
En 1937, Ezra et Khedouri Lawee, deux frères juifs irakiens et hommes d'affaires aisés, ont fait construire à Bagdad (Irak) leur demeure familiale, Beit Lawee (maison Lawee, en hébreu). En 1948, ils ont été contraints de fuir leur pays, et se sont réfugiés à Montréal (Canada) où ils ont créé une entreprise immobilière florissante. En 1964, ils ont loué Beit Lawee à la France qui y a localisé son ambassade. En 1974, la France a cessé de payer son loyer à la famille Lawee. En 2025, les descendants des frères Lawee poursuivent en justice leur locataire à qui ils réclament notamment plus de 20 millions de dollars (près de 17 Mns d’euros) d’arriérés locatifs. Interviewé par le Globe and Mail (30 mai 2025), Philip Khazzam, petit-fils d'Ezra Lawee, porte-parole de sa famille, a affirmé que la France a cessé de payer, à la demande du régime de Saddam Hussein, le loyer de ce palais à la famille Lawee. Un scandale d'Etat. Antisémite ?
« La croix gammée et le turban, la tentation nazie du grand mufti » de Heinrich Billstein
L’Irak, une ex-mosaïque ethnico-religieuse
L’Irak, une ex-mosaïque ethnico-religieuse
C’est un reportage filmé qui montre, lors d’une visite officielle le 20 août 2007, Bernard Kouchner, alors ministre des Affaires étrangères et européennes (2007-2010) sous la Présidence de Nicolas Sarkozy, et Jean-François Girault, alors ambassadeur de France en Irak (2006-2009) arpentant l’ambassade de France à Bagdad (Irak).
Ils se font assaut d’une exquise courtoisie comme il sied à deux représentants du Quai d’Orsay. « Nous sommes chez vous », assure le ministre. « Chez vous, monsieur le ministre », réplique respectueusement l’ambassadeur. « Oui, enfin, chez nous », concède un consensuel Bernard Kouchner, dont le geste ample souligne l'étendue du domaine.
Le reportage laisse apercevoir rapidement une vaste demeure aux lignes épurées, au péristyle soutenant un balcon à balustrade cintrée.
Dans un article du Monde, Cécile Hennion présentait ainsi cette ambassade de France « transformée en bunker » : « Cette maison patricienne du Bagdad des années 1930, ancienne propriété d'une grande famille juive qui a quitté l'Irak lors de la révolution de 1958, disparaît aujourd'hui entre les enceintes de béton et les sacs de sable. Le léger clapotis de la fontaine du jardin de l'ambassade de France à Bagdad offre l'apparence trompeuse d'une oasis de tranquillité. » Et d’expliquer que la « belle résidence à 2 km de là, dans le quartier de Masba, a subi un pillage en règle en 2003 » et « la sécurité s’est tellement dégradée qu'il n'est plus question pour le représentant de la France en Irak d'aller s'y installer. Il vit et dort, comme le reste de son équipe, dans l'enceinte de l'ambassade ». (Le Monde, 21 août 2007)
Eh bien, ces distingués messieurs du Quai d’Orsay et le quotidien dit « de référence » se trompaient. De jure, cette « maison patricienne » transformée en ambassade sécurisée appartenait et appartient toujours à la famille juive irakienne Lawee, spoliée par le gouvernement irakien.
En 2025, les descendants des frères bâtisseurs propriétaires, Ezra et Khedouri Lawee, réclament justice : ils demandent, judiciairement, à la France 22 millions de dollars (16,9 Mns d’euros) d’arriérés locatifs et 11 Mns de dollars (9,34 Mns d’euros) de dommages et intérêts. Soit un total de 33 Mns de dollars (26,24 Mns d’euros).
Un Eden perdu
Hommes d’affaires juifs irakiens influents, les frères Ezra et Khedouri Lawee « étaient les concessionnaires de grandes firmes automobiles - Chevrolet ou Pontiac – pour l’Irak, l’Iran et l’Egypte », m’a confié Philip Khazzam, petit-fils d’Ezra, âgé de 65 ans, dirigeant d'une entreprise important et distribuant des fruits secs, et porte-parole de sa famille demanderesse au procès.
Ensemble, les deux frères avaient construit en 1935-1937 leur résidence familiale majestueuse (3808 m²) dénommée Beit Lawee (maison Lawee), un palais aux lignes épurées, agrémenté d’une piscine et de fontaines. Sur un côté, un péristyle délimité par des colonnes supportant des arcs et un balcon donnait sur un jardin (1147 m²) soigneusement entretenu, où embaumaient les magnolias et où les palmiers dattiers offraient ombrages et fruits. Et les deux frères menaient grand train : cuisinier, chauffeur, jardinier… Près de la maison des Lawee, se trouvait un country club où la mère de Philip Khazzam se rendait pour jouer au tennis.
Les Lawee se considéraient profondément Irakiens. Leur origine ? « Nous sommes Irakiens, de purs Irakiens », a affirmé Philip Khazzam.
La communauté juive irakienne comptait alors environ 150 000 âmes - « un tiers des 90 000 habitants de Bagdad était juif » -, et sa présence, pluriséculaire, remontait à 2 700 ans dans l'ancienne Babylone : la communauté Juive y était implantée depuis son exil forcé à Babylone sur l’ordre de Nabuchodonosor (597 avant l'ère commune.
Gertrude Bell (1868-1926) était un agent de renseignement britannique, une diplomate, femme de lettres, archéologue et conceptrice de l'Etat irakien. Dans ses lettres lisibles sur un site universitaire consacré à Gertrude Bell, elle a évoqué des Juifs irakiens comme constituant dans les années 1920 « une partie de la population importante, riche, intelligente, cultivée, active ». Et elle espérait que certains de ses illustres représentants, dont Sassoon Eskel (1860-1932), qu’elle dénommait Sasun Effendi et dont elle louait la « sagesse et la modération habituelles », seraient des acteurs clés dans la construction du nouvel Irak. Sassoon Heskel a été un homme politique irakien, député représentant Bagdad au Parlement ottoman (1908-1920), ministre des Finances (1920-1923, 1924-1925), et député au Parlement irakien (1925-1932). Il est considéré comme « un des architectes de l'Etat irakien ».Durant la Première Guerre mondiale, les autorités ottomanes affrontèrent des difficultés financières pour financer leurs dépenses militaires. Une crise qui s'aggrava à partir de 1917 : chute de la monnaie, etc. Le pouvoir ottoman en imputa la responsabilité aux juifs, et infligea des sévices aux juifs commerçants de Bagdad. "Avant l'entrée des forces britanniques à Bagdad, le gouvernement arrêta 17 membres de l'élite nationale et les maintint dans la clandestinité".
Le Dr Nissim Qazzaz écrit dans son livre Histoire des Juifs irakiens modernes : « Avant l’occupation de Bagdad, le gouvernement a arrêté un certain nombre de Juifs et leur a coupé le nez, les oreilles, les yeux crevés, puis les a mis dans des sacs et les a jetés dans le Tigre. »
Dans son livre « Souvenirs d'Éden » (Memories of Eden), Violette Shamash raconte comment, en 1915, des hommes en uniforme turc ont emmené son grand-père et d'autres membres éminents des communautés minoritaires. Soupçonnés de collaboration avec l'ennemi, ils furent arrêtés et déportés à Mossoul. Ils marchaient ou montaient à dos de mulet, sous surveillance allemande ou turque. Puis, inexplicablement, son grand-père fut autorisé à rentrer chez lui, peut-être pour pouvoir verser ses économies au trésor ottoman épuisé. Ceux qui ne pouvaient pas payer finissaient noyés dans le Tigre".
Salim Fattal raconte cet épisode terrible dans "Alleys of Baghdad " :
"Les Turcs imposèrent un règne de terreur à Bagdad. Quiconque était pris en flagrant délit d'espionnage était condamné à mort. Un groupe fut exécuté en 1915, dont un marchand juif, Joseph Shkouri, dans le quartier de Ras al-Qarya. Les chefs de la communauté racontèrent que d'autres condamnés à mort, dont un Juif de la famille Sofer, furent cousus dans des sacs de jute et jetés à la rivière. Les Turcs espéraient que le spectacle effroyable des corps suspendus aux potences ou jetés à la rivière à Bagdad ou à Damas servirait de dissuasion contre de nouveaux actes de subversion."
La communauté juive irakienne, dont les Lawee, a contribué à l’essor économique du mandat britannique de Mésopotamie (1920-1932), puis du royaume hachémite d’Irak (1932-1958).
Vers un exil contraint
Cependant, cette communauté a été victime de mesures antisémites étatiques : interdiction de l'histoire Juive et de l'hébreu dans les établissements scolaires Juifs (années 1920), exclusion des juifs de la Fonction publique et de l'enseignement (années 1930).
Durant la Deuxième Guerre mondiale, le grand mufti de Jérusalem Hadj Amin al-Husseini et le gouvernement pro-nazi de Rachid al-Gaylani, ainsi que la propagande nazie de Radio-Berlin, ont joué un rôle essentiel dans le farhoud (violente dépossession, en arabe), pogrom les 1er-2 juin 1941, lors de la fête de chavouot, à Bagdad et Basra : 175-180 Juifs tués, près de 2 000 Juifs blessés, des femmes juives victimes de viols collectifs et mutilées, des synagogues profanées - rouleaux de la Torah brûlés -, 900 maisons juives et des biens Juifs pillés et incendiés, etc. Le ministre irakien des Affaires étrangères, Fadel Jamali, confirmait dès novembre 1947 les menaces de pogroms du délégué égyptien de la Ligue Arabe, Heykhal Pacha le 24 novembre 1947 devant l’Assemblée de l’ONU : “Les relations arabo-juives vont se détériorer grandement… Il y a beaucoup plus de Juifs dans le monde arabe qu'en Palestine. En Irak seulement, nous avons environ cent cinquante mille Juifs... Toute injustice imposée aux Arabes de Palestine perturbera l’harmonie entre Juifs et non-Juifs en Irak ; elle fera naître des préjugés et une haine entre religions.”
A l'approche de la refondation de l'Etat Juif et dans les décennies suivantes, les juifs irakiens au nombre de 130 000 sont persécutés officiellement par l'Etat : arrestations, lourdes amendes frappant les juifs riches, interdiction de quitter l'Irak, condamnation inique et exécution par pendaison publique de Shafik Adass, juif irakien le plus riche (1948), membres du mouvement sioniste persécutés (1949), loi de contrôle des banques ruinant des agents de change majoritairement juifs, déchéance de nationalité des Juifs quittant l’Irak, attentat contre une synagogue de Bagdad - 3 morts, 20 blessés - (1950), biens des Juifs, ayant quitté le pays et déchus de leur nationalité, gelés (1951).
De 1949 à 1952, 120 000 Juifs (92% de cette communauté) opprimés, dénaturalisés, spoliés, émigrent, généralement vers Israël et par avions. Des opérations de sauvetages organisées par l'Etat Juif. Ces exilés irakiens font partie du million de juifs ayant été contraints, essentiellement des années 1940 aux années 1970, de quitter le monde arabe ou/et musulman. « Tous les biens juifs ont été nationalisés par le gouvernement irakien et aucune indemnisation n'a été versée. »
En 1948, les frères Lawee ont tenté leurs chances en Amérique du nord, et se sont fixés à Montréal (Canada) en 1953 : "Ezra et Khedouri ont eu la possibilité financière d’aller en Amérique : ils pensaient y avoir des opportunités professionnelles. Ils sont d’abord allés à New York où General Motors a essayé de les aider à immigrer. Mais cela prenait trop de temps. Donc, ils se sont installés à Montréal", m'a expliqué Philip Khazzam.
Accord avec la France
La famille Lawee a tenté d’y recréer son mode de vie irakien aux liens familiaux étroits : Ezra et Khedouri Lawee ont acheté deux maisons ayant une cour commune où jouaient leurs enfants. Mais ils n'ont jamais oublié leur pays natal et leur Eden perdu, Beit Lawee.
Beit Lawee demeurait vide à Bagdad, surveillée par un gardien recruté par les deux frères. La famille Lawee avait conservé son titre de propriété, et en 1964, elle trouva un locataire : la France qui cherchait un lieu pour son ambassade. Le contrat de bail de deux ans était renouvelable par tacite reconduction. Les frères Lawee étaient heureux de percevoir des revenus en ayant leur maison louée à un Etat au régime démocratique. Le loyer devait être payé partiellement en dinars irakiens, et une somme plus importante devait être versée en francs.
Cet accord a duré brièvement.
Après la guerre des Six-jours en juin 1967, l’Irak a accru son hostilité envers ses citoyens juifs. En 1968, le parti Baas est arrivé au pouvoir, et Saddam Hussein est devenu vice-président. En 1969, neuf juifs irakiens ont été pendus en place publique accusés d’être des espions sionistes.
Dans les années 1970, Saddam Hussein a confisqué les archives de cette communauté.
Le gouvernement irakien a alors informé l’ambassade de France qu’elle devait verser le montant du loyer, non aux Lawee, mais à lui. Il n’a pas notifié sa décision aux propriétaires qu’il n’a pas indemnisés. Beit Lawee a été confisquée par l’Etat car ses propriétaires étaient juifs. La France a dirigé la partie du loyer payée en dinars au gouvernement irakien, et continué de payer les Lawee séparément en francs, alors monnaie de la France.
En 1974, la France a cessé de payer son loyer aux Lawee parallèlement au virage pro-Arabe de sa diplomatie pendant et après la guerre du Kippour (1973) et le premier choc pétrolier : quadruplement du prix du pétrole, embargo contre les amis d’Israël et réduction de la production par l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP).
En 1978, la France a signé un contrat de bail, concernant les mêmes biens, avec l'Etat irakien.
Quand Ezra Lawee a protesté – son frère Khedouri est mort en 1967 -, il a appris que l’Irak avait « séquestré » Beit Lawee. Ensuite, le silence a prévalu.
Procès
Vers 2004, un oncle de Philip Khazzam avait obtenu qu'un ancien Premier ministre québécois, Lucien Bouchard, avocat, envoyât une lettre au ministre français des Affaires étrangères. Sans résultat.
"Un peu moins de vingt petits-enfants ont recruté un avocat voici cinq ans de cela car nous étions sensibles à la violation des droits de l'homme, de la propriété privée. J'ai pris conscience de l'injustice de la situation", a précisé Philip Khazzam. Le loyer de l'ambassade de France est "très, très faible".
Dans le procès contre la France, les ayants-droit Lawee sont représentés par Me Jean-Pierre Mignard, ami de l’ancien Président socialiste François Hollande. Cet avocat a déclaré : « Je suis scandalisé que les Lawee aient été spoliés de leur propriété parce qu’ils sont juifs. La France n’aurait jamais du accepter cela... La France a occupé un bien juif volé depuis 50 ans en pleine connaissance de cause et sans avoir jamais initié une réparation morale ou économique. C’est un scandale auquel nous devons mettre un terme ». Il a adressé des lettres indignées aux ministres français successifs des Affaires étrangères et ambassadeurs d’Irak. "Nous avons tenté une médiation", a ajouté Philip Khazzam, scandalisé par le comportement du "pays des droits de l'homme" depuis 55 ans. En vain.
Début 2025, Me Jean-Pierre Mignard a poursuivi en justice la France en réclamant 22 Mns de dollars d’arriérés locatifs impayés et 11 Mns de dollars de dommages et intérêts. Soit un total de 33 Mns de dollars (26,24 Mns d’euros).
Philip Khazzam n’espère aucune indemnisation du gouvernement irakien.
"Aujourd'hui, au lieu de restituer la propriété à ses propriétaires légitimes ou de les indemniser pour son occupation continue par les émissaires du Quai d'Orsay, le gouvernement d'Emmanuel Macron semble déterminé à poursuivre la famille devant les tribunaux et à l'accabler de questions techniques, comme celle de savoir s'ils ont volontairement renoncé à leur propriété lors de leur fuite d'Irak dans les années 1950... Après avoir rejeté une offre de médiation, la France soutient désormais, invoquant l'incompétence, que tout procès devrait se dérouler devant les tribunaux irakiens, peu disposés à statuer contre un allié diplomatique et en faveur d'une famille juive chassée du pays un demi-siècle plus tôt". (Tablet, 20 octobre 2025)
Philip Khazzam, petit-fils et petit-neveu des propriétaires d'origine, Ezra et Khedouri Lawee, a dit "que la France payait son loyer à l'Irak à un taux bas. « Ils savent qu'ils font une bonne affaire », a-t-il déclaré, ajoutant que payer le prix du marché pour sa somptueuse ambassade coûterait beaucoup plus cher à la France... Interrogé sur les questions relatives à la propriété et aux accusations de Khazzam, le ministère français de l'Europe et des Affaires étrangères a répondu que « l'affaire est devant la justice, nous ne pouvons donc pas commenter ». Le mois dernier, Khazzam s'est rendu à New York pour demander personnellement au président français le remboursement des arriérés de loyers qui, selon lui, lui sont dus. Il avait prévu d'aborder Macron lors de la visite du président au Centre culturel français de la Cinquième Avenue, mais il n'a jamais pu s'approcher suffisamment pour lui poser la question... En réponse aux avocats représentant les descendants des Lawee, le mémoire de défense du ministère français de l'Europe et des Affaires étrangères soutient qu'en fuyant l'Irak, les frères Lawee ont techniquement perdu la propriété de leur maison en vertu d'un ensemble de lois discriminatoires de 1951 dont le but même était de dépouiller les Juifs irakiens de leurs biens."
"Par exemple, la loi n° 5 de 1951 gèle les biens des Juifs ayant quitté l'Irak après janvier 1948, année de la création d'Israël, et confisque ceux des Juifs qui ne reviennent pas. La perte financière que ces lois ont infligée aux Juifs irakiens s'élevait alors à des centaines de millions de dollars américains, soit plus de 34 milliards de dollars en monnaie actuelle. Si la France parvient à prouver qu'Ezra a quitté l'Irak pour s'installer en Israël – déclenchant ainsi la loi n° 5 –, elle pourra alors soutenir que les Lawee ont effectivement renoncé à leurs biens, libérant ainsi la France de toute dette envers leurs descendants."
"Les Khazzam rejettent l'argument selon lequel Ezra et Khedouri auraient « perdu » leur maison, soulignant que, durant une brève période de réforme juridique irakienne débutant en 1963, les frères, alors installés au Canada, avaient loué la maison qu'ils possédaient encore à la France pour sa nouvelle ambassade. De plus, les Khazzam soulignent que la France leur versait un loyer au milieu des années 60 – une reconnaissance officielle claire de leur propriété – avant que Saddam ne saisisse la propriété et n'ordonne à la France de verser tous les loyers ultérieurs à son gouvernement baasiste."
"Le législateur français a récemment adopté une norme reconnaissant la saisie de biens par des régimes criminels comme une injustice exigeant des actes de restitution. En 2023, l'Assemblée nationale a adopté l'amendement au Code du patrimoine visant à restituer les biens volés par les nazis entre 1933 et 1945. Après des décennies de débats houleux en France, cet amendement étend la Convention de 1954 à la protection des biens culturels. La France fait partie des rares signataires décrits comme « mobilisant activement des ressources pour la restitution d'objets d'art ayant subi des violences antisémites ».
Philipp ¨"Khazzam souligne que les mêmes critères s'appliquent à un tableau volé par les nazis à des Juifs européens, et devraient s'appliquer à une maison volée par Saddam à une famille juive irakienne. « Si la France accepte de restituer des œuvres d'art volées aux descendants de leurs propriétaires d'origine », a-t-il demandé, « comment peut-elle alors justifier de continuer à utiliser la maison confisquée à Ezra et Khedouri Lawee ? »
Quand la France veut ou ne veut pas
Concernant les biens des juifs spoliés durant la Deuxième Guerre mondiale, il a fallu plus d’un demi-siècle pour que la France institue la Commission pour la restitution des biens et l'indemnisation des victimes de spoliations antisémites (CIVS) qui alloue des indemnisations dérisoires, et certains musées ont été réticents à restituer des œuvres d'art appelées "Musées nationaux récupération" (MNR) volées à des propriétaires souvent juifs ou que ces derniers avaient été alors contraints de vendre.
"D’ici à cinq ans, je veux que les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain à l’Afrique », avait déclaré le Président de la République Emmanuel Macron à Ouagadougou, le 28 novembre 2017.
"Le 17 novembre 2019, à Dakar, le premier ministre Edouard Philippe a symboliquement remis au président sénégalais Macky Sall le sabre dit d’El Hadj Oumar Tall", a écrit Francis Simonis, maître de conférences HDR « Histoire de l’Afrique » à l’université d’Aix-Marseille et membre de l’Institut des mondes africains (IMAF), dans sa tribune « La première œuvre qui est “restituée” à l’Afrique est un objet européen » (Le Monde, 24 novembre 2019).
Et l'auteur de poursuivre : "Une chose est sûre : l’objet que l’on peut voir aujourd’hui au Musée des civilisations noires n’a jamais appartenu à son prétendu propriétaire. Et c’est là un étrange signal qui est envoyé à l’Afrique : la première œuvre qui lui est « restituée » est un objet européen qui n’a passé que quelques années sur le continent et n’est en rien ce que l’on dit qu’elle est !"
Vice-Présidente du parti Reconquête !, l'eurodéputée Sarah Knafo a révélé en février 2025 les centaines de millions d'euros dilapidés par l’Agence française de développement (AFD) en certains projets : « institutionnaliser en Jordanie et mettre à l’échelle la budgétisation sensible au genre » pour 151 millions d’euros de 2022 à 2025, « un programme de renforcement de l’égalité de genre dans l’accès aux opportunités économiques » en Albanie à hauteur de 51 millions d’euros de 2021 à 2033, « la restauration écologique du district de Pingnan, province du Fujian », pour « améliorer l’environnement écologique et le cadre de vie des habitants du district du Pingnan en ramenant la nature et la biodiversité dans la ville ». Coût de l’opération : 40 millions d’euros par an jusqu’en 2042" à la Chine, deuxième puissance mondiale...
Dans le différend l'opposant à la famille Lawee, la France hyper-endettée (3345,8 milliards d'euros, soit 114 % du PIB) a choisi de rejeter un règlement amiable - date limite : 15 mai 2025 -, de payer des honoraires d’avocat et vraisemblablement de verser les montants évalués en dizaines de millions d'euros auxquels elle pourrait être condamnée par la justice.
La France, "c'est le gouvernement, le pays qui a le plus d'influence en Irak. Personne n'a investi plus que la France en Irak. Total Energy a d'ailleurs investi 27 milliards de dollars dans la construction de l'institution, des infrastructures pour le transport du pétrole, etc. La France pourrait très facilement résoudre ce problème, et il suffirait peut-être d'un simple appel. C'est donc quelque chose que je ne comprends pas", a expliqué Philip Khazzam à The Canadian Jewish News (6 juillet 2025).
Le "gouvernement des juges" reconnaîtra-t-il la dette locative de la France envers la famille Lawee ? Depuis quelques décennies, il a ruiné (copropriétaires M.B.) ou a spolié des Français Juifs, et ce "au nom du peuple français" : propriétaires de biens immobiliers en Allemagne (Monica Waitzfelder) et en France (Eva Tanger, David Amzallag), spécialiste en médecine nucléaire et détenteur d'actions dans des sociétés (Dr Lionel Krief)... Et la liste est loin d'être complète ou close.
Alors que sont publiés des articles dans des mainstream medias français (Libération, Ouest France), israéliens (The Jerusalem Post, i24news) -, canadiens (The Globe and Mail, The Canadian Jewish News), les institutions juives françaises demeurent silencieuses sur le procès "Lawee vs France". Ainsi, le 3 juillet 2025, lors du 39e dîner du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), son Président, Yonathan Arfi, a omis d'évoquer ce litige dans son discours. Il ne savait pas ? Force est de constater que le CRIF n'organise aucun évènement annuel pour rappeler cet exil de près d'un million de juifs, et n'a soutenu ou défendu aucun de ces juifs ruinés ou spoliés, notamment pas Monica Waitzfelder ("L'Oréal a pris ma maison").
"L'Oréal a pris ma maison" : cet étrange leitmotiv, si souvent entendu dans la bouche de sa mère, a marqué l'enfance de Monica Waitzfelder. C'est pour en percer le mystère que la jeune femme se lance dans une véritable enquête policière. Elle découvre un passé tragique : ses grands-parents, les Rosenfelder, ont possédé une propriété, à Karlsruhe en Allemagne. Ils ont dû l'abandonner en 1937, ainsi que tous leurs biens, pour se réfugier en France avec leur jeune enfant, la mère de Monica : juifs, ils subissent persécutions, spoliations et sont victimes de la Shoah. Après la guerre, tous les biens ne sont pas restitués : sur l'emplacement de rêve de la maison des Rosenfelder, au cœur de Karlsruhe, l'entreprise de cosmétiques L'Oréal a construit son siège social allemand. Aujourd'hui, devenu l'un des plus grands groupes mondiaux et ayant fait la richesse de la famille de ses fondateurs, L'Oréal refuse encore de reconnaître les faits. Le passé politique trouble de ses premiers dirigeants, acteurs d'une extrême droite proche de l'idéologie nazie, continue de peser sur le présent. L'enquête de Monica Waitzfelder, appuyée sur des documents d'époque, est un témoignage stupéfiant qui mêle souvenirs douloureux, vies brisées et grande histoire". La justice française avait débouté Monica Waitzfelder de toutes ses demandes.
Enjeux
Pour la famille Lawee, ce procès revêt, au-delà des questions juridiques et financières, un enjeu moral et une dimension affective : Beit Lawee, qui perdure malgré les tragédies historiques - dictatures, guerre, califat de l'Etat islamique (ISIS, ISIL ou Daesh) - symbolise un monde perdu où les parents et grands-parents Lawee ont vécu heureux. Philip Kazzam espère que ce procès incitera d'autres familles juives spoliées à revendiquer leurs biens et à solliciter leur indemnisation. Il souhaite que le gouvernement irakien "dégèlera" cette maison comme il l'a fait "envers des propriétés et maisons chrétiennes", et s'ensuivra "une procédure de deux ans" pour récupérer Beit Lawee et la vendre. "Même s'il n'y a plus que trois Juifs aujourd'hui à Bagdad, ils rénovent et remettent en état une synagogue. Il y a quatre ou cinq ans, cela n'aurait jamais été possible", a observé Philip Khazzam (The Canadian Jewish News, 6 juillet 2025).
Ce procès permet d'informer sur un fait historique majeur, mais méconnu : en quelques décennies, de 1945 aux années 1970, environ 900 000 Juifs (ce nombre varie selon la zone géographique délimitée) - un nombre plus élevé que celui des réfugiés Arabes de la Palestine mandataire en 1947-1948 estimé à 270 000 selon le journaliste Richard Mather, voire 583 121-609 071 individus selon Efraim Karsh - ont quitté des pays musulmans - Etats Arabes, Turquie, Iran -, dont certains devinrent Judenrein, alors que la présence des Juifs y était souvent antérieure à la conquête arabe, voire (pluri)millénaire. Ils ont du aussi quitter en 1948 la vieille ville de Jérusalem... La valeur de leurs biens abandonnés est évaluée à 150-200 milliards de dollars.
Justice for Jews from Arab Countries (JJAC) est une organisation créée à New York (Etats-Unis) en 2002 à l'initiative de la Conference of Presidents, du World Jewish Congress, de l'American Sephardi Federation, et de la World Organization of Jews from Arab Countries. Ses objectifs : documenter l'histoire des juifs des pays Arabes, représenter leurs intérêts...
En février 2025, JJAC "a publié un rapport sur les Juifs d'Irak, estimant leurs pertes en biens et en propriétés (actifs, institutions, biens saisis) à 34 milliards de dollars aux cours actuels. Alors que le débat fait rage sur un éventuel transfert de population depuis Gaza, JJAC a rappelé qu'un transfert de Juifs d'Irak a eu lieu dans les années 1950. Ce rapport fait suite à celui sur les pertes subies par les Juifs de Syrie, estimées à 10 milliards de dollars." Concernant l'Egypte, le montant est d'environ 80 milliards de dollars. En couverture du rapport : une photographie de la famille d'Abraham Saul Tvana, à Bagdad, Iraq, en 1924. (Source: Museum of the Jewish People - Beit Hatfutsot.)
Dans les années 1950, les communautés juives en Irak et en Egypte étaient les plus riches parmi celles du monde musulman. L'affaire Lawee rappelle l'affaire Bigio. Une autre affaire de spoliation et d'injustice.
En Egypte, depuis 1929, la famille juive Bigio était propriétaire de terrains à Héliopolis. Elle les avait transformés en zone industrielle accueillant "des usines de fabrication de cirage, de boîtes de conserve, puis de capsules de bouteilles en fer-blanc pour Coca-Cola. Dans les années 1940, Coca-Cola loua les terres et les installations des Bigio, les utilisant pour embouteiller du Coca-Cola, puis du Fanta. En 1962, pendant la campagne antisémite de Nasser [qui avait accueilli des dirigeants nazis, Nda], le gouvernement égyptien confisqua l'intégralité du complexe industriel des Bigio, y compris l'usine Coca-Cola, sans compensation ni excuses, simplement parce que les Bigio étaient juifs."
Les Bigio "furent expulsés d'Égypte en 1965. Pendant des décennies, Coca-Cola exploita son usine d'embouteillage sur ce terrain, pleinement consciente de son histoire. Lors de la privatisation de leurs terrains dans les années 1990, les Bigio tentèrent de les récupérer, mais Coca-Cola s'empressa d'en obtenir la propriété auprès du gouvernement égyptien, laissant la famille bredouille."
"La famille Bigio intenta un procès contre Coca-Cola aux États-Unis, arguant que Coca-Cola avait sciemment profité du vol de ses biens. L'affaire a traîné pendant des années. Les avocats de Coca-Cola ont fait valoir que la saisie des biens juifs par l'Égypte ne violait pas le droit international. En 2012, la Cour d'appel des États-Unis a confirmé le rejet de leurs demandes. Elle a considéré que l'acquisition du bien par Coca-Cola était légale au regard du droit égyptien et que Coca-Cola occupait le bien en vertu d'une « revendication de droit ». Ni indemnisation, ni excuse.
En cette année 2025, alors que la famille Lawee réclame justice à la France, Alfred Dreyfus (1859-1935, injustement condamné en 1894 et réhabilité en 1906, est à l'honneur à Paris : le musée d'art et d'histoire du Judaïsme (mahJ) présente l'exposition "Alfred Dreyfus. Vérité et justice" (13 mars-31 août 2025) et l’Assemblée nationale a voté le 2 juin 2025, à l’unanimité, l’élévation d’Alfred Dreyfus, au grade de « général de brigade ». Le 12 juillet 2025, le Président Emmanuel Macron, qui avait refusé de participer à la marche contre l'antisémitisme, a annoncé : "Chaque 12 juillet, se tiendra une cérémonie de commémoration pour Dreyfus, pour la victoire de la justice et de la vérité contre la haine et l’antisémitisme. Ainsi, Alfred Dreyfus et ceux qui combattirent à travers lui pour la Liberté, l’Egalité et la Fraternité continueront d’être l’exemple qui doit inspirer notre conduite".
Concernant le procès de la famille Lawee, c'est la France, chantre des droits de l'Homme, et non une multinationale française ou américaine, qui est poursuivie en justice pour loyers impayés.
On songe à la déclaration de Jean-Noël Barrot, ministre (Modem) de l'Europe et des Affaires étrangères, diffamant l'Etat d'Israël : « Je veux exprimer ma colère… C’est un scandale, c’est une honte… Il faut que cela cesse, immédiatement ».
Chiche ?
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