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jeudi 21 janvier 2021

« Les Colonnes de Guerry » de Georges Jeanclos

Georges Jeanclos (1933-1997) était un sculpteur juif français, ancien enfant caché durant l’Occupation nazie. Il a créé une œuvre, souvent en terre, mêlant l’art sacré, inspiré par le Judaïsme ou destiné à des édifices chrétiens, et l’art profane. Le musée d’art et d’histoire du Judaïsme (mahJ) présente « Les Colonnes de Guerry de Georges Jeanclos. Un don majeur de la famille de l’artiste ». Une oeuvre sculptée rappelant le massacre de Juifs par la Milice et la Gestapo à Guerry, dans le Cher, en 1944.

 

« Je suis un modeleur. L’argile m’est familière. Je sais l’humidité propice à la naissance, la fuite dans le temps de l’eau, choisir le bon moment pour faire naître de la terre les images fécondes. […] », a déclaré le sculpteur Georges Jeanclos (1933-1997).

« Né en 1933 à Paris, Georges Jeankelowitsch (la famille prend le nom de Jeanclos en 1945) passe l’Occupation dans la clandestinité ». 

« Après un apprentissage chez le sculpteur Robert Mermet (1896-1988), il suit les cours de l’école nationale supérieure des Beaux-Arts de 1952 à 1958 ». 

En 1956, son frère ainé est tué durant la guerre d'Algérie.

Trois ans plus tard, Georges Jeanclos reçoit le Grand prix de Rome.

En 1960, il épouse Jacqueline Gateau. Le couple a trois enfants : Marc, Elisa et Emmanuel. En deuxième noces, Georges Jeanclos se remariera avec Mathilde Ferrer.

« De 1960 à 1964, Jeanclos séjourne ensuite à la villa Médicis de Rome » dont le directeur est alors Balthus

Puis, 
Georges Jeanclos « enseigne successivement à l’école des Beaux-Arts du Mans puis à l’école nationale supérieure des Beaux-Arts ». 

En 1979, il est distingué par le Prix de la Biennale de Budapest.

« En 1982, il fonde l’atelier de recherche et de création de la manufacture de Sèvres, qu’il dirige jusqu’à sa mort en 1997 ». 

Il séjourne en 1984 au Japon.

« Revenant à ses origines juives – lituaniennes par son père et comtadines par sa mère – à partir des années 1970, Jeanclos installe son atelier rue des Écouffes dans le Marais, et son œuvre sera dès lors fortement marquée par le judaïsme sans que ce thème soit exclusif : Dormeurs, Kaddish, Urnes, Rachi, Kamakuras, Barques... » 

Réalisée à la Manufacture nationale de Sèvres, la série des Dormeurs a été produite en biscuit de porcelaine. Elle figure "des gisants modernes qui semblent témoigner de la difficile survie de l'humanité après le cauchemar de la Shoah".

Georges Jeanclos « réalise également des commandes publiques monumentales : l’Hommage à Jean Moulin (1984) sur les Champs-Élysées, le tympan de l’église Saint-Ayoul à Provins (1985), les Fruits de la terre, portes du ministère des Finances à Bercy (1987), la fontaine Saint-Julien-le-Pauvre à Paris (1996) ou le portail de Notre-Dame de la Treille à Lille (1997). » 

La Tribune de l'art a publié l'article "La grande misère des fontaines parisiennes" de Didier Rykner  (4 août 2017) sur l'abandon du patrimoine parisien par la municipalité d’Anne Hidalgo... Ce sont bien, peu ou prou, tous les monuments historiques appartenant à la Ville de Paris qui sont menacés, faute d’entretien. Nous avons ainsi enquêté sur les fontaines parisiennes. Et nous sommes allé les voir une par une (soit environ 200 fontaines, dans tout Paris), pour vérifier leur état, mais aussi si elles fonctionnaient ou non. Et le résultat est édifiant. Parmi ces fontaines laissées à l'abandon : celle de Georges Jeanclos transformée en poubelle.

« Hormis les bronzes, coulés à partir de prototypes en terre cuite, l’essentiel de son oeuvre est constitué de sculptures en terre cuite – technique apprise chez Mermet – modelées dans une argile grise que l’artiste frappe au sol jusqu’à en tirer de fines lamelles, dont la fragilité est assumée, qu’il estampe parfois dans des moules anthropomorphes (visages, corps…), et réunit dans des assemblages complexes où la feuille d’argile se transforme en drapé déchiré parfois marqué de caractères hébraïques ».

"Georges Jeanclos est un sculpteur, d’un judaïsme d’après Dieu, comme le revendique Edmond Jabès, d’un judaïsme d’après la Shoah, qui montre le visage de l’homme dans sa fragilité. Lorsqu’il s’engage dans la représentation de couples, c’est à partir d’Adam et Ève, campés autour de l’arbre ; et il explore les deux axes qui deviendront permanents dans son œuvre, l’altérité et la représentation du nu  ».

Diverses galeries ont présenté ses oeuvres. Parmi elles, la galerie Capazza, organisatrice notamment de l'exposition « Georges Jeanclos, Murmures » au Palais Jacques Coeur de Bourges et à la Galerie Capazza à Nancay, publie sur son site Internet ce texte de Tzvetan Todorov : 
« Georges Jeanclos (1933-1997) est l’un des grands sculpteurs français du XXe siècle. Son œuvre est née en écho aux événements traumatisants de la Deuxième Guerre mondiale. Pour échapper aux rafles qui menacent les Juifs en France, sa famille doit se cacher dans les bois ; lui-même, âgé d’une dizaine d’années, apprend à côtoyer le danger de mort. Au lendemain de la Libération, il voit les corps des anciens collaborateurs pendus aux réverbères ; peu après, il découvre les êtres squelettiques qui ont survécu aux camps. Des décennies plus tard, Jeanclos réagira à cette expérience fondatrice : non en se renfermant dans son propre vécu, mais en s’ouvrant à l’universel, en se mettant à l’écoute de toutes les souffrances, passées et présentes ; non en représentant l’horreur, mais en trouvant en lui la force pour créer la beauté.
Jeanclos transforme la terre avec laquelle il travaille en fines feuilles, à l’aide desquelles il forme des personnages aux visages semblables, à la fois enfants et adultes, hommes et femmes. Ce sont des dormeurs couchés sous un drap de terre ; des êtres enfermés dans des urnes estampillées avec des lettres hébraïques tirées des prières pour les morts ; des personnages chargés sur des barques parties vers l’autre monde ; des kamakuras, bonzes en méditation, spectateurs de leurs jardins intérieurs. Plus tard s’y ajouteront des Piétas, des Adam et Eve amoureux, des couples qui se frôlent ou s’étreignent. Les images de Jeanclos révèlent à la fois l’insigne faiblesse de notre personne et la force irréductible de notre amour ; par leur simple existence, elles nous aident à vivre  ». 

La galerie Capazza propose cette vidéo émouvante sur cet artiste :  



« Journal de terre »

« Passion immodérée de cette matière souple, humide, qui répond à toutes mes impulsions, est devenue un journal de terre, témoin de mes jours de bonheur et de mes nuits. Elle a donné forme à chaque événement qui ponctue mon existence », a confié Georges Jeanclos.

Le « Journal de terre » de Jeanclos est un texte bouleversant où un artiste se raconte, où dans une confrontation avec la terre, dans un douloureux acharnement à décrypter « l’alphabet oublié », dans un ravaudage de la trame interrompue de la transmission, s’opère sa renaissance. Cette longue incantation sert de toile de fond à l’hommage que rend aujourd’hui à Georges Jeanclos le musée d’art et d’histoire du Judaïsme. Des Dormeurs, s’enterrant pour échapper aux fureurs d’alentour, à l’expérience du Kaddish, récité quotidiennement à la mort de son père et estampé dans le plâtre des Urnes, des héros de la résistance aux victimes des barbaries nazies et des massacres du XXe siècle (monument Colonnes de Guerry), jusqu’aux dernières sculptures, figures de la compassion et aussi de l’errance, cette présentation retrace en quelques oeuvres, le cheminement d’un artiste juif, « d’un judaïsme d’après la Shoah ».

En voici quelques extraits

« Elle [cette oeuvre] est née d’une rencontre attendue, souhaitée, avec la Torah déroulée, rayon de miel qui devient faïence, glaise porteuse de textes millénaires, psaumes, cantiques, loi gravée dans le plâtre, inversée, estampée de toutes mes forces sur le plâtre blanc, pour devenir consonnes grises, bombées sur les voiles de terre et lancées de toute la force de mon bras pour inscrire sur le corps de la nuit un champ de lettres venu du Sinaï. »

« Succession de consonnes révélées et rédigées par Moïse, devenues pour moi consonnes d’argile, consonnes non ponctuées qui ne signifient rien sans l’apport des voyelles, ponctuation lumineuse, absente des rouleaux, et que seule la tradition orale nous permet de vocaliser. »

« Je les ai fait fleurir sur les draps de terre avant de décrypter le sens qu’elles portent, sorties des rouleaux levés à bout de bras. Paroles sans fin serrées entre les langes, paroles roulées depuis Jérusalem et portées à travers le monde, je les ai retrouvées, vocalisées, transmission d’un savoir, mais aussi matière analogue à la terre avant que la main ne les modèle, et ne leur donne, oh blasphème, forme d’homme. »

« Les Colonnes de Guerry »

Les 24 et 26 juillet puis le 8 août 1944, trente-six otages détenus à la prison de Bourges sont « extraits de leurs cellules parce que juifs et jetés dans des puits à Guerry par la Milice et la Gestapo en représailles de la libération de Saint-Amand-Montrond par les maquisards, le 6 juin 1944 ». Les criminels écrasent les corps et les dissimulent en jetant des gros sacs en ciment et des pierres.

Parmi ceux ayant commis ce massacre : Pierre Paoli, agent français du Sicherheitsdienst (SD) de Bourges, placé sour la direction de Friedrich Merdsche, condamné à mort et exécuté en 1946.

Ces Juifs étaient pour la plupart originaires d'Alsace et de Moselle et réfugiés depuis 1939 dans ce lieu situé alors en zone non occupée. Seul survit Charles Krameisen qui courra pour se réfugier dans la ferme de la famille Guillaumin qui le protègera jusqu’à la Libération. « Parmi les victimes figurent Pierre et Fanny Jeankelowitsch, oncle et tante de l’artiste ».

« Pour la première fois, les Alliés sont confrontés à un des éléments du dispositif du génocide des juifs puisqu'ils n'ont pas encore, en cette date d'octobre 1944, découvert les centres de mise à mort. Le site des puits de Guerry devient un lieu mémoriel dès 1945 avec l'apposition d'une plaque commémorative des massacres. En 1994, deux colonnes de l'artiste Georges Jeanclos, neveu de 2 victimes, sont exposées pour le 50e anniversaire ».

Maurice Papon a été maire (1971-1983) de Saint-Amand-Montrond, sous-préfecture du département du Cher. En 1998, il est condamné à dix ans de réclusion criminelle pour complicité de crimes contre l'humanité pour des actes d'arrestation et de séquestration de Juifs de la région bordelaise déportés, via Drancy, vers le camp d'extermination d'Auschwitz, effectués alors qu'il était secrétaire général de la préfecture de Gironde (1942-1944). 

« Les Colonnes de Guerry, réalisées en 1994 par le sculpteur Georges Jeanclos (1933-1997), ont rejoint les collections du mahJ en 2019 grâce au don exceptionnel par la famille de l’artiste ».

Une "évocation poignante de l’un des crimes de la Shoah perpétrés sur le territoire français".

« Il s’agit d’une étude en terre cuite – à l’échelle – du monument en bronze érigé dans le hameau de Guerry à Savigny-en-Septaine, dans le Cher, pour commémorer le massacre ».

« Dans les Colonnes de Guerry, Jeanclos transcende son vocabulaire formel pour évoquer un crime contre l’humanité : sur des fûts réalisés en trois sections, l’artiste a appliqué des motifs de gouttes d’eau évoquant aussi des seins féminins, inspirés par les reliefs des colonnes du forum de Théodose à Constantinople, motif auquel il recourt aussi pour la fontaine de la place Stalingrad ». 

« Les chapiteaux figurant la chute et la montée des corps, empruntent à un répertoire de têtes, troncs et membres, présents dans les autres oeuvres de Jeanclos, amas instable où de fines feuilles d’argile figurent des haillons. »

« Ce don constitue un enrichissement majeur de la collection contemporaine du mahJ, qui comporte déjà quelques œuvres de l’artiste : Adam et Ève (1987), Couple (2006) ainsi que Kaddish (1985). » 

« Je suis comme le braconnier qui tend ses filets, ses lacets tout autour de la terre. J'ai aussi, à l'aide d'un lacet, d'un torchon, serré ces pièces encore fraîches et quelquefois embrassé de tout mon corps l'objet de mon désir, la sculpture. ». Ainsi, Georges Jeanclos résumait son art.


Du 17 octobre 2019 au 31 janvier 2021

Au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme

Hôtel de Saint-Aignan

71, rue du Temple. 75003 PARIS 

Tél. : +33 (0)1 53 01 86 53

Mardi, mercredi, jeudi, vendredi : 11h-18h. Samedi et dimanche : 10h-18h

Visuels :

Georges Jeanclos, Kamakura,

18 x 46 x 59 cm, terre cuite, 1988

© Denis Durand / Galerie Capazza

Georges Jeanclos, Colonnes de Guerry

© mahj – photo Christophe Fouin ©Adagp, Paris, 2021

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