.

Voici quelques années, vous avez redécouvert vos « premiers jets » de cette trilogie, et vous avez décidé de la réécrire. Pourquoi ? Sur quels points a porté votre réécriture ?

En réalité, j’ai toujours porté en moi ces romans car leurs personnages se forgeaient au cours de mes recherches historiques, dans mes innombrables lectures, quand j’achetais les catalogues de mode et d’ameublement sur les quais et quand j’observais dans les musées les objets contemporains de leurs vies.

Mais il me fallait d’abord terminer un travail difficile et laborieux avant de reprendre ces manuscrits empilés sur d’autres que j’avais écrits quand j’étais étudiante, avant même mon mariage en 1959 avec David G. Littman. Car aussitôt mariée et mère, j’avais réalisé que la composition romanesque était incompatible avec la vie familiale, et j’avais renoncé à les terminer. 

Durant les deux premières décennies de notre mariage, nous rassemblâmes ensemble, mon mari et moi, un immense matériel historique qui m’inspira de courtes analyses politiques.
Mais, au fur et à mesure que j’avançais dans ce travail, je découvrais la prodigieuse richesse d’inspiration du monde de la dhimmitude. Chaque livre conduisait à un autre, et ainsi passèrent plus de cinquante ans de recherches, de publications, de conférences et de combats sur les conditions d’existence des juifs et des chrétiens dans les empires islamiques gouvernés par la charia

Au fil du temps, je découvrais des personnages décrits par leurs contemporains, parfois sur le vif avec toute leur densité humaine dans les épreuves qu’ils traversaient. 

Cette population, présente dans le cours des siècles, reprenait vie dans les innombrables vieux grimoires que j’allais dénicher dans les bibliothèques de Paris, Genève, Londres, Washington, New York, sur les quais de la Seine, dans les fonds des libraires spécialisés et les antiquaires et en recueillant les récits conservés dans les familles. 

C’est ainsi que, des décennies plus tard, ces personnages avec leur mentalité, leur cadre, leurs vêtements, vinrent s’insérer naturellement et sans effort dans le canevas déjà tout préparé, animant cette maquette des passions que je leur prêtais. Je n’avais plus qu’à modeler la trame romanesque selon les spécificités historiques de chaque livre.

« Bien-aimés les souffrants… » couvre plus d’un siècle et demi dans l’Empire ottoman qui s’étendait sur trois continents jusqu’à la Première Guerre mondiale. Cette fresque historique met en scène un nombre considérable de personnages et de caractères dans les décors de leur temps et des situations différentes. 

Comme lectrice, je vous avais reproché la mort d’un personnage attachant dans « Moïse. Al-Kahira, 1818-1882 ». Qu’est-ce qui motive la romancière ? Les personnages guident-ils votre plume ? 

La romancière n’est pas maîtresse de son travail car la force hallucinatoire de son inspiration meut l’action et anime les personnages. Ceux-ci ont une présence éphémère, mais physique. Ils s’incarnent devant vous avec leurs gestuelles, leurs grimaces et vous submergent de leurs passions et de leur fougue. Ils sont à la fois à l’extérieur et à l’intérieur de vous. Ce sont eux qui commandent la dynamique du livre. 

Mes personnages avaient avec moi la mauvaise habitude de surgir inopinément et au moment le moins favorable. Par exemple, à l’Institut d’archéologie, au beau milieu d’un cours sur les caractéristiques des os du lièvre qui indiquent la faune contemporaine des objets trouvés, ou durant la lecture dans les pierres des millénaires géologiques. 

J’ai décrit dans Le Dernier Khamsin ces phénomènes d’intrusion de l’imaginaire dans la réalité. Je les ai développés davantage dans une nouvelle non publiée, écrite avant mon mariage, et abandonnée pour un voyage de sept mois que j’avais entrepris avec mon mari pour visiter des fouilles archéologiques et des musées en Europe.

Après la naissance de mes enfants, mes travaux sur le Dhimmi et la Dhimmitude m’imposèrent un cadre fixé par l’histoire, exigeant un dépouillement de la subjectivité et l’analyse critique pour dégager les liens abstraits et corrélés reliant les phénomènes. 

La reconstitution du monde de la dhimmitude, l’examen de ses origines et de ses axes fixes lui imposant sa cohérence pendant treize siècles et sur trois continents - des caractéristiques que l’on peut discerner encore aujourd’hui, même en Occident -, furent certes un voyage passionnant dans le temps et l’opportunité de rencontrer des personnes exceptionnelles. Mais elle n’eut jamais l’emprise sur mon cerveau qu’exerçait la création romanesque. 

Ces réflexions sur la dhimmitude surgissaient dans les périodes consacrées aux lectures et n’exigeaient pas une tension permanente.

En fait, l’écrivain pris par la gestation de l’œuvre qu’il doit modeler selon les contraintes de l’écriture, de la grammaire et de la composition du texte, ignore où il va car la pensée se corrige et rebondit toujours. Son travail est une permanente recherche vers le mieux, le plus vrai qu’il pressent mais n’atteint jamais. 

C’est en terminant « Ghazal. Al-Kahira 1970 » que je m’aperçus avoir écrit une large fresque humaine de la dhimmitude par la réintégration, dans une œuvre, de personnages surgis de livres centenaires, avec leurs tensions, leurs souffrances et leurs espoirs. 

Si je l’avais su au début, j’aurais fait mieux. La difficulté surgissait dans le dosage de l’Histoire et du romanesque.
 
J’ai découvert en lisant vos romans la profondeur de cet appel pour Jérusalem, de cet amour pour la Terre d’Israël ancrés chez ces juifs d’Egypte ou du Yémen. Un sionisme religieux de ces Juifs dhimmis et qui les élève de leur sort misérable…

Cet aspect émane de la spiritualité juive puisque la fin de l’exil des Hébreux est liée à la fin de l’esclavage concrétisée par la fuite d’Egypte et l’accession de l’homme à la liberté et à la dignité. 

Quand j’avais publié, dans la traduction hébraïque, en 1974, des Juifs en Egypte (1971), un chapitre sur le sionisme en Orient (1) j’avais été littéralement écrabouillée sous les foudres de ceux qui ne concevaient le sionisme que sous sa forme européenne concrétisée par le combat de Théodore Herzl. 

C’était une vision très étriquée et sectaire de l’histoire juive limitée à sa composante européenne majoritaire. 

Mais, pour moi, le sionisme n’a pas commencé avec Theodor Herzl. Visionnaire et prophète, Herzl sut lui donner une direction conforme à son époque, mais le sionisme commença avec Moïse

Large mouvement inhérent au judaïsme, ses manifestations s’adaptèrent aux opportunités offertes par les circonstances. 

Le sionisme des juifs d’Orient s’exprima dans les épreuves et les réalités de la dhimmitude comme on le voit dans « Moïse. Al-Kahira, 1818-1882 » avec Joseph, ce personnage si pitoyable et néanmoins lumineux, et son fils Emmanuel. Cet espoir d’une rédemption de l’homme maintint vivante la foi religieuse et la cohésion des communautés. Si, comme l’Eglise l’affirme, elle se trouvait en gestation dans le peuple Juif au mont Sinaï, la chrétienté devrait soutenir cette première affirmation de la liberté et de la dignité du peuple d’Israël.

Vous faites revivre par le récit où se mêlent des personnages fictifs la vie quotidienne des juifs en Egypte, les dangers visant les juifs en Eretz Israël, la Terre d’Israël qui se trouvait alors dans l’Empire ottoman, dangers notamment provoqués par l’immigration de musulmans venant de pays européens s’étant libérés de la domination islamique…

J’expose dans « Moïse. Al-Kahira, 1818-1882 » les contraintes de la dhimmitude vécues par les juifs et les chrétiens telles qu’elles furent décrites dans des documents contemporains en divers lieux de l’Empire ottoman. 

Grâce à l’influence française exercée sur le gouverneur ottoman de l’Egypte, Mohammed Aly, connu aussi sous le nom de Mehemet Ali (1760-1849), ce pays fut la province turque la plus tolérante. 

Mais, ailleurs, notamment dans l’actuelle Syrie et surtout en Terre sainte, la situation était des plus dramatiques. 

L’éveil des nationalismes dhimmis chrétiens des Balkans - Grecs, Serbes, Bulgares, Roumains, Monténégrins, Chypriotes, Macédoniens, Arméniens -, qui ensanglanta tout le XIXe siècle par des guerres cruelles, aggrava cette situation. Les dominateurs musulmans, quand ils n’ont pas été massacrés, furent expulsés par leurs anciens sujets dhimmis ou s’enfuirent des nouveaux Etats chrétiens, désormais souverains, et gagnèrent d’autres lieux de l’Empire ottoman. 

A ces millions de musulmans réfugiés des anciennes colonies européennes ottomanes, se joignirent ceux fuyant la colonisation française du Maghreb, notamment d’Algérie

Les sultans ottomans du XIXe siècle - Mahmoud II (1808-1839), Abdülmecit Ier (1839-1861), Abdulaziz (1861-1876), Mourad V (1876), Abdülhamid II (1876-1909) - dirigèrent ces masses dans les régions dépeuplées de leur empire pour renforcer la population musulmane, notamment en Terre Sainte et en Mésopotamie où vivait une nombreuse population arménienne. 

John Finn, consul anglais à Jérusalem (1846–1863), note la composition mêlée de la population en Terre Sainte : Arabes, Syriens, Turcs, Turcomans, Kurdes, Indiens, Afghans, Tartares, Egyptiens et Africains (2). 
 
J’ai décrit dans « Moïse. Al-Kahira, 1818-1882 » et « Elie. Al-Kahira, 1914-1948 » l’installation en Judée, dans la plaine du Sharon et en Galilée, de colons musulmans d’Europe, de Bosnie, de Crimée et d’Algérie, ainsi que les destructions des monuments anciens judéens qui leur servaient de carrières comme l’attestent les ruines des antiques synagogues. C’était une situation générale consécutive aux invasions et aux déprédations commises par des envahisseurs étrangers.

Les faits mentionnés dans ces romans sont tirés des descriptions d’époque : ils proviennent de juifs indigènes, de voyageurs étrangers contemporains, des lettres de consuls français à Damas ou de consuls anglais nouvellement installés à Jérusalem, particulièrement les rapports et les écrits du consul James Finn (1806-1872), consul à Jérusalem de 1846 à 1863. J’avais déjà publié ces documents dans mon livre Le Dhimmi (1980) et de façon plus extensive dans The Dhimmi (1984). James Finn me servit de modèle dans « Moïse. Al-Kahira, 1818-1882 » pour construire le consul anglais protecteur d’Emmanuel.

Vos quatre romans sont enracinés dans l’Histoire, et le contexte historique s’avère déterminant dans la trajectoire des principaux protagonistes…

Oui, en effet. L’Histoire est faite par des êtres humains qui inscrivent dans le temps leurs idées, leurs luttes, leurs actions. Et, on ne saurait écrire l’Histoire sans lui restituer sa densité humaine. Certains personnages tentent de lutter contre les événements, tels Emmanuel, et, à son niveau limité, Moïse. D’autres en sont les spectateurs, parfois placide comme Behor ou désespéré comme Ibram qui se réfugie dans le déni. D’autres encore se mesurent aux événements et sont confrontés aux forces politiques qui les broient comme des fétus de paille, les emportent dans des morts tragiques. C’est le cas d’Elie, de Kemal et de Georges. Le dernier volume de la trilogie, « Ghazal. Al-Kahira 1970 », décrit le dernier stade de la dhimmitude : le cul-de-sac ne laissant que deux échappatoires, la fuite ou la mort, et la crispation des relations humaines paralysées par le détournement des mots et du sens.   

C’est ce poids de l’Histoire, fruit de décennies de recherches, de rencontres et de travail que j’ai déposé en revenant à mes romans inachevés où mes personnages, sans trop m’en vouloir, s’étaient longuement endormis sous la poussière de l’oubli.  

La profondeur du sionisme, du lien à la Terre d’Israël, de l’attachement à Jérusalem apparait de manière émouvante chez les Juifs Yéménites ou égyptiens… 

Vous pouvez aussi ajouter les Juifs de la Perse, du Maghreb, notamment ceux du Maroc qui, dans leur vieillesse, entreprenaient de longs voyages risqués, traversant des villes hostiles et des déserts plein de dangers pour aller mourir en Terre d’Israël. Parfois ils s’arrêtaient en route, ne pouvant plus continuer, comme Joseph ou Eléazar le Kabbaliste dans « Moïse. Al-Kahira, 1818-1882 ». 

Cet enracinement dans la foi et l’espoir d’une rédemption par l’aliyah (guéoula), même aux pires moments, constitue la page la plus émouvante de la dhimmitude juive. Elle fait l’objet d’une longue discussion entre Elie et son père antisioniste – Elie qui, par ailleurs, n’était pas très religieux. 

Dans « Ghazal. Al-Kahira 1970 », je décris une société juive vivant dans le déni du réel, enfermée dans une bulle idéologique, étouffée par la dictature politique et culturelle qui subvertit le langage, impose des tabous, décrète des hallalis ciblés. Ghazal, le jeune personnage féminin, en subit les métamorphoses psychologiques, devient un être contaminant, une larve incapable de s’exprimer tant le mensonge pervertit les mots et même voit sur son propre corps les stigmates du déni d’humanité. Les tourments d’Ibram et de sa femme Hanna expriment les drames psychologiques des départs. 

Bien-aimés les souffrants … racontent les souffrances, les amours, les espoirs des peuples de la dhimmitude parfois dissous dans l’esclavage, tels Nourmahal la juive, Indji la chrétienne, et Ramadan Pacha. 

Une épopée effacée de l’histoire humaine. 

C’est tout ce monde nié que ma plume a tenté de faire revivre.   

Les intérêts de diplomaties française, britannique, allemande ou russe apparaissent inscrits dans le long terme dans votre trilogie. Et ils perdurent dans la période actuelle… 

Ces intérêts rivaux mêlaient les passions religieuses, notamment antisémites, aux ambitions économiques et impérialistes. 

Des antagonismes qui s’accrurent au XIXe siècle avec la décomposition grandissante de « l’homme malade de l’Europe », l’Empire ottoman. Les rivalités européennes instrumentalisèrent les malheurs des communautés dhimmies, chaque Etat incitant, dans son propre intérêt, ses protégés à se révolter pour regagner leur souveraineté territoriale et les aidant à se libérer du joug quasi esclavagiste et humiliant de la dhimmitude. Les pays européens s’affrontaient par dhimmis interposés. Souvent, ils les abandonnaient au massacre comme les Arméniens aux XIXe et XXe siècles, les Assyriens et les Chaldéens d’Irak, les juifs de la Palestine mandataire devenus des juifs israéliens après la restauration de leur Etat.  

La lutte contre la dhimmitude, bien que le terme était inexistant alors, incita des Etats européens à proclamer le droit humanitaire : abolition de l’esclavage dans les pays musulmans, égalité religieuse et civile dans l’Empire ottoman. 

Mes personnages incarnent, avec leurs espoirs d’émancipation et de libération de la dhimmitude, ces différents conflits, mais ils sont emportés par la violence de la réaction islamique bénéficiant toujours des désaccords religieux et politiques occidentaux. C’est à travers leurs engagements, leurs discussions et leurs actions que le lecteur en prend conscience, et découvre l’univers humilié et nié de la dhimmitude

Malheureusement, le communisme, le fascisme et le nazisme au XXe siècle, et surtout la primauté des besoins énergétiques et du pétrole, renversèrent les alliances, comme je le montre dans « Elie. Al-Kahira, 1914-1948 » dont les personnages tragiques et tourmentés comme Georges et Younès, incarnent ces politiques européennes d’abandon ou d’instrumentalisation des chrétiens. 

Dès les années 1920, l’Europe coloniale et surtout post-coloniale adopta une politique d’apaisement pro-arabe, antisioniste et antichrétienne. 

Le soutien aux nazis du personnage de Kemal, révolté par le dépècement de l’Empire ottoman, évoque la force fusionnelle du nazisme avec le monde musulman, sujet tabou et occulté s’il en est ! Son fils Hassan, tourmenté et malheureux, en portera les blessures indélébiles, mais il ne pourra s’affranchir de l’omnipotence exercée dans l’Egypte nassérienne par les criminels nazis réfugiés en Egypte et convertis à l’islam.

Ces conflits persistent dans le soutien de l’Union européenne aux Arabes de l’ancienne Palestine mandataire pour éradiquer Israël, au nom des droits d’un « peuple arabo-musulman palestinien » entièrement inventé qui n’exista jamais dans l’histoire ni dans la géographie. En effet, l’ancienne Judée appelée Palestine par les conquérants romains en 135 de l’ère commune, fut immédiatement morcelée et intégrée comme province dans leur immense empire. Les Romains en modifièrent les noms. Aucun peuple arabe ne se souleva en 135 pour en réclamer l’autonomie.
 
On peut noter que l’immigration massive de musulmans provenant des anciennes colonies européennes permet aux Etats de départ d’instrumentaliser la politique européenne par l’intermédiaire de leurs sujets immigrés, le chantage au terrorisme, l’importation dans l’UE de la loi du blasphème, des modifications culturelles et sociétales. 

La réplique de la politique européenne qui par les communautés dhimmies avait imposé les principes d’égalité des droits et de juridiction moderne. 

Avec une différence de taille cependant : les communautés dhimmies étaient des ethnies indigènes qui précédaient la conquête musulmane et prisonnières de la dhimmitude, tandis que les immigrés musulmans sont des migrants récents venus délibérément, par choix.  

Quels sont vos projets ?
Je ne sais… Si j’en ai la force, continuer à publier ces manuscrits de jeunesse ? Faire le bilan de ma vie, échec et mat ? Me reposer ? Qui sait ? 

J'assure la promotion de mes livres dans les prochains mois, et e suis invitée à une conférence à Genève (Suisse) le 30 novembre 2022 pour informer sur l'exil des Juifs du monde arabe ou/et musulman.


(1) Bat Ye’or, “ Zionism in Islamic Lands” in The Wiener Library Bulletin, 1977 vol.XXX, new series n° 43/44; et ibid. “Le sionisme dans les pays islamiques : le cas de l’Egypte” in Les Temps Modernes, Le Second Israël, 1979, n°394 BIS.

(2) John Finn, Stirring Times, or Records from the Jerusalem Consulate Chronicles (1853-1856). 2 vols. Londres, 1878, vol. 1, p. 214-15. 


Bat Ye’or, Ghazal. Al-Kahira 1970. Les Provinciales, 2022. 174 pages. ISBN-10 : ‎2912833736. ISBN-13 ‏: ‎978-2912833730

25e Salon des écrivains du B'nai B'rith France et de sa loge Ben Gourion
Le dimanche 20 novembre 2022, de 14 h à 22 h
Salle des Fêtes 
71, avenue Henri Martin. 75016 PARIS

Visuel :
La carte "XIXe-XXe : le recul territorial de l'Empire ottoman" est publiée par L'Histoire
"Dès la fin du XVIIe siècle, l'Empire ottoman vit une série de reculs territoriaux jusqu'au traité de Lausanne qui dote la Turquie de ses frontières actuelles en 1923".

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