Citations

« Le goût de la vérité n’empêche pas la prise de parti. » (Albert Camus)
« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du Soleil. » (René Char).
« Il faut commencer par le commencement, et le commencement de tout est le courage. » (Vladimir Jankélévitch)
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » (Albert Londres)
« Le plus difficile n'est pas de dire ce que l'on voit, mais d'accepter de voir ce que l'on voit. » (Charles Péguy)

vendredi 15 janvier 2021

« Man Ray et la mode »

Le musée du Luxembourg présente l’exposition « Man Ray et la mode ». Dans les années 1920, « alors que la photographie de mode balbutie encore, les magazines, principaux vecteurs de diffusion des modes, vont lui consacrer de plus en plus de place. Man Ray commence à publier ses portraits dans les chroniques mondaines de Vogue, Vanity Fair, et Vu, mais c’est Harper’s Bazaar, au cours des années 1930, qui fera de lui un photographe de mode célèbre ». Par ses expérimentations artistiques mises en valeur par des maquettes audacieuses, Man Ray invite au rêve.

Man Ray est né Emmanuel Radnitzky (1890-1976) dans une famille d’immigrants juifs russes. Son père Melach « Max » Radnitzky était tailleur et ouvrier en usine de confection, et sa mère Manya « Minnie » Radnitzky créait des vêtements pour sa famille et des patchworks. 

La couture a influencé l’œuvre de Man Ray qui aidait son père dans ses travaux de couture à la maison : d’une part, l’artiste a intégré dans certaines de ses créations des éléments liés à la couture, tels des fils ou des échantillons de tissus, et, d’autre part, des historiens d’art ont relevé des similarités entre les techniques de collage et de peinture de Man Ray et des procédés de couture.

En outre, cet artiste a choisi pour nom d’artiste Ray pour éviter l’antisémitisme et la discrimination. Commissaire de l’exposition « Alias Man Ray: The Art of Reinvention » (2009-2010) au Jewish Museum de New York, Mason Klein a suggéré que l'artiste a peut-être été « le premier artiste juif d'avant-garde ».

Il s’avère donc surprenant que le dossier de presse de l’exposition « Man Ray et la mode » omette sa judéité et cet environnement familial caractérisé par la couture ainsi que la sensibilité à la mode.

C’est d’autant plus curieux que l’exposition évoque « Les Mains libres », recueil de poèmes de Paul Éluard illustrés par des dessins de Man Ray, et publié en 19371 par les éditions Jeanne Bucher à Paris. Parmi les thèmes évoqués : la main ainsi que la couture et le fil - la mère des deux auteurs était couturière. 

« Man Ray et la Mode » : « l’œuvre de cette grande figure de la modernité est ici présentée sous un angle méconnu. Protagoniste de la vie artistique parisienne de l’entre-deux guerres et du surréalisme en particulier, Man Ray a fait l’objet d’une importante rétrospective au Grand Palais en 1998, et d’une exposition à la Pinacothèque de Paris en 2008. Mais son œuvre n’avait jamais été explorée sous l’angle de la mode. »

« Explorant pour la première fois l’œuvre de Man Ray sous l’angle de la mode, l’exposition  « Man Ray et la mode  » met en lumière ses travaux réalisés pour les plus grands couturiers – Poiret, Schiaparelli, Chanel – et les plus grandes revues – Vogue, Vanity Fair et Harper’s Bazaar. »

« Man Ray arrive à Paris en 1921 sur les conseils de Marcel Duchamp, qui l’introduit dans le milieu de l’avant-garde et dans le Tout-Paris des années folles ». 

« Pour des raisons alimentaires, Man Ray va d’abord s’adonner avec succès au portrait mondain et glisser peu à peu des mondanités vers la mode ». 

« Son premier contact dans le monde de la mode sera Paul Poiret, mais bien vite la plupart des grands couturiers vont faire appel à lui : Madeleine Vionnet, Coco Chanel, Augusta Bernard, Louise Boulanger, et surtout, Elsa Schiaparelli. »

« Née avec le XXe siècle, la photographie de mode est balbutiante : au début des années 1920, elle est utilitaire, documentaire et inféodée aux codes de l’illustration de mode ». 

« Rapidement, les magazines, principaux vecteurs de diffusion des modes, vont lui consacrer de plus en plus de place. »

« Ainsi Man Ray commence-t-il à publier ses portraits dans les chroniques mondaines de Vogue, Vanity Fair, et Vu, mais c’est Harper’s Bazaar, au cours des années 1930, qui fera de lui un photographe de mode célèbre ». 

« Man Ray développe dès 1921 une esthétique nouvelle et moderne, faite d’inventivité technique, de liberté et d’humour. » 

« Ses expérimentations et ses clins d’œil surréalistes brouillent les frontières entre l’art et la mode et font de lui l’un des inventeurs de la photographie de mode contemporaine. »

« Ses compositions étranges, ses recadrages, jeux d’ombres et de lumière, ses solarisations, colorisations et autres expérimentations techniques vont contribuer à la création d’images oniriques et frappantes, qui s’inscriront dans des mises en page particulièrement novatrices ». « C’est ainsi que l’artiste offre à la mode une vision nouvelle du désir et du rêve et à la photographie de mode ses lettres de noblesse. » 

« Figure de l’avant-garde, Man Ray est ainsi impliqué dans la culture de masse qui émerge au travers de la mode et de la publicité ». 

« Man Ray a tout fait pour dissimuler ce qu’il considérait comme une activité mineure, son « métier » de photographe professionnel, préférant privilégier une posture d’artiste peintre inventif et libre ». 

« Lorsqu’il pratiquait la photographie de mode il tirait parcimonieusement, se limitant aux contacts puis seulement aux images retenues pour la publication ». 

« A cette époque, les revues étaient propriétaires, non seulement des tirages, mais aussi des négatifs ». 

« La dispersion et la rareté de ces images aujourd’hui réunies dans l’exposition leur confère un caractère exceptionnel. »

« L’exposition met en lumière cet enrichissement permanent entre « l’art pour l’art » et les productions assujetties à une commande. Ainsi de la photographie iconique, Les Larmes, qui est d’abord, il convient de le rappeler, une publicité pour une marque de mascara ! » 

« Dans l’exposition, une large sélection de photographies - tirages originaux, mais également tirages contemporains de grand format - dialogue avec quelques modèles de haute couture et des documents cinématographiques évocateurs de la mode des années 1920 et 1930, une mode qui fait désormais la part belle à la coiffure et au maquillage ». 

« Ces courts extraits audiovisuels donnent un autre éclairage sur la mode en montrant que la manière de filmer s’émancipe aussi ». 

« Quant aux revues de mode, elles occupent une large place, afin de souligner le rôle majeur qu’elles ont tenu dans la diffusion toujours plus large d’une esthétique nouvelle ». 

« Le recours à des tirages modernes pour en montrer certaines permet d’apprécier les différences entre des épreuves qui ont cependant toutes été réalisées à partir des négatifs originaux, car la photographie est un objet, et pas seulement une image. »

« Le parcours de l’exposition se déroule à travers les sections suivantes : Du portrait des années 1920 à la photographie de mode, La montée de la mode et de la publicité et L’apogée d'un photographe de mode, les années Bazaar. »

« L’exposition est organisée par la Réunion des musées nationaux - Grand Palais et la Ville de Marseille. » 

Elle a été présentée au musée Cantini à Marseille (2019-2020)

« Son Commissaire général est Xavier Rey, directeur des musées de Marseille, et ses Commissaires scientifiques : Alain Sayag, conservateur honoraire au Musée national d’Art moderne, et Catherine Örmen, conservateur, historienne de la mode. »


CHRONOLOGIE

« 1890

Naissance d’Emmanuel Radnitsky (Man Ray) le 20 août à Philadelphie. Son père tient un atelier de

confection tandis que sa mère réalise des vêtements pour la famille.

1911

Man Ray s’installe à New York et fréquente la Galerie 291, ouverte par le photographe Alfred Stieglitz, grand défenseur de l’art moderne aux États-Unis tout autant que de la photographie qu’il élève au rang d’art.

Man Ray étudie le dessin à l’École moderne de New York, fondée sur une pédagogie rationaliste et

sur le principe d’émancipation sociale. Il y est influencé par les idées de Francisco Ferrer, pédagogue

libertaire catalan.

Il travaille ensuite à mi-temps chez un graveur puis dans la publicité, et enfin chez un éditeur de cartes

qui l’emploie comme dessinateur.

La même année, en France, le couturier Paul Poiret demande au photographe Edward Steichen, proche

de Stieglitz, de faire un reportage sur ses collections, publié dans Art et Décoration. Il s’agit d’un des

premiers reportages photographiques de mode.

1913

Découverte par Man Ray des oeuvres de Marcel Duchamp lors de l’Armory Show, exposition internationale d’art moderne à New York, qui, sur un air de scandale, fut la première du genre à faire découvrir les avant-gardes européennes aux États-Unis.

Adolf de Meyer devient photographe pour la revue de mode Vogue, alors principalement illustrée par des dessins. Ce dernier était connu pour son style pictorialiste, esthétique inspirée de la peinture qui cherche à transformer le réel photographié à l’aide d’artifices tels que les flous, des effets de clair-obscur, et des interventions manuelles sur le négatif.

1915

Rencontre de Man Ray avec Marcel Duchamp et publication d’un fascicule dans l’esprit dada, mouvement littéraire et artistique d’avant-garde de remise en cause des conventions tant artistiques que sociales.

Man Ray réalise ses premières reproductions photographiques pour le catalogue d’une exposition collective à la Daniel Gallery à New York.

Apparition de ses premiers portraits photographiques.

1917

Man Ray s’initie à l’aérographie, procédé de peinture industriel avec un pistolet, et à la technique du

cliché-verre, relevant tant de la photographie que du dessin gravé.

1920

Présentation de son oeuvre Lampshade, spirale en suspension, en carton, découpée dans un réflecteur

d’abat-jour, à l ‘exposition d’ouverture de la Société Anonyme.

1921

Arrivé à Paris au mois de juillet, Man Ray occupe une chambre dans l’appartement de Marcel Duchamp, 22, rue de la Condamine.

Il envoie deux photographies au Salon dada : exposition internationale de Paris.

En décembre, il prend une chambre au Grand Hôtel des Écoles, rue Delambre, aménagée en petit studio photographique.

Rencontre avec Kiki de Montparnasse, qui devient sa compagne et son modèle.

Sa première exposition personnelle, intitulée « Exposition dada Man Ray », a lieu à la librairie Six.

Il photographie Marcel Duchamp en Rrose Sélavy, personnage féminin que celui-ci a créé, photographie réemployée dans l’oeuvre de Duchamp Belle Haleine, Eau de Voilette.

1922

Il découvre le procédé des rayogrammes, « photographies obtenues par simple interposition de l’objet

entre le papier sensible et la source lumineuse ». Publication à ce sujet d’une lettre par Jean Cocteau

dans la revue Feuilles libres.

Ses portraits de peintres et d’écrivains sont publiés dans Vanity Fair dès le mois de juin : son succès comme photographe portraitiste lui permet de s’installer dans un véritable atelier au 31 bis, rue Campagne-Première au mois de juillet.

En décembre, il publie dans un ouvrage intitulé Champs délicieux un ensemble de rayogrammes.

Gabriële Buffet-Picabia, épouse du peintre dada Francis Picabia, l’introduit auprès de Paul Poiret.

1923

Bérénice Abbott devient son assistante jusqu’en 1926, date à laquelle elle ouvre son propre studio,

devenant elle-même célèbre pour ses portraits photographiques.

Le photographe Adolf de Meyer quitte les éditions Condé-Nast (regroupant Vogue et Vanity Fair) pour Harper’s Bazaar.

1924

Publication du Violon d’Ingres dans Littérature.

Commence à collaborer avec Vogue (éditions anglaise, française et américaine) dès le mois de juillet.

Collabore avec le photographe de mode George Hoyningen-Huene au portfolio de mode The most beautiful women in Paris.

Participe à La Revue surréaliste dont le premier numéro paraît cette année.

1925

Il photographie, lors de l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes, le Pavillon de l’Élégance pour Vogue (publication au mois d’août dans le Vogue français et anglais, puis au mois de septembre dans le Vogue américain).

Vogue recrute George Honyngen-Huene pour dessiner les figurines. Celui-ci deviendra par la suite un

des plus importants photographes de mode.

1926

Il publie Noire et Blanche dans le Vogue français du 1er mai.

1927

La couturière Elsa Schiaparelli, influencée dans ses créations par l’évolution contemporaine des beaux-arts, ouvre son premier magasin de mode à Paris.

Participation au Bal futuriste organisé par le vicomte Charles de Noailles et son épouse Marie-Laure,

importants mécènes du mouvement surréaliste, et photographie les hôtes.

1928

Man Ray collabore avec le journal VU, spécialisé dans la photographie, et ne travaille plus pour Vogue

que de manière épisodique.

1929

Tournage des Mystères du château du Dé dans la villa Noailles à Hyères, commandité par Charles de

Noailles, un film qu’il dédie à la comtesse propriétaire des lieux.

Participation à l’exposition Film und Foto à Stuttgart, évènement emblématique de la Nouvelle Vision, mouvement photographique caractérisé par un cadrage dynamique, des vues en plongée et contreplongée et des plans rapprochés jouant sur les angles et les diagonales.

Lee Miller, qu’il vient de rencontrer, devient son assistante et sa compagne jusqu’en 1932. Ils redécouvrent ensemble la solarisation. Ce dispositif de tirage, apparu au XIXe siècle, est utilisé sciemment par Man Ray pour produire des phénomènes d'inversion localisée et de silhouettage sur ses photographies.

1930

Durant l’été, Man Ray participe au Bal blanc chez le comte et la comtesse Pecci-Blunt. Avec l’aide de Lee Miller, il projette sur les habits blancs des invités les images d’un film colorié à la main. Ses photographies sont publiées dans le Vogue français d’août 1930.

1931

Réalise un album publicitaire pour la Compagnie parisienne de distribution de l’électricité. Il y combine la méthode de la rayographie à celle du photomontage.

1932

Carmel Snow, éditrice de la revue de mode Harper’s Bazaar, engage Alexey Brodovitch comme directeur artistique du magazine.

1933

Collaboration avec la revue Minotaure, revue d’inspiration surréaliste créée cette année même par les éditeurs Albert Skira et Tériade, et dans laquelle Man Ray publie L’Age de la lumière.

Réalise À l’heure de l’observatoire – Les Amoureux.

Il participe au Salon du Nu hotographique, galerie de la Renaissance à Paris.

Il est embauché par Harper’s Bazaar. En septembre, ses premières Fashions by radio dans lesquelles Man Ray mêle la rayographie à la photographie de mode y sont publiées.

Le critique d’art J. Thrall Soby publie l’album Man Ray Photographs 1920-1934.

1935

Man Ray publie son texte On Photography dans Commercial Art and Industry.

Réalise des photographies de Nusch Eluard, épouse du poète, nue, pour le recueil Facile de Paul Eluard.

1936

Man Ray rencontre Adrienne Fidelin, une danseuse guadeloupéenne, qui devient sa compagne.

Il participe à l’exposition Cubism and Abstract Art ainsi qu’à Fantastic Art Dada Surrealism au Museum of Modern Art à New York.

1937

Publication de La photographie n’est pas l’art avec un texte d’André Breton et douze photographies de Man Ray.

Exposition de chapeaux africains à la galerie Charles Ratton, spécialisée dans les arts dits « primitifs », organisée par Paul Eluard. Man Ray photographie des modèles portant ces chapeaux pour Harper’s Bazaar sous le titre La Mode au Congo.

1938

Il participe à l’Exposition internationale du surréalisme, galerie des Beaux-arts à Paris, et photographie tous les mannequins exposés.

Erwin Blumenfeld, célèbre photographe de mode qui, comme Man Ray, sait mettre à profit ses expérimentations de « dadaïste futuriste » pour la photographie de mode, intègre l’équipe de Vogue et publie également dans Harper’s Bazaar.

1940

Man Ray s’installe en Californie à Hollywood et rencontre Juliet Browner, danseuse et modèle américaine, qu’il épouse en 1946.

1944

Dernière publication pour Harper’s Bazaar.

1951

Il expérimente la photographie en couleur.

1961

Médaille d'or de la photographie à la Biennale de Venise.

1962

Exposition Man Ray, l'oeuvre photographique à la Bibliothèque nationale.

1963

Publication de son autobiographie Self portrait.

1976

Man Ray meurt à Paris le 18 novembre. »


TEXTES DES SALLES

« PROLOGUE
Emmanuel Radnitzky nait à Philadelphie en 1890. Lorsqu’il s’installe à Brooklyn en 1911 son père adopte le nom de RAY et Emmanuel prend alors le diminutif de "Man". Après avoir étudié le dessin il rencontre en 1915 Marcel Duchamp qui l’introduit dans le petit groupe des dadaïstes New Yorkais.

En 1920, dépité par l’échec de sa troisième exposition à la galerie Daniel à New York, Man Ray s’établit à Paris et participe aux activités du groupe Dada « en abandonnant tout espoir d’arriver à quelque chose en peinture ».

Le couturier Paul Poiret l’encourage alors à travailler comme photographe de mode car les revues comme Vogue, Femina, Vanity Fair offrent une place croissante à la photographie. Man Ray n’a aucune expérience mais il est sûr qu’avec un peu de pratique il maîtrisera vite la technique et saura donner à ses images le « cachet artistique » qui fera leur originalité. Multipliant les commandes il devient en 1933 l'un des collaborateurs permanents du magazine américain Harper’s Bazaar. Compositions décalées ou en mouvement, recadrage, jeux d’ombre ou de lumière, solarisation, colorisation sont autant d’innovations qui laissent percevoir un talent parvenu à maturité. L'utilisation de ces techniques révèlent l’adéquation entre son travail de photographe et la transformation profonde de l’image de la mode dans les années

trente. La silhouette de la femme se modifie, la mode devient un phénomène de masse et cette mutation, les images de Man Ray l’accompagnent avec un bonheur sans cesse renouvelé.

1 - INTRODUCTION
En 1922, Man Ray est présenté par son amie Gabrielle Buffet-Picabia à Paul Poiret. La rencontre est un semi-échec : le couturier se contente de mettre à la disposition du jeune Américain fraîchement débarqué ses installations et ses modèles, mais il refuse de le payer pour ses photographies.

Or l’artiste doit trouver des moyens de subsister. Il s’oriente alors vers le portrait. Les commandes lucratives affluent mais il ne renonce pas pour autant à la photographie de mode, à ce métier qui reste encore à inventer…

2 - DU PORTRAIT DES ANNÉES 1920 À LA PHOTOGRAPHIE DE MODE
Séduit par le milieu mondain, actif et ouvert, du Paris de l’après-guerre, Man Ray s’en imprègne. Ses premiers modèles sont des femmes du monde comme la Comtesse de Beauchamp ou de riches étrangères comme l’américaine Peggy Guggenheim ou l’égyptienne Nimet Eloui Bey. Pour satisfaire son inspiration, il n’hésite pas à employer aussi ses compagnes, Kiki, puis Lee Miller, pour passer subtilement du portrait à la photographie de mode et abandonner les formes compassées de ses débuts pour adopter un style plus spontané, où s’exprime davantage la sensualité du corps féminin.

Les formes du vêtement évoluent: chatoyantes, courtes, droites et flottantes au début des années 1920, les robes se transforment dès la fin de cette décennie. Taillées dans le biais, elles vont s’ajuster sur le corps et rallonger. Inspirées par l’Antiquité classique, fluides et sobres, elles feront de la femme du début des années 1930, une « vivante sculpture ».

- Bals et mondanités
Au cours des années folles, la vie mondaine parisienne est exceptionnellement riche. Elle est animée par une société cosmopolite soucieuse de ses plaisirs, qui compte une importante communauté américaine, où se mêlent artistes, écrivains et couturiers.

On y renoue avec la tradition des grands bals et du mécénat. On commande des oeuvres d’art, des spectacles ou des films à l’instar de Charles de Noailles qui emploie Man Ray, en 1929, à la réalisation d’un film, « Les Mystères du château de Dé » pour célébrer la villa, qu’il vient de faire construire à Hyères par l’architecte moderniste Robert Mallet-Stevens. 

02-3 - Elles sont habillées par Chanel
Entre les deux guerres, Gabrielle Chanel est à la tête d’un véritable empire qui compte jusqu’à 4 000 employés. Femme libre et anti-conventionnelle, amie d’artistes aussi divers que Jean Cocteau, Pablo Picasso, Serge de Diaghilev, Serge Lifar, Igor Stravinsky, Pierre Reverdy, Chanel fut aussi, selon Maurice Sachs, la première couturière « reçue » dans le monde. Elle impose un style à son image, un style qui séduit des clientes du monde entier, ici photographiées par Man Ray.

La collaboration avec les magazines
Au début des années 1920, la presse écrite est le principal vecteur de diffusion de la mode, mais la photographie est encore rare dans les magazines. Le dessin est roi, sauf dans les rubriques mondaines très suivies des lectrices, où des photographies d’élégantes célèbres lancent les nouveautés. Ce sont elles qui font la mode, plus encore que les couturiers qui créent les modèles. Man Ray pénètre dans l’univers de la mode par le portrait mondain. En collaborant avec Vogue de 1924 à 1928, pour des portraits ou des reportages, il apprivoise ce métier nouveau. Et si la demande est si forte c’est que la presse se métamorphose : en accordant une place toujours plus grande à la photographie, elle élargit son lectorat.

Noire et Blanche
KiKi de Montparnasse, la compagne de Man Ray depuis 1922, pose avec un masque Baoulé appartenant au sculpteur et verrier américain Georges Sakier. Cette photographie est publiée dans le numéro de Vogue de mai 1926 sous le titre Visage de nacre et masque d’ébène, puis dans le numéro de Variétés du 15 juillet 1928.

Man Ray fait adopter à Kiki plusieurs poses mais il n’en retiendra qu’une pour la publication. Les formes simples du masque font écho aux traits de Kiki : les yeux clos, le maquillage qui souligne la ligne des yeux et le trait de crayon des sourcils, les lèvres fermées. L’analogie immédiate entre le masque et le visage permet de rapprocher ces deux « objets » dans une « étrange poésie » écrira Pierre Migennes dans Art et Décoration en novembre 1928.

– Le Pavillon de l’Elégance
En 1925, L’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes composée de cinq grands groupes (Architecture ; Mobilier ; Parure ; Arts du théâtre, de la rue et des jardins ; Enseignement), réserve la part belle à la mode présidée par Jeanne Lanvin. Elle investit le Grand Palais avec plus de 300 modèles exposés, mais aussi les pavillons des grands magasins et les boutiques du Pont Alexandre III. Le prestigieux Pavillon de l’Elégance, commandité par quatre grandes maisons de couture et une maison de joaillerie (Callot, Jenny, Lanvin, Worth et Cartier) est dessiné par Robert Fournez et aménagé par Armand Albert Rateau. Il est dédié au luxe. Les mannequins, imaginés par André Vigneau pour Siégel, déclinés dans différentes couleurs, ont des visages stylisés mais les poses se veulent très réalistes. Ce sont ces mannequins que Man Ray photographie. Son reportage sera publié dans plusieurs magazines.

- Lee Miller
Lee Miller nait aux Etats-Unis en 1907. D’abord modèle pour Condé Nast, le groupe d’éditions fondateur de Vogue, elle rejoint Paris en 1929 et parvient à convaincre Man Ray de la prendre pour assistante. En 1932, elle retourne à New York où elle ouvre un studio commercial puis s’installe à Londres en 1939.
Correspondante de guerre pour Condé Nast, elle couvre notamment la libération des camps de déportation.
Son travail de photographe, très influencé par le surréalisme, coexiste avec un métier rigoureux et engagé de reporter de presse.

3 – LA MONTEE DE LA MODE ET DE LA PUBLICITE
Avec l’émergence de la culture de masse, les commandes publicitaires pour la mode et la beauté ne cessent de se multiplier. La presse fait appel à Man Ray, car il est l’un des actifs représentants du surréalisme, qui utilise à merveille l’arme du scandale et de la provocation.

Ce style parfaitement maîtrisé, corrigé par un classicisme de bon ton, pimenté par un érotisme lisse, génère des images qui satisfont les commanditaires. Détachées de leur fonction commerciale, ces clichés deviendront des icônes, à l’instar des Larmes.

- Les Larmes
Cette photographie iconique était à l’origine destinée à illustrer une publicité pour le mascara « Cosmécil », accompagnée du slogan « pleurez au cinéma / pleurez au théâtre / riez aux larmes, sans crainte pour vos yeux ».

Elle figure, recadrée, dans le premier ouvrage consacré aux photographies de Man Ray, publié en 1934, à l’initiative de James Thrall Soby, par les Cahiers d’Art.

4 - L’APOGÉE D’UN PHOTOGRAPHE DE MODE, LES ANNÉES BAZAAR
Les années 1934 à 1939, passées sous contrat avec le magazine américain Harper’s Bazaar, marquent l’apogée du style de Man Ray qui maîtrise dorénavant pleinement son mode d’expression. La liberté technique et formelle du photographe, la sophistication des images qui s’accorde à celle de la mode, s’intègrent pleinement à l’invention graphique portée par l’équipe dirigeante du magazine, Carmel Snow et Alexey Brodovitch, dont le leadership international s’exercera pendant une vingtaine d’années.
Le cinéma et les actualités cinématographiques ne parviennent pas à rivaliser avec la presse écrite, qui demeure le principal vecteur d’information et de diffusion de la mode. La publicité et la photographie y occupent toujours plus d’espace, séduisant un lectorat qui ne cesse de s’élargir.

- Elsa Schiaparelli (1890-1973)
Née en 1890 à Rome, c’est en 1927 qu’elle crée à Paris, ses premiers pulls que Vogue qualifie de « chefs d’oeuvre ». Proche d’artistes tels Salvador Dalí, ou Jean Cocteau, elle s’impose par une vision provocatrice de la mode.
Détournements, excentricité, volonté de choquer par des couleurs vives (dont le rose shocking) ou l’emploi d’un vocabulaire étranger à la mode : elle organise son travail en thématiques qui séduisent rapidement la presse spécialisée et une large clientèle internationale. Personnalité mondaine, elle n’hésite pas à s’afficher et à se faire photographier dans les tenues les plus insolites. Elle sera la grande rivale de Coco Chanel pendant toutes les années 1930.

- Mode et expérimentation
L’attractivité de Man Ray tient également à son audace. En 1934 il utilise un bélinographe (ancêtre du télécopieur) pour envoyer de Paris à New York un cliché. Déformé, illisible, le cliché se fond avec une élégante efficacité dans la maquette voulue pour Harper’s Bazaar par Alexey Brodovitch. Man Ray emploie tous les « trucs » de la modernité photographique, de la vue plongeante à la surimpression en passant par la solarisation, pour donner à ses images un caractère immédiatement reconnaissable, celui d’une image « artistique ».

- La bienséance
Des plus luxueux aux plus populaires, les magazines féminins de l’entre-deux guerres comptent une rubrique mondaine très appréciée des lectrices. Des images de femmes du monde illustrent la mode telle qu’elle peut être portée. A ces images s’ajoutent des recommandations pléthoriques sur les convenances.

Ces rubriques se complètent de chroniques où les tendances sont disséquées et illustrées par des croquis de mode avant que le reportage photographique ne devienne prépondérant au cours des années 1930.

Si la mode des années 1920 prône la simplicité et une allure sportive, celle de la décennie suivante renoue avec le formalisme vestimentaire : les codes se multiplient et il convient à nouveau d’adapter soigneusement sa tenue en fonction des circonstances et des lieux.

EN GUISE DE CONCLUSION
L’exceptionnelle vitalité du milieu mondain et le contexte des années 1920 favorable à l’abolition des frontières entre les arts, ont joué en faveur d’une promotion de la mode. Les couturiers, désormais personnalités mondaines à part entière, ont eux-mêmes encouragé les artistes et stimulé leur créativité.

En peu de temps, la mode - et plus particulièrement la haute couture –, a vu son aura s’élargir. Quant à son corollaire, la photographie de mode, elle devient, dès les années 1930, une discipline artistique autonome.

Man Ray quitte Paris en 1939. A son retour en en mai 1951 la ville n’est n’est plus celle qu’il avait découverte, à peine débarqué d’Amérique, au début des années 1920. La chaleur communicative des passions partagées avec Tristan Tzara ou Marcel Duchamp, la découverte amusée d’un mode de vie relativement confortable, sont bien loin. Il se retrouve confiné dans l’humidité obscure d’un ancien garage, à l’ombre des tours sévères de l’église Saint-Sulpice. Sa réussite de photographe de mode recherché, de coqueluche des riches expatriés américains, appartient désormais au passé et il se consacre à sa vocation de peintre qui ne l’a jamais vraiment quitté.

Face à l’histoire il prend une posture, qu’il tiendra jusqu'à la fin, celle d’un « touche-à-tout » de génie, dilettante de talent qui ne prétend faire que ce qui l’amuse et récuse toute contrainte économique et sociale.

Pourtant, la photographie de mode, cette partie longtemps occultée de son travail de photographe professionnel, demeure le témoignage d’une incontestable réussite. »


EXTRAITS DU CATALOGUE DE L'EXPOSITION

MAN RAY, UNE COURTE CARRIÈRE
par Alain Sayag
« C’est en 1922, alors qu’il vient d’arriver à Paris, que Man Ray fait ses premiers pas dans la photographie de mode. Il doit, après l’échec de son exposition à la librairie Six, en décembre 1921, trouver des moyens de subsistance. Francis Picabia comme André Breton le poussent à exécuter des reproductions des oeuvres de ses amis surréalistes. Il est alors prêt à accepter des commandes et à développer une activité de portraitiste. Il avait, dès 1919, commencé à pratiquer le portrait et avait même gagné un prix avec celui de Bérénice Abbott, qui deviendra à Paris son assistante. Il prit l’habitude, alors qu’il se livrait au travail répétitif et fort ennuyeux de reproduction, de garder toujours une plaque vierge pour réaliser un portrait en fin de séance. Il installe un atelier dans une chambre du Grand Hôtel des Écoles, utilisant pour développer ses photos, s’il faut en croire Gertrud Stein, un petit cagibi.
C’est dans ces conditions qu’il rencontre par l’intermédiaire de Gabrielle Buffet, l’épouse de Picabia, le couturier – et collectionneur – Paul Poiret. Il voulait lui proposer de faire son portrait, mais les circonstances en décideront autrement. Avec un appareil de seconde main, quelques plaques vierges et un certain culot, il tente de séduire son prestigieux interlocuteur par son « originalité ». Comme Poiret lui suggère de s’essayer à la photographie de mode, il avoue crûment ne rien connaître à ce genre particulier, qui n’est alors le fait que de quelques praticiens spécialisés qui ont du mal à exister face aux illustrateurs, plus recherchés et mieux payés. Le couturier veut « des photos originales […] quelque chose de différent des trucs que fournissaient habituellement les photographes de mode […] des portraits qui mettraient en avant l’élément humain ».
Man Ray n’est alors, ni techniquement, ni intellectuellement, à la hauteur de ce défi, aussi ses premiers clichés se révèlent d’une platitude effrayante. Pourtant, en quelques années, il va s’imposer comme un auteur novateur dont les images séduisantes vont accompagner la libération du corps des femmes et placer la photographie au coeur du système de représentation de la mode.
Expérimentateur impénitent, Man Ray veut introduire dans le travail qu’il produit sur commande pour les revues de mode un style pictural qui signale son appartenance revendiquée à l’avant-garde artistique.
Mais ce style ne se dégagera d’abord que lentement de réalisations dont il faut reconnaître la médiocre banalité. Les premières images faites pour Paul Poiret puis pour le Pavillon de l’Élégance ne tranchent guère, en effet, sur la production de son temps. Elles sont figées dans un décor artificiel et souvent sommaire. Elles font pâle figure à côté de la production des illustrateurs qui règnent en maîtres dans les pages des magazines féminins. Au début des années 1920, les illustrateurs de la Gazette du Bon Ton ou de Vogue sont les seuls à pouvoir donner à une silhouette l’élégante lisibilité requise par les lectrices. Le dessinateur peut placer le modèle dans le cadre fantasmé de la vie « mondaine », évoqué par quelques détails significatifs – un club de golf, un cheval de polo, une voiture de sport, un fume cigarette démesuré… –, tout en fournissant un document compréhensible dont la couturière de quartier ou la modiste de province pourra tirer un modèle présentable à sa cliente. Le dessin, en épurant le réel de détails inconséquents ou en les réduisant à n’être qu’un signe aisément décodable, fournit une possibilité d’interpréter les formes dont l’habilité de la technicienne saura tirer parti. La photographie, noyée dans l’absence de point de vue, est un document qui manque de « clarté », un objet inutile par la profusion des détails dont il s’encombre. Ce n’est que de nos jours, où la mode vise à vendre un style de vie plus qu’un objet sans réelle valeur intrinsèque, que les photographes rafleront toute la mise, mais en 1922 cela n’est pas encore d’actualité.
Man Ray fut très désappointé quand il constata que Poiret n’avait pas l’intention de le payer, estimant que le simple fait de lui avoir donné librement accès à ses modèles devait lui permettre de trouver des commanditaires qui le rémunéreront. À ce moment, Man Ray est encore loin de maîtriser son sujet.
Il se révèle incapable d’éclairer correctement le modèle et fait réaliser un projecteur de fortune par le concierge ; « un socle vénitien nanti d’un réflecteur improvisé sur lequel est vissé une grosse ampoule » qui n’éclaire rien et fait sauter l’installation électrique de la maison. Peu importe, conclut-il rapidement : « Le fer forgé ira bien avec les ornements du salon. » Il suffit que le modèle s’immobilise sur un sol recouvert de tissus pour qu’il puisse prolonger sans risque le temps de pose et travailler en lumière naturelle. Il ne manque pas, comme souvent, d’être content de lui : « C’était ravissant – divin comme on disait alors dans les milieux de la mode… avec un peu de pratique la photo de mode n’aura bientôt plus de mystère pour moi ». Pourtant, quand il tente un effet artistique, il ne fait que copier le métier très daté d’un Adolf de Meyer : la pose et le cadrage, pris dans un flou encore pictorialiste, font une image, certes séduisante, mais d’une très conventionnelle platitude.
Dix ans plus tard, le changement est surprenant. Man Ray a souvent déclaré que si l’on faisait appel à lui pour un reportage – où ses interventions seront de courte durée – comme dans la mode, c’était pour qu’il confère à ses images un « chic artistique » singulier. Peu nous importe que cette posture soit convenue, elle n’en donne pas moins à son travail un style qui va finir par s’imposer. Est-il dû à la pression des commanditaires, dont les exigences sont certaines ? Est-il la conséquence de cette volonté de faire « artiste » qui est aussi son meilleur atout économique ? Cette attitude ne se résume plus, comme dans ses débuts, à la confrontation d’un modèle et d’un objet d’art, fut-ce une sculpture de Brancusi ou un objet de Giacometti.
Il ne se borne plus à conjuguer platement « l’art et la mode » comme il s’en vantait pour ses premières images. Sa production invente un style entièrement neuf. Tous les moyens qui sont à sa disposition et qu’il a appris à maîtriser sont mis au service des modèles qu’il doit photographier. L’éclairage souligne les qualités des matériaux (moirages, transparence), le cadrage, les surimpressions, les distorsions, les gros plans, les surexpositions, les oppositions négatif-positif lui permettent de produire des images, sinon déroutantes du moins surprenantes, qui attirent l’attention. Il ira même jusqu’à mettre en œuvre des techniques inédites pour produire des images singulières comme avec la bélino – ce procédé destiné à transmettre des images très simplifiées par téléphonie – ou avec des aplats d’encre colorée. Posture systématique qui vise à valoriser l’image de mode par le langage de l’art contemporain, même s’il en vient à nier sa fonction même qui est de donner à voir des modèles. Premier prodrome d’un changement fondamental qui fait de la photographie de mode le reflet d’une attitude plus qu’une technique de reproduction de modèles.
En 1925, quand il photographiait les mannequins monumentaux du Pavillon de l’Élégance, rien ne le signalait à l’attention. Ses images ne tranchaient pas dans l’abondante production photographique que suscita cette manifestation. Ce n’est que plus tard, alors qu’il se lie par contrat en 1934 avec le magazine américain Harper’s Bazaar, qu’il réussit à concilier ses principes initiaux d’originalité avec les contraintes commerciales. Il est plus que probable, même si les archives ne nous disent rien de ces échanges, que cette mutation doit beaucoup au milieu dans lequel il travaille. En 1934, Carmel Snow a pris la direction de ce périodique et s’est adjoint, l’année suivante, Alexey Brodovitch comme directeur artistique.
Leur souci commun était de hisser la photographie à la première place. Les « trucs » qu’il manie à merveille – solarisation, inversion négative, surimpression, mise en abyme, retouche à l’encre – et qui signent sa qualité « d’artiste » photographe, se conjuguent à merveille avec ceux qu’affectionne Brodovich pour révolutionner la mise en page de sa revue. Et si Man Ray continue à introduire dans ses compositions des objets artistiques – oiseaux de Giacometti, socles blancs inspirés de Brancusi ou même ses propres oeuvres comme À l’heure de l’observatoire – Les Amoureux (1936), ce n’est plus à titre d’éléments de décor posés dans l’image mais pour les incorporer à un univers résolument « moderne ».
Ces procédés, on l’a dit, sont nombreux. Le premier d’entre eux tient à une révolution du point de vue.
En opposition avec une vue normale, celle d’un adulte, qui est frontale, on choisit des points de vue inhabituels, celui « de l’oiseau » ou celui « du ver de terre ». Le premier apparaît comme un des signes emblématiques de la « modernité photographique ».
C’est par exemple celui qu’adopte l’artiste hongrois László Moholy-Nagy pour Depuis la tour de radio, Berlin. Vue aérienne. Ce procédé reste cependant assez exceptionnel, même pour Man Ray. La « robe
de Madeleine Vionnet dans une brouette » (1937) en est un bon exemple. L’objet, une brouette de bois capitonnée, est certes singulier et signale l’intervention d’un artiste, mais l’angle de prise de vue est plus original encore, loin d’aplatir l’image, comme on aurait pu le craindre, il met en valeur la décontraction de la pose tout en opposant la somptuosité de la robe du soir en plissé argent de Madeleine Vionnet au matériau brut de la brouette d’Oscar Dominguez. L’autre point de vue, celui qui place l’objet en contrechamp – le point de vue d’un ver de terre – est plus largement utilisé par Man Ray. Même s’il ne fait que copier un des poncifs de la photographie de propagande qu’invente alors Heinrich Hoffmann pour les nazis, le procédé n’en demeure pas moins redoutablement efficace. Rien d’étonnant donc qu’on le retrouve fréquemment dans sa production commerciale et ce, dès 1925, dans le Pavillon de l’Élégance.
Le recadrage, pour obtenir une image resserrée en gros plan par rapport à la prise de vue, est aussi une de ses techniques favorites. Il obéit d’abord à une volonté de déréalisation, qui est un de ses objectifs systématiques. S’il resserre le cadre sur l’épreuve contact, ce n’est pas parce qu’il n’est pas satisfait de son cadrage initial, mais dans le but d’atténuer la netteté de l’image. On en a pour preuve le contact d’une image dont le titre définitif sera Le Dos blanc (1927). Le modèle, agenouillé sur un coussin, montre en effet, comme les madones de Caravage auxquelles Stendhal reprochait leur origine prolétarienne, des plantes de pied d’une propreté douteuse. Sachant qu’il recadrerait ensuite l’image, il pouvait ignorer ce détail trivial et offrir un peu de confort à son modèle en plaçant un coussin sous ses genoux. Son objectif, en s’éloignant du modèle, était de gommer la précision des contours de l’image. Un léger flou lui permet, quand il recadre et agrandit en tirant, d’obtenir une douceur dans le dessin qu’il accentue plus ou moins selon les sujets. Le corps, par le biais de la pose et du cadrage, se transforme au point d’être presque méconnaissable : il n’a plus de tête – la chevelure noire se perd dans le fond ; les bras sont cachés, repliés sur le ventre, les jambes sont coupées. Il poursuit toujours le même objectif : donner à l’image photographique la capacité de dématérialiser la réalité. Qu’il soit indiqué au crayon, au stylo ou qu’il résulte d’un pliage de l’épreuve contact, il emploie donc constamment le recadrage pour « déréaliser ses images ». De ce qui était probablement au départ une contrainte technique résultant du manque d’éclairage et d’optiques adéquates, il en a vite fait un atout. Comme ces Larmes, exemple type du changement qu’il peut opérer. Commande pour une marque de rimmel, le « Cosmécil » d’Arlette Bernard, publiée dans le magazine Fiat en 1934, cette composition est devenue une des images les plus célèbres de Man Ray. Elle juxtapose une image en gros plan de l’œil du modèle et de larmes de verre.
Le recadrage gomme la platitude du contact photographique et lui confère un graphisme qui donne tout son mystère à l’image.
En coupant, en tronquant l’image, le corps est privé de sa nature charnelle ; il disparaît, seule l’âme reste et la beauté intemporelle d’un « objet » sculptural aux courbes parfaites. « Certaines de mes photos les plus réussies, écrira-t-il, n’étaient que des agrandissements de détails d’un visage ou d’un corps. »
L’accentuation du mouvement par duplication de l’image est un autre moyen – Erwin Blumenfeld l’utilisera avec brio à la fin des années 1940 – mais il apparaît déjà dans les années 1930, dans certaines photographie de Man Ray. La même pose, tirée du même négatif, est reproduite plusieurs fois sur le tirage, créant une illusion qui met l’image en mouvement tout en magnifiant l’artificialité du procédé.
Et ce n’est pas un hasard si Brodovich reprit souvent celui-ci sur la page imprimée de Harper’s Bazaar.
Bien d’autres procédés techniques sont aussi à l’oeuvre : surimpression de trames ou de négatifs, inversion jusqu’à la solarisation, qui deviendra un de ses marqueurs favoris.
On sait que Man Ray prétend que cet effet aurait été inventé par hasard. Lee Miller, qui était alors son assistante et sa compagne, raconte dans une lettre à son frère, non datée, mais probablement de 1929, que c’est en travaillant tous deux dans la chambre noire que le procédé fut découvert : « Quelque chose m’effleura la jambe, je criai et rallumai brusquement la lumière. Je ne découvris pas ce que c’était, une souris peut-être, mais je réalisai que le film avait été exposé.
Dans le bac de révélateur se trouvaient une dizaine de négatifs développés d’un nu sur fond noir. Man Ray les attrapa, les plongea dans le bac d’hyposulfite et regarda. La partie non exposée du négatif, le fond noir, avait sous l’effet de la lumière été modifié jusqu’au bord du corps nu et blanc ».
Ce n’est évidemment qu’une légende et l’artifice était connu depuis longtemps sous le nom d’effet Sabatier.
Il n’en reste pas moins que Man Ray le systématisa pour en faire une figure de style. Il apprit à le maîtriser totalement, offrant ainsi à l’écriture photographique une des caractéristiques du dessin : le trait noir qui vient souligner les formes et donne cet aspect irréel et flatteur dont raffolent les « amateurs de chiffons ».
S’il multiplie les collaborations au début des années 1930 avec de grands magasins new-yorkais comme Bergdorf Goodman ou Tiffany, des magazines comme Vogue, Vanity Fair ou Variétés, c’est en 1934 qu’il se liera durablement avec Harper’s Bazaar, devenant un des piliers de l’équipe réunie par Snow et Brodovitch.
La Grande Dépression s’éloignant des États-Unis, alors qu’elle frappe toujours l’Europe, les magazines outre-Atlantique ont retrouvé une prospérité qui ne peut que profiter à cet Américain résidant à Paris. Man Ray écrivit à Julian Levy que c’est à la fin de 1932 « que la crise l’avait durement atteint » en France.
En 1933, il peut se permettre de louer deux ateliers, l’un rue Campagne-Première, où il habite, dans un
immeuble cossu, l’autre, pour peindre, au 8 de la rue du Val-de-Grâce.
Et si l’on en croit Lucien Treillard, qui fut son assistant durant de longues années, Man Ray était le seul des surréalistes qui pouvait vivre bourgeoisement. « Il avait toujours de quoi payer ses consommations, faisait faire ses costumes à Londres et conduisait une Voisin. Il put même s’acheter une petite maison de 38 Man Ray et la mode campagne à Saint-Germain. » Et cette aisance il l’a due, sans conteste, à son travail de photographe de mode.
Mais il finira par se lasser de ces jeux formels. En 1938 il mit fin à sa collaboration avec Harper’s Bazaar et il n’hésitera pas en 1940 à refuser l’offre que lui fait la rédaction de s’installer à New York. Il songe à suivre les pas de Gauguin à Tahiti mais il n’ira pas plus loin que Hollywood et, s’il donne encore quelques images aux magazines américains, c’est sans s’embarrasser des contraintes de la mode. Il avouera pourtant que ces contraintes furent assez légères : « Je ne vais jamais dans les maisons de couture, écrivait-il à sa sœur, les modèles me sont envoyés pratiquement prêts à photographier. »
« I hate photography, clame-t-il, je ne fais que ce qui est nécessaire à ma survie pour produire quelque chose qui m’intéresse personnellement. » « La photographie de mode est devenue pour moi a social and automatic process. » Commencée dans une maison de couture, celle de Poiret, sa carrière de photographe « s’achève aussi avec la mode, écrit Serge Bramly, comme si celle-ci l’éclairait, la sous-tendait de bout en bout.
Épuisé par l’une, il renonce à l’autre. Ses appareils ne ressortiront plus de leur étui » et il se figera dans la prétention de n’être que peintre. C’est pourtant dans l’éphémère de la mode, dans la fugacité facile de la photographie, qu’il a accompli une oeuvre qui demeure un des sommets du siècle.
Au fond, ce qui l’attirait dans la mode c’était le « sex appeal » des modèles qui lui étaient livrés. Il ne tenta jamais de cacher sa prédilection pour les plaisirs éphémères de la chair, aussi bien dans ses oeuvres – le Violon d’Ingres est assez explicite à cet égard – que dans son autobiographie. Pourtant, peu d’images atteignent la séduisante pudeur de bien de ses nus. La sculpture classique n’est jamais bien loin mais ces photographies inventent un langage pictural moderne qui est un des apports majeurs de la photographie à l’art du XXe siècle. Sa carrière fut certes courte, à peine dix-huit ans, elle n’en préfigure pas moins le rôle pivot que la photographie va jouer dans la conquête par la mode d’un public en passe de devenir universel. »


QUAND MAN RAY PHOTOGRAPHIE LA MODE
par Claude Miglietti

« L’ACTIVITÉ COMMERCIALE D’UN ARTISTE MAJEUR
L’exposition « Man Ray, photographe de mode » raconte notre fascination pour le travail d’un artiste majeur dans un domaine considéré comme mineur. Dès son arrivée à Paris, Man Ray devient un photographe de mode puis, très vite, un photographe à la mode : toute l’intelligentsia et la communauté américaine de passage à Montparnasse se précipitent alors dans son studio. Ses portraits de commande
le rendront célèbre, il saura utiliser pour certains toute sa connaissance des effets spéciaux (cadrage audacieux, surimpression, solarisation…) afin d’apporter une dimension supplémentaire à ses modèles 
dans le contexte de réalisations aux codes bien définis.
Dès 1924, Vogue publie ses portraits : comtesses, marquises et duchesses apparaissent dans des poses « naturelles ». À l’instar de la société de l’époque, Man Ray ne donnait guère d’importance à la photographie, moyen d’expression considéré comme marginal. Mais même les images banales sont riches d’enseignement et témoignent de son savoir-faire : ses indications de recadrage pour ses assistants, les séries et les variations sur un même motif permettent un voyage dans l’infini des possibles.
En 1935, il publie dans Minotaure une publicité pour son atelier. Sa réputation de portraitiste et de photographe de mode est désormais bien établie et lui assure aussi bien aisance matérielle que célébrité. 
Ses photographies témoignent du monde qu’il côtoie, celui des fêtes et des excentricités d’une époque bientôt révolue. Ce ne sont pas précisément des photographies de mode mais certaines nous renvoient à l’extravagance des défilés d’aujourd’hui.
Plus tard, au milieu des années 1930, Man Ray fera poser ses amies ; Kiki est encore son modèle mais Nusch Eluard, Consuelo de Saint-Exupéry ou Adelin Fidelin, photographiées pour « La mode au Congo» (Harper’s Bazaar de septembre 1937), deviennent des mannequins, comme aujourd’hui les célébrités du monde du sport ou des arts.
Ces photographies font partie de l’important corpus publié dans Harper’s Bazaar qui voit l’apogée de sa carrière de photographe de mode magnifié par les audacieuses mises en page de son directeur artistique, Alexey Brodovitch ».

« … LIER L’ART À LA MODE »
« Man Ray a dit vouloir lier l’art à la mode pendant que les artistes dadaïstes et surréalistes cherchaient à lier l’art à la vie. « Des liens viscéraux entre le monde de l’art et de la mode se tissent alors, dans l’effervescence de la modernité […] », selon Nina Rodriguez. Sonia Delaunay crée des robes poèmes avec Tristan Tzara, Gabrielle Chanel travaille avec Dalí, Elsa Schiaparelli pose avec son Chapeau-chaussure tandis qu’en Belgique Magritte travaille pour la maison Norine. Avec le surréalisme, les passerelles entre le monde de l’art et celui de la couture vont se multiplier et décloisonner les disciplines. Man Ray renouvelle la photographie de mode jusqu’alors strictement documentaire. Il pose un regard sur la femme où réalité et imaginaire se confondent.

Compositions, recadrages, jeux d’ombres et de lumière, solarisations, colorisations et autres expérimentations techniques contribuent à la création d’images oniriques. Il apporte un regard neuf, fait d’inventivité technique et de liberté à la gloire de la femme et de ses vêtements. Pour coller au sujet La Beauté aux ultraviolets (Harper’s Bazaar d’octobre 1940), Man Ray demande d’ajouter de l’encre violette à l’impression de la photographie solarisée d’un nu réalisée quelques années auparavant. L’art du détournement est ici au service du sujet et d’une vérité poétique en même temps que cette image semble littéralement préfigurer les sérigraphies d’Andy Warhol.
Sa créativité technique et sa liberté s’inscrivent dans une période qui voit, dans les années 1920, l’avènement de La Nouvelle Vision. Ce mouvement photographique est en rupture avec les règles admises jusqu’alors et partage avec Man Ray le choix de perspectives basculées et de prises de vue en plongée ou contre-plongée facilitées par la miniaturisation des appareils.
Les concessions faites inévitablement à son activité commerciale ne nuisent donc pas à sa créativité,
d’autant plus que les directeurs artistiques de journaux valorisent l’expression d’une sensibilité originale pour un public épris de nouveauté. La publicité répond « au besoin de créer une poésie de la publicité et du haut commerce », relate Pierre Mac Orlan en 1929 dans Métiers graphiques, ainsi la photographie iconique de Man Ray Larmes a d’abord été une image pour la publicité d’une marque de mascara.
Comme le soulignent Alain Sayag et Emmanuelle de l’Ecotais : « Son oeuvre s’inscrit aussi bien dans les mouvements d’avant-garde de son temps que dans la culture de masse qui émerge alors. »
Ses photographies promeuvent autant la mode parisienne que l’esthétique surréaliste.

D’UN MONDE À L’AUTRE
Son travail pour la mode est la face cachée de sa pratique artistique faite de courts-circuits visuels et symboliques. Le répertoire de son univers personnel trouve une résonance là où la mode et la femme sont mises en scène : Coat-stand (portemanteau), 1920 ; Anatomie, 1930 ; Collection d’hiver, 1936…
Surréaliste, Man Ray n’en restera pas moins un artiste dada. Sa formation à New York, au Ferrer Center, créé selon les principes de l’éducateur anarchiste catalan Francisco Ferrer Guardia, sera déterminante en le libérant du respect des valeurs établies et en désacralisant les techniques d’expression traditionnelle nous rappelle Alain Jouffroy. « Ouvrir les yeux sur l’invisible, voilà le but, en faisant fi des ricanements, de la bienséance, de l’esthétisme », assure Man Ray en 1933 dans le numéro 3-4 de Minotaure.
Il est fréquent de le voir réutiliser son travail de commande. Ainsi retrouve-t-on une des photographies du Pavillon de l’Élégance sur la couverture de la revue La Révolution surréaliste de juillet 1925.
Dans ce contexte, le mannequin déréalise le sujet et fait alors écho à ceux qui seront présentés à Paris, à la galerie des Beaux-Arts de Georges Wildenstein, treize ans plus tard, pour l’Exposition internationale du surréalisme de 1938. L’iconographie du mannequin et du corps de la femme fétichisée nous renvoie à la porosité qui existe entre photographies commerciales et artistiques.
Le remploi, l’association d’idées à l’origine du ready-made nous emmènent bien au-delà de la stricte représentation du sujet. Les exemples sont nombreux et celui de la Lampe shade est significatif : un bout de papier sorti de la poubelle en 1919 deviendra sujet photographique, abat-jour édité à plusieurs exemplaires dans les années 1960, puis, en changeant d’échelle, boucles d’oreilles que Catherine Deneuve portera pour une série de portraits.
« Man Ray et les surréalistes en cherchant à saisir l’instant surréaliste dans une photographie de la réalité […] nous la montrent dans un autre contexte, nous obligeant à re lire, ou à re voir son sens », avance Christian Bouqueret. En retraçant son parcours méconnu de photographe de mode, l’exposition cherche à mettre en lumière l’enrichissement permanent qui existe entre ses oeuvres et son travail de photographe professionnel.
Tandis que sa famille artistique, le surréalisme, trouve une magnifique résonance dans son travail, Man Ray offre, au monde de la mode, le désir et le rêve. »


COMPRENDRE LA MODE DE L’ENTRE DEUX GUERRES
par Marie-Josée Linou
« La mode au temps de Man Ray » permet de découvrir les relations entre le vêtement d’une époque, celle de l’entre-deux-guerres, et sa représentation, à travers le regard d’un artiste, peintre et photographe, Man Ray. [...]
La confrontation de ses photographies et des modèles emblématiques des grandes maisons de couture – comme Chanel, Augustabernard, Schiaparelli – révèle que ces créateurs recherchèrent la vision singulière du photographe pour communiquer de façon novatrice dans les revues de mode. [...]
Les photographies aident à mesurer l’originalité de ces éléments vestimentaires qui, en raison de leur fragilité et de leur usage, ont rarement survécu, contrairement aux robes de soirée, bien plus nombreuses dans les garde-robes des musées car beaucoup moins portées, mais parfois remaniées et transformées au cours du temps. [...]
Pour comprendre la mode au temps de Man Ray, il est utile de feuilleter les magazines qui donnent des conseils de beauté et de savoir-vivre suivis par des millions de lectrices, ou encore de regarder des films qui apportent toute la lumière sur la manière d’être et de bouger. [...] »


BRÈVE ÉVOCATION DE LA MODE AU TEMPS DE MAN RAY
par Catherine Örmen
« LA GARÇONNE DES ANNÉES 1920
DES ROBES COURTES MÊME POUR LE SOIR !
Juste après la guerre, les robes sont à mi-mollet. Pour le soir, la longueur est inégale, avec des mouvements en pointes, de longues chutes de tissu sur le côté ou parfois des traînes. En 1925, l’ourlet couvrira à peine le genou, du jamais vu ! [...]

« LA RICHESSE DES ÉTOFFES DU SOIR REND SUPERFLUE TOUTE COMPLICATION DE FORME »
La simplicité de la coupe, qui ne peut être qu’apparences fallacieuses au regard des modèles de haute couture, réserve donc la part belle à l’ornementation. [...]

LE COSTUME « SPORT »
Oublier le passé, mener sa vie à toute allure, tels sont les leitmotivs des années d’après-guerre. L’automobile se répand. Les transports publics s’améliorent. Le chauffage central investit les appartements. Autant de facteurs qui favorisent la mobilité et l’allègement des toilettes. [...]

ON NE NAÎT PAS GARÇONNE, ON LE DEVIENT !
La silhouette parallélépipédique de la garçonne se construit. Pour demeurer invisible, la lingerie se réduit au minimum. Tout ce qui est encombrant est réformé. [...]
Sous le chapeau cloche qui ombre les yeux, les femmes désormais osent se maquiller, même en plein jour : jeune ou âgée, mariée ou célibataire, bourgeoise ou prolétaire, femme active ou simple ménagère, toutes sont concernées : la mode étend son empire au visage. [...]

LA FEMME ÉPANOUIE DES ANNÉES 1930

UNE FEMME CAMÉLÉON
Le visage doit faire l’objet de soins attentifs. Les instituts de beauté se multiplient et le maquillage s’accentue au fil des heures. La mode en change l’aspect et le soumet à une codification précise qui fait de la femme un véritable caméléon. [...]

LE RAFFINEMENT DE LA COUPE ET DES FINITIONS
Oubliant l’apparente simplicité de la décennie précédente, le vêtement des années 1930 se repère au
raffinement et à la complexité de sa coupe ainsi qu’au soin apporté aux finitions. [...]

UNE CODIFICATION TRÈS PRÉCISE SELON LES LIEUX ET LES HEURES DU JOUR
La mode se complique. « Tous les effets faciles ou pauvres sont d’ores et déjà périmés.
Et l’influence “ sport ” ne sera plus longtemps tolérée à la ville. » [...]

DE SPECTACULAIRES ROBES DU SOIR
Au début des années 1930, la plupart des couturiers définissent une mode épurée qui évolue vers plus de fantaisie, de romantisme et d’emphase à partir de 1935. [...]
Bien des images de Man Ray retracent ces grands moments d’une suprême élégance. Frivolité inouïe et exubérance de la toilette pour oublier que l’on vivait alors des temps plus qu’incertains ? »

EXTRAITS DE EN ATTENDANT MAN RAY
«Série de témoignages de personnalités du monde de l’art

Les témoignages sont disponibles sur le site du musée du Luxembourg.
En attendant Man Ray est un contenu numérique réalisé en attendant l’ouverture de l’exposition suite à son report. La Rmn – Grand Palais et le Musée du Luxembourg ont demandé à des personnalités du monde de l’art, de la photographie et de la mode de parler de leur rapport à cet artiste, l’influence qu’il a exercée sur eux, ce qu’il éveille, révèle encore aujourd’hui.
« Je ne me rendais pas compte à quel point Man Ray avait compté dans la formation de mon goût... C'est par les réactions des autres que j'ai compris combien son surréalisme était en moi et continue de l'être. »
Martin Margiela, Plasticien, ex-Créateur de mode

« Cette photo illustre parfaitement la raison pour laquelle l’oeuvre de Man Ray est devenue une pierre angulaire de la mode moderne et de la photographie artistique : elle est à la fois une photo de mode, un portrait et une oeuvre d’art. »
Beda Achermann, directeur Artistique et fondateur du Studio Achermann
A propos de Man Ray, Lee Miller, 1930 Centre Pompidou, MNAM-CCI dist. Rmn-Grand Palais / Guy Carrard © Man Ray 2015 Trust / Adagp, Paris 2020

« Ce qui me fascine lorsque je regarde les photographies de Man Ray dans le monde de la mode, c’est la façon dont elles parviennent à révéler et à mettre à nu les rouages de la photographie de mode. »
« Principal vecteur de la mode hier comme aujourd’hui, la photographie de mode est une œuvre d’art totale qui, à l’instar de l’opéra, puise dans l’art, l’architecture, la lumière, le mobilier et tout ce qui se trouve sur la scène. »
Thom Bettridge, Rédacteur en Chef de Highsnobiety

« Il n'a pas seulement inventé tout un vocabulaire visuel mais il s'est aussi rêvé, lui-même, Man Ray, ce fameux surréaliste. »
Seb Emina, Ecrivain, Rédacteur-en-Chef de The Happy Reader

« Pour plonger dans la flamboyance des années 1920 et 1930 en France, il n’y a guère de lecture plus évocatrice que celle de l’Autoportrait de Man Ray […] »
« Est-ce parce que l’objet le fascine que Man Ray est de ces photographes de mode par inadvertance qui n’oublient pas la mode elle-même ? »
Olivier Gabet, Directeur du musée des Arts décoratifs, Paris

« Man Ray représentait une voie nouvelle vers un monde dans lequel la mode viendrait des États-Unis, où les vêtements auraient autant d’importance que l’image, non davantage, et où la seule possibilité serait d’accepter la modernité et d’avancer vers l’avenir. »
Donatien Grau

« La photographie de Man Ray fige un instant, qui se retrouve cristallisé dans l’ombre et l’argent.
Ses images transcendent le temps. »
Shauna Toohey et Misha Hollenbach, Stylistes, Créateurs de Perks And Mini (P.A.M.)

« Cette Peggy Guggenheim, photographiée par Man Ray en 1924 dans une robe de Paul Poiret, n’est pas qu’une photographie, c’est un bijou. »
Guillaume Houzé, Directeur de l'Image et de la Communication des Galeries Lafayette et BHV Marais 

« Il y a une telle limpidité et une telle intention dans la vision de Man Ray. La complexité et le désordre n’y ont pas leur place. »
« La façon dont Man Ray voyait et montrait le monde m’apparaît aujourd’hui comme essentielle : montrer ce qui est dans toute sa beauté, simplement en jouant avec l’ombre et la lumière. »
Lutz Huelle, Créateur et styliste Allemand

« Man Ray a capté l’essence des femmes de son temps, celles qui étaient libérées des préjugés et de la bourgeoisie. Nous voyons, à travers ses yeux, leur force, leur audace et leur courage. »
Rabih Kayrouz, Couturier fondateur Maison Rabih Kayrouz

« Je suis un dictionnaire de la mode en général. Mais particulièrement de Chanel… J’aimais son personnage et son allure sur les portraits de Horst P. Horst et de Man Ray. […] Je trouvais qu’elle avait des similarités avec ma mère. […] Elle avait ce même air de brune méchante… mais drôle! »
Karl Lagerfeld, Grand Couturier, Photographe, Directeur Artistique de CHANEL de 1983 à 2019
interview donnée à Hélène Guillaume pour Madame Figaro, le 6 décembre 2017.

« Il est curieux que les images les plus évocatrices pour moi de l’idée de la mode soient celles où la mode est absente. »
Miuccia Prada, présidente, Fondazione Prada, Italie »


GLOSSAIRE DES TECHNIQUES PHTOGRAPHIQUES
Extrait du catalogue de l’exposition

« RAYOGRAMME
En 1922 Man Ray publie dans Vanity Fair ses premiers photogrammes et les baptise « rayogrammes ». Cette technique de « photographie sans objectif » permet d’obtenir une épreuve par simple interposition d’un objet entre le papier sensible et la source lumineuse.
Ce procédé est à l’origine de l’invention de la photographie et fut découvert par William Henry
Fox-Talbot dès 1834 le publia sous le nom de « photogenic drawing ». Il fut repris sur un plan purement artistique par le dadaïste Christian Schad en 1917 puis par Laszlo Moholy-Nagy un peu plus tard. Ne nécessitant ni appareil ni objectif, le photogramme, après avoir été fixé, révèle la trace photographique de la forme de l’objet, prenant des teintes sombres aux endroits exposés à la lumière et des teintes claires aux endroits non exposés, elles deviennent grises si les objets sont transparents ou translucides. En déplaçant la source lumineuse ou en procédant à de multiples expositions on peut obtenir une image complexe.

SOLARISATION
Ce procédé de tirage est apparu en 1862 sous le nom d’effet Sabatier. Il provoque une inversion partielle des valeurs de l’image par une exposition à la lumière du négatif ou de l’épreuve au cours du développement. Cette action provoque l’apparition d’un liseré séparant les zones sombres des zones claires. Man Ray, qui dit l’avoir découvert par hasard en 1931, l’a utilisé sciemment pour produire un effet de silhouettage qui est devenu une des caractéristiques de son style photographique. Confiant dans sa maîtrise technique, il réalisait cette opération le plus souvent directement sur le négatif ce qui lui permettait de confier le travail du tirage à un assistant.

SURIMPRESSION
La surimpression consiste à superposer deux ou plusieurs éléments, soit à la prise de vue (clichés successifs sur la même plaque), soit au tirage. Le plus souvent l’épreuve a été réalisée à partir de deux ou plusieurs négatifs superposés en sandwich dans la fenêtre de l’agrandisseur.

PHOTOMONTAGE
Apparu au XIXe siècle, le montage photographique est adopté dans les années 1920 et 1930, par les mouvements artistiques d’avant-garde (dada, surréalisme, futurisme, constructivisme russe) qui en font un moyen d’expression à part entière. Le photomontage peut prendre des formes très diverses : il peut être composé à partir de fragments photographiques découpés, collés, parfois complétés d’ajouts peints ou typographiques, mais également créé à partir de plusieurs négatifs combinés. Dans les années 1930, la presse s’emparera de ce nouveau moyen d’expression souvent dans un but politique. »

LES DIFFÉRENTS TYPES DE TIRAGE
Tirage par contact : un tirage contact est obtenu en plaçant le négatif directement sur le papier photographique. Le tirage a donc les mêmes dimensions que celles du négatif. Privilégié au XIXe siècle, ce type de tirage continue tout au long du XXe siècle à être pratiqué, notamment pour l’obtention de planches-contact permettant au photographe de choisir l’image à retenir.
Man Ray marque souvent le cadrage souhaité directement sur cette épreuve.
Tirage original : un tirage original est un tirage effectué par l’auteur ou sous son contrôle, à partir du négatif original. On en distingue deux types selon la période de réalisation : le tirage d’époque et le tirage tardif. Un tirage d’époque est un tirage original produit à une date proche de celle de la prise de vue, tandis que le tirage tardif peut être produit de nombreuses années après la prise de vue.
Retirage (aussi appelé tirage moderne) : un retirage est un tirage réalisé après la mort de l’auteur, à partir du négatif original. L’oeuvre de Man Ray a fait l’objet de très nombreux retirages de qualité très diverses souvent à partir de contretypes des négatifs originaux.
Contretype : le contretype est un duplicata d’une image photographique obtenu en la rephotographiant. Le contretype d’un négatif peut être obtenu par contact. Man Ray a beaucoup contretypé ses rayogrammes originaux pour les diffuser ou même les commercialiser. »

Du 23 septembre 2020 au 29 octobre 2020 (fermée le 30 octobre)

Du 15 décembre 2020 au 17 janvier 2021

Au Musée du Luxembourg 

19, rue Vaugirard, 75006 Paris

Tél. : 01 40 13 62 00

Tous les jours de 10 h 30 à 19 h / Nocturne jusqu'à 22 h le lundi

Suite aux annonces gouvernementales, l’exposition  est fermée au public et ne pourra pas réouvrir ses portes avant le 17 janvier, date de fermeture initiale.

Visuels :

Affiche

Man Ray

Sans titre

1925

épreuve platine, tirage d’exposition réalisé en 2003 d’après le négatif sur plaque de verre

18 x 13 cm

Paris, Centre Pompidou, Musée national d’Art moderne/ Centre de création industrielle, achat par commande, tirage Jean-Luc Piété

© Centre Pompidou, MNAM-CCI, dist. RMN-Grand Palais / image Centre Pompidou, MNAM-CCI

© Man Ray 2015 Trust / Adagp, Paris 2020


Couvertures du Journal de l’exposition

24 pages, 40 illustrations, 6€

© Réunion des musées nationaux -

Grand Palais, Paris 2020


Couverture du catalogue de l’exposition

19,5 x 27,5 cm - 248 pages - 200 illustrations - 39€

© Réunion des musées nationaux - Grand Palais, Paris 2020

Man Ray

Peggy Guggenheim dans une robe de Poiret

1924

épreuve contact gélatino argentique

10,8 x 8 cm

Paris, Centre Pompidou, Musée national d'Art moderne/Centre de création industrielle, dation en 1994

© Centre Pompidou, MNAM-CCI, dist. Rmn-Grand Palais / Guy Carrard

© Man Ray 2015 Trust / Adagp, Paris 2020


Man Ray

Le Pavillon de l’Élégance, exposition internationale des arts décoratifs et industriels

Robe du soir « Apollo » de Jeanne Lanvin

1925/1995

épreuve platine, tirage d’exposition réalisé d’après le négatif sur plaque de verre

23,5 x 17,5 cm

Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne - Mnam/ Centre de création industrielle

© Centre Pompidou, MNAM-CCI, dist. RMN-Grand Palais / image Centre Pompidou

© Man Ray 2015 Trust / Adagp, Paris 2020


Revue Harper’s Bazaar «Black silk taffeta by Alix», février 1937, p.54-55

Revue pages 54-55

© Galliera / Parisienne de Photographie

© Man Ray 2015 Trust / Adagp, Paris 2020

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Les citations sur l'exposition proviennent du dossier de presse.

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